La commission des Finances, de l'économie générale et du Plan a procédé à l'audition de M. Thomas Clay, doyen de la Faculté de droit de Versailles, titulaire de la chaire du droit de l'arbitrage, sur le droit et la pratique de l'arbitrage.
Nous poursuivons les auditions qui doivent nous permettre de faire toute la lumière sur les raisons qui ont présidé au choix d'un arbitrage pour régler les litiges opposant le CDR aux liquidateurs du groupe Bernard Tapie et aux époux Tapie. Nous avons souhaité entendre un spécialiste du droit de l'arbitrage et je vais donc demander à M. Thomas Clay, titulaire de la chaire de droit de l'arbitrage à la faculté de droit de Versailles de nous exposer les grandes lignes de ce droit puis de commenter son application dans le cas qui nous occupe.
C'est un plaisir et un honneur pour moi d'être auditionné par votre Commission à propos d'une affaire qui a porté l'arbitrage à la connaissance du grand public, mais dans une représentation infidèle de ce qu'est cette justice privée. Il ne faut en effet pas croire que tous les arbitrages se déroulent comme celui qui fait l'objet de vos travaux. Dans l'immense majorité des cas, l'arbitrage est une justice qui fonctionne, et qui fonctionne même très bien – c'est pourquoi, d'ailleurs, on en entend peu parler. C'est une justice qui donne toute satisfaction car elle est rapide, confidentielle, adaptée aux affaires et aux usages du monde des affaires. C'est aussi une justice à laquelle les arbitres consacrent tout le temps nécessaire, et qui présente l'avantage pour les parties qu'elles peuvent choisir ceux qui vont les juger. Il ne faudrait donc pas que cette affaire discrédite la pratique de l'arbitrage ; autrement dit, il ne faut pas confondre l'arbitrage en tant que tel et cet arbitrage particulier.
Il ne m'appartient pas de juger l'affaire au fond car je n'ai eu qu'un accès très partiel au dossier et je n'y suis lié en rien, mais il convient de donner un éclairage sur la procédure suivie, qui ne laisse pas d'interroger. Je m'efforcerai donc d'éclairer votre Commission sur le droit et la pratique de l'arbitrage, puis d'éprouver la procédure suivie en l'espèce au regard de ce droit et de ces pratiques avant d'indiquer quels sont les recours possibles à l'égard de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet dernier.
L'arbitrage n'est pas une justice exceptionnelle, c'est même la forme originelle de la justice, et il existe depuis quelque 4 000 ans. La seule différence entre l'arbitrage et la justice étatique est que l'on choisit celui qui va rendre la décision à laquelle on accepte par avance de se soumettre.
L'arbitrage n'est pas une justice dérogatoire. Il s'est progressivement imposé comme la justice des affaires, particulièrement en matière internationale, où il est devenu la justice exclusive car nul n'a envie de se retrouver devant la justice de l'autre pays, non par défiance, mais parce que les règles appliquées relèvent d'une autre culture. Le Parlement le sait bien qui, le 17 octobre dernier, a voté la loi permettant l'ouverture d'une annexe du musée du Louvre à Abou Dhabi : ce texte prévoit que tous les conflits seront tranchés par la voie de l'arbitrage. De même que les contractants français ne souhaiteraient pas, en cas de litige, se retrouver devant la justice de l'émirat, de même le contractant américain qui s'implante à Marne-la-Vallée ne souhaite pas se retrouver devant la justice française, si bien que la clause prévoyant le recours à l'arbitrage a été une condition sine qua non de l'implantation d'Eurodisney en France.
Ces deux exemples montrent que l'État peut conclure des conventions d'arbitrage et qu'il est même tenu de le faire lorsqu'il intervient comme opérateur du commerce international. Il n'existe pas d'interdiction de principe du recours à l'arbitrage pour l'État ou les collectivités publiques, mais la question de son recours à l'arbitrage en matière interne se pose peut-être différemment.
L'arbitrage n'est pas non plus une justice occulte ou sulfureuse. Le droit de l'arbitrage repose sur deux séries de normes : normes d'origine nationale et normes d'origine internationale. Pour les normes nationales, c'est le code civil qui autorise l'arbitrage et le code de procédure civile qui l'organise. Ces normes existaient déjà dans le code de procédure civile de 1807, ce qui dit assez la continuité de cette justice.
