PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2009
JUSTICE
La réunion de la commission élargie commence à neuf heures.
Madame la garde des sceaux, Guy Geoffroy, vice-président de la Commission des lois, qui représente Jean-Luc Warsmann, retenu aujourd'hui auprès du Président de la République en déplacement dans son département, et moi-même sommes heureux de vous accueillir.
Nous sommes réunis en formation de « commission élargie » afin de vous entendre sur le crédits consacrés à la mission « Justice » dans le projet de loi de finances pour 2009. Comme vous le savez, cette procédure nous permet de privilégier le dialogue entre le Gouvernement et les députés et, pour cela, de donner toute la place, non pas aux exposés, mais aux échanges de questions et de réponses.
Les projets de rapports de nos trois rapporteurs sont sur les tables : celui de M. René Couanau , rapporteur spécial de la Commission des finances et ceux de Mme Michèle Tabarot, et M. Jean-Paul Garraud, rapporteurs pour avis de la Commission des lois, respectivement pour le programme « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse » et pour le programme « Justice et accès au droit ». Après les réponses que Mme la ministre aura apportées à chacun des rapporteurs, les députés qui le souhaitent poseront à leur tour leurs questions, en commençant comme à l'accoutumée par les responsables des groupes politiques.
Madame la ministre, les membres de la Commission des lois ont le plaisir de vous retrouver dans le cadre de cette commission élargie. Je vous prie d'excuser l'absence du président Warsmann, retenu dans son département à l'occasion de la visite du Président de la République.
Le budget que vous allez nous présenter est en augmentation de 2,6 % en crédits de paiement, soit davantage que le budget général de la nation, signe de la priorité que constitue la mission dont vous assumez la charge. Dans le contexte financier que nous connaissons, il convient de maîtriser les coûts tout en menant les réformes qui s'imposent pour améliorer le fonctionnement de votre département ministériel. Votre ministère s'est engagé dans une politique particulièrement hardie de modernisation de son organisation et de ses méthodes de travail ; c'est dans ce cadre que s'inscrivent par exemple la réforme de la carte judiciaire que vous avez menée, celle de la dématérialisation des procédures ou, demain, celle de notre système pénitentiaire.
De même, des réflexions sont en cours sous la direction de spécialistes reconnus : sur la répartition des contentieux, sous la direction du recteur Guinchard, sur la refonte de l'ordonnance de 1945 concernant la justice des mineurs, sous la direction du recteur Varinard, et sur la réforme des professions du droit, sous la direction de maître Darrois. Elles tendent toutes à rationaliser notre droit et à l'adapter aux exigences contemporaines ; je ne doute pas que vous répondrez aux interrogations qu'elles peuvent soulever.
Madame la ministre, le budget que vous nous présentez est caractérisé par la cohérence, l'équilibre et la constance.
C'est un budget de cohérence : nous y retrouvons la traduction financière des grands objectifs que vous avez fixés. C'est un budget d'équilibre : contrairement à ce qu'on entend dire, il ne privilégie pas tel secteur au détriment de tel autre. C'est un budget de constance : on ne peut pas dire que vous procédiez par à-coups ou que vous n'affichiez pas vos intentions.
Le budget du programme « Justice judiciaire » augmente de 3 % en crédits de paiement – contre 2,6 % pour l'ensemble de votre budget – et de 14 % en autorisations d'engagement. Les créations d'emplois de greffiers, qui avaient un peu tardé, tendent à rééquilibrer leurs effectifs avec ceux des magistrats. La réforme de la carte judiciaire trouve dans ce budget les mesures d'accompagnement que vous aviez annoncées ; elle va se traduire par environ 350 opérations de regroupement de juridictions. 80 millions en autorisations d'engagement et 15 millions en crédits de paiement sont inscrits à ce titre, auxquels s'ajoute un droit de tirage de 75 millions en autorisations d'engagement et de 55 millions en crédits de paiement sur le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». En outre, sur la période de mise en oeuvre de la réforme (2009-2011), 20 millions sont inscrits pour l'accompagnement social des personnels concernés, et 15 millions pour les avocats.
La Chancellerie attendant beaucoup de la modernisation et de l'équipement des juridictions en techniques informatiques et de communication, ce budget progressera de 7,6 % en 2009. Ainsi gagnera-t-on en qualité d'instruction et de jugement, amplifiera-t-on la politique d'aménagement de peines et améliorera-t-on l'effectivité des décisions pénales.
Pouvez-vous nous dire, madame la garde des sceaux, si vos services sont déjà en mesure d'évaluer combien d'équivalents temps plein la réforme de la carte judiciaire, la réorganisation du ministère et le recours accentué aux nouvelles technologies permettront de dégager ?
S'agissant de l'administration pénitentiaire, le projet de loi de finances anticipe le projet de loi pénitentiaire dont nous appelons la présentation de nos voeux. Ainsi, dans un contexte de rigueur, des créations d'emplois sont prévues, avec un plafond autorisé de 33 020 ETPT, contre 32 126 en 2008. Cette progression très satisfaisante reflète la priorité donnée à la justice. Cependant, des observations contenues dans plusieurs rapports mettent notamment l'accent sur les difficultés de recrutement de personnel pénitentiaire. Le très attendu projet de loi pénitentiaire devrait contribuer à apaiser un certain malaise. Je rappelle que le nombre de personnes écrouées a augmenté de près de 15 000 en flux depuis dix ans, passant de quelque 76 000 à 90 000, le chiffre permanent s'établissant à 64 000 détenus en 2008.
Même si elle se heurte à des difficultés d'accompagnement, la politique d'aménagement de peine est conduite résolument. Au 1er juillet 2008, 6 236 personnes en bénéficiaient, soit 12 % des condamnés ; la progression, déjà très forte, devrait encore s'amplifier. S'agissant des conditions d'incarcération, sept établissements seront ouverts en 2009 et 5 130 places créées. L'objectif étant, madame la ministre, de disposer de 63 000 places d'incarcération modernes, dans le respect du principe « un homme, une place », et compte tenu de l'augmentation du nombre de personnes susceptibles d'accomplir une peine, combien d'autres places devront être créées ? Quels programmes de rénovation devront être entrepris après 2009 ? Quels sont les objectifs d'aménagements de peine, et à quel rythme ?
Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse ne progresse pas, mais ses crédits sont recentrés sur sa mission prioritaire, la prise en charge des mineurs confiés au pénal. Le redéploiement des personnels induit par cette évolution demandera d'importants efforts de formation. Je rappelle que 90 000 mineurs environ sont pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse ; les derniers chiffres relatifs à la récidive sont très encourageants. Quelque vingt opérations de réhabilitation immobilière sont engagées ou programmées en 2009, les services centraux de la PJJ ont été restructurés, une réorganisation territoriale est engagée et la nouvelle école nationale de Roubaix a ouvert récemment. Au-delà, vous avez souhaité, madame la garde des sceaux, une réforme d'ensemble de la justice pénale des mineurs. Pourriez-vous nous indiquer quels en seraient les axes et l'impact financier ?
Les crédits de l'administration pénitentiaire progressent de 30,2 % en autorisations d'engagement et de 4 % en crédits de paiement. Ainsi pourra-t-on procéder aux recrutements rendus nécessaires par l'ouverture des nouveaux établissements et renouveler les marchés de gestion déléguée. Je salue le respect de engagements de l'État relatifs à la construction des nouveaux établissements ; il en résultera, en 2009, la création de 5 130 nouvelles places de détention et la fermeture de places vétustes. Toutefois, madame la ministre, les personnels des SPIP ont exprimé un certain malaise et fait valoir des revendications relatives à leur statut et à l'évolution de leurs missions ; quelles réponses le ministère entend-il leur apporter ? Par ailleurs, la prise en charge psychiatrique de la population carcérale est à ce jour très insuffisante ; quelles mesures la Chancellerie met-elle en oeuvre pour l'améliorer ? D'autre part, l'examen des crédits du ministère de la justice se fait alors qu'une vague inquiétante de suicides a endeuillé les prisons. La politique de prévention des suicides menée par l'administration pénitentiaire a donné d'assez bons résultats entre 2000 et 2007, mais quelles nouvelles mesures seront prises pour l'améliorer encore ?
J'en viens à protection judiciaire de la jeunesse, dont l'action – conséquence de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance – est recentrée sur sa mission première. Cette évolution aura nécessairement des effets sur l'affectation des effectifs. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?
Enfin, le nombre de structures capables d'assurer la prise en charge psychologique et psychiatrique interdisciplinaire des mineurs est notoirement insuffisant puisque, outre la SIPAD de Nice, que j'ai visitée, il n'en existe qu'une autre en France, celle de Suresnes. D'autres seront-elles créées ?
Le budget de la mission « Justice » progresse donc, une nouvelle fois, plus vite que celui de l'ensemble du budget de l'État. Depuis 2002, il a augmenté de près de 2 milliards, ce qui remarquable. La refonte de la carte judiciaire est prévue pour être mise en oeuvre d'ici à 2011. Déjà, les pôles d'instruction ont été installés dans les juridictions importantes. Au 1er janvier 2010, 178 tribunaux d'instance seront regroupés et un sera créé ; la réforme des tribunaux de grande instance interviendrait au 1er janvier 2011, 23 sont concernés. Cette réforme continuant de susciter des inquiétudes, il me paraît indispensable de développer l'information délivrée à ce sujet aux magistrats et aux fonctionnaires, notamment si la réforme est anticipée. Comment, madame la garde des sceaux, sera financé le plan social accompagnant les fermetures anticipées de juridictions ? Quel sera le calendrier précis de la réforme ? Quelle sera la réponse du ministère aux instances de recours devant le Conseil d'État ?
Sur un autre plan, la dématérialisation des procédures permettra un fonctionnement plus efficace des juridictions, ce dont chacun se félicitera. Il reste qu'aucun magistrat ne peut travailler sans greffier, avec lequel il forme équipe. Mais si les magistrats bénéficient depuis quelques années déjà de primes modulables, il n'en va pas de même pour les greffiers. Cela peut susciter des dissensions de nature à nuire au bon fonctionnement de la justice.
Le ministère a indiqué à votre rapporteur qu'« alors que le principe applicable en matière indemnitaire consiste normalement à récupérer 50 % des économies tirées des suppressions d'emplois, il a été décidé, dans le cadre du PLF 2009, et en l'absence de suppressions d'emplois de fonctionnaires des greffes, de dégager une enveloppe budgétaire supplémentaire de 2,9 millions d'euros ». Est-ce à dire qu'on va vers une généralisation de ces primes ?
Comptez-vous par ailleurs suivre les préconisations de la commission Guinchard tendant à la valorisation de la profession de greffiers, notamment en ce qui concerne le paiement des heures supplémentaires ? Cela s'impose d'autant plus que le ratio magistrats-greffiers, dont l'importance a été soulignée par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, ne cesse de se détériorer dans notre pays.
En ce qui concerne les effectifs de magistrats, des départs en retraite massifs sont attendus dans les dix prochaines années. Je m'interroge dans ces conditions sur la baisse du nombre de places ouvertes au concours d'entrée de l'École nationale de la magistrature, celle-ci ne devant pas être compensée par des recrutements latéraux, qui ne peuvent dépasser 30 % de ce nombre.
À ce propos, la durée de la scolarité à l'ENM, qui est de trente et un mois, devra-t-elle être portée à trente-six mois du fait de l'introduction d'un « stage avocat » de six mois prévu pour les auditeurs de justice ? Une autre solution pourrait être d'exclure la période de préaffectation fonctionnelle de la durée de la scolarité.
Je voudrais, madame la ministre, vous interroger sur un autre point en ce qui concerne l'ENM. Depuis le vote de la loi organique relative aux lois de finances, les cotisations patronales de retraite font l'objet d'un versement au compte d'affectation spéciale « Pensions ». Or, s'agissant de la pension civile des auditeurs de justice, ce prélèvement n'a pas été affecté en 2008 au budget de la mission « Justice », ce qui a contraint l'ENM à puiser dans son fonds de roulement pour verser les cotisations patronales. Quelle solution sera retenue l'année prochaine ?
En ce qui concerne l'aide juridictionnelle, je tiens à souligner que la baisse des crédits en 2009 n'est qu'apparente. Ce montant devant être majoré en gestion de treize millions d'euros par rétablissement de crédits, les crédits disponibles seront donc stables en 2009.
Je vous remercie pour ces questions pertinentes et précises, qui sont une nouvelle illustration de la nécessité de réformer la justice. En effet, comme le montrent les débats budgétaires des législatures précédentes, ce sont les mêmes questions qui reviennent depuis des années.
Il est vrai qu'il est très compliqué de réformer la justice, qui est un secteur sensible, d'autant que le ministère regroupe plusieurs administrations extrêmement différentes, avec des statuts tout aussi divers. Les missions du ministère sont également différentes, certaines étant garanties constitutionnellement. L'organisation même de la magistrature obéit à des principes constitutionnels, tels que celui de la distinction entre le parquet et le siège, qui génère des statuts différents. Les magistrats du siège sont eux-mêmes répartis en juges d'instruction, juges d'application des peines, juges pour enfants. Toutes ces missions différentes ne peuvent pas faire l'objet d'une réforme globale.
