La séance est ouverte à dix-sept heures.
La Commission examine, sur le rapport de M. Christian Ménard, le projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer (n° 2502).
Je tiens tout d'abord à saluer la présence de M. le ministre de la défense.
Pour ce projet de loi, adopté par le Sénat en première lecture le 6 mai dernier, nous avons désigné comme rapporteur M. Christian Ménard, qui avait déjà beaucoup travaillé sur le sujet et nous avait notamment présenté, le 13 mai 2009, un rapport d'information suggérant plusieurs pistes pour mieux armer notre pays contre ce qui est devenu un véritable fléau. Si l'opération Atalante peut être considérée comme un succès, il reste à adapter notre droit aux exigences de ce combat.
Ce projet de loi attendu vise en effet à adapter notre droit à la piraterie maritime, une menace dont chacun connaît la gravité. Je porte sur ce texte une appréciation très positive : il me semble équilibré et en mesure de répondre aux attentes des juges comme des militaires, en mettant à profit les possibilités que nous offre le droit international.
Il réalise une première avancée en donnant une définition de la piraterie en droit français, ouvrant ainsi à nos tribunaux la faculté d'en juger. Il faut en effet rappeler que notre droit n'incrimine plus la piraterie en tant que telle depuis qu'en 2007, une loi de simplification du droit a abrogé la loi du 10 avril 1825 relative à la sûreté de la navigation et du commerce maritime. Or, un an après cette abrogation, certains de nos compatriotes ont été pris en otage, à bord du Ponant tout d'abord, puis du Carré d'As et du Tanit. Dans tous ces cas, les pirates ont été arrêtés par nos commandos – assistés, s'agissant du Ponant, par le GIGN – avant d'être conduits en France avec l'accord du gouvernement somalien, où ils seront jugés pour des crimes « classiques » du droit pénal, tels que le vol à main armée, l'enlèvement et la séquestration.
Le projet de loi retient différentes incriminations existantes pour les qualifier de piraterie, dès lors qu'elles sont commises dans les conditions décrites par le droit international. Ces infractions sont limitativement énumérées dans le texte, qui se réfère aux articles 224-6, 224-7 et 224-8-1 du code pénal.
La définition de la piraterie en droit international nous est donnée par la convention de Montego Bay : il s'agit des actes de vol et de violence commis à l'encontre de navires ou d'aéronefs et de leurs équipages à des fins privées commis « en haute mer ». Le projet de loi ajoute, sous réserve que le droit international le permette, les eaux territoriales d'autres États, afin de tenir compte de la situation particulière des eaux somaliennes, régies par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
La convention de Montego Bay permet aux États d'exercer la compétence la plus large pour juger des actes de piraterie. Ainsi, le projet de loi nous propose de conférer aux tribunaux français une compétence « quasi universelle ». Concrètement, ils pourront juger d'infractions relevant de la piraterie si elles impliquent des ressortissants français – c'est le lien de rattachement classique du droit pénal – mais également des ressortissants étrangers, à la condition que des forces militaires françaises soient intervenues. En revanche, le projet ne permet pas à nos tribunaux de juger des pirates qui, ayant attaqué des ressortissants étrangers, auront été arrêtés par des forces militaires étrangères.
En outre, nos forces disposeront désormais d'une habilitation claire pour intervenir face à ce type d'infraction. C'est la deuxième grande avancée de ce texte. En effet, la loi du 15 juillet 1994 qui régit l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer ne comporte aujourd'hui que deux piliers : l'un traite de la lutte contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes, l'autre de la lutte contre l'immigration illégale par mer. Le projet de loi en ajoute un troisième, relatif à la lutte contre la piraterie maritime. Outre qu'il définit l'infraction, il comporte des dispositions habilitant les commandants de navires à prendre ou à faire prendre les mesures de contrôle et de coercition permises par le droit international. Ils pourront le faire pendant qu'un acte est en cours, après qu'un acte aura été commis, mais aussi si un acte est en phase de préparation, ce qui est une nécessité absolue pour éviter une prise d'otages.
