– Audition relative à l'état des conditions
d'approvisionnement en électricité de la France cet hiver
Audition, ouverte à la presse de
- Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE) ;
- Henri Proglio, président d'Électricité de France (EDF),
- Robert Durdilly, président de l'Union française de l'électricité (UFE) ;
- Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ;
- Philippe Guillard, directeur-adjoint de l'énergie à la Direction générale de l'énergie
et du climat (DGEC) ;
- Dominique Minière, directeur-adjoint de la production nucléaire à EDF,
- Philippe Torrion, directeur de la direction optimisation amont aval et trading à EDF.
La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.
J'ai le plaisir de vous accueillir dans cette nouvelle salle dédiée aux auditions publiques de l'OPECST.
Ayant reçu une lettre de M. le député Jean-Pierre Brard attirant mon attention sur l'annonce de difficultés à passer cet hiver en matière de production d'électricité, j'ai proposé à mes collègues une audition afin que les principaux protagonistes répondent aux questions que se posent aujourd'hui la presse et tous les Français, en particulier sur l'éventualité d'une grande panne cet hiver.
Je rappelle que, produite au printemps dernier par Christian Bataille et moi-même, l'étude évaluant la stratégie nationale de recherche dans le domaine de l'énergie – sur lequel l'Office a beaucoup travaillé depuis les années 1990 – préconise, entre autres, de trouver des systèmes pour le stockage d'énergie, des atolls en mer ou près des côtes, de manière à pouvoir « turbiner » en cas de besoin, qui plus est sans émission de gaz à effet de serre.
Dans le cadre de son analyse sur le passage à l'hiver, Réseau de transport d'électricité – RTE – a signalé, à la fin du mois d'octobre, que la disponibilité prévisionnelle du parc de production français jusqu'en janvier 2010 serait en très net retrait par rapport à la saison dernière. Pour des températures restant proches des normales saisonnières, le besoin d'importation s'élèverait à 4 000 MW. En cas de vague de froid intense et durable, le niveau d'importation pourrait atteindre la limite technique acceptable par les réseaux français, soit 9 000 MW, rendant nécessaires des actions de sauvegarde : baisses de tension ou délestages.
Notre audition est d'autant plus d'actualité que l'hiver se fait déjà sentir depuis plusieurs jours. Nous avons souhaité vous réunir pour faire un point précis sur cette situation, en identifier les causes et mettre au jour les solutions possibles. Nous cherchons à faire la lumière et la transparence : dites-nous tout ce que vous savez.
Monsieur Dominique Maillard, vous êtes le gestionnaire du réseau. Où en est la situation à ce jour : nous orientons-nous vers le cas le plus grave, ou bien le réchauffement climatique, dont il est tant question ces derniers jours à Copenhague, va-t-il nous sauver du black-out ?
Depuis plusieurs années, nous réalisons une étude prévisionnelle du passage à l'hiver, qui consiste en une analyse de l'adéquation de l'offre et de la demande. Ne connaissant pas de manière déterministe les conditions météorologiques, nous partons d'hypothèses moyennes sur l'évolution, d'une part, de la demande d'énergie, d'autre part, de l'offre telle que les principaux producteurs nous l'annoncent.
Malgré la crise et les efforts intenses consentis depuis plusieurs années pour maîtriser la demande, non seulement la consommation d'électricité ne se stabilise pas, mais la consommation de pointe dans notre pays croît plus rapidement que la consommation moyenne. Cela est lié au développement d'un certain nombre d'usages, mais aussi au caractère relativement grégaire de notre société où l'on a de plus en plus tendance à s'éclairer, à regarder la télévision, à utiliser l'ordinateur, à recharger ses appareils, en même temps, le soir.
La prévision de la demande et de l'offre se font dans un univers de probabilités, puisque les températures moyennes présentent toujours des variations et que la disponibilité annoncée par les différents producteurs est, par définition, inconnue en raison de la survenue éventuelle d'avaries. En croisant des hypothèses, nous regardons comment s'opère l'ajustement pour déterminer le solde des échanges, soit importateur, soit exportateur, qui nous permet, dans 99 % des situations que nous testons, de ne pas avoir besoin de recourir aux moyens exceptionnels : baisses temporaires de tension, surcharges temporaires de certains moyens de production, voire délestages en cas d'épuisement de tous les moyens précédents.
L'année dernière, à l'exception de deux semaines en janvier, le système français était normalement exportateur. Cette année, pour avoir des marges satisfaisantes, il nous faut être tributaire des importations. Nous avions d'ores et déjà repéré cette semaine 51 de l'année 2009 comme une des plus sensibles. La semaine 1 de l'année 2010 sera également sensible – le début l'année 2009 a d'ailleurs connu des périodes de froid atteignant les valeurs maximales d'appel sur le réseau. C'est le message que nous avons été amenés à adresser.
Cette semaine, les températures sont en dessous des moyennes saisonnières : de moins 6,8 degrés aujourd'hui, sans doute de moins 7 degrés demain et de moins 7,1 degrés vendredi. Elles entraînent des niveaux de consommation proches du plus haut historique – 92 400 MW le 7 janvier dernier. C'est lors des pointes de la demande que la sollicitation des réseaux, la production et le recours aux importations sont les plus forts.
L'ajustement se fait par la mobilisation, d'une part, de tous les moyens de production disponibles sur le territoire, d'autre part, des moyens de production que les différents acteurs du marché sont amenés à mobiliser à l'extérieur des frontières. Étant donné qu'il y a des disponibilités en Europe, il ne devrait pas y avoir de problème, mais notre réseau n'est pas une plaque de cuivre et des contraintes existent aux interconnexions. En effet, même si nous sommes, en comparaison avec d'autres pays, fortement interconnectés aux réseaux voisins, nous subissons les limites physiques des congestions qui se produisent aux alentours de 9 000 MW.
Cette semaine, nous avons été importateurs à la pointe, avec 4 386 MW lundi et 5 100 MW mardi. Nous prévoyons 7 100 MW aujourd'hui et 7 000 MW demain.
La limite maximale d'importation du système français étant de 9 000 MW, la marge est faible. Un aléa venant affecter soit un élément du réseau, soit un élément des moyens de production le rendrait vulnérable.
Note rassurante : sauf aléa nouveau, l'équilibre global offredemande sera cette semaine assuré en France, avec des marges réduites comme à chaque période de forte demande.
A noter cependant que nos principaux soucis concernent la Bretagne et la région PACA.
Située à l'extrémité du pays, la Bretagne produit seulement 8 % de l'électricité qu'elle consomme. Non seulement, son électricité doit être fournie par l'extérieur, mais comme compte tenu de sa géographie, elle est alimentée seulement par l'est, et le sud de son réseau est mieux alimenté que le nord. En outre, elle est dépendante de la centrale au charbonfioul de Cordemais, bien connue pour ses faiblesses : sur quatre tranches, trois sont disponibles aujourd'hui et si nous en perdions une, non seulement nous ne pourrions plus assurer convenablement l'alimentation de la Bretagne, y compris avec les expédients évoqués, mais nous serions confrontés à un risque de propagation d'incident sur l'ensemble du réseau, hantise d'un gestionnaire de réseau.
Bien entendu, notre mobilisation est permanente car il est de notre responsabilité de tout mettre en oeuvre pour l'éviter. Nous utiliserons à cette fin tous les moyens, en espérant ne pas avoir à le faire si la disponibilité de la centrale de Cordemais peut se maintenir. Parmi les quelques moyens de production locaux mis en oeuvre, l'éolien en Bretagne a certes connu un développement assez important, mais la production est actuellement d'à peu près 15 MW sur les 300 installés.