L'administration pénitentiaire relève elle aussi du ministère de la justice, comme on a trop tendance à l'oublier. Pendant longtemps, le débat sur la pénitentiaire a porté sur le nombre de constructions de places de prison et on a fait l'économie d'une interrogation sur la mission de cette administration. Finalement, la prison n'étant qu'un moyen de son accomplissement. La question de la surpopulation carcérale n'est du reste pas nouvelle. De 1987 à 2002, peu de places ont été construites, l'opinion publique et les parlementaires n'ayant pas toujours souhaité suivre les programmes de construction de places proposés. De ce fait, le problème de surpopulation des prisons dépasse largement les frontières partisanes.
Les greffiers et autres fonctionnaires sont tout aussi nécessaires à l'exécution de la mission de justice. La justice ne se réduit pas à la magistrature.
La mise en oeuvre de la justice des mineurs se heurtent à des problèmes spécifiques notamment celui de l'articulation entre civil et pénal – il n'y a pas de parcours global du mineur –, problèmes dus au fait que la mission de la protection judiciaire de la jeunesse est trop large. Les travaux de la commission sur la réforme de l'ordonnance de 1945 permettront de faire avancer cette question en contribuant à une vision globale de la justice des mineurs. Il vaut mieux, à mon sens, concentrer, et le plus en amont possible, les moyens au bénéfice du traitement pénal de ces mineurs déstructurés que sont les mineurs délinquants – pour autant, cela n'exclut pas le civil –, plutôt que de les disséminer sur l'ensemble des jeunes délinquants. Mais cela suppose qu'on assigne une mission claire à la PJJ.
La justice étant là pour assurer la sécurité des Français – je rappelle qu'un tiers des 3,5 millions de décisions de justice rendues sont de nature pénale –, notre réforme de la justice doit permettre une politique pénale claire et réellement appliquée : une politique pénale efficace ne saurait se limiter à de l'incantation. Tel est l'objectif des peines planchers : aujourd'hui 14 000 décisions ont été prononcées sur le fondement de la loi du 10 avril 2007 sur la récidive, les peines minimales représentant 50 % du total et l'application de la loi étant de 100 % dans certains tribunaux.
Cette lutte contre la récidive, qui doit également présider à la politique pénitentiaire, a donné des résultats probants en termes de baisse de la délinquance, puisque la délinquance générale a baissé de 4 %, la délinquance sur la voie publique de 8 % et, ce qui n'était pas arrivé depuis 1995, les atteintes aux personnes de 1 % – et depuis mars 2008, cela continue de diminuer. De nombreuses études faisant état d'un taux d'exécution trop faible des courtes peines, on a souhaité une politique pénitentiaire plus ferme, afin que la détention soit mise à profit pour lutter contre la récidive.
On ne peut pas m'accuser de vider les prisons alors que nous avons supprimé les outils tels que les grâces collectives, la réduction automatique des peines ou les lois d'amnistie, qui ont été utilisés pendant des années dans ce but. Le meilleur moyen de lutter contre la récidive réside dans l'aménagement des peines. Cela exige plus d'éducation, plus de formation, mais aussi une plus grande responsabilisation des détenus. Nous avons, par le biais d'expérimentations, anticipé plusieurs des mesures qui figurent dans la loi pénitentiaire, mais inutile de dire que nous avons besoin de ce texte.
La formation professionnelle est un outil de réinsertion majeur, bien adapté à la population carcérale, notamment celle condamnée à de courtes peines. J'invite donc les régions, presque toutes dirigées par la gauche, à ne surtout pas en faire un enjeu politicien. La formation professionnelle est aujourd'hui accessible à tous, sauf aux détenus, ce qui est tout de même fort dommage. L'anticiper en détention favorise pourtant toutes les mesures d'aménagement de peines. Je considère personnellement la libération conditionnelle comme l'un des meilleurs outils de réinsertion et de lutte contre la récidive : les récidives sont extrêmement rares chez les détenus qui ont bénéficié d'une libération conditionnelle, et si d'aventure cela se produit, le retour en prison du condamné est automatique, ce qui est extrêmement dissuasif. Hélas, seules quatre régions, volontaires, expérimentent aujourd'hui – avec succès – la réinsertion des détenus par le biais de la formation professionnelle. Je ne suis pas pour ma part, favorable à l'idée d'un RMI pour les détenus, que d'aucuns ont pu évoquer, l'activité, qu'il s'agisse d'un travail ou d'une formation, me paraissant un meilleur outil de réinsertion. Le nombre des libérations conditionnelles, qui a stagné pendant cinq ans, a augmenté de 10 % depuis un an, ce qui représente une progression considérable vu les contraintes, largement imputable à la réinsertion par la formation professionnelle.
Si vous me permettez de vous interrompre, madame la garde des sceaux, je voudrais souligner à quel point, en prison, on se trouve hors du monde – ce qui est normal – mais aussi hors du monde social – ce qui ne l'est pas. On compte trop sur l'administration pénitentiaire pour s'occuper de tout. Je suis frappé par l'absence dans les maisons d'arrêt comme dans les centres pénitentiaires des services dits courants comme ceux de la formation professionnelle, de l'aide sociale et de l'accompagnement social, lesquels devraient être assurés dans le cadre des politiques générales des collectivités. Un partenariat avec les régions s'agissant de la formation professionnelle, avec les départements et les communes s'agissant de l'accompagnement social, est absolument indispensable.
Pour l'avoir constaté lors de mes nombreux déplacements sur le terrain, je sais que malheureusement la formation professionnelle et l'accompagnement social ne sont pas encore « entrés » en prison. On ne peut toutefois pas blâmer les collectivités. En effet, les détenus ne sont pas ou très peu responsabilisés, et, sur ce point, la future loi pénitentiaire apportera des améliorations, en permettant par exemple qu'ils puissent élire domicile dans leur établissement pénitentiaire. Aujourd'hui, ils doivent passer par une association, qui doit elle-même trouver une personne acceptant de les domicilier pour la moindre démarche administrative. Toute la chaîne se trouve ainsi rallongée du fait de cette simple impossibilité d'élire domicile dans un établissement pénitentiaire. Une fois cet obstacle levé, les détenus pourront écrire eux-mêmes au conseil général, à un service d'aide sociale, s'inscrire à l'ANPE ou dans une mission locale, recevoir directement un courrier. Aujourd'hui, les courriers arrivent souvent trop tard, la date des rendez-vous étant parfois dépassée ou si proche que les magistrats n'ont pas en mains tous les éléments nécessaires pour en juger du bien-fondé et accorder aux détenus la permission de sortie qui leur serait nécessaire pour les honorer. La possibilité pour les détenus d'élire domicile dans leur centre de détention sera un facteur de responsabilisation. L'ANPE et les missions locales ont certes mis en place des « points emploi » dans les prisons -on en compte une soixantaine à ce jour. Mais les entreprises d'insertion, qui seraient pourtant particulièrement bien adaptées au public concerné, n'ont pas accès aux prisons. La future loi pénitentiaire le permettra : nous avons, à titre expérimental, signé diverses conventions avec le MEDEF, de façon que des PME puissent offrir des formations ou des emplois à des détenus. Il faut faire de même avec les entreprises d'insertion et les régies de quartier, qui ont une grande expérience de l'accompagnement social.
Notre seul objectif est de lutter contre la récidive, en responsabilisant davantage les détenus et en les aidant à se réinsérer. Mais il faut savoir que l'aménagement des peines n'est pas une idée populaire dans l'opinion publique, qui, plusieurs études l'ont montré, préférerait que l'éducation, la formation et l'emploi bénéficient en priorité à d'autres qu'aux détenus. C'est d'ailleurs bien pourquoi toute polémique sur ces sujets est irresponsable. Nous ne pouvons laisser s'enfoncer davantage une population carcérale, déjà de plus en plus déstructurée à son arrivée en prison. Il nous faut sans cesse expliquer, de la manière la plus pédagogique possible, et j'ai besoin de la représentation nationale sur ce point, qu'éduquer, former, donner un emploi aux personnes détenues contribue largement à la lutte contre la récidive.
De 2002 à 2007, on dénombrait 2 000 aménagements de peine par an – y compris les grâces collectives et les réductions automatiques de peine. Du 1er juillet 2007 au 1er juillet 2008, on en a dénombré 7 000, alors même que la politique pénale est plus ferme, les condamnations à de la prison ferme plus lourdes et d'une manière générale, les peines mieux exécutées.
J'ai institué des conférences régionales d'aménagement des peines, au cours desquelles tous les acteurs concernés se mettent autour de la table, seul moyen, à mes yeux, d'augmenter le nombre d'aménagements de peine. Il faut ici rappeler que cet aménagement n'est ni une mesure administrative ni une instruction : c'est un magistrat du siège qui en décide. Lorsqu'on y met les moyens nécessaires et qu'on en a la volonté politique, on obtient des résultats. J'ai donc bien l'intention de poursuivre dans cette voie, et c'est pourquoi je continuerai à me rendre régulièrement dans les établissements pénitentiaires. En effet, tout n'est pas question seulement de moyens. Il faut sans cesse réaffirmer la volonté, de façon que jamais l'effort ne se relâche.
Il est une autre forme d'aménagement des peines tout à fait intéressante, le port d'un bracelet électronique. En effet, certaines personnes se trouvent condamnées à de la prison ferme, pour une courte période, simplement parce qu'on n'a pas de garantie absolue sur leur adresse, notamment quand elles disent résider dans leur famille ou être provisoirement hébergées le temps de trouver un appartement. Dans ces cas, le bracelet électronique offre une solution alternative intéressante : c'est ce que j'appelle la « prison hors les murs ». Nous aurons 13 200 places de prison de plus d'ici à 2012, mais à cette date, il y aura 12 000 places de « prison hors les murs », avec les bracelets électroniques. Nous ne construisons pas des prisons pour le plaisir de construire des prisons : nous voulons que les personnes condamnées exécutent leurs peines mais avec des moyens modernes, en prison lorsque cela est nécessaire, dans le cadre d'une peine aménagée lorsque cela est possible, la panoplie étant ici très vaste – semi-liberté, libération conditionnelle, chantiers extérieurs, permissions de sortie, unités de vie familiale qui permettent de maintenir les liens familiaux, bracelets électroniques… Ceux-ci vont être plus largement utilisés grâce au décret que j'ai pris en ce sens en août 2007.
Leur nombre a doublé en un an. En termes de stock, on en compte 3 000, en termes de flux moyen, 6 000. Et il y en aura 2 500 de plus par an d'ici à 2012, pour atteindre à cette date-là le nombre de 12 000. La future loi pénitentiaire nous permettra de généraliser l'expérimentation conduite aujourd'hui auprès de la cour d'appel de Douai, où tous les détenus auxquels il ne reste plus que quatre mois de prison à effectuer sortent sous bracelet électronique, le juge d'application des peines restant bien entendu maître de la décision.
Quand vous parlez de 12 000 places de « prison hors les murs », est-ce tous aménagements de peine compris ou seulement pour les bracelets électroniques ?
Il y aura 12 000 bracelets électroniques, auxquels s'ajouteront toutes les autres formes d'aménagement de peine. Une libération conditionnelle, une semi-liberté, une assignation à résidence n'ont pas nécessairement lieu sous bracelet.
Politique pénitentiaire, politique pénale, protection judiciaire de la jeunesse pour les mineurs, laquelle va être renforcée, à la suite du rapport qui nous sera remis d'ici la fin novembre, telle est la ligne que nous suivons.
J'en viens à la réforme organisationnelle de la justice. Une mission d'évaluation de la réforme de la carte judiciaire a bien été créée au sein du ministère : cette réforme fera économiser 300 emplois. La réforme des contentieux, suite notamment aux recommandations du rapport Guinchard, permettra, elle, une économie de 500 emplois. Quant aux nouvelles technologies, mises en oeuvre depuis le 1er janvier 2008, elles feront, elles, gagner 200 emplois.
Vous avez raison, nous souhaitons accélérer la mise en oeuvre de la réforme de la carte judiciaire – non pour le principe, mais parce que cela peut s'avérer nécessaire. Des chefs de cour nous ont ainsi signalé que certains tribunaux d'instance manquaient qui de magistrats, qui de greffiers et de fonctionnaires, et nous ont demandé d'anticiper leur fermeture ou leur regroupement. C'est ce que nous sommes en train de faire.
Par ailleurs, les plus touchés par la réforme ne seront pas les magistrats, mais les greffiers et les fonctionnaires des services, qui sont souvent depuis très longtemps en poste et ont des charges de famille. Je serai extrêmement attentive aux situations individuelles. Pour y répondre, nous prendrons des mesures d'accompagnement social, ainsi que des mesures dérogatoires pour certains cas exceptionnels.