Pour les normes internationales, la France est liée par une série de conventions qui organisent la reconnaissance des sentences arbitrales dans le pays signataire, souvent encore plus facilement que les décisions de la justice étatique. La plus importante est la Convention de New York signée en 1958 et à laquelle 142 États sont parties.
L'arbitrage n'est donc pas une spécificité française, et c'est un des rares domaines du droit où le droit français rayonne dans le monde entier, au point d'être considéré comme une référence. Ce droit est copié partout, parfois recopié, ce qui fait rayonner la pensée juridique française. Paris est, incontestablement, la capitale mondiale de l'arbitrage, la ville où les plus grands cabinets anglo-saxons ont installé leurs départements spécialisés, celle où se résolvent les plus importants contentieux du commerce international, celle où se concentre le plus grand nombre de spécialistes. Les sentences arbitrales rendues à Paris s'appliquent dans le monde entier de la même manière. Cette prééminence suscite des convoitises, les places de Londres, Genève et Madrid essayant de capter une activité qui a de très importantes retombées économiques. À cet égard, le fait que la sentence rendue ait été immédiatement mise en ligne dessert la réputation de la place de Paris, principal centre d'arbitrage mondial.
L'arbitrage n'est pas davantage une justice illégitime, du moins dans les cas où il a vocation à s'appliquer, c'est-à-dire dans le contentieux des affaires, interne ou international, ou, plus exactement, depuis la réforme que vous avez votée en 2001, dans le contentieux professionnel, commercial et civil.
En conclusion, la justice d'arbitrage n'est ni exceptionnelle, ni occulte, ni dérogatoire, ni spécifiquement française, ni illégitime. Il reste à savoir si, en l'espèce, elle était légitime.
Au moment de commencer vos auditions, vous avez déclaré, Monsieur le Président, que vos travaux ont notamment pour objet de déterminer si le choix de l'arbitrage en l'espèce est, précisément « légitime » et « opportun ». À titre personnel, je répondrai par la négative. Il me semble en effet que le choix de l'arbitrage était, dans ce cas, non pas illégal mais inadapté, pour les raisons suivantes. En premier lieu, il intervient en cours de procédure, après une décision de la formation la plus solennelle de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire, si bien que l'arbitrage semble être une procédure « parachute » alors que c'est une procédure parallèle. Ensuite, le dossier concerne l'argent public ; or l'arbitrage est par nature confidentiel et il m'apparaît que confidentialité et argent public ne font pas bon ménage. Enfin, le dossier a une forte résonance politique, ce qui ne fait pas meilleur ménage avec l'obligation de confidentialité qui caractérise la pratique arbitrale.
L'inadaptation du choix opéré se traduit dans les spécificités de la procédure suivie, spécificités qui surprennent car elles s'écartent sensiblement des canons habituels. Ainsi, le compromis d'arbitrage encadre si singulièrement le pouvoir des arbitres qu'il l'enserre : non seulement les montants donnés forment une sorte de compromis conditionnel mais la capacité d'arbitrage est limitée par l'autorité de la chose jugée des décisions judiciaires préalables. En résumé, ce compromis, dont la rédaction étonne, ressemble beaucoup à une transaction dans laquelle les parties renoncent à des actions pour obtenir une contrepartie, au demeurant déjà plafonnée.
Ensuite, la sentence arbitrale épouse le compromis. En réalité, elle figure déjà dans le compromis ! Que reste-t-il alors du pouvoir des arbitres ?
La troisième singularité tient au quantum des honoraires. En général, il est fixé en tenant compte de plusieurs critères : le montant du litige, sa complexité, sa durée et la notoriété des arbitres. Dans le cas qui nous occupe, la difficulté tient à ce que le montant du litige n'était pas fixé au moment où l'arbitrage a été décidé : parlait-on de 135 millions ou de 400 millions ? Nul ne le sait. Il est donc compliqué de se faire une opinion sur le montant des honoraires versé aux arbitres, mais l'on peut dire en tout cas qu'il s'agit d'un montant très important, que l'on trouve plutôt dans les arbitrages internationaux qui supposent des déplacements, une longue durée et des volumes de mémoires à compulser. Le dossier évoqué en l'espèce a été tranché en moins de six mois, la procédure ayant commencé le 30 janvier et la sentence ayant été rendue le 7 juillet. Il ne m'appartient pas de dire que les honoraires versés étaient illégitimes ou exagérés, mais ils étaient en tout cas importants, et les déclarations faites à la presse par l'un des arbitres jugeant « normal » le montant des honoraires au regard du travail « effrayant » que le dossier avait demandé m'ont semblé indécentes. Je crois savoir que de nombreux magistrats les ont mal perçues.