En situation structurelle de « péninsule électrique », la Bretagne est donc particulièrement vulnérable. Une consommation au-delà de 16 000 MW sur l'Ouest nous oblige à mobiliser un certain nombre de moyens : baisses temporaires de tension, qui ne sont pas perceptibles, sauf peut-être par certains consommateurs industriels, et surcharges temporaires de production. En outre, nous avons lancé avec le distributeur ERDF (Électricité réseau distribution France), les autorités locales et l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) des actions appelées « Écowatt » destinées à sensibiliser les consommateurs sur Internet ou par SMS grâce à un signal simple, orange ou rouge. Cette contribution est encore modeste (une dizaine de MW), mais symbolique et toujours bonne à prendre. Cependant, sans nouveaux moyens de production, il n'y aura pas d'issue pour résoudre cette fragilité d'alimentation électrique de la Bretagne. Le site envisagé pour une centrale à gaz à Ploufragan près de Saint-Brieuc fait l'objet de réflexions depuis longtemps. Jusqu'à présent, nous avons réussi à surmonter cette vulnérabilité, mais on ne peut pas toujours avoir de la chance…
Autre « péninsule électrique », la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur où toute l'alimentation se fait par la vallée du Rhône – car il n'y a pas de ligne de puissance avec l'Italie –, qui plus est avec une ligne essentiellement côtière, de 400 000 Volt. Certes, la capacité de transit de cette dernière sera doublée l'année prochaine, mais sa vulnérabilité intrinsèque sera maintenue – puisqu'en cas d'incident sur un pylône, les deux circuits passant sur la ligne sautent en même temps. Ainsi, même en faisant transiter plus d'énergie en condition normale, un incendie de forêt, un orage peuvent entraîner une déconnexion de l'ensemble.
En tout état de cause, nous devons renforcer le réseau. Nous avons lancé les études après l'annulation par le Conseil d'État, en 2006, de l'obtention d'une déclaration d'utilité publique pour réaliser un bouclage du réseau en 400 000 Volt. Cette décision nous oblige à reconsidérer l'ensemble. Une solution de remplacement un peu plus coûteuse a été actée en novembre 2008 en renforçant le réseau à 225 000 Volt, ce qui nécessitera au moins trois à quatre ans de mise en oeuvre. D'ici là, nous aurons des zones de fragilité, même si nous avons fait des progrès. Le curseur s'est en effet déplacé : l'an dernier, nous étions en zone de vulnérabilité dès que les températures étaient inférieures de cinq degrés aux moyennes saisonnières ; cette année, nous gagnons deux degrés de plus en « passant » plus facilement jusqu'à « moins sept degrés » par rapport aux moyennes saisonnières.
Vous nous avez appelés à un discours très direct, monsieur le président : très franchement, nous avons, cette semaine, plus de soucis pour la Bretagne que pour PACA.
L'Europe dans son ensemble ne manque pas de puissance électrique disponible. Compte tenu de leur modèle énergétique, un certain nombre de pays sont beaucoup moins sensibles que le nôtre aux variations de températures. Un degré de moins ou de plus représente 2 000 MW de plus ou de moins en France – liés au développement des usages thermiques de l'électricité – et 4 000 MW pour l'ensemble de l'Europe. À elle seule, la France représente la moitié de la sensibilité thermique à la température, mais d'autres pays étant moins sensibles, il y a des disponibilités à l'étranger. Le système français a des avantages compétitifs, notamment le nucléaire ; certains pays ont fait d'autres choix et disposent de moyens certes coûteux, mais disponibles. Les interconnexions peuvent donc, à tout moment, optimiser les échanges. Leur développement est donc intéressant. Les Espagnols, par exemple, sont parfois amenés à réduire leur production éolienne, leur capacité de transit avec notre pays étant de 500 MW seulement, alors qu'ils ont construit beaucoup d'éoliennes. Le projet France-Espagne, concrétisé après vingt ans de discussions, permettra d'augmenter de 1 400 MW les capacités de transit dans les deux sens.
En conclusion, pour regagner des degrés de liberté, la solution est certes d'avoir les meilleures marges de disponibilité sur tous les moyens de production, mais aussi la possibilité de réaliser plus d'interconnexions en Europe. Le problème n'est pas un manque d'idées, de projets, de moyens – aussi bien le régulateur que l'actionnaire ne nous ont jamais marchandé ni leur accord sur les projets d'investissements, ni les moyens de financement –, c'est un problème d'acceptabilité par l'opinion publique de ces ouvrages. C'est pourquoi nous avons besoin du soutien de tous les représentants publics pour convaincre nos concitoyens que, comme une ligne à grande vitesse ou une autoroute apporte un plus à la collectivité, une ligne à très haute tension d'interconnexion concourt directement à la sécurité en matière d'alimentation électrique. Rappelez-vous : lors de la tempête Klaus, Perpignan et sa région ont pu continuer à être alimentés dans des conditions à peu près satisfaisantes pendant cinq jours grâce à l'Espagne, car l'interconnexion avec ce pays a été maintenue en service, alors que les lignes traversant les Corbières étaient à terre.
Pouvez-vous nous dire un mot du communiqué que vous avez signé avec Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France ?
Participer aux efforts de maîtrise de la demande, notamment de la demande de pointe, fait partie de notre mission. En janvier 2009, la situation était assez comparable et nous avions lancé une alerte rouge pendant cinq jours consécutifs en Bretagne. Un certain nombre d'élus s'étaient alors émus de voir se prolonger, après les fêtes, des éclairages de Noël pendant les périodes de pointe, et M. Pélissard m'avait fait part de son souhait de voir les maires de France s'inscrire dans ce mouvement. Depuis un certain temps déjà, cet engagement des élus est aujourd'hui concrétisé, ce dont je me réjouis. On peut donc, tout en respectant le caractère festif de manifestations qui ne doivent pas se faire dans l'obscurité, y compris pour des raisons de sécurité, décaler de quelques heures l'allumage de certains éclairages superflus. En effet, pendant la période de pointe – précisément entre dix-huit heures trente et dix-neuf heures trente –, les variations peuvent être de plusieurs milliers de mégawatts. Par conséquent, tout ce qui peut permettre d'écrêter cette pointe est bénéfique pour la sécurité collective d'approvisionnement en électricité.
Vos propos justifient le rapport que nous avons produit il y a deux semaines avec Christian Bataille sur la norme de consommation énergétique des bâtiments neufs – 50 kilowattheures et 5 kg de CO2 par mètre carré et par an –, l'objectif étant d'une part de s'orienter vers une basse consommation, d'autre part de lutter contre l'effet de serre. Monsieur Maillard, aidez les parlementaires à convaincre le Gouvernement et à faire adopter cette norme qui seule permet d'aller vers les systèmes les plus innovants.
Monsieur le président Proglio, la situation est difficile car beaucoup de centrales sont à l'arrêt. Combien sont en marche ? Pourquoi certaines ne le sont pas ? Quels moyens supplémentaires EDF peut-elle mobiliser pour faire face à la demande ?
En qualité de président d'EDF, je suis très honoré de me trouver pour la première fois à vos côtés et je rends hommage aux travaux réalisés par l'OPECST, notamment sur le traitement des déchets nucléaires, mais aussi dans le domaine – très important dans la perspective de la gestion de l'énergie – de la réglementation thermique des bâtiments.
La question est de savoir quelle est la capacité de production d'EDF et comment elle peut la faire évoluer et se préparer aux échéances.
Sans grande surprise, l'hiver arrive en décembre et l'augmentation de la consommation nous rappelle la nécessité d'améliorer la capacité de production et de faire en sorte que les infrastructures existantes soient disponibles.
Le parc nucléaire n'est pas le seul à produire de l'électricité. Le parc hydraulique français, très important, est aujourd'hui totalement opérationnel. Quant au thermique, il peut être appelé en renfort.
Comme tous les ans, nous nous sommes mobilisés en cette période hivernale. Dominique Maillard l'a souligné : le record de pointe a été atteint en janvier. Cela incite à la réflexion car la consommation augmente d'année en année, en raison de l'augmentation de la population, mais aussi du niveau de vie. Or les îles électriques le deviennent de plus en plus si c'est là que la population connaît la croissance la plus forte. La Bretagne et PACA sont justement les deux régions de France où la population augmente le plus rapidement, ce phénomène d'attraction concernant des personnes dont le pouvoir d'achat est assez élevé et la consommation importante. Les évolutions récentes et celles mentionnées à l'instant n'ont donc pas vocation à être contredites dans les années à venir. Or force est de constater qu'il est difficile d'y faire face en raison des réticences des populations concernées vis-à-vis des infrastructures nécessaires pour les desservir. Cela a été évoqué par M. Maillard, mais je le redis de manière plus brutale : il est difficile d'éviter le phénomène de l'insularité si les populations concernées refusent à la fois les capacités de transport et les capacités de production.
