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Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 18 novembre 2010 à 15h00
Instauration d'un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise est à la fois simple et ambitieuse. Elle vise à en finir avec une réalité qui abîme le visage de notre République et dont un rapport sénatorial a dit qu'elle constituait parfois une indignité : la surpopulation carcérale. Il s'agit tout simplement de passer d'une culture de l'enfermement à une culture du contrôle.

Vous connaissez tous la réalité de la surpopulation. Le 1er juillet dernier, nos prisons comptaient 62 113 détenus pour 56 419 places, soit un taux d'occupation de 110 %. Ce chiffre n'est cependant qu'une moyenne, qui dissimule une profonde disparité. En effet, ni les détenus qui sont en maison centrale pour y purger des peines longues, ni les détenus qui sont en centre de détention pour y purger des peines d'une durée moyenne ne connaissent la surpopulation. Le taux d'occupation des maisons centrales est effectivement de 79,5 %, puisqu'il y a 1 209 détenus pour 1 518 places, tandis que le taux d'occupation des centres de détention est de 94 %.

En revanche, les 41 401 détenus en maison d'arrêt ou en quartier maison d'arrêt doivent se partager environ 34 000 places, ce qui caractérise une situation de suroccupation. Le taux d'occupation moyen des quartiers maison d'arrêt est ainsi de 122 % et celui des 101 maisons d'arrêt de notre territoire de 124 %.

Cela dit, la surpopulation connaît également de fortes disparités locales. Cinquante-six maisons d'arrêt ont un taux d'occupation compris entre 100 % et 150 %, quatorze un taux compris entre 150 % et 200 %, cinq un taux supérieur à 200 %. Ces cinq maisons d'arrêt sont celles de Fontenay-le-Comte, d'Orléans, de Tours, de Majicavo, à Mayotte, et La Roche-sur-Yon, dont les taux d'occupation respectifs s'élèvent à 205 %, 206 %, 210 %, 235 % et 255 %. Plus de cent détenus doivent donc se partager les quarante places de la maison d'arrêt de La Roche-sur-Yon, en tête de ce triste palmarès. Je précise qu'il s'agit des chiffres de juillet ; depuis lors, la situation s'est améliorée à la maison d'arrêt de Majicavo. Vous aurez par ailleurs noté que la Vendée présente la particularité de compter deux maisons d'arrêt qui figurent au palmarès des maisons d'arrêt occupées à plus de 200 %.

Quelles sont les conséquences de cette surpopulation ? Nous les connaissons tous.

Tout d'abord, les conditions de détention sont indignes. Cela fait des années que des rapports parlementaires les dénoncent, et l'encellulement individuel est en débat au Parlement depuis 1875 et la loi Béranger. La situation n'a pourtant pas évolué depuis cette époque, et nous en sommes toujours à dire qu'il faudrait, qu'il serait souhaitable, qu'il serait nécessaire, qu'il est indispensable qu'il y ait une cellule par détenu et un détenu par cellule.

Deuxième conséquence, qui n'est pas non plus négligeable : les surveillants travaillent dans des conditions indécentes.

Troisième conséquence : la réinsertion est une tâche très difficile.

Quatrième conséquence : faute de réinsertion, la récidive est aggravée.

Que vous proposons-nous ? Le double mécanisme que tend à instaurer cette proposition de loi vise simplement à faire sortir par anticipation le détenu dont la peine est la plus proche de son terme lorsqu'un détenu entre en surnombre dans un établissement.

Je n'entre pas dans les détails ; il vous suffit, pour les connaître, de vous reporter à notre texte. Disons simplement qu'il existe un sas, permettant une certaine suroccupation. À partir de l'instant où un détenu entrera dans ce sas, l'administration pénitentiaire et le juge d'application des peines auront un délai de deux mois pour mettre en oeuvre l'un des deux mécanismes d'aménagement de peine prévus par la loi pénitentiaire que nous avons votée au mois de novembre 2009 : l'aménagement de peine décidé grâce à une procédure simplifiée, réservé à ceux dont le reliquat de peine est inférieur à deux ans et qui n'ont pas été condamnés, au total, à plus de cinq années de prison ; et le placement sous surveillance électronique en fin de peine, réservé aux détenus à qui il ne reste plus à purger que quatre mois d'emprisonnement. Les statistiques de l'administration pénitentiaire nous indiquent d'ailleurs que 21 % des détenus actuellement incarcérés sont à moins de trois mois de leur sortie de prison. Il existe donc suffisamment de candidats potentiels à la mise en oeuvre de ce mécanisme.

Nous en proposons un second pour lutter contre la récidive et éviter les sorties sans accompagnement, sans contrôle et sans suivi : une « automaticité » de la libération conditionnelle. Sauf avis contraire du juge d'application des peines, le condamné bénéficierait d'une libération conditionnelle lorsque la durée de la peine accomplie est égale aux deux tiers de la peine totale. Comme toute libération conditionnelle, cette mesure serait doublée d'un suivi, d'un contrôle et d'un accompagnement du détenu qui sort de prison.

Un certain nombre de nos partenaires européens appliquent un tel mécanisme : l'Angleterre, l'Espagne, la Finlande et les Pays-Bas. Certes, chaque pays ayant son organisation propre, les modalités varient d'un pays à l'autre, mais le mécanisme existe déjà.

À l'appui de cette proposition, je signale également que, dans son rapport d'activité pour l'année 2009, l'administration pénitentiaire indique que la mise en place d'une automaticité des libérations conditionnelles serait de nature à renforcer cet outil dont elle estime qu'il est l'un des moyens les plus efficaces de lutter contre la récidive.

Quelles objections peut-on faire à notre proposition de loi ?

Première objection, l'instauration d'une surveillance de ceux qui sortent de prison serait contraire aux droits de l'homme. Cette objection est sans valeur, car il s'agit en fait d'instaurer une surveillance de ceux qui, s'ils sortent de prison, n'ont pas pour autant terminé de purger leur peine. La surveillance, le contrôle, le suivi et l'accompagnement sont des modalités de la peine à l'extérieur. Il n'y a donc là aucune atteinte aux droits de l'homme.

Deuxième objection, nos concitoyens seraient très attachés à l'exécution complète des peines d'emprisonnement. Je ne crois pas que cela soit vrai : nos concitoyens sont en fait attachés à ce que nous nous penchions sur les questions de la délinquance, de la récidive et de la réitération. Dès l'instant où la prison prend du sens parce qu'elle est le temps de la sanction et que cette sanction se prolonge par un contrôle à la sortie, le dispositif pourrait, me semble-t-il, recueillir l'assentiment de nos concitoyens.

Troisième objection, l'égalité serait rompue puisque l'on n'exécuterait pas sa peine de la même façon selon que l'on se trouve dans un établissement surpeuplé, où l'on pourrait donc bénéficier d'une sortie aménagée et anticipée, ou dans un établissement qui ne connaît pas de surpopulation, auquel cas on ne pourrait pas bénéficier d'une telle sortie anticipée. S'il semble fondé, cet argument ne résiste pas à l'examen, car la rupture de l'égalité est antérieure. Comment expliquer, en effet, que le détenu vendéen doive forcément purger sa peine dans l'une des deux maisons d'arrêt dont le taux d'occupation dépasse les 200 % ? En fait, le mécanisme qui permet une sortie anticipée et aménagée dans le cas d'établissements surpeuplés rétablit l'égalité.

Quatrième objection, ce dispositif serait laxiste. Ce n'est pas du tout le cas, car il s'agit d'un mécanisme de sortie de la maison d'arrêt. De ce fait, il permet, en amont, à l'entrée, n'importe quelle politique pénale.

Cinquième objection, nous aurions déjà réfléchi à toutes ces questions et il faudrait attendre que la loi pénitentiaire soit appliquée pour vérifier si les mécanismes d'aménagement des peines, qui existent déjà et sur lesquels s'appuie d'ailleurs cette proposition de loi, sont efficaces. Vous observerez qu'il est proposé que la loi ne soit appliquée que dans dix-huit mois, de façon à permettre aux mécanismes d'aménagement des peines de trouver leur rythme de croisière.

Sixième objection, tout cela, qui impliquerait de contrôler plus, nécessiterait des moyens supplémentaires. Les 3 000 conseillers d'insertion et de probation qui suivent aujourd'hui les 63 000 détenus actuellement dans les maisons d'arrêt et les 170 000 mesures en milieu ouvert – sursis, mises à l'épreuve, libérations conditionnelles, travaux d'intérêt général, chantiers extérieurs – ne seraient pas assez nombreux et il faudrait forcément en embaucher. C'est vrai, mais n'oublions pas que chaque détenu incarcéré en cellule coûte 80 euros par jour, tandis que le « détenu à l'extérieur », pour employer une expression qui n'est qu'apparemment contradictoire, ne coûte que 15 euros par jour. Les économies qui pourront être réalisées permettront donc de financer le suivi.

Passer de cette culture de l'enfermement dont nous sommes victimes depuis des années, voire des décennies, à une culture de contrôle n'aura que des conséquences positives.

Voter cette proposition de loi, c'est garantir la dignité de la détention. Voter cette proposition de loi, c'est garantir la décence des conditions de travail des surveillants de prison et de tous ceux qui travaillent en prison. Voter cette proposition de loi, c'est faciliter grandement la réinsertion. Voter cette proposition de loi, c'est l'un des meilleurs moyens de prévenir la récidive. Voter cette proposition de loi, c'est enfin mettre à l'abri les victimes potentielles d'une récidive.

Je vous invite donc à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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