Ce projet de loi attendu vise en effet à adapter notre droit à la piraterie maritime, une menace dont chacun connaît la gravité. Je porte sur ce texte une appréciation très positive : il me semble équilibré et en mesure de répondre aux attentes des juges comme des militaires, en mettant à profit les possibilités que nous offre le droit international.
Il réalise une première avancée en donnant une définition de la piraterie en droit français, ouvrant ainsi à nos tribunaux la faculté d'en juger. Il faut en effet rappeler que notre droit n'incrimine plus la piraterie en tant que telle depuis qu'en 2007, une loi de simplification du droit a abrogé la loi du 10 avril 1825 relative à la sûreté de la navigation et du commerce maritime. Or, un an après cette abrogation, certains de nos compatriotes ont été pris en otage, à bord du Ponant tout d'abord, puis du Carré d'As et du Tanit. Dans tous ces cas, les pirates ont été arrêtés par nos commandos – assistés, s'agissant du Ponant, par le GIGN – avant d'être conduits en France avec l'accord du gouvernement somalien, où ils seront jugés pour des crimes « classiques » du droit pénal, tels que le vol à main armée, l'enlèvement et la séquestration.
Le projet de loi retient différentes incriminations existantes pour les qualifier de piraterie, dès lors qu'elles sont commises dans les conditions décrites par le droit international. Ces infractions sont limitativement énumérées dans le texte, qui se réfère aux articles 224-6, 224-7 et 224-8-1 du code pénal.
La définition de la piraterie en droit international nous est donnée par la convention de Montego Bay : il s'agit des actes de vol et de violence commis à l'encontre de navires ou d'aéronefs et de leurs équipages à des fins privées commis « en haute mer ». Le projet de loi ajoute, sous réserve que le droit international le permette, les eaux territoriales d'autres États, afin de tenir compte de la situation particulière des eaux somaliennes, régies par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
La convention de Montego Bay permet aux États d'exercer la compétence la plus large pour juger des actes de piraterie. Ainsi, le projet de loi nous propose de conférer aux tribunaux français une compétence « quasi universelle ». Concrètement, ils pourront juger d'infractions relevant de la piraterie si elles impliquent des ressortissants français – c'est le lien de rattachement classique du droit pénal – mais également des ressortissants étrangers, à la condition que des forces militaires françaises soient intervenues. En revanche, le projet ne permet pas à nos tribunaux de juger des pirates qui, ayant attaqué des ressortissants étrangers, auront été arrêtés par des forces militaires étrangères.
En outre, nos forces disposeront désormais d'une habilitation claire pour intervenir face à ce type d'infraction. C'est la deuxième grande avancée de ce texte. En effet, la loi du 15 juillet 1994 qui régit l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer ne comporte aujourd'hui que deux piliers : l'un traite de la lutte contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes, l'autre de la lutte contre l'immigration illégale par mer. Le projet de loi en ajoute un troisième, relatif à la lutte contre la piraterie maritime. Outre qu'il définit l'infraction, il comporte des dispositions habilitant les commandants de navires à prendre ou à faire prendre les mesures de contrôle et de coercition permises par le droit international. Ils pourront le faire pendant qu'un acte est en cours, après qu'un acte aura été commis, mais aussi si un acte est en phase de préparation, ce qui est une nécessité absolue pour éviter une prise d'otages.
Ensuite, le projet de loi décrit les conditions dans lesquelles les pirates présumés peuvent être consignés à bord, pour le temps strictement nécessaire à leur remise aux autorités judiciaires, françaises ou étrangères. Dans ce cadre comme pour les deux autres piliers de la loi de 1994, il tient compte des critiques formulées par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui, dans son arrêt Medvedyev de 2008 a condamné la France au motif que la consignation d'une personne arraisonnée dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants contrevenait à la convention. La Cour a en effet estimé que la privation de liberté n'avait pas été décidée par une autorité judiciaire suffisamment indépendante – il s'agissait en l'occurrence du procureur de la République. Le projet de loi fait donc intervenir dans les 48 heures le juge des libertés et de la détention, qui autorisera ou non la consignation à bord, et devra renouveler cette autorisation tous les cinq jours.
Le texte précise les droits des pirates présumés : examen de santé, examen médical, information dans une langue qu'ils comprennent.
Enfin, le Gouvernement y a ajouté une disposition étendant aux enfants des victimes d'actes de piraterie la qualité de pupille de la Nation.
Comme je vous l'ai dit, mon jugement sur ce projet de loi est très favorable. J'en ai évoqué les enjeux avec des interlocuteurs très différents : marins, juristes, magistrats, acteurs du monde économique. J'ai aussi rencontré un certain nombre de pirates présumés, au Kenya, en Somalie et à la prison de Fresnes. Je me suis intéressé à la situation qui prévaut au large de la Somalie mais également dans d'autres parties du globe, notamment dans le golfe de Guinée. Avec l'accord du président Teissier, je vous présenterai dans quelques semaines un exposé sur l'état de la piraterie dans ces zones. Pour l'heure, je me bornerai à insister sur quelques points en rapport avec ce projet.
Tout d'abord, nous devons nous assurer que notre marine peut intervenir le plus largement possible dans nos eaux territoriales les plus éloignées dans les cas où des actes de vol à main armée y seraient commis. De ce point de vue, la situation ne semble pas parfaitement claire.
Par ailleurs, le seuil de déclenchement des actions de contrôle et de coercition paraît inutilement restrictif – c'est tout le problème posé par l'expression « sérieuses raisons », sur laquelle nous allons revenir.
Ensuite, le Gouvernement doit envisager la possibilité d'autoriser les armées à conserver les biens saisis à des pirates condamnés, à des fins d'entraînement comme cela se pratique au profit de la gendarmerie ou des douanes.
Enfin, nous devons engager une large réflexion sur l'activité des sociétés de sécurité privées, qui se développent en dehors de nous. Il me paraît fondamental que le Parlement français participe au débat sur le sujet, sans aucun a priori idéologique.
Pour conclure, le projet de loi présente le double intérêt de répondre aux problèmes qui se posent tout en ouvrant des pistes de réflexion particulièrement intéressantes. C'est pourquoi j'en recommande l'adoption.