S'agissant du parc nucléaire, les choses ont commencé à s'améliorer, mais la situation n'est pas satisfaisante en raison du nombre de tranches nucléaires qui ne sont pas actuellement en activité – pour cause de travaux de maintenance et de remplacement de gros composants. Sur les 58 tranches nucléaires existantes, quinze étaient à l'arrêt le 10 novembre, contre dix l'année précédente ; huit étaient à l'arrêt le 15 décembre, contre 6 ; et quatre tranches seront à l'arrêt en janvier, contre une. Évidemment, nous faisons en sorte que cette dégradation ne soit pas durable.
Ce phénomène s'explique par des problématiques d'investissements, mais aussi d'organisation des chantiers et de réactivité du groupe vis-à-vis du taux d'utilisation, ce qu'on appelle le coefficient de disponibilité du parc nucléaire, dont l'optimisation est une priorité absolue.
Un effort considérable a déjà été engagé depuis plus de deux ans s'agissant des investissements, dont le montant a doublé en trois ans, pour atteindre 7 milliards en 2009, dont 80 % au titre de la maintenance. En outre, le plan à moyen terme que j'ai accepté fait état de 24 milliards d'euros d'investissements pour les trois ans à venir, dont 80 % au titre du renouvellement, c'est-à-dire de l'entretien du parc existant. Ce sont des sommes considérables dont il faut prendre la mesure.
Certes, ce sont des investissements très importants, mais ne pensez-vous pas que quelque chose doit être fait en matière de management et d'organisation des chantiers ? À la centrale de Loviisa, relookée par les Finlandais grâce à une enceinte de confinement et un contrôle-commande occidental, le chargement du combustible se fait en deux semaines et la disponibilité est de 92 %. Quel est l'intérêt de découper les opérations de maintenance en « tranches fines de saucisson » ?
Je voudrais dissiper un malentendu. Le parc nucléaire français représente 85 % de la consommation française, très loin des chiffres internationaux. Mais comme il sert aux pointes autant qu'à la base, l'optimum du taux de disponibilité ne peut pas être égal à celui de certains pays où le parc nucléaire ne sert qu'à la consommation de base. Il est donc irréaliste d'imaginer un taux français de 95 %.
Pour autant, je ne me satisfais pas du taux de disponibilité actuel. L'optimum français tourne autour de 85 %, mais a été de 78 % au cours de cette année. Nous avons donc clairement, je le confesse, des progrès à faire.
Il y a un problème de gestion des chantiers car ce taux est inférieur à 80 % depuis au moins deux ans. Comment font les autres ? À Vattenfall, l'arrêt pour rechargement prend 24 jours.
À la tête d'EDF depuis peu, j'assume complètement la situation et suis convaincu que ce taux de disponibilité va s'améliorer. L'investissement est une partie significative de la réponse, mais une partie seulement. L'organisation des chantiers, les mesures à mettre en route pour que cette amélioration soit au rendez-vous seront une réalité dans les prochains mois. L'objectif que je me suis personnellement assigné est de remonter progressivement ce taux jusqu'à 85 % dans les trois à quatre ans.
Cela signifie-t-il que, lors des prochains arrêts pour rechargement ou maintenance programmée, la technique prendra le dessus sur le management et la gestion des marchés, que vous ferez appel à plus de compétences au lieu de vouloir gagner des bouts de ficelle ce qui vous est finalement préjudiciable ?
Cela veut dire en partie cela… (Sourires.) M. Minière peut répondre plus précisément.
Nous avons été très proches de l'optimum dans les années 2005-2006, avec des taux de disponibilité supérieurs à 83 %. Pourtant, dès cette époque, compte tenu des perspectives de durée de vie de nos installations, nous avons décidé d'investir massivement dans le parc, ce que nous continuons actuellement à faire. Simplement, ces investissements prennent un certain temps. Il s'agit donc avant tout d'un problème de réponse du tissu industriel, et non de passation de marché.
Un programme pluriannuel, permettant un contrat de confiance avec le fournisseur de service, n'est-t-il pas préférable à un séquençage du marché, qui aboutit à des petits marchés ?
S'agissant des gros équipements, qui nous coûtent aujourd'hui en disponibilité – alternateurs, transformateurs, etc. –, nous avons passé de gros marchés de six à sept ans, notamment avec Alsthom pour la rénovation de nos alternateurs. Compte tenu du tissu industriel, il faudra cinq à six ans pour rénover nos 40 machines, soit cinq à six machines par an. Ce programme, commencé dès 2006-2007, est donc largement entamé.
Je suis particulièrement attentif à ce sujet très important.
Cette filière industrielle lourde implique une anticipation et une coopération claire entre les acteurs. On a probablement péché collectivement par manque d'anticipation et de réalisme sur les nécessités de la filière globale. Je l'ai dit : l'effort nécessaire sera réalisé par EDF dans des conditions de délais rapides et d'efforts constants, et la réussite de ce programme sera visible dans les mois et les années qui viennent. Je prends aujourd'hui l'engagement devant vous d'améliorer le taux de disponibilité jusqu'à ce qu'il tangente l'optimum, sans pour autant atteindre le taux de 95 %, possible dans les pays où le nucléaire est une force d'appoint et non une capacité de production essentielle.
En plus, ces pays ont réussi à faire de la maintenance en ligne, ce qui facilite les choses.
Compte tenu des caractéristiques du marché français et de notre organisation – parfaitement pertinente car, à bien des égards, le programme nucléaire a anticipé les besoins du pays –, la France dispose d'un outil remarquable. Simplement, les investissements – considérables – réalisés pour le rendre plus efficace sont en cours. En outre, tous les efforts sont faits pour que l'optimisation et la mobilisation de l'outil industriel soient au rendez-vous, et que les effacements de pointe soient les plus efficaces possibles. Je suis très optimiste sur nos capacités futures à anticiper et à faire face aux évolutions de la demande.
Par ailleurs, nous avons entrepris un grand programme de développement de nouvelles capacités, dont les délais de réalisation ne sont pas non plus immédiats. La France devrait donc redevenir exportatrice d'énergie : sa vocation n'est pas d'importer, mais d'exporter de l'énergie. Les interconnexions sont nécessaires, mais elles seront demain, je l'espère, utilisées à l'exportation.
En outre, nous avons pris les mesures nécessaires pour garantir le plus possible, par des achats préventifs, les besoins pouvant être anticipés.
Enfin, restera le sujet de la gestion des effacements et de la juste valeur des tarifs énergétiques pour garantir les pointes, sur lequel MM. Sido et Poignant ont engagé une réflexion. Il mérite d'être mis sur la table car les capacités de pointe coûtent extrêmement cher. En tout état de cause, nous serons totalement transparents.
En conclusion, les sujets les plus importants aujourd'hui sont, premièrement, la mise en oeuvre et l'optimisation des capacités de production, deuxièmement, la capacité de transport associée, troisièmement, les équilibres économiques très importants, dont nous aurons de nouvelles occasions de discuter.
L'Union française de l'électricité, UFE, dont vous êtes le président, monsieur Durdilly, regroupe tous les producteurs d'électricité. Les autres opérateurs sont-ils en mesure de compenser les difficultés temporaires rencontrées par EDF ? Leur situation est-elle similaire ? La mise en oeuvre des recommandations du rapport Champsaur ne risque-t-elle pas d'aggraver ce genre de situations ?
L'Union française d'électricité rassemble l'ensemble des producteurs, commercialisateurs, distributeurs et transporteurs d'électricité. C'est en leur nom que je vous parle aujourd'hui.