Ensuite, le projet de loi décrit les conditions dans lesquelles les pirates présumés peuvent être consignés à bord, pour le temps strictement nécessaire à leur remise aux autorités judiciaires, françaises ou étrangères. Dans ce cadre comme pour les deux autres piliers de la loi de 1994, il tient compte des critiques formulées par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui, dans son arrêt Medvedyev de 2008 a condamné la France au motif que la consignation d'une personne arraisonnée dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants contrevenait à la convention. La Cour a en effet estimé que la privation de liberté n'avait pas été décidée par une autorité judiciaire suffisamment indépendante – il s'agissait en l'occurrence du procureur de la République. Le projet de loi fait donc intervenir dans les 48 heures le juge des libertés et de la détention, qui autorisera ou non la consignation à bord, et devra renouveler cette autorisation tous les cinq jours.
Le texte précise les droits des pirates présumés : examen de santé, examen médical, information dans une langue qu'ils comprennent.
Enfin, le Gouvernement y a ajouté une disposition étendant aux enfants des victimes d'actes de piraterie la qualité de pupille de la Nation.
Comme je vous l'ai dit, mon jugement sur ce projet de loi est très favorable. J'en ai évoqué les enjeux avec des interlocuteurs très différents : marins, juristes, magistrats, acteurs du monde économique. J'ai aussi rencontré un certain nombre de pirates présumés, au Kenya, en Somalie et à la prison de Fresnes. Je me suis intéressé à la situation qui prévaut au large de la Somalie mais également dans d'autres parties du globe, notamment dans le golfe de Guinée. Avec l'accord du président Teissier, je vous présenterai dans quelques semaines un exposé sur l'état de la piraterie dans ces zones. Pour l'heure, je me bornerai à insister sur quelques points en rapport avec ce projet.
Tout d'abord, nous devons nous assurer que notre marine peut intervenir le plus largement possible dans nos eaux territoriales les plus éloignées dans les cas où des actes de vol à main armée y seraient commis. De ce point de vue, la situation ne semble pas parfaitement claire.
Par ailleurs, le seuil de déclenchement des actions de contrôle et de coercition paraît inutilement restrictif – c'est tout le problème posé par l'expression « sérieuses raisons », sur laquelle nous allons revenir.
Ensuite, le Gouvernement doit envisager la possibilité d'autoriser les armées à conserver les biens saisis à des pirates condamnés, à des fins d'entraînement comme cela se pratique au profit de la gendarmerie ou des douanes.
Enfin, nous devons engager une large réflexion sur l'activité des sociétés de sécurité privées, qui se développent en dehors de nous. Il me paraît fondamental que le Parlement français participe au débat sur le sujet, sans aucun a priori idéologique.
Pour conclure, le projet de loi présente le double intérêt de répondre aux problèmes qui se posent tout en ouvrant des pistes de réflexion particulièrement intéressantes. C'est pourquoi j'en recommande l'adoption.
Depuis 2007, la piraterie se développe dans l'océan Indien de façon quasi exponentielle, sous des formes diverses qui sont de plus en plus gênantes. Songez que, ces jours derniers, des hommes se sont servis de cargos et de pétroliers qu'ils avaient piratés pour s'attaquer à d'autres bateaux !
Nous assistons à une course de vitesse entre le juriste et le criminel : il nous faut donc trouver les ripostes nécessaires. Je le souligne en présence de Jack Lang, conseiller spécial du Secrétaire général de l'ONU pour les questions juridiques liées à la piraterie, et après avoir entendu le très bon rapport de notre collègue Christian Ménard, qui a fort bien pris en compte ce point, mais j'ajoute qu'il n'aurait pas été inutile que la Commission des lois de notre assemblée soit également saisie de ce texte, d'autant que les procédures pénales et les sanctions prévues sont relativement lourdes. Cela étant dit, il n'est plus temps de ralentir l'examen de ce texte, dont nous avons besoin rapidement. Depuis la loi de 2007, qui a supprimé du code pénal les incriminations définies en 1825, nous sommes en effet démunis devant les actes de piraterie. Nous ne sommes pas les seuls, d'ailleurs : les Allemands et les Danois ont dû relâcher des pirates parce qu'ils ne savaient pas quel sort juridique leur réserver ! Il s'agit bien d'un problème mondial.
En attendant que soient votées ces dispositions, les pirates ne peuvent être poursuivis que pour des actes connexes – détournement de navire ou prise d'otages – auxquels ne peut s'appliquer la compétence universelle de haute mer telle qu'elle ressort de l'article 105 de la convention de Montego Bay. Il y a là un vide juridique qu'il convient de combler. C'est l'objet du projet de loi, qui devra toutefois faire l'objet de quelques amendements sur lesquels je reviendrai.