Certains barreaux nous ont également demandé d'aller plus vite, car ils souhaitent se réorganiser dans le cadre de regroupements.
Concernant la réforme du contentieux, de nombreuses mesures de simplification du droit ont déjà été proposées dans le cadre de la proposition de loi déposée par Jean-Luc Warsmann. Elles visent à « déjudiciariser » plusieurs contentieux et à en simplifier d'autres, comme les affaires familiales. Des mesures complémentaires feront l'objet d'une prochaine proposition de loi au Sénat.
Au final, la réforme de la carte judiciaire bénéficiera d'une enveloppe globale de 375 millions d'euros, dont 70 millions pour la seule année 2009. Le budget total de la Justice s'élève pour 2009 à 6,6 milliards d'euros, en hausse de 177 millions par rapport à 2008 – soit 2,6 % –, qui fait suite à une précédente augmentation de 4,5 %. L'augmentation est de 4,1 % pour l'administration pénitentiaire, qui est une de mes priorités, et de 3,8 % pour le service judiciaire, la diminution des crédits dévolus à la protection judiciaire étant liée au recentrage de ses missions. Au total, on compte 952 créations nettes d'emplois.
5 130 places de prisons supplémentaires seront ouvertes en 2009 ; l'objectif des 63 000 places en 2012 sera atteint, compte tenu des 12 000 bracelets électroniques.
Par ailleurs, il y aura 170 conseillers d'insertion et de probation supplémentaires en 2009 ; nous avons répondu favorablement à la quasi-totalité de leurs demandes sur leurs missions.
Quant au recrutement de personnel pénitentiaire, il bénéficie des effets de la campagne de communication que nous avons lancée, puisque nous dénombrons cette année 24 000 candidats.
S'agissant des aménagements de peines, leur nombre va tripler ; il y aura en 2009 6 500 bracelets électroniques disponibles, contre 4 000 aujourd'hui.
S'agissant des mineurs – qui sont généralement traités, à tort, comme des primo-délinquants –, je souhaite améliorer le taux de réponse pénale de manière à atteindre l'objectif d'une réponse pour chaque infraction. Ce taux a déjà été amélioré de près de dix points en cinq ans, tandis que la population carcérale des mineurs a diminué de 3 % depuis le début de l'année. La délinquance des mineurs ne régresse pas, mais nous ne disposons pas des outils juridiques adaptés pour y faire face. L'ordonnance de 1945 n'est pas suffisante : il est impératif d'avoir un texte adapté à la situation de 2008.
Au 24 octobre 2008, on comptait 210 médecins coordonnateurs, contre 145 début 2007. Les postes ont été rendus plus attractifs, grâce à une augmentation de l'indemnité annuelle de 64 %, à hauteur de 700 euros. Par ailleurs, leurs missions ont été réorganisées : aujourd'hui le médecin coordonnateur pourra suivre 20 personnes au lieu de 15.
S'agissant des primes modulables, nous avons décidé de les instaurer, comme cela nous avait été demandé l'année dernière. Le président de l'USM, Bruno Thouzellier, avait alors convenu qu'il fallait choisir : soit augmenter le régime indemnitaire, soit créer des postes. En 2008, j'avais privilégié la seconde option, avec la création de 187 postes de magistrats, et autant de greffiers.
Créer des postes de magistrats sans créer des postes de greffiers n'a aucun sens. Il ne s'agit pas pour autant d'aboutir à une égalité parfaite entre le nombre des greffiers et celui des magistrats ; simplement, pour les activités juridictionnelles, la présence d'un greffier par magistrat est impérative.
Pour 2009, une enveloppe de 2,9 millions d'euros a été dégagée, grâce aux économies réalisées sur les postes de magistrats, afin de revaloriser le régime indemnitaire. Reste à déterminer comment sera mise en oeuvre la modulation.
Nous procédons donc bien à une revalorisation de la fonction de greffier, en reprenant d'ailleurs la proposition de la commission Guinchard d'un greffier juridictionnel, sur le modèle allemand.
Quant au paiement des heures supplémentaires, actuellement, les fonctionnaires des services judiciaires ne peuvent que les récupérer. J'ai donc demandé que l'on prépare des textes visant à leur donner le choix entre paiement et récupération. La charge de travail des 22 000 greffiers et fonctionnaires du ministère de la justice a beaucoup augmenté ces dernières années. Il faut en tenir compte, et cela se traduira également dans la modulation qui sera proposée.
En ce qui concerne le rapport fonctionnairesmagistrats, il y aura, en 2009, 150 greffiers supplémentaires pour 59 nouveaux magistrats. Nous rattrapons donc notre retard en la matière. Les nouveaux postes de magistrats incluent des postes de juges d'application des peines.
S'agissant de l'École nationale de la magistrature, sa scolarité restera de 31 mois. Le conseil d'administration du 19 septembre dernier a adopté le principe d'une réforme visant à ouvrir l'École sur la société et à diversifier les profils des magistrats. La formation de portera plus sur des fonctions, mais sur des compétences. En outre, des tests de personnalité seront organisés à l'entrée. Certains dysfonctionnements judiciaires découlent en effet d'une mauvaise orientation des magistrats. Ce n'est pas un métier facile. On peut parfois être surpris par la fonction, notamment quand il faut organiser des transports criminels ou instruire des affaires de moeurs particulièrement choquantes. Cela suppose d'être bien équilibré et de savoir prendre du recul. Quant aux questions pédagogiques, un conseil d'administration doit se prononcer dessus le 25 novembre prochain.
La participation de l'École nationale de la magistrature aux pensions constitue une nouvelle dépense de 6 millions d'euros. Un dialogue de gestion est en cours afin d'en assurer le financement pour 2009. La décision sera prise d'ici à la fin de l'année.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, les admissions ont diminué de 1,2 % en 2007, la baisse concernant pour l'essentiel le civil. Il est vrai que les médiations, les conciliations ont beaucoup augmenté et qu'il est moins fait recours au juridictionnel. En tout cas, il y a eu une baisse dans ce domaine en 2007.
J'en viens au plan suicide. Je le dis de manière claire, l'aspect médiatique n'est pas en l'occurrence négligeable : il est important de parler de tout. Les Français ont besoin de savoir où sont les détenus, comment ils sont condamnés et la façon dont les peines sont exécutées en prison. C'est pourquoi je demande que les prisons soient le plus ouvertes possible à la presse. C'est d'ailleurs une discussion que j'ai eue avec les personnels de l'administration pénitentiaire : ils ne peuvent pas être dénigrés, mal aimés et, en même temps, dans l'impossibilité de montrer la réalité des choses. Cela étant, les prisons ne sont pas que des endroits d'horreur.
Certes, il y a des drames. Il y a eu en 1999 et en 2000 des pics de suicide. Pour autant, il n'est pas vrai que les pics de suicide actuels n'ont jamais été atteints. Malheureusement, on a connu pire. Toutefois, s'il ne devait y avoir qu'un seul suicide au cours de l'année, ce serait grave. Cela nous place face à nos responsabilités : c'est à chaque fois un sentiment d'échec.
Le taux de suicides a néanmoins baissé de 20 % en cinq ans. L'administration pénitentiaire est beaucoup plus formée à la prévention du suicide, tandis que la médecine entre de plus en plus dans les prisons. Il y avait en effet une vraie difficulté d'ordre culturel avec la santé en prison. Pour tout ce qui est psychiatrique notamment, les médecins disent que certains soins ne peuvent être opérants quand le malade est entravé.
Des mesures ont donc été prises. D'abord, des rondes spéciales ont été instituées pour surveiller les détenus particulièrement fragiles. Ensuite, toujours en matière de prévention du suicide, on peut emprisonner un détenu avec un autre détenu. C'est un moyen de prévenir le suicide de faire que la personne en question se sente moins seule.
J'ai inauguré hier un bâtiment à Fleury-Mérogis, où les cellules sont dotées de l'interphonie afin que le codétenu puisse appeler en cas de difficulté. L'interphonie va donc être généralisée dans les établissements pénitentiaires.
Quant aux détenus qui présentent un danger pour les autres et pour eux-mêmes, la solution est d'avoir des surveillances spéciales, des rondes adaptées. J'ai donné comme instruction qu'il y ait une surveillance toutes les deux heures, mais cette instruction peut être adaptée en fonction des détenus. À Fleury-Mérogis, c'est toutes les heures.
Pour ce qui est des derniers drames ayant frappé des mineurs, le problème n'était d'ailleurs pas lié à la surpopulation ou au fait d'avoir un codétenu.
Lors de la dernière affaire, j'ai entendu parler de chantage au suicide : parce qu'il voulait changer de cellule où il était seul, un détenu se serait finalement suicidé.
Il faut savoir qu'il y a aussi des détenus qui présentent des risques pour autrui. Tel est le cas des détenus qui en agressent d'autres sexuellement. Il peut y avoir un chantage au suicide, mais on ne peut pour autant mettre le détenu qui fait ce chantage avec ce type de détenus. Il pourra être suivi par un médecin, mais, en attendant, une surveillance spéciale doit être mise en place.
Tout n'est pas simple : tout n'est pas forcément la faute de l'administration pénitentiaire. On ne met pas par hasard un détenu tout seul dans une cellule.
Par ailleurs, certains détenus, notamment ceux emprisonnés pour des affaires de banditisme, veulent choisir les personnes avec lesquelles ils veulent partager une cellule. Pour que cela soit le cas, ils n'hésitent pas à recourir au chantage.
Tout n'est donc pas limpide. Il faut faire attention à l'interprétation que l'on peut avoir de ce type de drame.
Il est dans ces conditions important de diligenter les inspections. J'y tiens et je continuerai à le faire. Il convient également de connaître toutes les circonstances qui conduisent à des suicides. On s'est par exemple rendu compte que s'il y a des médecins dans les services médico-psychologique régionaux – SMPR –, qui interviennent dans les centres pénitentiaires, il n'y a pas de médecin référent mineurs là où existent des quartiers de mineurs. Or il peut être important de disposer d'un médecin en charge des mineurs, notamment pour la détection du risque du suicide. Aussi, j'ai pris la décision de demander que là où il y a des mineurs, il y ait un médecin référent mineurs.
Dans le cadre des dernières inspections, nous avons aussi découvert que, souvent, les SMPR ne sont pas ouverts la nuit ou bien qu'un problème de permanence s'y pose la nuit : l'administration pénitentiaire peut faire passer un mineur devant un médecin, mais ce n'est que le lendemain matin qu'il sera affecté au SMPR. C'est tout l'intérêt des inspections que de pouvoir détecter de tels dysfonctionnements.
Les médecins l'ont fait également remarquer : les procès médiatiques provoquent des suicides. Pendant le procès Fourniret, seize suicides de délinquants sexuels – des pédophiles – ont été dénombrés.
Outre le médecin référent et les rondes spéciales, il faut aussi mettre en place la grille d'évaluation de prévention du suicide pour les mineurs. Elle sera diffusée à compter du 1er novembre.
Il convient également de rappeler la décision que j'ai prise en matière de pouvoir d'affectation des directeurs d'établissement. Le débat a eu lieu à la suite du meurtre qui a eu lieu à Rouen. Selon le code de procédure pénale, la décision d'affectation revient au chef d'établissement, sauf avis contraire médical. Le chef d'établissement est donc obligé d'affecter en fonction de l'avis médical. À Rouen, l'avis médical avait conclu que le détenu en question ne devait pas rester tout seul. Bien que l'administration ait constaté que ce détenu avait agressé à plusieurs reprises des codétenus dans la cour et souligné qu'elle le considérait comme dangereux, les médecins ont estimé non seulement qu'il ne présentait pas de signe de dangerosité, mais que, de plus, ce détenu devait être placé avec un autre en raison de ses tendances suicidaires.
C'est tout le débat entre dangerosité criminologique et dangerosité psychiatrique. Une mission a donc été lancée avec des médecins et la pénitentiaire sur cet aspect de dangerosité car, si agresser régulièrement un codétenu dans une cour en lui portant des coups de stylo n'est pas de la dangerosité, il y a pour le moins un risque pour l'autre détenu.
J'ai donc précisé aux chefs d'établissement que s'il y a une dangerosité constatée, ce sont eux qui affectent.
Dans le cas de Rouen, l'expertise indiquait qu'il n'y avait pas de dangerosité criminologique bien que la personne soit détenue pour meurtre : elle avait donné vingt-neuf coups de couteau à sa victime. Elle était passée à l'acte après une pulsion, mais elle n'était pas dangereuse ! À cet égard, il faut bien savoir que l'administration pénitentiaire ne dispose pas du dossier pénal du détenu : elle ne pouvait donc savoir que le détenu en question avait tué quelqu'un de vingt-neuf coups de couteau. Elle ouvre simplement un dossier sur son comportement pendant la détention. Les médecins ont accès au dossier pénal, mais pas l'administration pénitentiaire.
On pointe parfois cette dernière du doigt, mais elle ne dispose pas non plus de toutes les informations. Elle fait ce qu'elle peut en fonction de la loi et des règlements qui s'imposent à elle.