Les producteurs autres qu'EDF participent de longue date à l'équilibre offredemande au moment des pointes, à l'échelle de leur production. Il est donc important qu'ils soient bien associés et puissent investir, comme EDF doit pouvoir le faire, dans des moyens de pointe et d'extrême pointe.
Les producteurs réunis au sein de l'UFE ont souhaité améliorer la transparence des données sur la production disponible. C'est ainsi que, depuis plus de deux ans, nous fournissons à l'ensemble des acteurs du marché des informations très précises sur la puissance disponible (ex ante) et effectivement réalisée (ex post). Nous avons encore des progrès à faire, mais ceux-là sont appréciés par les acteurs du marché et ont été soulignés par le régulateur.
Je vais illustrer par quelques exemples les contributions des autres producteurs qu'EDF en cas de situations tendues.
Lors de la panne très importante survenue en Allemagne en novembre 2006, qui avait également touché notre pays, les centrales de la CNR (Compagnie nationale du Rhône) et de la SHEM (Société Hydro Electrique du Midi) ont été sollicitées de manière exceptionnelle pour maintenir l'équilibre.
En PACA, région fragile, les périodes de maintenance de CyCoFos – un cycle combiné gaz de GDF-Suez entré en service il y a quelques mois à Fos-sur-Mer – sont gérées en fonction notamment des sollicitations de RTE. Y compris pour GDF-Suez, cette question est donc prégnante.
La mise en service de la nouvelle centrale de Poweo en septembre arrive au bon moment. Alors qu'elle doit plutôt fonctionner en semi-base, elle fonctionne aujourd'hui à plein régime. Cette contribution est donc également très importante.
En Bretagne, région également fragile, le projet de centrale de pointe envisagé à Ploufragan a fait l'objet d'un appel d'offres. Malheureusement, il n'est toujours pas formellement lancé. On peut le déplorer, d'autant que les conditions économiques de son lancement ne sont plus réunies. Il est donc très important que tous les élus, vous en particulier, soutiennent ce genre de projets pour améliorer les situations extrêmes de ce type.
C'est une lourde responsabilité politique.
Dans ce domaine, les investissements sont de longue durée. Les décisions prises en 2010 auront leurs pleins effets en 2020, soit un cycle de dix ans. Par conséquent, à l'heure où il est de plus en plus difficile d'obtenir des autorisations, il est très important d'anticiper, et cette nécessité doit être prise en compte, notamment par les pouvoirs publics.
Par ailleurs, il faut que les capacités de pointe soient correctement rémunérées. Or aujourd'hui, le dispositif en place ne rémunère pas correctement les capacités de pointe, et encore moins les capacités d'extrême pointe, utilisées seulement quelques dizaines d'heures par an. Une réflexion devrait être menée sur ce sujet. Il est également important d'agir sur les consommations et de lutter contre une dérive négative vis-à-vis de la pointe. C'est pourquoi nous sommes très heureux qu'une mission présidée par Bruno Sido et Serge Poignant s'attaque à cette question sous l'autorité de la DGEC, car elle permettra de poser la problématique à la fois de l'effacement et des investissements nécessaires. Il est en effet regrettable que notre capacité d'effacement soit passée, en quelques années, de 6 000 à 1 000 MW, soit une perte considérable.
Concernant le rapport Champsaur, monsieur le président, notre profession partage votre préoccupation quant à la nécessité que la mise en oeuvre de ses recommandations ne fragilise pas, mais au contraire consolide les capacités de notre système électrique à résister à ces périodes de tension. C'est un point crucial. Nous avions largement contribué aux réflexions de la commission Champsaur et nous nous félicitons que plusieurs de nos recommandations aient été retenues dans son rapport. J'en citerai trois qui sont parfois oubliées.
Concernant la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement et du paquet climat énergie, qui nécessite à la fois une modification des comportements et des investissements tant de la part des particuliers que des entreprises, le rapport indique : « il est nécessaire d'envoyer les justes signaux économiques intégrant le prix du CO2 et incitant à la maîtrise de la demande, en particulier lors des pointes de consommation quand l'électricité est la plus chère à produire et la plus émettrice de CO2. »
Plus spécifiquement pour la pointe, je cite encore le rapport : « la commission souligne l'importance d'un "signal prix", traduisant le coût et les impacts de la production d'électricité de pointe, réellement incitatif à des comportements vertueux de la part des consommateurs pour créer les conditions d'une utilisation rationnelle de l'énergie. Dans la perspective d'un tarif réglementé construit par empilement des coûts de réseau et d'énergie, il est important que le TURPE (tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité) continue à évoluer vers plus d'horosaisonnalité, afin de pouvoir donner une plus grande valeur à l'effacement de consommation en période de pointe. »
Enfin, sur la question du développement d'une offre de pointe sur le marché de gros concurrentiel, la commission a partagé notre analyse des difficultés spécifiques pour l'extrême pointe, le rapport indiquant que pour l' «extrême pointe, marquée par des coûts de production élevés au regard de leur durée d'utilisation et de forts aléas, les marchés européens ont fait appel à des solutions variées. » C'est une question fondamentale à traiter.
Vous le voyez, monsieur le président, les recommandations du rapport Champsaur ne peuvent être réduites à la seule question de l'accès régulé à la base. L'enjeu autour de leur mise en oeuvre réside donc, pour l'ensemble des acteurs, dans la capacité à établir les conditions de rémunération de tous les investissements, tout en permettant l'émergence d'un espace concurrentiel effectif. Il importera donc que la transposition dans la loi NOME (nouvelle organisation du marché électrique) crée un cadre incitant les différents acteurs à investir juste ce qu'il faut, mais suffisamment pour éviter les tensions offredemande, en particulier dans les périodes de pointe et d'extrême pointe.
L'enjeu est bien pour nous de transposer les recommandations de la commission Champsaur pour faire émerger le plus rapidement possible une véritable organisation industrielle de la concurrence.
Je vais vous livrer mon analyse.
Faites « juste » les investissements nécessaires pour que la pointe soit justement rémunérée, c'est-à-dire à un prix fort, et essayez de démanteler un peu la production, EDF étant trop gros : tous les ingrédients sont réunis pour une crise à la californienne !
Aujourd'hui, le problème majeur dans le domaine énergétique est le manque d'investissement et le fait que d'autres doivent venir et créer des capacités nouvelles de production. Jusqu'à cette première centrale dont vous avez parlé, le risque pris par le producteur Poweo a été un micro-ordinateur et un téléphone ! Ce n'est vraiment pas à la hauteur des problèmes des demandes énergétiques du monde de demain !
Par « organisation industrielle de la concurrence », nous entendons la création d'un cadre incitatif permettant les investissements – car c'est la clé – aussi bien pour EDF dans son développement que pour les autres concurrents.
Il s'agit d'investir et de ne pas affaiblir ceux qui ont la capacité de créer des moyens de production supplémentaires.
Selon l'Agence internationale de l'énergie, 30 000 milliards de dollars d'investissements seraient nécessaires d'ici à 2030 dans le domaine énergétique pour faire face à la demande du monde entier. Or je ne crois pas que, face à ceux qui ont des capacités, de petites unités permettront d'augmenter l'investissement. C'est là peut-être un précepte européen un peu vain.
M. de Ladoucette, vous qui êtes président de la Commission de régulation de l'énergie – CRE –, ce marché est-il capable de faciliter la gestion d'une crise d'approvisionnement ? En cas de besoins non satisfaits sur un territoire national, un contrat d'exportation doit-il être honoré ? Des clauses de sauvegarde sont-elles prévues dans ce cas ? Sans parler de délit d'initié, certains ont-ils anticipé un peu vite sur les besoins lors des récents pics connus ?
La constitution d'un marché européen ne freine pas, mais facilite la gestion des crises. Il nous est impossible aujourd'hui de raisonner en termes de sécurité d'approvisionnement comme si notre pays était un îlot. Le Parlement et les gouvernements successifs ont décidé de créer un marché européen de l'énergie. Non achevé, ce marché est encore perfectible, mais une amélioration des interconnexions est en cours.