L'article 6 bis nouveau permet de reconnaître la qualité de pupille de la Nation aux orphelins de victimes de la piraterie. Cette mesure part de bons sentiments, mais elle pose un problème délicat car il est arrivé que ces victimes se soient elles-mêmes mises en danger, et aient mis d'autres personnes en danger, du fait de leur imprudence. C'est le cas des occupants du Tanit : ils ont été prévenus qu'ils entraient dans une zone infestée de pirates et il leur a été conseillé de s'en détourner, mais ils n'ont pas tenu compte de ces avertissements. Je regrette à ce propos l'absence de notre collègue Françoise Olivier-Coupeau, qui avait vivement réagi lorsque les commandos de marine ont été mis en cause après cette affaire. Je souhaite que nous réfléchissions à ce problème, qui risque de se poser de nouveau. Les otages enlevés dans le désert sont eux aussi des parents : faudra-t-il également étendre le dispositif à leurs enfants ?
Nous devons étudier sérieusement tous les éléments de ce projet de loi, l'amender, et surtout l'adopter le plus rapidement possible pour permettre à notre pays de faire face à de telles situations, qui seront de plus en plus fréquentes.
Monsieur Le Bris, il est sans doute regrettable que la Commission des lois ne se soit pas penchée sur ce projet, mais je rappelle que la décision de se saisir pour avis lui appartenait.
La responsabilité des victimes est une question délicate. J'ai rencontré à de nombreuses reprises les membres de la famille Lemaçon : ils sont convaincus que le skipper n'a commis aucune imprudence compte tenu de la route qu'il a empruntée. Il y a beaucoup de souffrance dans cette affaire : ne compromettons pas un travail de deuil trop longtemps retardé en donnant à cette famille le sentiment qu'elle n'a pas été comprise.
Je souscris totalement aux propos du ministre. Je me souviens en effet des alertes qui ont été adressées à M. Lemaçon et dont il n'a pas tenu compte. Mais les enfants ne sont pas coupables des erreurs de leurs parents, et à ce titre je peux comprendre qu'ils bénéficient du titre de pupille de la Nation. Avec Françoise Olivier-Coupeau, nous avions envisagé de déposer un amendement visant à pénaliser les personnes qui s'engagent dans des lieux dangereux et mettent en danger la vie de leurs sauveteurs. Des dispositions ont été adoptées pour exiger le remboursement des frais de secours, mais elles sont rarement appliquées. Je pense donc que nous devons poursuivre la réflexion sur le sujet.
Je partage l'avis du rapporteur concernant l'article 6 bis. Nous connaissons tous des cas de personnes qui se sont engagées volontairement dans des situations difficiles et ont parfois mis en danger la vie des sauveteurs. Mais les enfants, déjà orphelins, ne doivent pas être doublement victimes. Cet article est généreux, il convient donc de le maintenir.
Ce projet de loi, très attendu, permet de clarifier la situation à la fois vis-à-vis des victimes, marins et armateurs, et vis-à-vis des forces d'intervention. Je reste toutefois sur ma faim, monsieur le rapporteur, car votre rapport d'information, remis en mai 2009, allait bien au-delà de ces dispositions. L'exposé que vous nous présenterez dans quelque temps débouchera-t-il sur un projet de loi plus large, à portée internationale ? La France ajuste sa législation à l'évolution de la piraterie, c'est une bonne chose, mais une harmonisation européenne me paraît indispensable. Est-elle envisagée ?
Enfin, que pensez-vous de l'intervention de forces de sécurité privées ? Une régulation est-elle prévue, monsieur le ministre, sur un sujet qui ne concerne d'ailleurs pas que la lutte contre la piraterie et auquel devrait s'intéresser également la Commission des affaires étrangères ?
Je vous remercie, chère collègue, d'avoir posé cette question essentielle. Du point de vue juridique, il faut simplement que les autres États adaptent leur droit à la convention de Montego Bay.
