La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Dominique Raimbourg et plusieurs de ses collègues visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire (nos 2753 rectifié, 2941).
La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise est à la fois simple et ambitieuse. Elle vise à en finir avec une réalité qui abîme le visage de notre République et dont un rapport sénatorial a dit qu'elle constituait parfois une indignité : la surpopulation carcérale. Il s'agit tout simplement de passer d'une culture de l'enfermement à une culture du contrôle.
Vous connaissez tous la réalité de la surpopulation. Le 1er juillet dernier, nos prisons comptaient 62 113 détenus pour 56 419 places, soit un taux d'occupation de 110 %. Ce chiffre n'est cependant qu'une moyenne, qui dissimule une profonde disparité. En effet, ni les détenus qui sont en maison centrale pour y purger des peines longues, ni les détenus qui sont en centre de détention pour y purger des peines d'une durée moyenne ne connaissent la surpopulation. Le taux d'occupation des maisons centrales est effectivement de 79,5 %, puisqu'il y a 1 209 détenus pour 1 518 places, tandis que le taux d'occupation des centres de détention est de 94 %.
En revanche, les 41 401 détenus en maison d'arrêt ou en quartier maison d'arrêt doivent se partager environ 34 000 places, ce qui caractérise une situation de suroccupation. Le taux d'occupation moyen des quartiers maison d'arrêt est ainsi de 122 % et celui des 101 maisons d'arrêt de notre territoire de 124 %.
Cela dit, la surpopulation connaît également de fortes disparités locales. Cinquante-six maisons d'arrêt ont un taux d'occupation compris entre 100 % et 150 %, quatorze un taux compris entre 150 % et 200 %, cinq un taux supérieur à 200 %. Ces cinq maisons d'arrêt sont celles de Fontenay-le-Comte, d'Orléans, de Tours, de Majicavo, à Mayotte, et La Roche-sur-Yon, dont les taux d'occupation respectifs s'élèvent à 205 %, 206 %, 210 %, 235 % et 255 %. Plus de cent détenus doivent donc se partager les quarante places de la maison d'arrêt de La Roche-sur-Yon, en tête de ce triste palmarès. Je précise qu'il s'agit des chiffres de juillet ; depuis lors, la situation s'est améliorée à la maison d'arrêt de Majicavo. Vous aurez par ailleurs noté que la Vendée présente la particularité de compter deux maisons d'arrêt qui figurent au palmarès des maisons d'arrêt occupées à plus de 200 %.
Quelles sont les conséquences de cette surpopulation ? Nous les connaissons tous.
Tout d'abord, les conditions de détention sont indignes. Cela fait des années que des rapports parlementaires les dénoncent, et l'encellulement individuel est en débat au Parlement depuis 1875 et la loi Béranger. La situation n'a pourtant pas évolué depuis cette époque, et nous en sommes toujours à dire qu'il faudrait, qu'il serait souhaitable, qu'il serait nécessaire, qu'il est indispensable qu'il y ait une cellule par détenu et un détenu par cellule.
Deuxième conséquence, qui n'est pas non plus négligeable : les surveillants travaillent dans des conditions indécentes.
Troisième conséquence : la réinsertion est une tâche très difficile.
Quatrième conséquence : faute de réinsertion, la récidive est aggravée.
Que vous proposons-nous ? Le double mécanisme que tend à instaurer cette proposition de loi vise simplement à faire sortir par anticipation le détenu dont la peine est la plus proche de son terme lorsqu'un détenu entre en surnombre dans un établissement.
Je n'entre pas dans les détails ; il vous suffit, pour les connaître, de vous reporter à notre texte. Disons simplement qu'il existe un sas, permettant une certaine suroccupation. À partir de l'instant où un détenu entrera dans ce sas, l'administration pénitentiaire et le juge d'application des peines auront un délai de deux mois pour mettre en oeuvre l'un des deux mécanismes d'aménagement de peine prévus par la loi pénitentiaire que nous avons votée au mois de novembre 2009 : l'aménagement de peine décidé grâce à une procédure simplifiée, réservé à ceux dont le reliquat de peine est inférieur à deux ans et qui n'ont pas été condamnés, au total, à plus de cinq années de prison ; et le placement sous surveillance électronique en fin de peine, réservé aux détenus à qui il ne reste plus à purger que quatre mois d'emprisonnement. Les statistiques de l'administration pénitentiaire nous indiquent d'ailleurs que 21 % des détenus actuellement incarcérés sont à moins de trois mois de leur sortie de prison. Il existe donc suffisamment de candidats potentiels à la mise en oeuvre de ce mécanisme.
Nous en proposons un second pour lutter contre la récidive et éviter les sorties sans accompagnement, sans contrôle et sans suivi : une « automaticité » de la libération conditionnelle. Sauf avis contraire du juge d'application des peines, le condamné bénéficierait d'une libération conditionnelle lorsque la durée de la peine accomplie est égale aux deux tiers de la peine totale. Comme toute libération conditionnelle, cette mesure serait doublée d'un suivi, d'un contrôle et d'un accompagnement du détenu qui sort de prison.
Un certain nombre de nos partenaires européens appliquent un tel mécanisme : l'Angleterre, l'Espagne, la Finlande et les Pays-Bas. Certes, chaque pays ayant son organisation propre, les modalités varient d'un pays à l'autre, mais le mécanisme existe déjà.
À l'appui de cette proposition, je signale également que, dans son rapport d'activité pour l'année 2009, l'administration pénitentiaire indique que la mise en place d'une automaticité des libérations conditionnelles serait de nature à renforcer cet outil dont elle estime qu'il est l'un des moyens les plus efficaces de lutter contre la récidive.
Quelles objections peut-on faire à notre proposition de loi ?
Première objection, l'instauration d'une surveillance de ceux qui sortent de prison serait contraire aux droits de l'homme. Cette objection est sans valeur, car il s'agit en fait d'instaurer une surveillance de ceux qui, s'ils sortent de prison, n'ont pas pour autant terminé de purger leur peine. La surveillance, le contrôle, le suivi et l'accompagnement sont des modalités de la peine à l'extérieur. Il n'y a donc là aucune atteinte aux droits de l'homme.
Deuxième objection, nos concitoyens seraient très attachés à l'exécution complète des peines d'emprisonnement. Je ne crois pas que cela soit vrai : nos concitoyens sont en fait attachés à ce que nous nous penchions sur les questions de la délinquance, de la récidive et de la réitération. Dès l'instant où la prison prend du sens parce qu'elle est le temps de la sanction et que cette sanction se prolonge par un contrôle à la sortie, le dispositif pourrait, me semble-t-il, recueillir l'assentiment de nos concitoyens.
Troisième objection, l'égalité serait rompue puisque l'on n'exécuterait pas sa peine de la même façon selon que l'on se trouve dans un établissement surpeuplé, où l'on pourrait donc bénéficier d'une sortie aménagée et anticipée, ou dans un établissement qui ne connaît pas de surpopulation, auquel cas on ne pourrait pas bénéficier d'une telle sortie anticipée. S'il semble fondé, cet argument ne résiste pas à l'examen, car la rupture de l'égalité est antérieure. Comment expliquer, en effet, que le détenu vendéen doive forcément purger sa peine dans l'une des deux maisons d'arrêt dont le taux d'occupation dépasse les 200 % ? En fait, le mécanisme qui permet une sortie anticipée et aménagée dans le cas d'établissements surpeuplés rétablit l'égalité.
Quatrième objection, ce dispositif serait laxiste. Ce n'est pas du tout le cas, car il s'agit d'un mécanisme de sortie de la maison d'arrêt. De ce fait, il permet, en amont, à l'entrée, n'importe quelle politique pénale.