Hier, mardi 15 décembre, la France a été approvisionnée par le marché européen : les pays voisins nous ont permis de couvrir nos besoins en électricité à dix-neuf heures avec un total des imports de 5 100 MW. Pour ce soir, la situation d'importation sera équivalente, voire amplifiée d'après les prévisions de RTE.
Vous le voyez : les moyens de production des différents pays sont complémentaires. La France dispose aujourd'hui de moyens de production en base extrêmement puissants et performants, dont elle se sert aussi pour exporter vers des pays qui n'en ont pas. Parallèlement, elle doit aussi investir dans les moyens de pointe ou de semi-base, faute de l'avoir fait au cours des quinze ou vingt dernières années. En attendant, nous sommes très heureux de bénéficier des moyens de nos voisins.
Absolument. Depuis des années, nous insistons surtout sur notre capacité d'exportation, mais nous avons également besoin d'importer aujourd'hui. Nous avons utilisé les moyens de notre voisin espagnol lors de la tempête Klaus, comme Dominique Maillard l'a souligné, et utilisons beaucoup ceux de nos amis allemands, belges, anglais et suisses.
En dehors des centrales nucléaires, nous investissons beaucoup actuellement dans le gaz : une douzaine de centrales à gaz seront mises en activité d'ici à 2012, ce qui est une nouveauté sur le territoire français en matière de production.
Ainsi, grâce aux interconnexions et aux nouveaux investissements, ce marché européen va dans le bon sens. Nous pourrons, lors de nos pointes, bénéficier des moyens de production de nos voisins, notamment de l'éolien des Espagnols entre autres. Inversement, nous apporterons nos moyens à la faveur des décalages des heures de pointe entre la France, l'Espagne et l'Angleterre. Nous pouvons donc être complémentaires, mais à condition d'optimiser les interconnexions.
On peut le faire en en construisant de nouvelles à certains endroits, mais cela est long et compliqué. On peut aussi améliorer l'existant, travail auquel la Commission de régulation de l'énergie et les autres régulateurs européens s'attèlent depuis plusieurs années, l'idéal étant le couplage des marchés. Celui entre la France et le Benelux permet de gérer de manière optimale la congestion entre ces différentes zones, un couplage des marchés avec l'Allemagne sera réalisé au mois de mai prochain, et devrait être étendu d'ici à 2012 à la péninsule ibérique et au nord de l'Europe. Les deux tiers de l'Europe couverts, le flux à l'import et à l'export entre les différents pays fonctionnera facilement au bénéfice du consommateur final.
Certes, un pic de prix a atteint le niveau de 3 000 euros le 19 octobre. Mais il est très artificiel puisqu'il s'agit d'un plafond défini pour le cas où il n'y aurait pas de rencontre entre l'offre et la demande dans les prévisions, le prix étant quelques heures auparavant de 50 euros le mégawatt…
Pour le lundi 19 octobre, il y a eu à la fois une révision à la hausse de 3 000 MW des estimations de la consommation entre le vendredi et le dimanche et une révision à la baisse de 4 100 MW des estimations de disponibilité du parc de production, due à une faible disponibilité de certaines centrales nucléaires et à la non-disponibilité de la centrale hydraulique de pointe de Grand'Maison le dimanche matin.
Ainsi, le total des imports le 19 octobre au moment de la pointe a été de 7 200 MW, que nous avons trouvé grâce aux interconnexions.
Cette situation ne préfigurait pas ce qui allait se passer aujourd'hui. Ce pic de prix aurait pu se produire une fois et ne pas se renouveler. Il s'agissait simplement d'une question de disponibilité du parc de production et d'augmentation de la consommation, avec comme résultat un décrochage sur les marchés financiers de gros. Je vous rassure : il y a eu certes des gagnants et des perdants dans cette opération, mais pas de délit d'initié…
Monsieur Guillard, vous êtes directeur-adjoint de l'énergie à la Direction générale de l'énergie et du climat – DGEC – et êtes resté « au boulot » pendant que les autres admiraient la petite sirène à Copenhague !
En cas de délestages, avez-vous votre mot à dire ? Qui fixe les règles de priorité ? La tutelle peut-elle prévenir le risque d'un manque d'électricité et la planification pluriannuelle des investissements – PPI –, dont vous avez la charge, a-t-elle intégré cette difficulté ? Pourquoi des délais pour le lancement du troisième EPR ? Entre parenthèses, beaucoup sont intéressés à y prendre des participations, et une sorte de modèle scandinave est en train de se développer en France, où les gros utilisateurs copropriétaires de l'installation autres que les compagnies d'électricité investissent pour avoir un retour à prix coûtant… Enfin, avez-vous déjà envisagé de créer des capacités de stockage d'électricité, comme Christian Bataille et moi même l'avons préconisé dans notre rapport du mois de mars ?
La nouvelle DGEC comprend un service de l'énergie et un service du climat. Cette organisation répond à une volonté de rechercher un équilibre entre accroissement des investissements et modération de l'augmentation de la consommation.
Nous ne disposons évidemment d'aucune centrale de réserve dans les sous-sols de La Défense pour gérer la pointe de consommation d'électricité dans les jours qui viennent. La gestion sera donc effectuée par RTE dans le cadre de son cahier des charges de concession et en application des dispositions réglementaires qui régissent son activité. La responsabilité permanente de la gestion de l'équilibre qui lui est confiée inclut celle du délestage, en cas de besoin. En cas de délestage programmable, RTE fera connaître à l'avance aux gestionnaires des réseaux de distribution les périodes et l'ordre de grandeur de la diminution de leur consommation et de celles de leurs clients finaux. Si le délestage est inopiné et non prévisible – nous y échapperons, j'espère –, le travail sera effectué par les ordinateurs et les automates du réseau. Tout délestage programmable doit préserver un certain nombre de clients dits prioritaires : y figurent les hôpitaux, les laboratoires qui travaillent pour eux et les équipements de sécurité, dont l'éclairage public hors l'éclairage de Noël.
Sauf déclaration prochaine de RTE, il n'est pas envisagé de crise grave : la réunion d'aujourd'hui et les annonces possibles de délestage doivent être perçues comme des premiers clignotants de signalement d'une éventuelle difficulté, au cas notamment où le taux de disponibilité des centrales ne s'améliorerait pas. Plutôt que des coupures importantes ou longues, du type de celles qui ont pu avoir lieu lors de périodes de tempêtes, il faut plutôt envisager des coupures de quelques heures, préjudiciables plutôt à l'amour-propre de certains industriels qu'au confort de leurs clients.
Pour déterminer les équilibres à long terme, la DGEC lance tous les trois ans un exercice de programmation pluriannuelle des investissements de production électrique (PPI). Cet exercice a été bouclé cette année. Les arrêtés consécutifs seront peut-être même pris à Copenhague, avant la fin du sommet. Ils jouent sur plusieurs équilibres : entre énergie et climat, offre et demande, accroissement du confort et progrès de la raison, en effet, si l'augmentation permanente de l'investissement dans la production d'énergie est un facteur de progression pour une part importante de l'économie française, c'est aussi une obligation faite au consommateur de dépenser plus d'argent pour l'énergie qu'en investissant dans son logement.
L'exercice de PPI fait apparaître que, d'ici 2020, la consommation d'énergie en France devrait diminuer, ou à tout le moins se stabiliser, dans tous les secteurs, y compris l'électricité. Seule l'évolution à la hausse de la pointe diverge de cette tendance générale. Les équilibres de la PPI sont cependant subordonnés à l'obtention d'un gain de 40 % d'économies d'énergie dans l'habitat. L'obtention des équilibres de la PPI suppose la réalisation de la douzaine de centrales à gaz déjà prévues et des deux centrales nucléaires EPR de Flamanville – déjà en construction – et de Penly. En revanche, les équilibres de l'exercice font apparaître que, d'ici 2020, la construction d'une troisième centrale EPR est inutile. S'ajoute à l'exercice la réflexion sur la prolongation des durées de vie des centrales aujourd'hui installées, qui dépend d'aléas industriels et de décisions essentielles en termes de sûreté nucléaire, et qui est l'un des enjeux majeurs des deux prochaines décennies. Nos modèles macro-économiques montrent aussi que les deux nouvelles centrales EPR devraient permettre de dégager une marge supplémentaire d'énergie disponible à l'exportation. Pour ces raisons, il n'a pas été inscrit de troisième centrale EPR dans la PPI. Il n'est donc pas question de retard, d'autant que sa construction n'a nullement été annoncée.
