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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 18 novembre 2010 à 15h00
Instauration d'un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

Monsieur le garde des sceaux, c'est la première fois que j'interviens devant vous et je tenais à vous féliciter pour vos nouvelles fonctions. Auparavant, j'aurais eu un peu de mal, en tant que député parisien, à le faire, compte tenu de vos fonctions précédentes.

La proposition de loi de notre collègue et ami Dominique Raimbourg s'inscrit dans le droit-fil de la réflexion menée depuis les rapports parlementaires de l'Assemblée et du Sénat du début des années 2000 sur la situation des prisons françaises. Ces rapports avaient indigné tous les élus, les médias et l'ensemble de nos concitoyens. On le sait, les conditions d'hygiène déplorables et la surpopulation entraînent de multiples violences, rendant très difficiles les conditions de travail du personnel pénitentiaire.

Depuis dix ans, la situation a évolué, et plutôt dans le bon sens. Saluons tous les efforts entrepris tant par les gardes des sceaux successifs que par le personnel de l'administration pénitentiaire, surveillants et conseillers d'insertion et de probation, sans oublier les associations de familles, de réinsertion ou les visiteurs de prison.

Cette prise de conscience a été amplifiée par nos travaux, j'en veux pour preuve l'intérêt suscité par les rencontres parlementaires sur les prisons et l'attention portée par le grand public à l'élaboration de la loi pénitentiaire, votée il y a tout juste un an.

Le groupe SRC, par la voix de M. Raimbourg, nous propose aujourd'hui une solution novatrice. En effet, il faut sortir de cette logique du « tout enfermement » ; chacun d'entre nous, ici, sur tous les bancs, a appelé de ses voeux des améliorations. Cette logique s'inscrit dans le droit-fil de l'esprit des travaux du Comité d'orientation restreint – le COR – qui a réfléchi, entre 2007 et 2009, lors de la préparation de la loi pénitentiaire, à un mécanisme qui permette de lutter contre la surpopulation carcérale, en respectant, bien entendu, les décisions de justice et en préparant au mieux la réinsertion des détenus.

Il n'en reste pas moins que l'on a senti, lors du débat sur la loi pénitentiaire, l'an dernier, une nette rétraction du Gouvernement sur la réponse à apporter à la surpopulation pénitentiaire, comme en ont témoigné les palinodies de la ministre de l'époque – je parle, bien sûr, de l'antépénultième garde des sceaux – sur la question de l'encellulement individuel.

Aujourd'hui nous déplorons toujours la surpopulation carcérale. Monsieur le garde des sceaux, vous avez cité des chiffres récents, comme ceux que je vais vous donner.

Il y avait, au 1er octobre 2010, quelque 67 000 personnes sous écrou, dont un peu plus de 61 000 détenus dans un établissement pénitentiaire, avec près de 16 000 prévenus et un peu plus de 45 000 condamnés détenus. Le nombre de places opérationnelles est de 56 426, ce qui indique que près de 9 000 personnes sont en surnombre dans les établissements pénitentiaires.

Ce chiffre, quoiqu'en légère baisse – nous nous en réjouissions –, implique que, dans 15 % des cas, là où dans une cellule de sept à dix mètres carrés ne devrait être théoriquement hébergé pas plus d'un détenu, sont entassées couramment deux, voire trois personnes dans les cas extrêmes.

Comme le dit M. Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son rapport de 2008 : « Cette surpopulation est une source de violence carcérale, aujourd'hui scandaleuse au regard des missions de l'institution ». J'ajoute qu'au 1er octobre 2010, 226 détenus dorment encore sur un matelas installé à même le sol. Vous en conviendrez, monsieur le ministre, ce chiffre persistant est absolument scandaleux. Ces sources ne sont pas à remettre en cause, car elles sont issues des travaux de l'Observatoire de Pierre-Victor Tournier, qui travaille en étroite coopération avec votre ministère.

Le rapport de M. Dominique Raimbourg est, de ce point de vue, très intéressant. Au-delà des chiffres bruts, il faut comprendre qu'un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire existe d'ores et déjà en France dans les établissements pour peine qui accueillent des détenus condamnés à une durée plus longue, au-delà des deux ans en théorie. En effet, dans les centres de détention et dans les maisons centrales, le taux global d'occupation est de 94 % en centre de détention et de 80 % en maison centrale. Tout l'effort repose donc sur les maisons d'arrêt où la surpopulation est de 124 %, mais dans une vingtaine de ces établissements, elle dépasse les 150 % d'occupation, le record de France étant détenu – Dominique Raimbourg l'a rappelé – par la maison d'arrêt de la Roche-sur-Yon, où le taux d'occupation est de 250 %. Concrètement, il y a trois détenus pour une place.