En conclusion de mon rapport d'information, je faisais plusieurs propositions, dont l'une me paraît très importante. Lorsque j'étudiais la question à titre personnel, un événement a attiré mon attention : le 25 janvier 2009, neuf pays de la Corne de l'Afrique ont signé le code de conduite de Djibouti, document dans lequel ces pays exprimaient le souhait d'être aidés sur différents points : formation de gardes côtes, acquisition de patrouilleurs et de radars, ouverture de centres d'information à Sana'a, à Dar es Salam et à Mombasa. J'ai alors pensé que la France pourrait présenter un projet propre, quitte à le compléter par la suite grâce à l'apport d'autres pays européens. Je me suis donc rendu à Djibouti, en octobre 2009, avec Pierre Lellouche, pour y rencontrer le Président de la République et différents ministres, qui se sont dits intéressés par l'idée. Je suis ensuite allé à Bruxelles pour savoir s'il ne serait pas possible de bénéficier d'une aide européenne. Nous avons à cette occasion été auditionnés, M. Lellouche et moi-même, par le parti populaire européen. Restait à savoir quelle position adopteraient les industriels de la défense. J'ai donc réuni les principaux – DCNS, Thalès, EADS, V-Navy, Altran, etc. – pour leur demander de mettre sur pied un projet commun, français, qui pourrait associer à terme d'autres pays européens. Contre toute attente, j'ai obtenu assez facilement leur accord. J'en ai parlé à Christian Estrosi, qui a réuni l'ensemble des partenaires, puis au Président de la République. Ainsi est né le projet Seaphora, qui est actuellement en cours d'expertise à l'Élysée et au niveau interministériel. Un consortium a été constitué et nous souhaitons que ce travail débouche sur l'organisation d'une conférence interrégionale, à Djibouti par exemple. Les industriels n'attendent pas de l'argent mais un signe d'intérêt de la part de l'État français.
J'ajoute que ce projet ne nuit nullement aux accords nationaux ou internationaux. À cet égard, la mission confiée à Jack Lang m'apparaît comme un élément tout à fait intéressant.
Nous ne pourrons faire l'économie d'un débat au Parlement sur les sociétés de sécurité privées. On peut à la rigueur admettre leur intervention dans le territoire ou les eaux territoriales d'États de droit mais, comme le souligne l'amiral Forissier, leur présence peut être très dangereuse dans des pays comme la Somalie.
Monsieur le président, je suis à votre disposition pour présenter à la Commission l'état d'avancement des travaux que je mène pour le compte des Nations Unies. Je tiens à féliciter M. Ménard pour le travail remarquable qu'il a accompli. Partout où je me suis rendu, j'ai entendu louer son ouverture d'esprit et la qualité de son approche.
Ce projet de loi est un texte intéressant qui vient combler un vide juridique. Mais la France et les autres pays européens que vous avez cités ne sont pas les seuls à souffrir d'une lacune de leur droit. Il y a quelques mois, les États-Unis n'ayant pas ratifié la convention de Montego Bay, un tribunal de l'Alabama a été conduit à appliquer une définition de la piraterie datant de 1850. C'est vous dire la modernité de la législation américaine sur ce sujet ! Depuis, des débats ont eu lieu qui amèneront peut-être les États-Unis à admettre qu'il faut adapter le droit à l'évolution des événements.
Comme l'ont indiqué les orateurs précédents, la situation s'aggrave, tant au regard du nombre d'actes de piraterie que de la violence déployée. Récemment, des pirates ont capturé un navire japonais et s'en sont servis pour agresser un navire coréen. Je relève au passage que la Corée a eu tort d'accorder une rançon élevée. Les pirates sont de plus en plus assurés et de mieux en mieux équipés. La communauté internationale doit réagir avec force. Or, je constate un manque de volonté politique suffisamment forte pour gagner cette bataille. Malgré les efforts remarquables entrepris par nos forces, en particulier dans le cadre de l'opération Atalante, la situation n'est pas satisfaisante, notamment pour des raisons tenant à des questions de droit : huit pirates sur dix capturés sont rendus à la liberté, ce qui favorise un sentiment d'impunité et amène les commanditaires à s'enhardir. Nous devons inverser le cours des choses en prenant des mesures nationales et internationales. C'est ce que fait notre pays avec ce texte.