Dans le tout récent rapport de l'Office sur la performance énergétique des bâtiments, Christian Bataille et moi-même avons suggéré d'étudier la possibilité de récupérer la chaleur produite par les centrales thermiques en créant des réseaux de distribution de chaleur et d'eau chaude pour le chauffage des bâtiments. Les deux difficultés à surmonter étant d'une part la distance entre les centrales et les bâtiments, d'autre part la diminution du rendement électrique, nous suggérons d'utiliser ce réseau via l'alimentation en calories des pompes à chaleur. En ce cas, l'exigence en termes de température de l'eau est en effet moindre que pour des réseaux de chauffage direct. Le potentiel serait de 140 gigawatts. Envisagez-vous l'étude de cette piste, notamment pour l'équipement de nouveaux quartiers ? Cette solution aurait aussi l'avantage de résoudre la question du refroidissement des eaux utilisées par la centrale avant leur rejet à la rivière.
Les centrales thermiques rejettent en effet ce qu'on appelle de la mauvaise chaleur, de l'eau à environ 30 degrés. La piste que vous évoquez a déjà été étudiée plusieurs fois. La problématique consistant à gagner quelques dixièmes de points sur le rendement de Carnot cède cependant devant celle du nécessaire équilibre économique de cette filière, si elle devait naître. Les réalisations sont donc subordonnées à la conduite d'études de faisabilité des gestionnaires de réacteurs et de leur éventuelle clientèle de proximité. Pour autant, la priorité des mois et années qui viennent reste l'augmentation du taux de disponibilité.
Voilà quelques années, La France était exportatrice d'électricité. Or, monsieur le président Proglio, les deux exemples que vous avez cités, du 19 octobre et du 15 décembre, montrent qu'elle est aujourd'hui obligée d'en importer.
Pourquoi les centrales à l'arrêt sont-elles si nombreuses? Membres de la majorité ou de l'opposition, nous sommes persuadés que les causes de cette situation sont non pas industrielles mais internes à l'entreprise EDF. Quel est le coût d'un jour d'arrêt d'une centrale ? Pour nous, les petites économies sont créatrices de grands déficits. Nous souhaitons donc disposer d'éclaircissements. La liste des pays susceptibles de subir des risques de coupures d'électricité cet hiver comprend la Finlande, la Lituanie, la Slovaquie, la Serbie, la Croatie… et la France.
Par ailleurs, quel est l'état d'avancement des interconnexions entre les grands groupes de pays ? L'année 2012 a été évoquée pour l'interconnexion avec l'Espagne. Les décisions ont-elles été prises ?
Le développement de l'éolien en Europe n'a-t-il pas eu pour conséquence le développement de l'usage énergétique du gaz, c'est-à-dire des rejets supplémentaires de gaz à effet de serre ? Fallait-il suivre cette stratégie ? Si oui, quel est le format optimal de la production d'énergie éolienne ? Dans un rapport que Claude Birraux et moi-même avons élaboré ensemble en 2001, nous prônions le développement des énergies renouvelables. En revanche, nous avions intitulé le chapitre consacré à l'éolien : « L'éolien sans passion ». Si le recours à cette énergie est nécessaire, privilégier son développement ne risque-t-il pas d'aboutir à la création de centrales à gaz – vous nous l'avez dit, de nouvelles centrales de ce type vont être construites en France – donc à l'accroissement de nos rejets de gaz à effet de serre ?
Enfin – Les Echos d'aujourd'hui ont évoqué ce point – les négociations sur l'enrichissement de l'uranium ne vont-elles pas créer pour nous une nouvelle dépendance envers la Russie, qui s'ajoutera à celle qui est déjà la nôtre envers elle pour le gaz et envers le Moyen-Orient pour le pétrole ?
Je m'associe à cette dernière question. Par ailleurs, la situation d'approvisionnement plus tendue que nous connaissons n'a-t-elle pas pour origine le raisonnement récurrent selon lequel exporter n'était pas raisonnable tandis que les efforts de diminution de la consommation nous dispensaient de nous doter de capacités nouvelles ?
De plus, le complément naturel des éoliennes, ce sont les atolls de stockage. Il faut pouvoir stocker lorsque le vent souffle sans que le besoin soit là, et turbiner pour répondre aux besoins pendant les périodes sans vent.
Si la France importe ponctuellement de l'énergie, elle en est potentiellement exportatrice et va le redevenir.
Pour des raisons d'ajustement, il peut y avoir à la fois des importations et des exportations dans la même journée. Les modes de vie étant différents, les pointes de consommation n'ont pas lieu aux mêmes heures dans toute l'Europe. L'organisation de la structure de marché européenne permet à la France, selon les moments, d'importer ou d'exporter.
Ensuite, les investissements considérables réalisés en France sont déjà aujourd'hui des gages d'autonomie, voire de capacités d'exportation. Ceux, déjà décidés, qui vont être réalisés dans les années qui viennent pour améliorer le taux de disponibilité du parc existant et construire de nouvelles centrales permettent d'envisager un avenir relativement serein.
Enfin, même si, du fait de l'augmentation de la consommation unitaire – liée au niveau de vie – et de celle du nombre d'habitants, la consommation globale est supérieure aujourd'hui à celle des vingt dernières années, les investissements considérables réalisés depuis cinquante ans par notre pays pour la production d'énergie lui assurent une situation des plus confortables et des atouts considérables dans l'univers européen.
Il n'y a donc globalement pas lieu de s'alarmer. Les cycles et les délais de réalisation et de mise en oeuvre sont longs. L'amélioration se produira progressivement, mais sans doute plus rapidement qu'attendu.
L'an dernier, le solde des exportations et des importations de la France était de l'ordre de 51 térawatts-heure (TWh). Les exportations se montaient à 80 TWh environ et les importations à 31 TWh. Le solde estimé pour cette année est de l'ordre de 26 ou 27 TWh : 62 TWh ont été exportés et 37 importés. La différence entre les deux années a essentiellement pour origine la production nucléaire. Or l'année 2009 a été très particulière ; non seulement des avaries techniques sont survenues sur les alternateurs – ils seront remplacés dans les prochaines années – mais un mouvement social a eu un fort impact – 18 TWh – sur la production. Nous faisons tout pour que cette situation ne se reproduise pas.
Ensuite, les marchés organisent bien la confrontation entre offre et demande au sein de l'Europe : à un moment donné, il peut être moins coûteux d'acheter sur le marché de l'électricité disponible à l'étranger, par exemple en Allemagne, que de faire tourner une tranche supplémentaire en France.
Enfin, la raison principale pour laquelle le solde exportateur peut tendre à s'éroder progressivement est le développement de l'éolien. S'il est difficile de compter sur cette ressource en termes de puissance garantie – un temps froid n'est pas forcément accompagné de vent –, la production allemande pèse très fortement sur le bilan. Il nous est arrivé cette année de devoir laisser à l'arrêt des capacités de production nucléaires faute de pouvoir les exporter du fait de la production concomitante de l'éolien. Celle-ci impose aussi des contraintes au réseau.
Un point de disponibilité représente de l'ordre de 300 millions d'euros.
Soit un million d'euros par jour environ.
Je trouve dommageable qu'en période de reprise du marché mondial, la France, où l'expertise est la plus solide, et qui, avec le développement du nucléaire, a conduit depuis des années une politique de diversification énergétique très forte, se trouve en situation de faiblesse. Le risque est grand que nos concurrents, et tout particulièrement les Américains, développent de nouveau leur propre expertise et nous dament le pion sur certains marchés.