Le montant des frais alloués aux arbitres – 100 000 euros en tout– est également inhabituel ; il suppose en général un litige international qui implique des déplacements.
Enfin, la confidentialité de l'arbitrage a été violée, la sentence prononcée étant publiée sur le site Internet d'un hebdomadaire. Ce n'est pas la pratique habituelle en matière d'arbitrage, tant s'en faut.
J'en viens aux possibilités de recours.
L'arbitrage fonctionne en principe sans recours, sauf si les parties ont décidé de faire appel, ce qui est assez rare, si bien que le fait que les parties n'aient pas fait appel en l'espèce n'est pas étonnant. Cependant, le code de procédure civile laisse la possibilité de faire des recours dans les cas les plus graves, si graves qu'il est interdit de renoncer à cette possibilité par anticipation. Cette sécurité est conçue pour protéger l'ordre juridique et les parties de dysfonctionnements éventuels, très rares mais toujours possibles. Le système des recours est organisé différemment selon qu'il s'agit d'un arbitrage interne ou d'un arbitrage international. Qu'en est-il en l'espèce ? Très probablement, on est devant un arbitrage interne, même si une partie du différend porte sur l'acquisition de parts sociales de sociétés immatriculées à l'étranger. La sentence s'étant elle-même rangée sous l'application des articles du code de procédure civile relatifs à l'arbitrage interne, on peut s'en tenir là. En tout état de cause, s'il s'était agi d'un arbitrage international, aucun recours ne serait plus possible à ce jour.
En présence d'un arbitrage interne, quatre recours existent. Je citerai en premier lieu l'appel, auquel les parties ont renoncé. Il y a aussi le recours en annulation ; les parties ne l'ayant pas exercé dans le délai imparti, elles y ont renoncé de fait. Je tiens à ce sujet à apporter une précision à propos du délai. Il faut savoir que le CDR avait jusqu'au 15 août pour prendre la décision qu'il a prise le 28 juillet, car le délai n'est pas de dix jours après la reddition de la sentence, comme on a pu le croire, mais d'un mois après la signification de la sentence qui a obtenu l'exequatur. J'observe à ce sujet que la sentence, rendue le 7 juillet, a obtenu l'exequatur le 12 juillet, ce qui constitue un délai record, considérant en outre que le 12 juillet était un samedi. Elle a été signifiée au CDR le 15 juillet, premier jour ouvrable après le 14 juillet. La raison pour laquelle, dans une affaire de cette importance, la décision a été prise dès le 28 juillet est pour moi mystérieuse. Il y a là une certaine précipitation.
Le ministère des finances avait sollicité l'avis de quatre juristes sur l'opportunité d'un recours. Outre qu'ils ont dû travailler dans l'urgence, aucun n'était un spécialiste de l'arbitrage, alors même que la place de Paris n'en manque pas. Pourquoi donc ? On peut se le demander. Malgré cela, deux des experts consultés, en particulier mon collègue Nicolas Molfessis, avaient estimé que le recours en annulation méritait d'être tenté, jugeant que certains moyens de droit permettaient de le fonder – et il est surprenant de ne pas tenter un recours en annulation quand on est condamné à verser une somme aussi élevée. La volonté d'en finir devait-elle s'imposer à n'importe quel prix ?
De fait, quatre moyens sont possibles, que j'examinerai successivement. Certains ont prétendu que le principe de la contradiction aurait été violé au motif que M. Tapie avait été entendu par les arbitres et non M. Peyrelevade. À mon avis, ce moyen doit être écarté car il ne s'agit pas d'un litige entre les deux hommes ; parce que M. Peyrelevade est un témoin et que le contradictoire ne s'applique pas pour les témoins ; parce qu'il suffisait au CDR de solliciter l'audition de M. Peyrelevade, ce qu'il n'a manifestement pas fait. Il ne peut donc arguer de sa propre impéritie pour fonder un recours.
S'agissant du défaut d'indépendance supposé de certains arbitres, M. de Courson a exposé que le Professeur Jean-Denis Bredin « n'était pas à l'abri d'une contestation de son indépendance ». Or, le Professeur Bredin est un spécialiste internationalement reconnu de l'arbitrage et la pratique qu'il en a le met à l'abri de tout soupçon. De plus, il n'a jamais caché ce qui pourrait lui être reproché, c'est-à-dire d'avoir eu des fonctions politiques dans le passé. L'absence d'indépendance postulant la dissimulation, j'écarte également ce moyen.
S'agissant de la violation de l'autorité de la chose jugée, M. de Courson considère qu'il s'agit du cas le plus sérieux. Je ne partage pas cet avis, mais j'admets que la question est, de toutes, la plus délicate. La jurisprudence de la cour d'appel de Paris qui a eu à statuer sur le grief de violation de sa mission par l'arbitre n'a annulé les sentences que pour des violations flagrantes et considérables et je ne pense pas que l'on entre dans ce cas. Par ailleurs, le recours en annulation ne permet pas d'évaluer le bien-jugé ou le mal-jugé d'une sentence arbitrale ; s'il en était ainsi, il s'agirait d'un appel, que les parties ont choisi de ne pas former. J'écarte donc ce moyen aussi.
Le quatrième moyen me semble plus intéressant. Il s'agit de la capacité de compromettre du CDR et, par là, de la validité de la convention d'arbitrage. La question est très délicate, et M. de Courson a dressé un inventaire minutieux de l'état du droit en la matière. Il faudrait mener une investigation sur la nature précise des relations entre l'EPFR et le CDR. En effet, le principe est que les collectivités publiques ne peuvent pas compromettre. Pour autant, il existe de nombreuses exceptions à ce principe : si l'on est en matière internationale, comme je l'ai dit ; si le compromis conclut un contrat de partenariat au sens de l'ordonnance du 17 juin 2004 ; si une loi le prévoit expressément ; si un décret le prévoit pour les EPIC, ce qui, depuis 1972, n'a eu lieu qu'une fois.
En février 2007, le Parlement a voté le principe d'une extension très large du recours à l'arbitrage pour toutes les personnes morales de droit public mais cette réforme, parce qu'elle figurait dans la loi sur la protection juridique des majeurs, a été invalidée par le Conseil constitutionnel le 1er mars 2007 comme étant un cavalier législatif ; il est piquant de se souvenir qui présidait le Conseil constitutionnel à l'époque… Il en résulte que le principe demeure la prohibition mais que ce principe supporte de nombreuses exceptions. Le cas d'espèce entre-t-il dans l'une de ces exceptions ? Avant de répondre, on doit se souvenir que la question avait déjà été posée sous le gouvernement Jospin, dans la même affaire, et que la réponse apportée par les spécialistes alors consultés fut négative.
La loi du 28 novembre 1995 créant l'EPFR énonce qu'il s'agit d'un « établissement public administratif national » doté de l'autonomie financière et placé sous la tutelle du ministre chargé de l'économie. Comme il s'agit d'un EPA et non d'un EPIC, le recours à l'arbitrage ne lui est possible que s'il est autorisé par la loi, et la loi de 1995 ne le prévoit pas. Le CDR, qui est une émanation de l'EPFR, a-t-il la capacité de compromettre alors qu'il tient son pouvoir et son existence d'un organisme qui n'a pas cette capacité ? Selon moi la réponse est négative, à la fois parce que le CDR n'a pas d'autonomie et parce qu'un principe général du droit veut que l'on ne puisse transmettre plus de droits qu'on n'en a soi-même. Je conclurai donc sur ce point que, sans doute, le CDR n'avait pas la capacité de compromettre, sous réserve d'une plus ample analyse de l'articulation juridique entre l'EPFR et le CDR. La question, complexe et inédite, méritait d'être posée à la juridiction de contrôle et un recours en annulation aurait pu, à mes yeux, prospérer sur le fondement de l'article 1484 du code de procédure civile.
La tierce opposition constitue une autre possibilité de recours contre une sentence arbitrale. Elle est évoquée dans l'article 1481 du code de procédure pénale. La procédure ne se distingue pas de la tierce opposition contre les décisions judiciaires : il faut que le tiers n'ait été ni partie ni représenté à l'instance arbitrale ; il doit être intéressé par la décision ; l'action peut être intentée pendant trente ans ; si la tierce opposition aboutit, la décision est déclarée inopposable au tiers.
En l'espèce, une association de contribuables pourrait-elle agir ? A priori, rien ne l'empêche, car une telle association serait sans doute considérée comme ayant intérêt à agir, mais à la condition que les contribuables n'aient pas été représentés à l'instance – en d'autres termes, que l'État n'ait pas été partie. La question se pose donc à nouveau de savoir qui est engagé par la convention d'arbitrage, du CDR, société commerciale, ou de l'EPFR, établissement public. En effet, soit le CDR a conclu, la convention d'arbitrage est valable et dans ce cas une tierce opposition est possible pour une association de contribuables ; soit c'est l'EPFR qui a conclu et dans ce cas la convention d'arbitrage n'était sans doute pas valable, ce que le recours en annulation aurait peut-être montré, mais alors la tierce opposition n'est plus possible puisque les contribuables ont été représentés à l'instance par le biais de l'EPFR. Pour contrer une tierce opposition, les parties seraient donc dans la situation paradoxale de devoir défendre l'idée que la convention d'arbitrage n'était pas valable ! On notera que, dans un article publié par Le Monde au mois d'août, le conseil de M. Tapie a déclaré qu'il s'agissait d'un litige commercial, ce qui laisserait ouverte la possibilité d'une tierce opposition.
La dernière modalité de recours possible est le recours en révision, exorbitant du droit commun et très exceptionnel. Il est prévu par l'article 1491 du code de procédure pénale, qui le rend possible si un fait nouveau montre que la sentence n'a pas été rendue dans les conditions où l'on croit qu'elle a été rendue. Quatre conditions sont nécessaires : qu'il n'y ait plus de recours ordinaire possible ; que le fait litigieux soit apparu postérieurement à la forclusion du délai de recours en annulation ; qu'il soit intenté uniquement par les parties à l'instance, pendant un délai de deux mois après la découverte du fait nouveau ; que le fait soit grave - fraude, dissimulation d'une pièce décisive, production d'une pièce fausse ou formulation d'une fausse déclaration. J'insiste sur cette possibilité de recours au cas où un fait nouveau apparaîtrait prochainement.
Si, en octobre 2007, vous aviez été membre du conseil d'administration du CDR ou de l'EPFR lorsque la question du recours à l'arbitrage a été débattue, quelle aurait été votre position ?
J'aurais, j'espère, eu le même avis que celui que j'ai exprimé aujourd'hui ! En tout cas, je n'aurais pas poussé au recours à l'arbitrage en l'absence d'une loi spécifique.
Vous nous avez expliqué que l'arbitrage n'est pas une justice exceptionnelle, dérogatoire, occulte, sulfureuse ou illégitime et vous nous avez dit aussi qu'en l'espèce le recours à l'arbitrage ne vous apparaissait pas illégal mais inadapté. Mais, évoquant ensuite les moyens de droit possibles pour fonder un recours en annulation, vous avez semblé dire qu'un de ces moyens serait de contester la légalité du recours à l'arbitrage. Voilà qui peut sembler contradictoire. Pourriez-vous préciser votre pensée ?
Ma question s'adresse plutôt à notre collègue Charles de Courson en sa qualité de représentant de notre Assemblée au conseil d'administration de l'EPFR. Le principe général est qu'une collectivité publique n'est pas autorisée à compromettre mais ce principe souffre de nombreuses exceptions, comme le montre par exemple le contrat passé entre l'État et Eurodisney. Cependant, le compte rendu du conseil d'administration de l'EPFR du 10 octobre 2007 ne montre pas que la question de principe ait été abordée. À votre sens, pourquoi ?
La question a été évoquée en 2004 lors du débat sur la médiation. De mémoire, j'avais alors soulevé la question, demandant si nous entrions bien dans ce champ. Il m'avait été répondu, si je me souviens bien, que les services du Trésor consultés avaient estimé que ce n'était pas exclu.
La contradiction apparente relevée par le Président Migaud dans le propos de M. Clay met en une nouvelle fois en lumière un problème juridique de fond, celui des relations entre le CDR et l'EPFR. En théorie, le CDR est une société anonyme, si ce n'est qu'il ne l'est pas vraiment puisque toute société anonyme a un but lucratif et que le CDR perd de l'argent. D'autre part, le CDR est chapeauté par l'EPFR. Vous avez dit, Monsieur Clay, que la décision de recourir à l'arbitrage présentait, dans ce cas, quelque fragilité, mentionnant en particulier le principe de confidentialité alors que des fonds publics sont en jeu. C'est si vrai que cela a motivé l'intérêt de notre commission.
Je regrette d'avoir donné l'impression d'une contradiction. La sentence arbitrale a été rendue, elle est donc entrée dans l'ordre juridique français et elle est donc légale. Cependant, l'analyse juridique de sa légalité dépend pour beaucoup, dans le cas qui nous occupe, de l'articulation ou, si vous préférez, du lien hybride, sui generis, qui unit le CDR et l'EPFR. C'est ce qui m'a conduit à dire que le recours à l'arbitrage était légal mais inadapté et que la contestation de sa légalité eût été possible.
Si, en juillet 2008, vous aviez siégé au conseil d'administration du CDR ou de l'EPFR quand est venue en délibération la question de savoir s'il fallait introduire un recours en annulation de la sentence arbitrale, quelle aurait été votre position ?
Franchement, quand on est condamné à verser 400 millions, je pense que l'on doit tenter un recours. C'est d'autant plus vrai qu'à mon sens, il y avait au moins un moyen sérieux, fondé sur l'article 1484 du code de procédure pénale, que le recours prospère.
Existe-t-il d'autres sentences arbitrales ayant fixé une indemnisation de 50 millions du préjudice moral alors même que la Cour d'appel l'avait fixé à 1 franc ?
Je comprends le besoin de confidentialité au cours de la procédure, mais que cette confidentialité aille jusqu'à couvrir la sentence et au-delà, voilà qui a de quoi surprendre. La confidentialité absolue est-elle une règle consubstantielle à l'arbitrage ?
Une confidentialité partielle ne peut se concevoir. Cela se peut d'autant moins que la sentence retrace l'ensemble de la procédure. En matière d'arbitrage, la confidentialité est absolue et cette règle a été réitérée par la jurisprudence. De fait, la confidentialité se poursuit au-delà du rendu de la sentence. J'observe que les parties qui choisissent cette forme de justice la choisissent aussi pour cette raison, qui permet d'améliorer les chances de résolution des conflits.
J'ai cru comprendre qu'il ne vous semblait pas y avoir de contradiction entre la convention d'arbitrage et la sentence, s'agissant du respect de l'autorité de la chose jugée. Pourriez-vous préciser votre pensée à ce sujet ?
Il est exact qu'il existe un décalage entre le compromis d'arbitrage et la sentence rendue. Toutefois, si ce point avait été évoqué comme moyen d'un recours en annulation, je pense que ce recours n'aurait pas prospéré car il s'agit là d'une question de fond et qu'il n'est pas dans les attributions de la Cour d'appel qui statue en annulation de se prononcer sur le fond.
Ce qui revient à dire qu'on laisse les arbitres interpréter des décisions de justice, y compris lorsqu'elles émanent de la Cour de cassation réunie en formation plénière !
La décision de recourir à un arbitrage fait suite à une délibération de non opposition du conseil d'administration de l'EPFR. L'eût-il refusé que le recours à l'arbitrage n'aurait pas été possible. Dans ce conseil d'administration, qui compte cinq personnes, siègent deux fonctionnaires représentant l'État qui ont confirmé avoir reçu des instructions du ministre, et un Président nommé en Conseil des ministres qui a dit clairement qu'il n'aurait jamais pris une position contraire à celle du ministre. Dans ces conditions, ne peut-on, pour obtenir l'annulation de la délibération du conseil d'administration de l'EPFR qui ne s'est pas opposé au recours à l'arbitrage, envisager un recours pour excès de pouvoir ?
La question relève du contentieux administratif qui n'est pas ma spécialité, mais je peux néanmoins vous donner mon sentiment. Pour qu'un tel recours puisse être exercé, trois conditions sont nécessaires, et en premier lieu que le délai pour agir – deux mois à dater de la notification de la décision – soit respecté. Ensuite, selon la nature de la décision – soit c'est une instruction ministérielle…
Il s'agit donc d'un acte administratif unilatéral, en principe attaquable devant le tribunal administratif. Si on parle de la délibération du conseil d'administration de l'EPFR, la réponse est la même et cela se plaide devant le Conseil d'État.
Y a-t-il eu des précédents ? À ma connaissance, non, mais il me semble qu'en 2002, un commissaire du Gouvernement a estimé que la décision d'une collectivité publique de recourir à l'arbitrage était attaquable.
Mais demeure la troisième condition, celle de l'intérêt à agir. En la matière, qui aurait intérêt à agir ? L'État ne peut le faire ; restent donc les 361 actionnaires minoritaires du groupe Bernard Tapie, à condition qu'ils puissent démontrer qu'ils ont été lésés, ce qui ne sera pas facile.
Un contribuable peut-il, à votre sens, déposer un recours en ce sens devant le tribunal administratif ou le Conseil d'État ?
Sauf erreur, l'action d'un contribuable ne serait pas recevable car pour agir il devrait démontrer un préjudice direct et certain.
Vous considérez que cette sentence arbitrale a terni la réputation de la place de Paris ; pourquoi ? Par ailleurs, la procédure d'arbitrage était-elle légale ex ante ? Enfin, pour qu'un recours puisse être formé, il faudrait donc qu'un contribuable estime ne pas avoir été défendu correctement, ce qui suppose que la convention soit illégale. Cette voie de recours est-elle la seule solution possible ?
La réputation de la place de Paris en matière d'arbitrage est excellente et elle doit le rester. Or une affaire comme celle-ci donne une vision faussée de l'arbitrage, la première entorse étant la violation de la confidentialité. Je l'ai dit, la concurrence s'avive. Londres et Madrid, notamment, s'intéressent à ce marché et ces deux capitales ont des atouts, linguistiques en particulier, à faire valoir. Nous devons maintenir notre réputation et ne donner prise à aucune attaque.
La question de la légalité ex ante du recours à l'arbitrage est délicate et c'est bien pourquoi un recours en annulation aurait été intéressant, car la Cour se serait prononcée sur le lien juridique unissant le CDR et l'EPFR. Enfin, la tierce opposition est ouverte mais le problème est de savoir quel serait son effet : si la sentence arbitrale était déclarée inopposable aux contribuables qui auraient fait recours, que se passerait-il ?
La loi, nous avez-vous dit, interdit de renoncer par anticipation à la possibilité de faire recours. Pourtant, l'article 8 du compromis arbitral dit que « les parties renoncent à former appel de cette sentence ». Qu'en penser ?
Les parties peuvent renoncer à former appel mais elles ne peuvent en aucun cas renoncer au recours en annulation. Dans le cas d'espèce, ce que les parties ont décidé, c'est de ne pas attaquer la sentence une fois celle-ci prononcée.
Est-il habituel que les sentences arbitrales ne justifient pas le calcul de l'indemnisation octroyée ?
Il est très difficile de connaître les sentences arbitrales car elles sont confidentielles. Celle-ci ne l'étant pas, il apparaît que la motivation du préjudice moral est particulièrement lapidaire puisqu'elle tient en deux pages dont l'une est consacrée à la recevabilité de l'action en la matière. Une page pour 45 millions d'euros : je reconnais que ce n'est pas ce que j'ai l'habitude de voir…
Vous avez évoqué une consultation sur l'arbitrage qui aurait été lancée au temps du gouvernement Jospin. Pouvez-vous nous dire plus précisément de quoi il s'agissait ?
La même question avait été posée : était-il possible de solder l'ensemble des affaires par l'intermédiaire d'un arbitrage ? Des contacts avaient été pris officieusement et les personnes consultées alors avaient répondu par la négative.
A-t-on procédé uniquement par contacts verbaux ou existe-t-il des documents écrits dont nous pourrions demander communication ? L'APE - Agence des participations de l'État- a-t-elle été saisie de ce dossier et s'est-elle prononcée en amont sur l'intérêt d'un arbitrage comme cela été le cas dans la procédure à laquelle nous nous intéressons aujourd'hui ?
Je n'ai pas été consulté à titre personnel et je n'ai donc pas d'élément particulier à vous apporter.
De façon générale, les établissements de défaisance ont-ils eu recours fréquemment à l'arbitrage ?
Je ne puis vous donner de réponse certaine puisque l'on est dans un domaine où il n'existe pas de statistiques et où l'on ne sait pas très bien quelles sont les parties qui recourent à l'arbitrage. Mais un des responsables du CDR a fait savoir la semaine dernière que lui-même y avait eu recours à plusieurs reprises.
En réponse à la question que nous lui avons posée, le président du CDR a évoqué six ou sept recours à l'arbitrage, mais il faut distinguer ceux qui interviennent dans un cadre international, pour lesquels les dispositions du code civil ne s'appliquent pas, de ceux qui interviennent dans un cadre national.
Je crois savoir que le président Didier Migaud s'est entretenu ce matin avec le président du CDR. Peut-être pourra-t-il nous dire s'il y a eu à chaque fois délibération et autorisation de non opposition. Pour ma part, je n'en ai pas retrouvé trace dans les procès-verbaux.
Compte tenu des déclarations qu'il avait faites la semaine dernière, j'ai effectivement demandé ce matin à M. Rocchi qu'il me confirme que des procédures de ce type avaient déjà été engagées par le CDR. Dans la note qu'il m'a remise, qui s'inscrit dans le cadre de la confidentialité et dont seul le rapporteur général et moi-même pouvons avoir connaissance, il indique que, en dehors de l'affaire Adidas, sept procédures arbitrales ont été ouvertes après la création du CDR.
Pouvez-vous nous indiquer si, pour chacune de ces sept procédures, il y a eu une délibération de l'EPFR sur la non-opposition au recours à l'arbitrage ?
Peut-être le membre de l'EPFR que vous êtes peut-il poser la question à son président… Mais on peut en effet se demander si, à chaque fois, l'EPFR a été consulté par le CDR quant à sa volonté d'empêcher un recours à l'arbitrage.
Le recours à l'arbitrage par les établissements de défaisance est un sujet intéressant au regard de la qualité de la gouvernance de ces établissements comme de la défense de l'intérêt des contribuables. Cela mérite donc que le président de la commission des Finances et le rapporteur général puissent, dans le respect des clauses de confidentialité, regarder comment cela a été mis en oeuvre dans le passé et avec quelle efficacité. Car au-delà des événements qui nous occupent, l'essentiel est que nous tirions des enseignements pour améliorer la gouvernance publique des établissements de défaisance.
Nous aurons des échanges avec le rapporteur général et nous tiendrons la commission informée de ce que nous aurons pu faire.
On connaît au moins deux des sept arbitrages auxquels le CDR a eu recours, pour Executive Life et pour un hôtel à New-York. Savez-vous si les cinq autres sont internationaux ou nationaux ?
Pouvez-vous vous nous indiquer, Monsieur le président, si les dossiers franco-français avaient, préalablement au recours à l'arbitrage, fait l'objet d'une procédure judiciaire « classique » ou bien l'affaire Adidas a-t-elle été la première à « bénéficier » d'un arbitrage alors que toutes les juridictions avaient été saisies ?
Je peux interroger le président de l'EPFR, qui est administrateur du CDR. En ce qui me concerne, je suis administrateur de l'EPFR depuis sept ans, soit plus de la moitié de sa durée d'existence, et, s'il y a eu de fréquents débats sur les trois arbitrages internationaux, je n'ai pas souvenir que nous ayons délibéré pour autoriser le CDR à avoir recours à l'arbitrage pour les quatre contentieux français.
Je n'ai pas entendu dire qu'il existe une chambre syndicale des arbitres, pourtant l'une des parties prenantes a dit hier que les honoraires des arbitres étaient tarifés. Est-ce exact ?
Il n'existe pas de chambre syndicale tout simplement parce que l'arbitrage n'est pas une profession mais une activité que l'on exerce de façon intermittente, en plus de son activité principale.
Bien souvent, notamment pour des arbitrages professionnels rendus dans des milieux très fermés et corporatistes. C'est tout un volant de l'activité d'arbitrage qui fonctionne tellement bien que l'on n'en entend jamais parler…
S'agissant des honoraires tarifés, dans le cadre d'un arbitrage dit « institutionnel », un centre d'arbitrage, tels la Chambre de commerce internationale ou le Centre de médiation et d'arbitrage de Paris, publie un barème d'honoraires qui dépend uniquement du montant du litige et qui prévoit des fourchettes assez larges en fonction de sa complexité. Sur le site internet de la Chambre de commerce internationale, un calculateur vous permet, à partir du montant du litige, de connaître le montant des honoraires et des frais. Dans ce cas, le barème est connu et accepté par anticipation par les parties, soit dans la convention inscrite dans le contrat initial, soit, beaucoup plus rarement, dans le compromis d'arbitrage passé postérieurement à la naissance du litige.
Il faut distinguer cet arbitrage de celui qui n'est pas chapeauté par un tel centre, que l'on appelle arbitrage ad hoc, pour lequel les honoraires ne sont absolument pas tarifés et dépendent uniquement d'un accord entre les arbitres et les parties au contentieux. Tel est le cas dans cette affaire.
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