Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, je tiens, tout d'abord, à protester de nouveau contre le fait que les propositions de loi de l'opposition soient systématiquement discutées le jeudi, jour particulièrement déserté par nos collègues, alors que la majorité bénéficie de journées fixes le mardi et le mercredi. Cette discrimination est intolérable et fait l'objet de notre part de réclamations incessantes auprès de la présidence de notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Dix ans après la publication des rapports des commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la situation dans les prisons françaises et un an après l'adoption de la loi pénitentiaire, force est de constater que rien n'a changé, ou si peu... C'est pourquoi nos collègues du groupe SRC nous proposent d'adopter le texte dont nous débattons aujourd'hui visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire.
Il y a dix ans, les conclusions convergentes des deux commissions parlementaires d'enquête dénonçaient fermement la situation de surpopulation carcérale et les conditions de détention attentatoires à la dignité dans les nombreux établissements visités. Malheureusement, le constat établi en 2000, selon lequel les prisons représentent « une humiliation pour la République », est toujours d'actualité. Les condamnations internationales et nationales se sont implacablement succédé depuis dix ans. La surpopulation carcérale, problème endémique des prisons françaises, est pointée du doigt comme l'une des raisons majeures des conditions de vie déplorables en prison.
Au 1er juillet 2010, le nombre de personnes détenues était de 62 113 pour une capacité opérationnelle du parc de 56 419 places, soit un taux moyen d'occupation de 110 %. Si, dans les établissements pour peines – centres de détention et maisons centrales –, le principe « une place, un détenu » est appliqué, en revanche, dans les maisons d'arrêt, le taux d'occupation s'élève à 124 %. La maison d'arrêt des Hauts-de-Seine, que je connais bien, est un exemple marquant de cette surpopulation carcérale : elle compte environ 900 détenus pour 600 places. Le manque récurrent de moyens humains empêche le fonctionnement « normal » de l'institution et freine le développement de pratiques innovantes en faveur de la réinsertion des détenus. Comme l'indique parfaitement le rapport de la commission du Sénat, de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel – il séduira probablement M. le garde des sceaux puisqu'il était sénateur à l'époque – déposé le 29 juin 2000, la surpopulation des maisons d'arrêt est la « première violence de la prison », celle qui consiste à placer deux détenus, voire trois ou quatre dans neuf mètres carrés. Celle-ci a les conséquences les plus graves sur les conditions de détention : mauvaise prévention des suicides, violences entre codétenus, manque d'intimité et donc obstacles majeurs à toute stratégie efficace de réinsertion. Face à ce constat accablant d'une « prison en crise », il nous aura fallu attendre 2009 pour que le Parlement puisse enfin débattre d'une réforme du système pénitentiaire, laquelle devait répondre aux chiffres alarmants de la surpopulation, au taux de suicide parmi les plus élevés de l'Union européenne, aux problèmes des détenus en grande difficulté psychique ou psychiatrique, au poids de l'indigence entre les murs des prisons. Que d'espoirs avions-nous fondés dans cette réforme ! Ces espoirs ont été vite déçus à la lecture du projet de loi soumis par la garde des sceaux de l'époque, Mme Dati.
De l'avis des professionnels comme des associations, les réponses apportées n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu. Autant dire que nous attendions tous avec une grande impatience ce rendez-vous de la pénitentiaire avec l'Histoire. Au final, la loi pénitentiaire est restée très éloignée des préconisations du Comité d'orientation restreint, pourtant mis en place par le ministère de la justice en 2007, très éloignée aussi des règles pénitentiaires européennes, pourtant adoptées par la France, et des nombreuses recommandations contenues dans beaucoup de rapports publics ou exprimées par les états généraux de la condition pénitentiaire.
La grande majorité des syndicats de la pénitentiaire, des personnels en lutte en cet instant à qui nous apportons tout notre soutien, des magistrats, des avocats, des intervenants dans les prisons, des associations oeuvrant pour une société plus humaine, l'Observatoire international des prisons, le Comité national consultatif des droits de l'homme, le contrôleur des prisons ont été déçus par un texte qui est resté sourd aux critiques et recommandations de l'ONU, de la Cour européenne des droits de l'homme, du Conseil économique et social et de tant d'autres.