La mondialisation est une « maritimisation » du monde. Aujourd'hui, 90 % des produits manufacturés transitent par bateaux. Lorsque ces richesses passent au large de pays en proie à l'insécurité, à la misère et au sous-développement, qui de surcroît ne sont pas des États de droit, cela provoque les difficultés que nous connaissons. Notre approche consiste à nous intéresser aux conséquences du problème, mais il faudra bien un jour nous attaquer à ses causes. Si les pêcheurs de ces pays se reconvertissent dans la piraterie, c'est tout simplement pour survivre. Par conséquent, il faut certainement renforcer notre arsenal juridique pour donner à nos forces les moyens d'agir, mais nous devrons également engager une réflexion plus large. En attendant, le groupe Nouveau Centre soutiendra bien sûr ce projet de loi, qui va dans le bon sens, et il s'associe aux éloges adressés au rapporteur.
Quid de la sécurité et du statut juridique des plateformes, dérivantes ou non, qu'elles se trouvent dans des zones économiques exclusives ou dans les eaux internationales ? Dans le golfe de Guinée, les États n'ont pas toujours les moyens d'intervenir en mer, faute d'une marine fiable et intègre. Quelles sont nos possibilités d'intervention dans ce secteur, où deux de nos compatriotes ont été récemment enlevés ?
Les plateformes pétrolières, dont la majorité sont situées dans les eaux territoriales, sont surtout confrontées à des actes de brigandage. Elles n'entrent pas dans le cadre de la convention de Montego Bay. Cela dit, il faudra trouver des solutions car le golfe de Guinée devient de plus en plus dangereux. En Somalie, la plupart du temps, les otages finissent par être libérés, tandis que les événements survenus dans cette zone sont de plus en plus violents.
Les intéressés agissent avec les moyens du bord : ainsi Total recourt à des militaires nigérians pour surveiller les bateaux, avec les risques que cela comporte. Lorsque je me suis rendu au Nigeria, j'ai été surpris par la dangerosité qui règne dans ce pays.
Le problème de la piraterie est à terre, cela se vérifie en Somalie comme dans le golfe de Guinée. Ces États sont souvent affaiblis par la corruption, présente à tous les échelons de la vie politique. Il est donc parfois très difficile de coopérer efficacement avec nombre de ces pays, à l'exception peut-être du Cameroun, qui manifeste la volonté d'en sortir. Les Camerounais ont créé un bataillon d'intervention rapide (BIR), qui intervient dans la presqu'île de Bakassi. Mais lorsque j'ai demandé de quelle façon les pirates étaient jugés, on ne m'a pas répondu. Probablement n'y en a-t-il plus une fois que le BIR est passé…
Je salue la passion qui anime notre collègue Ménard et la clarification juridique apportée par ce texte. Je voudrais néanmoins revenir sur un point qu'a évoqué le rapporteur : notre pays a été condamné par la Cour européenne des droits de l'Homme au motif que le procureur n'était pas une autorité judiciaire. Le nouveau régime instauré par ce projet de loi s'agissant de la détention des personnes à bord des navires s'applique bien entendu aux actes de piraterie ; mais a-t-il également vocation à s'appliquer aux personnes appréhendées dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants en mer ou contre l'immigration illégale par voie maritime ?
Dans l'arrêt Medvedyev de 2008, la Cour européenne des droits de l'Homme a en effet estimé que le procureur, dépendant du pouvoir exécutif, ne pouvait être qualifié d'autorité judiciaire au sens de la convention. La procédure prévue par le texte est la suivante : le commandant du navire qui met en oeuvre des mesures de restriction ou de privation de liberté fait appel au préfet maritime ou au délégué pour l'action de l'État en mer, lequel informe le procureur, qui doit saisir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures. Ce dernier statue à intervalles réguliers – tous les cinq jours – sur la nécessité de maintenir ces mesures.
Ce régime de détention à bord s'applique-t-il également aux personnes interpellées dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants en mer ou contre l'immigration illégale ?
Il s'applique aux différents piliers de la loi de 1994, ce qui inclut donc l'immigration clandestine et le narcotrafic.
Ce texte va dans le bon sens, même s'il peut encore être amélioré. La multiplication des actes de piraterie a conduit au lancement de l'opération navale Atalante en décembre 2008. Les atteintes à la sécurité des personnes et des biens sont intolérables, quand bien même elles s'expliquent par la misère des populations. Ce projet de loi qui définit un cadre juridique pour lutter contre la piraterie et adapte notre organisation pénale aux conventions internationales est donc pleinement légitime. Il ne résout cependant pas tous les problèmes : il faut agir non seulement sur les effets, mais aussi sur les causes.