Cinquième objection, nous aurions déjà réfléchi à toutes ces questions et il faudrait attendre que la loi pénitentiaire soit appliquée pour vérifier si les mécanismes d'aménagement des peines, qui existent déjà et sur lesquels s'appuie d'ailleurs cette proposition de loi, sont efficaces. Vous observerez qu'il est proposé que la loi ne soit appliquée que dans dix-huit mois, de façon à permettre aux mécanismes d'aménagement des peines de trouver leur rythme de croisière.
Sixième objection, tout cela, qui impliquerait de contrôler plus, nécessiterait des moyens supplémentaires. Les 3 000 conseillers d'insertion et de probation qui suivent aujourd'hui les 63 000 détenus actuellement dans les maisons d'arrêt et les 170 000 mesures en milieu ouvert – sursis, mises à l'épreuve, libérations conditionnelles, travaux d'intérêt général, chantiers extérieurs – ne seraient pas assez nombreux et il faudrait forcément en embaucher. C'est vrai, mais n'oublions pas que chaque détenu incarcéré en cellule coûte 80 euros par jour, tandis que le « détenu à l'extérieur », pour employer une expression qui n'est qu'apparemment contradictoire, ne coûte que 15 euros par jour. Les économies qui pourront être réalisées permettront donc de financer le suivi.
Passer de cette culture de l'enfermement dont nous sommes victimes depuis des années, voire des décennies, à une culture de contrôle n'aura que des conséquences positives.
Voter cette proposition de loi, c'est garantir la dignité de la détention. Voter cette proposition de loi, c'est garantir la décence des conditions de travail des surveillants de prison et de tous ceux qui travaillent en prison. Voter cette proposition de loi, c'est faciliter grandement la réinsertion. Voter cette proposition de loi, c'est l'un des meilleurs moyens de prévenir la récidive. Voter cette proposition de loi, c'est enfin mettre à l'abri les victimes potentielles d'une récidive.
Je vous invite donc à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les députés, la proposition de loi que vous êtes amenés à examiner cet après-midi pose un vrai problème. Le nier serait une erreur.
La surpopulation, chacun s'accorde à le reconnaître, est un mal qui est à l'origine de nombreux dysfonctionnements frappant nos établissements pénitentiaires. Nous sommes tous convaincus que le travail des agents de l'administration pénitentiaire, auxquels je veux rendre ici un hommage appuyé, est beaucoup plus difficile dès lors que les effectifs pris en charge sont importants. Nous partageons tous cette constatation.
Si la relation humaine s'instaure effectivement, la prévention de la récidive, la lutte contre les suicides, les violences, qu'elles interviennent entre détenus ou qu'elles visent le personnel, sont plus faciles à traiter ou à combattre.
Les caractéristiques lourdes qui frappent aujourd'hui la population pénale – je pense évidemment aux détenus présentant des troubles du comportement –, accentuent encore les effets négatifs du surencombrement. Nous sommes donc tous d'accord pour lutter contre ce phénomène et réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre.
M. Raimbourg a cité quelques chiffres, que je ne conteste pas, mais les derniers en ma possession sont les suivants : au 1er novembre 2010, il y avait 61 428 personnes incarcérées, ce qui fait globalement un taux d'occupation de 108,8 % dans les établissements pénitentiaires et de 120 % dans les maisons d'arrêt. Il y a un an, le taux d'occupation était de 114,3 % dans les établissements pénitentiaires et de 127,9 % dans les maisons d'arrêt. Il y a donc un mieux, mais ce n'est pas suffisant.
La question qui vous est posée est simple : la proposition de loi présentée par M. Raimbourg est-elle de nature à porter remède à la situation que nous dénonçons tous ? Cette proposition est généreuse dans son principe, mais me paraît inadaptée dans ses modalités et contraire à nos traditions juridiques.
Elle est contraire à nos traditions juridiques, parce qu'il ne peut être concevable qu'une décision de justice soit dictée par de simples considérations matérielles. Si le nombre de places d'un établissement le permet, une personne y sera incarcérée, alors que, pour le même type de fait, avec la même condamnation et dans un autre lieu, elle restera libre parce que la prison est pleine.
Je préfère favoriser le dialogue s'instaurant dans l'ensemble des ressorts entre magistrats et représentants de l'administration pénitentiaire dans le cadre des commissions d'exécution des peines plutôt que d'imposer des solutions susceptibles de provoquer des injustices.
Ces instances, qui se développent dans un grand nombre de juridictions, jouent un rôle de régularisation, et la prise en compte des préoccupations des uns et des autres est réelle. Certes, l'article 22 de la loi pénitentiaire nous oblige désormais à « garantir à toute personne détenue le respect de sa dignité ». Ce respect se juge également sur notre capacité à améliorer durablement les conditions de détention.
À ce titre, la politique conduite depuis 2002 et la loi d'orientation et de programmation pour la justice a incontestablement porté ses fruits. Elle vise, d'une part, à développer un programme immobilier sans précédent et, d'autre part, à favoriser le développement des aménagements de peine.
Ce programme immobilier nous permet aujourd'hui de compter 56 455 places opérationnelles pour 61 428 détenus. La construction de vingt-quatre établissements nouveaux est prévue et le plan se développe à un rythme tout à fait satisfaisant : quatre établissements ont été livrés en 2008, sept en 2009 et 2010. À l'achèvement de ce programme en 2012, la France comptera 63 000 places de détention, dont plus de la moitié aura moins de trente ans.
Nos efforts ne s'arrêtent pas là. Nous travaillons déjà à l'élaboration d'un nouveau programme immobilier pénitentiaire qui prévoit à ce jour la fermeture de quarante-cinq établissements vétustes, laquelle sera compensée par l'ouverture de vingt-trois nouveaux établissements. En 2018, le gain net sera de 5 000 places supplémentaires, ce qui portera notre capacité d'accueil à 68 000.
La lutte contre la surpopulation ne saurait cependant reposer sur la seule considération de l'encellulement. Le développement des aménagements de peine, garant d'une politique efficace de prévention de la récidive, est également un outil majeur de lutte contre la surpopulation carcérale. Là encore, les efforts accomplis par les gouvernements successifs depuis 2002 méritent d'être soulignés.
Que l'on en juge : plus de 15 % des condamnés, aujourd'hui, ne sont pas incarcérés et bénéficient d'un aménagement de peine. Ils étaient un tout petit peu plus de 8 % en 2006. L'essor spectaculaire du placement sous surveillance électronique mérite d'être mis en exergue : le nombre de placés a cru de 40 % en deux ans.
Mesdames, messieurs les députés, cette politique est une réussite incontestable et aisément mesurable. Ces avancées interviennent avant même que les dispositions sur les aménagements de peine contenues dans la loi du 24 novembre 2009 ne portent leurs fruits. En effet, les décrets d'application relatifs à cette partie de la loi ne sont en vigueur que depuis quelques jours.
La loi prévoit, d'une part, un relèvement du seuil de un à deux ans pour bénéficier de l'octroi des aménagements et, d'autre part, le placement sous surveillance électronique systématique pour les condamnés arrivant à quatre mois de la fin de leur peine. Les personnes en situation de récidive légale sont exclues de ce dispositif.
Je vous rappelle l'objectif décliné devant cette même assemblée lors des débats sur la loi pénitentiaire : nous visons le chiffre de 10 000 à 12 000 placements sous surveillance électronique à l'horizon 2012. Au rythme où nous progressons, il y a fort à parier que l'engagement sera tenu.
Nous évoquions à l'instant cette grande loi pénitentiaire, loi fondatrice tant attendue, ayant donné lieu à des échanges nourris et à des débats passionnants. Et bien, cette loi, parce que les parlementaires l'ont voulu ainsi, contient en son sein le mécanisme nous permettant de lutter efficacement contre la surpopulation carcérale : l'encellulement individuel.