Aujourd'hui, s'ils constatent une dangerosité, les chefs d'établissement affectent donc eux-mêmes, et ce en dépit d'un avis médical contraire.
Le groupe socialiste ne partage malheureusement pas votre optimisme, madame la garde des sceaux. Pour nous, votre budget apparaît d'abord comme décevant, ensuite comme inquiétant et, enfin, en dépit de tout le respect que l'on doit à votre fonction, comme déraisonnable par certains aspects.
Il est décevant parce que, au-delà de l'effet d'annonce sur son augmentation, cette dernière porte avant tout sur l'administration pénitentiaire. C'est sans doute nécessaire, mais cela signifie que les autres actions de la justice ne sont pas prises en compte. J'en veux pour preuve la baisse des crédits affectés à la protection judicaire de la jeunesse. On nous dit que cette baisse résulte de la concentration de la PJJ sur sa mission, qui est la mission pénale, mais rien n'est chiffré alors que, de plus, une partie de la mission pénale est effectuée par des associations qui, elles, vont percevoir des crédits.
Le budget nous paraît ensuite inquiétant. La première raison tient au fait qu'il n'y a pas d'anticipation des différentes réformes.
D'abord, il n'y a pas d'anticipation de la réforme Guinchard. Quelques volets en ont été votés dans le cadre de la loi de simplification du droit, mais quel sera le coût de cette réforme ? Y aura-t-il des gains ou des pertes de production et de productivité ? Nous n'en savons rien.
Ensuite, il n'y a pas d'anticipation de la réforme du droit pénal mineur, qui est en préparation au sein de la commission Varinard alors que cette dernière pointe du doigt une difficulté importante, qui est celle de la résorption des stocks. La justice des mineurs a accumulé, de façon inégale d'ailleurs selon les tribunaux, des retards importants. La résorption du stock va nécessiter forcément des moyens, notamment en greffes. Il n'y a pas non plus d'anticipation sur les coûts qu'entraînera la réforme de la justice des mineurs pour la remettre à niveau et pour faire qu'à chaque axe corresponde une réponse – ce sur quoi tous les intervenants sont d'accord.
Il n'y a pas non plus d'anticipation sur le coût prévisible de la réforme des avoués. Comment va-t-on accompagner le reclassement des 2 500 personnes qui travaillent dans les études d'avoués et, au-delà, comment va-t-on participer au rachat de charges auprès d'avoués qui les ont achetées et qui, en conséquence, pourront venir se plaindre qu'ils subissent une perte importante ?
Par ailleurs, il n'y a que peu d'anticipation sur les conséquences immobilières de la réforme de la carte judiciaire. Comment va-t-on loger et installer les personnels déplacés ?
Il n'y a également que peu d'anticipation sur les transferts. Vous nous indiquez, madame la garde des sceaux, que la baisse en matière d'aide juridictionnelle, notamment en matière civile, résulte d'une intervention de la médiation. Tout le monde se félicite de cette dernière, mais pour l'instant les solutions sont pour l'essentiel expérimentales, sachant également qu'il est fait appel à des bonnes volontés, souvent bénévoles. Comment à l'avenir seront financées les mesures de médiation, au cas où des mesures seraient prises et s'il y a généralisation ? Là encore, nous n'avons pas de réponse.
Votre budget présente également peu d'anticipations quant aux préconisations à venir de la commission Darois, mais il s'agit certes là d'une réforme qui n'est pas encore aboutie et il est probable que cela ne coûtera rien.
Les réformes de la justice commerciale envisagées un temps en vue d'unifier le contentieux commercial et, à dire vrai, de rectifier certaines erreurs des tribunaux de commerce, ne figurent pas non plus dans ce budget.
Enfin, votre budget n'apporte pas de réponse à l'ambiance revendicative et désenchantée que nous avons pu constater lors des auditions auxquelles nous avons procédé et qui se manifeste chez les magistrats et, bien plus largement, chez les fonctionnaires de greffe. Comme l'a exprimé en termes feutrés le rapporteur, M. Jean-Paul Garraud, ces derniers sont mécontents de leur sort, notamment de ne pas bénéficier des primes attribuées aux magistrats, qui correspondent en outre à un surcroît de production. Parfois, ils sont aussi mécontents et jaloux de l'incorporation des fonctionnaires de catégorie C – qui, si elle est nécessaire, se fait parfois au détriment de ceux qui estiment avoir fait l'effort de faire des études. Cette ambiance n'est pas bonne. Pour remédier aux difficultés de la justice, il serait nécessaire d'augmenter le personnel de greffe ou d'engager un grand travail de réorganisation – un cabinet d'audit parlerait de « management » – du travail au sein des juridictions, mais cela ne semble pas avoir été anticipé.
En dernier lieu, ce budget nous paraît par certains aspects déraisonnable, car il ne répond pas à la question de la surpopulation carcérale. Les effectifs du personnel chargé du suivi de détenus à leur sortie augmentent peu. Il est révélateur de constater que, s'il existe un indicateur de réitération pour les mineurs, il n'en existe pas pour les sortants de prison. Oubli ? Difficulté technique ? Il me semble surtout que la sortie de prison n'est pas envisagée. Il en va de même pour la récidive et pour la libération conditionnelle. Vous évoquez les aménagements de peine, mais la plupart de ceux-ci sont conçus comme devant s'appliquer avant l'incarcération et il n'y a pas de mesure des aménagements de peine à la sortie. Il existe peu d'indicateurs relatifs aux libérations conditionnelles. Selon vous, le chiffre en serait de 10 %, mais il part de très bas, ce qui signifie qu'il n'y a pas de solution pour accélérer la sortie de prison dans un sens favorable à la prévention de la récidive et à la protection des victimes – deux aspects liés. De fait, la sortie de prison sèche est grave, car elle favorise la récidive et est potentiellement porteuse de victimes à venir. Vous nous dites, madame la garde des sceaux, que vous n'avez pas de solution, mais c'est vous qui menez la politique pénale et décidez des réquisitions que vous demandez à vos parquetiers et aux procureurs. Vous savez d'ailleurs le faire pour les peines planchers – encore que le peu de poids des 14 000 peines planchers prononcées face à 500 000 peines correctionnelles puisse inviter à s'interroger sur l'utilité de ces formules.
Ce sont 14 000 récidivistes en moins !
Comme les autres peines, la peine plancher n'a de sens que si un accompagnement est assuré à la sortie. La fermeté doit s'accompagner d'un contrôle de celui sur qui elle a pesé.
Ce budget nous semble donc, je le répète, inquiétant.
Vous invoquez à juste titre les difficultés que rencontre la gestion d'une politique pénale face à l'opinion publique. Ce n'est pourtant pas nous qui avons invoqué dans le débat, en faveur des peines plancher, le drame du viol du petit Enis. Il est difficile de lutter contre l'émotion télévisuelle, mais c'est précisément là un piège dans lequel nous devons nous garder d'entrer.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, votre budget nous paraît très insatisfaisant.
J'aborderai deux sujets.
Pour ce qui concerne tout d'abord le programme immobilier de la justice, M. René Couanau a évoqué tout à l'heure les quelque 5 000 places qui seraient livrées en 2009 et vous-même avez rappelé, madame la ministre, l'objectif de 13 200 places fixé lors du vote de la loi de programme pour la justice et pour lequel certaines places ont déjà été livrées. Pourriez-vous préciser dans quelles conditions ce calendrier sera tenu pour atteindre en temps voulu l'objectif fixé dix années plus tôt ?
Pour ce qui concerne ensuite la justice des mineurs, plusieurs d'entre nous ont évoqué, comme vous-même, les travaux en cours de la commission Varinard, auxquels participent très régulièrement trois parlementaires présents aujourd'hui et dont nous espérons qu'ils déboucheront sur une véritable amélioration de la prise en compte des mineurs délinquants, en termes tant de prévention que, lorsque c'est nécessaire, de sanction. Il convient aussi de garder présent à l'esprit qu'il n'y a aucune raison objective de remettre en cause les fondamentaux de l'ordonnance de 1945. Pouvez-vous nous indiquer dans quelles conditions et, le cas échéant, dans quels délais vous envisagez, après la remise des conclusions de cette commission fin novembre, de soumettre au Parlement ce qui, plus qu'un bouleversement profond, sera une actualisation, une réécriture pour plus de cohérence de l'ensemble des dispositifs hérités de l'ordonnance de 1945 – laquelle, rappelons-le, a connu, en dépit d'un certain imaginaire qui voudrait la voir gravée dans le marbre, de nombreuses modifications.
Mes commentaires sont assez proches de ceux que vient de formuler le groupe socialiste. Madame la ministre, aussi appréciable que soit l'augmentation des crédits affectés à la mission de votre ministère, ils sont encore bien en deçà de ce qu'attendent les justiciables, les personnes incarcérées et les personnels.
On mesure mal, dans le cadre de cette discussion budgétaire, l'important retard qu'accuse la France dans le domaine de la justice. Notre pays se situe en effet au 35e rang européen et est l'un des pays qui consacre à la justice la part la plus faible de son budget. L'augmentation qui nous est proposée ne permet pas de pallier ce retard, car un grand nombre des postes créés seront consacrés à l'agrandissement du parc pénitentiaire.
Cet agrandissement et les nouvelles missions prévues ne permettront pas d'améliorer l'existant, notamment les graves difficultés que connaissent aujourd'hui les personnels. Dans son premier bilan, le contrôleur général des prisons, M. Jean-Marie Delarue, nommé en juin dernier, souligne que le surpeuplement des maisons d'arrêt rend très difficiles le travail des personnels pénitentiaires et les conditions de vie des détenus. Son premier constat est sans appel : tous les services sont débordés, tout se détériore, la surpopulation ne change pas la nature des problème, mais les aggrave.
Le chantage au suicide, que vous avez évoqué à plusieurs reprises, est une vision insuffisante : avec 93 suicides depuis le début de l'année, le passage à l'acte doit aussi nous préoccuper et nous interpeller sur les conditions de détention.
Je rappelle que, dans une unité syndicale assez rare pour qu'on la souligne, les trois principales organisations de surveillants dénoncent une situation alarmante des conditions de travail, un manque de moyens humains et matériels et une incohérence de la politique pénale. Je rappelle également que, voilà moins de quinze jours, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation de l'article 2 de la Convention des droits de l'homme.
Sur le programme « Justice judiciaire », le projet annuel de performance, dont la responsable est la directrice des services judiciaires, comprend 23 indicateurs qui ont pour objet essentiel la mesure des délais de procédure. Le rapport de la Cour des comptes a pourtant souligné en mai 2007 que cet objectif ne pouvait être la seule préoccupation du service public de la justice. Que signifient, en effet, des indicateurs de qualité en matière de décision judiciaire ?
Dans ce même rapport, la Cour des comptes soulignait la nécessité de compléter le projet annuel de performance par un indicateur relatif au nombre de détentions provisoires d'une certaine durée suivies d'un non-lieu. Pas plus que le projet de budget pour 2008, celui de 2009 ne suit pas cette recommandation. Pourquoi donc le ministère refuse-t-il d'intégrer cet indicateur, pourtant simple à mettre en place ?
Je rappellerai aussi les mauvais chiffres de la justice française. Selon un rapport de 2008, la France compte un nombre de magistrats et de parquets qui est parmi les plus faibles d'Europe et elle se situe également en fin de classement pour le nombre de tribunaux – et je ne pense pas que la réforme de la carte judiciaire soit de nature à améliorer ces ratios.
Si considérables que soient les besoins de l'administration pénitentiaire, ceux de la justice judiciaire ne sont pas moins pressants. Dans son rapport de mai dernier, la Cour des comptes souligne qu'à l'issue de la période 2003-2007, les objectifs de la loi d'orientation et de programmation de la justice n'ont été que partiellement atteints, notamment, pour ce qui est des services de la justice, avec des résultats qui représentent 63 % de l'objectif et 47,5 % pour les services judiciaires. Là encore, il faut regretter que les créations d'emplois soient dévolues en grande partie à l'administration pénitentiaire – et l'augmentation très minime de du nombre de greffiers par magistrat que vous avez évoquée ne suffit pas à nous rassurer.
Enfin, pour ce qui concerne le programme de protection judiciaire de la jeunesse – la PJJ –, ce projet de budget ne déroge pas à la tradition du gouvernement précédent et du premier budget que vous avez vous-même présenté, madame la garde des sceaux. Le budget de la PJJ affecté aux mesures rééducatives et aux milieux ouverts pâtit en effet de la priorité accordée aux mesures mises en oeuvre en direction des mineurs délinquants, qui reçoivent 62 % de ce budget, contre 18,61 % pour les mineurs ou les jeunes majeurs en danger. L'écart ne cesse de se creuser, car ce rapport était l'an dernier de 50 % contre 30 %.
Si cet écart nous préoccupe, il ne nous étonne pas, car il est sans doute la traduction chiffrée des priorités gouvernementales. Le primat de l'éducatif sur le répressif n'existe déjà plus, ce qui confirme la commande que vous avez passée auprès de la commission Varinard pour la réforme de l'ordonnance de 1945. La circulaire d'orientation budgétaire de rentrée de l'administration centrale de la PJJ impose d'ailleurs le positionnement des services de la PJJ au pénal exclusivement, ce qui est fort préoccupant.
Ce budget, je le répète, est bien en deçà des besoins des justiciables, des personnels et des personnes condamnées à des peines de prison, et certaines de ses dispositions nous préoccupent.
Je n'ai pas dit que j'étais optimiste, mais que ce budget était en hausse. On peut toujours réclamer plus de crédits, mais il faut être responsable : plus de crédits pour quoi faire ? Nous augmentons les moyens, mais en même temps nous réformons.
Budget décevant, inquiétant, dites-vous ? Il ne fallait pas vous priver pendant quatorze ans ! Je ne veux pas polémiquer, mais je suis allée consulter les débats parlementaires…
On me fait grief de beaucoup de choses, mais je n'improvise rien : quand j'établis un budget, je regarde les précédents ; quand j'élabore le projet de loi pénitentiaire, je reprends les travaux qui ont été faits précédemment, notamment par la gauche ; quand je réforme la carte judiciaire, je reprends le rapport Guigou, le rapport Nallet, le rapport Lebranchu. D'ailleurs, la plupart des tribunaux regroupés figuraient déjà dans le rapport présenté en conseil des ministres en 1999. Je rends hommage à la gauche pour le travail qu'elle a fait : elle n'est pas allée jusqu'au bout, mais il m'a servi !
Je ne réponds pas aux polémiques, ce n'est pas ma conception de la politique. Faire de la politique, c'est militer, convaincre, tenir des engagements ; ce ne sont pas les coups bas et les petites phrases. Lorsque Mme Guigou était garde des sceaux, le budget a augmenté mais, en matière de réformes, on a calé sur tout : sur la réforme de l'ordonnance de 1945, sur la réforme de la carte judiciaire, sur la réforme des tribunaux de commerce, sur la réforme du CSM… La liste est longue ! Merci donc à tous ceux qui ont travaillé et dont j'utilise le travail ; mais nous, nous allons jusqu'au bout. Et je réclame l'égalité des armes : il aurait fallu, à l'époque, formuler les mêmes commentaires qu'aujourd'hui.
En ce qui concerne la réforme de la carte judiciaire, le volet immobilier représente sur cinq ans 375 millions d'euros. 60 millions sont inscrits en 2009. Le fléchage est précis : il y a 820 opérations à mener ; 330 sites font l'objet d'un relogement, les juridictions regroupées sont accueillies sur 400 sites. Depuis le 1er mars 2008, 91 pôles de l'instruction ont été installés. Bien sûr, il y a des contraintes immobilières ; là où ce sera nécessaire, on adoptera des solutions transitoires, notamment par des locations. Tout cela est prévu dans l'enveloppe de 375 millions. La plupart des sites qui vont être quittés sont propriété des collectivités locales. Il y aura 74 locations et 215 immeubles mis à disposition par les collectivités. Par ailleurs, 41 sites appartiennent à l'État.
Pour notre part, donc, non seulement nous programmons, mais nous finançons. Il en va de même pour le programme immobilier pénitentiaire. La réhabilitation des Baumettes était estimée à 180 millions : j'ai considéré qu'il valait mieux tout démolir puis reconstruire ; le calendrier reste le même – 2011-2013 – mais ce sera pour la construction d'une nouvelle prison. Ces travaux sont attendus depuis quinze ans.
Nous avons anticipé le rapport Guinchard en termes d'emplois : le volume de la déjudiciarisation correspond à 500 emplois. Par ailleurs, le calendrier parlementaire est un peu chargé. Certaines dispositions ont été intégrées dans la proposition de loi de M. Warsmann, d'autres seront proposées au Sénat. L'essentiel, c'est que les mesures soient prises ; j'espère que d'ici à 2009, ce rapport sera mis en oeuvre. Il faudra certes compléter les propositions de loi par un autre véhicule.
La question des avoués est en discussion. La proposition actuelle est de fusionner leur profession avec celle des avocats. Le sort des 2 500 salariés va être examiné dans ce cadre ; il y aura aussi indemnisation par le ministère de la justice, mais sans impact budgétaire en 2009.
En ce qui concerne la justice commerciale, nous avons enlevé toutes les chambres commerciales qui existaient dans les TGI pour les remettre dans les tribunaux de commerce ; et nous regroupons ces tribunaux pour qu'il y ait un parquet à proximité : pour éviter certaines incohérences, pour ne pas dire plus, la présence du procureur est indispensable. Si l'on veut par ailleurs lancer un débat pour réformer le contentieux commercial, je n'y suis pas opposée, mais l'essentiel est cette réforme de l'organisation. Au-delà des dérives, il arrivait en effet souvent qu'après un passage devant la justice commerciale, un dossier se retrouve au pénal quelques années après ; cela conduisait à des doubles peines, mais les entreprises avaient parfois disparu entre temps. Les salariés étaient les premières victimes.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, il ne faut pas oublier que, dans le cadre du rapport Guinchard et de la mission Darrois, la médiation va être de plus en plus souvent dévolue aux avocats. La question est de savoir si dans ce cas les personnes doivent bénéficier de l'aide juridictionnelle ; elle n'est pas tranchée. Par ailleurs, la mission Darrois réfléchit à la possibilité de faire contribuer les grands cabinets d'avocats à l'aide juridictionnelle. Notre souci doit être que tout le monde ait droit à la même justice.
Concernant les greffiers, reprenez mes discours : je dis souvent qu'on en parle peu, mais je fais en sorte de réparer les injustices. Quand j'ai constaté qu'en Corse, ils n'avaient pas droit à une prime alors que les magistrats en avaient une, j'ai obtenu de Bercy que cette injustice soit réparée. L'enveloppe de 2,9 millions est également destinée à rétablir l'égalité.
Quant aux emplois de catégorie C, nous en créons 150. Les passerelles permettent de valoriser ceux qui ont de l'expérience professionnelle et qui ont bien peu de temps pour préparer des concours.
En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, vous m'avez interrogée sur la détention provisoire. Je veux d'abord souligner qu'elle a beaucoup diminué, notamment après l'affaire d'Outreau. Il peut être intéressant de savoir dans quelle proportion elle débouche sur une détention ferme, mais il me paraît encore plus pertinent de savoir dans combien de cas elle débouche sur une relaxe ou un acquittement. Ainsi, dans les affaires de moeurs, un placement en détention provisoire peut être nécessaire.
Les indicateurs relatifs à cette mission manquent de clarté. Certains ne sont pas instruits, d'autres sont supprimés sans explication par le ministère du budget, d'autres encore ne sont pas très parlants… Si l'on veut renforcer l'action du ministère, il convient de revoir la définition des indicateurs.
Toute proposition serait bienvenue. Ayant moi-même constaté des écarts incompréhensibles dans les indications que l'on me fournissait, ce qui les rendait inexploitables, j'ai demandé, dans le cadre de la réorganisation de la Chancellerie, la centralisation des outils statistiques. Elle permet la mise au point d'indicateurs pertinents sans qu'il soit plus besoin de submerger les juridictions de demandes fragmentées. Je puis ainsi vous dire que le taux de récidive après « sortie sèche » est de 60 %, et qu'il diminue de deux tiers environ en cas de sortie « aménagée ». Quant aux libérations conditionnelles, j'observe, sans vouloir être désagréable, qu'elles ont longtemps été bien peu nombreuses… Je souligne d'autre part que la décision dépend d'un juge. Pour autant, la Chancellerie a adopté une politique volontariste, qui s'est traduit par une augmentation de 10 % du nombre de libertés conditionnelles. Les conférences régionales d'aménagement des peines donnent l'occasion d'en débattre et d'assurer la cohérence des méthodes de travail, qui garantit elle-même la cohérence des objectifs visés. Je considère la libération conditionnelle comme le meilleur moyen de réinsertion. Encore faut-il être « conditionnable », c'est-à-dire avoir accompli la moitié de sa peine, et avoir le profil requis – certains prisonniers ne l'ont pas, tels les pédophiles qui sont dans le déni. Mieux vaudrait dans tous les cas ne pas attendre le moment où un détenu peut prétendre bénéficier d'une liberté conditionnelle pour faire procéder au renouvellement de ses droits sociaux et pour définir avec lui un projet éducatif ou de formation professionnelle. C'est l'un des enjeux du projet de loi pénitentiaire.
La révision de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants devrait conduire à redéployer environ 800 emplois du civil vers le pénal ainsi que les crédits y afférents. Il en résulterait, avez-vous dit, que l'éducatif ne primerait plus. Il n'en est rien. J'ai explicitement fixé à la commission présidée par le recteur Varinard la mission de préserver la primauté de l'éducatif qui, pas davantage que les autres principes qui régissent l'ordonnance de 1945 – atténuation de la responsabilité et spécialisation des juridictions –, ne sera remis en cause. Permettez-moi cependant de vous rappeler les conclusions du rapport de M. Jean-Pierre Schosteck, selon lesquelles la réponse à une infraction commise par un mineur ne doit pas être une condamnation au civil mais une sanction pénale – rapide de surcroît, sinon le mineur sanctionné en a oublié la cause, et le jugement rendu perd toute efficacité. Je suis persuadée de la justesse de ce point de vue.
Les cartes de la protection judiciaire de la jeunesse, la carte pénitentiaire et la carte judiciaire seront harmonisées en une seule et l'on passera de manière uniforme à neuf échelons. Cette réforme nécessaire était attendue. L'affirmation selon laquelle, s'agissant des mineurs, nous aurions oublié ce qui touche à l'éducatif, est inexacte. Nous avons créé, en un an, cinq centres éducatifs fermés où des équipes pluridisciplinaires sont aussi aptes à prendre en charge sur le plan psychiatrique des mineurs qui ont commis des crimes et qui présentent souvent des troubles de la personnalité.
Le stock de mesures en attente est de 2 047, dont 979 concernent des mineurs en danger et 18 de jeunes majeurs. Le budget de la justice pour 2008 et la réorganisation des missions ont permis de réduire ce stock de 2 %, le délai moyen de traitement des affaires passant de 53 jours à 18 jours. La loi de protection de l'enfance a permis une meilleure répartition des missions de la protection judiciaire de la jeunesse et un recentrage ; il en résulte que 19 % de ce budget est consacré au civil.
Je confirme, monsieur Geoffroy, que le programme de 13 200 places de prison est financé et qu'il sera tenu. Le fait que nombre de ces créations soient prévues dans le cadre de partenariats public-privé permet de raccourcir les procédures et de respecter les délais.
Je n'ai pas parlé de « chantage au suicide » comme s'il s'agissait d'un fait général, monsieur Braouezec, mais directeurs d'établissements et membres du personnel pénitentiaire vous le confirmeront, de tels comportements ont lieu. Cela peut être, par exemple, pour partager la cellule d'un autre détenu, et il s'en produit aussi pendant les procès très médiatisés.
Quant à prétendre que les mouvements syndicaux observés ces jours-ci seraient les premiers de cette ampleur, permettez-moi un doute sérieux. En 1993, la moitié des prisons étaient bloquées, un millier de magistrats se sont rendus devant Matignon où M. Jospin a refusé de les recevoir, des codes ont été brûlés place Vendôme. En 1999, d'autres mouvements syndicaux très longs et très forts ont été observés.
Je ne nie pas les mouvements actuels et ne les minimise pas davantage ; j'entends, mais je constate que, pour des raisons que je préfère ne pas approfondir, on s'emballe parfois alors qu'il faut savoir garder la tête froide. Rappelez-vous, aussi, la loi sur la présomption d'innocence, qui est à l'origine d'une évasion à Montpellier : elle avait mis toutes les professions judiciaires dans la rue ! Et Mme Lebranchu se rappelle certainement cette période peu plaisante pour elle, alors garde des sceaux, où tous les barreaux étaient en grève.
S'agissant de la justice, nous avons mené huit réformes et dix textes ont été adoptés. C'est le résultat d'un travail de terrain et de rencontres régulières avec les syndicats. Je rends hommage à l'administration pénitentiaire, qui conduit sa tâche avec un sens élevé de ses responsabilités, dans des conditions rendues plus difficiles par la surpopulation carcérale et la présence de détenus de plus en plus violents.
Quant au meurtre du petit Enis, il s'explique par un vide juridique concernant les délinquants les plus dangereux. On ne peut contraindre personne à se soigner, et M. Blisko n'ignore pas que les délinquants sexuels les plus pervers refusent de se soigner en détention : que faire d'eux quand ils sortent de prison ? Il y avait là un vide juridique, et c'est en cela que la loi sur la récidive est utile : 14 000 prononcés de peines planchers, c'est quand même 14 000 récidivistes mis hors jeu, et si ces peines ont permis de sauver ne serait-ce qu'une victime, alors cette loi est utile. On reproche à la rétention de sûreté de ne concerner que 1 % des détenus : peut-être, mais il s'agit des délinquants les plus dangereux ! Il me semble que le viol ou le meurtre d'un enfant ébranle davantage les fondements de la société qu'un vol de portable, même commis en récidive ! Une telle mesure évite le risque d'une société où on se fait justice soi-même.