Nous devons en effet nous intéresser aux vraies causes du phénomène. La pauvreté en est évidemment une, très réelle. Mais des pirates, nous en avons eu aussi dans le Finistère il y a longtemps, à l'île de Sein, tout simplement parce que la piraterie est un moyen de faire de l'argent facile. On accuse certains pays européens et asiatiques d'avoir appauvri les fonds marins du secteur – c'est aussi un facteur à prendre en considération. Le projet Seaphora prend justement en compte ces questions de pêche et d'environnement. C'est essentiel : tant que l'on n'aura pas apporté de réponse à terre, on ne pourra résoudre le problème de la piraterie. Ce sera difficile, mais nous devrions quand même y parvenir d'ici dix à quinze ans.
La Commission en vient à l'examen des articles.
CHAPITRE IER
Dispositions modifiant la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer
Article 1er(Supprimé)
Pour des raisons purement rédactionnelles, le Sénat a supprimé cet article. Le titre Ier de la loi de 1994 ayant été abrogé, nos collègues sénateurs ont jugé préférable d'y insérer à la place les dispositions nouvelles relatives à la piraterie, et donc de renoncer à créer un nouveau titre IV, ce que prévoyait initialement cet article. J'approuve donc entièrement cette décision.
La Commission maintient la suppression de cet article.
Article 2
(Articles 25, 26, 27,28, 29 et 30 nouveaux du titre IV de la loi n°94-589 du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer)
Répression de la piraterie maritime
La Commission examine d'abord l'amendement DF 2 du rapporteur.
Cet amendement élargit les possibilités d'intervention en incluant les eaux territoriales françaises. Il s'agit de permettre à la marine d'intervenir, le cas échéant, contre des actes de piraterie maritime commis dans des zones où l'État ne dispose que de peu de moyens de protection. On sait bien que les côtes de l'Hexagone sont protégées, notamment par la gendarmerie maritime ; mais dans le canal du Mozambique ou au large des Îles Éparses, où celle-ci n'est pas présente, il est important que la marine puisse intervenir dans les mêmes conditions qu'en haute mer.
Cet amendement a tout son sens. J'ai été commissaire de la marine dans le secteur de Juan-de-Nova, Tromelin, Europa… Il est évident qu'on ne peut pas y appliquer le code de procédure pénale de la même façon qu'en métropole. À encadrer trop strictement le dispositif, on risque de perdre en réactivité face aux pirates. Lorsque le code de procédure pénale ne peut pas s'appliquer compte tenu de l'éloignement – et dans ce cas seulement –, cette nouvelle possibilité d'intervention me semble bienvenue. Je soutiens donc pleinement l'amendement.
J'entends bien votre argument d'efficacité, mais cela pose un problème d'ordre constitutionnel : admettre que le code de procédure pénale ne s'applique pas sur le territoire de la République française, c'est admettre un droit d'exception, et la disposition sera à coup sûr invalidée par le Conseil constitutionnel.
Dans la logique que vous défendez, le code de procédure pénale devrait s'appliquer également aux Somaliens retenus sur les bateaux – ce qui n'est pas possible. Il faut accepter que les conditions pratiques ne soient pas les mêmes dans toutes les circonstances et dans tous les lieux.
Mais ces pirates se trouvent dans les eaux internationales. Il s'agit là d‘étendre le régime de la convention de Montego Bay au territoire métropolitain. Je comprends fort bien vos arguments ; mais vous ne pouvez considérer que des pirates pris en haute mer et des pirates pris dans les eaux territoriales relèvent du même régime juridique.
Le droit actuel ne permet pas de répondre pleinement à ce que souhaitent nos marins pour ce qui est des eaux territoriales. Par exemple, ils n'ont pas la possibilité de constater une action en préparation, ils ne peuvent agir qu'en état de flagrance ; or ces îles sont des territoires parfaits pour préparer des actes de piraterie. De plus, la flagrance n'autorise pas un recours à la force tout à fait satisfaisant, s'inscrivant essentiellement dans le seul cadre de la légitime défense. Il est donc important de sécuriser juridiquement l'action des forces opérationnelles en les habilitant à constater les infractions et en encadrant leurs modalités d'intervention, y compris à titre préventif. L'intérêt de ce projet de loi est justement de permettre de juger les pirates qui préparent un acte illégitime.
En droit pénal français, on n'est coupable que lorsqu'il y a conjonction de deux éléments : l'élément intentionnel et l'élément matériel. On ne peut tout de même pas échafauder des dispositifs où l'on va prêter à quelqu'un l'intention d'un acte qui n'est pas commis…Nous devons rester dans le cadre de notre droit pénal.
Oui, mais dans le cadre des incriminations prévues par le code pénal !
Cet amendement est vraiment important et il répond à des cas de figure dont nous devons tenir compte. Je pense donc qu'il faut le voter, quitte à en rediscuter lors de la deuxième lecture au Sénat.
Mais on tire au canon dans les eaux territoriales ! Je me souviens qu'en 1982, des pêcheurs espagnols s'y trouvant, le préfet maritime de Brest avait fait tirer sur eux et qu'un d'entre eux avait eu un membre emporté. Je me trouvais à ce moment-là à une réunion en Espagne et je n'en menais pas large… Le droit aurait-il donc changé ?
Le ministre a raison : en l'état, cet amendement ne manquerait pas d'être invalidé par le Conseil constitutionnel. Pourquoi ne pas profiter du délai qui nous sépare du débat en séance publique pour travailler avec le cabinet du ministre à une rédaction plus conforme au droit ?
Merci pour cette médiation, monsieur Cazeneuve… Je demande donc à M. le rapporteur de bien vouloir retirer son amendement.
L'amendement est retiré.
La Commission examine ensuite l'amendement DF 3 du rapporteur.
Cet amendement vise à rapprocher la définition des actes de piraterie de celle qu'en donne la convention de Montego Bay, tout en élargissant le spectre des possibilités, notamment à celle – très improbable – de l'attaque d'un aéronef par un autre aéronef. Tous les risques seraient ainsi pris en compte.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement DF 4 du rapporteur.
Cet amendement vise à substituer aux termes « sérieuses raisons » l'expression « motifs raisonnables ». Les juges français sont davantage habitués à cette formulation, qui figure déjà dans la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités d'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer. Dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic, les agents de l'État s'appuient également sur des « motifs raisonnables ». Au surplus, la traduction française « sérieuses raisons » ne reflète pas exactement la notion anglaise de « serious reasons ». Enfin, cet amendement présenterait l'avantage de mieux prendre en compte les impératifs opérationnels.
Compte tenu des qualités d'angliciste de Christian Ménard, je ne puis que m'incliner.
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine ensuite les amendements DF 7 de M. Gilbert Le Bris et DF 11 du Gouvernement.
Notre amendement vise à sécuriser la situation juridique des commandants de bâtiments de l'État – navires militaires la plupart du temps – qui seraient conduits à faire procéder à la destruction d'embarcations de pirates. Les moyens de communication actuels leur permettent en effet de solliciter l'accord de l'autorité judiciaire.
Rédactionnel, l'amendement du Gouvernement tend simplement à améliorer la proposition de M. Le Bris.
Suivant l'avis favorable du rapporteur, la Commission adopte successivement les deux amendements.
Elle en vient à l'amendement DF 8 de M. Gilbert Le Bris.
Cet amendement vise à mettre le projet de loi en conformité avec notre code de procédure pénale. Notre pays se refuse à remettre des personnes à un État qui pratique la peine de mort. Nous demandons qu'il en aille de même dans ces circonstances. Il existe en effet dans les zones concernées des États – ainsi l'île Maurice – qui n'ont pas encore aboli la peine capitale.
Cet amendement, défendu au Sénat par Robert Badinter, y a été rejeté. En effet, la France est signataire de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Or lorsqu'il y a remise de pirates par exemple au Puntland, celle-ci se fait après échange de notes verbales avec le gouvernement fédéral de transition de la Somalie, cela afin de s'assurer en particulier qu'il n'y aura ni exécution ni torture. Parmi les propositions émises à l'heure actuelle figure la création de tribunaux somaliens, délocalisés ou établis au Puntland ou encore au Somaliland. Pour m'être rendu dans certaines de ces contrées, je puis vous dire que les pirates préfèrent être jugés au Puntland plutôt qu'en France, les peines prononcées pour piraterie y étant appliquées de façon plus libérale qu'ailleurs. J'émets donc un avis défavorable.