Que ce soit pour les prévenus, par le biais de l'article 87, ou pour les condamnés, par le biais de l'article 90, l'encellulement individuel devient la règle pour tous, à trois exceptions près : lorsque les détenus en font la demande, si leur personnalité justifie qu'ils ne restent pas seuls en cellule ou dans le cas de nécessité d'organisation relative à une formation.
Ces dispositions sont assorties d'un moratoire de cinq ans. Ce temps est suffisant pour que, sous l'effet conjugué du programme immobilier décrit plus haut et du développement des aménagements de peine, nous garantissions enfin dans notre droit l'application du principe de l'encellulement individuel. Ce serait une première dans notre pays qui, depuis plus d'un siècle, a inscrit ce principe dans le code de procédure pénale sans jamais se doter des moyens de le mettre en application.
Si nous sommes d'accord sur les objectifs de votre proposition de loi, les travaux que nous menons tant sur le plan immobilier que sur celui des aménagements de peine nous permettront d'arriver à un résultat similaire, sans les inconvénients du texte que vous nous soumettez.
C'est pourquoi, madame, messieurs les députés, le Gouvernement vous demande de ne pas voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le garde des sceaux, c'est la première fois que j'interviens devant vous et je tenais à vous féliciter pour vos nouvelles fonctions. Auparavant, j'aurais eu un peu de mal, en tant que député parisien, à le faire, compte tenu de vos fonctions précédentes.
La proposition de loi de notre collègue et ami Dominique Raimbourg s'inscrit dans le droit-fil de la réflexion menée depuis les rapports parlementaires de l'Assemblée et du Sénat du début des années 2000 sur la situation des prisons françaises. Ces rapports avaient indigné tous les élus, les médias et l'ensemble de nos concitoyens. On le sait, les conditions d'hygiène déplorables et la surpopulation entraînent de multiples violences, rendant très difficiles les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
Depuis dix ans, la situation a évolué, et plutôt dans le bon sens. Saluons tous les efforts entrepris tant par les gardes des sceaux successifs que par le personnel de l'administration pénitentiaire, surveillants et conseillers d'insertion et de probation, sans oublier les associations de familles, de réinsertion ou les visiteurs de prison.
Cette prise de conscience a été amplifiée par nos travaux, j'en veux pour preuve l'intérêt suscité par les rencontres parlementaires sur les prisons et l'attention portée par le grand public à l'élaboration de la loi pénitentiaire, votée il y a tout juste un an.
Le groupe SRC, par la voix de M. Raimbourg, nous propose aujourd'hui une solution novatrice. En effet, il faut sortir de cette logique du « tout enfermement » ; chacun d'entre nous, ici, sur tous les bancs, a appelé de ses voeux des améliorations. Cette logique s'inscrit dans le droit-fil de l'esprit des travaux du Comité d'orientation restreint – le COR – qui a réfléchi, entre 2007 et 2009, lors de la préparation de la loi pénitentiaire, à un mécanisme qui permette de lutter contre la surpopulation carcérale, en respectant, bien entendu, les décisions de justice et en préparant au mieux la réinsertion des détenus.
Il n'en reste pas moins que l'on a senti, lors du débat sur la loi pénitentiaire, l'an dernier, une nette rétraction du Gouvernement sur la réponse à apporter à la surpopulation pénitentiaire, comme en ont témoigné les palinodies de la ministre de l'époque – je parle, bien sûr, de l'antépénultième garde des sceaux – sur la question de l'encellulement individuel.
Aujourd'hui nous déplorons toujours la surpopulation carcérale. Monsieur le garde des sceaux, vous avez cité des chiffres récents, comme ceux que je vais vous donner.
Il y avait, au 1er octobre 2010, quelque 67 000 personnes sous écrou, dont un peu plus de 61 000 détenus dans un établissement pénitentiaire, avec près de 16 000 prévenus et un peu plus de 45 000 condamnés détenus. Le nombre de places opérationnelles est de 56 426, ce qui indique que près de 9 000 personnes sont en surnombre dans les établissements pénitentiaires.
Ce chiffre, quoiqu'en légère baisse – nous nous en réjouissions –, implique que, dans 15 % des cas, là où dans une cellule de sept à dix mètres carrés ne devrait être théoriquement hébergé pas plus d'un détenu, sont entassées couramment deux, voire trois personnes dans les cas extrêmes.
Comme le dit M. Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son rapport de 2008 : « Cette surpopulation est une source de violence carcérale, aujourd'hui scandaleuse au regard des missions de l'institution ». J'ajoute qu'au 1er octobre 2010, 226 détenus dorment encore sur un matelas installé à même le sol. Vous en conviendrez, monsieur le ministre, ce chiffre persistant est absolument scandaleux. Ces sources ne sont pas à remettre en cause, car elles sont issues des travaux de l'Observatoire de Pierre-Victor Tournier, qui travaille en étroite coopération avec votre ministère.
Le rapport de M. Dominique Raimbourg est, de ce point de vue, très intéressant. Au-delà des chiffres bruts, il faut comprendre qu'un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire existe d'ores et déjà en France dans les établissements pour peine qui accueillent des détenus condamnés à une durée plus longue, au-delà des deux ans en théorie. En effet, dans les centres de détention et dans les maisons centrales, le taux global d'occupation est de 94 % en centre de détention et de 80 % en maison centrale. Tout l'effort repose donc sur les maisons d'arrêt où la surpopulation est de 124 %, mais dans une vingtaine de ces établissements, elle dépasse les 150 % d'occupation, le record de France étant détenu – Dominique Raimbourg l'a rappelé – par la maison d'arrêt de la Roche-sur-Yon, où le taux d'occupation est de 250 %. Concrètement, il y a trois détenus pour une place.
Il est inutile d'insister sur les conséquences néfastes, abominables, de cette surpopulation spécifique aux maisons d'arrêt qui rassemblent, vous le savez, les prévenus et les condamnés à de courtes peines, c'est-à-dire ceux qui, paradoxalement, nécessiteraient une attention plus marquée encore, soit parce que le temps passé en prison pour certains prévenus est totalement inutile puisque leur affaire se terminera par un non-lieu ou par une condamnation légère, soit parce qu'il s'agit de détenus déjà condamnés à de courtes peines, qui ont besoin d'une réinsertion attentive pour éviter la récidive. Or vous le savez, les mauvaises conditions de détention font de ces maisons d'arrêt des écoles du crime, comme l'ont démontré bien des criminologistes.
Quelles sont les solutions pour lutter contre la surpopulation carcérale ? Soit nous suivons la voie gouvernementale de construction de nouvelles prisons, tout en rénovant les établissements les plus dégradés et de ce point de vue, il n'y a rien à redire. En revanche, le programme de construction – les programmes, devrais-je dire – de 13 200 nouvelles places quasiment en voie d'achèvement auquel le Président de la République a souhaité ajouter 5 000 places nous semble critiquable, car ces places nouvelles sont construites pour faire face à l'arsenal législatif déployé ces dernières années – en particulier les lois sur la récidive et les peines plancher – afin d'augmenter l'enfermement, ce qui contribue à encombrer les prisons. En effet, deux discours officiels se contredisent, l'un sur la nécessaire réinsertion ou sur les peines alternatives à l'emprisonnement, avec, en particulier, le bracelet électronique, et l'autre sur la sévérité de la sanction, son application entière et sévère, qui aboutit à l'emprisonnement. C'est le paradoxe qui veut que les mêmes défendent un jour le tout prison et le lendemain le tout bracelet électronique. Il faudra choisir une voie plus cohérente.
J'ajoute que les gouvernements successifs depuis 2002 ont pratiqué à leur façon une forme de numerus clausus pénitentiaire irréfléchi et souvent producteur d'effets négatifs avec la pratique, heureusement arrêtée aujourd'hui, de la grâce présidentielle du 14 juillet. En effet, libérer brutalement des condamnés sans préparation à la réinsertion, parfois sans solution d'hébergement à la sortie, libérer globalement des condamnés trois mois avant la fin de leur peine a sans doute contribué à augmenter la récidive.