Mes questions porteront sur la situation de l'administration pénitentiaire.
Je reconnais que la progression de 4 % des crédits de paiement pour l'administration pénitentiaire représente une augmentation notable. Mais il s'agit d'un budget en demi-teinte, voire en trompe-l'oeil, cette augmentation devant être totalement absorbée par l'augmentation de la population carcérale et votre objectif de construction de places supplémentaires au confort amélioré. De ce fait, chaque agent de l'administration pénitentiaire ou chaque conseiller d'insertion et de probation se retrouvera avec le même nombre de détenus en face de lui, détenus de plus en plus jeunes et dont les problèmes sanitaires, psychologiques et toxicologiques s'aggravent.
Cette situation justifie vos projets de développement des aménagements de peine, dont nous approuvons le principe. Mais ils ne peuvent pas reposer exclusivement sur le dispositif de placement sous surveillance électronique mobile, dont beaucoup d'études démontrent qu'il n'est pas toujours bien toléré : il conviendrait de développer également les travaux d'intérêt général et les placements en centres de semi-liberté, qui sont loin d'être pleins. De même, le recrutement de 170 conseillers d'insertion et de probation supplémentaires doit être apprécié au regard de l'augmentation du nombre de détenus, chaque CIP ayant de ce fait la charge de 100 à 150 détenus : on voit qu'il reste beaucoup à faire, d'autant qu'ils ont à s'occuper aussi de justiciables qui ne sont pas incarcérés, soit 240 000 personnes en tout. Il faut également tenir compte des revendications statutaires de ces CIP, qui ont donné lieu à des mouvements sociaux en juin : ils souhaitent notamment une redéfinition de leurs missions qui reconnaisse la spécificité de leur rôle.
Vous avez souhaité une implication plus forte des collectivités locales, notamment des conseils généraux, qui gèrent l'aide sociale. Mais les charges pesant sur elles doivent-elles encore s'accroître, au moment où leur budget est obéré par l'aggravation de leurs dépenses sociales obligatoires, qui sont encore appelées à augmenter à l'avenir, étant donné la situation économique ?
On ne peut que vous approuver quand vous soulignez la nécessité d'améliorer la formation professionnelle dans les établissements pénitentiaires. Le travail en prison est pour l'heure le parent pauvre de l'organisation pénitentiaire, comme le prouvent les faibles performances de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires. Or ce travail devrait être la règle en détention.
Il convient de souligner en la matière la responsabilité de l'État, notamment de l'éducation nationale : on ne peut que s'étonner de la très faible implication de celle-ci quand on connaît le très faible niveau scolaire des détenus. Je ne parle pas des personnels qui assurent des cours en prison, dont le dévouement est remarquable, mais du ministère lui-même, où personne n'est chargé spécifiquement de la formation en prison.
La très grande diversité des situations des établissements pour mineurs, EPM, pose aussi question, certains étant très performants quand d'autres ont du mal à démarrer. Il conviendrait de s'inspirer des exemples de réussite, en assurant une meilleure coopération entre PJJ, éducation nationale et administration pénitentiaire. Cela suppose que la PJJ aille au bout de sa révolution culturelle.
Je veux pour finir revenir au problème de la surpopulation carcérale, dont on ne peut nier, en dépit de toutes vos dénégations, qu'il est la cause du malaise des détenus et d'une grande partie des drames auxquels nous assistons actuellement. Vous avez par voie de circulaire repoussé à 2012 le respect du principe de l'encellulement individuel, en contradiction avec les règles européennes. Il est grand temps de mettre fin au scandale de nos prisons, épinglé à maintes reprises par le Conseil de l'Europe.
Je tiens, pour ma part, à féliciter les rapporteurs pour leur travail et Mme la garde des sceaux pour avoir obtenu une hausse de son budget, particulièrement appréciable pour l'institution judiciaire dans le contexte budgétaire actuel. Je m'arrêterai plus particulièrement sur le budget de l'administration pénitentiaire.
La règle de l'encellulement individuel, qui a été posée par une loi de 1875, n'entrera pas encore en application cette année. Il convient cependant de souligner l'importance du programme de construction de nouvelles places que vous avez lancé et qui est sans précédent. La comparaison qu'on peut faire avec certains de vos prédécesseurs devrait d'ailleurs inviter nos collègues socialistes à plus de modestie. Reste que des difficultés importantes continuent à entraver l'application de cette règle, du fait notamment de la fermeté de la politique pénale, sur laquelle nous souhaitons d'autant moins revenir qu'elle est conforme aux souhaits des Français.
Les escortes et transfèrements de détenus sont la plupart du temps effectués aujourd'hui par la police et par la gendarmerie – problème récurrent dont on n'entend d'ailleurs plus beaucoup parler. Où en est-on à ce sujet ? La possibilité de recourir plus fréquemment à la visio-conférence, voire à la visio-audition, permettrait peut-être de limiter ces transfèrements. Où en est-on de l'installation des équipements permettant d'utiliser ces techniques ? S'est-elle heurtée à des obstacles particuliers ?
On a évoqué tout à l'heure la situation des Baumettes, qui est en effet l'un des plus gros établissements pénitentiaires de France. Où en est le projet de rénovation de la prison parisienne de la Santé ?
Les moyens accordés au contrôleur général des lieux de privation de liberté devraient être actualisés en fonction de ses besoins et de ses attentes. Envisage-t-on d'augmenter les crédits qui lui ont été alloués pour ses déplacements, quelques difficultés ayant été constatées sur ce point ? De même, le problème des locaux dont il dispose a-t-il été réglé de façon à lui permettre de remplir sa mission dans de meilleures conditions ?
Un rapport récent, dont il a été fait état dans la presse, révèle des agissements extrêmement préoccupants en matière de prosélytisme islamiste dans les prisons. Des rapports sur ce même sujet avaient d'ailleurs été remis par le passé, qui avaient déjà conduit à prendre des mesures. Où en est-on exactement aujourd'hui ?
Mme Rudzetski ayant fait savoir qu'elle cessait ses fonctions à la tête de l'association SOS Attentats, est-il prévu de mettre en place une structure pérenne pour s'occuper des victimes d'attentats terroristes, comme elle en avait exprimé le souhait ?
Je crains, Madame la garde des sceaux, de devoir formuler des critiques sur votre projet de budget et de m'exposer donc à des foudres jupitériennes… Mais ces critiques me paraissent justifiées. Ce n'est pas l'opposition française, mais le Conseil de l'Europe lui-même qui a classé la France au 35ème rang sur 43 pays membres de l'organisation en matière de budget annuel de la justice par habitant.
Il ne me semble pas que notre collègue Dominique Raimbourg ait parlé d'incohérence s'agissant de la réforme de la carte judiciaire. Il a simplement émis des réserves sur l'anticipation dans ce projet de budget des mutations que vous avez décidées. En effet, au 1er janvier 2009, 78 tribunaux de commerce et 62 conseils de prud'hommes vont fermer, et au 1er janvier 2010, 178 tribunaux d'instance connaîtront le même sort, ce qui entraînera le déplacement de 2 000 fonctionnaires, dont 650 magistrats. Nous avons bien noté vos réponses sur ce point mais craignons que l'on soit loin de ce qui serait nécessaire.
Mes questions portent sur les personnels. Le rapporteur a reconnu tout à l'heure qu'il existait un « léger malaise » entre les magistrats et la Chancellerie. J'avoue que j'aurais, pour ma part, usé d'un autre adjectif, au vu notamment des propos tenus hier soir par la délégation reçue par le Président de la République, dont les membres ne semblaient pas très satisfaits, c'est le moins que l'on puisse dire, s'agissant notamment de l'indépendance des magistrats à l'égard de la Chancellerie. La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs, dans une décision du 13 juillet 2008, « prenant acte de l'absence d'indépendance du procureur de la République à l'égard du pouvoir politique », dénié au procureur « la qualité d'autorité judiciaire » dans notre pays.
Rien ne nous rassurant quant à l'indépendance de la justice, nous pouvions espérer être rassurés s'agissant des moyens. Or, alors que vous évoquez la création de 59 postes de magistrats, nous arrivons, nous, d'après nos calculs, à moins 22 équivalents temps plein travaillé (ETPT) –siège et parquet confondus. Pour ce qui est du nombre de magistrats sortant de l'École nationale de la magistrature, point sur lequel vous n'avez pas répondu, me semble-t-il, à Jean-Paul Garraud, à l'horizon 2011 devraient en sortir 140 contre 249 aujourd'hui, alors que dans le même temps les départs en retraite seront massifs.
La pénurie de greffiers, dont vous avez rappelé à juste titre, combien ils étaient indispensables à la célérité de la justice, met en péril le fonctionnement même de l'institution. Dans le budget 2008, les greffes avaient déjà payé le plus lourd tribut en matière de suppressions d'emplois. Vous avez évoqué tout à l'heure 150 créations de postes en 2009, mais on apprend dans l'excellent document budgétaire qui nous a été remis qu'il s'agit seulement de promouvoir 150 agents de catégorie C en secrétaires administratifs, ce qui libérera 150 greffiers de leurs tâches administratives et permettra de les affecter auprès de magistrats. D'après nos calculs, qui coïncident d'ailleurs avec ceux du syndicat des greffiers de France, le nombre d'emplois de catégorie B, loin d'augmenter, diminue.
Vous nous avez longuement parlé dans votre propos liminaire de la loi pénitentiaire. Mais il s'agit pour l'instant un texte fantôme, ce que nous déplorons tous. Annoncé en décembre 2007, repoussé à l'automne 2008, ce projet de loi devait nous être soumis en janvier 2009, avant qu'on évoque maintenant sa présentation en mars 2009 devant le Sénat. Quoi qu'il en soit, espérons que nous puissions l'examiner le plus rapidement possible.
Si le taux d'agressions contre les personnels pénitentiaires était en 2006 légèrement inférieur à ce qui pouvait être attendu, il a été le double en 2007 et 2008.
Dispose-t-on d'indicateurs s'agissant de la sécurité des détenus ?
Vous avez évoqué les suicides, soulignant qu'il fallait rapporter leur nombre, en augmentation, à la population carcérale, elle-même en augmentation. Mais quid du nombre de meurtres entre détenus, qui a doublé entre 2007 et 2008 ? Notre pays a le plus fort taux de mortalité carcérale en Europe, après le Luxembourg et l'Islande.
Vous nous avez dit tout à l'heure, madame la garde des sceaux, que vous n'improvisiez rien en matière de réformes et que plus de dix textes ont été publiés depuis que vous êtes à la tête de la Chancellerie. Hélas, cet empilement de textes, conjugué à ce projet de budget, provoque une désorganisation massive de l'institution judiciaire. Vos réformes vont également éloigner encore davantage les justiciables de la justice.
Je constate au quotidien dans mon métier, que je pratique encore, les problèmes nés de l'accumulation de ces textes successifs. Les moyens informatiques devraient, nous dit-on, sauver le fonctionnement de l'institution judiciaire. Mais la nouvelle application pénale Cassiopée ne fonctionne toujours pas, et ce depuis 1993, les fonctionnaires des greffes pourront vous le confirmer ! La mise en place des bracelets électroniques, dont, soit dit au passage, le nombre n'est pas aussi élevé que ce qui a été dit, entraîne un surcroît de travail pour les magistrats mais aussi pour les greffiers, comme d'ailleurs toute mesure d'aménagement des peines. Il en va de même de la collégialité de l'instruction, alors que le nombre de magistrats restera, peu ou prou, constant. Le travail auparavant accompli par les avoués, qu'on a le projet de supprimer, le sera par les greffiers. Votre projet de budget devrait anticiper ces mesures à venir, d'autant qu'il faut longtemps pour former aux professions judiciaires et que l'inertie est toujours forte entre l'annonce et la mise en oeuvre effective des mesures.
La misère des moyens humains de notre justice est bien connue : on est très loin en France du ratio qui serait souhaitable d'un greffier et de deux ou trois fonctionnaires de catégorie C pour un magistrat. On dénombre moins d'un greffier et d'un seul agent de catégorie C par magistrat – je souligne au passage que l'effectifs de ces agents était inférieur en 2007 à ce qu'il était en 1999, alors même que ces personnels constituent la mémoire des tribunaux.
Au-delà des chiffres annoncés en augmentation globale, il faut se plonger dans les détails… où se niche souvent le diable. Une réforme vraiment utile de notre justice exigerait des moyens qui, hélas, font défaut dans ce projet de budget.
L'accès à la justice sera également plus difficile pour les justiciables. La mise en oeuvre anticipée de la réforme de la carte judicaire, nous a-t-on dit, répondrait au souhait de certains chefs de cour. Je constate, pour ma part, sur le terrain qu'elle est plutôt liée à la pyramide des âges des fonctionnaires ou à des mesures de gestion du personnel, et qu'elle n'est pas nécessairement le produit d'une réflexion globale. Au final, ce sont bien les justiciables qui en feront les frais. Les crédits alloués aux maisons de la justice et du droit ou aux conseils départementaux d'accès au droit n'augmentent pas comme il serait nécessaire.
Quant à la proposition de la commission Darrois de financer pour partie l'aide juridictionnelle ou la médiation par un prélèvement sur le chiffre d'affaires de certains gros cabinets, elle est carrément surréaliste. On se dirige vers une justice à deux vitesses, avec des justiciables qui pourront s'en payer l'accès, et d'autres qui, ne le pouvant pas, finiront par y renoncer. Voilà où vont conduire toutes vos réformes, et notre pays, 35ème aujourd'hui sur 43 en Europe s'agissant de justice, risque bel et bien de tomber à la 43ème place.
Le rapport du Conseil de l'Europe auquel certains d'entre vous se sont référés – qui concerne la période d'avant l'élection de Nicolas Sarkozy, ce qui me rend d'autant plus facile d'en parler – compare les moyens et les budgets de la justice dans les différents pays européens. Or, aucun des 27 pays de l'Union n'a la même organisation judiciaire. Alors qu'en Allemagne, où l'on compte certes trois fois plus de magistrats, tout contrevenant à la loi est systématiquement poursuivi, en France, ce sont les procureurs qui décident de l'opportunité des poursuites. De même, alors qu'en Angleterre, il est possible de transiger au pénal, cette possibilité n'existe pas dans notre pays. Veillons donc à ne comparer que ce qui est comparable. Ce rapport met en parallèle des budgets. Je vous parle, moi, des missions et de l'efficacité de la justice. Il est des pays où n'existe pas de juge d'instruction. Il en est d'autres, comme en Angleterre, où il n'y a pas de poursuites systématiques au pénal.
M. Blisko craint que l'augmentation es crédits de l'administration pénitentiaire ne soit absorbée par celle de la population carcérale. Les créations de postes sont, heureusement, fonction du nombre de places, et non de détenus.
Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) suivent 157 000 personnes en milieu ouvert. J'ai bien entendu les revendications des conseillers de ces structures, qui souhaitent être davantage spécialisés en criminologie pour mieux remplir leurs missions que nous sommes en train de revoir, suite aux conclusions du groupe de travail sur le sujet. Il y avait 1 700 emplois de SPIP en 1997 ; il y en aura 170 de plus en 2009. De 2002 à 2007, leur nombre a été fortement accru et leur action mieux reconnue, puisqu'ils étaient auparavant mélangés avec les travailleurs sociaux et les associations. Nous poursuivons cette politique.
Les bracelets électroniques sont-ils supportables ? Le rapport Lamanda a préconisé de les miniaturiser. Il s'agit d'un nouveau dispositif, qui, pour l'instant, n'a pas provoqué d'incidents. Cela dit, il peut toujours être amélioré.
Par ailleurs, l'aménagement des peines ne se limite pas au seul bracelet électronique, qui n'est qu'un moyen parmi d'autres. Les libérations conditionnelles, les régimes de semi-liberté, les placements extérieurs et même les permissions de sortie sont eux aussi des outils d'aménagement des peines, dont la palette va encore être accrue par la loi pénitentiaire. Le bracelet électronique est cependant particulièrement important, dans la mesure où il peut se substituer à une place de prison.
Le taux d'activité en prison est actuellement de 37 %. C'est faible, mais les établissements pénitentiaires, notamment les plus anciens, ne sont guère conçus pour qu'on y travaille. Les établissements plus récents comportent d'immenses ateliers, beaucoup mieux adaptés au travail et plus sécurisants pour les personnels pénitentiaires, qui peuvent surveiller les détenus depuis des coursives. Il s'agit donc essentiellement de problèmes de conception, d'organisation et de surveillance. Les nouvelles constructions, les conventions MEDEF ainsi que le développement de la formation professionnelle et de l'éducation en prison amélioreront certainement les choses.
Contrairement à ce que vous dites, l'Éducation nationale s'implique beaucoup dans le système pénitentiaire. Partout où il y a des mineurs, il y a des professeurs. En revanche, la population carcérale n'est pas homogène, même si le niveau d'études est globalement très bas, avec de nombreux cas d'illettrisme. Faire un cours de français ou de mathématiques devant un public composé de jeunes, de moins jeunes et d'étrangers, tous de niveau très faible, ce n'est pas facile ! C'est pourquoi les établissements pénitentiaires pour mineurs sont si importants. Il ne faut pas oublier que, jusqu'à une date récente, personne ne voulait travailler avec un surveillant pénitentiaire ! Même si un drame est survenu récemment à Meyzieu, il s'agit d'un concept innovant et adapté pour les mineurs, assurant à la fois des soins, des enseignements scolaires, de la formation professionnelle et de la surveillance. Nous souhaitons en conséquence fermer une partie des quartiers de mineurs : si les moins de 16 ans ont une obligation scolaire, les 16-18 ans n'y ont aucune obligation d'activité et peuvent rester enfermés dans leur cellule toute la journée s'ils le souhaitent, ce qui n'est pas le cas dans les EPM. Avec 20 heures de cours par semaine, ceux-ci mobilisent 1 600 emplois de l'Éducation nationale, ce qui prouve bien l'implication de cette dernière.
S'agissant de la formation professionnelle, vous avez raison : compte tenu de leur niveau scolaire extrêmement bas, il est important que les détenus puissent bénéficier d'une formation professionnelle en prison, de manière non seulement à faciliter leur réinsertion, mais aussi à leur apporter une rémunération. J'en ai parlé récemment au président du conseil régional du Nord, qui m'a dit qu'il allait y réfléchir. Je ne peux pas donner d'instructions aux présidents des conseils régionaux ! Si vous vouliez bien relayer cette demande auprès de vos amis, j'en serais ravie.
Quant à la surpopulation, il suffit de regarder les statistiques : elle existe depuis 1995. Entre 1997 et 2002, on a fermé 4 % des places de prison ; et si cela était nécessaire vu leur insalubrité, dans le même temps, la délinquance augmentait. Pour remédier à cette surpopulation, nous avons deux solutions : construire de nouvelles places et aménager les peines.
En ce qui concerne les escortes, nous avons laissé les choses en l'état : le ministère de l'intérieur s'en charge, sauf à Marseille pour les escortes médicales.
Pour ce qui est de la visioconférence, nous avons pris l'engagement de réduire le nombre de transferts de 5 % en 2009 et de 5 % en 2010. Je souhaitais aller plus loin, mais nous rencontrons des difficultés en ce qui concerne la signature des actes et les dates de début des délais.
S'agissant de la prison de la Santé – qu'il faut bien sûr réhabiliter –, l'objectif est de conserver 250 places et d'en construire 1 000 en région parisienne. Nous cherchons actuellement un site. Pendant un moment, il avait été question de fermer la Santé et d'agrandir Fleury, qui compte déjà 3 500 places, mais, compte tenu du nombre de contentieux à Paris, notamment ceux liés au grand banditisme et au terrorisme, il est indispensable d'avoir une prison de proximité.
Concernant le prosélytisme en prison, j'ai signé en mars 2008 avec mon homologue britannique, Jack Straw, un programme de prévention du prosélytisme et de l'Islam radical en milieu pénitentiaire. Toutefois, il ne faut pas dissocier ce problème du libre exercice de culte. Nous travaillons donc en parallèle à faciliter l'accès au culte pour tous les détenus et à améliorer l'observation des comportements prosélytes ; nous avons également accru la coopération avec les services spécialisés de police et de gendarmerie. Le nombre d'aumôniers pour les musulmans a été accru de 66 en 2005 à 117 aujourd'hui, tandis que le budget pour les aumôniers passera de 2,1 millions d'euros en 2008 à 2,2 millions en 2009. La difficulté est d'évaluer la demande, puisqu'on ne demande pas à tout nouveau détenu, dès son arrivée, s'il souhaite pratiquer un culte.
Pour ce qui est du contrôleur général des lieux de privation des libertés, il relève du budget du Premier ministre.
Quant à la diminution du nombre de postes à l'École nationale de la magistrature, oui, il y en a une. Cependant, même l'Union syndicale des magistrats convenait hier, devant le Président de la République, que la priorité était à la création de postes de greffiers, non de postes de magistrats. Il y a eu chez ces derniers 187 créations de postes en 2008 ; il y en aura 59 en 2009, en raison du transfert définitif de 22 magistrats à la Cour nationale du droit d'asile – jusqu'alors, ils n'étaient pas comptabilisés dans la mission « Justice ».
S'agissant de l'indépendance de la Justice, le Président de la République a confirmé hier devant l'USM les propos que j'ai tenus vendredi soir dernier. Oui, je donne aux procureurs des instructions générales ainsi que des instructions pour l'application de la loi sur la récidive. La représentation nationale vote la loi ; les magistrats l'appliquent ; la garde des sceaux dirige l'action publique. Les procureurs étant sous l'autorité du garde des sceaux, je peux leur demander d'appliquer la politique pénale. En revanche, je n'ai jamais donné une instruction à un juge. Et je ne vois pas, monsieur Urvoas, comment un budget pourrait traduire une atteinte à l'indépendance – laquelle consisterait à réviser ou à abroger des principes, non à modifier le nombre de postes de magistrats !
La révision constitutionnelle a confirmé l'indépendance des magistrats, notamment par la réforme du CSM, qui prévoit de faire présider ce dernier par le Premier Président de la Cour de cassation pour la formation « siège », et par le Procureur général de la Cour de cassation pour la formation « parquet ». Pardonnez-moi, monsieur Urvoas mais, à moins de me donner plus de précisions, comment un budget peut-il traduire une atteinte à l'indépendance ?
Permettez-moi, madame la garde des sceaux, de préciser ma pensée car je me suis peut-être mal exprimé.
Je vous ai parlé de difficultés entre la Chancellerie et les organisations de magistrats, ces dernières ayant des interrogations, fondées à mes yeux, concernant leur indépendance. Bien évidemment, un budget ne peut régler ces difficultés. Cependant, la manière de les résoudre n'est-elle pas de donner des moyens aux magistrats pour travailler ?
Je le répète, le principe d'indépendance figure, pour l'essentiel, dans la Constitution, et, pour le reste, dans la loi organique relative au statut de la magistrature. À moins de violer la Constitution ou la loi organique, il ne peut donc y avoir atteinte à l'indépendance.
Quand on est responsable, on raisonne à partir de faits objectifs. Vous prétendez qu'il y atteinte à l'indépendance. J'aimerais donc, monsieur Urvoas, parce que ce que vous dites est grave, que vous m'indiquiez dans quel cas précis le garde des sceaux ou le Gouvernement ont porté atteinte – ce que je ne crois pas – à l'indépendance du siège en donnant une instruction à un juge du siège.
Il faut de part et d'autre être très responsable de ce que l'on dit, car qu'attendent les Français sinon d'avoir la même justice ? Ce que vous dites, monsieur Urvoas, est donc grave, car cela sème le doute dans l'esprit des Français.
Aucune atteinte n'est portée à l'indépendance. Ce que nous voulons, c'est que la justice soit la même pour tous, que les victimes soient protégées et que, en cas de dysfonctionnements, chacun prenne ses responsabilités. Telle est mon idée de la politique et la manière dont je la mets en oeuvre.
Monsieur Urvoas, dans quel cas précis le parlementaire que vous êtes, représentant ici vos électeurs, peut-il affirmer que j'ai violé l'indépendance d'un magistrat ? Cela n'a jamais été le cas. Je n'ai violé ni la Constitution ni la loi organique. Je trouve très grave, je le répète, de dire à un garde des sceaux, à un gouvernement ou à un Président de la République qu'il a violé l'indépendance d'un magistrat, et je sais très bien de quoi je parle étant magistrate moi-même. Je n'aurais d'ailleurs pas aimé en tant que juge du siège qu'on porte atteinte à mon indépendance.
Ce qui m'importe, c'est que les Français ne suspectent en rien le Gouvernement ou le Président de la République de porter atteinte à l'indépendance des magistrats, parce que ce serait là remettre en cause l'égalité des Français devant la justice. Or il n'y a ni inégalité des Français devant la justice ni atteinte à l'indépendance de cette dernière : les Français ont droit à la même justice sur tout le territoire.
Ils attendent en outre que la politique pénale soit appliquée. Ils ont voté pour que les récidivistes soient plus fermement sanctionnés, et une loi a été adoptée à cet effet par la représentation nationale. Je ne fais que demander aux procureurs de procéder à des réquisitions en ce sens, conformément à la Constitution et à la loi organique. Pour le reste, je vous le dis très sérieusement, monsieur Urvoas, il n'y a pas – à moins de me citer un cas précis sur lequel je pourrais m'expliquer – d'atteinte portée à l'indépendance des magistrats du siège dans leur décision. C'est la garantie de la même justice pour tous.
On ne peut laisser les Français se poser des questions en la matière. Il faut que tout le monde soit responsable. Nous sommes dans un État de droit, je le rappelle, et mon attitude l'a toujours confirmé.
Je m'exprimerai là non pas en qualité de rapporteur spécial, mais en tant que membre de la majorité.
Je suis très frappé, madame la garde des sceaux – on vient encore de le constater –, par le décalage assez considérable qui existe entre un certain état d'esprit régnant dans les milieux de la justice et les réalités du budget. Il n'y a rien d'objectif à s'appuyer sur ce budget pour essayer de contester des évolutions dans les domaines de la justice et de la pénitentiaire alors que le budget de la justice se distingue des autres budgets de l'État par une augmentation des moyens.
Mme la garde des sceaux ne l'a pas caché, rien n'est parfait. Dans certaines maisons d'arrêt, la surpopulation continue à exister. Pour autant, on ne peut nier que les moyens mis en place permettront progressivement de résorber les difficultés.
De même, si l'effet des réformes ne peut être immédiat, nous ne pouvons nier que tous les moyens sont mis en oeuvre pour que ces dernières soient poursuivies.
Vraiment, c'est un décalage complet que je ressens entre une certaine opinion et les réalités du budget que nous constatons aujourd'hui, fondé sur des réformes décidées non par la garde des sceaux, mais par la représentation nationale et appuyées par cette dernière.
J'ai souvent suffisamment manifesté mon esprit critique, y compris à l'égard du Gouvernement, pour ne pas comprendre que l'on puisse s'appuyer sur les données de ce budget pour essayer d'alimenter une sorte de malaise qui existerait à la fois dans la pénitentiaire et chez les magistrats.
Toutes les raisons existent de se satisfaire d'un budget très positif, et je tenais à le souligner aussi en tant que membre de la majorité.
À propos de l'anticipation de la carte judiciaire, je répondrai à M. Jean-Michel Clément que si les chefs de cour l'ont demandée, c'est pour un problème de gestion et d'organisation. Il faut cependant savoir que des personnels l'ont aussi demandée, pour des problèmes d'âge, c'est vrai, mais surtout parce que certains devant atteindre l'âge de la retraite d'ici un an ou deux ans, ils préféreraient que la réforme de la carte puisse être mise en oeuvre d'une manière anticipée. Il en va d'ailleurs de même pour les barreaux, qui souhaitent être regroupés pour des questions d'efficacité.
Concernant la condamnation par la CEDH, je viens de faire appel devant la Grande Chambre de la Cour pour bien confirmer le statut du parquet tel qu'il existe dans notre État.
Pour ce qui est des agressions entre détenus, on en comptait 367 en 2007 contre 373 en 2006. C'est là tout l'objet de la mission que nous avons mise en oeuvre sur l'évaluation de la dangerosité, cette dernière n'étant pas la même selon qu'elle est d'ordre criminologique ou psychiatrique. L'objectif est évidemment de diminuer le nombre des agressions entre détenus.
Le système Cassiopée a en effet rencontré des difficultés de mise en oeuvre. Tout a été repris en main et sa généralisation sera efficiente en 2009.
Plus généralement, les nouvelles technologies, s'agissant de dématérialisation des procédures et de numérisation, qui étaient attendues depuis 1999, s'appliquent dans toutes les juridictions depuis le 1er janvier 2008. C'est ainsi que, depuis cette date, la moitié des établissements pénitentiaires est équipée de la visioconférence. Depuis fin 2007, début 2008, la numérisation de la procédure tant civile que pénale est en cours. Dans certaines juridictions, tout a même été numérisé : Narbonne, Angoulême, Privas. Pour ceux qui connaissent celle de Narbonne, tout ce que l'on appelle les audiences de mise en état a été supprimé. C'est un confort pour les greffiers.
S'agissant de la suppression des avoués, elle ne se traduit absolument pas par un effet de bascule sur les greffiers, en raison de la simplification des procédures, notamment de la procédure d'appel. Et il y aura d'autant moins d'effet de bascule que l'on fusionne les avocats et les avoués.
On a supprimé les avoués des TGI en 1971 sans oser faire de même dans les cours d'appel à la suite de nombreuses contestations, mais, à l'époque, la question s'était posée. La suppression dans les TGI n'a en tout cas pas entraîné plus de travail pour les greffiers : on a simplement demandé aux avocats de faire le travail.
Ce qui se passe aujourd'hui dans les cours d'appel ne concerne d'abord que le civil. Jusqu'à présent, une fois le mémoire de l'avocat reçu, l'avoué remettait un peu tout en forme. Comme les deux professions vont fusionner, le travail ne sera fait qu'une seule fois : il n'y aura donc pas d'effet de bascule sur les greffiers.
Vous dites que la médiation éloignerait les justiciables. Mais que souhaitent les Français, sinon une justice plus rapide et plus efficace ? La médiation n'est en rien une justice bradée.
Le juge se transforme souvent en travailleur social. Il vaut donc mieux le recentrer sur sa mission de juger et laisser à la médiation les litiges qui peuvent être réglés rapidement. Lorsque le juge se déclare incompétent et qu'aucune décision n'est prise, c'est là qu'il y a déni de justice. Il vaut donc mieux orienter tout de suite vers la médiation-conciliation la résolution de litiges relatifs à de petites affaires plutôt que de voir un juge décider un an après que le problème ne relève pas de sa compétence. L'accès au juge est nécessaire, mais l'accès au droit l'est tout autant.
La justice n'est pas un service public comme les autres. On prétend qu'en regroupant les tribunaux d'instance, on supprime la justice de proximité ? Certes, il faut garder de la proximité, notamment pour tout ce qui est contentieux courant, mais il est nécessaire – certains dysfonctionnements récents l'ont montré – d'avoir une justice plus spécialisée dans certains contentieux, et dès lors beaucoup plus efficace.
Quand on créera le pôle famille, cela « parlera » à nombre de gens. Que les mesures concernant les enfants, les tutelles, les divorces relèvent du même pôle et que les magistrats aient un seul dossier à gérer, voilà qui va changer la vie des Français.
Il faut aussi repenser la justice en se demandant ce que la proximité apporte, en quoi elle est plus efficace, et ce que la rapidité peut permettre. Toute la problématique est d'ailleurs bien décrite dans le rapport Guinchard.
J'entends bien, madame la garde des sceaux, que vous avez fait appel de l'arrêt de la CEDH, mais s'agissant de la notion d'indépendance ce n'est pas moi qui ai pris une décision le 13 juillet 2008. C'est cette même Cour européenne des droits de l'homme qui dénie au procureur de la République en France le terme d'autorité judiciaire : « Le procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : [...] il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir politique pour pouvoir ainsi être qualifié ».
Parler d'atteinte portée à l'indépendance par la Chancellerie est très grave, monsieur Urvoas. Pour les Français, cela signifie que l'on adresse des instructions aux juges et que l'on porte atteinte à l'indépendance de ces derniers. Citez-moi un cas d'espèce pour que l'on s'en explique.
Permettez-moi de vous lire le texte suivant : « Depuis quelques mois, les atteintes au statut du parquet se multiplient :
« Un magistrat a été convoqué à la Chancellerie pour des propos tenus lors de ses réquisitions, au mépris du principe de la liberté de parole à l'audience ;
« Des procureurs généraux sont priés par la garde des sceaux de solliciter des mutations [...] ;
« Cinq procureurs généraux sont convoqués à la Chancellerie....
Vous parlez là du parquet, monsieur Urvoas. Il faut dire les choses comme elles sont.
Je poursuis : « Après le suicide d'un mineur à la maison d'arrêt de Metz, la semaine dernière, la garde des sceaux convoque sans délai les parquetiers concernés par la mise à exécution de la peine d'emprisonnement.
« Ces magistrats feront l'objet d'un véritable interrogatoire mené par l'inspection des services judiciaires, en pleine nuit » – et sans avoir pu bénéficier des plus élémentaires droits à la défense.
« Ces différentes affaires illustrent les dérives institutionnelles actuelles ». [...]
« Au travers de ce qui nous apparaît comme une "caporalisation" du ministère public, c'est l'indépendance de l'autorité judiciaire qui nous semble fragilisée par les pressions hiérarchiques constantes que fait peser le Gouvernement, au travers des parquets, sur la magistrature tout entière. »
Ce texte a été signé par le bureau de l'Union syndicale des magistrats et du Syndicat de la magistrature le 16 octobre 2008.
Ce n'est pas tant avec la représentation nationale qu'il faut vous expliquer. C'est également avec les organisations syndicales.
J'ai reçu leurs représentants vendredi et ils se sont déclarés rassurés, parce qu'il s'agissait de l'inspection. Le garde des sceaux dirige l'action publique, et je demande aux procureurs de demander des réquisitions sur le fondement d'une loi : quoi de plus normal selon les principes qui régissent notre République ?
Par ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature avait annoncé une déclaration à la suite de la convocation du procureur et de ses déclarations à l'audience, mais j'attends toujours cette déclaration, car le CSM a estimé que la convocation était légitime. En effet, si le statut garantit la libre parole à l'audience dans le cadre des réquisitions, il n'en est pas moins normal que, lorsqu'un procureur déclare qu'il n'applique pas la loi adoptée par la représentation nationale, la garde des sceaux lui demande des explications. Ce procureur a déclaré que le journaliste avait transcrit des propos qu'il n'avait pas prononcés – dont acte –, mais il a reconnu qu'il n'avait pas à porter de jugement sur la loi, et il importe de le redire. C'est pour les Français la garantie qu'ils seront tous jugés de la même manière. Si les magistrats contestent une loi, un justiciable pourrait fort bien s'opposer à ce qu'on la lui applique. Il faut dire clairement les choses : vous parlez d'indépendance du parquet, mais vous savez bien que le parquet n'est pas indépendant.
Quant au suicide d'un mineur, je rappelle que votre propre groupe, monsieur Urvoas, s'en est ému et qu'une mission parlementaire a été demandée à ce propos. Tous mes prédécesseurs vous le confirmeront, y compris dans vos rangs : lorsqu'un drame se produit, la garde des sceaux demande une inspection, parce qu'il faut éclairer – et ce n'est bien sûr pas elle qui procède aux convocations ou s'enquiert des modalités des faits. En engageant cette démarche, j'ai peut-être répondu à une demande du Parti socialiste, qui propose une commission d'enquête pour connaître les circonstances du suicide – et, de fait, je reçois quotidiennement des communiqués en ce sens. Vous pensez que nous sommes incapables de comprendre, mais viendra bien un jour où il faudra débattre publiquement de ces sujets : vous ne pouvez pas être d'accord en privé et soutenir publiquement une autre position.
Je demande donc quelles sont les circonstances qui ont conduit un mineur de seize ans, condamné à six mois de prison et qui n'est pas comparant le jour de l'audience, à se suicider. Tout d'abord, le jugement était-il exécutoire ? Si ce n'était pas le cas, vous ne manqueriez pas de le relever. Ensuite, comment se fait-il qu'un mineur se suicide le lendemain de son incarcération ? Que le chef de l'inspection auditionne toutes les personnes concernées par la chaîne qui a conduit un mineur à être incarcéré et à se suicider est élémentaire. Les polémiques et les petites phrases m'importent peu. Nous n'avons pas la même définition de la politique. J'ai une responsabilité, qui est la sécurité des Français. Lorsqu'un drame se produit, je dois m'en expliquer et l'éclairer pour améliorer la situation. Je ne peux pas me satisfaire de suicides de mineurs et de meurtres en prison. Il est normal que les personnes concernées soient auditionnées et qu'on sache ce qui s'est passé. Vous l'avez réclamé ; je l'ai fait. Nous vous avions peut-être réclamé beaucoup ; vous n'avez pas fait grand-chose. C'est sans doute la différence entre vous et nous.
Monsieur Urvoas, vous représentez les Français, qui vous demandent comme à nous de bénéficier tous de la même justice. Tel est le sens du courrier que je reçois et des demandes qui me sont faites sur le terrain. La garantie d'avoir la même justice, c'est que le juge soit indépendant. Je ne commande ni ne critique les décisions que rendent les juges, et je continuerai à le faire, car telle est ma vision de la justice et de l'égalité de tous les Français devant la justice. Voilà donc ma réponse sur le parquet, sur les juges et sur l'inspection. Il n'est pas cohérent de demander par communiqué une commission d'enquête et de dénoncer une inspection comme une atteinte à l'indépendance. Pour ma part, et n'en déplaise à certains, je suis cohérente et je le resterai, pour l'intérêt des Français qui me demandent chaque jour la même justice pour tous. Les détenus ne doivent pas craindre de ne pas survivre à leur incarcération.
La réunion de la commission élargie s'achève à douze heures vingt.
Le Directeur du service des comptes rendus des commissions, Michel KERAUTRET
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