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Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Séance du 22 novembre 2007 à 9h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l'audition, ouverte à la presse, de M. le Professeur Robert Nicodème, membre du Conseil national de l'Ordre des médecins, vice-président de la section formation et compétences médicales.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale pour cette audition qui s'inscrit dans le travail qu'effectue notre mission sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

En effet, notre mission se penche sur le problème du médicament en France. Et c'est à dessein que je parle de « problème » car nous savons bien qu'il existe, en particulier par rapport à nos voisins européens, une hyperconsommation qui a des conséquences sur les comptes de la sécurité sociale. Le but de cette étude est donc d'en comprendre les raisons pour, si possible, trouver des solutions.

Nous tenions tout particulièrement à auditionner l'Ordre des médecins – le tour de l'Ordre des pharmaciens viendra bientôt –, tout simplement parce qu'ils sont les principaux prescripteurs de médicaments.

Pourriez-vous en premier lieu nous indiquer quelle est la durée moyenne d'une consultation chez un médecin généraliste ?

PermalienRobert Nicodème

Je suis particulièrement sensible à votre invitation et il est particulièrement intéressant pour un médecin qui a plus de trente années d'expérience de parler devant vous du médicament.

En moyenne, les médecins généralistes effectuent trois à quatre consultations par heure. Leur activité est de vingt consultations par jour, cinq jours par semaine.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

J'avais pour ma part entendu parler d'une durée de sept minutes pour une consultation…

PermalienRobert Nicodème

Les données varient considérablement en fonction des territoires. S'il est facile d'établir une moyenne nationale grâce aux données de l'assurance maladie, on se rend compte que dans certaines régions de moindre densité médicale, on arrive jusqu'à 40 ou 50 consultations par jour.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Savez-vous combien, toujours en moyenne, les médecins reçoivent de visiteurs médicaux chaque année ?

PermalienRobert Nicodème

Non et j'ignore si quelqu'un le sait. Il est vrai que le nombre de visites est important, mais les médecins savent les réguler eux-mêmes : ils reçoivent deux ou trois visiteurs par semaine ou un par jour, en début de consultation. Néanmoins il faut aussi savoir que les laboratoires ont recours à des visiteurs différents pour présenter les mêmes médicaments.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Les généralistes sont-ils confrontés à des difficultés dans leur formation continue ? Le Conseil de l'Ordre s'est-il penché sur cette question ? Pouvez-vous nous présenter un tableau de cette formation et des voies choisies par les médecins libéraux ?

PermalienRobert Nicodème

Les ordonnances Juppé de 1996 avaient prévu la mise en place d'un Conseil national de la formation médicale continue (FMC), mais celui-ci a fait long feu en raison de problèmes de financement et de difficultés à trouver des référents.

La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a institué trois conseils nationaux : un pour les médecins libéraux, un autre pour les médecins salariés et un troisième pour les médecins hospitaliers. Ils doivent être chapeautés par un comité de coordination, mais nous attendons toujours les décrets d'application pour mettre en place les conseils régionaux de la FMC, qui seront adossés aux conseils régionaux de l'Ordre, ce dernier en assurant le financement.

L'objectif est d'améliorer la formation médicale continue et l'évaluation des pratiques professionnelles, qui seront obligatoires dès le début de l'année prochaine pour chaque médecin, qu'il soit libéral, salarié ou hospitalier.

PermalienPhoto de Jean Mallot

Comment sont déterminées les priorités en matière de formation ? On comprend que les médecins souhaitent eux-mêmes se former dans un certain nombre de domaines, mais la puissance publique, y compris l'Ordre des médecins, doivent aussi pouvoir faire passer leur priorité au sein du système de formation.

PermalienRobert Nicodème

Les priorités varient selon les spécialités. Globalement, il faut veiller à l'actualisation des connaissances en matière de diagnostic et de thérapeutiques, qu'il s'agisse d'inciter à renoncer à certaines techniques de prise en charge qui n'ont pas véritablement prouvé un bénéfice pour le patient ou qui ont été à l'origine d'effets indésirables, ou de mettre en place de nouvelles activités et de nouveaux modes de prise en charge.

Bien évidemment, les priorités concernent aussi le médicament.

PermalienPhoto de Jean Mallot

Peut-on imaginer que les autorités qui ont en charge ce secteur décident que, pour une période donnée, la formation des médecins se concentrera sur tel ou tel aspect, par exemple pour les amener à modifier leurs habitudes de prescription ?

PermalienRobert Nicodème

La prescription de médicaments évolue. Par exemple, la prescription des nouveaux anti-inflammatoires connus sous le nom de Coxibs a été complètement modifiée après la mise en évidence d'événements indésirables. De même, à la suite de l'intervention de la Haute Autorité de santé (HAS), la stratégie thérapeutique a beaucoup évolué en ce qui concerne le traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause. Il s'agit bien là d'orientations ciblées.

S'agissant encore de la formation continue, on peut s'étonner que soient désormais appelées à coexister une formation continue conventionnelle, rémunérée au motif qu'elle correspond aux thèmes fixés par l'assurance maladie, et une formation continue obligatoire non rémunérée, bien qu'elle poursuive en fait les mêmes objectifs.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Pourriez-vous nous indiquer concrètement à combien d'heures de formation correspondent ces FMC obligatoires et conventionnelles ? Ce qui nous intéresse est de savoir, au-delà des textes, quelle est la formation continue dont bénéficient effectivement les médecins sur le terrain.

J'aimerais aussi connaître votre sentiment sur les logiciels d'aide à la prescription.

PermalienRobert Nicodème

La durée de la FMC est codifiée par le Conseil national sous forme de crédits de formation. Je ne dispose pas ici des chiffres exacts mais je vous les ferai parvenir. Chaque médecin doit recevoir un certain nombre de ces crédits pour valider sa FMC obligatoire. Le système impose également une évaluation, collective ou individuelle, des pratiques professionnelles. Ces obligations ne sont pas très lourdes.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Au-delà du montant des crédits de formation, ce qui nous intéresse est de savoir à quoi ils correspondent dans les faits, même si nous sommes conscients qu'il faut s'attendre à une montée en charge de ce nouveau dispositif.

PermalienRobert Nicodème

Ces informations existent et je vous les adresserai également.

Nous ferons par la suite l'évaluation de ce dispositif.

Il existe en effet des logiciels de prescription, dont le plus connu est édité par Vidal. D'autres logiciels jouent un rôle beaucoup plus précis et leur diffusion est plus confidentielle. C'est par exemple le cas de ceux qui calculent la dose de traitement d'antivitamine K et d'anticoagulant en fonction des résultats biologiques de la coagulation sanguine ou de ceux qui déterminent le risque cardio-vasculaire pour savoir s'il faut ou non traiter. L'ensemble de ces logiciels sont édités soit par le groupe Vidal soit par l'industrie pharmaceutique.

S'agissant plus particulièrement du médicament et de la prescription, j'observe que les structures en place travaillent toujours avec un temps de retard. Ainsi, l'industriel qui lance une nouvelle molécule mène des études rigoureuses au vu desquelles il demande une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne qui est ensuite validée par la France. De la sorte, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et la HAS étudient les programmes validés par les industriels mais elles-mêmes ne produisent aucune étude sur le médicament. Pourtant, pour rigoureuses qu'elles soient, ces études sont parfois éloignées de la vraie vie en ce qu'elles retiennent des critères d'exclusion importants, dans la mesure où, pour apprécier les états d'un médicament donné, il est légitime d'éviter les interférences. Or, dans la vraie vie les interférences sont fréquentes.

En ce qui concerne la toxicité du médicament, il existe un certain nombre d'événements indésirables. Reprenons l'exemple des Coxibs, qui ont été un des groupes de médicaments les plus vendus ces dernières années et qui ne le sont pratiquement plus, le dernier venant d'être retiré du marché. En fait, les évènements indésirables ont été observés, à un moment où le produit était déjà très largement utilisé, alors même que, pour un coût élevé, son service médical rendu (SMR) était comparable à celui des autres anti-inflammatoires.

N'oublions pas qu'il n'y a guère chaque année qu'un ou deux médicaments vraiment innovants mais qu'il en sort des dizaines qui appartiennent à des classes thérapeutiques existantes. Les centres de pharmacovigilance travaillent précisément à l'amélioration du service médical rendu (ASMR), qui est notée de 1 à 5, et je rends hommage au travail accompli à Toulouse par le professeur Montastruc, qui avait levé le lièvre des Coxibs deux ans et demi avant tout le monde.

Pour l'instant, aucun logiciel ne mentionne l'ASMR, alors que ce serait de nature à aider le prescripteur.