Vous devez donc être modestes, mes chers collègues de la majorité, quand vous dénoncez, comme vous l'avez fait en commission, la proposition de loi de M. Raimbourg, car vos propres systèmes ont longtemps été bien plus grossiers que celui-ci qui se caractérise par sa finesse d'analyse s'agissant, entre autres, des conséquences des actions menées.
M. Raimbourg nous propose un système qui s'inscrit dans l'esprit de la loi pénitentiaire, en tout cas dans celui qui aurait dû régner depuis que nous y travaillons, en voulant préparer au mieux la sortie, suite à une libération conditionnelle accordée par le juge de l'application des peines, après avis du chef de la détention, du directeur de la prison et des travailleurs sociaux du SPIP.
Notre collègue Raimbourg préconise donc une libération conditionnelle de droit aux deux tiers de la peine avec, bien évidemment, une possibilité de contestation par le Procureur de la République ou par le condamné lui-même. Toutes les voies de recours sont, par conséquent, respectées.
Je ne comprends pas, chers collègues, ce qui vous effarouche tant dans cette proposition de loi. Elle s'inscrit dans la logique de la loi pénitentiaire. Elle vise à prévenir et même, je peux le dire, à guérir cette maladie de l'indignité des prisons françaises. Elle évitera, en particulier, à la France d'être montrée du doigt dans les rapports du Conseil de l'Europe – nous occupons une très mauvaise place au « baromètre » de l'activité pénitentiaire – et d'être, hélas, condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme ou par les tribunaux administratifs pour des conditions de détention indignes qui entraînent bien des drames, suicides, meurtres, agressions du personnel, sans oublier la destruction psychologique de nombreux détenus.
J'ajoute un point dont les collègues de la majorité ne se vantent pas : en dépit de l'arsenal répressif et des constructions nouvelles de prisons, il reste 33 000 peines non appliquées, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas de nature à dissuader les délinquants et autres voyous. Votre souci des victimes, que nous partageons, devrait vous inciter à plus d'attention envers ces personnes qui retrouvent leur agresseur condamné, mais dont la peine n'a pas été effectuée, et qui continue à les narguer dans leur quartier.
Je vous engage, chers collègues de la majorité, à ne pas repousser par pure idéologie, et sans doute par incompréhension, la proposition de loi que M. Raimbourg et les membres du groupe SRC défendent cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, je tiens, tout d'abord, à protester de nouveau contre le fait que les propositions de loi de l'opposition soient systématiquement discutées le jeudi, jour particulièrement déserté par nos collègues, alors que la majorité bénéficie de journées fixes le mardi et le mercredi. Cette discrimination est intolérable et fait l'objet de notre part de réclamations incessantes auprès de la présidence de notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Dix ans après la publication des rapports des commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la situation dans les prisons françaises et un an après l'adoption de la loi pénitentiaire, force est de constater que rien n'a changé, ou si peu... C'est pourquoi nos collègues du groupe SRC nous proposent d'adopter le texte dont nous débattons aujourd'hui visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire.
Il y a dix ans, les conclusions convergentes des deux commissions parlementaires d'enquête dénonçaient fermement la situation de surpopulation carcérale et les conditions de détention attentatoires à la dignité dans les nombreux établissements visités. Malheureusement, le constat établi en 2000, selon lequel les prisons représentent « une humiliation pour la République », est toujours d'actualité. Les condamnations internationales et nationales se sont implacablement succédé depuis dix ans. La surpopulation carcérale, problème endémique des prisons françaises, est pointée du doigt comme l'une des raisons majeures des conditions de vie déplorables en prison.
Au 1er juillet 2010, le nombre de personnes détenues était de 62 113 pour une capacité opérationnelle du parc de 56 419 places, soit un taux moyen d'occupation de 110 %. Si, dans les établissements pour peines – centres de détention et maisons centrales –, le principe « une place, un détenu » est appliqué, en revanche, dans les maisons d'arrêt, le taux d'occupation s'élève à 124 %. La maison d'arrêt des Hauts-de-Seine, que je connais bien, est un exemple marquant de cette surpopulation carcérale : elle compte environ 900 détenus pour 600 places. Le manque récurrent de moyens humains empêche le fonctionnement « normal » de l'institution et freine le développement de pratiques innovantes en faveur de la réinsertion des détenus. Comme l'indique parfaitement le rapport de la commission du Sénat, de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel – il séduira probablement M. le garde des sceaux puisqu'il était sénateur à l'époque – déposé le 29 juin 2000, la surpopulation des maisons d'arrêt est la « première violence de la prison », celle qui consiste à placer deux détenus, voire trois ou quatre dans neuf mètres carrés. Celle-ci a les conséquences les plus graves sur les conditions de détention : mauvaise prévention des suicides, violences entre codétenus, manque d'intimité et donc obstacles majeurs à toute stratégie efficace de réinsertion. Face à ce constat accablant d'une « prison en crise », il nous aura fallu attendre 2009 pour que le Parlement puisse enfin débattre d'une réforme du système pénitentiaire, laquelle devait répondre aux chiffres alarmants de la surpopulation, au taux de suicide parmi les plus élevés de l'Union européenne, aux problèmes des détenus en grande difficulté psychique ou psychiatrique, au poids de l'indigence entre les murs des prisons. Que d'espoirs avions-nous fondés dans cette réforme ! Ces espoirs ont été vite déçus à la lecture du projet de loi soumis par la garde des sceaux de l'époque, Mme Dati.
De l'avis des professionnels comme des associations, les réponses apportées n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu. Autant dire que nous attendions tous avec une grande impatience ce rendez-vous de la pénitentiaire avec l'Histoire. Au final, la loi pénitentiaire est restée très éloignée des préconisations du Comité d'orientation restreint, pourtant mis en place par le ministère de la justice en 2007, très éloignée aussi des règles pénitentiaires européennes, pourtant adoptées par la France, et des nombreuses recommandations contenues dans beaucoup de rapports publics ou exprimées par les états généraux de la condition pénitentiaire.
La grande majorité des syndicats de la pénitentiaire, des personnels en lutte en cet instant à qui nous apportons tout notre soutien, des magistrats, des avocats, des intervenants dans les prisons, des associations oeuvrant pour une société plus humaine, l'Observatoire international des prisons, le Comité national consultatif des droits de l'homme, le contrôleur des prisons ont été déçus par un texte qui est resté sourd aux critiques et recommandations de l'ONU, de la Cour européenne des droits de l'homme, du Conseil économique et social et de tant d'autres.
S'agissant plus particulièrement de la surpopulation carcérale, la politique menée depuis 2002 pour répondre à ce fléau se fonde, comme nous le rappelle notre rapporteur Domique Raimbourg, sur deux piliers présentés comme d'égale importance : d'une part, l'augmentation des capacités du parc pénitentiaire ; d'autre part, le développement des aménagements de peine. Le développement des aménagements de peine constitue certainement un bon moyen de réduire la surpopulation pénitentiaire, mais il reste largement insuffisant, et ce d'autant que, comme l'a relevé l'Inspection générale des services judiciaires dans son rapport de mars 2009, les services de l'application des peines n'ont pas les moyens humains de leurs missions. Aussi, faute de capacités d'examen effectif des possibilités d'aménagement, les dossiers s'accumulent-il, aboutissant à un stock important de peines non exécutées. Cette carence structurelle ne permet pas de faire face aux flux des dossiers en accroissement constant.
S'agissant de l'augmentation des capacités du parc pénitentiaire, nous déplorons le choix politique d'orienter les budgets très insuffisants du ministère de la justice vers la construction de nouvelles prisons dont, je le rappelle, la gestion est de plus en plus déléguée au secteur privé, non pour désengorger celles existantes, mais pour y accueillir toujours plus de détenus. En outre, la politique d'expansionnisme carcéral, voulue par le Gouvernement, se heurte à des limites. En effet, alors que l'on dénombrait 62 700 détenus pour 52 535 places au 1er mars 2009, les projections sur la population carcérale révèlent, à l'horizon 2012, 71 000 à 75 500 détenus et à l'horizon 2017, 80 000 à 80 500 détenus, alors que la taille du parc pénitentiaire atteindra, en 2012, 64 500. Du reste comme le souligne la Cour des comptes dans son dernier rapport de juillet 2010 : « Le programme d'accroissement des capacités de modernisation des prisons décidé par la loi de programmation de 2002 permettra d'atteindre, en 2012, une capacité d'accueil égale au nombre actuel de détenus, alors que le nombre de personnes condamnées à des peines de prison pourrait encore augmenter significativement ».
Ces solutions apparaissent donc tout à fait insuffisantes pour résorber le problème de la surpopulation pénitentiaire, et ce d'autant que la surpopulation carcérale n'est rien d'autre que le résultat de la politique gouvernementale ultra-sécuritaire, marquée par l'inflation de lois pénales toujours plus répressives et, rappelons-le aussi, par le détricotage méthodique des politiques de prévention.
La proposition de loi de nos collègues SRC suggère donc de remédier à l'insuffisance de la politique pénitentiaire menée depuis 2002 en instaurant un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire. La mise en place de ce mécanisme est fondée sur deux mesures : d'une part, l'interdiction du dépassement des capacités d'accueil des établissements pénitentiaires et la régulation des flux d'entrée et de sortie ; d'autre part, la mise en place d'une libération conditionnelle de droit aux deux tiers de la peine. Nous souscrivons à l'esprit de cette proposition de loi. La prison devrait, en effet, être réservée aux peines lourdes, destinées à mettre à l'écart des individus dangereux. Dans les autres cas, il est impératif de développer les peines alternatives et tout ce qui permet la réinsertion. L'administration pénitentiaire considère elle-même que, dès le premier jour de la détention d'une personne, son travail devrait être de réfléchir à la sortie pour éviter la récidive, notamment.
Si nous sommes soucieux des principes fondamentaux des droits de l'homme et cherchons à mieux protéger la sécurité publique par une approche pragmatique, nous devons développer et surtout crédibiliser les mesures alternatives à la peine d'emprisonnement et à la liberté conditionnelle. C'est incontournable pour rendre la peine de prison plus utile et nos prisons plus acceptables. Enfin, nous jugeons indispensable d'inscrire l'évolution de la politique pénitentiaire dans un mouvement politique plus globale de lutte contre les inégalités sociales et territoriales et pour le développement de l'emploi, corollaire implacable, en cas de difficulté, à toutes les dérives dont nous débattons aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le garde des sceaux, je m'associe aux orateurs précédents pour vous adresser mes plus chaleureuses félicitations pour votre nomination à la tête de ce ministère particulièrement important. Deux jours après votre prise de fonctions, nous abordons là un point essentiel : celui de la situation dans les prisons françaises. Ce n'est pas la moindre de vos responsabilités !
J'ai écouté avec beaucoup d'attention le rapporteur qui, au nom du groupe socialiste, propose de veiller à ce qu'il y ait moins de détenus dans les prisons françaises.
Je le dis solennellement, les députés du Nouveau Centre, membres de la majorité, s'opposeront avec fermeté à cette proposition.
Le rapporteur a rappelé la situation des prisons. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes à la tête d'une chancellerie qui, depuis huit ans, avec le soutien de la majorité parlementaire, a fait en sorte que soient augmentés les crédits consacrés au ministère de la justice, avec un plan sans précédent pour construire et humaniser les prisons. L'objectif est de 62 000 places de prison à la fin de la législature. Ce sera le meilleur moyen de lutter contre la surpopulation carcérale.
C'est cette majorité, madame Lebranchu, qui a fait voter des propositions que vous auriez aimé mettre en oeuvre quand vous étiez à la Chancellerie : le contrôle général des prisons, la loi pénitentiaire, qui est la transposition des règles pénitentiaires du Conseil de l'Europe. J'ai eu l'honneur de proposer le projet de charte pénitentiaire du Conseil de l'Europe, je me réjouis que nous ayons la volonté, avec la majorité, d'humaniser les prisons.
Nous avons fait en sorte, monsieur le rapporteur, et j'ai écouté avec beaucoup d'attention les chiffres que vous avez donnés, de lutter contre la détention provisoire. La loi pénitentiaire permet de la limiter aux crimes et aux délits les plus graves et de généraliser le bracelet électronique, et nous avons donné au juge d'application des peines les moyens de prévoir une sortie aménagée des condamnés.
Que proposez-vous, et je regrette que les Français ne puissent pas suivre plus attentivement nos débats dans cet hémicycle ? Vous proposez d'instaurer un droit à la libération aux deux tiers de la peine. C'est une erreur. Votre majorité vous suivra, monsieur le garde des sceaux, si nous savons concilier exigence d'humanité et devoir de fermeté. Sur les 100 000 peines d'emprisonnement prononcées chaque année, un tiers ne sont jamais exécutées.
Nous devons donc veiller à l'application des peines. Si, demain, en plus de la quasi-certitude que l'on a de ne pas aller en prison si l'on est condamné à deux ans d'emprisonnement puisqu'il y a le bracelet électronique et un aménagement de peine, un prisonnier a le droit de sortir sans distinction aucune puisque vous en faites un droit fondamental, il y aura un sentiment d'impunité contraire à l'exigence de sécurité. Au lendemain d'une convention du parti socialiste sur la sécurité, que j'ai suivie pour voir quelles étaient vos propositions, je trouve que votre texte va à l'encontre des objectifs de sécurité que vous avez annoncés hier. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Je vous demande donc, monsieur le ministre de la justice, de repousser cette proposition de loi. Au-delà, votre majorité, et en particulier les députés du Nouveau Centre, qui vous font confiance, vous demandent de veiller attentivement à ce que les peines soient exécutées avec fermeté.
Reste qu'il y a un problème de surpopulation carcérale,…
…et vous le savez.
Mes chers collègues de l'opposition, nous ne sommes pas nombreux cet après-midi dans l'hémicycle…
…mais nous nous connaissons depuis des années car nous avons travaillé sur cette question. J'ai eu l'honneur d'être à l'époque le vice-président de la commission d'enquête parlementaire sur la situation des prisons initiée par M. Fabius après les dénonciations de Mme Vasseur et présidée par M. Mermaz. Nous sommes animés par la même exigence d'humanité. Un homme privé de liberté ne doit pas être privé de sa dignité mais, lorsqu'il est condamné parce qu'il a commis un crime ou un délit, il doit exécuter sa peine.
Vous avez parlé, monsieur le garde des sceaux, de la récidive, de la surpopulation et de votre souhait qu'il y ait une place par détenu. Ce sont des objectifs énoncés dans la loi pénitentiaire que votre prédécesseur a fait voter par la majorité, à laquelle, sur ces questions de justice et de prison, je m'honore d'appartenir. Les crédits, la loi pénitentiaire, le contrôle des prisons, le bracelet électronique, les efforts en faveur de la formation et de la réinsertion – les meilleurs garants contre la récidive –, tous ces objectifs, sur lesquels nous nous retrouvons, sont incompatibles avec les solutions que vous proposez monsieur le rapporteur. J'ai lu la presse de notre région ce matin, vous y expliquez que c'est la gauche qui s'intéresse aux prisons. Non, ce n'est pas une question de gauche ou de droite, il s'agit de la dignité des prisonniers.
Si vous voulez qu'on fasse le bilan des textes votés par la droite et la gauche, madame Lebranchu, j'y suis prêt.
