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Intervention de Rachida Dati

Réunion du 28 octobre 2008 à 9h00
Commission élargie

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Toute proposition serait bienvenue. Ayant moi-même constaté des écarts incompréhensibles dans les indications que l'on me fournissait, ce qui les rendait inexploitables, j'ai demandé, dans le cadre de la réorganisation de la Chancellerie, la centralisation des outils statistiques. Elle permet la mise au point d'indicateurs pertinents sans qu'il soit plus besoin de submerger les juridictions de demandes fragmentées. Je puis ainsi vous dire que le taux de récidive après « sortie sèche » est de 60 %, et qu'il diminue de deux tiers environ en cas de sortie « aménagée ». Quant aux libérations conditionnelles, j'observe, sans vouloir être désagréable, qu'elles ont longtemps été bien peu nombreuses… Je souligne d'autre part que la décision dépend d'un juge. Pour autant, la Chancellerie a adopté une politique volontariste, qui s'est traduit par une augmentation de 10 % du nombre de libertés conditionnelles. Les conférences régionales d'aménagement des peines donnent l'occasion d'en débattre et d'assurer la cohérence des méthodes de travail, qui garantit elle-même la cohérence des objectifs visés. Je considère la libération conditionnelle comme le meilleur moyen de réinsertion. Encore faut-il être « conditionnable », c'est-à-dire avoir accompli la moitié de sa peine, et avoir le profil requis – certains prisonniers ne l'ont pas, tels les pédophiles qui sont dans le déni. Mieux vaudrait dans tous les cas ne pas attendre le moment où un détenu peut prétendre bénéficier d'une liberté conditionnelle pour faire procéder au renouvellement de ses droits sociaux et pour définir avec lui un projet éducatif ou de formation professionnelle. C'est l'un des enjeux du projet de loi pénitentiaire.

La révision de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants devrait conduire à redéployer environ 800 emplois du civil vers le pénal ainsi que les crédits y afférents. Il en résulterait, avez-vous dit, que l'éducatif ne primerait plus. Il n'en est rien. J'ai explicitement fixé à la commission présidée par le recteur Varinard la mission de préserver la primauté de l'éducatif qui, pas davantage que les autres principes qui régissent l'ordonnance de 1945 – atténuation de la responsabilité et spécialisation des juridictions –, ne sera remis en cause. Permettez-moi cependant de vous rappeler les conclusions du rapport de M. Jean-Pierre Schosteck, selon lesquelles la réponse à une infraction commise par un mineur ne doit pas être une condamnation au civil mais une sanction pénale – rapide de surcroît, sinon le mineur sanctionné en a oublié la cause, et le jugement rendu perd toute efficacité. Je suis persuadée de la justesse de ce point de vue.

Les cartes de la protection judiciaire de la jeunesse, la carte pénitentiaire et la carte judiciaire seront harmonisées en une seule et l'on passera de manière uniforme à neuf échelons. Cette réforme nécessaire était attendue. L'affirmation selon laquelle, s'agissant des mineurs, nous aurions oublié ce qui touche à l'éducatif, est inexacte. Nous avons créé, en un an, cinq centres éducatifs fermés où des équipes pluridisciplinaires sont aussi aptes à prendre en charge sur le plan psychiatrique des mineurs qui ont commis des crimes et qui présentent souvent des troubles de la personnalité.

Le stock de mesures en attente est de 2 047, dont 979 concernent des mineurs en danger et 18 de jeunes majeurs. Le budget de la justice pour 2008 et la réorganisation des missions ont permis de réduire ce stock de 2 %, le délai moyen de traitement des affaires passant de 53 jours à 18 jours. La loi de protection de l'enfance a permis une meilleure répartition des missions de la protection judiciaire de la jeunesse et un recentrage ; il en résulte que 19 % de ce budget est consacré au civil.

Je confirme, monsieur Geoffroy, que le programme de 13 200 places de prison est financé et qu'il sera tenu. Le fait que nombre de ces créations soient prévues dans le cadre de partenariats public-privé permet de raccourcir les procédures et de respecter les délais.

Je n'ai pas parlé de « chantage au suicide » comme s'il s'agissait d'un fait général, monsieur Braouezec, mais directeurs d'établissements et membres du personnel pénitentiaire vous le confirmeront, de tels comportements ont lieu. Cela peut être, par exemple, pour partager la cellule d'un autre détenu, et il s'en produit aussi pendant les procès très médiatisés.

Quant à prétendre que les mouvements syndicaux observés ces jours-ci seraient les premiers de cette ampleur, permettez-moi un doute sérieux. En 1993, la moitié des prisons étaient bloquées, un millier de magistrats se sont rendus devant Matignon où M. Jospin a refusé de les recevoir, des codes ont été brûlés place Vendôme. En 1999, d'autres mouvements syndicaux très longs et très forts ont été observés.

Je ne nie pas les mouvements actuels et ne les minimise pas davantage ; j'entends, mais je constate que, pour des raisons que je préfère ne pas approfondir, on s'emballe parfois alors qu'il faut savoir garder la tête froide. Rappelez-vous, aussi, la loi sur la présomption d'innocence, qui est à l'origine d'une évasion à Montpellier : elle avait mis toutes les professions judiciaires dans la rue ! Et Mme Lebranchu se rappelle certainement cette période peu plaisante pour elle, alors garde des sceaux, où tous les barreaux étaient en grève.

S'agissant de la justice, nous avons mené huit réformes et dix textes ont été adoptés. C'est le résultat d'un travail de terrain et de rencontres régulières avec les syndicats. Je rends hommage à l'administration pénitentiaire, qui conduit sa tâche avec un sens élevé de ses responsabilités, dans des conditions rendues plus difficiles par la surpopulation carcérale et la présence de détenus de plus en plus violents.

Quant au meurtre du petit Enis, il s'explique par un vide juridique concernant les délinquants les plus dangereux. On ne peut contraindre personne à se soigner, et M. Blisko n'ignore pas que les délinquants sexuels les plus pervers refusent de se soigner en détention : que faire d'eux quand ils sortent de prison ? Il y avait là un vide juridique, et c'est en cela que la loi sur la récidive est utile : 14 000 prononcés de peines planchers, c'est quand même 14 000 récidivistes mis hors jeu, et si ces peines ont permis de sauver ne serait-ce qu'une victime, alors cette loi est utile. On reproche à la rétention de sûreté de ne concerner que 1 % des détenus : peut-être, mais il s'agit des délinquants les plus dangereux ! Il me semble que le viol ou le meurtre d'un enfant ébranle davantage les fondements de la société qu'un vol de portable, même commis en récidive ! Une telle mesure évite le risque d'une société où on se fait justice soi-même.

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