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Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Séance du 16 juin 2010 à 10h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mercredi 16 juin 2010

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend M. Jean Picq, président de la 3e chambre de la Cour des comptes, sur le rapport public thématique de la Cour « L'Éducation nationale face à l'objectif de la réussite de tous les élèves »

PermalienPhoto de Michèle Tabarot

Je suis heureuse d'accueillir aujourd'hui M. Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, à l'occasion de la publication par la Cour d'un rapport thématique portant sur l'Éducation nationale face à l'objectif de la réussite de tous les élèves. Je suis heureuse de saluer Mme Marie Ange Mattei, conseillère référendaire et M. Pascal Duchadeuil, conseiller maître, qui ont été respectivement rapporteur et contre-rapporteur de ce travail passionnant. Les questions qu'il pose nous préoccupent tous, au-delà de nos divergences politiques.

Je vais bien évidemment laisser au président Picq le soin de présenter les principales conclusions et recommandations du rapport de la Cour. J'indique simplement que nos travaux se rejoignent dans la mesure où nous avons-nous mêmes mené récemment une mission d'information pour évaluer la mise en oeuvre du socle commun de connaissances et de compétences au collège. M. Jacques Grosperrin en était le rapporteur et il pourra sans doute pointer les points de convergence. Et puis nous sommes en cours de réflexion sur les rythmes scolaires, parallèlement à la conférence nationale organisée par le ministre de l'éducation nationale. MM. Yves Durand et Xavier Breton sont les corapporteurs de cette mission.

Autant de sujets qui ramènent aux objectifs assignés à l'école par la Nation, dans un contexte de réorganisation du fonctionnement de notre service public de l'éducation qui prend sa part à l'effort général d'amélioration de la performance publique. À cet égard, monsieur le président, le rapport de la Cour nous inquiète quelque peu lorsqu'il indique que le ministère de l'Éducation nationale ne connaît pas le coût des politiques éducatives, en tout cas pas suffisamment pour procéder à une allocation optimale des moyens…

Nous éprouvons donc un grand intérêt à vous entendre sur ce sujet, ainsi que sur ceux des obligations de service des enseignants ou de l'effort exceptionnel que vous appelez de vos voeux en faveur des établissements confrontés à la plus grande difficulté scolaire.

Monsieur le président Picq, je vous laisse maintenant la parole, après quoi nos collègues interviendront pour vous poser les questions qu'ils souhaitent.

PermalienJean Picq, président de la 3e chambre de la cour des comptes

C'est un grand plaisir pour moi d'être devant vous. Comme vous le savez, le propre de notre maison est d'être collégiale ; je suis donc le porte-parole d'un travail collectif et, à ce titre, je suis heureux que vous ayez salué la présence de Mme Marie-Ange Mattei, qui a été le rapporteur et qui, avec une autre conseiller référendaire, a arpenté les académies et les établissements, et de M. Pascal Duchadeuil, président de la section compétente de la chambre et contre-rapporteur.

Nous avons mené cette enquête pendant 30 mois, en visitant 6 académies, une cinquantaine d'établissements scolaires et trois pays – l'Écosse, l'Espagne et la Suisse –, et de manière contradictoire avec le ministère de l'éducation nationale. Au terme de ce travail, en début d'année, nous avons pris conscience que nous traitions d'un sujet passionnel – il s'agit de l'avenir de nos enfants – et difficile. Ne pouvant, par conséquent, nous contenter des méthodes traditionnelles d'enquête, nous avons innové en auditionnant, en février et mars derniers, pendant une soixantaine d'heures, des experts et acteurs du système éducatif – syndicats, parents d'élèves, personnels de direction –, pour nous assurer que notre constat était partagé et que nos recommandations avaient du sens.

Nous ne voulions pas en effet faire du bruit, mais apporter de la lumière dans le débat sur l'école. Notre rapport a alors été rendu public et je me réjouis qu'il ait été, dans l'ensemble, bien accueilli.

Tout ceci a été rendu possible grâce au travail du législateur et en particulier à deux lois. La loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 a transformé la nature du contrôle, par la Cour, des politiques du ministère de l'éducation nationale, en développant une approche fondée sur des objectifs à atteindre, assortis d'indicateurs. La loi sur l'avenir de l'école de 2005 fixe, quant à elle, un objectif de réussite de chaque élève à la scolarité obligatoire.

Nous disposions, par conséquent, des instruments qui nous permettaient de juger si le système éducatif s'est mis « en ligne » pour atteindre les objectifs assignés par le Parlement, ce qui constitue un grand changement dans l'évaluation des politiques éducatives.

C'est donc en tirant parti de ce nouvel horizon que la Cour a décidé de s'intéresser à la performance de notre système éducatif en examinant les résultats de l'enseignement scolaire public sous tutelle du ministère de l'éducation nationale, ce qui représente environ 10 millions d'élèves, 750 000 enseignants et 53 milliards d'euros. Il s'agit de la plus importante politique publique du point de vue de la masse financière. C'est aussi l'un des enjeux les plus importants pour l'avenir de notre pays.

Ce document est rédigé sur un ton qui veut expliquer sans stigmatiser. Ses encadrés reflètent d'ailleurs les auditions menées en début d'année. Nous soulignons ainsi la massification réussie, nous relevons les difficultés d'exercice du métier et pointons les efforts faits par une majorité d'enseignants.

L'enquête nous a permis d'établir deux constats clairs et partagés par tous : notre école ne réduit pas, et même aggrave, les inégalités de départ entre enfants de catégories sociales différentes ; l'école n'atteint pas, dans son organisation actuelle, les objectifs que lui assigne la loi.

L'échec scolaire, c'est-à-dire, selon sa définition internationale, l'ensemble des jeunes qui sortent sans diplôme ou qualification de l'enseignement scolaire, représente environ 130 000 jeunes chaque année, soit 18 % d'une classe d'âge ou près d'un jeune sur cinq. Ces sorties sans qualification sont bien souvent synonymes d'exclusion sociale. Pour ceux qui ne sortent pas sans qualification, les résultats sont aussi préoccupants : les enquêtes nationales menées par le ministère et sa direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance et celles réalisées lors des journées d'appel de préparation à la défense révèlent qu'à la fin de la scolarité obligatoire la proportion d'élèves éprouvant des difficultés sérieuses en lecture est supérieure à 20 %.

Cette situation pointe la faiblesse la plus grave de notre système : nous ne savons pas traiter la difficulté scolaire. Les comparaisons internationales effectuées par les enquêtes PISA montrent que l'écart entre les élèves suivant une scolarité normale (60 % de la population scolaire) et les élèves en difficulté (40 % de la population scolaire) ne cesse de progresser en France depuis 10 ans.

Notre système sélectionne ; il ne sait pas porter le plus grand nombre à la réussite. Ainsi, notre élite est de grande qualité, mais insuffisante et il y a beaucoup trop de laissés pour compte. La théorie des climats ne saurait expliquer pourquoi la grande majorité des pays de l'OCDE fait mieux que la France pour lutter contre la difficulté scolaire. Si l'impact de la concentration des difficultés sociales, liée elle-même à une concentration urbaine, est indiscutable dans notre pays, rien n'explique que les Allemands aient rattrapé, puis dépassé les Français, alors qu'ils se heurtaient eux aussi à un problème d'intégration culturelle et sociale. Rien n'explique non plus que la Pologne, qui avait 50 points de retard par rapport à la France sur l'échelle de PISA, c'est-à-dire l'équivalent d'une année scolaire, nous ait également dépassés.

La France est aussi le pays de la prédestination sociale, où la réussite scolaire est la plus fortement corrélée aux origines sociales. Plus de trois quarts (78,4 %) des élèves provenant de catégories sociales favorisées obtiennent un baccalauréat général, contre seulement moins d'un cinquième (18 %) des élèves d'origine sociale défavorisée. Quant aux bacheliers qui entrent dans les classes préparatoires aux grandes écoles, 55 % ont un père cadre, chef d'entreprise, professeur ou membre d'une profession libérale. Cette proportion est trois fois et demie plus importante que leur part dans la cohorte des élèves de sixième, tandis que celle des enfants d'origine ouvrière est quatre fois moins importante.

Plus préoccupant encore sur le plan économique, le fait que le système scolaire français n'atteint pas l'objectif de 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur. Ce taux n'est que de 41 %, en comptant les bac + 2, dont seulement 27 % au niveau licence. Soit un jeune sur quatre à bac + 3 à l'heure où la mondialisation des économies exige d'accroître les capacités d'intelligence collective et plaide pour que nous visions un pourcentage élevé de masters professionnels ou de recherche à bac + 5…

Or, si nous n'avons qu'un jeune sur quatre au niveau licence et plus, c'est pour deux raisons : il n'y a pas assez d'« entrants » (seulement 78 % des bacheliers s'inscrivent dans le supérieur) et il y a trop d'échecs dans l'enseignement supérieur. Ce n'est d'ailleurs pas uniquement en augmentant le nombre de bacheliers professionnels et technologiques qu'on résoudra ce problème : la proportion de bacheliers généraux dans l'enseignement supérieur a baissé depuis 1995.

C'est donc une forte exigence que d'améliorer très sensiblement le vivier de bacheliers qui peuvent entrer dans le supérieur en réussissant leurs études. Pour parvenir à ce résultat, il faut empoigner à bras-le-corps la question de la difficulté scolaire. Une telle option ne signifie nullement de renoncer à former des élites et à offrir aux meilleurs des voies d'excellence ; une telle option signifie simplement que l'on fasse de la réussite du plus grand nombre un objectif partagé.

Lors de son enquête, la Cour a identifié plusieurs causes expliquant ces résultats médiocres, sans jamais de placer sur le terrain de la pédagogie, car elle n'a pas la légitimité pour le faire. Elle a cherché à dévoiler les causes qui relèvent de l'organisation même de l'éducation nationale, que ce soit la composition des classes, l'affectation des élèves ou le service des enseignants.

La première cause d'inefficacité est une mauvaise allocation des moyens disponibles.

Ce n'est pas le niveau global des moyens consacrés à l'enseignement scolaire, soit 3,9 % du PIB, qui est en cause, ce chiffre nous situant dans la moyenne de l'OCDE. Ce n'est donc pas une question de bon niveau, ce que je ne dirai pas pour l'enseignement supérieur, mais une question de bon emploi des fonds et plus encore d'arbitrage en fonction des besoins. Or, nous mettons en évidence que le ministère de l'éducation nationale est difficilement en état de procéder à de tels arbitrages. Il s'en est expliqué, mais sans parvenir à nous convaincre...

La Cour estime qu'il n'est pas raisonnable de ne pas s'engager urgemment dans la voie de la connaissance des coûts en euros. À l'heure actuelle, le ministère ne connaît en effet ni le coût des politiques éducatives ni le coût des établissements d'enseignement. Ainsi il ne possède qu'une estimation grossière de ce qu'il consacre à l'éducation prioritaire, qui concerne pourtant plus de 1,5 million d'élèves.

Par ailleurs, le ministère ne répartit pas ses moyens en fonction des objectifs qu'il affiche : ainsi, continue-t-il de se fonder sur le nombre d'élèves, quel que soit leur retard scolaire, pour calculer les dotations horaires des établissements, ce qui n'incite pas les établissements à faire baisser les taux de redoublement, un objectif pourtant assigné au système éducatif. De même, il ne différencie pas l'allocation des moyens selon les besoins des élèves, traitant de la même manière le lycéen d'Henri IV ou de Louis-le-Grand et celui d'un lycée en difficulté.

En outre, alors que c'est à l'école primaire qu'il faut identifier et traiter la difficulté scolaire, la Cour fait apparaître que celle-ci est proportionnellement moins financée que dans les pays comparables. En fait, le ministère pilote le système éducatif sans connaître ses coûts et sans tenir compte des besoins des élèves.

Observons à cet égard une situation bien connue : celle de l'offre d'options dans le second degré. Le fait de maintenir des enseignements rares dans certains établissements, le plus souvent de centre ville, a certes pour effet d'attirer les meilleurs élèves par la concurrence sur des enseignements recherchés mais aboutit – si on veut bien y réfléchir un instant – à diminuer, compte tenu des contraintes budgétaires, les moyens disponibles pour aider par exemple les élèves en difficulté. Cette « prolifération » d'options, jusqu'à 60 combinaisons possibles en terminale, est révélatrice d'un système d'abord soucieux, sous la pression de tous, de sélectionner.

En définitive, ce qui caractérise notre système éducatif, c'est qu'il repose sur une logique où les moyens restent majoritairement répartis comme si l'offre scolaire devait être uniforme sur tout le territoire. Cette logique inspire encore les réformes récentes, comme celle du lycée général, que nous n'avons pas ignoré dans notre rapport, mais dont nous observons qu'elle octroie le même nombre d'heures d'accompagnement aux lycées prestigieux et à ceux qui ont un taux de réussite au bac inférieur à 60 %… Le ministère a reconnu qu'il n'était pas capable de prévoir si ce dispositif serait d'une quelconque utilité ou bien s'il se transformerait en simple prolongement des enseignements disciplinaires ou en permanence où les élèves feraient leurs devoirs.

Ce système, qui ne concentre pas les efforts là où les besoins sont avérés et qui ne connaît pas le coût de ses dispositifs, ne permet pas un pilotage fin.

La deuxième cause d'inefficacité du système scolaire est l'organisation du service des enseignants, qui est inadaptée.

Dans le second degré, 48 % des enseignants débutent leur carrière sur des fonctions instables de remplacement et 18 % sur des postes d'éducation prioritaire figurant parmi les plus difficiles. Dans ces conditions, rien ne garantit que les élèves aient en face d'eux les enseignants qui sauront le mieux les aider à progresser. Dans le même temps, les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles sont les seuls à bénéficier systématiquement de professeurs choisis sur profil en fonction de leurs compétences.

En fait, la définition du service des professeurs du second degré n'a pas évolué depuis soixante ans, 1950, à une époque où moins de 10 % seulement d'une classe d'âge accédait au baccalauréat alors que le pourcentage de bacheliers est aujourd'hui dix fois supérieur. En dépit de la forte implication individuelle des enseignants, il y a, aujourd'hui, un écart entre les obligations de service et les missions que la loi fixe aux enseignants. Ces obligations ne peuvent plus se limiter à une simple transmission de savoirs disciplinaires devant un groupe d'élèves de niveau homogène, mais exigent une capacité d'enseignement devant des élèves extrêmement différenciés. Elles doivent donc être repensées.

La dernière cause d'inefficacité est l'organisation des parcours des élèves, qui ne prend qu'insuffisamment en compte leurs besoins.

C'est la quatrième partie du rapport et la plus novatrice.

Il y a d'abord la question essentielle du temps scolaire, des rythmes scolaires. Comme vous le savez, la France est le pays qui a à la fois l'année scolaire la plus courte (144 jours dans le primaire) et une des journées les plus longues. Le rythme journalier est encore alourdi pour les élèves en difficulté, qui bénéficient de deux heures d'aide personnalisée, alors qu'ils sont précisément les plus touchés dans leurs apprentissages par des journées surchargées. L'exemple du primaire est à cet égard tristement révélateur : huit heures par jour sur quatre jours pour des enfants très jeunes.

Il y a ensuite la question du suivi des élèves. Même si le rapport témoigne d'initiatives locales heureuses, nous sommes loin de ce qui se passe en Écosse ou en Suisse, avec des professeurs qui suivent sur plusieurs années une dizaine d'élèves dont ils sont les « tuteurs ». En France, les élèves sont peu et mal suivis dans la durée : leur parcours scolaire apparaît, non comme un processus construit, mais comme l'addition d'appréciations indépendantes les unes des autres et dépourvues d'une visée d'ensemble cohérente. La rupture primairecollège est à cet égard préoccupante quand on songe au suivi des élèves qui serait nécessaire pour l'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences.

En réalité, on ne connaît pas bien les élèves, ni leur parcours, ni leurs besoins, ni leurs atouts.

Il y a aussi la question essentielle de la composition des classes. Dans le second degré, contrairement aux directives du ministère, la moitié des classes sont officieusement des « classes de niveau ». On ne peut donc pas vraiment dire que le collège unique existe. La Cour note aussi que la France est un pays très singulier en termes de redoublement, puisqu'elle détient dans ce domaine le record de l'OCDE : à 14 ans, près de 250 000 élèves ont déjà redoublé au moins une fois et à 15 ans, 40 % d'une classe d'âge est en retard d'une année au moins. Le ministère reconnaît lui-même que le redoublement est inefficace alors qu'il coûte – selon ses estimations, si elles sont correctes, – 2 milliards d'euros, soit le double du coût de l'éducation prioritaire.

Il y a enfin la question, si importante pour l'avenir des élèves, de leur orientation. L'orientation se fait souvent par l'échec. Elle dépend beaucoup de l'offre scolaire existante, puisque les différences de parcours observées entre les académies sont très nettes : dans certaines académies, 1 élève sur 3 est orienté dans la voie professionnelle en fin de troisième, alors que dans d'autres, cette proportion n'est que de 1 sur 5. L'orientation est en fait en partie imposée, non par les capacités des élèves, mais par l'offre de formation existante. L'orientation reflète aussi une très forte inégalité sociale : un enfant d'ouvrier non qualifié a cinq fois moins de probabilités d'obtenir un baccalauréat général qu'un enfant de cadre, mais en revanche neuf fois plus de n'avoir aucun diplôme.

Enfin, le rapport traite longuement de la prise en compte des élèves en difficulté, la multiplicité des dispositifs et leur faible propagation : ainsi les programmes personnalisés de réussite éducative ne touchent que 8,5 % des collégiens alors que l'échec scolaire touche un enfant sur cinq ; ils ne profitent qu'à 11 % des élèves des collèges « réseaux ambition réussite » (RAR) alors qu'ils devraient concerner la majorité d'entre eux.

Devant ces constats, la Cour a fait treize recommandations qui visent à promouvoir une nouvelle organisation du système scolaire.

Le système scolaire a désormais l'obligation de réduire une véritable fracture scolaire. Il doit donc passer de sa logique très ancienne de gestion par une offre scolaire uniforme – qui est inefficace, qui l'épuise financièrement et qui est contraire à l'égalité des chances –, à une logique de gestion par la demande scolaire, c'est-à-dire fondée de façon prioritaire sur la prise en compte des besoins très divers des élèves.

La Cour recommande donc, en premier lieu, d'évaluer les besoins d'accompagnement personnalisé des élèves, qu'ils soient pris en charge dans le cadre de l'enseignement habituel ou par des aides supplémentaires personnalisées ou de soutien.

Ce critère doit désormais être pris en compte pour fixer les moyens affectés aux établissements ; il doit également permettre de les renforcer au niveau où commence à se constituer la difficulté scolaire, c'est-à-dire l'école primaire.

En outre, le système scolaire doit arbitrer entre les moyens disponibles, non seulement en renonçant aux pratiques dont l'inefficacité est avérée – telles que, par exemple, le redoublement –, mais également en procédant à une forte différenciation selon les établissements, tout en respectant la garantie fondamentale, donnée à tous les élèves, qu'ils atteindront le socle commun de connaissances et de compétences défini par la loi.

Par ailleurs, le système scolaire ne pourra progresser qu'avec les enseignants et les responsables d'établissement. C'est aux acteurs directs du système scolaire que la responsabilité doit être donnée de procéder aux arbitrages nécessaires, en fonction des besoins des élèves : la Cour recommande que la communauté éducative – c'est-à-dire les responsables d'établissement et les enseignants – soit désormais chargée, sous le contrôle des recteurs et des inspecteurs d'académie, de la répartition des dotations globales affectées à l'établissement.

La contrepartie nécessaire de l'autonomie des établissements et des équipes éducatives est l'exigence d'évaluation, la France étant un des rares pays où les établissements ne sont pas évalués.

Enfin, pour les établissements les plus confrontés à la difficulté et à l'échec scolaire, il est nécessaire de garantir, dans le cadre d'une programmation pluriannuelle, des moyens renforcés et de systématiser l'affectation des enseignants sur des postes à profil.

En conclusion, nous vivons sur une représentation ancienne du système éducatif, datant des années 1950. La France était alors rurale et son économie administrée et fermée, tandis que seule une petite partie de ses élèves accédait au baccalauréat. Cette école est celle qui accompagne notre imaginaire alors que la France est aujourd'hui fortement urbanisée, ouverte à la mondialisation et ambitionne d'amener 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, dans un espace européen où l'on compare les systèmes éducatifs. Il n'est donc plus possible de continuer ainsi : en mettant l'accent sur la difficulté scolaire, l'Éducation nationale doit, comme nous l'on dit certains de nos interlocuteurs, changer de logiciel. Le but ultime est d'accroître la cohésion de notre pays, en réduisant les inégalités, ainsi que ses performances économiques, en augmentant les connaissances et les capacités de sa population.

PermalienPhoto de Frédéric Reiss

Je me réjouis de cette audition, car l'occasion nous est trop peu donnée à l'Assemblée nationale de débattre des problèmes d'éducation. Je remercie le Président Picq pour la présentation de son rapport, dont je partage l'essentiel des conclusions.

Je suis actuellement chargé par le Premier ministre d'une mission sur la direction et la gouvernance des écoles du premier degré. Votre rapport de novembre 2008 soulignait déjà la non-application, faute de décret, d'un article de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui permettait de créer, à titre expérimental, des établissements publics d'enseignement primaire (EPEP). C'est pourquoi nous ne disposons malheureusement d'aucune expérimentation permettant d'évaluer l'opportunité d'approfondir cette piste. La mission que je conduis a pour objet d'analyser les moyens de faire évoluer le statut des directeurs et celui des écoles et d'envisager à l'avenir des écoles du socle commun, qui sont comme l'aboutissement de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école de 2005, dont je fus le rapporteur. Vous avez évoqué les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE) dont j'ai pu constater, sur le terrain, qu'on a du mal à les intégrer aux pratiques quotidiennes.

Quid de l'école maternelle ? Vingt ans après leur définition par la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989, dite « loi Jospin », on prend conscience de la pertinence des cycles qui sont pourtant très peu utilisés dans la pratique. Vous avez évoqué le redoublement dont vous avez mentionné à juste titre le coût colossal et l'efficacité très faible. Le cycle des apprentissages fondamentaux devrait permettre d'établir un lien entre l'école maternelle et l'école élémentaire mais force est de constater que cette approche en termes de cycles, qui a le mérite de prendre en considération les décalages d'apprentissage entre les enfants dus aux différences de maturité, a du mal à se traduire sur le terrain. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur ces sujets.

Je constate aussi sur le terrain une très forte résistance à la notion de hiérarchie. Il y a une perception erronée de la fonction de directeur d'école chez les parents d'élèves, les élus locaux et même les parlementaires qui ne se rendent pas compte que le directeur d'école, dont la mission est clairement définie par un décret de février 1989, a d'importantes responsabilités mais n'a pas le pouvoir de piloter son école comme il l'entend. Les enseignants n'acceptent pas que le directeur d'école devienne un supérieur hiérarchique aux responsabilités redéfinies par rapport à celles des inspecteurs d'académie et des inspecteurs de l'éducation nationale. Comment expliquez-vous cette situation ? Comment peut-on faire accepter à l'école primaire un supérieur hiérarchique qui soit à même d'imposer son autorité et d'assumer pleinement son rôle pédagogique de pilote du projet d'école ?

Dans votre rapport de 2010, vous relevez que « les moyens d'enseignement restent répartis comme si l'offre scolaire devait être uniforme sur tout le territoire ». Je pense en effet que la répartition de la dépense publique n'est pas adaptée aux situations locales et que l'effort n'est pas suffisant dans les zones en grande difficulté.

S'agissant du second degré, je constate que nous n'avons plus que des enseignants spécialistes. Il y a une vingtaine d'années, il y avait des professeurs d'enseignement général de collège (PEGC) qui étaient bivalents, ce qui facilitait l'établissement des emplois du temps par les chefs d'établissements. Aujourd'hui, il n'y a plus que des spécialistes qui occupent de plus en plus des « postes chaînés » consistant à enseigner sur plusieurs établissements. Ces enseignants ont par conséquent du mal à se sentir impliqués dans ces établissements, ce qui nuit à l'efficacité globale de l'enseignement.

PermalienPhoto de Yves Durand

Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport qui a le mérite de lever de fausses évidences et d'en rappeler de vraies. Parmi les fausses évidences, il y a l'idée selon laquelle l'éducation coûte trop cher. Chiffres à l'appui, la Cour démontre clairement que la France dépense beaucoup pour son éducation mais pas plus et parfois même moins que d'autres pays. S'agissant du collège unique, vous montrez bien qu'il n'existe pas, ce qui explique pourquoi il est si difficile de le supprimer…

S'agissant de l'idée selon laquelle le niveau baisse, vous montrez que c'est vrai pour certains, faux pour d'autres. Comme vous l'avez dit, l'école marche très bien et de mieux en mieux pour les meilleurs, de moins en moins bien pour les autres, ce qu'avait montré un rapport de M. Christian Forestier, président du Haut conseil de l'éducation (HCE). Parmi les vraies évidences que rappelle votre rapport, il y a la nécessité de mettre l'élève au centre du système éducatif, idée qui était au coeur de la loi de 1989.

Avez-vous estimé le coût des lois qui ne sont pas appliquées ? Je citerais deux exemples de mesures qui restent non appliquées : les cycles, prévus par la loi de 1989 et repris par la loi de 2005, et les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE). Comment ce justifie cette situation et quels en sont les coûts ?

Quelle est la place, notamment au niveau des cycles, de l'école maternelle et de ce que l'on appellerait un véritable service public de la petite enfance qui intégrerait la maternelle mais qui ne serait pas limité à la maternelle. Vous avez évoqué la rupture parfois difficile entre le CM2 et la sixième. La cassure entre l'école maternelle et l'école primaire peut parfois être aussi difficile.

Est-il possible d'établir le coût de l'échec scolaire, sachant qu'un jeune qui sort du système scolaire sans qualification va obligatoirement devenir ce que certains de nos collègues appelleraient « un assisté », qui coûtera très cher à la société ? À partir de là, ne peut-on pas envisager la dépense en matière d'éducation comme un investissement plutôt que comme un véritable coût ?

Vous avez dû effectuer des déplacements dans certains pays européens qui sont partis d'une situation comparable à celle de notre pays sur les plans sociologique et politique et avec une même conception de l'éducation sélective – et vous avez, à juste titre, souligné que nous avons réussi la massification mais pas encore la démocratisation. Comment ces pays, avec des syndicats, des associations de parents d'élèves et une opposition puissants sont-ils parvenus à faire évoluer un système éducatif que nous avons trop tendance à considérer comme immuable ?

S'agissant de l'autonomie des établissements, comment les trois niveaux que sont l'État, c'est-à-dire le cadre national garant de l'égalité des chances, les collectivités territoriales, qui financent en grande partie l'éducation, et les établissements peuvent-ils s'articuler de façon à permettre une autonomie pédagogique réelle des établissements garantissant que l'on « colle » au mieux aux besoins particuliers des élèves, tout en maintenant l'égalité des chances, garantie par le cadre national ? Comment les collectivités peuvent-elles contractualiser avec l'État ? Comment les cadres intermédiaires de l'éducation nationale, notamment les corps d'inspection, pourraient-ils changer de mission pour piloter cette articulation ?

PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

J'ai noté moi aussi que la part du PIB consacrée à l'éducation en France est dans la moyenne de l'OCDE, ce qui prouve ce que nous ne cessons de répéter, à savoir que nous ne dépensons pas trop pour l'éducation dans notre pays. Le constat est en revanche alarmant sur les inégalités et l'existence de zones de relégation dans notre pays.

S'agissant de la politique d'éducation prioritaire, je note qu'elle ne corrige pas du tout ou très peu les inégalités. Estimez-vous que les moyens qui lui sont alloués sont insuffisants ou mal employés ?

En ce qui concerne l'assouplissement de la carte scolaire, on peut constater qu'il a renforcé l'évitement scolaire dans les quartiers les plus en difficulté. Je pense à un établissement dans lequel le taux d'évitement scolaire atteint 50 %. Qu'en pensez-vous ?

S'agissant de la scolarisation en maternelle des plus petits (entre deux ans et demi et trois ans), les moyens alloués sont-ils suffisants ? Permettent-ils de corriger les inégalités pour les publics les plus en difficulté ? Dans les académies, on nous annonce la suppression de la priorité de scolarisation des enfants entre deux ans et demi et trois ans dans les quartiers prioritaires, qu'en pensez-vous ?

S'agissant de la valorisation salariale des enseignants en zone d'éducation prioritaire, elle est visiblement inefficace. Pensez-vous néanmoins qu'il s'agit d'une piste à renforcer ? Faut-il accentuer la différenciation des salaires pour les enseignants dans ces zones ?

En ce qui concerne le dispositif de réussite éducative mis en place dans le cadre de la politique de la ville, pensez-vous qu'il soit efficace en termes de correction des inégalités, ce qui n'est pas mon avis ?

Enfin, en quoi pensez-vous que l'autonomie des établissements serait susceptible de corriger les inégalités ?

PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Vous avez évoqué la difficulté du métier d'enseignant qui aggrave les difficultés du système. Je pense que l'organisation administrative, pyramidale, avec ses lourdeurs en ce qui concerne le recrutement, les mutations, y contribue aussi. Ne pourrait-on pas améliorer la situation par une régionalisation accrue, en donnant plus de pouvoir aux recteurs afin que les décisions soient prises au plus près des besoins des élèves ?

S'agissant des difficultés des élèves, n'y aurait-il pas un déterminisme social ? Ne peut-on pas considérer que tout est joué à trois ans ? Faut-il avoir un père ingénieur ou une mère professeure pour réussir son parcours dans le système scolaire ? L'augmentation du nombre de bacheliers est intéressante mais avec l'augmentation du nombre de bacs professionnels, on a dévoyé cette orientation en faisant croire à nos enfants qu'ils allaient pouvoir intégrer l'université alors qu'ils étaient dirigés directement vers un métier.

Le programme PISA (Programme for International Student Assessment) montre que nous consacrons autant d'argent que d'autres pays à l'éducation mais avec des résultats moindres. L'évolution depuis 2003 est négative. Vous pointez à juste titre la faiblesse des approches transdisciplinaires, étant par ailleurs précisé que nos collégiens ont plus d'heures que d'autres collégiens européens.

Enfin, votre rapport ne sera-t-il qu'un rapport de plus, après ceux de l'institut Montaigne, de notre commission ? Que faut-il faire pour être entendus et améliorer les résultats de nos collégiens ? Le diplôme national du brevet est-il vraiment nécessaire ? Que penser de la bivalence des enseignants ? Ne faudrait-il pas un tronc commun entre le primaire et le CP, avec un cycle obligatoire jusqu'en troisième ? Que faire contre l'absentéisme scolaire qui concerne 300 000 élèves ?

PermalienPhoto de Gilbert Mathon

Je souhaite revenir sur les faiblesses de l'orientation qui est responsable de nombreux échecs. Vous consacrez une partie de votre rapport aux « procédures d'orientation mal maîtrisées » : j'avoue ne pas avoir bien compris. Vous parlez de la généralisation depuis l'année dernière des entretiens d'orientation. Je ne pense pas que cela permette de résoudre le problème.

Il est fort dommage que vous ne soyez pas allés au Canada, pays qui met l'accent sur l'éducation à l'orientation, laquelle se fait tout au long de la scolarité et ne se limite pas à un entretien d'un quart d'heure. L'orientation se prépare en effet sur toute la scolarité avec toute l'équipe pédagogique, les enseignants, le professeur principal, le chef d'établissement mais aussi les conseillers d'orientation qui sont malheureusement en voie de disparition. Pour 350 conseillers qui partent en retraite chaque année, seuls 50 conseilleurs sont recrutés. Au mois de mai, on leur a assigné de nouvelles missions, notamment dans les missions locales et l'on tend à les remplacer par des centres d'appel. On a mis en place un service dénommé « Mon orientation en ligne », qui selon moi est un leurre puisqu'il donne l'impression qu'un seul coup de fil peut résoudre la question de l'orientation.

PermalienPhoto de Jean-Philippe Maurer

Je suis sceptique sur la capacité de notre système à évoluer. La problématique de l'échec scolaire m'intéresse particulièrement. Les trois collèges « ambition réussite » de mon département se trouvent ainsi dans ma circonscription mais ce sont les trois derniers en termes de résultats, ce qui conduit à se demander si ce qualificatif est bien adapté.

Les indicateurs académiques me laissent également perplexes. Un principal de collège a ainsi pu me présenter, comme indicateur de la qualité de l'ambiance dans l'établissement, le nombre de déclenchements d'alarme incendie, et se féliciter d'une baisse de 400 à 40 en deux ans…

En tant qu'élus, nous assistons à de nombreuses réunions sans que cela nous permette, au-delà d'un exercice de congratulation, d'obtenir des informations pertinentes sur la vie des établissements, par exemple sur les absences ou les exclusions.

Lorsque l'on évoque la question de l'évitement, il conviendrait sans doute de s'interroger sur ses causes : l'approche de l'Éducation nationale consiste à privilégier une explication par l'échec scolaire, mais l'attitude des parents s'explique par bien d'autres raisons. Même si un établissement semble bien géré, son environnement peut en détourner les familles. Il nous faudrait des indicateurs plus pertinents pour ces phénomènes.

S'agissant du soutien scolaire, on peut s'interroger sur le pilotage des différents dispositifs : les centres socio-culturels en dispensent, de même que des associations, alors que, dans ce dernier cas, la qualité du suivi n'est pas toujours exempte de reproche. L'ensemble de ces initiatives est subventionné par des fonds publics, en particulier dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale, mais pour remédier à cet empilement, il conviendrait peut-être de replacer l'établissement scolaire au centre du dispositif. Il est vrai que les directeurs d'école ne connaissent pas toujours le quartier où se situe l'école pour ne pas y habiter eux-mêmes ou pour n'y faire qu'un bref passage.

Par ailleurs, les établissements se plaignent du faible taux de retour des signalements qu'ils effectuent.

L'organisation des réseaux d'éducation prioritaires exclut pour sa part de nombreuses écoles élémentaires, qui ne sont pas géographiquement liées au collège tête de réseau, mais se situent tout de même dans des zones où se trouvent des maisons d'enfant à caractère social. Ces problèmes de zonage laissent les enseignants seuls face aux difficultés.

Je redoute également la tentation d'une course au savoir au détriment de la transmission du « savoir-être », ce qui est pourtant fondamental pour faire vivre une classe.

Je rappelle en outre que dans les écoles primaires, les enseignants ne sont inspectés que tous les cinq voire sept ans.

Les comparaisons internationales m'inspirent la plus grande méfiance. Vous n'avez pas cité la Finlande, je m'en félicite, mais la Pologne ou l'Ecosse. Il faudrait également se poser la question des parents d'élèves qui n'ont jamais été scolarisés dans leur pays d'origine, et avec lesquels l'école ne parvient pas à établir de lien. Souvent les parents des meilleurs élèves sont très impliqués dans la vie scolaire et ceux des élèves en difficultés se situent à la marge.

S'agissant de la lutte contre l'échec scolaire, l'innovation pédagogique est très importante, mais les remontées du terrain sont malheureusement trop faibles.

(M. Christian Kert, vice-président, remplace Mme Michèle Tabarot à la présidence de la séance.)

PermalienPhoto de Marie-Odile Bouillé

La démocratisation de l'école est en panne. Quelles sont les trois actions que vous identifiez comme prioritaires et qui devraient être immédiatement mises en oeuvre ?

PermalienPhoto de Muriel Marland-Militello

Je ne partage pas votre conclusion selon laquelle la question des moyens alloués à l'éducation est prioritaire. Même dans les établissements bénéficiant de moyens conséquents et de classes peu nombreuses, on peut constater de l'échec scolaire. À moyens égaux, ce sont les contenus qui sont essentiels.

Vous regrettez que de jeunes professeurs soient affectés dans des établissements situés en zone d'éducation prioritaire. Pourtant ne sont-ils pas mieux à même que des professeurs plus chevronnés, mais plus âgés, de comprendre les évolutions de la société ? Ils sont également moins « conditionnés » par les méthodes traditionnelles d'enseignement. La formation des enseignants doit être adaptée aux zones d'éducation prioritaire, mais l'affectation dans ces zones de jeunes professeurs me semble plutôt un atout.

Quels que soient les effectifs d'une classe, les contenus des enseignements sont essentiels. Chaque enfant dispose de ressources rationnelles et logiques, mais aussi de facultés d'imagination et d'une sensibilité. Ceux qui sont davantage pourvus d'imagination que de logique échouent dans les matières fondamentales. Dans mon rapport d'information sur la politique des pouvoirs publics dans le domaine de l'éducation et de la formation artistique, j'avais montré comment la pratique et l'éducation artistiques pouvaient contribuer à diminuer l'échec scolaire.

En ce qui concerne l'organisation scolaire, on pourrait envisager que les établissements demeurent ouverts en fin de semaine afin d'accueillir les familles pour des activités sportives ou culturelles. Il faut responsabiliser les parents, et la proposition de loi de notre collègue Eric Ciotti visant à lutter contre l'absentéisme y contribue, et il faut également que l'école s'ouvre et qu'elle parvienne à attirer les familles.

PermalienPhoto de Colette Langlade

Les réunions se suivent et ne se ressemblent pas, au sein de notre commission, et je me félicite qu'après une séance consacrée la semaine dernière à un texte répressif sur la suppression des allocations familiales, nous abordions cette semaine un débat qui met l'élève au coeur du système.

Le constat est sans appel : notre système, en dépit des moyens dont il bénéficie, donne des résultats médiocres. Ces résultats s'expliquent également par des choix d'organisation et par des décisions de gestion.

Un document confidentiel émanant des services du ministère de l'éducation nationale, et dont la presse s'est fait l'écho, exhorte les recteurs à trouver les moyens d'augmenter le nombre d'élèves par classe. Comment garantir dans ces conditions l'individualisation des parcours que le ministre appelle de ses voeux ?

Le rapport identifie trois défauts majeurs du système éducatif : les moyens alloués ne tiennent pas compte des causes de dysfonctionnement, le pilotage du système ignore les besoins réels et les difficultés ne sont pas correctement diagnostiquées dans le primaire, qui au demeurant est moins bien nanti financièrement.

Que pensez-vous du rôle de comptage des élèves dans les écoles rurales en début d'année dévolu aux préfets, sous-préfets et inspecteurs d'académie ?

PermalienPhoto de Marianne Dubois

Je visite très régulièrement des entreprises dans ma circonscription et m'entretiens fréquemment avec des chefs d'entreprise et des artisans. Tous me disent avoir les plus grandes difficultés à pourvoir des offres d'emplois de techniciens. Comment faire en sorte que les jeunes ne soient pas systématiquement orientés vers un baccalauréat mais vers une formation professionnelle ou un apprentissage ? Il faudrait réussir à donner une image plus positive de ces formations qualifiantes, trop souvent associées à l'échec scolaire.

PermalienPhoto de Michel Ménard

Lorsqu'un enseignant se trouve en difficulté, c'est moins par manque de connaissances que par manque de capacités pédagogiques. La formation des enseignants, dont la réforme entrera en application à la prochaine rentrée scolaire, est-elle adaptée ?

Quelles sont les conséquences de l'assouplissement de la carte scolaire ?

Dans les écoles rurales, comment concilier proximité et qualité de l'enseignement ? On constate souvent une instabilité des équipes pédagogiques et une concurrence, en particulier dans l'ouest de la France, entre écoles publiques et écoles privées.

PermalienPhoto de Françoise Imbert

Trop de jeunes sortent encore de notre système scolaire sans diplôme, un nombre croissant d'élèves ont des difficultés de lecture à l'entrée en sixième, l'écart se creuse entre les bons élèves et les élèves en difficultés, l'échec scolaire est un phénomène incontestable.

Pourtant en primaire, la diminution du nombre d'enseignants se poursuit et le nombre d'élèves par classe augmente. Il n'est plus rare de voir des classes de 28 à 34 élèves.

L'organisation de l'enseignement ne tient pas compte des besoins des élèves et l'abandon de la carte scolaire va à l'encontre de l'objectif d'une plus grande mixité sociale.

Vous soulignez une forte inégalité des chances à l'école et préconisez que la communauté éducative soit chargée de la répartition de l'ensemble des moyens affectés à l'établissement. Comment s'atteler à cette lourde tâche dans le contexte d'une diminution des moyens ?

Parmi les douze priorités que vous avez identifiées dans votre rapport, vous évoquez l'équipement numérique des écoles. Mais cela suppose de former les enseignants et les cadres, de créer de nouveaux supports interactifs, de se doter de manuels numériques. En milieu rural, les écoles sont loin d'être connectées, les enseignants sont peu ou pas formés, n'est-ce donc pas une révolution que vous préconisez, une révolution qui exige des moyens humains et matériels ?

PermalienPhoto de Sophie Delong

Vous avez rappelé que, selon certaines études, l'hétérogénéité des classes permettrait la réussite du plus grand nombre des élèves de ces classes et répondrait ainsi aux difficultés des élèves les plus faibles, tirés vers le haut par les meilleurs éléments. Mais, aujourd'hui, en raison de l'importance de l'écart entre les élèves les plus brillants et les élèves les plus en difficulté, je crois que c'est l'inverse qui se produit et que l'hétérogénéité est devenue si importante qu'elle ne permet plus de parvenir à des résultats positifs.

Par conséquent, certains conseils de classe ne savent proposer d'autres solutions à des élèves en moyenne difficulté que des redoublements et abandonnent les élèves les plus faibles en les laissant passer de classe en classe, sans en avoir le niveau parce qu'ils sont de toute façon perdus et qu'il n'existe plus d'espoir de les sauver. Dès lors, je souhaiterais savoir quel degré d'hétérogénéité est souhaitable et quel écart doit exister entre les élèves les plus brillants et les plus faibles ?

De fait, les études sur ce sujet n'ont jamais pris en compte l'importance de cet écart, n'ont jamais porté attention au fait qu'un élève ayant 2 de moyenne générale tout au long de l'année soit découragé par rapport à celui qui a 18 de moyenne. J'ai moi-même assisté à un nombre suffisant de conseils de classe de seconde générale pour constater combien il est douloureux d'entendre déclaré « perdu » un élève.

PermalienPhoto de Martine Martinel

Ce rapport très riche et très intéressant montre les différentes représentations que chacun peut avoir de l'école républicaine, de ses contenus et de ses fonctions. Je note que vous soulignez les inquiétudes des enseignants devant les projets de réforme de leur formation – de la masterisation notamment –, réduite à la portion congrue, et que vous recommandez d'élargir le champ des compétences des enseignants, de leur attribuer des fonctions larges et transversales. Comment concevez-vous cette transversalité, notamment dans le suivi personnalisé des élèves ? Par ailleurs, je souhaiterais savoir comment vous envisageriez, et dans quel but, l'évaluation des établissements que vous avez évoquée dans vos propos liminaires.

PermalienPhoto de Jeanny Marc

Je salue l'excellence d'un rapport très vrai, même si je regrette qu'en votre qualité de membre de la Cour des comptes, votre analyse n'ait pu être qu'économique et qu'elle n'ait pas évalué tous les autres aspects.

Je note d'ailleurs que vous regrettez, dans le rapport, la suppression du Haut conseil de l'évaluation de l'école ou la fréquente absence de publication des résultats de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, qui nous privent de cette évaluation qui nous aurait permis de mieux analyser les dispositions prises actuellement, telles que, la modification des temps scolaires ou celle des contenus des programmes, l'augmentation des taux d'encadrement dans les écoles primaires quel que soit le lieu d'implantation de l'école, l'apport des nouvelles technologies au contenu et à l'acquisition des connaissances, ou encore la réduction du temps de formation des enseignants.

Dès lors, je souhaiterais connaître quelles propositions concrètes vous envisageriez pour parfaire cet élément essentiel de notre système qu'est l'évaluation.

PermalienPhoto de Françoise Guégot

Je reviendrai sur deux points qui ont déjà été soulignés. Vous avez fondé votre rapport sur une prise en compte de la différenciation des élèves afin de remettre chacun d'entre eux au coeur du dispositif, ce qui me paraît essentiel et je pense que nous en serons tous d'accord. Mais je souhaiterais revenir sur la question de la responsabilité des établissements d'enseignement et sur votre recommandation de leur donner la possibilité de gérer au plus près et d'organiser les moyens qui leur sont attribués. Pour vous, quel serait le niveau souhaitable d'autonomie de ces établissements dans cette répartition des moyens et quels critères d'évaluation choisiriez-vous pour parvenir demain à une plus grande efficacité ?

Je pense en effet que l'enjeu est moins de procurer toujours davantage de moyens mais de rechercher comment les adapter à ceux qui en ont le plus besoin. C'est là une question essentielle, qui va de pair avec la différenciation et l'accompagnement de chaque élève en fonction de son profil et de ses besoins. Je note, enfin, que cette question de l'évaluation et de l'autonomie des établissements a été abordée par la réforme du lycée puisqu'une partie des dotations horaires attribuées aux établissements sera globalisée.

PermalienPhoto de Hervé Féron

Si certains de nos collègues pensent que la réussite scolaire n'est pas qu'une question de moyens, je dois souligner que ces derniers y participent très largement ainsi que le démontre le bilan inquiétant de ces trois dernières années qui ont vu la suppression de 40 000 postes d'enseignants, les remises en cause des RASED au détriment des élèves les plus en difficulté, du sport scolaire ou encore de la scolarisation des moins de trois ans.

À ceux qui se demandent pourquoi il faut plus d'enseignants aujourd'hui qu'hier, il convient de répondre que de nouveaux besoins naissent de l'entrée en troisième de la quasi-totalité des élèves – contrairement aux années quatre-vingt, où seuls 70 % d'entre eux y parvenaient –, mais aussi de la création de filières nouvelles dans les collèges, lycées et lycées professionnels pour répondre à la demande de formation.

Je partage avec vous le constat véritablement douloureux pour les élèves et les familles que, trop souvent, l'orientation est dans la suite logique d'un échec scolaire. Il nous faut également constater qu'en Europe, seuls deux pays ont des classes plus surchargées que la France au niveau du premier cycle et trois pays pour les collèges.

Enfin, au-delà de l'approche comptable, il est important d'avoir une approche territoriale, car chaque fois qu'une classe ou une école est fermée dans un quartier ou dans un village, ces derniers se meurent. J'ai également noté les chiffres impressionnants du rapport sur le nombre des jeunes professeurs dont les premières affectations se font dans des établissements ou des classes fragiles comprenant des jeunes en grande difficulté. Ne doit-on pas craindre une aggravation de ce phénomène en raison de l'abandon des instituts universitaires de formation des maîtres et d'une formation spécifique au métier d'enseignant, laquelle permettait aux futurs professeurs d'être théoriquement et pratiquement préparés à gérer des classes ?

PermalienPhoto de Jean-Luc Pérat

Ce rapport a l'avantage de mettre les choses à plat et d'avancer des pistes de réflexion pour l'avenir. Je souhaiterais en aborder quelques points avec vous.

Tout d'abord, sur la stratégie des projets d'établissements, je remarque que les établissements ont l'habitude de travailler de façon indépendante sur leurs objectifs et leurs orientations et qu'il manque une organisation territoriale ; à l'image des communes travaillant en intercommunalité, il conviendrait d'imaginer, par bassins de vie, des stratégies davantage mutualisées de l'école maternelle aux collèges et lycées, qui donneraient ainsi une orientation à la formation, en s'appuyant aussi sur la mission locale ou les structures de formation continue existant. Une telle évolution pourrait être stratégiquement intéressante puisqu'elle permettrait de mutualiser des moyens et de découvrir des pistes diverses pour mettre l'enfant au coeur du dispositif, comme vous l'avez souligné à plusieurs reprises.

J'en viens maintenant à la place des établissements scolaires dans la cité d'aujourd'hui, alors qu'il s'agit aujourd'hui de lieux réservés, c'est-à-dire des lieux qui ne sont pas intégrés dans la vie de la cité par la limitation de leurs heures d'ouverture, en dehors desquelles ils deviennent des zones interdites et inutilisées.

Quant au sujet de l'information et de l'orientation, nous devons nous interroger sur la qualité de la découverte des filières professionnelles et sur la place qui doit être réservée au professeur principal dans cette découverte. Je pense que celle-ci pourrait être améliorée, afin d'aider et d'accompagner les jeunes dans un certain nombre de choix : le professeur principal est un élément-clé, un point d'entrée important puisqu'il a un contact régulier avec les élèves avec lesquels il travaille. Il pourrait donc, après avoir éventuellement suivi une formation adaptée, aller dans cette filière et prendre en charge ou orienter au mieux de leurs intérêts les élèves parfois en difficulté.

Or, la formation des enseignants ne comporte que peu – ou pas – de contacts avec les élèves. Ayant moi-même été formé en éducation physique et sportive, j'ai été en contact avec des élèves dès ma deuxième année, je les ai pris en charge sous les regards de mes collègues ou des autres élèves ; aussi je pense que l'exemple de cette catégorie d'enseignants est intéressant, car nous étions les seuls à avoir eu une pratique du métier avant notre entrée dans la vie active alors que, généralement, les enseignants si brillants soient-ils sur le plan théorique, sont parfois démunis ou dépourvus face à des élèves et se retrouvent alors en situation délicate.

Par ailleurs, le domaine du travail en équipe me semble particulièrement délaissé alors qu'il permet une stratégie d'accompagnement des élèves, dans leur suivi et dans leur projet.

Enfin, je note que la place des parents dans le dispositif est peu abordée alors que l'enseignement doit se faire avec eux et en confiance. À l'école maternelle, par exemple, les parents ne peuvent manquer d'entrer à l'intérieur de ce lieu incontournable et c'est là qu'il faudrait apporter des améliorations pour les accompagner dans leurs fonctions et leur rôle de parents.

PermalienPhoto de Martine Faure

Je remercie M. le président Picq pour la qualité de son travail qui conforte un grand nombre de nos constats. J'insisterai ainsi sur la place, dans le système éducatif, de l'école maternelle à laquelle je crois beaucoup : cette dernière peut en effet avoir des apports importants en matière de prévention, de rencontres avec les familles et de regard sur le petit enfant. Ce dernier mérite beaucoup d'attention malgré toutes les réflexions que nous pouvons développer ensuite sur nos universités et l'excellence de nos élites.

Par ailleurs, notant qu'à sa page 6, le rapport indique que l'aide de l'État à l'enseignement privé en 2010 atteint un montant de 9 milliards d'euros, alors qu'il « convient de souligner la très grande faiblesse actuelle des données et des études conduites par le ministère de l'éducation nationale sur le secteur de l'enseignement privé », je souhaiterais comprendre pourquoi il y a moins d'informations sur l'enseignement privé que sur l'enseignement public ?

PermalienPhoto de Michel Françaix

Ce rapport très intéressant pose diverses vraies questions, même s'il n'apporte pas toutes les réponses. Constatant que si deux tiers des élèves réussissent, un tiers des autres ne parviennent pas au bout de leur cursus scolaire, le rapport démontre que le système est de plus en plus inégalitaire, un point sur lequel les parlementaires que nous sommes doivent avoir envie de se battre.

Je relèverai quatre points : le premier, déjà bien développé par notre collègue Yves Durand, est la présomption – qui mériterait d'être confirmée par la Cour des comptes – que le coût des mesures éducatives qui seraient nécessaires pour limiter cet échec serait inférieur à celui du coût actuel de l'échec scolaire, ce qui permet de répondre à ceux de nos collègues qui sont toujours inquiets de l'efficacité de la dépense publique. Sur le deuxième point, j'ai compris qu'il y avait un accord sur l'importance des projets des établissements et sur l'autonomie de ces derniers, mais je souhaiterais savoir quels sont les aspects que l'État doit continuer à maîtriser et quel est l'emboîtement entre les compétences de l'État, l'autonomie des établissements et, ce qui complique un peu les données du problème, l'autonomie des collectivités locales.

Je m'interroge également, comme l'ont précédemment fait mes collègues, sur le rôle des maternelles : ne sont-elles pas le lieu principal où se joue l'avenir d'un enfant et n'est-ce pas la faute la plus grave de ce gouvernement que de refuser la scolarisation des deux-trois ans ce qui soulève la problématique du service public de la petite enfance ?

Enfin, je souhaiterais savoir si le nombre des enfants par classe, qui ne constitue pas, soi-disant, un facteur déterminant, n'en reste pas moins un critère devant être pris en compte dans les établissements où doit être mise en place une personnalisation suffisante des parcours pour sauver des enfants en difficulté.

En conclusion, je souhaiterais savoir si vous partagez mon opinion : oui, le système éducatif ne doit pas être immuable, mais en l'occurrence, si le Gouvernement a dit vouloir tout changer, il a surtout réussi à ne rien changer.

PermalienPhoto de Dominique Le Mèner

Il existe un paradoxe, déjà souligné par mes collègues, du rapport de l'investissement et du coût de l'enseignement, qui est inversement proportionnel à l'importance des cycles. Comme l'ont rappelé certains des intervenants précédents, on sait aujourd'hui que c'est avant dix ans – et en tout état de cause dans ses jeunes années – que se joue la réussite d'un élève. Dès lors, il convient de s'interroger sur les raisons pour lesquelles les enseignants les moins qualifiés et les moins rémunérés sont en charge de cette formation. En raisonnant en termes de comptabilité publique et d'investissement, les moyens dégagés pour le premier cycle ne révèlent-ils pas toute la faiblesse du système ?

PermalienPhoto de Jean-Louis Touraine

Vous remerciant, monsieur le Président Picq, de la qualité de votre rapport, je souhaite vous poser juste une question : tout au long de ma carrière d'universitaire, ou dans d'autres secteurs comme à l'hôpital, j'ai pu constater que des rendements améliorés, des efficacités supérieures ou des gains de productivité – pour utiliser des termes que j'aurais plutôt tendance à critiquer – pouvaient être obtenus dans des contextes où les moyens matériels en personnels étaient assurés, voire augmentés. Mais je n'ai jamais vu, en quelques décennies, de progrès, dans des périodes où étaient organisées des réductions des effectifs. Dès lors, compte tenu du fait que vous indiquez que, dans le système éducatif, les coûts ne sont pas excessifs, est-il vraiment raisonnable de vouloir obtenir en même temps des progrès et des réductions d'effectifs ? Ne faudrait-il pas reporter à plus tard cette réduction, afin de demander et créer les conditions d'une amélioration des résultats et éviter ainsi de décourager les acteurs de ce secteur ?

PermalienPhoto de Christian Kert

Le nombre et la qualité de vos questions, mes chers collègues, démontrent aisément la nécessité de cette audition. Je souhaite toutefois vous rappeler que toutes vos questions relatives à l'action du Gouvernement ne sauraient trouver une réponse aujourd'hui, car il n'aura échappé à l'attention de personne que le président Picq ne siège pas au Gouvernement. Mais, je vous rassure, vous pourrez les reposer à M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale qui sera prochainement entendu par la Commission, conjointement avec la Commission des finances.

PermalienJean Picq, président de la 3e chambre de la cour des comptes

Il est toujours satisfaisant, pour la Cour des comptes, de constater que la représentation nationale se saisit de son travail et de ses rapports, comme le montrent l'intensité, la diversité et la qualité des questions posées. En effet, s'agit-il d'un rapport de plus, comme le remarquait M. Jacques Grosperrin ? Un rapport peut être un point d'aboutissement, destiné à un « classement vertical », ce que je ne souhaite pas, mais il peut être aussi un point de départ, que semble confirmer cette audition.

Il est important que les élus de la Nation s'emparent de la question en s'appuyant sur ce que le rapport met en évidence comme constat mais aussi comme pistes de réflexion. Ainsi que vient de le préciser le président Christian Kert, en tant que président de chambre à la Cour des Comptes, je ne peux répondre à beaucoup des questions posées, qui sont, me semble-t-il, du ressort du ministre de l'éducation nationale. La Cour pointe des enjeux, met en évidence des difficultés, mais n'est ni le Parlement, ni le Gouvernement à qui il revient de mettre ou non en oeuvre ses recommandations, suivant l'appréciation qu'ils ont de leur pertinence. Rappelons également qu'il s'agit d'un travail collégial, ce qui fait sa force, puisqu'il a été adopté en chambre du conseil et traduit ainsi la diversité des expériences et des opinions.

M. Frédéric Reiss et d'autres membres de la Commission ont insisté sur l'école maternelle. Un rapport sur ce sujet rédigé pour la commission des finances du Sénat et présenté en novembre 2008 devrait répondre à beaucoup des questions soulevées. Il en ressort notamment la méconnaissance de l'école maternelle, institution ancienne qui a beaucoup évolué. Les doctrines éducatives sur son rôle ont changé. École, elle comprend une dimension éducative, école maternelle, il s'y attache un aspect jardin d'enfants et garderie.

Le rapport montre qu'il reste beaucoup de domaines à explorer, comme la formation des enseignants, les inégalités territoriales inexplicables. Par exemple, l'extrême diversité des taux de scolarisation à deux ans par département n'est pas explicable. En particulier dans des zones prioritaires ou des zones de montagne, les taux restent très divers malgré les politiques qui leur sont spécifiquement destinées. Il reste des domaines d'ombre où il faut créer de l'ordre en y faisant la lumière ce qui, au demeurant, est la devise de la Cour des Comptes « Dat ordinem lucendo ».

S'agissant de la hiérarchie, il n'y a pas qu'à l'école que le mot fâche. Les chefs d'établissement eux-mêmes ne souhaitent pas que leur rôle d'animation soit présenté comme une fonction hiérarchique mais soulignent qu'ils constituent, avec les équipes pédagogiques, la communauté éducative. Il importe dans tous les cas d'insister sur la dimension collégiale plus que sur la dimension hiérarchique.

À la question du coût des lois non appliquées de M. Yves Durand, je pourrais répondre que le coût des lois appliquées n'est pas davantage connu. Mais plus sérieusement, le coût de la non application des cycles n'a pas été calculé. Sur les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE), il convient de rappeler que le mécanisme est récent comme le souligne dans sa réponse le ministère, et donc de « donner du temps au temps », pour reprendre une expression connue. Cependant, ils ne devraient pas coûter, puisqu'ils interviennent en principe dans le cadre de la classe ou en accompagnement, pour le premier degré par exemple, dans le cadre des obligations de service des enseignants avec les deux heures prévues à cet effet. Le travail mené sur l'articulation entre la politique de la ville et l'éducation nationale dans les quartiers sensibles monte que l'évolution du PPRE est conditionnée par son principe même qui repose sur le volontariat tant des élèves que de leurs parents et des enseignants.

Comme le remarque M. Durand, il serait sans doute préférable de considérer la réussite scolaire comme un investissement que l'échec scolaire comme un coût. Un travail nous avait permis de recenser une cinquantaine de dispositifs de lutte contre l'échec scolaire, mais on n'en connaît pas les coûts ce qui est regrettable en soi, mais aussi pour pouvoir, le cas échéant, renoncer à certains dispositifs ou en privilégier d'autres. Un tableau du rapport résume les dispositifs politique de la ville éducation nationale mais aucun d'entre eux n'est chiffré ni évalué. L'exemple présenté d'un collège de Chanteloup-les-Vignes montre comment les différents dispositifs se sont fait concurrence, ainsi ce qui devrait être fait dans le cadre du collège se fait dans le cadre de la politique de la ville de façon qui ne paraît pas parfaitement efficiente.

Comment font les pays qui pariassent plus performants pour faire évoluer leur système ? La réponse est difficile. Comme toujours, la comparaison inquiète mais mérite ensuite qu'on s'en saisisse. Il convient de prendre la mesure de ce que nous sommes. L'intérêt des enquêtes internationales est qu'elles nous permettent de nous situer toutes choses égales par ailleurs : nous ne sommes pas des Finlandais. Ces derniers, pourtant, comme les Polonais, les Espagnols, les Allemands ont fait des expériences et obtenu des résultats que nous pouvons observer.

Des éléments essentiels sont à prendre en compte, et d'abord le temps. On ne réforme pas un système scolaire en quelques années. Les syndicats d'enseignants ont ainsi souligné leur lassitude devant les réformes annoncées successives et le besoin d'un temps nécessaire de transformation et de réforme. Des questions aussi importantes que la différentiation des moyens ne peuvent se régler rapidement. L'Écosse a ainsi changé son système à partir des années 1960, et l'Espagne à partir des années 1990.

Il faut également instaurer les éléments nécessaires à l'évolution des mentalités. Ainsi, en matière de suivi des élèves, penser qu'il est aussi important de s'intéresser à ceux qui décrochent qu'à ceux qui progressent implique une telle évolution.

Il convient également d'évaluer les établissements, l'émulation supposant des bases objectives comparables. Les établissements ont à se situer les uns par rapport aux autres, ce qui est de plus en plus le cas, non seulement en matière d'organisation mais aussi en matière de réussite du plus grand nombre, de redoublement. Il existe ainsi des moyens pour voir si une communauté éducative s'est organisée au regard de l'objectif poursuivi.

Un autre levier touche à l'implication des enseignants au sens où leur service doit évoluer en suivant les missions que la loi leur donne. C'est ainsi qu'en Espagne, par exemple, un temps de présence dans l'établissement s'ajoute aux heures consacrées à la transmission des connaissances, ce qui permet aux enseignants d'être proches des élèves pour ce qui est de l'orientation, du suivi personnalisé ou du soutien.

La question plus générale et très difficile de passer d'une logique d'offre à une logique de réponse à la demande appelle des réponses politiques. Comment s'assurer qu'on ne creuse pas des inégalités tout en respectant l'autonomie des établissements, et en respectant des objectifs nationaux ? Comment gérer l'emboîtement national-local ? C'est le chantier le plus difficile, le plus important et le plus compliqué auquel est confronté le ministère de l'éducation nationale. Comment passer d'une logique distributive centrale à une logique où la distribution serait plus locale ? Il serait sans doute souhaitable de commencer par mener une expérimentation au niveau d'une académie pour tester l'emboîtement national-local et les dispositifs de garantie nécessaires. Il s'agit, au sens physique, d'une révolution, puisqu'on passe d'une logique descendante à une logique inspirée par l'estimation des besoins en bas. Elle exige doigté et rigueur dans sa mise en oeuvre politico-administrative. C'est le chantier de réflexion dont la Cour souhaite l'ouverture, dans la mesure où elle estime que ce changement de logique est en mesure de mieux traiter la difficulté scolaire.

Mme Marie-Hélène Amiable s'interrogeait sur l'éducation prioritaire, l'assouplissement de la carte scolaire et la valorisation salariale des enseignants. Si l'éducation prioritaire ne corrige pas suffisamment les inégalités, est-ce dû à la faiblesse des moyens ou à leur mauvaise utilisation ? Un changement important est intervenu lors du passage d'une logique territoriale à une logique de personnalisation. L'échec scolaire étant partout, l'étape a semblé importante. Il n'en demeure pas moins qu'il existe des zones dans lesquelles l'effort doit être très accentué et qui doivent bénéficier d'un traitement exceptionnel, c'est l'objet de la dernière recommandation du rapport. Les moyens exceptionnels comprennent le nombre d'enseignants, deux dans certaines classes aux États-unis ou au Mexique, mais aussi la taille ou la composition des classes. S'agissant de la valorisation salariale, des dispositions existent en matière d'avancement à l'ancienneté, des propositions ont été faites pour aller plus loin. En effet, le volet reconnaissance, et pas seulement sur le plan financier, est important. Il serait possible de concevoir d'autres avantages, touchant par exemple au logement. Plus largement, la question se pose de soutenir ceux qui acceptent de se dévouer pour le bien commun dans des zones très difficiles. Enfin l'équipe pédagogique doit disposer de temps et d'une visibilité pluriannuelle.

À juste titre, plusieurs députés, dont M. Jacques Grosperrin, m'interrogent sur les « échelons intermédiaires ». Nous avons été frappés par le fait qu'ils constituent un élément important de confiance. Certes, on sent parfois poindre une certaine lassitude, mais le monde éducatif fait surtout preuve d'une extraordinaire vitalité. Les inspecteurs, les recteurs, sont très soucieux de mieux répondre à la demande locale. Ils sont mobilisés. Il n'y avait donc pas de réserve de ma part sur ce point, bien au contraire.

Je dirais la même chose des directeurs d'établissement. Nous avons auditionné six principaux de collège, situés dans des zones difficiles. Ils assument tous leurs responsabilités avec conviction, estimant que leur mission est complexe, mais pas impossible. Notre rapport insiste donc sur ceux qui sont les principaux acteurs du changement.

S'agissant de l'assouplissement de la carte scolaire, suite à une demande du Sénat concernant l'articulation de la politique de la ville et de l'éducation, nous avons effectivement rendu un rapport dans lequel figurait une note en bas de page renvoyant à une réponse à une question parlementaire sur les effets d'évitement. De manière surprenante, alors qu'il ne s'agissait pas de nos conclusions, mais d'une étude diligentée par le ministère de l'éducation nationale dont les conclusions étaient publiques, ce point a fait un « scoop » dans tous les journaux, alors même que les chiffres n'étaient pas les nôtres ! Pour autant, le rapport atteste effectivement que la réforme de la carte scolaire a clairement eu cet effet.

J'ai été interpellé sur l'intitulé du chapitre du rapport concernant l'orientation. Nous estimons que la politique menée a été mal maîtrisée pour deux raisons : en premier lieu, les objectifs globaux fixés – 80 % de réussite au baccalauréat et 50 % d'élèves dans le supérieur – devraient conduire à ce que l'on se préoccupe d'augmenter le nombre de bacheliers qui poursuivent leurs études. Or ce n'est pas le cas. Il y a un véritable enjeu politique derrière ce deuxième objectif de 50 % d'élèves dans le supérieur.

En second lieu, on ne connaît pas bien le parcours professionnel des élèves. Les critères d'orientation reposent encore trop sur la subjectivité des enseignants et l'offre territoriale sert encore trop « d'aspirateur » pour certains élèves. Par ailleurs, le parcours de découverte des métiers au collège ne joue pas son rôle. C'est un point sur lequel il convient d'aller plus loin pour réduire les inégalités territoriales.

Y a-t-il un pilote dans l'avion, m'avez-vous demandé ? Je ne peux pas répondre à cette question.

Madame Muriel Marland-Militello, s'agissant de la différenciation des moyens, nous n'avons effectivement pas évalué l'éducation artistique et culturelle. C'est un manque. Les personnes que nous avons auditionnées au sujet du classement PISA l'ont d'ailleurs souligné : nous regardons beaucoup les tableaux de classement sans nous attarder sur les analyses connexes réalisées, qui sont pourtant pleines d'enseignements. Ainsi, en France, le sentiment d'appartenance des enseignants et des élèves à leur établissement est très faible, contrairement à d'autres pays. L'écart est réellement manifeste. Il conviendrait de s'interroger sur ce point.

S'agissant de la formation des enseignants, notre enquête est limitée sur ce point car la réforme est récente. Le travail va être entrepris. Effectivement, alors que l'exigence de préparer les enseignants à anticiper et à traiter les difficultés scolaires est très bien prise en compte dans d'autres pays – ainsi en Espagne s'agissant notamment de l'équivalent de nos « ZEP » –, ce n'est pas le cas chez nous.

La jeunesse n'est pas un défaut, elle peut même être un avantage pour traiter de ces situations complexes.

S'agissant de l'importance de la sécurité du trajet école-domicile, on est effectivement tenté de changer son enfant d'établissement lorsque cette sécurité n'est pas garantie. Il y a là une action interministérielle, et non pas uniquement éducative, à entreprendre.

Concernant les interrogations sur l'évolution des effectifs par classe, nous n'avons pas pris position. Les résultats des études ne vont pas tous dans le même sens sur ce sujet. Mais, si comme certains l'affirment, la difficulté scolaire naît dans le primaire, si « tout se joue en CP », alors, effectivement, il convient d'être attentif aux effectifs des classes de primaire. La différenciation des moyens doit donc se faire sur la base de différents paramètres : les enseignants, certes, mais aussi les moyens financiers.

S'agissant du rôle des parents, la Cour a été frappée de leur désir de s'impliquer dans le traitement de la difficulté scolaire. Les associations de parents d'élèves, très actives, ont fait clairement part de leur souhait que les parents ne restent pas à la lisière de l'école.

La question de Mme Martine Faure sur l'enseignement privé pointe effectivement une anomalie du système qu'il convient de corriger. Depuis la promulgation de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2001, les indicateurs de performances s'appliquent au privé comme au public. La Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (D.E.P.P) du ministère de l'éducation nationale fait des enquêtes, les inspecteurs inspectent et le ministère doit renseigner, sur la base de ces résultats, les indicateurs de performance, tant pour l'enseignement public que pour l'enseignement privé. Mais cela n'est pas le cas pour ce dernier. Il est très important de mettre fin à cette différence de traitement car seule une évaluation précise des uns et des autres permettra de trouver une explication à certains résultats, toutes choses étant égales par ailleurs, car l'on sait qu'il existe des différences notables entre public et privé. Lorsque l'on sait que 40 % d'une classe d'âge passe du privé au public, on comprend l'intérêt de l'évaluation.

Nous devons également prendre acte de ce que la France se situe dans la moyenne de l'OCDE s'agissant des moyens consacrés à l'éducation nationale. Il n'y a donc pas de raison particulière de voir ce budget progresser. Mais, à l'inverse, certains arbitrages doivent intervenir. Nous devons absolument passer d'une logique d'économies à une logique d'arbitrage pour obtenir de meilleurs résultats avec les moyens constants alloués à l'éducation.

PermalienPhoto de Christian Kert

Nous vous remercions pour la précision de vos réponses.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 juin 2010 à 10 heures

Présents. - Mme Marie-Hélène Amiable, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Éric Ciotti, Mme Pascale Crozon, M. Patrice Debray, M. Bernard Debré, Mme Sophie Delong, Mme Marianne Dubois, M. Yves Durand, M. Gilles d'Ettore, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Valérie Fourneyron, M. Michel Françaix, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Gérard Gaudron, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, M. Michel Herbillon, Mme Françoise Imbert, Mme Jacqueline Irles, M. Olivier Jardé, M. Régis Juanico, M. Christian Kert, M. Yvan Lachaud, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Colette Le Moal, M. Pierre Lequiller, Mme Jeanny Marc, Mme Muriel Marland-Militello, Mme Martine Martinel, M. Gilbert Mathon, M. Jean-Philippe Maurer, M. Michel Ménard, M. Frédéric Reiss, M. Jean Roatta, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. - Mme Sylvia Bassot, Mme Monique Boulestin, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Danielle Bousquet, Mme Marie-George Buffet, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. David Douillet, Mme Geneviève Levy, M. Michel Pajon, Mme Françoise de Panafieu, M. Franck Riester, M. Didier Robert, M. Marcel Rogemont

Assistaient également à la réunion. - Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Patrick Gille, M. Patrick Lebreton, M. Jean-Luc Pérat