La cacophonie qui s'exprime dans la presse – notamment à propos d'Areva, ou de restructurations difficiles à comprendre – n'est pas non plus favorable à l'image de la filière nucléaire française ; c'est tout à fait dommageable en termes d'opportunités de développement économique.
Enfin, l'investissement en compétences commerciales n'a-t-il pas été préféré à l'investissement en compétences techniques ? Les filières de formation au génie nucléaire sont de moins en moins nombreuses. A Grenoble, les deux filières de génie atomique et génie nucléaire ont été supprimées. Nous tentons de les faire revivre par l'intermédiaire de l'Institut national polytechnique. Cette stratégie ne serait-elle pas à l'origine de nos difficultés ?
Votre question est tout à fait pertinente. La France est le seul pays à avoir conservé des compétences en génie nucléaire. La raison en est son action à l'exportation. C'est probablement en grande partie grâce à la Chine que, au contraire de tous les autres pays européens, elle a pu continuer à construire des centrales nucléaires ces vingt dernières années.
Seule parmi les acteurs du nucléaire, EDF a pu ainsi continuer à développer ses compétences. Si la situation actuelle n'est pas idéale, c'est cependant celle d'une force relative. Les centrales en cours de construction en France en attestent. La centrale de Flamanville est aujourd'hui la référence mondiale. Aucune autre centrale en construction, même aux Etats-Unis, n'atteindra son niveau d'efficacité.
Il reste que la moitié des effectifs spécialistes du nucléaire d'EDF va partir à la retraite dans les cinq ans qui viennent. En termes de perspectives, la situation que vous évoquez est donc en effet préoccupante. Ma première action de président d'EDF a été, la semaine dernière, de lancer un très important effort de formation de compétences. EDF doit être pionnière dans ce domaine. En association avec l'éducation nationale, nous allons créer sans délais des centres et des campus de formation dédiés à l'ensemble d'une filière des métiers de l'énergie électrique : nucléaire, hydraulique, thermique, mais aussi distribution. Grâce à mon expérience de la création de ce type de centres dans les métiers de l'environnement, je sais qu'EDF dispose de cette capacité. Ces centres sont des outils indispensables pour les années à venir.
Les formations devront être conçues en étroite coopération avec l'éducation nationale. Je souhaite qu'elles soient diplômantes. Elles doivent constituer un élément extrêmement fort de mobilisation interne, de capacité de création et de transfert de compétences, mais aussi jouer une fonction puissante d'ascenseur social et de formation tout au long de la vie. Les décisions sont prises. Leur application sera très rapide.
Le service des achats d'EDF ne devrait-il pas veiller à ne pas choisir systématiquement le prestataire le moins-disant et à vérifier quel est le plus qualifié et le plus capable de fournir le service dans les meilleures conditions ?
Cette idée est sans doute excellente. Cependant, lorsque, à l'intérieur de l'entreprise, les commerciaux prennent le pouvoir sur les ingénieurs, y compris pour la remise à niveau d'une centrale…
Cette description concerne non pas les commerciaux, mais les financiers…
Si une commission d'enquête devait être créée, nous examinerions à quelles économies ont abouti les décisions prises.
Le monde actuel est dominé non pas par les commerciaux mais par la finance. La facilité, c'est de répondre aux contraintes immédiates. Quelles que soient ses vertus, le marché porte fondamentalement à privilégier le court terme. Il ne récompensera jamais rien aussi bien que le maximum d'économies possible sur les coûts.
Mais si les résultats des mesures d'économies sont immédiats, la pertinence d'une stratégie industrielle ne se révèle qu'à plus long terme. En conséquence, beaucoup de volonté et de courage sont nécessaires pour assurer la prééminence de l'industrie sur la finance. Remettre l'industrie au centre des décisions représente un effort de transformation considérable. Lorsque des collaborateurs savent qu'ils seront sanctionnés s'ils ne réalisent pas l'optimum de la performance économique, le plus simple pour eux est de découper le projet en tranches les plus fines possibles, de lancer des appels d'offres et d'aller vers le moins-disant. Sont alors oubliées les interfaces, ainsi que la non réalisation in fine de certaines économies.
Même si, ne serait-ce que par ma formation, la problématique des contraintes financières ne m'est pas étrangère, et si je ne sacrifierai ni la rigueur financière ni l'efficacité, je suis déterminé à donner une priorité absolue à l'industrie. Je suis donc en accord avec vous.
Nous venons de franchir 19 heures sans avoir eu à basculer sur les groupes électrogènes de l'Assemblée nationale… A cet instant la demande de consommation atteignait les 89 400 mégawatts, valeur très élevée, quoique non maximale. Au moment de cette pointe, nous avons importé 6 650 mégawatts.
Par ailleurs nous avons l'objectif de doubler en sept ans – autrement dit d'ici 2016 – la capacité d'interconnexion et de transit de la France avec les pays voisins. 1 400 MW devraient être ajoutés entre la France et l'Espagne d'ici 2013, 1 600 entre la France et l'Italie d'ici 2014 et une nouvelle liaison entre la France et la Grande-Bretagne devrait être créée en 2016, pour 1 000 MW. En y ajoutant certains renforcements à la frontière du nord, avec la Belgique et le Luxembourg notamment, une marge de 5 000 MW supplémentaires sera ainsi créée dans les six prochaines années pour mieux optimiser les flux d'échanges électriques avec nos voisins.
N'assiste-t-on pas à une remise en cause du modèle énergétique français ? Pourquoi, semble-t-il, la France consomme-t-elle plus d'électricité que les autres pays ?
Les caractéristiques particulières de la consommation d'électricité en France ont pour origine une politique énergétique spécifique, décidée voici plusieurs dizaines d'années, d'investissement dans les domaines nucléaire et hydraulique. Cette politique ayant transformé l'électricité en une ressource extrêmement compétitive, le développement de ses usages en France a été supérieur à celui d'autres pays.
Au sein du nouveau modèle – nouvelle régulation, nouvelle compétition, multiplication des acteurs – voulu par la France et l'Europe, le devoir des pouvoirs publics est de mettre en place des régulations garantissant la sécurité d'approvisionnement et la capacité de détermination d'une politique énergétique. Une telle action est évidemment plus complexe à conduire dans un univers concurrentiel que dans un univers de monopole régulé. L'enjeu est bien notre capacité à faire évoluer le système sans compromettre les fondamentaux d'une sécurité électrique dont nous avons toujours été fiers.
La consommation d'électricité de la France est plus fortement marquée que celle des autres pays par des moments de pointe : en hiver, faire face à une diminution de la température extérieure d'un degré nécessite 2 100 mégawatts supplémentaires, soit la moitié du supplément de la consommation de l'Europe. La raison en est tout simplement que, depuis la mise en place du plan d'équipement en énergie nucléaire, en 1972 et 1973, le chauffage électrique s'est considérablement développé en France.
L'association négaWatt estime que le principal responsable de la pointe de consommation est le chauffage électrique. Confirmez-vous cette analyse ? Ce point n'a été qu'effleuré aujourd'hui, et seulement par MM. Maillard et Guillard.
Cette question a été abordée par le rapport déjà cité que Christian Bataille et moi-même avons élaboré.
Personne ne nie ici qu'un degré de moins, c'est un appel supplémentaire de 2 000 MW, et que cet appel est destiné au chauffage électrique. En revanche, la période de chauffage commence vers le 15 septembre et s'achève vers le 15 avril. L'essentiel de l'énergie consommée par le chauffage électrique ne l'est donc pas pendant les pointes de consommation d'hiver. De plus, si la courbe de charge est extrêmement pointue à 19 heures, celle de la consommation de chauffage électrique, elle, est plate : associée à la consommation du ballon d'eau chaude, la consommation pour le chauffage est même légèrement plus importante la nuit que le jour. Si le chauffage électrique a ses défauts, il a aussi ses qualités !