Votre conclusion ne semble pas logique : si la peine est plus légère dans les pays d'origine, il ne faut pas leur remettre les pirates !
Même avis que le rapporteur, tout étant prévu dans les conventions que la France a ratifiées – et qui ont une force supérieure à la loi.
La Commission rejette l'amendement.
Elle adopte ensuite l'article 2 modifié.
TITRE Ier
DE LA LUTTE CONTRE LA PIRATERIE MARITIME
Article 2 bis
(Loi n° 94–589 du 15 juillet 1994)
Modification de l'intitulé de la loi du 15 juillet 1994
La Commission adopte l'article sans modification.
Article 3
(Articles 12 et 19 de la loi n°94–589 du 15 juillet 1994).
Champ d'application de la répression du trafic de stupéfiants et de l'immigration illégale par mer
La Commission adopte l'article sans modification.
CHAPITRE II
Dispositions modifiant le code pénal et le code de procédure pénale
Article 4
(Article 224–6–1 nouveau du code pénal)
Aggravation de la peine encourue en cas de détournement de navire commis en bande organisée
La Commission adopte l'article sans modification.
Article 5
(Article 706–73 du code de procédure pénale).
Compétence des juridictions interrégionales spécialisées en matière de répression des actes de piraterie commis en bande organisée
La Commission adopte l'article sans modification.
CHAPITRE III
Dispositions modifiant le code de la défense
Article 6
(Article L. 1521–1 de la section 1 et articles L. 1521-11, L.1521-12, L. 1521-13, L. 1521-14, L. 1521-15 et L. 1521-16 nouveaux de la nouvelle section 3 du chapitre unique du titre II du Livre V de la première partie du code de la défense)
Création d'un régime sui generis pour la consignation à bord des personnes appréhendées dans le cadre de l'action de l'État en mer
La Commission adopte l'amendement rédactionnel DF 9 du rapporteur.
Elle adopte ensuite l'article 6 ainsi modifié.
CHAPITRE III BIS
Dispositions relatives aux enfants des victimes d'actes de piraterie maritime
Article 6 bis
(Titre IV du Livre III du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre)
Reconnaissance de la qualité de pupille de la Nation aux enfants des victimes d'actes de piraterie.
La Commission adopte l'article sans modification.
CHAPITRE IV
Dispositions finales
Article 7
Champ d'application territorial
La Commission adopte l'article sans modification.
La commission adopte l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.
Amendements examinés par la Commission
Amendement DF2 présenté par M. Christian Ménard, rapporteur
Article 2
Substituer à l'alinéa 7 les deux alinéas suivants :
« 3° Dans les eaux territoriales de la République ;
4° Dans les eaux territoriales ou archipélagiques d'un autre État, lorsque le droit international l'autorise ».
Amendement DF3 présenté par M. Christian Ménard, rapporteur
Article 2
À l'alinéa 9, substituer aux mots « deux navires ou un navire et un aéronef » les mots « un navire ou un aéronef dirigé contre un navire ou un aéronef ».
Amendement DF4 présenté par M. Christian Ménard, rapporteur
Article 2
À l'alinéa 12, substituer aux mots « de sérieuses raisons » les mots « des motifs raisonnables ».
Amendement DF7 présenté par M. Gilbert Le Bris et les membres du groupe SRC
Article 2
À l'alinéa 18, après le mot « procéder », insérer les mots « sur autorisation du procureur de la République ».
Amendement DF8 présenté par M. Gilbert Le Bris et les membres du groupe SRC
Article 2
Compléter ainsi l'alinéa 20 :
« Toutefois, ils ne peuvent être remis aux autorités d'un État où la peine encourue serait plus sévère qu'en France, ni lorsque la législation ou la situation intérieure de l'État concerné ne leur garantit pas un procès équitable. »
Amendement DF9 présenté par M. Christian Ménard, rapporteur
Article 6
À l'alinéa 14, avant les mots « le temps nécessaire » insérer le mot « durant ».
Amendement DF11 présenté par le Gouvernement
Article 2
Au début de l'alinéa 18, ajouter les mots « Après la saisie autorisée à l'alinéa précédent, ».
La séance est levée à dix-huit heures quinze.