Il est inutile d'insister sur les conséquences néfastes, abominables, de cette surpopulation spécifique aux maisons d'arrêt qui rassemblent, vous le savez, les prévenus et les condamnés à de courtes peines, c'est-à-dire ceux qui, paradoxalement, nécessiteraient une attention plus marquée encore, soit parce que le temps passé en prison pour certains prévenus est totalement inutile puisque leur affaire se terminera par un non-lieu ou par une condamnation légère, soit parce qu'il s'agit de détenus déjà condamnés à de courtes peines, qui ont besoin d'une réinsertion attentive pour éviter la récidive. Or vous le savez, les mauvaises conditions de détention font de ces maisons d'arrêt des écoles du crime, comme l'ont démontré bien des criminologistes.

Quelles sont les solutions pour lutter contre la surpopulation carcérale ? Soit nous suivons la voie gouvernementale de construction de nouvelles prisons, tout en rénovant les établissements les plus dégradés et de ce point de vue, il n'y a rien à redire. En revanche, le programme de construction – les programmes, devrais-je dire – de 13 200 nouvelles places quasiment en voie d'achèvement auquel le Président de la République a souhaité ajouter 5 000 places nous semble critiquable, car ces places nouvelles sont construites pour faire face à l'arsenal législatif déployé ces dernières années – en particulier les lois sur la récidive et les peines plancher – afin d'augmenter l'enfermement, ce qui contribue à encombrer les prisons. En effet, deux discours officiels se contredisent, l'un sur la nécessaire réinsertion ou sur les peines alternatives à l'emprisonnement, avec, en particulier, le bracelet électronique, et l'autre sur la sévérité de la sanction, son application entière et sévère, qui aboutit à l'emprisonnement. C'est le paradoxe qui veut que les mêmes défendent un jour le tout prison et le lendemain le tout bracelet électronique. Il faudra choisir une voie plus cohérente.

J'ajoute que les gouvernements successifs depuis 2002 ont pratiqué à leur façon une forme de numerus clausus pénitentiaire irréfléchi et souvent producteur d'effets négatifs avec la pratique, heureusement arrêtée aujourd'hui, de la grâce présidentielle du 14 juillet. En effet, libérer brutalement des condamnés sans préparation à la réinsertion, parfois sans solution d'hébergement à la sortie, libérer globalement des condamnés trois mois avant la fin de leur peine a sans doute contribué à augmenter la récidive.

Vous devez donc être modestes, mes chers collègues de la majorité, quand vous dénoncez, comme vous l'avez fait en commission, la proposition de loi de M. Raimbourg, car vos propres systèmes ont longtemps été bien plus grossiers que celui-ci qui se caractérise par sa finesse d'analyse s'agissant, entre autres, des conséquences des actions menées.

M. Raimbourg nous propose un système qui s'inscrit dans l'esprit de la loi pénitentiaire, en tout cas dans celui qui aurait dû régner depuis que nous y travaillons, en voulant préparer au mieux la sortie, suite à une libération conditionnelle accordée par le juge de l'application des peines, après avis du chef de la détention, du directeur de la prison et des travailleurs sociaux du SPIP.

Notre collègue Raimbourg préconise donc une libération conditionnelle de droit aux deux tiers de la peine avec, bien évidemment, une possibilité de contestation par le Procureur de la République ou par le condamné lui-même. Toutes les voies de recours sont, par conséquent, respectées.

Je ne comprends pas, chers collègues, ce qui vous effarouche tant dans cette proposition de loi. Elle s'inscrit dans la logique de la loi pénitentiaire. Elle vise à prévenir et même, je peux le dire, à guérir cette maladie de l'indignité des prisons françaises. Elle évitera, en particulier, à la France d'être montrée du doigt dans les rapports du Conseil de l'Europe – nous occupons une très mauvaise place au « baromètre » de l'activité pénitentiaire – et d'être, hélas, condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme ou par les tribunaux administratifs pour des conditions de détention indignes qui entraînent bien des drames, suicides, meurtres, agressions du personnel, sans oublier la destruction psychologique de nombreux détenus.

J'ajoute un point dont les collègues de la majorité ne se vantent pas : en dépit de l'arsenal répressif et des constructions nouvelles de prisons, il reste 33 000 peines non appliquées, ce qui, vous en conviendrez, n'est pas de nature à dissuader les délinquants et autres voyous. Votre souci des victimes, que nous partageons, devrait vous inciter à plus d'attention envers ces personnes qui retrouvent leur agresseur condamné, mais dont la peine n'a pas été effectuée, et qui continue à les narguer dans leur quartier.

Je vous engage, chers collègues de la majorité, à ne pas repousser par pure idéologie, et sans doute par incompréhension, la proposition de loi que M. Raimbourg et les membres du groupe SRC défendent cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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