Par ailleurs, l'une des raisons du fort développement actuel du chauffage électrique est peut-être que, alors que les prix du gaz ou du fioul ont beaucoup augmenté, ceux de l'électricité ne sont pas à leur juste valeur. Dans la construction neuve, la part de marché du chauffage électrique est de l'ordre de 80 %, supérieure à celle des années 70, au moment du choc pétrolier. Cette distorsion de prix n'est pas satisfaisante.
En effet, la forte consommation électrique lors de la pointe de consommation est liée à l'importance du chauffage électrique, elle-même due à l'ampleur du parc nucléaire.
En France, l'image de l'électricité n'est pas forcément la même que dans d'autres pays : y prendre le train, c'est ne pas émettre de CO2 ; en Pologne, c'est consommer du charbon.
La très faible émission de CO2 par le chauffage électrique – sauf peut être pendant les moments de pointe en hiver – a entraîné son très fort développement ; de ce fait, la consommation électrique française est très liée au climat. Pour autant, la pointe de chauffage n'existe pas qu'en France. En Allemagne, où l'hiver est très froid et enneigé, elle est beaucoup plus forte et provoque une pointe énorme des émissions de CO2 : les énergies utilisées par les Allemands pour se chauffer étant le gaz et le pétrole, la base de ces émissions est beaucoup plus élevée qu'en France. En France la pointe de chauffage est une pointe de consommation d'électricité, en Allemagne, une pointe de consommation d'énergies fossiles.
Le programme nucléaire français a-t-il été un bon choix économique ? Au moment du contre-choc pétrolier, dans les années 1990, quatre fois par an, au conseil d'administration du CEA, l'angoisse portait sur la compétitivité de l'énergie nucléaire au regard du charbon ou du pétrole : à l'époque, tandis que le prix de ces énergies était très faible, le parc de centrales nucléaire n'était pas amorti et coûtait très cher en remboursement d'investissements. Aujourd'hui, le prix de l'énergie nucléaire en France, en base et semi-base, est absolument sans concurrence. La seule réserve qu'évoquerait sans doute EDF est la nécessité de nouveaux investissements, au moins pour assurer la maintenance et le bon vieillissement du parc. C'est là l'explication de ce qui est une sorte de spécificité de la sociologie électrique française par rapport aux autres pays européens.
Pour l'électricité et le chauffage, un document récent de l'Agence internationale de l'énergie montre que le contenu du kilowattheure en CO2 est en moyenne de 90 grammes en France, de 412 grammes en Allemagne et de 314 grammes au Danemark.
Par ailleurs, toujours selon l'Agence internationale de l'énergie, en août dernier les capacités de production électrique étaient constituées de combustible fossilepour 78 % au Danemark, 58 % en Allemagne et 8 % en France.
Si nous voulons gagner la « bataille de la pointe », nous devons agir sur tous les usages. La consommation d'électricité en France est aujourd'hui tirée par les usages domestiques. Le signal à envoyer au consommateur doit donc les intégrer tous, y compris ceux qui, outre le chauffage électrique, sont en fort développement. Pour être aussi clair que possible, ce signal doit aussi intégrer une problématique de prix. C'est ainsi que nous pourrons inciter le consommateur à modifier ses comportements, à investir, et, pendant les périodes de pointe, à éteindre la lumière ou abaisser sa température de consigne.
Je voudrais aussi évoquer les mécanismes de stockage de l'énergie. Notre système de rémunération de l'énergie privilégie la production. Le nombre d'heures d'utilisation des dispositifs de stockage, qui permettent de passer les moments de pointe, est relativement faible. Il faut donner de nouveau de la valeur à la puissance : le cadre économique actuel ne permet pas de financer les investissements à cette fin. L'optimisation du dispositif suppose l'engagement d'une réflexion pour agir à la fois sur la demande et sur l'offre. Il faut développer des incitations à l'attention tant du consommateur que des investisseurs pour qu'ils investissent dans des moyens de stockage ainsi que de production d'énergie en période de pointe.
Une réglementation thermique favorable – des normes de basse consommation, pour les bâtiments neufs, publics et voués au secteur tertiaire à partir du 1er janvier 2011 – est également nécessaire. Nous l'exposons dans notre rapport. La norme de l'article 4 de la loi « Grenelle 1 » est de 50 kilowatts-heure par mètre carré et par an. Si, dans un premier temps, elle ne s'appliquera qu'aux logements neufs, après quelques années elle deviendra peut-être un instrument de lissage de la pointe.
Monsieur Proglio, le taux insuffisant de disponibilité des centrales nucléaires cette année a eu très largement pour origine des conflits sociaux. Les motifs de ceux-ci ont-ils été traités ? Sinon, comment comptez-vous les aborder ?
Les conflits sociaux, s'ils ont eu leur part dans les difficultés rencontrées, n'en ont été ni la source exclusive, ni même peut-être un élément essentiel. S'il serait présomptueux d'affirmer que nous en avons entièrement purgé les causes, nous y travaillons et le climat social, je crois, est aujourd'hui apaisé et positif. Nous devons faire en sorte qu'il le reste.
Le taux de disponibilité insuffisant des centrales a pour origine un ensemble de causes : investissement, organisation, disponibilité des équipements nécessaires. Sur ce point, je le répète, les éléments de notre filière industrielle comptent au moins autant que les investissements. Des éléments constitutifs des centrales nucléaires échappent totalement à un contrôle même européen. Certains fournisseurs étrangers, implantés notamment en Asie, sont des fournisseurs exclusifs ; nous sommes sous leur dépendance. Cela avait été oublié. Veiller à ce que l'ensemble des composantes d'une telle filière soient, sinon sous contrôle, au moins maîtrisés, est essentiel.
Enfin, une entreprise est une aventure humaine. Le climat social fait partie de ses contingences. Cette aventure humaine doit être partagée autant que possible dans la bonne volonté répartie. C'est aujourd'hui le cas. Nous travaillerons à ce que cette situation se poursuive.
Des hausses de tarifs sont-elles nécessaires pour financer les investissements d'EDF ?
La question est infiniment complexe. L'équation tarifaire de la France implique d'abord une vision de ce qui peut être appelé le « compte de résultat français ». Un compte de résultat est composé de charges – amortissements des investissements nécessaires, charges de personnel… – et de produits, qui sont les volumes multipliés par les tarifs.
Avant toute éventualité d'augmentation des tarifs, des hypothèses doivent être formulées. Elles peuvent concerner soit l'entreprise elle-même, soit son environnement. Parmi les hypothèses endogènes figure la nécessité de donner à l'entreprise de fortes ambitions d'efficacité à terme. Cette efficacité suppose entre autres – on y revient – un meilleur taux de disponibilité des équipements. La trajectoire du compte de résultat en 2010, 2011, 2012 – les tarifs étant établis pour l'avenir et non pour le passé, oublions 2009 – doit prendre en compte ces ambitions. L'entreprise doit en effet éviter de demander au client un effort qu'elle ne partagerait pas.
Le deuxième paramètre fondamental concerne les contraintes imposées à l'entreprise. Au cours de la présente réunion a été évoquée l'éventualité d'une loi qui obligerait celle-ci à vendre une part significative de sa production à un certain prix à ses concurrents. Si le prix ainsi fixé est inférieur aux prix de revient, il s'ensuivra inévitablement des contreparties. L'entreprise devra compenser l'obligation qui lui est faite par une révision à la hausse des tarifs consentis à ses autres clients. Je ne peux donc pas répondre à la question posée sans avoir moi-même sollicité une réponse à cette hypothèse. Celle-ci suppose un travail préalable complexe, efficace et discret. Une fois établie, en toute transparence, la trajectoire des contraintes internes et externes, dans la nécessaire rigueur qui doit être celle de l'entreprise, il sera possible d'établir une équation tarifaire globale, et d'envisager des équations tarifaires plus précises, à la fois incitatives et fonctionnelles, par catégorie de consommateurs.
N'étant pas, après une semaine seulement, capable de répondre à l'ensemble de ces hypothèses – dont certaines m'échappent – vous comprendrez la relative réserve de ma réponse. Cette complexe question des tarifs doit être abordée avec un très grand sérieux.
La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq