Je suis heureux, avec mon co-président Olivier Carré, d'accueillir Mme Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, une fois n'est pas coutume, la MEC vous entend après avoir achevé ses travaux. Il s'agit aujourd'hui de vous remettre le rapport de la mission et d'engager la discussion sur ses conclusions. Vous connaissez les trois députés qui ont animé ses auditions et préparé son rapport : Jean-Pierre Gorges et Alain Claeys, rapporteurs spéciaux des crédits de la recherche au nom de la commission des Finances, et Pierre Lasbordes, rapporteur pour avis sur les mêmes crédits pour la commission des Affaires économiques.
La Cour des comptes, qui nous accompagne dans nos travaux et que je remercie une fois encore pour sa participation fidèle, est aujourd'hui représentée par Mme Valérie Charolles, responsable du secteur recherche à la troisième chambre.
Après avoir commencé les auditions au mois de février dernier, nos rapporteurs ont tenu à attendre le début juin pour les achever, de façon à disposer des informations les plus complètes possibles sur l'exécution de l'année 2009. Des questions relatives à la transparence des informations vous seront d'ailleurs posées.
Nos rapporteurs nous présentent aujourd'hui des conclusions que l'on peut qualifier de « robustes », du fait de leur démarche à la fois consensuelle et sans a priori. Ainsi, ils ont repris un certain nombre d'interrogations qui planent sur le crédit d'impôt recherche, concernant notamment son application dans le secteur bancaire. Après avoir clarifié les choses, ils ont conclu que ce secteur bénéficiait d'une dépense limitée et que la loi était respectée. Reste qu'ils ont relevé par ailleurs un certain nombre d'effets d'aubaine, qui n'ont pas manqué de susciter des commentaires et des propositions de leur part.
J'ajoute que les propositions de la MEC ont été notifiées au Premier ministre selon la procédure prévue par l'article 60 de la loi organique relative aux lois de finances, de sorte que, dans un délai de deux mois, le Gouvernement nous indiquera par écrit les suites qu'il envisage de leur apporter.
Mais je vous donne la parole, madame la ministre, pour que vous puissiez nous faire part de vos premières impressions sur ce rapport.
Les rapports sur le crédit d'impôt recherche ne manquent pas cette année… Cette attention se justifie pleinement par l'ampleur qu'a prise le dispositif et par la nécessité de redresser notre effort de recherche et développement.
Le Gouvernement ne peut que se féliciter que l'Assemblée nationale, après le Sénat, se soit saisie du sujet. Je remercie les rapporteurs pour la qualité du travail qu'ils ont fourni. Leurs propositions et les différents travaux menés ou en cours, dont ceux du Sénat, de l'Inspection des finances et de l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, l'IGAENR, alimenteront les échanges avec le Parlement à l'occasion de la prochaine loi de finances.
Le crédit d'impôt recherche est devenu, grâce à la réforme de 2008, la pièce centrale de notre dispositif de soutien à la recherche et développement, la R&D, privée. Je suis convaincue que sans cette réforme, la crise économique aurait eu des effets irréversibles sur nos capacités de R&D, et donc sur notre capacité à préparer l'après crise.
Nous avons limité les coupes claires qui étaient prévisibles dans les budgets de recherche des entreprises privées, ainsi que les délocalisations des centres de recherche vers des pays à plus bas coût. Or laisser partir de tels centres, c'est fragiliser nos centres de décision, nos usines donc, à terme, le maintien d'emplois qualifiés dans notre pays.
Nous avons attiré plus d'un tiers de nouvelles entreprises. Nous atteignons le nombre record de 12 949 nouveaux déclarants, répartis sur tout le territoire : des PME, qui vont mener des politiques de R&D plus ambitieuses, mais aussi des groupes étrangers qui installent chez nous de nouvelles équipes.
Une dynamique de relocalisation, une dynamique anti-délocalisation, une dynamique d'attractivité, une dynamique anti-crise : tels étaient les objectifs que nous poursuivions avec la réforme de 2008, vous vous en faites à juste titre l'écho.
Vous soulignez que la dépense de R&D du pays a progressé de 3 % entre 2007 et 2008, alors qu'on aurait pu s'attendre à ce qu'elle diminue. Vous citez des entreprises à qui la réforme du CIR a donné les moyens de préserver des emplois de chercheurs.
Vous soulignez également les progrès encourageants réalisés en matière d'attractivité, avec 41 implantations de centres de R&D en 2009, contre 25 en 2008, ce qui place la France en tête des pays européens créateurs d'emplois liés aux investissements internationaux dans la recherche.
Le CIR a changé le regard porté sur la France par des groupes et des gouvernements étrangers, notamment la Chine, les États-Unis et l'Allemagne. Un faisceau d'indices montre que la réforme de 2008 a eu un impact positif sur l'emploi dans la recherche et sur les collaborations public-privé. Cela ne fait que commencer et demande à être confirmé dans la durée. La simplification et le triplement du CIR ont eu des effets sur le comportement des entreprises.
Selon moi, il est important de ne pas remettre en cause l'architecture générale du dispositif. Vous l'indiquez dans votre rapport, les acteurs auditionnés sont unanimes : la réforme de 2008 est bien trop récente pour que des modifications substantielles puissent lui être apportées. Ils ont besoin d'être rassurés quant à la pérennité du dispositif, pour que nous en tirions les bénéfices dans la durée. Nous avons besoin de stabilité fiscale dans l'activité économique et, plus encore, dans l'activité de recherche. En effet, quand une entreprise décide d'un investissement de recherche, elle s'engage pour une dizaine d'années. Si nous modifiions, dans le PLF pour 2011, des dispositions votées deux ans auparavant, ce serait un terrible contre signal pour les PME comme pour les grands groupes, dans un contexte où les pays de l'OCDE et les pays émergents sont de plus en plus souvent mis en concurrence avec la France pour toute décision d'investissement. Nous reviendrons certainement sur cette question, en échangeant sur les propositions d'aménagement du dispositif, qui constituent le premier axe de vos recommandations.
Le deuxième axe de votre rapport vise à mieux sécuriser le CIR. Sur ce point, vos rapporteurs ont pu constater que les ministères travaillent en ce moment à clarifier les textes de référence pour tenir compte des difficultés constatées par certains déclarants.
Le troisième axe concerne le contrôle et l'évaluation. Il est essentiel. Nous devons être irréprochables en matière de contrôle, car c'est notre meilleure protection contre les abus. Il ne sert à rien d'édicter de nouvelles règles, si nous ne sommes pas en mesure de nous assurer de leur mise en oeuvre. Vos rapporteurs ont pu constater que mon ministère travaillait déjà sur ces questions, pour faire face à l'augmentation sans précédent du nombre de déclarants depuis la réforme.
Par ailleurs, la question de l'évaluation du CIR résume peut-être à elle seule vos préoccupations : sommes-nous certains que les 4,2 milliards d'euros de créances générées au titre de 2008 auront bien un impact sur l'effort de R&D, c'est-à-dire que ces montants seront réinvestis dans des budgets de R&D ? Aujourd'hui les analyses économétriques françaises et internationales convergent largement sur l'efficacité des crédits d'impôt en faveur de la recherche : un euro de CIR versé aux entreprises génère au moins un euro de recherche, avec un effet de levier supplémentaire à moyen terme. Mais la réforme de 2008, par son ampleur sans précédent, nécessite elle aussi un effort d'évaluation sans précédent. C'est pourquoi nous conduisons actuellement une nouvelle étude économétrique en même temps que la mission qui a été confiée à l'Inspection des finances et à l'IGAENR. Les conclusions vous seront transmises à l'automne, pour éclairer vos décisions dans le cadre de la loi de finances.
Vous l'avez rappelé, nous n'avons pas souhaité remettre en cause l'architecture de la réforme de 2008 : dans une période de crise, c'eût été fragiliser les entreprises. Mais nous nous sommes interrogés sur l'efficacité de la dépense, ainsi que sur le moyen de sécuriser et de contrôler le dispositif. Sur ces deux derniers points, nous partageons votre analyse.
Après vous avoir signalé qu'il nous a été difficile d'obtenir des chiffres opérationnels, j'en viens donc à l'essentiel : cette dépense est-elle efficace ? Nous pensons que oui. Nous considérons comme vous que le CIR a permis d'amortir la crise. Mais au-delà, dans une période où l'on évalue les politiques publiques, nous devons nous demander si le dispositif a eu des effets d'aubaine – nous le pensons – et s'il a permis une certaine optimisation fiscale – nous le croyons.
Concernant les effets d'aubaine, nous nous sommes attachés à un seul exemple : les frais de fonctionnement par rapport aux frais de personnel – le fameux ratio de 75 sur 100. Selon nous, ce taux est exagéré et profite à certains secteurs, notamment les secteurs de services, au détriment de ceux qui sont plus exposés à la concurrence internationale. Nous proposons donc de ramener ce taux de 75 à 33 % – on peut en discuter – et d'introduire un régime de déclaration de frais réels. Cette disposition nous semble réaliste ; elle permettrait à la fois de supprimer certains effets d'aubaine, sans remettre du tout en cause le dispositif, et de financer en partie l'effort d'avance de trésorerie pour les PME indépendantes voulu par le Président de la République.
L'optimisation fiscale est liée à l'utilisation, dans le cadre de la loi, du plafond de 100 millions d'euros au-delà duquel le taux du CIR est réduit à 5 % des dépenses de recherche. Le système actuel, qui permet de calculer le CIR par filiale, produit mécaniquement cette optimisation fiscale qui, à nos yeux, pose problème. C'est pourquoi nous proposons de calculer le CIR à partir de la maison mère.
Nos propositions ne remettent pas en cause l'esprit du CIR, elles visent seulement à prévenir les dérives. On s'est beaucoup intéressé au secteur bancaire. Pour notre part, en dehors de certaines considérations morales, nous n'avons rien à dire de particulier : le secteur bancaire n'a pas détourné la loi à son profit. Mais il est exact que la part de fonctionnement fixée à 75 % des frais de personnel a favorisé un certain nombre d'activités de services au détriment d'autres activités.
Je rappelle d'une part que le dispositif de 2008 n'était pas destiné à mieux passer la crise, qui lui a été postérieure ; d'autre part que, la période d'observation n'étant pas assez longue pour tirer de vraies conclusions, il convient de faire preuve de prudence.
Cela dit, le dispositif est-il efficace ? Certes. Mais si ceux qui sont un peu malins n'hésitent pas à faire de l'optimisation fiscale – certains, d'ailleurs, ne s'en sont pas cachés –, d'autres, qui pourraient être éligibles au CIR, sont trop timides pour en bénéficier. Voilà pourquoi j'insiste sur des propositions destinées à mieux préciser les conditions d'éligibilité des dépenses de R&D. Le manuel de Frascati de l'OCDE constitue la norme internationale mais, en fait, ceux qui sont chargés de contrôler l'utilisation du CIR s'appuient sur quatre documents différents qui peuvent se contredire. En lisant correctement ces documents, on peut déclarer beaucoup de choses qui ne sont pas forcément liées à la recherche. Les banques, notamment, ont très bien su les interpréter. D'après les chiffres, il y aurait aujourd'hui 5 000 chercheurs dans les banques françaises ! Cela fait beaucoup : on ne les a pas bien vus… Il faut réussir à mettre au point un seul document de référence, un manuel de Frascati à la française. Nous avons d'ailleurs entendu la proposition, que je trouve assez intéressante, d'établir, un peu comme au Canada, un catalogue qui donnerait des précisions par catégorie de métiers.
Quant aux mécanismes de contrôle, ils ont de quoi surprendre. Les services du fisc affirment qu'ils ne connaissent pas la matière « recherche », qu'ils ne savent pas dire si tel projet est éligible ou non et qu'ils ont donc besoin de se faire aider par des techniciens. D'où notre proposition visant à constituer un « couple » fisc-recherche et à favoriser l'utilisation du rescrit, laquelle est encore marginale.
Avec un document de référence, une équipe fisc-recherche et l'utilisation du rescrit, on devrait faire en sorte que chaque euro mis par l'État dans le CIR contribue davantage à la recherche. Je rappelle que l'objectif de la stratégie de Lisbonne est de porter les dépenses de R&D de 2 % à 3 % du PIB : consacrer, en vitesse de croisière, 4,2 milliards d'euros au CIR, c'est cher payer le dixième de point pour s'en rapprocher ! Au moment où l'on met en cause les niches fiscales, une telle dépense fiscale donne envie de mordre !
Non seulement les banques n'ont pas enfreint la loi, mais elles ne profitent que très peu du crédit d'impôt recherche, n'en utilisant que 2,3 %.
Il est important de le répéter, car la question a été évoquée dans ces murs, dans les journaux ou sur les blogs et continue à faire l'objet de nombreux commentaires, y compris de la part des chercheurs.
Vous proposez d'abaisser le forfait de droit commun applicable aux dépenses de fonctionnement de 75 % à 33 %, tout en instaurant un régime de frais réels optionnel au-delà de ce forfait. Votre préoccupation est légitime : vous souhaitez que l'État rembourse au plus juste les dépenses liées à la R&D, pour éviter les effets d'aubaine et le subventionnement d'autres activités. Malheureusement, selon l'évaluation de nos équipes, le ratio moyen dépenses de fonctionnementdépenses de personnel – en fait, la dépense de fonctionnement liée à l'activité des chercheurs – est proche de 70 %
Les ratios CNRS ne sont pas pertinents. Les chercheurs du CNRS reprochent justement qu'on ne prenne pas en compte les coûts d'environnement et qu'ils n'aient jamais à leur disposition la part de secrétariat ni la part d'ingénieur de recherche qui est liée à l'emploi du chercheur. Il y a d'ailleurs au CNRS un vrai problème de contrôle de gestion et de calcul du coût dont nous devons absolument nous saisir parce que cela nous a occasionné beaucoup de déboires avec la Commission européenne. Quoi qu'il en soit, nous avons évalué un ratio moyen proche de 70 %, bien supérieur aux 33 % que vous proposez.
Suivre la proposition du rapport conduirait les entreprises à déclarer au réel, dans la mesure où elles seront au-dessus des 33 % – et je pense qu'elles le seront car un chercheur a besoin d'un environnement de recherche. Cela est d'ailleurs conforme à l'évolution de notre stratégie de ressources humaines à l'université où nous souhaitons ne plus proposer des postes avec des salaires mais des postes environnés : en général, le poste environné double ou triple le salaire et on est donc bien au-delà des 70 % d'environnement, en tenant compte des locaux et de bien d'autres choses.
Amener les entreprises à déclarer au réel remettrait en cause toute la simplification du dispositif. Vous ne pouvez pas demander à la petite PME dont parlait M. Gorges, qui n'ose pas recourir au CIR, de déclarer au réel, avec un régime de frais de mission et de coût complet. Le CNRS n'y parvient pas lui-même avec la Commission européenne ! Prenez l'exemple du crédit d'impôt jeux vidéo, qui fonctionne avec un régime de frais réels : tout le monde critique la complexité du dispositif.
Mais comme je respecte les chiffres fournis par la MEC, je vais demander que mes services procèdent à une contre expertise, secteur par secteur.
C'est évident. La situation est différente dans l'industrie lourde et dans les services. Elle est différente aussi suivant les domaines de recherche. L'environnement d'un chercheur en sciences humaines et sociales ou en mathématiques a un coût inférieur de moitié à celui d'un physicien.
On peut proposer d'affiner l'expertise secteur par secteur. Mais nous vous supplions de rester au forfait.
Vous m'avez aussi interrogée sur le calcul du CIR au sein des groupes fiscalement intégrés, lorsque l'entreprise décide de loger le crédit d'impôt recherche dans sa filiale au lieu de l'intégrer au niveau de la holding. Cela concerne une vingtaine d'entreprises qui déclarent plus de 100 millions de R&D, mais j'observe que 29 % du CIR profitent aux holdings.
Ces entreprises le font évidemment dans une logique d'optimisation fiscale. Mais elles le font aussi parce que chaque dirigeant de filiale a besoin de promouvoir sa R&D et de pouvoir dire qu'il bénéficie d'un taux de défiscalisation de 30 %. Il n'augmenterait pas sa R&D si cela aboutissait à ce que le groupe dépasse le seuil de 100 millions. Il peut y avoir un vrai problème de rivalité entre les différentes filiales sur ces questions de R&D. On peut assister à certaines formes de malthusianisme ou d'optimisation fiscale : une filiale délocalise, d'autres restent et le groupe optimise l'ensemble des dispositifs.
Il convient donc de se montrer très attentifs. Les vingt premiers déclarants du CIR ont déclaré en 2008 près de 6 milliards de dépenses de R&D. Ces groupes internationaux, qui sont les locomotives de notre effort, auraient délocalisé leurs efforts de R&D sans la réforme du CIR ; ils nous avaient d'ailleurs prévenus d'une telle intention, au moment où nous avons engagé la réforme. Pour ces grands groupes, comme pour les très grands groupes étrangers qui peuvent s'établir en France, changer les règles du jeu cette année, si peu de temps après la réforme de 2008, constituerait un très mauvais signal. Ma collègue Christine Lagarde y est elle aussi totalement hostile. Cela risquerait de nous faire perdre la confiance des investisseurs privés. Voilà pourquoi je crois, en mon âme et conscience, que nous devons maintenir le dispositif en l'état pour les grands groupes, en attendant de pouvoir mieux analyser l'impact du plafonnement.
Si des entreprises détruisaient ou construisaient une filiale uniquement pour y loger le CIR, elles se rendraient coupables d'abus manifeste. Ce n'est pas le cas d'un grand groupe industriel, que je ne citerai pas, dont les trois activités (matériaux, moteurs et assemblage) existaient avant le crédit d'impôt recherche. Simplement, ces branches font de la recherche et ont toutes les trois bénéficié du CIR.
Oui, tant que vous ne me prouverez pas l'existence d'abus. L'Inspection générale des finances travaille sur le sujet mais, jusqu'à présent, je n'ai pas connaissance de vraie fraude à la loi ou de véritable abus de droit, c'est-à-dire de création de structures ad hoc pour faire de l'optimisation fiscale.
Comment se fait-il que le nombre de holdings éligibles au CIR ait augmenté de façon extrêmement forte à l'occasion de la réforme de 2008, passant de 971 en 2007 à 2 436 ?
Les holdings sont l'endroit où le bénéfice est consolidé. Quand ce sont des holdings qui sont éligibles au CIR, ce sont elles qui déclarent.
Cela n'explique pas que leur nombre soit passé de 971 à 2 436, alors que le nombre d'entreprises indépendantes était quasiment stable.
Ce sont des groupes industriels qui se mettent à faire de la R&D, ou plus exactement à la déclarer dans le cadre du CIR, depuis que son taux est passé de 10 % à 30 %. Je précise que les holdings peuvent être des groupes familiaux, et pas forcément des entreprises de grande taille.
Nous allons vous fournir la liste des holdings bénéficiaires.
Que vous puissiez contester nos propositions, je l'entends parfaitement. Mais je me demande pourquoi on n'a pas été capable, jusqu'à présent, de mener une expertise sur le sujet.
Les groupes dont vous parlez, c'est-à-dire ceux pour lesquels le plafonnement jouerait si on reconsolidait le crédit d'impôt recherche au niveau de la holding, sont au nombre de vingt, et pas de 1 000. Votre proposition concernerait ces vingt grands groupes, qui réalisent 6 milliards d'euros de dépenses de R&D.
Cela n'a rien à voir avec les 1 000 holdings supplémentaires. Et cela représente 6 milliards d'euros en faveur de la R&D !
En fonction de leur situation, notamment, du régime qui est le leur – bénéfice consolidé ou non – les holdings peuvent avoir en la matière un intérêt fiscal à raisonner en termes de filiales ou de groupe.
L'optimisation fiscale ne constitue en rien un délit ! Savoir si chaque euro gagné est bien utilisé et produit les bons effets est une autre question.
Certes mais, à vous entendre, l'optimisation fiscale semble relever de l'abus de droit.
Pas plus que mes deux autres collègues, je ne peux laisser passer cela car nous avons, me semble-t-il, suffisamment fait montre de rigueur intellectuelle dans notre rapport – y compris, d'ailleurs, en ce qui concerne le secteur bancaire à propos duquel des propos qui se sont révélés inexacts ont été tenus ici même. Si l'optimisation fiscale ne constitue pas en effet un délit, je note simplement que le CIR n'a pas été créé à cette fin mais pour aider la recherche privée à atteindre les objectifs de Lisbonne.
Je vous rappelle, Monsieur le rapporteur, que nous parlons de vingt grands groupes de dimension internationale. Certes, la modification des règles – trois ans seulement après leur mise en place… – rapporterait quelques centaines de millions à l'État mais, outre qu'il serait très facile à ces entreprises de délocaliser leur R&D, leur impact sur l'ensemble de la R&D publique et privée nationale est considérable et la plupart d'entre elles, en tant qu'acteurs majeurs des pôles de compétitivité, font également vivre de nombreuses PME. Si, en revanche, elles venaient à créer ex nihilo une filiale à seule fin d'utiliser le CIR comme outil de déduction fiscale, l'abus de droit serait caractérisé et, comme tel, condamnable. Il n'en va évidemment pas de même de l'optimisation fiscale consistant à raisonner en termes de filiales ou de groupe.
Le problème est de savoir si la création d'un plafond de 100 millions, en 2008, était opportune alors qu'il est toujours possible de multiplier les filiales de manière à accroître cette optimisation, si légale soit-elle.
On n'a pas assisté à un tel phénomène !
Nous tenons quant à nous à examiner simplement si ce dispositif n'a pas créé d'effets d'aubaine. Ce qui me gêne, ce n'est pas le montant des sommes engagées mais le fait qu'elles ne soient pas consacrées à la recherche !
Le développement de la recherche – dont j'ai tendance à penser qu'elle constitue la principale richesse de notre pays – est si essentiel que, selon moi, c'est non pas 3 mais 5 % du PIB qui devraient lui être consacrés. Non : le véritable problème est bien plutôt celui de l'éligibilité au CIR qui, en l'état, est très vaste. Le directeur financier d'un grand groupe européen m'a dit que nous étions « fous », nous, parlementaires car nous avons permis de tout mettre dans le CIR, sa société parvenant ainsi à ne plus payer d'impôts. Une entreprise comme EADS, dont nous avons entendu les représentants, pourrait quant à elle fort bien élargir encore son assiette compte tenu du nombre de ses activités : mieux, le plafond de 100 millions me semble en l'occurrence contre-productif. Conclusion : il convient de tendre à une meilleure utilisation des 4,2 milliards notamment en développant, en amont, l'usage du rescrit.
Par ailleurs, les 2,3 % de CIR dont bénéficie le secteur bancaire – ce qui, je le rappelle, impliquerait la présence de 5 000 chercheurs en son sein ! – ne correspondent pas à des actes effectifs de recherche : ainsi le développement de programmes informatiques relève des mathématiques appliquées. Il importe avant tout de vérifier que chaque euro soit réellement investi dans la recherche.
J'entends parfaitement votre critique mais, outre que le CIR est un dispositif récent, nous nous dotons peu à peu des outils nécessaires à son évaluation. Quoi qu'il en soit, je note que sa gestion est heureusement de moins en moins administrative et de plus en plus économique : votre discussion en atteste, chaque entreprise est différente et apprécie un tel dispositif en fonction de ses activités et de ses avantages fiscaux ou comptables qu'il n'est pas dans le rôle de mon ministère d'estimer.
Par ailleurs, les propositions que vous formulez afin d'améliorer la gestion du CIR me semblent très intéressantes – je songe, en particulier, à la création d'équipes communes de contrôle entre les services fiscaux et ceux du ministère de la recherche tant au niveau central que dans les principales régions.
Certes, mais les entreprises en font peu la demande alors qu'elles souhaitent pourtant être rassurées. À ce propos, je ne suis pas satisfaite de ce que ces dernières paient des consultants afin qu'ils se prononcent sur leur éligibilité alors que mon ministère est tout à fait à même de le faire.
Je m'interroge, néanmoins, sur l'appellation de ces équipes communes : doivent-elles être dites « de contrôle » ou, plutôt, « d'accompagnement et de conseil » afin d'éviter une trop grande méfiance ?
Par ailleurs, je suis, comme vous, inquiète de la définition des dépenses éligibles. S'il est toujours possible de publier une instruction fiscale plus stricte, tout le problème réside dans l'ambivalence des situations : si certaines dépenses sont incluses dans le CIR alors qu'elles n'en relèvent pas, d'autres pourraient aussi fort bien y être intégrées. Il importe donc de développer une expertise qui, en l'état, fait défaut.
Si, en s'interrogeant sur la cohérence du CIR, la MEC est évidemment dans son rôle, je ne voudrais pas que nous perdions de vue la nécessité absolue de soutenir la R&D française alors que la guerre économique fait rage.
Par ailleurs, avec 200 000 milliards de dollars d'actifs dans le monde, il ne me paraît pas scandaleux que les banques, qui ne bénéficient que de 2,3 % du CIR, s'interrogent sur les meilleurs produits financiers susceptibles d'attirer les capitaux dans notre pays de manière à les investir dans les secteurs à forte croissance.
Pour invalider un dispositif, rien n'est plus efficace que de déplacer les questions qu'il soulève sur un terrain supposément moral et de faire référence aux effets d'aubaine. Saisissons-nous donc, dans ce cas-là, de l'ensemble des niches fiscales et sociales ! Certes, l'effet d'aubaine peut bel et bien exister en l'occurrence mais, s'il est utile d'opérer des contrôles administratifs en raison de quelques excès, l'entrepreneur n'est-il pas le seul à pouvoir déterminer ce qui est utile au développement de son entreprise ? De grâce, veillons à ne pas condamner l'ensemble d'un système en raison de dysfonctionnements minimes dont je ne suis pas du tout certain qu'ils soient plus sensibles dans le secteur qui nous préoccupe ! En tant que président du groupe d'études sur les PME, je ne puis qu'être très sensible à ce problème récurrent.
Le carnet de commandes d'EADS étant quant à lui de 280 milliards de dollars et l'A350 ayant nécessité un investissement de recherche de plus de 10 milliards, que vaut le plafond de 100 millions d'euros lorsque, de surcroît, son concurrent Boeing reçoit du ministère de la défense américain des aides déguisées dix ou vingt fois supérieures ? Attention ! Madame la ministre a raison de rappeler que la concurrence est planétaire, en particulier pour les grands groupes.
J'ajoute que les entrepreneurs ont besoin de travailler dans un climat de confiance, lequel passe par la stabilité des mesures fiscales.
Enfin, je rappelle que le président de Thalès a décidé de renoncer à délocaliser ses bureaux d'études lorsqu'il a eu la confirmation que les mesures gouvernementales seraient bel et bien prises.
Les travaux de la MEC ont d'abord été motivés par la recherche d'économies afin d'optimiser la dépense publique et nos trois rapporteurs n'étaient quant à eux animés par aucun a priori. De surcroît, si des déclarations publiques ont en effet été faites en ce qui concerne le secteur bancaire – ceux qui les ont formulées ne doivent en rien être stigmatisés –, c'est précisément parce que nous ne disposons pas de données incontestables à ce sujet, ce qui justifie la proposition n° 9. J'ajoute que, lors de nos auditions, nombre des intervenants ont été incapables d'étayer leur argumentation par des chiffres et des faits précis.
Je rappelle, à propos de la détermination forfaitaire des dépenses de fonctionnement dans l'assiette du CIR que, selon M. Gintz, sous-directeur au ministère du Budget au cours de son audition, le taux en vigueur au CNRS s'élève à 15 %. Cela dit, j'entends parfaitement votre explication, Madame la ministre. Par ailleurs, selon certains chefs d'entreprises du secteur médical que nous avons également auditionnés, ce taux devrait se situer à environ 40 % ou 50 % et, quoi qu'il en soit, bien au-dessous des 75 % retenus. En la matière, l'amplitude de ces taux ne fait donc qu'accroître les interrogations et ne répond pas à votre souci d'une appréciation aussi exacte que possible des dépenses.
Enfin, dans le cas de la société Carmat, spin-off d'EADS travaillant à l'élaboration d'un coeur artificiel qui est aujourd'hui même introduite en bourse, le plafonnement de 100 millions est très problématique. Même s'il convient de limiter le phénomène d'optimisation, il ne faut pas oublier que le blocage de la création de filiales peut être parfois dommageable à l'innovation et à la recherche au sein des grands groupes.
Alors que l'on a besoin chaque année de trois millions d'ingénieurs dans le monde, demandons-nous si le CIR contribue à favoriser leur formation dans notre pays.
Je suis d'accord avec M. Fourgous : ce sont en effet les entreprises qui créent les richesses, mais il importe également de vérifier si la dépense fiscale du CIR permet d'atteindre nos objectifs. Or, malgré les 5,8 milliards prévus en 2010, notre part de PIB consacrée à la recherche n'en restera pas moins à 2 %. Si le CIR a évité que ce taux ne s'écroule en période de crise, une évaluation sera nécessaire dans les années à venir afin de démontrer que nous avons bien créé un cercle vertueux ; s'il s'agit seulement de donner de l'argent aux entreprises, que l'on diminue leurs impôts et nous obtiendrons le même résultat !
Le CIR vise d'abord à développer la recherche dans les entreprises, non à former des ingénieurs dont nous souhaitons d'ailleurs qu'ils s'orientent vers la préparation de thèses de doctorat. Je note à ce propos que, grâce à ce dispositif, les embauches de doctorants ont doublé – de même que les partenariats de recherche public-privé – alors que les emplois d'ingénieurs de recherche sont quant à eux particulièrement nombreux dans la R&D privée. Je me suis récemment employée, aux États-Unis et en Chine, à informer nos entreprises – qui l'ignoraient donc – que l'embauche de jeunes docteurs est défiscalisée à hauteur de 60 % de même, d'ailleurs, que les investissements en recherche partenariale. Lorsque des groupes pharmaceutiques déclarent vouloir augmenter celle-ci de 50 millions, il est évident que l'effet d'inertie que l'on a connu lors du lancement du CIR est en train de se dissiper !
L'entreprise Carmat, que je connais bien, a longtemps été considérée un peu comme la « danseuse » d'EADS. Installée dans mon ancienne circonscription, elle est dirigée par le professeur Carpentier, de l'Académie des sciences, et vient en effet d'être introduite en bourse. Précisément parce qu'il est évident que cette société mériterait de bénéficier de la défiscalisation du CIR au niveau le plus élevé, il convient de se méfier de règles administratives trop rigides qui seraient contre-productives.
S'agissant de la détermination forfaitaire des dépenses de fonctionnement, je suis prête à lancer une enquête auprès des entreprises qui comportent un secteur de R&D. Outre que, en la matière, une analyse sectorielle serait sans doute de bon aloi, il ne faut surtout pas prendre le risque, je le répète, de complexifier les pratiques. J'ajoute que nous allons créer des outils de suivi tant quantitatifs que qualitatifs, comme vous le proposez.
Je tiens également à souligner l'extrême pertinence de votre proposition visant à former, au sein des réseaux consulaires, un « correspondant fiscalité des PME » chargé d'informer les entreprises sur le CIR. En revanche, si je comprends votre proposition n° 4 visant à introduire une obligation légale de réemploi minimal des créances de CIR au profit des entreprises ou de leurs services ayant réalisé les opérations de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt, prenons garde à ne pas transformer le CIR en subvention par un fléchage des crédits – ce qui ne manquerait pas d'avoir des effets pervers comme une rigidification de la R&D au sein des entreprises. En la matière, la prudence s'impose.
Je gage que, d'ici deux ou trois ans, nous aurons en effet l'occasion de procéder à une nouvelle évaluation de ce dispositif.
Madame la ministre, Messieurs les rapporteurs, je vous remercie.