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Intervention de Jean Picq

Réunion du 16 juin 2010 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean Picq, président de la 3e chambre de la cour des comptes :

Il est toujours satisfaisant, pour la Cour des comptes, de constater que la représentation nationale se saisit de son travail et de ses rapports, comme le montrent l'intensité, la diversité et la qualité des questions posées. En effet, s'agit-il d'un rapport de plus, comme le remarquait M. Jacques Grosperrin ? Un rapport peut être un point d'aboutissement, destiné à un « classement vertical », ce que je ne souhaite pas, mais il peut être aussi un point de départ, que semble confirmer cette audition.

Il est important que les élus de la Nation s'emparent de la question en s'appuyant sur ce que le rapport met en évidence comme constat mais aussi comme pistes de réflexion. Ainsi que vient de le préciser le président Christian Kert, en tant que président de chambre à la Cour des Comptes, je ne peux répondre à beaucoup des questions posées, qui sont, me semble-t-il, du ressort du ministre de l'éducation nationale. La Cour pointe des enjeux, met en évidence des difficultés, mais n'est ni le Parlement, ni le Gouvernement à qui il revient de mettre ou non en oeuvre ses recommandations, suivant l'appréciation qu'ils ont de leur pertinence. Rappelons également qu'il s'agit d'un travail collégial, ce qui fait sa force, puisqu'il a été adopté en chambre du conseil et traduit ainsi la diversité des expériences et des opinions.

M. Frédéric Reiss et d'autres membres de la Commission ont insisté sur l'école maternelle. Un rapport sur ce sujet rédigé pour la commission des finances du Sénat et présenté en novembre 2008 devrait répondre à beaucoup des questions soulevées. Il en ressort notamment la méconnaissance de l'école maternelle, institution ancienne qui a beaucoup évolué. Les doctrines éducatives sur son rôle ont changé. École, elle comprend une dimension éducative, école maternelle, il s'y attache un aspect jardin d'enfants et garderie.

Le rapport montre qu'il reste beaucoup de domaines à explorer, comme la formation des enseignants, les inégalités territoriales inexplicables. Par exemple, l'extrême diversité des taux de scolarisation à deux ans par département n'est pas explicable. En particulier dans des zones prioritaires ou des zones de montagne, les taux restent très divers malgré les politiques qui leur sont spécifiquement destinées. Il reste des domaines d'ombre où il faut créer de l'ordre en y faisant la lumière ce qui, au demeurant, est la devise de la Cour des Comptes « Dat ordinem lucendo ».

S'agissant de la hiérarchie, il n'y a pas qu'à l'école que le mot fâche. Les chefs d'établissement eux-mêmes ne souhaitent pas que leur rôle d'animation soit présenté comme une fonction hiérarchique mais soulignent qu'ils constituent, avec les équipes pédagogiques, la communauté éducative. Il importe dans tous les cas d'insister sur la dimension collégiale plus que sur la dimension hiérarchique.

À la question du coût des lois non appliquées de M. Yves Durand, je pourrais répondre que le coût des lois appliquées n'est pas davantage connu. Mais plus sérieusement, le coût de la non application des cycles n'a pas été calculé. Sur les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE), il convient de rappeler que le mécanisme est récent comme le souligne dans sa réponse le ministère, et donc de « donner du temps au temps », pour reprendre une expression connue. Cependant, ils ne devraient pas coûter, puisqu'ils interviennent en principe dans le cadre de la classe ou en accompagnement, pour le premier degré par exemple, dans le cadre des obligations de service des enseignants avec les deux heures prévues à cet effet. Le travail mené sur l'articulation entre la politique de la ville et l'éducation nationale dans les quartiers sensibles monte que l'évolution du PPRE est conditionnée par son principe même qui repose sur le volontariat tant des élèves que de leurs parents et des enseignants.

Comme le remarque M. Durand, il serait sans doute préférable de considérer la réussite scolaire comme un investissement que l'échec scolaire comme un coût. Un travail nous avait permis de recenser une cinquantaine de dispositifs de lutte contre l'échec scolaire, mais on n'en connaît pas les coûts ce qui est regrettable en soi, mais aussi pour pouvoir, le cas échéant, renoncer à certains dispositifs ou en privilégier d'autres. Un tableau du rapport résume les dispositifs politique de la ville éducation nationale mais aucun d'entre eux n'est chiffré ni évalué. L'exemple présenté d'un collège de Chanteloup-les-Vignes montre comment les différents dispositifs se sont fait concurrence, ainsi ce qui devrait être fait dans le cadre du collège se fait dans le cadre de la politique de la ville de façon qui ne paraît pas parfaitement efficiente.

Comment font les pays qui pariassent plus performants pour faire évoluer leur système ? La réponse est difficile. Comme toujours, la comparaison inquiète mais mérite ensuite qu'on s'en saisisse. Il convient de prendre la mesure de ce que nous sommes. L'intérêt des enquêtes internationales est qu'elles nous permettent de nous situer toutes choses égales par ailleurs : nous ne sommes pas des Finlandais. Ces derniers, pourtant, comme les Polonais, les Espagnols, les Allemands ont fait des expériences et obtenu des résultats que nous pouvons observer.

Des éléments essentiels sont à prendre en compte, et d'abord le temps. On ne réforme pas un système scolaire en quelques années. Les syndicats d'enseignants ont ainsi souligné leur lassitude devant les réformes annoncées successives et le besoin d'un temps nécessaire de transformation et de réforme. Des questions aussi importantes que la différentiation des moyens ne peuvent se régler rapidement. L'Écosse a ainsi changé son système à partir des années 1960, et l'Espagne à partir des années 1990.

Il faut également instaurer les éléments nécessaires à l'évolution des mentalités. Ainsi, en matière de suivi des élèves, penser qu'il est aussi important de s'intéresser à ceux qui décrochent qu'à ceux qui progressent implique une telle évolution.

Il convient également d'évaluer les établissements, l'émulation supposant des bases objectives comparables. Les établissements ont à se situer les uns par rapport aux autres, ce qui est de plus en plus le cas, non seulement en matière d'organisation mais aussi en matière de réussite du plus grand nombre, de redoublement. Il existe ainsi des moyens pour voir si une communauté éducative s'est organisée au regard de l'objectif poursuivi.

Un autre levier touche à l'implication des enseignants au sens où leur service doit évoluer en suivant les missions que la loi leur donne. C'est ainsi qu'en Espagne, par exemple, un temps de présence dans l'établissement s'ajoute aux heures consacrées à la transmission des connaissances, ce qui permet aux enseignants d'être proches des élèves pour ce qui est de l'orientation, du suivi personnalisé ou du soutien.

La question plus générale et très difficile de passer d'une logique d'offre à une logique de réponse à la demande appelle des réponses politiques. Comment s'assurer qu'on ne creuse pas des inégalités tout en respectant l'autonomie des établissements, et en respectant des objectifs nationaux ? Comment gérer l'emboîtement national-local ? C'est le chantier le plus difficile, le plus important et le plus compliqué auquel est confronté le ministère de l'éducation nationale. Comment passer d'une logique distributive centrale à une logique où la distribution serait plus locale ? Il serait sans doute souhaitable de commencer par mener une expérimentation au niveau d'une académie pour tester l'emboîtement national-local et les dispositifs de garantie nécessaires. Il s'agit, au sens physique, d'une révolution, puisqu'on passe d'une logique descendante à une logique inspirée par l'estimation des besoins en bas. Elle exige doigté et rigueur dans sa mise en oeuvre politico-administrative. C'est le chantier de réflexion dont la Cour souhaite l'ouverture, dans la mesure où elle estime que ce changement de logique est en mesure de mieux traiter la difficulté scolaire.

Mme Marie-Hélène Amiable s'interrogeait sur l'éducation prioritaire, l'assouplissement de la carte scolaire et la valorisation salariale des enseignants. Si l'éducation prioritaire ne corrige pas suffisamment les inégalités, est-ce dû à la faiblesse des moyens ou à leur mauvaise utilisation ? Un changement important est intervenu lors du passage d'une logique territoriale à une logique de personnalisation. L'échec scolaire étant partout, l'étape a semblé importante. Il n'en demeure pas moins qu'il existe des zones dans lesquelles l'effort doit être très accentué et qui doivent bénéficier d'un traitement exceptionnel, c'est l'objet de la dernière recommandation du rapport. Les moyens exceptionnels comprennent le nombre d'enseignants, deux dans certaines classes aux États-unis ou au Mexique, mais aussi la taille ou la composition des classes. S'agissant de la valorisation salariale, des dispositions existent en matière d'avancement à l'ancienneté, des propositions ont été faites pour aller plus loin. En effet, le volet reconnaissance, et pas seulement sur le plan financier, est important. Il serait possible de concevoir d'autres avantages, touchant par exemple au logement. Plus largement, la question se pose de soutenir ceux qui acceptent de se dévouer pour le bien commun dans des zones très difficiles. Enfin l'équipe pédagogique doit disposer de temps et d'une visibilité pluriannuelle.

À juste titre, plusieurs députés, dont M. Jacques Grosperrin, m'interrogent sur les « échelons intermédiaires ». Nous avons été frappés par le fait qu'ils constituent un élément important de confiance. Certes, on sent parfois poindre une certaine lassitude, mais le monde éducatif fait surtout preuve d'une extraordinaire vitalité. Les inspecteurs, les recteurs, sont très soucieux de mieux répondre à la demande locale. Ils sont mobilisés. Il n'y avait donc pas de réserve de ma part sur ce point, bien au contraire.

Je dirais la même chose des directeurs d'établissement. Nous avons auditionné six principaux de collège, situés dans des zones difficiles. Ils assument tous leurs responsabilités avec conviction, estimant que leur mission est complexe, mais pas impossible. Notre rapport insiste donc sur ceux qui sont les principaux acteurs du changement.

S'agissant de l'assouplissement de la carte scolaire, suite à une demande du Sénat concernant l'articulation de la politique de la ville et de l'éducation, nous avons effectivement rendu un rapport dans lequel figurait une note en bas de page renvoyant à une réponse à une question parlementaire sur les effets d'évitement. De manière surprenante, alors qu'il ne s'agissait pas de nos conclusions, mais d'une étude diligentée par le ministère de l'éducation nationale dont les conclusions étaient publiques, ce point a fait un « scoop » dans tous les journaux, alors même que les chiffres n'étaient pas les nôtres ! Pour autant, le rapport atteste effectivement que la réforme de la carte scolaire a clairement eu cet effet.

J'ai été interpellé sur l'intitulé du chapitre du rapport concernant l'orientation. Nous estimons que la politique menée a été mal maîtrisée pour deux raisons : en premier lieu, les objectifs globaux fixés – 80 % de réussite au baccalauréat et 50 % d'élèves dans le supérieur – devraient conduire à ce que l'on se préoccupe d'augmenter le nombre de bacheliers qui poursuivent leurs études. Or ce n'est pas le cas. Il y a un véritable enjeu politique derrière ce deuxième objectif de 50 % d'élèves dans le supérieur.

En second lieu, on ne connaît pas bien le parcours professionnel des élèves. Les critères d'orientation reposent encore trop sur la subjectivité des enseignants et l'offre territoriale sert encore trop « d'aspirateur » pour certains élèves. Par ailleurs, le parcours de découverte des métiers au collège ne joue pas son rôle. C'est un point sur lequel il convient d'aller plus loin pour réduire les inégalités territoriales.

Y a-t-il un pilote dans l'avion, m'avez-vous demandé ? Je ne peux pas répondre à cette question.

Madame Muriel Marland-Militello, s'agissant de la différenciation des moyens, nous n'avons effectivement pas évalué l'éducation artistique et culturelle. C'est un manque. Les personnes que nous avons auditionnées au sujet du classement PISA l'ont d'ailleurs souligné : nous regardons beaucoup les tableaux de classement sans nous attarder sur les analyses connexes réalisées, qui sont pourtant pleines d'enseignements. Ainsi, en France, le sentiment d'appartenance des enseignants et des élèves à leur établissement est très faible, contrairement à d'autres pays. L'écart est réellement manifeste. Il conviendrait de s'interroger sur ce point.

S'agissant de la formation des enseignants, notre enquête est limitée sur ce point car la réforme est récente. Le travail va être entrepris. Effectivement, alors que l'exigence de préparer les enseignants à anticiper et à traiter les difficultés scolaires est très bien prise en compte dans d'autres pays – ainsi en Espagne s'agissant notamment de l'équivalent de nos « ZEP » –, ce n'est pas le cas chez nous.

La jeunesse n'est pas un défaut, elle peut même être un avantage pour traiter de ces situations complexes.

S'agissant de l'importance de la sécurité du trajet école-domicile, on est effectivement tenté de changer son enfant d'établissement lorsque cette sécurité n'est pas garantie. Il y a là une action interministérielle, et non pas uniquement éducative, à entreprendre.

Concernant les interrogations sur l'évolution des effectifs par classe, nous n'avons pas pris position. Les résultats des études ne vont pas tous dans le même sens sur ce sujet. Mais, si comme certains l'affirment, la difficulté scolaire naît dans le primaire, si « tout se joue en CP », alors, effectivement, il convient d'être attentif aux effectifs des classes de primaire. La différenciation des moyens doit donc se faire sur la base de différents paramètres : les enseignants, certes, mais aussi les moyens financiers.

S'agissant du rôle des parents, la Cour a été frappée de leur désir de s'impliquer dans le traitement de la difficulté scolaire. Les associations de parents d'élèves, très actives, ont fait clairement part de leur souhait que les parents ne restent pas à la lisière de l'école.

La question de Mme Martine Faure sur l'enseignement privé pointe effectivement une anomalie du système qu'il convient de corriger. Depuis la promulgation de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2001, les indicateurs de performances s'appliquent au privé comme au public. La Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (D.E.P.P) du ministère de l'éducation nationale fait des enquêtes, les inspecteurs inspectent et le ministère doit renseigner, sur la base de ces résultats, les indicateurs de performance, tant pour l'enseignement public que pour l'enseignement privé. Mais cela n'est pas le cas pour ce dernier. Il est très important de mettre fin à cette différence de traitement car seule une évaluation précise des uns et des autres permettra de trouver une explication à certains résultats, toutes choses étant égales par ailleurs, car l'on sait qu'il existe des différences notables entre public et privé. Lorsque l'on sait que 40 % d'une classe d'âge passe du privé au public, on comprend l'intérêt de l'évaluation.

Nous devons également prendre acte de ce que la France se situe dans la moyenne de l'OCDE s'agissant des moyens consacrés à l'éducation nationale. Il n'y a donc pas de raison particulière de voir ce budget progresser. Mais, à l'inverse, certains arbitrages doivent intervenir. Nous devons absolument passer d'une logique d'économies à une logique d'arbitrage pour obtenir de meilleurs résultats avec les moyens constants alloués à l'éducation.

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