S'agissant plus particulièrement de la surpopulation carcérale, la politique menée depuis 2002 pour répondre à ce fléau se fonde, comme nous le rappelle notre rapporteur Domique Raimbourg, sur deux piliers présentés comme d'égale importance : d'une part, l'augmentation des capacités du parc pénitentiaire ; d'autre part, le développement des aménagements de peine. Le développement des aménagements de peine constitue certainement un bon moyen de réduire la surpopulation pénitentiaire, mais il reste largement insuffisant, et ce d'autant que, comme l'a relevé l'Inspection générale des services judiciaires dans son rapport de mars 2009, les services de l'application des peines n'ont pas les moyens humains de leurs missions. Aussi, faute de capacités d'examen effectif des possibilités d'aménagement, les dossiers s'accumulent-il, aboutissant à un stock important de peines non exécutées. Cette carence structurelle ne permet pas de faire face aux flux des dossiers en accroissement constant.
S'agissant de l'augmentation des capacités du parc pénitentiaire, nous déplorons le choix politique d'orienter les budgets très insuffisants du ministère de la justice vers la construction de nouvelles prisons dont, je le rappelle, la gestion est de plus en plus déléguée au secteur privé, non pour désengorger celles existantes, mais pour y accueillir toujours plus de détenus. En outre, la politique d'expansionnisme carcéral, voulue par le Gouvernement, se heurte à des limites. En effet, alors que l'on dénombrait 62 700 détenus pour 52 535 places au 1er mars 2009, les projections sur la population carcérale révèlent, à l'horizon 2012, 71 000 à 75 500 détenus et à l'horizon 2017, 80 000 à 80 500 détenus, alors que la taille du parc pénitentiaire atteindra, en 2012, 64 500. Du reste comme le souligne la Cour des comptes dans son dernier rapport de juillet 2010 : « Le programme d'accroissement des capacités de modernisation des prisons décidé par la loi de programmation de 2002 permettra d'atteindre, en 2012, une capacité d'accueil égale au nombre actuel de détenus, alors que le nombre de personnes condamnées à des peines de prison pourrait encore augmenter significativement ».
Ces solutions apparaissent donc tout à fait insuffisantes pour résorber le problème de la surpopulation pénitentiaire, et ce d'autant que la surpopulation carcérale n'est rien d'autre que le résultat de la politique gouvernementale ultra-sécuritaire, marquée par l'inflation de lois pénales toujours plus répressives et, rappelons-le aussi, par le détricotage méthodique des politiques de prévention.
La proposition de loi de nos collègues SRC suggère donc de remédier à l'insuffisance de la politique pénitentiaire menée depuis 2002 en instaurant un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire. La mise en place de ce mécanisme est fondée sur deux mesures : d'une part, l'interdiction du dépassement des capacités d'accueil des établissements pénitentiaires et la régulation des flux d'entrée et de sortie ; d'autre part, la mise en place d'une libération conditionnelle de droit aux deux tiers de la peine. Nous souscrivons à l'esprit de cette proposition de loi. La prison devrait, en effet, être réservée aux peines lourdes, destinées à mettre à l'écart des individus dangereux. Dans les autres cas, il est impératif de développer les peines alternatives et tout ce qui permet la réinsertion. L'administration pénitentiaire considère elle-même que, dès le premier jour de la détention d'une personne, son travail devrait être de réfléchir à la sortie pour éviter la récidive, notamment.
Si nous sommes soucieux des principes fondamentaux des droits de l'homme et cherchons à mieux protéger la sécurité publique par une approche pragmatique, nous devons développer et surtout crédibiliser les mesures alternatives à la peine d'emprisonnement et à la liberté conditionnelle. C'est incontournable pour rendre la peine de prison plus utile et nos prisons plus acceptables. Enfin, nous jugeons indispensable d'inscrire l'évolution de la politique pénitentiaire dans un mouvement politique plus globale de lutte contre les inégalités sociales et territoriales et pour le développement de l'emploi, corollaire implacable, en cas de difficulté, à toutes les dérives dont nous débattons aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)