Je me souviens de la concertation que vous aviez engagée, et je suis certain que vous auriez aimé que le gouvernement Jospin auquel vous avez eu l'honneur d'appartenir ait eu le temps et le courage de faire voter les textes qui, depuis, ont été adoptés.
Je vous ai écouté attentivement, monsieur le garde des sceaux. Au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre, je confirmerai mardi, dans les explications de vote, que, si nous avons avons nous aussi un souci d'humanité, nous vous demandons d'être très vigilant sur l'exécution des peines.
La situation des prisons, cela concerne la dignité des prisonniers, mais également les conditions de travail de l'administration pénitentiaire. Au cours des dernières années, nous avons budgétisé la création d'un certain nombre de postes. Le plan prison, avec l'appel au partenariat public-privé, va permettre d'accélérer la création et l'humanisation des prisons, mais il y a un vrai problème. Je ne suis pas certain que l'enfermement individuel soit la réponse à tous les maux.
Le personnel pénitentiaire mérite beaucoup d'attention et de respect. Vous l'avez affirmé lors de votre prise de fonctions. J'ai visité des prisons dans le monde entier pour le Conseil de l'Europe, et j'ai proposé au Gouvernement, lors de l'examen de la loi pénitentiaire, de généraliser les caméras dans les lieux publics de la prison, les couloirs, les lieux de formation, les cours. Il y a une vraie réflexion à mener, des mesures pas forcément très coûteuses à prendre. Il faut en tout cas un dialogue. Votre prédécesseur, Mme Alliot-Marie, a réalisé un immense travail sur la question. Il faut aujourd'hui beaucoup d'écoute.
Au cours des dernières années, nous avons constitué des groupes, au-delà des clivages politiques. Puisque vous venez de prendre vos fonctions, je vous suggère de réunir très rapidement, comme l'a fait Mme Alliot-Marie, les parlementaires ayant une certaine expertise sur ces questions et souhaitant vraiment travailler pour que, dans le dialogue, dans le respect de chacun, nous puissions travailler à vos côtés à des solutions.
De grâce, en tout cas, dans la fidélité à ce qui fait le ciment de la politique menée sous l'impulsion du Président de la République et du Premier ministre, pour laquelle la majorité vous soutient, il faut de l'humanité, mais aussi de la fermeté, de la sécurité et des sanctions lorsqu'il y a des délits et des crimes. Je crois que nous pouvons concilier des exigences qui paraissent contradictoires mais qui peuvent nous réunir.
Permettez-moi, en préalable, monsieur le garde des sceaux, de vous féliciter également pour votre nomination au ministère de la justice.
Sur le constat d'une surpopulation carcérale, monsieur le rapporteur, nous sommes parfaitement d'accord avec vous. Les élus de la majorité, n'en doutez pas, le regrettent autant que vous, aussi bien pour les personnes incarcérées que pour les conditions de travail du personnel pénitentiaire, pour l'ensemble de nos concitoyens, et au-delà, pour les valeurs que défend notre République. Indéniablement, le constat et l'objectif poursuivi par votre texte dépassent les clivages politiques.
Néanmoins, je regrette que l'examen de cette proposition de loi soit marqué, nous l'avons vu notamment en commission, par la volonté de l'opposition de rendre notre majorité responsable de la situation difficile des conditions d'encellulement.
Le problème est plus qu'ancien, vous le savez, vous qui, dans votre excellent rapport, faites remonter le phénomène au XIXe siècle.
Depuis trente ans, seule la majorité à laquelle je m'honore d'appartenir a lancé des programmes de construction de places de prison. Les mesures que nous avons prises nous conduisent, sans doute trop lentement, mais sûrement, au résultat que vous souhaitez, à savoir une cellule pour chaque détenu.
Concernant le programme immobilier, je ne crois pas devoir rappeler à l'opposition que notre majorité a lancé un programme de construction et de rénovation sans précédent des prisons dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002, que vous n'avez pas votée. Ce vaste mouvement de construction portera en 2012 à 63 000 places la capacité d'accueil du parc pénitentiaire français.
Ce n'est pas seulement un voeu pieu. En 2009 et 2010, pas moins de neuf établissements ont été ouverts. Le 19 janvier 2009, le centre de détention de Roanne a été inauguré par la garde des sceaux et le Premier ministre, c'est le premier établissement pénitentiaire réalisé selon les modalités du partenariat public-privé, et c'est notre majorité qui l'a réalisé. La réouverture de la maison centrale d'Arles, puis la mise en oeuvre de 445 places supplémentaires dans la dernière unité hospitalière sécurisée interrégionale et dans la première unité hospitalière spécialement aménagée, c'est grâce à notre majorité.
La création d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté, notamment des établissements pénitentiaires, c'est encore à la majorité présidentielle qu'en revient l'initiative.
Sur les aménagements de peines et les alternatives à l'incarcération, vous n'avez pas non plus de leçon à nous donner. La systématisation des mesures d'aménagement des peines, à laquelle a particulièrement contribué le président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, en 2004 puis en 2009, qui l'a votée ? Notre majorité. L'assignation à résidence grâce à la généralisation du bracelet électronique, qui l'a mise en place ? Notre majorité !
Même si, à court terme, cette politique volontariste peut encore paraître insuffisante, que propose l'opposition dans le texte que nous examinons ?
Ce que vous proposez, chers collègues, excusez du peu, c'est d'interdire la détention dans un établissement pénitentiaire au-delà du nombre de places disponibles et, pour ce faire, vous instaureriez un système de libération conditionnelle de droit pour tous les condamnés ayant purgé les deux tiers de leur peine. Mieux encore, l'admission d'un nouveau détenu pourrait conduire automatiquement à un aménagement de peine ou à un placement sous surveillance d'un détenu plus ancien, histoire de libérer la place.
Ce n'est pas sérieux ! Que reste-t-il de la notion de justice et de la chose jugée, si vous êtes capables de prétendre que, pour vider les prisons, tous les artifices sont possibles ? Ainsi, vous commettez une infraction grave et on ne vous incarcère pas parce que les prisons sont pleines. C'est aberrant. Ou encore : il n'y a pas de place, libérons le moins dangereux des deux, ou celui qui a commencé à purger sa peine en premier.
Comme l'a parfaitement démontré, lors de l'examen du texte en commission, notre collègue Philippe Houillon : « L'un rentre, donc l'autre sort : on ne peut pas raisonner de cette façon, sur la base de critères de sortie qui font penser aux critères de licenciement collectif et qui aboutissent à une loterie. »
Sous prétexte de vouloir vider les prisons, vous bafouez la justice et la Constitution, car il semble plus qu'évident que cette proposition de loi est inconstitutionnelle.
Elle est, en fait, profondément inégalitaire, car comment pourrait-on accepter qu'une peine de prison ne s'exécute pas de la même façon selon les différentes périodes de l'année, puisque chacun sait que les prisons connaissent un taux d'occupation variable l'hiver et l'été ? Comment pourrait-on accepter qu'une peine de prison ne s'exécute pas de la même façon selon la région où l'on habite ?
Alors oui, je n'hésite pas à dire que ces propositions ne sont pas tenables et qu'elles ne servent pas l'objectif recherché. Laissons l'excellente loi pénitentiaire de 2009 porter ses fruits et veillons à ce que l'administration pénitentiaire ait les moyens nécessaires à l'indispensable modernisation de nos lieux de privation de liberté.
Il nous faut en effet, concomitamment et impérativement, assurer l'effectivité de l'application des peines prononcées, et ce dans des conditions qui s'accordent avec le respect de la personne humaine. Votre texte, monsieur le rapporteur, ne répondant pas à ces critères, les députés du groupe UMP ne le voteront pas.
Monsieur le garde des sceaux, je vous adresse à mon tour mes félicitations, mais je vous dis surtout : « Bon courage ! » Le ministre de la justice, qu'on le veuille ou non, c'est le ministre du malheur des autres. C'est sans doute le poste le plus difficile à gérer, y compris en termes d'évolution et de communication, en particulier sur la pénitentiaire. On y entre avec ses idées, on n'en sort pas indemne. Comme les autres, vous aurez longtemps dans la tête, après votre départ, le souvenir de nos prisons.
À l'attention de ceux qui nous regardent, je signale que si nous sommes si peu nombreux aujourd'hui à écouter vos réponses à nos interventions et à celle de notre rapporteur Dominique Raimbourg, c'est parce que, malheureusement, quand les parlementaires proposent une loi, il n'y a plus de discussion, ni de vote sur les amendements, et le vote sur le texte est reporté au mardi suivant. Vous voyez ce que cela provoque : l'hémicycle est désert et le public ne comprend plus pourquoi le droit des parlementaires de déposer une proposition de loi est suivi d'un refus systématique du Gouvernement au moins d'en discuter.
Discuter et voter les amendements serait déjà de bon augure pour le Parlement, même si c'est malheureusement toujours le jeudi. Ce n'est pas vous, monsieur le garde des sceaux, qui pouvez régler ce problème. J'espère néanmoins qu'il sera pris acte du problème et que nous reverrons cette façon de travailler.
J'ai été mise en cause par M. Hunault, qui donne toujours des leçons : à chaque fois que je suis là, j'en prends une !
Au Centre, qui est devenu le Nouveau centre, un certain nombre de parlementaires, dont des sénateurs, avaient participé à l'élaboration d'un grand texte, qu'ils ont demandé de ne pas présenter au Parlement à six mois d'une élection présidentielle, parce que cela leur semblait dangereux. J'ai leurs courriers : ils ne souhaitaient pas que ce texte serve de plateforme au débat électoral.
Ce sont des gens de votre famille politique, monsieur Hunault, à qui vous devriez parler de temps en temps ; ils ont accompli un travail formidable. Certains d'entre eux m'avaient proposé, par voie d'amendement parlementaire, le numerus clausus, c'est-à-dire la possibilité de ne pas faire entrer quelqu'un en prison quand il n'y a pas de place. J'avais refusé au titre que cela pouvait créer une différence de traitement selon que la prison est bondée ou non. Soyez donc au moins attentif à l'histoire de votre courant politique.
Justement, je vous les rappelle moi aussi.
J'ai été très soutenue à l'époque, par les parlementaires sur tous les bancs, pour lancer la réflexion sur ce projet de loi que M. Perben voulait porter et que, pour diverses raisons, il n'a pu conduire à bien, ainsi que sur l'engagement concomitant du Gouvernement à dégager dix milliards de francs – l'euro n'existait pas encore – pour la construction d'établissements et, parallèlement, à élaborer une loi pénitentiaire de manière à réfléchir à la fois au sens de la peine, à la privation de liberté comme ultime recours et à la création d'alternatives à l'incarcération. Tout cela figure au Journal officiel ; vous pouvez vous y reporter.
Nous avions donc un programme de construction. J'ai moi-même posé des premières pierres. Je finis par sourire quand on me répète à chaque fois : « Vous avez eu le temps de regarder les archives. » Vous vous attendiez à ce que je vous dresse la liste ; je n'en ferai rien.
Certains de ces chantiers ont été arrêtés en 2002 par le ministre en charge des prisons, M. Bédier. Vous en avez rappelé la raison. Nous avions décidé que ces constructions seraient assumées par l'État,…
…car nous avions connu de mauvaises expériences. Pour la prison de Luynes, par exemple, le partenariat public-privé avait provoqué des incidents graves et était mal adapté.
En outre, il faut toujours avoir à l'esprit que le coût d'une prison comprend les coûts de la construction et de l'entretien ainsi que toutes les charges liées aux détenus. Dans notre méthode, nous n'avions pas besoin de rémunérer le capital. Or, dans un partenariat public-privé, il existe forcément un surcoût lié à cette rémunération. Je ne connais aucun groupe qui s'engage dans un PPP sans calculer son retour sur investissement. C'est donc forcément plus cher et nous le savons tous. Simplement, cela n'apparaît pas en endettement immédiat : c'est un engagement de dépenses pluriannuel, sur un temps très long. Le ministre de la justice est obligé, pendant dix, quinze, vingt ans, d'inscrire dans son budget la rémunération de ceux qui portent ces établissements. C'est donc une dette lourde, et c'est pourquoi nous n'étions pas favorables à cette solution, d'autant que des économies avaient dû être consenties sur la santé, sur le sport, sur l'accompagnement, sur un certain nombre de services de gestion physique de la vie de nos détenus.
Notre choix a été rejeté en 2002. On a donc perdu quatre ans, et même quatre ans et demi pour certains dossiers, à Lyon, au Mans, à Nantes… Les vingt-cinq ingénieurs que nous avions embauchés pour conduire l'équipement ont été remerciés. Dans un cas, la construction d'une maison d'arrêt a été transformée en chantier de centre pénitentiaire, sans raison connue à ce changement d'orientation. De même, un dossier qui tenait à coeur à l'ensemble des députés, l'ouverture de centres d'accueil en semi-liberté dans la région parisienne, a été abandonné ; à ma connaissance, ces centres n'ont jamais été construits.
Il faut cesser cette polémique absurde selon laquelle les uns construiraient des places de prison que les autres ne feraient que détruire. Cela n'a pas de sens. Il faut au moins regarder les chiffres et la réalité.
Monsieur Hunault, je ne vous ai pas interrompu, même si vous m'avez mise en cause personnellement. Je vous donnerai tous les programmes et le ministre se fera un plaisir de vous ouvrir les archives : l'administration pénitentiaire a, me dit-on, gardé l'ensemble des dossiers, notamment sur le fameux choix de terrain, à Lyon, en zone inondable. J'en passe et des plus difficiles.
Si je soutiens aujourd'hui cette proposition de loi, alors que je me suis opposée au numerus clausus contre certains de vos amis, c'est qu'elle est équilibrée. Elle cherche à éviter ce que nous connaissons, à savoir qu'une personne qui vit dans une prison surpeuplée – et j'ai honte de nos prisons aujourd'hui encore, comme j'en avais honte lorsque j'étais ministre – et que l'on n'est pas capable de l'accompagner dans son projet, qu'il manque des surveillants, comme je le lis dans les journaux ces jours-ci, des éducateurs – monsieur Hunault, je crois être plus franche que vous sur l'histoire et j'estime qu'en tant que garde des sceaux je n'ai pas assez créé de postes de SPIP –, celui qui est en grande difficulté et qui a été délinquant en sort dans un état plus grave encore.
Travailler à éviter cette surpopulation est une nécessité absolue. Il faut également, avec le juge d'application des peines, réfléchir aux moyens pour que les gens sortent de prisons dans de bonnes conditions, en semi-liberté ou en conditionnelle, pour éviter les sorties sèches génératrices de nombreuses récidives.
Je voudrais que, lorsque nous discutons de lutte contre la récidive, nous ne tracions pas une ligne dans cet hémicycle, entre d'un côté ceux qui seraient contre la récidive et de l'autre ceux qui seraient favorables aux assassins, parce que c'est absurde.
Laissons là les caricatures. Certains détenus, monsieur Hunault, sortent avant la fin de leur peine dans de bonnes conditions, même s'il se produit aussi, parfois, des dysfonctionnements et des erreurs. Tout cela est extrêmement encadré dans la proposition de loi, dont je pense qu'elle était recevable.
Mon grand regret, c'est que nous allons clore ce débat après une discussion générale tronquée, devant une assemblée désertée, faute de vote, et sans pouvoir discuter point par point de ce que nous aurions aimé voir inscrit dans le marbre de la loi. Les prisons restent un sujet énorme pour notre pays. Nous sommes partout montrés du doigt.