Ce qui gêne aussi le prescripteur c'est le trop grand nombre de médicaments par classe thérapeutique. Si l'on prend l'amoxicilline, pénicilline qui a été un grand progrès il y a plus de vingt-cinq ans et qui marche toujours très bien, il y en a plus de cinquante sur le marché. Les hôpitaux ont fait le ménage : au sein d'une classe, ils choisissent un seul produit. Dans le secteur libéral, on a les 50 amoxicillines et on demande aux médecins de faire le choix. Il me semble que, sans retirer pour autant les autres produits du marché, l'assurance maladie pourrait quand même décider que c'est tel médicament qui rend le meilleur service et qui a le meilleur rapport coût-efficacité. Un logiciel qui serait élaboré par une structure indépendante pourrait y aider.

Vous m'avez également interrogé sur l'articulation avec la HAS. Celle-ci marque incontestablement un grand progrès au plan professionnel : elle permet aux médecins de disposer de recommandations claires qui les aident. Cela étant, il en manque beaucoup. Par exemple quand on pose la question de savoir s'il faut donner des hypolipémiants pour faire baisser le taux de cholestérol chez les personnes de plus de 80 ans, personne n'apporte de réponse. Un grand nombre de patients concernés sont sous statines, avec une bonne efficacité sur le taux de cholestérol, mais quand on en discute de façon scientifique au plus haut niveau, personne n'est capable de dire si c'est ou non ce qu'il faut faire.

Même si l'on ne dispose pas de référence scientifique solide, il me semble que la Haute Autorité de santé pourrait donner une orientation, par exemple en disant que lorsqu'une personne va bien après 80 ans, même avec 3 grammes de cholestérol, il n'est pas nécessaire de la traiter. Cela apporterait une véritable aide et ferait diminuer la prescription de médicaments.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

On sait que les industries pharmaceutiques investissent chaque année environ 25 000 euros par médecin dans le cadre de la visite médicale. Pensez-vous que celle-ci est trop prégnante dans les cabinets ? Un récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) est assez critique à l'égard de cette pratique ; c'est un sujet qui nous intéresse tout particulièrement et nous aimerions avoir votre avis à ce propos.

PermalienRobert Nicodème

Les grandes études scientifiques sur les médicaments sont faites par l'industrie. Les grands congrès mondiaux qui font autorité dans les spécialités n'existent que par l'industrie. Bien entendu, les visiteurs médicaux s'appuient sur ces références, c'est-à-dire sur les travaux réalisés par leurs entreprises et par les interventions favorables à leurs produits effectuées à l'occasion des congrès. Or, si les progrès sont indéniables, il est évident que le coût pourrait être beaucoup amélioré au bénéfice de l'assurance maladie.

On dit souvent que la prescription médicamenteuse est une prescription technique : il y a un examen, un diagnostic et l'on prescrit le médicament qu'il faut. Il n'y a donc là rien de magique. Pourtant, une revue sérieuse titrait récemment sur « l'art de transformer les perceptions en prescriptions »… On retrouve là toute la dimension non scientifique de la prescription médicale, qui correspond à une demande des patients, pour lesquels il y a en effet une part de magie ou d'irréel, ainsi qu'une représentation de la maladie et du médicament qui peuvent induire une demande. Et c'est peut-être ainsi que, lorsqu'une personne âgée est en pleine forme mais a un peu de cholestérol, le médecin est tenté de prescrire une statine. C'est là qu'intervient l'effet de la visite médicale, qui a montré tous les bénéfices que pouvait avoir un médicament donné, qui a donné un grand nombre d'arguments scientifiques que le médecin a, consciemment ou inconsciemment, intégré et transformé en prescription.

D'ailleurs la visite médicale marche très bien : plus il y en a, plus on prescrit. Qui plus est – on rejoint là la question sur la HAS –, il n'existe pas de contre-pouvoir à cette action de l'industrie pharmaceutique. Cela serait pourtant possible, par une meilleure articulation entre la HAS, l'AFSSAPS et le conseil scientifique de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Ainsi pourrait-on, si ce n'est produire des recommandations scientifiques, au moins aider les médecins en leur donnant des orientations dans les domaines qui ne sont pas scientifiquement démontrés. Ce serait une bonne chose et un logiciel pourrait y aider.

PermalienPhoto de Pierre Morange

On voit bien qu'il y a là un triptyque avec d'une part la recommandation sur la prescription médicale, et l'idée d'y intégrer le SMR, d'autre part la formation, à propos de laquelle vous constatez que l'on part d'assez bas, ce qui pourrait nous amener à formuler des préconisations, et enfin l'évaluation. Comment articuler ces trois idées afin d'être véritablement opérationnel en combinant satisfaction des besoins des patients et rationalisation des moyens ?

PermalienRobert Nicodème

La formation se met en place, les médecins se forment. On a d'ailleurs une médecine de soins habituels de très bonne qualité : la population est prise en charge et le tissu médical assume ses responsabilités à l'égard de la santé publique.

Il faut en fait distinguer trois types de formation. La première porte sur les connaissances pures et l'on peut regretter de ce point de vue que les référentiels ne s'appuient que sur les travaux des laboratoires, alors qu'ils pourraient aussi se fonder sur des groupes d'experts, pour peu qu'on les réunisse et qu'ils parviennent à des conclusions claires.

Le second type de formation porte sur l'activité du médecin dont le contenu doit progresser afin de mieux assurer son rôle de santé publique. Ainsi, compte tenu de la raréfaction de certains spécialistes, un généraliste doit se mettre à niveau en pédiatrie ou en gynécologie.

Le troisième niveau est celui de la coordination des soins, du travail en équipe : le médecin doit être capable d'organiser des soins, de demander des avis. C'est ce qui se fait déjà à travers les « groupes de pairs ».

Pour l'évaluation il est également nécessaire de comparer l'activité du médecin avec des référentiels quand il en existe ou avec celle de ses confrères qui se trouvent dans la même situation, c'est aussi le rôle des groupes de pairs.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Quels pourraient être selon vous les contre-pouvoirs à la visite médicale des laboratoires ? Ce rôle pourrait-il être tenu par les délégués de l'assurance maladie, dès lors qu'on leur donnerait un autre cahier des charges, une autre mission et une autre formation ?

PermalienRobert Nicodème

C'est à tort que j'ai utilisé l'expression « contre-pouvoir », mieux vaut parler de : « autres références ».

Les délégués de l'assurance maladie font un excellent travail : ils constatent qu'un médecin consomme plus que les confrères de son secteur, qu'il prescrit plus de transports en ambulance ou plus de médicaments de tel ou tel type par rapport à la moyenne, mais ils n'apportent pas de références et leurs relevés des écarts d'activité ne comportent pas de dimension technique. En fait, ils constatent mais ils n'apportent pas de solution ; ils sensibilisent les médecins, mais ils ne développent pas d'argumentation. C'est toute la différence avec la visite médicale : le laboratoire présente un argumentaire scientifique en faveur de son produit.

À l'université, nous avons fait depuis quelques années un énorme travail de formation à la lecture critique des articles scientifiques. Nous apprenons aux internes à regarder quels sont exactement les critères de jugement de l'étude. En fait, un seul critère doit prévaloir, celui de la morbidité-mortalité : quand on donne une statine à une personne de 80 ans, ce qui est intéressant ce n'est pas de voir si son taux de cholestérol va chuter mais si elle va vivre une ou deux années de plus qu'elle n'aurait vécu sans le médicament. Le taux de cholestérol est un indicateur technique, ce n'est pas un résultat pour la santé.

PermalienPhoto de Jean Mallot

Verriez-vous un intérêt à ce que, en prévoyant des contreparties, on aille vers une sorte de contractualisation avec chaque médecin sur des objectifs précis, notamment en termes de prescription ? Quels pourraient être les obstacles à une telle démarche ? Comment la mettre en oeuvre concrètement ?

PermalienRobert Nicodème

L'idée de l'assurance maladie d'octroyer quelques avantages aux médecins en contrepartie d'une réduction des coûts a fait l'objet d'un courrier du Conseil national de l'Ordre rappelant qu'on ne peut pas contractualiser l'activité des médecins sur la base d'une diminution des coûts car ils doivent demeurer indépendants afin de se consacrer à leur objectif principal qui est le soin apporté aux patients. Nous sommes d'accord pour que l'on s'efforce de réduire les surcoûts mais nous refusons une contractualisation sur la base d'un objectif purement financier.

Nous nous sommes beaucoup intéressés à cette question de l'implication personnelle de chaque médecin dans une amélioration globale de la prescription. Il faut en particulier prendre en considération le fait que près de la moitié des internes qui sortent d'une formation en médecine générale se tournent vers les urgences, la gériatrie, la médecine polyvalente, voire vers des remplacements, mais qu'ils ne veulent pas s'installer en ville car ils trouvent que les contraintes de l'exercice libéral sont trop importantes. C'est en particulier le cas des jeunes filles, qui sont désormais la moitié des internes et qui jugent souvent l'exercice libéral incompatible avec la maternité. Cet état de fait va aggraver la crise de la démographie médicale.

Dans ces conditions, si on impose aux médecins, outre la permanence des soins et le risque de la responsabilité médico-légale – sujet sur lequel il faudra bien revenir un jour –, des objectifs financiers dans leur façon de travailler, je crains fort que l'on ne déstabilise totalement cette profession. Il faut donc faire très attention.

PermalienPhoto de Jean Mallot

Dans ces conditions, sur quels objectifs faudrait-il contractualiser ?

PermalienRobert Nicodème

Aux termes de l'article 8 du code de déontologie médicale, « le médecin doit limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. ». Il faut en rester là et je pense que cette audition doit avant tout nous amener à insister sur la nécessité de trouver des références dans des domaines qui sont mal balisés pour la prescription des médicaments.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Nous aimerions quand même comprendre pourquoi, en France, 90 % des consultations débouchent sur une prescription de médicaments, contre 45 % aux Pays-Bas et moins de 75 % en Allemagne.

Pour notre part, nous avons d'ores et déjà identifié deux pistes et nous aimerions savoir si vous considérez que c'est bien dans cette direction qu'il faut aller ou s'il existe à vos yeux d'autres explications à ce décalage.

En premier lieu, dans la mesure où nous avons observé l'importance de la visite médicale des laboratoires pharmaceutiques dans notre pays, il serait intéressant de savoir si elle est aussi prégnante dans les autres pays d'Europe.

En second lieu, on peut se demander s'il n'y a pas là une conséquence du paiement à l'acte, qui conduit à une inflation du nombre des consultations, donc à la nécessité de chercher à répondre rapidement à la demande du patient. Pour reprendre l'exemple des statines, il paraît en effet plus facile, plus simple et plus rapide de les prescrire que de prendre le temps nécessaire, après un premier dépistage de cholestérol, pour rappeler l'importance de l'hygiène diététique et de l'exercice physique.

PermalienRobert Nicodème

Nous sommes d'accord sur le constat de la consommation de médicaments.

Cela tient tout d'abord au fait que, en France, le médicament est globalement bien remboursé et qu'il ne coûte presque rien au patient.

Par ailleurs, sa prescription n'est finalement pas très encadrée. Du fait de la visite médicale, c'est souvent le plus cher et le dernier médicament qui est prescrit, bien que l'amélioration du service médical rendu ne soit pas très importante car, je l'ai souligné, le médecin ne la connaît pas.

Vous évoquez le paiement à l'acte, mais il n'est absolument plus nécessaire de s'en prendre à lui, car, aujourd'hui, tous les jeunes médecins généralistes veulent être salariés. En effet, ils préfèrent très largement être praticiens hospitaliers, avec le salaire correspondant, les gardes payées et un repos compensatoire, qu'exercer en ville ! C'est bien pourquoi nous sommes persuadés qu'il est nécessaire d'aller vers des maisons médicales avec un statut particulier pour les médecins, qui viendraient par exemple y travailler deux ou trois jours et qui y prendraient leurs gardes de nuit.

S'agissant du médicament, ce sont les règles de prise en charge qui font défaut. En Angleterre, on n'opère pas un patient qui a besoin d'une intervention cardiaque tant qu'il n'a pas arrêté de fumer. En France, lorsqu'un patient obèse présente un taux trop élevé de cholestérol, on ne lui demande pas d'arrêter de boire, de fumer et de trop manger avant de lui donner un médicament. Cela n'est pas dans notre culture : d'un point de vue éthique nous considérons qu'il faut le protéger contre le risque d'accident cardio-vasculaire en lui donnant le médicament. Mais, en fait, les choses sont plus compliquées que cela : quand on dit que ce patient ne fait pas les efforts nécessaires parce qu'il a des problèmes psychologiques, force est de remarquer que ces problèmes peuvent l'empêcher d'arrêter de fumer mais pas de consulter, de suivre un régime mais pas de prendre ses médicaments. Quand on parle d'êtres humains, il est parfois difficile de raisonner en termes statistiques…

PermalienPhoto de Pierre Morange

Merci pour ces propos empreints d'humanisme et de bon sens.

Quel est votre sentiment en ce qui concerne la vente des médicaments sur Internet ?

PermalienRobert Nicodème

Le problème tient à la sécurité sanitaire. Nous avons la chance que soit assurée en France une bonne sécurité sur les aliments et sur les médicaments. En va-t-il de même des médicaments génériques vendus sur Internet, qui sont fabriqués moins cher dans des pays émergents ?

Il faut d'abord se demander s'ils sont efficaces, c'est-à-dire s'ils contiennent effectivement la molécule parfaite nécessaire. De ce point de vue, il me semble que, dès lors qu'il y a prescription médicale et prise en charge par l'assurance maladie, l'action d'un médicament devrait être vérifiée.

Je suis moins inquiet quant à une éventuelle toxicité de ces produits, tout simplement parce que les effets indésirables se voient et parce que les centres de pharmacovigilance les repèrent, alors qu'il est plus difficile d'apprécier l'efficacité d'un médicament censé traiter une maladie chronique.

PermalienPhoto de Pierre Morange

L'AFSSAPS, qui délivre la certification, doit s'assurer que la molécule est effectivement présente, mais on peut imaginer que certains produits passent à travers les mailles du filet.

PermalienRobert Nicodème

Dans un autre domaine, chez Airbus, de nombreuses pièces sont produites à l'étranger mais les ingénieurs se rendent sur place pour vérifier le processus de fabrication et le contrôle qualité s'exerce au moment où les pièces arrivent en France.

PermalienPhoto de Pierre Morange

L'AFSSAPS effectue également des contrôles sur les sites de production et à l'arrivée des médicaments. Mais par rapport au volume des ventes, c'est la fréquence et la régularité des contrôles qui peut poser problème.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Dans la mesure où les Français sont hyperconsommateurs de médicaments, pensez-vous que ce soit une bonne idée de mettre en libre-service ce que l'on appelle les « médicaments conseils », surtout sachant qu'il ne s'agit plus seulement de vitamines et de revitalisants et que, dans le cadre des accords commerciaux imposés par les laboratoires, on va ainsi trouver bientôt sur les présentoirs des pharmacies des produits comme la pseudo-éphédrine ?

Cette mesure vous paraît-elle de nature à réguler la consommation des médicaments dans le cadre du cabinet du médecin ?

PermalienRobert Nicodème

Le médicament a une dimension un peu magique et nous sommes de plus en plus dans une société d'addiction. Ainsi, on trouve aujourd'hui des personnes qui ont besoin de vitamines dès le matin pour se sentir en forme, qui mangent peu le midi, qui prennent quelque chose dans l'après-midi pour éviter le coup de barre et qui prennent à nouveau un produit pour trouver le sommeil le soir. Ainsi, aux fonctions naturelles d'une personne qui se porte comme un charme, s'ajoutent tout au long de la journée des produits plus ou moins inefficaces. Cette habitude anglo-saxonne n'est pas bonne et il faut donc éduquer les patients afin qu'ils comprennent que, dans un pays où on s'alimente correctement, on n'a pas besoin de médicaments pour vivre normalement.

Toutefois ce qui nous préoccupe plus particulièrement, c'est la surconsommation de médicaments remboursés et il faut donc la replacer dans le cadre de notre système de prise en charge globale. Quand on s'interroge sur l'efficacité de ce système, on est bien obligé de constater que nous avons d'excellents résultats, par exemple en ce qui concerne la longévité. Si les Françaises vivent plus longtemps que leurs voisines, c'est peut-être parce qu'elles sont mieux soignées et parce qu'on leur donne plus de médicaments.

Le taux de consommation de psychotropes est de 20 % en France contre 6 % en Allemagne. Ces produits ont non seulement un rôle personnel mais aussi un rôle social : un certain nombre de personnes, en particulier des cadres et des intellectuels, seraient incapables de mener une vie normale s'ils n'en prenaient pas. La question n'est donc pas de savoir si l'on en consomme trop mais s'il est bon pour la population d'en prendre.

Pour conclure, je souhaite à nouveau insister sur la nécessité de donner des références, même si elles ne sont pas scientifiques et si elles émanent d'un groupe d'experts : nous avons en France suffisamment de personnes compétentes pour y parvenir.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Merci beaucoup. Je vous sais gré en particulier d'avoir mentionné le professeur Montastruc car je fais partie du même réseau de pharmacovigilance.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Merci.

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite procédé à l'audition de M. Pierre Levy, secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux français, M. Jean-Louis Caron, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux, M. Félix Benouaich, président de l'Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France, accompagné de M. Jean-Gabriel Brun, vice-président, et M. Martial Olivier-Koehret, président de MG France.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Je vous souhaite la bienvenue. Quel est votre sentiment à propos de la surconsommation de médicaments en France ? Que préconisez-vous pour rationaliser la consommation ?

PermalienPhoto de Geneviève Levy

Avant d'évoquer la surconsommation, il convient de parler de la prescription. La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) a toujours prôné une prescription fondée sur la qualité. Elle l'a prouvé avec la convention médicale de 1993 et les références médicales opposables, qui ont généré des économies notables et continuent d'être appliquées par des médecins et des étudiants en médecine. Toutefois, après le succès fugace de la maîtrise médicalisée, sont survenues dix années de maîtrise comptable qui se sont soldées par un échec total.

Parmi les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2008, les contrats individuels liant la rémunération du médecin aux économies accomplies sur ses prescriptions seraient tout à fait délétères pour la profession.

La convention médicale de 2005, dispositif plus récent de maîtrise médicalisée, a permis de dégager 1,3 milliard d'économies en 2005-2006, du jamais vu. Les médecins libéraux ont manifestement joué le jeu, et nous sommes étonnés que le système soit modifié. Nous pensons simplement que des marges de progression demeurent et que les référentiels devraient être revus périodiquement car ils ne sont pas toujours adaptés à l'exercice de la médecine ambulatoire.

PermalienPhoto de Pierre Morange

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) n'est pas un tribunal. Nous avons pour seul objectif d'optimiser l'utilisation des deniers publics dans le domaine de la protection sanitaire et sociale. C'est pourquoi nous souhaitons que vous nous donniez votre sentiment sur les dysfonctionnements du système que vous constatez au quotidien dans votre pratique de professionnels de santé et de prescripteurs. Nous tournons toujours autour du même sujet : la formation initiale et continue, les logiciels d'aide à la prescription, les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et les processus d'évaluation.

PermalienPhoto de Geneviève Levy

La dernière étude de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) montre que le dynamisme des prescriptions est en grande partie dû au développement des affections de longue durée (ALD).

Les gains imputables à la maîtrise médicalisée reposent sur trois socles.

Premièrement, l'information doit être diffusée vers les patients et les professionnels de santé, dans le cadre conventionnel. Je reçois régulièrement de ma commission paritaire locale d'excellents documents statistiques sur les prescriptions.

Deuxièmement, nous espérons que le dossier médical personnel (DMP) sera recentré sur sa vocation : un outil de partage de l'information, même s'il doit rester la propriété exclusive du patient. Mais, comme avec le livret de santé, il existe un risque d'échec majeur, compte tenu de la possibilité d'un masquage des informations par le médecin traitant, sous la pression du patient.

Troisièmement, la formation initiale et continue est cruciale, de même que l'évaluation des pratiques. Elles sont maintenant entrées dans les moeurs mais le retard est considérable et nous attendons encore le décret de mise en place des conseils régionaux de la formation médicale continue. Les médecins se désespèrent car la formation médicale continue est obligatoire depuis 1995. L'information émane d'abord de la Haute Autorité de santé (HAS). L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) continue d'émettre des recommandations. Il est aberrant d'éliminer l'industrie pharmaceutique de la réflexion et de l'information ; la charte de la visite médicale, élaborée en concertation avec tous les acteurs, prouve que l'industrie pharmaceutique s'engage dans une démarche de qualité. Enfin, la charte de la formation médicale continue doit être respectée et ce volet doit bénéficier de financements.

PermalienJean-Louis Caron

Le médecin prescripteur intervient en bout de chaîne. Il a été formé essentiellement à l'hôpital, avec des médicaments princeps. Il est soumis à des informations diverses, plus ou moins objectives, de la part des délégués de l'assurance maladie (DAM), qui passent une ou deux fois par an, des délégués médicaux, qui leur rendent visite cinq ou six fois par semaine, voire davantage, ou par le biais de courriers des caisses.

Les médecins sont pour la plupart de grands professionnels mais il leur est difficile de faire le tri entre ces informations contradictoires, d'autant que la prescription est rédigée à l'issue d'une négociation avec le patient. Les médecins ne sont pas formés pour acquérir l'esprit critique nécessaire ; ils se le forgent au fil de la pratique. J'appelle de mes voeux une formation et une information neutres, objectives, pédagogiques, accessibles aux médecins et d'une intensité équivalente à celle de la visite médicale, sur des disciplines comme la pharmacologie ou la iatrogénie, à partir d'un fonds dédié, constitué en partie par l'industrie.

PermalienFélix Benouaich

Je m'exprimerai en tant que représentant syndical de médecins, mais aussi en tant que médecin libéral en exercice.

Le médecin prescripteur est le dernier maillon de la chaîne : il n'agit aucunement sur la validité du médicament ni sur son prix, fixé en fonction du coût de la recherche. Nous reconnaissons la qualité des nouveaux médicaments et, une fois la molécule amortie, nous acceptons volontiers les génériques, bénéfiques à la sécurité sociale.

La prescription est délivrée uniquement en fonction de la santé du patient. Si des antibiotiques sont prescrits pour soigner une maladie virale, c'est que les pressions sont énormes, tout particulièrement de la part des parents lorsqu'un enfant présente de la fièvre. La nouvelle convention a débouché sur une maîtrise médicalisée qui a essentiellement porté sur les antibiotiques. Les résultats sont sans doute insuffisants mais la courbe de croissance s'est infléchie et même inversée : la consommation d'antibiotiques a baissé de 17 %, ce qui représente 13 millions de traitements inutiles évités.

Une prescription doit systématiquement être accompagnée d'explications, à condition que le médecin s'en donne le temps ; sinon, il se décharge en prescrivant n'importe quoi. Mais comment demander à un médecin de prendre beaucoup de temps, alors qu'il doit faire face à tellement de charges ? Il faudrait que nous ayons moins de patients à soigner, afin de gagner autant en travaillant moins, mais nous sommes aussi tributaires de la demande des malades, des épidémies et du stress engendré par les problèmes socioéconomiques.

L'information que nous dispensons est essentielle mais il faut d'abord que nous la recevions. Les DAM, opérationnels depuis peu, présentent un handicap : ils sont ressentis comme des inquisiteurs. Les médecins de la sécurité sociale devraient nouer des contacts plus fréquents avec les médecins de ville, afin d'entretenir des relations confraternelles.

Dans notre cursus initial, il manque une formation en économie et en gestion car nous prescrivons sans savoir ce que recouvre une ordonnance, en termes de coûts des médicaments et des examens complémentaires.

Le masquage d'informations sur le DMP ne doit pas être autorisé. Cela dit, si une femme a subi une interruption volontaire de grossesse (IVG) à dix-huit ans, il serait inutile de lui imposer de l'indiquer dans son dossier.

Est-il envisageable d'instituer un statut de médecin salarié ? Dans quelles conditions ? Quid de la semaine de trente-cinq heures compte tenu des gardes et des heures supplémentaires ? Quelles seront les conditions de départ à la retraite ? Quand j'ai demandé à M. Jean-Marie Spaeth, président du conseil de la CNAMTS, s'il souhaitait la fonctionnarisation des médecins, il m'a répondu qu'il n'était pas fou…

PermalienMartial Olivier-Koehret

Si nous en sommes là, c'est que les politiques du médicament menées depuis dix ou vingt ans n'ont pas abouti aux résultats escomptés. Tout a été essayé : les sanctions et la maîtrise médicalisée n'ont abouti qu'à une augmentation généralisée des prescriptions. Seules trois orientations ont produit des effets : le déremboursement, mais je n'y suis pas favorable ; la campagne « Les antibiotiques, c'est pas automatique ! », qui a entraîné une baisse de 19 % des ventes, même si les dépenses de médicaments continuent de croître, compte tenu de la mise sur le marché de nouveaux produits ; le médecin référent, qui renforce la relation entre le médecin et son patient.

Cette augmentation pose-t-elle un problème sanitaire ? La France manque cruellement de statistiques sérieuses sur les conséquences des prescriptions ; cela participe de la désorganisation du secteur, marqué par l'absence de gouvernance.

L'article 8 du code de déontologie médicale dispose :

« Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance.

« Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins.

« Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

Comment faire pour respecter ces principes ? Le système d'information souffre de procéder pour l'essentiel de l'industrie pharmaceutique. Ce que les organismes nous proposent ne correspond pas à nos besoins. Les médecins britanniques, par exemple, disposent d'une base de données immédiatement accessible avec le National British formulary. En France, il existe une base indépendante mais la CNAMTS tente de la fermer. Les déterminants de la prescription des médecins généralistes tournent autour de la discussion du couple médecin-patient ; les autres paramètres n'influent pas.

La loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie a créé un couple entre le médecin traitant et le patient. Cependant MG France n'a pas signé la convention médicale de 2005 parce que le DMP, tel qu'il a été présenté, ne contient pas l'ensemble du retour d'information de la part des autres prescripteurs. De surcroît, le système pousse au développement de l'automédication, comme si la surconsommation ne posait un problème sanitaire que lorsque les médicaments sont remboursés. Par exemple, la pathologie qui suscite le plus d'automédication est l'infection urinaire, avec des traitements qui font le lit de l'insuffisance rénale et de la dialyse, faute de prise en charge correcte. Je ne suis pas opposé à l'automédication mais je ne comprends pas que l'information soit jugée inutile dès que l'on sort du champ des médicaments remboursés.

Les logiciels médicaux en sont encore à la préhistoire de l'informatique. En l'état actuel de désorganisation du système de soins et du parc logiciel, je doute qu'une décision quelconque du législateur puisse améliorer la situation en la matière.

Les déremboursements entraînent des économies et réduisent l'activité des médecins généralistes. Cependant, ils occultent la nécessité de définir le rôle du premier recours et ils sont contradictoires avec le choix effectué par tous les autres pays occidentaux pour stabiliser la consommation médicamenteuse : faciliter l'accès des patients au premier recours.

PermalienPhoto de Chantal Brunel

Le généraliste est le principal prescripteur car il intervient en dernière ligne, après le spécialiste et l'hôpital. Une mesure très simple consisterait à demander à l'hôpital et au spécialiste de prescrire en dénomination commune internationale (DCI).

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Je poserai quelques questions très courtes.

Les franchises sur les transports sanitaires et surtout sur les médicaments vont-elles pousser les Français à diminuer leur consommation de médicaments ?

Quand une classe de médicaments est déremboursée, constatez-vous un transfert de prescriptions sur une autre classe ? Si oui, êtes-vous en mesure de le chiffrer ?

Que pensez-vous du dossier pharmaceutique expérimenté dans six départements ?

PermalienPhoto de Geneviève Levy

L'enjeu consiste-t-il à réduire la consommation de médicaments ou à optimiser les soins ? Le déremboursement est clairement un obstacle au recours au médecin, ou plutôt une incitation au report des soins.

Les déremboursements entraînent effectivement un transfert de prescriptions sur d'autres classes.

Comme l'historique des remboursements, le dossier pharmaceutique est un outil complémentaire au DMP mais il ne saurait s'y substituer. Il ne faudrait surtout pas tirer prétexte des difficultés à mettre sur pied le DMP pour se contenter du dossier pharmaceutique et de l'historique de remboursement.

Le renouvellement de la prescription hospitalière est un gros problème. Quand un médecin hospitalier conseille à un patient de poursuivre son traitement, le petit médecin généraliste de banlieue aura du mal à le convaincre de l'interrompre.

PermalienJean-Louis Caron

Les franchises entraîneront certainement des économies mais aussi la pénalisation des traitements longs pour les maladies chroniques.

Il est vrai que les déremboursements provoquent des transferts : les prescriptions d'un spray bien connu ont explosé parce qu'il est resté remboursé, contrairement à tous les autres, dont la distribution stagne ou régresse.

Si les sources d'informations restent dissociées, comme c'est actuellement le cas, notamment avec le dossier pharmaceutique et le Web-médecin, nous ne saurons plus où rechercher les éléments dont nous avons besoin. Nous ne pouvons donc nous contenter de succédanés qui retarderaient la mise sur pied du DMP.

PermalienFélix Benouaich

S'agissant des franchises, pour ceux qui sont à l'aise financièrement, un déremboursement de cinquante ou cent euros par an passe inaperçu ; il ne pose un problème qu'à ceux qui n'ont pas les moyens. La gratuité n'est pas source d'économies mais elle est nécessaire pour que certains malades accèdent aux soins. Or, en tant que médecins, c'est notre seule préoccupation.

Quant aux déremboursements, ils provoquent évidemment des transferts de prescriptions vers des traitements équivalents.

PermalienMartial Olivier-Koehret

La question des franchises et des déremboursements concerne au premier chef le législateur. La France arrive au deuxième rang mondial en matière de prélèvements obligatoires ; il n'est donc guère compréhensible que vous demandiez aux gens de payer quand ils sont malades, mais c'est à vous de l'assumer lorsque vous retournez vers vos électeurs.

Les franchises auront un impact sur le niveau des remboursements mais cela signifie que des patients, faute de moyens financiers, n'auront pu accéder aux soins. De surcroît, elles vont désorganiser les soins en générant du second recours différé, et cela coûtera plus cher encore. Les franchises procèdent d'une approche idéologique.

Le déremboursement est une hypocrisie complète car les médicaments concernés sont bon marché : pour financer une ampoule d'antimitotique à 9 000 euros l'unité, il faudra économiser sur beaucoup de boîtes de fortifiants ou de gouttes pour le nez !

Le dossier pharmaceutique est un très bon outil pour le pharmacien, tout comme l'historique des remboursements est parfait pour l'assurance maladie. Toutefois, nous autres prescripteurs avons besoin de disposer d'une synthèse d'informations sur les actes de chaque intervenant, du biologiste au radiologue.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Un article du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 prévoit que les logiciels d'aide à la prescription doivent permettre d'afficher le montant total de la prescription. Cela aidera-t-il les médecins à prescrire, notamment pour les patients socialement défavorisés ?

Puisque les patients seront poussés à l'automédication, ne pourrait-elle pas être intégrée dans le DMP, d'autant que celui-ci met du temps à voir le jour ?

PermalienPhoto de Geneviève Levy

Le coût de l'ordonnance interpelle le médecin, et pas seulement pour les personnes défavorisées. En vertu du code de déontologie, nous devons systématiquement prescrire à bon escient et au meilleur coût. Il serait utile aussi que les hôpitaux disposent d'un tel outil pour que les internes prennent conscience de ce qu'ils prescrivent.

PermalienPhoto de Geneviève Levy

Je constate que la médecine ambulatoire a accompli 1,3 milliard d'économies et que l'hôpital est resté à zéro.

La CSMF s'est élevée contre l'automédication, qui comporte des risques. Avec des vitamines, ce n'est pas bien grave ; avec des anti-inflammatoires ou des molécules innovantes, il y a des effets secondaires. En outre, cela peut retarder le diagnostic d'une maladie grave. Il est donc indispensable que le médecin puisse connaître l'automédication de son patient.

PermalienJean-Louis Caron

Le coût d'une ordonnance serait une information intéressante, sous réserve que je puisse le comparer avec d'autres options, afin de faire mieux économiquement tout en conservant la même qualité médicale de prescription.

Nous sommes favorables à l'automédication car les Français possèdent un niveau de connaissance suffisant pour se prendre en charge, par exemple, face à un état grippal, qui, de toute façon, passe tout seul au bout de cinq jours. Mais il convient d'encadrer l'automédication en proposant une formation aux patients, à l'école et pendant d'autres moments de la vie. Les pouvoirs publics doivent aussi organiser des campagnes d'information. Cela dit, l'exposition des produits en libre-service devant le comptoir pose problème, eu égard aux effets secondaires. L'industrie pharmaceutique doit produire des boîtes adaptées à l'automédication, avec des quantités limitées. Et nous sommes favorables à l'intégration de l'automédication dans le DMP.

J'ajoute que nous sommes également favorables au masquage d'informations, sur la demande du patient.

PermalienFélix Benouaich

L'information sur le coût de l'ordonnance serait en effet utile. Dans un second temps, il faudrait ajouter une dimension comparative.

L'automédication doit être intégrée dans le DMP. Reste à s'entendre sur la signification exacte de l'automédication, mais ce n'est pas le sujet.

PermalienMartial Olivier-Koehret

Le logiciel que j'utilise me permet déjà de connaître le prix de la boîte de médicaments ; il faut donc aller plus loin. Les logiciels médicaux sont importants sur les plans sanitaire et économique mais ils ne sont pas pilotés ; vous pourriez faire preuve d'innovation en créant un agrément, fondé sur des critères comme l'information relative à la posologie ou à l'aide à la prescription. Pour que nous fassions bien notre métier, nous devons être en mesure de soigner nos patients indépendamment de leur capacité financière, avec le seul souci de traiter leur état de santé. Aujourd'hui, la même angine ne coûte pas le même prix suivant l'endroit où elle est soignée.

PermalienPhoto de Chantal Brunel

À l'hôpital, quand je prescris un traitement onéreux, on m'apporte un formulaire en trois exemplaires sur lequel je dois spécifier le prix des médicaments, le nombre de jours et la posologie. C'est le pharmacien qui délivre ces médicaments, par périodes très courtes. L'hôpital a donc déjà répondu partiellement à votre question. En revanche, le système pêche au niveau des services des urgences, qui travaillent rapidement, et des cliniques, où les médecins remplissent leurs feuilles blanches comme ils l'entendent.

PermalienPhoto de Geneviève Levy

Je précise que je partage pleinement l'avis de mes confrères sur les logiciels d'aide à la prescription.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Le sujet n'est pas clos ; nous restons ouverts aux remarques et suggestions que vous pourrez nous transmettre par écrit.

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a enfin procédé à l'audition de M. Alain Rouché, directeur santé de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), et M. Gilles Johanet, président du comité maladie-accidents, M. Michel Charton, directeur technique santé individuelle d'AXA France, M. Henri Laurent, directeur général de SwissLife prévoyance et santé, et M. Laurent Doubrovine, directeur assurance de personnes des Assurances générales de France (AGF).

PermalienPhoto de Pierre Morange

Madame, messieurs, nous sommes heureux de vous accueillir pour vous entendre sur le thème « la prescription, la consommation et la fiscalité du médicament ».

PermalienPhoto de Jean Mallot

De par vos fonctions, chacun dans son domaine, vous avez certainement une opinion sur le sujet. J'aimerais que vous nous livriez votre analyse et vos propositions.

PermalienGilles Johanet

Inutile de détailler la singularité de la consommation française de médicaments, que ce soit en termes de volumes ou de coût. Je remarquerai cependant que la politique engagée il y a une quinzaine d'années pour remplacer le volume par la valeur et faire que le prix français du médicament rejoigne les standards européens et américains, a échoué. L'écart de prix négatif s'est considérablement réduit, mais l'écart de volume positif ne s'est absolument pas réduit. Cela signifie qu'il y a bien des raisons de fond, des causes majeures à l'origine de cette singularité française.

J'insisterai sur une seconde caractéristique française, qui est l'extrême opacité du système de prescription et de consommation. Nous n'avons pas de dispositif de connaissance et de suivi de la prescription hospitalière, a fortiori de la prescription hospitalière par médecin prescripteur. En 1998, lorsque je suis arrivé à la direction de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), un groupe travaillait depuis dix-huit mois sur l'individualisation de la prescription. Neuf ans plus tard, je ne doute pas qu'il continue de travailler avec acharnement, mais les résultats font partie de ce qu'on appelle les « variables discrètes ».

Autre singularité française : l'assurance maladie complémentaire n'a pas le droit de savoir ce qu'elle rembourse. C'est un problème par rapport à la loi du 13 août 2004 qui instaure un partenariat entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance maladie complémentaire, partenariat symbolisé par la création de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) et de l'Union nationale des organismes d'assurance complémentaire (UNOCAM). Et c'est un obstacle à toute recherche de performance s'agissant des contrats de complémentaire santé, puisqu'il n'est pas possible de sélectionner ce qui sera remboursé, en dehors des expérimentations Babusiaux, sur lesquelles je reviendrai, et d'autorisations acquises à titre exceptionnel.

Autre facteur d'opacité : nous n'avons pas de bilan de la politique conventionnelle suivie entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et les laboratoires, que ce soit par classe de médicaments ou par laboratoire. Il n'y a pas d'articulation entre les baisses de prix décidées par le CEPS et les remises. Une mesure très grossière de ces décisions de baisse ou de remise nous fait penser que l'impact financier des remises est environ trois fois plus élevé que celui des baisses de prix. Toutefois la différence principale est ailleurs : les baisses de prix sont définitives et profitent de façon juste et équitable à l'assurance maladie obligatoire et à l'assurance maladie complémentaire ; les remises de prix sont par essence contractuelles, précaires et ne profitent qu'à l'assurance maladie obligatoire, alors que la cause de la remise, c'est-à-dire un dérapage des consommations, a été supportée financièrement par les complémentaires autant que par l'obligatoire ; enfin, elle aboutit à faire en sorte que le taux de prise en charge officiel de certains médicaments soit très différent de leur taux de prise en charge réel.

Je veux revenir sur les propos tenus devant la MECSS par M. Noël Renaudin, président du CEPS, qui ont été repris par la presse, sur l'apparition et la multiplication de médicaments « de niche » horriblement chers, ce qu'on pourrait traduire par « médicaments à spectre étroit et à prix élevé ». Les opérateurs que nous sommes vont se retrouver devant cette alternative : soit maintenir l'opacité actuelle, et le dérapage est garanti ; soit mettre fin au dérapage, et l'on est devant la perspective d'une traçabilité individuelle des prescriptions et des consommations.

La question se pose alors d'un partenariat entre l'assurance maladie obligatoire (AMO) et l'assurance maladie complémentaire (AMC). Est-ce que nous acceptons que l'AMC devienne un acheteur avisé, en commençant par exemple par le médicament ? Un tel partenariat n'est pas incompatible avec nos réflexions sur d'éventuels transferts entre l'AMO et l'AMC, qui pourraient porter sur les médicaments à 35 %. Mais cette recherche de performance impliquerait qu'on ait accès au code identifiant de présentation (CIP) des médicaments, en commençant par exemple par les codes des médicaments remboursés par l'AMO à 35 %. Cela reviendrait à reprendre et à accepter, pour cette fois, l'amendement proposé par M. Yves Bur, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2005.

Une autre question se pose, celle du desease management (soutien à la prise en charge thérapeutique des patients atteints de maladies chroniques). Nous pensons qu'un desease management encadré peut être positif. C'est ce que font certaines sociétés d'assistance liées avec les sociétés d'assurance. Ainsi Mondial Assistance, qui est liée au AGF, fait du desease management auprès de patients atteints d'ostéoporose, et cela marche bien. Le fait de dire que c'est l'intérêt financier des laboratoires n'épuise pas le sujet, dans la mesure où cela peut avoir aussi une utilité médicale pour les patients. C'est en tout cas une piste à explorer.

Je vais évoquer un dernier point sur l'évolution de l'offre : l'automédication.

Celle-ci est très en retard en France. Elle ne se développera jamais et n'aura jamais d'incidence financière pour l'assurance maladie obligatoire tant que 85 % des médicaments en automédication seront également en prescription médicale facultative.

Je termine en remarquant que le remboursement des médicaments représente un poste de dépenses important pour les complémentaires maladies, et qu'il est en croissance forte.

PermalienAlain Rouché

Pour les complémentaires, la problématique d'accès aux données de soin est très importante. Nous ne connaissons que globalement le taux de remboursement des médicaments. Cette opacité nous empêche d'avoir une véritable efficacité et de mener une véritable politique de gestion des risques.

Nous nous battons depuis de nombreuses années. En 2003, est paru le rapport de M. Christian Babusiaux sur l'accès des assureurs complémentaires aux données de santé des feuilles de soins électroniques. Depuis, la situation a évolué puisque des expérimentations ont démarré ou vont démarrer dans les jours qui viennent. Je pense que Michel Charton, d'AXA, évoquera l'expérimentation qui a débuté dans le département de l'Hérault et Henri Laurent celle de Swisslife. Pour nous, cela est fondamental pour développer des assurances santé répondant mieux aux besoins des assurés et plus efficaces en termes de gestion des risques.

Je vais illustrer l'intérêt de l'accès aux données : en cas de décision de baisse du taux de remboursement, on pourrait se dispenser d'augmenter les cotisations de nos adhérents pour faire face au transfert de charge vers la complémentaire et décider d'un reste à charge de 30 points. Aujourd'hui, on n'a pas d'autre solution que de tout prendre en charge ou de ne rien prendre en charge par taux de remboursement de la sécurité sociale.

Aujourd'hui, nous prenons en charge quelques médicaments non remboursables. Nous devons alors demander à nos assurés de récupérer une facture chez le pharmacien et de nous la transmettre pour que nous puissions procéder au remboursement.

Cette problématique d'accès aux données est absolument essentielle pour les complémentaires. Nous espérons qu'au terme des expérimentations Babusiaux cet accès aux données sera généralisé et définitivement reconnu aux complémentaires.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Quelle est la part du médicament pour les complémentaires, dans le cadre d'un contrat standard ?

PermalienMichel Charton

De 15 à 40 % selon les cas, car il y a beaucoup de contrats. Pour l'entrée de gamme, c'est 40 %.

PermalienAlain Rouché

La question des baisses de prix et des remises est très importante pour nous. Nous sommes favorables aux baisses de prix, dans la mesure où les complémentaires en bénéficient, tandis qu'en cas de remises, seule l'assurance maladie obligatoire en bénéficie. Récemment, l'UNOCAM a fait un petit calcul concernant le Gardazil utilisé contre le cancer de l'utérus. Il est théoriquement remboursé à 65 % par l'assurance maladie, mais, si l'on tient compte du processus de remise, les complémentaires en remboursent 53 %, et non 35 %.

PermalienMichel Charton

Nous avons remarqué que tous nos clients étaient persuadés que le médicament était un produit gratuit. La pratique du tiers payant est devenue universelle. Il est désormais absolument nécessaire de faire évoluer ce concept du médicament gratuit et remboursé systématiquement à 100 % si l'on veut amener nos clients à faire des choix.

Cette part de 15 à 40 % est très importante. Elle est beaucoup plus élevée que pour les remboursements dentaires. La raison en est que l'on n'arrive pas à accéder aux données. Hors remises, l'AMC rembourse à peu près 8 milliards d'euros de dépenses de médicaments. Il s'agit d'une somme considérable, et il est évident que si l'on trouvait les mécanismes qui permettent de réguler ce marché et de mettre en oeuvre une gestion des risques, l'intérêt financier serait tout à fait notable.

L'expérimentation Babusiaux menée par AXA a été engagée en mars 2003. Il nous a fallu quatre ans pour commencer à faire passer des flux dans ce système nouveau. Le rapport de M. Babusiaux a proposé de donner aux organismes complémentaires un droit d'accès aux données de santé en respectant certaines conditions. Il a tracé les voies de ces conditions, mais il a fallu mettre des rails derrière. On s'est alors aperçu qu'il était très complexe de vouloir tout protéger et tout sécuriser. AXA a travaillé pendant pratiquement un an pour préparer le dossier à soumettre à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), avec l'aide de la FFSA dans la mesure où nous nous appuyons sur sa maîtrise d'ouvrage. Il nous a fallu ensuite un an de discussions avec la CNIL pour obtenir, en plusieurs étapes, les autorisations nécessaires. Nous avons ainsi commencé nos développements techniques à partir de 2006. Cependant la complexité est telle que les premiers flux n'ont eu lieu que depuis quelques semaines.

Ces changements sont donc lents, progressifs et coûteux. Nous sommes obligés de répercuter ces coûts de fonctionnement sur nos clients. Plus on crée des usines compliquées pour connaître enfin une information dont on pense qu'elle est vraiment nécessaire, plus on génère de frais généraux. C'est un élément à prendre en compte, s'agissant de la façon dont on pourra accéder demain aux données. Certes, on pourra mutualiser certains coûts, mais ils resteront importants et inévitables en matière de décryptage et de sécurité.

Que faire de tout cela ? Il existe de nombreuses pistes de travail. Demain, AXA ayant sa chaîne de traitement spécifique pourrait proposer à ses clients de faire du tout générique et du me too. Cette idée n'est pas aberrante ; nous l'avons mise en pratique pour l'optique. C'est peut-être plus compliqué pour le médicament, mais ce n'est pas infaisable.

On pourrait également décider de ne plus rembourser tel ou tel type de médicaments remboursés par l'AMO à 35 % et à 15 %, voire des médicaments à service médical rendu faible remboursés à 65 % ; et compenser éventuellement par de l'automédication.

On pourrait définir des gammes de produits correspondant aux vrais besoins de certaines populations. Pourquoi mettre dans un contrat qui s'adresse aux jeunes familles la prévention ou le traitement de l'ostéoporose ? Pourquoi laisser le remboursement des anticonceptionnels microdosés dans des contrats destinés aux personnes de plus de cinquante-cinq ans ?

L'accès aux données nous permettrait très concrètement de travailler sur les classes de médicaments. Tel est précisément le cas dans l'expérimentation AXA. Nous avons besoin d'un contrôle de la prescription dans l'immédiat, mais l'idée est de permettre à nos clients de bénéficier d'un remboursement qui serait automatiquement fait à partir des données transmises du poste du professionnel de santé, sans passer par la facturette dont parlait M. Alain Rouché. Cela est très important. La seule façon de développer cette pratique est d'entrer dans un processus de dématérialisation, car le coût de gestion d'une facturette papier est de 2 à 10 euros ; tandis que le flux électronique revient à 0,13 euro. Toutes les tentatives des uns et des autres consistant à mettre un peu d'automédication, un peu de médicaments non remboursés dans nos contrats aboutissent à des faibles taux d'utilisation. Cela est d'ailleurs heureux, sinon nous aurions bien du mal à en supporter les coûts de gestion et à les faire payer à nos clients.

Un processus fluide de dématérialisation et d'accès aux données permettrait de faire baisser de dix points le rapport sinistresprimes, c'est-à-dire de baisser de dix points le prix de la complémentaire santé à service rendu au moins équivalent, si ce n'est supérieur.

PermalienHenri Laurent

Nous sommes convaincus que la maîtrise du coût du médicament, qui représente 30 % des coûts des assureurs, passe par la mise en place de conditions qui permettent de sortir de cette logique du remboursement systématique. Les assureurs pourraient avoir des politiques de remboursement diversifiées. On pourrait imaginer d'offrir des contrats dont le prix varie en fonction des niveaux de remboursement du médicament ou d'autres prescriptions. On pourrait imaginer des stratégies marketing en ciblant les médicaments qu'on va rembourser en fonction des populations auxquelles on s'adresse.

Swisslife a conduit une expérience en ce domaine. Elle a mis en place la « carte blanche » ; l'objectif est de prendre des initiatives en matière de prévention. Elle a institué un comité d'éthique indépendant, qui l'aide à constituer les listes de médicaments qui seront remboursés, même s'ils ne le sont pas dans le régime général. Cela dit, si l'on sait rembourser des médicaments qui ne le sont pas par le régime général, on ne sait pas ne pas rembourser des médicaments qu'il rembourse, mais dont l'intérêt est douteux. Swisslife a mis également en place des consultations pharmaciens avec ses assurés, qui ont la possibilité de rencontrer leur pharmacien sur des questions d'observance.

D'après nos sondages, nos assurés considèrent que l'assureur est légitime dans ses démarches, non seulement de remboursement, mais aussi d'accompagnement, voire de conseil. Si nous avions la possibilité de mener des politiques de remboursement plus nuancées, nous pourrions mieux maîtriser nos dépenses et limiter l'évolution de nos primes d'assurance, tout en offrant à nos assurés des services qui les amèneraient à consommer de façon plus efficace. Tout cela passe bien entendu par la possibilité de connaître la nature des médicaments que nous remboursons.

Swisslife participe également aux expérimentations. Nous avons choisi la voie du consentement exprès de l'assuré. Si on peut démontrer que l'assuré a donné de manière explicite à son assureur son accord sur la transmission de l'information médicale qui le concerne, on échappe aux restrictions réglementaires. C'est ce que nous sommes sur le point d'expérimenter dans la région de Cambrai.

PermalienLaurent Doubrovine

Je ne peux qu'appuyer ce qu'ont dit mes collègues. Militer pour une meilleure transparence sur le marché du médicament n'est pas défendre un intérêt particulier, celui des assureurs complémentaires, mais l'intérêt général. L'opacité actuelle de ce marché est à l'origine d'inefficacités monstrueuses, qui se répercutent sur le coût de la prise en charge de la santé.

Nous ne participons pas, à ce stade, aux expérimentations Babusiaux, mais nous les soutenons. Nous avons la prétention de penser que notre métier consiste à donner de la valeur ajoutée à nos clients, laquelle ne peut pas s'exprimer sur un marché sur lequel nous ne disposons d'aucune variable ni d'aucune liberté. Le marché de la santé en général, et celui du médicament en particulier, sont très frustrants de ce point de vue. Nous nous contentons donc des quelques domaines dans lesquels nous pouvons exercer notre créativité, comme la prévention par la prise en charge de vaccins, du sevrage tabagique, par le conseil et l'orientation des clients, la négociation avec certaines officines sur les médicaments non remboursés.

Nous sommes très frustrés par cette situation, qui pourrait facilement évoluer si le problème de l'accès aux données de soin était résolu, ce qui devient crucial.

PermalienPhoto de Jean Mallot

Avez-vous des éléments complémentaires sur les expérimentations ? Avez-vous des idées d'économies potentielles ?

PermalienPhoto de Pierre Morange

Il faudrait que vous quantifiiez certains points. Une réflexion est en cours sur un éventuel transfert de l'AMO vers l'AMC ; celui-ci pourrait se répercuter sur les primes d'assurance. Il serait pertinent que vous nous présentiez un catalogue précis de propositions, qui pourraient déboucher sur des mesures législatives ou réglementaires.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Quand une classe thérapeutique est déremboursée dans sa totalité, assistez-vous à une baisse de votre participation au remboursement de médicaments ?

Pensez-vous que les franchises sur les médicaments feront baisser la consommation des médicaments en France ?

PermalienAlain Rouché

Mes collègues assureurs constatent mieux que moi l'impact des déremboursements sur nos résultats. Il est clair qu'ils jouent également sur la part des complémentaires.

PermalienAlain Rouché

Nous avons observé, certaines années, une augmentation beaucoup plus modérée que précédemment sur le poste médicaments. C'est une observation globale.

PermalienHenri Laurent

En cas de déremboursement total !

PermalienAlain Rouché

Dans un premier temps, nous avons émis des réserves concernant les franchises, à commencer par le fait que ce sont les médecins qui prescrivent et que nous ne voyons pas quel impact ces franchises pourraient avoir sur le comportement des patients.

Ces franchises médicales sont différentes de nos franchises d'assureurs. Lorsque l'aile de la voiture est froissée, le conducteur peut décider ou non de la faire réparer. C'est un peu plus difficile quand on se trouve dans une logique de soins et de prescriptions par les médecins.

Dans un second temps, nous avons revendiqué de pouvoir rembourser ces franchises sans que nos contrats ne soient pénalisés fiscalement. L'idée était de laisser le choix aux assurés, et non de vouloir à tous crins rembourser les franchises. Il me semblerait très préoccupant pour notre avenir d'assureurs complémentaires d'accepter toute une série de contraintes sans que nous ne puissions proposer à nos assurés toute une série de solutions. Il est tout aussi responsabilisant de dire à un assuré que s'il désire que les franchises lui soient remboursées, il verra sa cotisation augmenter de tant, mais qu'il peut choisir un contrat qui ne prévoit pas cette prise en charge.

Par ailleurs, je doute un peu que ces franchises aient un impact sur la consommation de médicaments. Mais soyons sans a priori et contentons-nous d'observer ce qu'il en sera.

PermalienGilles Johanet

J'ajoute qu'il s'agit là d'une réforme partielle qui accroît encore la complexité du système et la difficulté que peut avoir le consommateur à le comprendre et à le maîtriser en partie. Il existerait ainsi des franchises à 0,50 euro, à 1 euro ou à 2 euros dont le remboursement serait irresponsable, et la franchise à 18 euros dont le remboursement serait responsable ? Cela ne signifierait-il pas que l'assuré, en aucun cas, ne peut être considéré comme responsable de sa consommation d'actes lourds, mais qu'il serait exclusivement responsable de sa consommation de médicaments ? Ce serait d'ailleurs cohérent avec une autre approche, sémantique celle-là, qui amène à répéter que les Français sont les premiers consommateurs de médicaments du monde, mais jamais à dire que les médecins français sont les premiers prescripteurs de médicaments du monde !

Le débat sur la franchise est ancien. Il a été posé nettement en 1993, et je l'ai vécu. À l'époque, la CNAMTS avait proposé une franchise fondée sur la maîtrise médicalisée, qui n'était pas encore la politique officielle des pouvoirs publics. Cette approche a amené la CNAMTS à proposer que la franchise soit modulée et beaucoup plus forte à partir du cinquième médicament – et non pas à partir du premier médicament – sur une ordonnance. Il y a en effet consensus des experts pour constater que, à partir de cinq médicaments sur une ordonnance, on ne contrôle plus les interactions médicamenteuses. Cette mesure a d'ailleurs été adoptée à l'époque par Mme Simone Veil, alors ministre en charge de la santé… pendant 24 heures, ce qui lui laisse son caractère entièrement novateur pour l'avenir…

PermalienHenri Laurent

Selon certaines études, notamment américaines, une franchise médicale est efficace à partir d'un montant d'environ 20 % de la dépense. En l'occurrence, nous sommes très loin d'un tel montant. Personnellement, je ne crois pas du tout que les franchises auront un effet sur la consommation de médicaments, même si elles ont un effet mécanique – faible – sur leur coût.

PermalienMichel Charton

L'effet des franchises sera mineur et très limité dans le temps. Il y aura très vite un effet d'accoutumance à des sommes aussi faibles.

Par ailleurs, s'aperçoit-on des déremboursements ? Le problème vient du fait que lorsque l'on dérembourse une classe de médicaments, on en rembourse une autre. Le Gardazil, c'est 0,5 point sinistrable de plus sur nos contrats. J'en ai discuté avec les laboratoires ; il faut dire que nous commençons à parler avec l'industrie pharmaceutique depuis quelque temps, depuis qu'elle sait que nous pourrions avoir accès aux données de soin ; nous commençons même à réfléchir à des modèles de régulation différents de ceux de la distribution actuelle. Il faut dire que les grands groupes comme AXA interviennent sur le monde entier, et que les enjeux financiers sont de plusieurs milliards d'euros.

Nous ne sommes pas capables de déterminer quel est l'impact sur nos comptes de l'abandon total du remboursement d'une classe thérapeutique. Il y a en permanence 11 000 références de médicaments et lorsqu'on en dérembourse trois, on en rembourse trois autres.

On ne mesure jamais l'effet de substitution du déremboursement. Nous ne pouvons pas le faire, puisque la seule information à laquelle nous accédons est l'indication PH 2, PH 4, PH 7, etc., et le régime obligatoire ne le fait jamais. Toutes les mesures de déremboursement sont évaluées, à condition de fonctionnement égale, sans que jamais le principe de substitution ne soit évoqué. Et ce quelle que soit la substitution, médicamenteuse ou non.

Voilà pourquoi les prévisions et les résultats d'évaluation ne peuvent être fiables. Nous croyons davantage en notre capacité à orienter le client et à le faire payer plus cher si cela est utile. C'est plus efficace qu'un système qui cherche à réguler l'ensemble des processus.

PermalienLaurent Doubrovine

Après l'instauration du forfait de 1 euro sur la consultation, nous avons observé très temporairement une tout petite diminution de la croissance de la consommation. Mais celle-ci s'est vite effacée, au bout de six mois ou d'un an. Il faut avoir par ailleurs en tête qu'un système complexe coûte très cher à gérer. Le complexifier encore coûte sans doute au moins aussi cher que ce que cela permet d'économiser.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Que pensez-vous du principe des logiciels d'aide à la prescription ?

PermalienGilles Johanet

C'est une ambition que nous avons depuis très longtemps et qui se heurte à une difficulté : l'absence d'harmonisation des bases de données, sur laquelle on finira par progresser. À première vue, les principes d'adoption et de diffusion de logiciels d'aide à la prescription sont une bonne chose. Cependant, si cela devait augmenter le handicap majeur qui affecte notre système de soins, ce serait une mauvaise chose.

Je m'explique : dans notre système de soins, l'amont est fort peu régulé, et l'aval l'est beaucoup. On demande aux généralistes de faire preuve d'une vertu romaine et d'une vigueur permanente pour dire « non ». Il me semble très innovant, et très français, de bâtir son chiffre d'affaires sur le fait de dire « non » à ses clients !

On propose de donner aux généralistes le prix des médicaments, pour qu'ils se rendent compte, etc., mais, psychologiquement, on sait qu'ils vont très mal le prendre ; cela revient en effet à leur dire que, maintenant qu'ils connaissent les prix, ils sont encore plus responsables qu'avant.

Penchez-vous sur certaines décisions du CEPS. Vous constaterez qu'un me too, médicament à amélioration du service médical rendu mineure (ASMR 4), peut obtenir un prix de 20 % supérieur au médicament qu'il est censé remplacer ! L'existence d'un logiciel d'aide à la prescription crée, en aval, pour le généraliste, une responsabilité qu'on aurait peut-être pu lui éviter. On ne peut pas tout reporter sur les généralistes. C'est exactement la même problématique que pour les affections de longue durée (ALD), dont les généralistes ne supportent plus le système.

Informations relatives à la Mission

La Mission a décidé de proposer à la Commission de retenir les thèmes d'évaluation et de contrôle suivants pour le second semestre 2008 et 2009 :

– le bilan de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) ;

– la lutte contre la fraude sociale ;

– le fonctionnement de l'hôpital.