Si la relation humaine s'instaure effectivement, la prévention de la récidive, la lutte contre les suicides, les violences, qu'elles interviennent entre détenus ou qu'elles visent le personnel, sont plus faciles à traiter ou à combattre.
Les caractéristiques lourdes qui frappent aujourd'hui la population pénale – je pense évidemment aux détenus présentant des troubles du comportement –, accentuent encore les effets négatifs du surencombrement. Nous sommes donc tous d'accord pour lutter contre ce phénomène et réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre.
M. Raimbourg a cité quelques chiffres, que je ne conteste pas, mais les derniers en ma possession sont les suivants : au 1er novembre 2010, il y avait 61 428 personnes incarcérées, ce qui fait globalement un taux d'occupation de 108,8 % dans les établissements pénitentiaires et de 120 % dans les maisons d'arrêt. Il y a un an, le taux d'occupation était de 114,3 % dans les établissements pénitentiaires et de 127,9 % dans les maisons d'arrêt. Il y a donc un mieux, mais ce n'est pas suffisant.
La question qui vous est posée est simple : la proposition de loi présentée par M. Raimbourg est-elle de nature à porter remède à la situation que nous dénonçons tous ? Cette proposition est généreuse dans son principe, mais me paraît inadaptée dans ses modalités et contraire à nos traditions juridiques.
Elle est contraire à nos traditions juridiques, parce qu'il ne peut être concevable qu'une décision de justice soit dictée par de simples considérations matérielles. Si le nombre de places d'un établissement le permet, une personne y sera incarcérée, alors que, pour le même type de fait, avec la même condamnation et dans un autre lieu, elle restera libre parce que la prison est pleine.
Je préfère favoriser le dialogue s'instaurant dans l'ensemble des ressorts entre magistrats et représentants de l'administration pénitentiaire dans le cadre des commissions d'exécution des peines plutôt que d'imposer des solutions susceptibles de provoquer des injustices.
Ces instances, qui se développent dans un grand nombre de juridictions, jouent un rôle de régularisation, et la prise en compte des préoccupations des uns et des autres est réelle. Certes, l'article 22 de la loi pénitentiaire nous oblige désormais à « garantir à toute personne détenue le respect de sa dignité ». Ce respect se juge également sur notre capacité à améliorer durablement les conditions de détention.
À ce titre, la politique conduite depuis 2002 et la loi d'orientation et de programmation pour la justice a incontestablement porté ses fruits. Elle vise, d'une part, à développer un programme immobilier sans précédent et, d'autre part, à favoriser le développement des aménagements de peine.
Ce programme immobilier nous permet aujourd'hui de compter 56 455 places opérationnelles pour 61 428 détenus. La construction de vingt-quatre établissements nouveaux est prévue et le plan se développe à un rythme tout à fait satisfaisant : quatre établissements ont été livrés en 2008, sept en 2009 et 2010. À l'achèvement de ce programme en 2012, la France comptera 63 000 places de détention, dont plus de la moitié aura moins de trente ans.
Nos efforts ne s'arrêtent pas là. Nous travaillons déjà à l'élaboration d'un nouveau programme immobilier pénitentiaire qui prévoit à ce jour la fermeture de quarante-cinq établissements vétustes, laquelle sera compensée par l'ouverture de vingt-trois nouveaux établissements. En 2018, le gain net sera de 5 000 places supplémentaires, ce qui portera notre capacité d'accueil à 68 000.
La lutte contre la surpopulation ne saurait cependant reposer sur la seule considération de l'encellulement. Le développement des aménagements de peine, garant d'une politique efficace de prévention de la récidive, est également un outil majeur de lutte contre la surpopulation carcérale. Là encore, les efforts accomplis par les gouvernements successifs depuis 2002 méritent d'être soulignés.
Que l'on en juge : plus de 15 % des condamnés, aujourd'hui, ne sont pas incarcérés et bénéficient d'un aménagement de peine. Ils étaient un tout petit peu plus de 8 % en 2006. L'essor spectaculaire du placement sous surveillance électronique mérite d'être mis en exergue : le nombre de placés a cru de 40 % en deux ans.
Mesdames, messieurs les députés, cette politique est une réussite incontestable et aisément mesurable. Ces avancées interviennent avant même que les dispositions sur les aménagements de peine contenues dans la loi du 24 novembre 2009 ne portent leurs fruits. En effet, les décrets d'application relatifs à cette partie de la loi ne sont en vigueur que depuis quelques jours.
La loi prévoit, d'une part, un relèvement du seuil de un à deux ans pour bénéficier de l'octroi des aménagements et, d'autre part, le placement sous surveillance électronique systématique pour les condamnés arrivant à quatre mois de la fin de leur peine. Les personnes en situation de récidive légale sont exclues de ce dispositif.
Je vous rappelle l'objectif décliné devant cette même assemblée lors des débats sur la loi pénitentiaire : nous visons le chiffre de 10 000 à 12 000 placements sous surveillance électronique à l'horizon 2012. Au rythme où nous progressons, il y a fort à parier que l'engagement sera tenu.
Nous évoquions à l'instant cette grande loi pénitentiaire, loi fondatrice tant attendue, ayant donné lieu à des échanges nourris et à des débats passionnants. Et bien, cette loi, parce que les parlementaires l'ont voulu ainsi, contient en son sein le mécanisme nous permettant de lutter efficacement contre la surpopulation carcérale : l'encellulement individuel.
Que ce soit pour les prévenus, par le biais de l'article 87, ou pour les condamnés, par le biais de l'article 90, l'encellulement individuel devient la règle pour tous, à trois exceptions près : lorsque les détenus en font la demande, si leur personnalité justifie qu'ils ne restent pas seuls en cellule ou dans le cas de nécessité d'organisation relative à une formation.
Ces dispositions sont assorties d'un moratoire de cinq ans. Ce temps est suffisant pour que, sous l'effet conjugué du programme immobilier décrit plus haut et du développement des aménagements de peine, nous garantissions enfin dans notre droit l'application du principe de l'encellulement individuel. Ce serait une première dans notre pays qui, depuis plus d'un siècle, a inscrit ce principe dans le code de procédure pénale sans jamais se doter des moyens de le mettre en application.
Si nous sommes d'accord sur les objectifs de votre proposition de loi, les travaux que nous menons tant sur le plan immobilier que sur celui des aménagements de peine nous permettront d'arriver à un résultat similaire, sans les inconvénients du texte que vous nous soumettez.
C'est pourquoi, madame, messieurs les députés, le Gouvernement vous demande de ne pas voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)