Je ne crois pas non plus, monsieur Hunault, que parvenir à 62 000 places réglera tout. Je me souviens des paroles de ces surveillants américains que nous avions rencontrés : Nous avons construit des prisons magnifiques, avec de très belles salles de gym, avec de la musique, un peu comme au supermarché, et où la nourriture est de qualité. Ceux qui y entrent, souvent, sont cassés, pour toutes sortes de raisons, toxicomanie ou autre, sur lesquelles nous ne portons pas de jugement. Pendant qu'ils sont avec nous dans ces prisons modernes, nous les remettons en forme. Ils sortent mais ils n'ont pas eu accès à la culture, à la formation professionnelle, à la réinsertion, à un contrat de travail, et ils sont dans le même état intellectuel et moral que celui dans lequel ils étaient entrés, sauf qu'ils sont en bonne santé et que la grande criminalité les recrute.
Nous devrions méditer cette leçon. Ce n'est pas la prison moderne qui va tout régler. Ce qui le peut, c'est reprendre ensemble la discussion sur le sens de la peine et sur la façon dont nous pouvons éviter cette surpopulation carcérale, qui nous terrorise car elle rend aussi une société plus violente. Le débat sera sans doute repris, monsieur le garde des sceaux, car vous n'êtes pas – sans mauvais jeu de mot – au bout de vos peines. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Il est bon que nous discutions de cette question, même si nous ne sommes pas assez nombreux aujourd'hui. Le sujet est extrêmement important, il touche tous nos concitoyens. Il faut aborder, clairement et au fond, la question de l'exécution des décisions de justice en matière pénale. L'emprisonnement est la solution habituelle, mais ce n'est pas la seule.
La discussion, monsieur Raimbourg, a montré que le constat était unanime. Le point est de savoir comment y répondre. Vous nous proposez un système automatique qui suscite en moi deux réticences.
Tout d'abord, une réticence de principe. Je suis très attaché au principe de l'individualisation et de la personnalisation de la peine. Nous ne pouvons pas traiter tout le monde de la même façon purement statistique. L'individualisation de la peine est à la base de la rémission et de la réinsertion. Le système que vous nous proposez est beaucoup trop automatique.
D'une manière générale, nous répondons en affirmant que des places de prison doivent être construites et qu'il faut que ce soient des places dignes, pour des prisonniers qui restent, quelles que soient leurs fautes, des hommes et des femmes qui reprendront un jour leur place dans la société. Mais l'enfermement n'est pas la seule solution. Nous devons aller vers d'autres systèmes d'exécution des peines prononcées – je renvoie notamment à tout ce que contient la loi pénitentiaire sur ce point.
Le système que vous proposez me paraît donc trop automatique parce qu'il met en cause des principes fondamentaux de notre droit pénal, dont celui d'individualisation de la peine. Aussi, je vous propose que nous travaillons ensemble à une amélioration globale du système pénitentiaire, à la fois de la vie en prison mais aussi de l'exécution des décisions de justice. Il faut en effet que la totalité des décisions de justice soit exécutée…
car c'est à la base même de la crédibilité de l'action des magistrats, de l'administration pénitentiaire et de l'État.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quelques brèves observations en réponse à tout ce qui a été dit.
Il y a des points d'accord importants.
Ainsi, nous sommes tous favorables à l'exécution des peines, c'est-à-dire à l'exécution de toutes les condamnations qui ont été prononcées.
Nous sommes également tous en faveur d'une certaine fermeté : à chaque fait délictueux doit répondre une sanction. il y a un accord complet sur ce point.
Nous sommes tous favorables à la construction de nouvelles prisons, non seulement pour compenser la fermeture, nécessaire, des établissements vétustes, mais aussi pour avoir le nombre de places d'emprisonnement nécessaires pour répondre aux besoins d'incarcération.
Enfin, nous sommes tous d'accord pour qu'il n'y ait aucun frein procédurier à l'entrée en prison de condamnés. À cet égard, le dispositif que je rapporte est un mécanisme d'adaptation de la sortie en fonction de l'entrée, mais pas du tout un mécanisme de frein à l'entrée.
Nous divergeons en revanche sur plusieurs points.
Le premier point, c'est la question de l'automaticité. La procédure proposée aujourd'hui par le groupe SRC est certes automatique, mais la décision, elle, ne l'est jamais. En effet, la mise en oeuvre de la procédure est automatique, mais le juge d'application des peines garde toujours la main : il a toujours la possibilité de s'opposer à une libération conditionnelle. De même, dans le mécanisme d'aménagement de la sortie, c'est toujours lui qui décide.
Le deuxième désaccord est plus vif avec l'orateur du Nouveau Centre qu'avec celui de l'UMP. En effet, ce que l'orateur du Nouveau Centre ne semble pas comprendre, c'est que la conditionnelle, l'aménagement de peine, est une modalité d'exécution de la peine. Ce n'est pas la fin de la peine.
Ainsi, quand on place quelqu'un en conditionnelle à l'issue d'une période d'emprisonnement, la peine continue. C'est si vrai, monsieur Hunault, qu'un certain nombre de détenus refusent la conditionnelle, préférant exécuter la totalité de leur peine en prison plutôt que de sortir de façon anticipée, parce que dont ils ne veulent pas, c'est d'être contrôlés après leur sortie. C'est d'ailleurs très mauvais signe car cela laisse penser qu'ils sont ancrés dans un processus de délinquance professionnelle. L'existence pas très honorable, de ces détenus nous prouve du moins que l'aménagement de peine est aussi la peine. Ce n'est pas parce que l'on n'est pas derrière des barreaux qu'on n'est pas en train d'exécuter une peine. Le comprendre est un progrès intellectuel que nous devons tous faire ensemble pour pouvoir faire comprendre à nos concitoyens que la sortie avant la fin de la durée de la peine constitue une des modalités d'exécution de peine. Si nous n'y parvenons pas, nous allons nous retrouver en permanence confrontés à des problèmes de surpopulation.
Dernière observation : le système que nous proposons a pour but en pratique, à terme, d'éviter les sorties sèches, c'est-à-dire la sortie de détenus sans contrôle, sans suivi, sans accompagnement. La sortie doit être contrôlée. Il peut s'agir éventuellement d'un contrôle de type policier sur ce qu'ils font exactement, s'ils travaillent, s'ils commencent à rembourser la victime éventuelle, s'ils se font soigner quand ils sont alcooliques, toxicomanes ou en proie à des maladies mentales diverses. Il y a donc besoin d'un contrôle, mais aussi d'un accompagnement et d'un suivi pour aider à une réinsertion satisfaisante.
Je ne désespère donc pas que, dans le laps de temps qui nous sépare du vote sur l'ensemble qui aura lieu mardi prochain, les arguments intéressants que j'ai exposés n'emportent la conviction, et que tous nous soutenions de façon consensuelle cette proposition de loi qui, à mon avis, aurait le mérite de faire avancer notre société dans un sens que nous souhaitons tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'appelle maintenant les articles de la proposition dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
Monsieur le président, en application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles et l'ensemble de la proposition de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
En application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée, le Gouvernement demande la réserve des votes. (Mêmes mouvements.)
La réserve est de droit.
Nous avons achevé l'examen de la proposition de loi.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi, auront lieu le mardi 23 novembre, après les questions au Gouvernement.
Madame Lebranchu, c'est pour donner raison à M. Raimbourg, qui pourra ainsi convaincre les autres députés ! (Sourires.)
Prochaine séance, mardi 23 novembre à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Vote solennel sur la proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions ;
Vote solennel sur la proposition de loi relative à l'instauration d'un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire ;
Discussion des projets de loi organique et ordinaire relatifs au département de Mayotte.
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures vingt.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma