COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 26 mai 2010
La séance est ouverte à dix heures.
(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend M. Frédéric Audon, capitaine de l'équipe de France de water-polo, M. Alain Calmat, président de la Commission médicale haut niveau et sport-santé du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), M. Cyrille Guimard, directeur sportif de l'équipe cycliste de Roubaix-Lille Métropole, ancien coureur cycliste, et M. Serge Simon, ancien joueur de rugby, au sujet de la lutte contre le dopage.
Je suis très heureuse d'ouvrir cette seconde table ronde sur les enjeux de la lutte contre le dopage.
La première table ronde, au cours de laquelle nous avons entendu des spécialistes de la lutte contre le dopage, était tout à fait passionnante mais aussi, à certains égards, préoccupante, tant s'agissant de la sophistication des produits et des procédés dopants, que des enjeux financiers ou bien encore de la séduction que ces pratiques peuvent exercer y compris parmi les sportifs les plus jeunes.
A l'issue de cette première table ronde, il nous paru indispensable d'entendre les sportifs et le mouvement sportif afin d'avoir un panorama complet des problématiques de dopage.
Comment les fédérations sportives participent-elles à la lutte contre le dopage, à la fois dans sa dimension répressive mais aussi préventive ? Les messages de prévention sont-ils entendus des sportifs ? Dans quelles circonstances les sportifs se trouvent-ils confrontés à la tentation du dopage ? Les sanctions leur paraissent elles suffisamment probables et efficaces pour être dissuasives ? Sur toutes ces questions nous attendons vos réponses et vos témoignages, messieurs.
Je souhaite donc la bienvenue à nos invités, M. Frédéric Audon, capitaine de l'équipe de France de water-polo, accompagné de M. Paul Leccia, président du Cercle des nageurs de Marseille, M. Alain Calmat, ancien ministre, président de la Commission médicale haut niveau et sport-santé du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), M. Cyrille Guimard, directeur sportif de l'équipe cycliste de Roubaix-Lille Métropole, ancien coureur cycliste et M. Serge Simon, ancien joueur de rugby.
Avant de vous céder la parole, je souhaiterais appeler votre attention sur trois points.
Nous avons retiré le sentiment de notre première table ronde que la prévention était peut être le maillon faible de la lutte contre le dopage ; partagez vous ce sentiment ?
Il semble que certaines fédérations, et notamment certaines fédérations internationales, ne soient pas pleinement mobilisées dans la lutte contre le dopage ; comment le mouvement olympique et ses instances représentatives peut-il contribuer à faire changer cet état d'esprit ?
Enfin, il ressort de nos premières auditions que dans le sport professionnel, le dopage est devenu extrêmement sophistiqué et qu'autour d'un sportif dopé gravite toute une équipe de médecins, pourvoyeurs et facilitateurs divers. Cette organisation ne se met pas en place du jour au lendemain. Comment un sportif est-il « approché » et comment cette organisation se met elle en place ?
En dépit du fait que le water-polo n'a pas en France l'importance qu'il peut avoir dans d'autres pays, il est lui aussi frappé par le dopage, y compris à des niveaux de compétition élevés.
Plusieurs joueurs de l'équipe Roma PN ont été convaincus de dopage à la nandrolone en 1998, et cela fut d'autant plus choquant que la plupart d'entre eux évoluaient à un niveau international, et que le water-polo en Italie est un des sports les plus importants avec le basket-ball et le football.
Ce constat alarmant s'explique sans doute par l'ampleur des enjeux économiques du dopage, et de si nombreuses disciplines sont touchées – athlétisme, natation, cyclisme…–que l'on peut se demander si la prévention a la moindre chance d'être efficace.
Je ne cautionne pas l'attitude des sportifs qui se dopent, mais je comprends la séduction que le dopage peut exercer sur eux à travers les performances qu'il rend possibles et les opportunités que ces performances offrent aux sportifs.
Je souhaite tout d'abord vous présenter les excuses de notre président, M. Denis Masséglia, à qui d'autres engagements contractés précédemment n'ont pas permis d'être parmi vous ce matin.
Le sport-santé constitue une composante importante de la stratégie du CNOSF. Pour autant la place du mouvement sportif dans la lutte contre le dopage mérite quelques précisions.
Le CNOSF estime en premier lieu que la lutte contre le dopage doit être implacable. Ce principe directif de notre action nous conduit à dénoncer le dopage à la fois comme danger pour la santé des sportifs, mais aussi comme pratique contraire à l'éthique du sport.
Ce double enjeu, de santé publique et d'éthique sportive, ne doit pas pour autant faire abstraction des cas particuliers, qui exigent une certaine adaptabilité de la lutte contre le dopage, gage de sa crédibilité. Les usages thérapeutiques de certains produits considérés comme dopants doivent ponctuellement être autorisés, en contrepartie d'un contrôle rigoureux auquel le mouvement sportif participe pleinement aux côtés de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Nous aurons d'ailleurs prochainement des réunions avec des médecins des équipes de France et des fédérations sportives ainsi que des experts afin de préciser les conditions de délivrance des autorisations d'utilisation thérapeutique (AUT).
L'action du CNOSF repose sur trois piliers : la formation des personnels médicaux appartenant au mouvement sportif, mais également de ses dirigeants, des entraîneurs et de l'encadrement, la sensibilisation et la prévention.
Notre action vise plus particulièrement l'encadrement des plus jeunes sportifs. Le CNOSF s'attache à aider les fédérations, les comités régionaux olympiques et sportifs, les comités départementaux et territoriaux, notamment à travers l'organisation de réunions et de colloques. Je tiens d'ailleurs à votre disposition les actes de notre dernier colloque, qui s'est déroulé au mois de mars et a été organisé en étroite collaboration avec l'AFLD, le ministère de la santé et des sports, la police, bref tous les intervenants de la lutte contre le dopage. Un partenariat de toutes les parties prenantes constitue en effet la condition indispensable de l'efficacité de la lutte contre le dopage.
Par ailleurs, nous assumons une mission de contrôle et exerçons un pouvoir de sanction des sportifs convaincus de dopage, mission et pouvoir qui nous sont délégués par l'AFLD. Une commission ad hoc exerce ces prérogatives, et l'AFLD veille à leur bon exercice.
Je souhaiterais également insister sur le rôle essentiel du CNOSF dans la lutte contre le dopage au cours des grandes manifestations comme les Jeux olympiques. Il nous a été demandé de faire en sorte que des athlètes dopés ne puissent être sélectionnés pour les J.O., et nous y avons veillé notamment pour les J.O. de Vancouver. La commission médicale a pris en charge la localisation des athlètes et nous nous sommes également chargés du contrôle des AUT. Nous avons également accompagné l'organisation de quatorze contrôles des athlètes français, qui ont concerné le ski nordique, le patinage de vitesse longue piste, le combiné nordique et le biathlon. Aucun de ces contrôles ne s'est avéré positif.
Nous commençons d'ores et déjà à préparer les J.O. de Londres et entendons mener une action déterminée contre le dopage afin de nous éviter des déconvenues.
Notre politique anti-dopage s'inscrit pleinement dans le cadre des préconisations de l'Agence mondiale anti-dopage (AMA) et des dispositions du code mondial anti-dopage.
Le problème du dopage se manifeste de manière aiguë dans le monde du cyclisme et s'avère particulièrement médiatisé. Sans doute ce sport en souffre-t-il de manière spécifique par rapport à d'autres disciplines, ce qui explique cet intérêt médiatique.
L'Homme a toujours cherché à améliorer sa force, sa vitesse et son intelligence, c'est-à-dire sa capacité à dominer l'autre, à asseoir ou à prendre un pouvoir.
Les questions se santé, de morale ou d'éthique sportive sont somme toute des considérations assez récentes, qui commencent à se manifester dans la seconde moitié du XIXème siècle. La première loi organisant la lutte contre le dopage date de 1965.
Les outils dont cette lutte dispose ont évolué, mais les techniques de dopage également. Cette course poursuite permanente nous oblige à nous poser la question de l'écart tolérable entre « chasseurs » et « chassés ».
De mon point de vue, la prévention n'est pas prioritaire, ce qui importe est la répression, car sans un arsenal de sanctions efficace la prévention n'aura aucun effet.
La publicité vante les produits permettant d'accroître les performances, secondée en cela par internet ; les discours de prévention, notamment à l'égard des jeunes, peuvent difficilement faire le poids.
Cela est d'autant plus vrai que la politique de lutte contre le dopage manque parfois de cohérence. Il faut faire preuve de logique et de bon sens pour être crédible auprès des sportifs, des dirigeants et du public. Je pense en particulier au cas de Richard Gasquet, qui parait tout de même difficile à comprendre. Comment expliquer que la cocaïne est interdite pendant la compétition, autorisée à titre festif, alors qu'il s'agit par ailleurs d'un produit dont le trafic est réprimé par la loi ? J'ai pour ma part du mal à croire que l'on peut expliquer des résultats positifs à la cocaïne par un simple baiser.
Lorsque j'avais été candidat à la présidence de la Fédération française de cyclisme, j'avais développé un certain nombre de propositions en matière de lutte contre le dopage : la répression doit concerner non seulement l'activité du sportif, mais elle doit reposer également sur des sanctions financières.
Pour les produits les plus lourds, il conviendrait d'aller jusqu'à la suspension à vie du sportif ; il devrait être privé de licence tous sports confondus, de sorte qu'un cycliste dopé ne puisse se reconvertir dans le biathlon, par exemple.
Pour les licenciés tirant un revenu de leurs activités sportives, l'amende devrait pouvoir atteindre le montant des gains bruts perçus au cours de l'année précédente par le sportif et être immédiatement exigible.
Pour les sportifs amateurs, une amende peut également constituer une sanction dissuasive.
Par ailleurs, le dopage ne se pratique plus de manière solitaire, mais repose sur toute une organisation et une série de complicités. Les responsables d'équipe ou les membres de l'environnement sportif, qui sont licenciés, devront répondre aux mêmes exigences que le sportif s'il est établi qu'ils ont une responsabilité dans un cas de dopage.
Tout contrôle positif devra déclencher une enquête destinée à mettre au jour d'éventuelles complicités.
Je pense également qu'il conviendrait d'imposer aux laboratoires pharmaceutiques l'identification des produits lourds par des marqueurs et l'obligation de déclarer des anomalies dans les ventes de ces produits. Ainsi l'alerte aurait-elle pu être donnée au début des années 1990 sur le décalage entre les usages thérapeutiques de l'erythropoïétine (EPO) et les quantités de produits qui sortaient des laboratoires.
La prévention ne pourra donc être efficace que si les sanctions sont dissuasives.
Il convient de veiller à la formation des éducateurs et les aider à repérer les moments où les sportifs sont les plus fragiles.
Pour conclure, la lutte contre le dopage devrait s'inspirer de la lutte contre la violence routière : les radars et les retraits de points ont permis de faire baisser le nombre de morts sur les routes, alors que les campagnes de sensibilisation ont été sans effet significatif.
Je vous remercie, Madame la Présidente, de m'avoir invité, à nouveau, devant la Commission. Ceci prouve que je ne vous ai pas désespérée à l'occasion de la précédente audition à laquelle j'ai participé !
Aujourd'hui, je tiendrai un discours quelque peu à contre-courant de mes aînés. Mon point de départ est le suivant : pour être efficace, la lutte contre le dopage doit être juste et crédible. À cet égard, les argumentaires que nous venons d'entendre me surprennent. En particulier, M. Alain Calmat a employé des mots et des expressions durs, notamment sur la méthode, la menace de sanctions lourdes ou en qualifiant le dopage de problème de santé publique.
Or, à ma connaissance, aucune étude scientifique ne permet de démontrer que nous sommes, dans ce domaine, effectivement confrontés à un problème de santé publique. Oui, il y a eu des morts emblématiques, notamment dans le cyclisme : je pense à Tom Simpson et à Marco Pantani. Mais cela ne suffit pas à justifier un certain discours alarmiste sur le dopage, érigé en priorité de santé publique. À mes yeux, ce sont le tabac, l'alcool, la tuberculose, la sécurité routière qui relèvent bien de problématiques de santé publique.
Attention aux effets de ce discours ! Jouer sur la peur n'est pas une bonne stratégie, car le décalage entre un jeune sportif qui aura consommé du cannabis dans un contexte festif et le discours effrayant qu'on lui tient est tel que la lutte contre le dopage finit par être inopérante : en effet, les jeunes ne peuvent pas se sentir concernés par le discours ambiant.
De quoi et de qui parle-t-on au juste ? Qui va-t-on sanctionner et pourquoi ? On suspendrait, à vie, et annulerait les comptes bancaires de tout sportif qui aurait triché pour avoir fumé du cannabis ?
La réalité est bien plus complexe. Au quotidien, c'est souvent une consommation occasionnelle de cannabis que l'on constate. Ainsi, 30 à 40 % des contrôles positifs le sont au cannabis. Pourtant, c'est cette même réalité qui est confondue, dans l'opinion publique, avec l'affaire Ben Jonhson, un sportif qui a pris des produits dopants pour chevaux…
On voit bien qu'en la matière, le renforcement de la lutte contre le dopage doit aller de pair avec une sophistication croissante de son discours et de ses moyens, permettant de mettre à jour les réseaux qui sont au coeur du problème.
On a beaucoup parlé de Richard Gasquet qui avait consommé de la cocaïne. Je relève, là aussi, cette confusion que je dénonce. Qu'est-ce que la lutte contre le dopage ? Cela revient à lutter contre le comportement de certains sportifs qui prennent des produits interdits et dont il est prouvé que ceux-ci ont augmenté leurs performances. Or ceci n'a rien à voir avec l'affaire Gasquet. En effet, ce n'est pas en consommant de la cocaïne que l'on dope ses performances pour trois semaines d'affilée ! Si réaction du corps il y a, elle ne dure que quelques heures. En aucune manière, Richard Gasquet ne peut être comparé à Ben Johnson.
Quant au cannabis, on peut être contrôlé positif trois semaines après en avoir consommé. J'aurais pu être moi-même être mis en cause dix ou vingt fois dans ma vie sportive. Et tout le monde pourra vous dire qu'on ne peut augmenter ses performances en fumant un « joint »…
Le discours contre le dopage s'est en quelque sorte « emballé » et a atteint une puissance réellement perturbatrice. Il faut donc le recentrer, car, au final, c'est toute la politique de lutte contre le dopage mise en oeuvre qui risque d'être décrédibilisée. De surcroît, en tenant ce discours, on véhicule l'image du « tous pourris, tous drogués », la suspicion généralisée entraînant de redoutables effets pervers.
J'en viens à la géolocalisation. Cette méthode peut se comprendre dans le contexte particulier des Jeux olympiques, qui n'ont lieu que tous les quatre ans, et auxquels participent des sportifs qui ne concourent qu'à cette compétition. De même, les contrôles inopinés ont leur utilité s'agissant de ces rencontres.
Pour le reste, a-t-on vraiment mesuré les effets d'un recours systématique à cette méthode ? Je rappelle que les rugbymen sont faciles à « repérer » : ils ne prennent que quelques semaines de vacances et s'entraînent dur onze mois sur douze. Or la géolocalisation implique, concrètement, que chaque sportif remplisse une fiche de 90 cases correspondant à autant de jours, en indiquant ainsi, à chaque moment, où il se trouvera tel et tel jour. Je mets au défi les politiques d'indiquer 90 jours à l'avance leur agenda. Les sportifs, qui s'entraînent ici ou là et participent à de multiples compétitions, sont confrontés au même problème.
Ainsi que le soulignait un article publié dans le journal Libération, la géolocalisation s'apparente, de fait, à un contrôle judiciaire, que je croyais plutôt réservé aux délinquants… On en revient à la toute-puissance d'un discours qui, parfois, semble préconiser des mesures disproportionnées.
Lorsque j'avais réuni les joueurs de l'équipe de France en tant que président du Syndicat des joueurs de rugby pour aborder, entre autres, la question du dopage, les participants avaient tous fait part de leur souhait que le dopage ne « s'invite » pas dans ce sport. Je leur avais répondu que celui-ci ne tombait du ciel et qu'on ne se réveillait pas dopé un matin, une seringue plantée dans le postérieur…
Mais un tel discours de responsabilité ne peut pas être tenu dans le climat créé par le discours actuel sur le dopage. Celui-ci conduit à ce que les sportifs eux-mêmes se sentent exclus de l'enjeu qu'est la lutte contre ce phénomène et conforte, par conséquent, l'analyse selon laquelle « le dopage, c'est l'affaire des dirigeants ».
Quant à l'instrument principal de ce combat, le contrôle urinaire, il est moyenâgeux : on peut vous contrôler positif parce que vous avez consommé, en discothèque, de la cocaïne et vous blanchir dès lors que rien n'est détecté.
Il convient de revenir au fondamentaux : pour prouver qu'il y a eu un délit, l'intentionnalité de l'auteur du délit doit être prouvée. Beaucoup reste à faire puisque, on le sait, il n'y a ni respect du secret de l'instruction ni présomption d'innocence dès qu'une affaire éclate. Or quand celle-ci fait, via des circuits poreux, la « une » de L'Équipe, le nom du sportif est jeté en pâture pendant des semaines et des semaines. Ce fonctionnement médiatique, la nature des actes en cause n'étant évidemment pas comparable, n'est pas sans rappeler les affaires de pédophilie où le soupçon vaut accusation et condamnation.
En conclusion, il convient de recentrer les objectifs de la lutte contre le dopage et tenir, sur le sujet, un discours moins fantasmatique. Un système d'enquête à charge et à décharge doit être mis en place, permettant de mettre en lumière tous les chaînons d'un réseau. S'il faut combattre avec force les pratiques à la Ben Johnson, il faut, comme le soulignaient Alain Calmat et Cyrille Guimard, éviter d'entretenir le « tous pourris » qui conduit à tous les excès.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le témoignage de M. Serge Simon. Néanmoins, si la liste des produits dopants est relativement longue, ce qui pose des problèmes à l'AFLD, avec un certain nombre de produits autorisés qui constituent des sortes de « produits réservés », je ne pense pas qu'on puisse affirmer que le cannabis et d'autres produits plus dangereux ne sont pas des produits dopants.
S'agissant de la relation entre l'AFLD et le mouvement sportif, je suis persuadé que l'une des problématiques d'actualité à quelques jours du début du tour de France et de la coupe du monde de football est la relation difficile entre l'AFLD et l'AMA. Il faut absolument que notre agence se mette en conformité avec le code mondial anti-dopage et que les organisateurs privés de grandes compétitions sportives entrent dans un protocole avec le mouvement sportif.
Je voudrais revenir sur la prévention qui constitue le maillon faible de la lutte contre le dopage. L'agence mondiale ne peut-elle pas travailler plus étroitement avec les pays et les fédérations nationales afin que les règles internationales soient mieux respectées ? En outre, n'est-il pas possible que chaque pays organise, en lien avec les instances et les fédérations, et ce pour toutes les disciplines, des contrôles inopinés mais en dehors des grandes rencontres internationales puisque l'on a tendance à n'aborder ce problème qu'au moment de ces grandes compétitions internationales ? Enfin, pour les jeunes que nous devons éduquer, où finit le « coup de fouet » et où commence le dopage alors que certains produits « coup de fouet » sont en vente libre dans les magasins de sport ? Ne conviendrait-il pas d'éduquer les jeunes, dès qu'ils commencent un sport, à cette problématique de santé publique ?
M. Cyrille Guimard préconise des sanctions très sévères pour les cyclistes. Je me demande si c'est le meilleur chemin à prendre puisque l'on peut constater dans tous les domaines que les sanctions ne sont pas toujours la meilleure des solutions. Il me semble que la priorité doit être la formation et la prévention, les sanctions n'intervenant qu'après. Comment la France se situe-t-elle dans la lutte contre le dopage par rapport aux autres pays ?
Je ne partage pas l'approche de M. Cyrille Guimard qui a insisté avant tout sur la nécessité d'un volet répressif. Je ne suis pas certain qu'il faille évacuer l'aspect préventif d'entrée de jeu. Il convient de bien dissocier la lutte contre le dopage et la lutte contre les addictions, qui sont une pratique développée dans le monde sportif. Je ne sais pas si les Béglais et les Rappetous étaient plus « addicts » que d'autres mais je ne pense pas qu'ils étaient dopés. En tout cas, la charge de travail qui était la leur à l'époque n'est pas comparable avec celle des sportifs professionnels aujourd'hui. Il faut donc rechercher la responsabilité du côté des ligues et des donneurs d'ordre qui imposent cette charge aux sportifs et les conduisent de façon détournée à s'orienter vers des pratiques illicites pour pouvoir supporter ce qui leur est demandé.
Au tour cycliste de Franche-Comté hier à Besançon, deux cas de dopage ont été avérés ce qui montre que le phénomène sévit aussi au niveau local. Les sportifs sont des icônes et des exemples. L'affaire « Richard Gasquet » est un symbole important car la cocaïne ne doit absolument pas être banalisée.
Il faut reconnaître qu'il n'y a pas de réglementation internationale. Rappelons que la fédération de tennis américaine avait demandé aux soeurs Williams de se faire oublier un moment avant de revenir sur le circuit. Il y a là une hypocrisie et « deux poids, deux mesures ». La réglementation internationale n'existant pas, nos sportifs français sont peut-être plus surveillés et sanctionnés que les autres, ce qui pose un véritable problème car nous n'avons pas le droit à l'erreur et nous voulons probablement être plus propres que les autres. L'agence mondiale a donc un rôle important à jouer.
M. Alain Calmat, vous avez dit qu'il fallait être « implacable ». À cet égard, il faut peut-être que le comité national olympique soit plus ferme vis-à-vis des organisateurs. Je rappelle que l'Union cycliste internationale (UCI) et l'AFLD n'arrivent pas à s'entendre pour faire des contrôles sur les coureurs cyclistes qui courent en France. Il y a là un véritable problème et le rôle de l'agence mondiale est particulièrement important.
M. Cyrille Guimard, vous êtes favorable, et je comprends votre position, à la répression. Cette dernière peut se faire au niveau des laboratoires mais les laboratoires craignent parfois de mettre sur le marché certains médicaments pouvant entraîner des conséquences mortelles, de sorte que le médicament ne sortira pas. L'État pourrait peut-être agir au niveau des sponsors. Je ne sais pas si l'on doit retirer directement les licences aux sportifs. Que pensez-vous du cas « Armstrong » ? En ce qui concerne les responsables d'équipe dans le mouvement cycliste, je rappellerai que leur mot d'ordre est « ne vous faites pas prendre car si tel est le cas on vous licencie. »
Deux discours me paraissent contradictoires. M. Alain Calmat, vous avez estimé que se doper c'est tricher et mettre en danger sa santé. Vous avez par ailleurs exposé les trois actions principales que vous mettez en oeuvre : formation des personnels, des médicaux, des joueurs et des dirigeants ; sensibilisation et prévention et aides aux comités départementaux. Ce discours est rassurant, efficace et un peu paternaliste. Mais j'ai entendu un autre discours tenu à l'instant par le capitaine de l'équipe de France de water-polo, qui se demande si l'on peut vraiment faire de la prévention en présence de tels enjeux économiques et financiers et a déclaré qu'il comprenait que certains sportifs cèdent à la tentation. On sent donc un décalage. Comment alors se recentrer sur les objectifs principaux sachant que l'on demande des performances toujours plus importantes aux sportifs ?
On a une approche très médiatisée du dopage ce qui peut empêcher de voir la réalité des choses. Le dopage est particulièrement répandu dans les sports individuels : athlétisme, cyclisme. On a l'impression qu'il l'est moins dans les sports collectifs. Est-ce une réalité ? Serait-ce lié au fait que la performance individuelle est « diluée » dans les sports collectifs ? Par ailleurs, le pouvoir de sanction est délégué aux différentes fédérations. Est-ce une bonne chose ou risque-t-on un système de sanctions à géométrie variable ?
J'ai été très sensible aux propos de M. Serge Simon. Je partage son avis sur la suspicion généralisée et l'accusation du « tous drogués ». Cette suspicion est intolérable dans une vraie démocratie. Par ailleurs, je ne comprends pas ce qu'est un produit dopant. Certains disent que la cocaïne est un produit dopant. D'autres affirment le contraire. M. Serge Simon estime qu'elle n'en est pas un. Une fois que l'on a défini ce qu'est un produit dopant, les propos sans ambiguïté de M. Cyrille Guimard me plaisent bien parce que je pense qu'à un moment donné, les sanctions immédiates doivent être réellement dissuasives comme en matière de sécurité routière, la sensibilisation sur les risques pour la santé n'étant pas forcément très parlante pour les sportifs concernés.
Je voudrais féliciter M. Serge Simon pour le langage de vérité qu'il a tenu et le courage de ses positions. Le colloque national de la commission médicale du CNOSF qui s'est tenu au mois de mars a évoqué le passeport biologique. Ce dernier coûte très cher. Comment sera-t-il mis en oeuvre ? À qui s'adressera-t-il ? M. Cyrille Guimard, je vous félicite d'avoir parlé de « prévention-répression ». Quand les jeunes voient, notamment dans le cyclisme, que certains sportifs qui ont triché reviennent en compétition, est-ce un bon exemple ? Vous avez dit que la répression devait toucher l'activité et l'argent. Je suis tout à fait d'accord car je pense que si certains cyclistes reviennent, c'est pour l'argent. Il y a également le problème de l'entourage du sportif de haut niveau, notamment les médecins et les sponsors qui favorisent l'intérêt économique et financier au détriment du sport.
On n'a pas entendu ces dernières semaines le mouvement sportif, le CNOSF, se prononcer sur un élément qui me paraît extrêmement grave, à savoir les prises de positions de l'UCI qui lamine le rôle de notre agence française, affirmant publiquement qu'elle a perdu toute crédibilité. On sait que la présidence de l'UCI, avant Pat McQuaid, était assurée par Hein Verbruggen qui n'a pas brillé par ses positions sur la lutte anti-dopage. Il est aujourd'hui un membre influent du CIO. Il n'y a eu aucune réaction de la France, ni du Gouvernement, ni du CNOSF. Nous avons mis en place une autorité indépendante qui aujourd'hui dérange, peut-être parce qu'elle est efficace. Je pense que nous avons besoin aujourd'hui de prises de position sur ce sujet.
Par ailleurs, pour la première fois, nous avons un ministère de la santé et des sports. Mais le débat sur le lien entre sport et santé est loin d'être clos et il me semble qu'il nous manque un élément fort dans ce débat. On sait bien que le sport fonctionne en matière de santé un peu comme un « effet dose ». On en fait régulièrement, on va lutter contre certaines maladies de la sédentarité. On en fait beaucoup, voire beaucoup trop, avec des cahiers des charges de compétition toujours plus importants, on risque alors les pathologies de surentraînement qui sur le plan du dopage vous incitent éventuellement à aller plus loin dans ce que certains appelaient le « rééquilibrage ». En tout cas, il y a une véritable méconnaissance, encore aujourd'hui, des conséquences d'une pratique sportive très importante sur l'ensemble de nos paramètres biologiques, hormonaux et autres. Sur les conséquences de la « surutilisation » du corps humain par la pratique sportive, on a encore besoin de faire de grands progrès compte tenu notamment de la relation « maladive » et particulière que nous avons avec le médicament, qui pour nous soigne tout.
Enfin, on aurait aimé entendre parler davantage des risques de conduite addictive et des conséquences sur la santé des paris en ligne. On nous a expliqué au cours de notre dernière table ronde combien l'explosion des paris constituait un risque pour l'éthique sportive. Il ne faudrait pas, lorsqu'un « petit » gagne une étape du tour de France, qu'on se demande désormais non plus seulement ce qu'il y avait dans son bidon mais qui avait parié pour lui. Le débat sur les jeux en ligne aurait dû être abordé également sous l'angle de la santé publique et pas seulement sous l'angle financier.
En matière de dopage, nous courons après le progrès technologique puisque les tricheurs ont en général une longueur d'avance, dans un système en perpétuelle évolution. L'image exemplaire qui devrait être celle des sportifs est souvent catastrophique, et affecte de manière non négligeable les pratiques des jeunes qui s'identifient à ces modèles. C'est pourquoi les fédérations doivent mettre l'accent sur l'éducation et la prévention ; pourquoi ne pas inclure dans les modules de formation des cours concernant les produits dopants et leurs conséquences en matière d'éthique et de santé, même si cela peut paraître un peu désuet de nos jours de revenir à des valeurs de base ? Il faut certes réprimer, mais surtout prévenir et éduquer.
Il y a un consensus général pour faire alterner prévention et répression. Mais la véritable question est de savoir s'il existe une volonté réelle des acteurs de lutter efficacement contre le dopage ; on peut en douter lorsque l'on observe les réticences des autorités internationales du sport. Il est vrai qu'il est difficilement supportable, pour un sportif, de subir tout au long de l'année des contrôles fondés sur une suspicion permanente. Mais il semble toutefois qu'il faille poursuivre deux objectifs principaux, tout d'abord prévenir la santé des sportifs, et ensuite assurer entre eux l'égalité des chances.
Par ailleurs, il faut distinguer addiction et dopage. En matière d'addiction, les sportifs doivent, comme tout un chacun, respecter l'interdiction générale de consommer de la drogue ; cela ne relève pas du dopage. En revanche, si les produits pris influent sur la performance sportive, il faut montrer une très grande sévérité, même s'il est parfois difficile de déterminer si les produits ont eu un effet avéré sur la performance ; dans la négative, il s'agit d'addiction. La lutte contre le dopage ressemble à un jeu entre des gendarmes et des voleurs qui ont toujours une longueur d'avance, avec en toile de fond, une suspicion permanente pesant sur les sportifs de haut niveau, la presse qui semble découvrir à chaque nouveau cas que la lutte contre le dopage n'est pas gagnée et les non-dits qui pèsent sur cette question, les affaires n'étant révélées, me semble-t-il, que lorsqu'elles ne peuvent plus être tues.
Tout le monde parle d'image dégradée du sport dans l'opinion lorsqu'un sportif est déclaré positif et jeté en pâture à la presse. Si c'était le cas, le tour de France n'existerait plus depuis très longtemps ; en réalité, le public se moque de cet aspect pourvu qu'il ait ses rendez-vous, ses compétitions ; et dans des disciplines très difficiles comme le cyclisme, il admet que les sportifs usent de produits dopants de la même manière que tout un chacun prend des médicaments pour travailler.
En revanche, la prévention du dopage est le sujet principal alors qu'on en parle peu. Ne pourrait-on pas établir un parallèle entre le dopage, qui est une tricherie sur la performance, et la consommation de drogues au sens large, qui est une tricherie sur la vie ? Il conviendrait, pour renforcer la prévention, que les différents acteurs en matière de santé, de justice, de sport … s'entraident et expliquent que les drogues et le dopage dégradent la santé et la société.
Je m'associe aux réticences exprimées par Serge Simon sur les contrôles anti-dopage, ayant l'exemple d'un ami, sportif de haut niveau, contrôlé positif et suspendu pendant deux ans ; il a vu sa carrière interrompue alors qu'il n'avait pas été considéré comme dopé parce que la dose était insuffisante pour modifier sa performance. Je pense qu'il faudrait instaurer une procédure permettant de prouver que la prise de substances a été planifiée et organisée dans le but d'améliorer les résultats, et aller au bout de la logique en mettant en place des sanctions pénales pour les sportifs, parce qu'il s'agit de protection individuelle, mais aussi d'une forme d'escroquerie et de vol. J'ai à l'esprit l'exemple d'une athlète française, troisième meilleure athlète du monde en sprint, devancée par deux sportives américaines, dont l'une a été convaincue de dopage et l'autre est décédée prématurément et fortement suspectée de s'être dopée. Cette athlète française s'est vue voler sa carrière !
Il est également essentiel de travailler avec les laboratoires, dont les produits sont détournés de leur destination initiale pour être utilisés comme dopants, afin que soient intégrés des marqueurs dans tous les produits. Ce procédé permettrait d'éliminer les inconvénients et les contraintes du système de gestion et d'administration anti-dopage (ADAMS) et clarifierait les choses, sans obliger les fédérations internationales à prendre position.
Je souscris tout à fait aux propos qui ont été tenus sur l'importance de la prévention ; néanmoins, l'attitude de certains parents à l'égard de leurs enfants lors de rencontres cyclistes de petit niveau me fait douter de l'efficacité que pourraient avoir l'éducation et la prévention, même si elles sont nécessaires. S'agissant toujours de cyclisme, je m'étonne que certains sportifs contrôlés positifs continuent à courir dans des pays autres que ceux dans lesquels ils ont été pris. Ne faudrait-il pas leur interdire tout retour en compétition, d'autant que certains recommencent ensuite à se doper ? Il me semble que cela rendrait service aux autres sportifs. Par ailleurs, comment expliquer que certains sports soient plus contrôlés que d'autres ? Les joueurs de tennis, pourtant très sollicités physiquement, semblent très peu contrôlés, alors que les affaires de dopage sont monnaie courante dans le monde du cyclisme. Dans le sport collectif, on a vu des cas de dopage organisé, comme il y a quelques années avec le Milan AC, or les intéressés continuent toujours à jouer.
Il est certain qu'il faut faire de la prévention, en particulier en milieu scolaire, ce qui n'existe pas actuellement, et expliquer aux enfants ce qu'est le dopage. Par ailleurs, il ne faut pas accuser les laboratoires, qui fabriquent des produits, non pour doper les sportifs, mais pour soulager les malades, avec des résultats souvent remarquables : l'EPO, par exemple, était initialement destiné aux insuffisants rénaux. Et s'agissant d'EPO, pourquoi les athlètes s'entraînent-ils à La Plagne, Tigne, ou Mexico ? Parce que l'on sait très bien que l'altitude, au-dessus de 2500 m, favorise la sécrétion naturelle d'EPO. Mais on ne stigmatise pas pour autant ces pratiques, alors qu'elles induisent parfois des taux d'EPO très élevés. Je signale donc que nombre de produits apparaissent quotidiennement, qui ne sont pas fabriqués pour doper les sportifs, mais qui seront manifestement utilisés dans ce but ; il s'agit par exemple de toutes les substances agissant sur la fibre musculaire et destinées, notamment, aux handicapés.
Ensuite, il faut avoir un « coup d'avance », parce que l'on sait très bien que l'on va assister à des dopages génétiques qui seront très difficiles à contrôler. Enfin, le contrôle quotidien d'un sportif, sur son emploi du temps, sur ses déplacements, même hors compétition, rend sa vie insupportable ; si l'on généralise ce « flicage permanent » avec des GPS portés en bracelet, cela deviendra épouvantable. Donc il faut de l'éducation, de la prévention, ne pas accuser les laboratoires, mais contrôler les médecins et les entraîneurs.
On trouve plus de dopage dans les sports individuels que dans les sports collectifs, parce qu'en individuel, on se bat pour soi, alors qu'en collectif, on dépend des autres, et qu'il est en outre plus difficile de convaincre toute une équipe de se doper.
La question des contrôles est très compliquée parce qu'il est délicat de faire le départ entre la vie privée et le sport. Même si leur image est dégradée auprès du public et des jeunes, les sportifs qui, par exemple, ont pris de la cocaïne lors d'une fête privée sont avant tout des individus qui n'avaient pas forcément conscience d'être des icônes et souhaitaient se détendre sans penser aux conséquences éventuelles de leurs actes. C'est pourquoi, je pense qu'il faut modérer le discours, et certaines sanctions comme la suspension à vie peuvent paraître trop radicales.
Ce florilège de questions reflète l'état de grande confusion et aussi – pardonnez-moi ! – d'ignorance de ces questions qui règne dans le public. Je pense qu'il faut être beaucoup plus factuel dans la lutte contre le dopage : des règles existent, il y a des outils législatifs, des accords internationaux, il faut s'y tenir ! Tout le reste n'est que sensations, idées, approbation, désapprobation voire révolte…. Je pense qu'il faut distinguer entre les différents sportifs et ne pas oublier que la lutte contre le dopage s'adresse essentiellement aux sportifs dits « patentés », c'est-à-dire se reconnaissant comme tels, ainsi que le spécifient les textes de l'Agence mondiale anti-dopage (AMA). Le dopage existe depuis le début du siècle dernier mais c'est en 1999 que tout a changé avec la création de l'AMA, et la signature de conventions internationales, en particulier la Convention internationale de l'UNESCO contre le dopage dans le sport adoptée en 2005, qui a mis les choses au point pour l'ensemble des fédérations internationales et le Comité olympique.
Il faut donc distinguer les sportifs de compétition qui sont soumis à un contrôle anti-dopage contraignant, et il est vrai, parfois difficile à accepter. Mais personne n'oblige quiconque à devenir un sportif de haut niveau !
Mais oui ! Je vous parle de sportifs ciblés, qui font de la compétition et qui subissent certains inconvénients mais connaissent aussi certains avantages, notamment fiscaux. Et si Richard Gasquet, dont la valeur n'est pas contestable, a été pris, c'est parce qu'il était en infraction avec les règles fixées par l'AMA qui chaque année établit la liste des substances interdites, soit pendant les compétitions, soit hors compétition. En l'occurrence, la cocaïne n'était pas proscrite hors compétition, mais Richard Gasquet était en période de compétition.
Mais il n'a pas disputé le tournoi ! Cela veut dire que la règle se justifie par la règle !
Mais non! En vue d'établir la liste annuelle des substances interdites pendant les compétitions ou tout au long de l'année, l'AMA adresse un questionnaire à tous les Comités olympiques, aux ministères, à certaines fédérations. La liste est arrêtée à la suite d'un vote qui prend donc en compte l'avis du mouvement sportif, celui des gouvernements et celui des experts.
Certains ont indiqué que faire de la compétition imposait une sujétion particulière par rapport à la vie normale et que les sportifs méritaient donc l'indulgence. Certes, mais à condition de ne pas prendre de substances prohibées. Et encore, se pose, comme l'indiquait Valérie Fourneyron, un problème de santé publique. Le Comité olympique a commencé à réfléchir aux moyens permettant de conserver sa santé en faisant du sport. C'est ce que l'on nomme le sport-santé. L'activité sportive est en effet une activité physique spécifique, comprenant des disciplines et des niveaux d'entraînement différents se pratiquant dans des lieux et avec des équipements divers. Nous ne disposons à l'heure actuelle d'aucune indication concernant les effets biologiques, physiques, psychologiques et socio-psychologiques de telle ou telle pratique sportive ; le travail reste à faire et nous essayons de rapprocher les prescripteurs, que sont les médecins, des dispensateurs de sport que sont les entraîneurs, les dirigeants, les encadrants, afin de permettre aux sportifs, licenciés ou non, de pratiquer une discipline sans que cela nuise à leur santé, soit dans le cadre d'une prévention primaire, c'est-à-dire afin d'éviter de développer certaines maladies, comme l'obésité, soit dans le cadre de pathologies existantes. Des travaux menés, par exemple, par l'Institut de Recherche bio-Médicale et d'Epidémiologie du Sport (IRMES) ont mis en évidence certaines données ; mais aucune relation efficace n'a été établie entre ces données et la manière de dispenser les activités sportives. C'est ce travail de fond que s'assigne le Comité olympique.
Il a été dit également que certaines techniques étaient discutables. C'est le cas du passeport biologique qui retrace les signes indirects du dopage à partir des examens hématologiques des athlètes. Ces analyses, sont en effet très coûteuses et pas très fiables, puisqu'on sait à présent que certains sportifs présentent des anomalies génétiques ; cela devrait conduire à leur accorder des dérogations et non à leur interdire de pratiquer un sport de haut niveau. C'est une question d'éthique et d'équité, à rapprocher de celle du certificat de non contre-indication, sur laquelle nous travaillons beaucoup actuellement avec le ministère ; les contre-indications ne doivent pas en effet être définitives – un diabétique, par exemple, peut faire du sport, à condition d'être bien encadré.
Ces sujets doivent donc être abordés avec finesse et sans manichéisme, tout comme la lutte anti-dopage. Ce qui est important est d'assurer en premier lieu l'équité entre les sportifs de haut niveau, parce qu'il y a des enjeux individuels, et ensuite l'éthique, parce que les sportifs ont valeur d'exemples auprès des jeunes.
Ce qui prime, en effet, c'est la prévention. Les messages en matière de prévention existent, comme en témoignent les travaux du colloque que le Comité olympique a organisé il y a quelques semaines, en collaboration avec l'AFLD, le ministère et l'AMA, mais aussi les actions que le Comité mène auprès des fédérations, des comités départementaux olympiques et sportifs (CDOS), ainsi que les instruments qu'il diffuse comme la mallette sport-santé. Mais ces messages doivent être relayés de manière positive par les fédérations et les médias.
S'agissant de la charge de travail des sportifs et de la difficulté de certaines épreuves, notamment de certaines étapes du Tour de France ou d'Italie, on constate une certaine désinformation, parfois relayée par les sportifs. Les entraîneurs sont formés et des outils existent. On peut notamment utiliser une batterie de tests de suivi longitudinal pour savoir à quel moment il y a surentraînement, lequel est toujours visible. Un sportif membre d'un club a un bon entraîneur et le surentraînement n'est dans ce cas pas possible. Il est plus fréquent là où il n'existe pas de bons entraîneurs, ou pas de clubs, comme ce fut le cas à une époque dans le biathlon ou le triathlon.
Par ailleurs, la capacité à supporter des charges croissantes d'entraînement est le propre de tout entraînement : un entraînement permet d'augmenter la charge par adaptation. On le voit, entre ce qui se dit et ce qui est fait, le chemin est important…
En outre, dans certains sports, il n'y a pas surentraînement mais mauvaise conduite de l'entraînement. Ainsi, un sportif blessé qui revient trop tôt en compétition se blessera à nouveau et connaîtra des problèmes de consolidation. Lorsque, avec une entorse à la cheville, un joueur revient sur le terrain quinze jours après s'être blessé, il y a un petit souci…
À l'inverse, sur le Tour de France, les étapes sont certes longues et les cols difficiles, mais cela ne pose pas de réels problèmes lorsque l'on est bien entraîné, car une compétition cycliste – paradoxalement – comporte de nombreuses périodes de récupération. C'est même un des sports qui en comporte le plus. Lors d'un entraînement de cinq heures, on considère que deux heures sont de pure récupération. Sur deux cents kilomètres de course cycliste, 15 à 20 % est considéré comme du « non-effort » du fait des phénomènes d'aspiration et des descentes.
Pourtant, le cyclisme est toujours considéré par l'opinion publique comme un sport inhumain, demandant des efforts démesurés. Pourquoi pas, si cela participe à sa légende, mais je pense qu'il ne faut objectivement pas tout mélanger. Si, pour des raisons de lutte contre le dopage, l'effort demandé aux cyclistes est moindre, je pense que les spectateurs ne seront plus au rendez-vous et les grands champions non plus. On ne se dope d'ailleurs pas pour produire un effort dans la durée, mais pour aller plus vite. On peut donc raisonnablement estimer qu'on se dope moins sur le Tour de France que pour réaliser un 100 m.
S'agissant de la coramine glucose, je vous rappelle que tout le monde en prenait à mon époque puisque ce n'était pas considéré comme un produit dopant. Puis la réglementation a changé. C'est pour cette raison que je plaidais déjà il y a plus de vingt ans pour la mise en place d'un suivi médical longitudinal des sportifs, qui aurait en quelque sorte constitué une « médecine du travail » pour ces sportifs. Lorsque j'avais fait cette proposition à la Commission nationale, on m'avait pris pour un fou. Or, vingt ans plus tard, l'affaire Festina a conduit le Dr Armand Mégret – qui avait été auparavant pendant quatorze ans le médecin de mon équipe – à reprendre avec succès cette idée… Je suis persuadé que, si le système avait été mis en place vingt ans plus tôt, on n'aurait jamais eu à traiter le problème de l'EPO.
Je suis par ailleurs inquiet du décalage existant entre la prévention, la sanction et les discours médiatiques. Ainsi, aujourd'hui, lorsqu'un sportif est dopé, il devient très rapidement une star et augmente sa notoriété. Après une bonne campagne de communication, on le considère même souvent comme une victime ! Sa côte de sympathie progresse par la même occasion, ce qui augmente sa valeur commerciale. Après une telle affaire, il peut donc négocier un nouveau contrat ! Cela me semble inadmissible alors que l'on devrait être dans une logique de sanction de ce type de comportement. Accusé de dopage, Ivan Basso, par exemple, a produit en moyenne un communiqué de presse tous les deux jours pendant quatre ans, communiqué repris régulièrement dans la presse. Ces méthodes lui ont donné une visibilité médiatique que n'aura jamais un sportif non dopé, même performant ! De même, Richard Virenque ou Alexandre Vinokourov sont devenus des icônes dans les mêmes circonstances. Quel exemple donnent-ils à nos jeunes ? Comment ensuite tenir un discours cohérent en termes d'éducation sportive ?
Le cas Armstrong est, à ce titre, symptomatique, comme le montre l'article paru dans Le Monde ce week-end. Les doutes et les suspicions sur ses méthodes sont entretenus depuis des années par les déclarations de ses équipiers, de ses encadrants, du laboratoire de Chatenay-Malabry. Aujourd'hui, une nouvelle campagne tend à nouveau à émettre de sérieux doutes sur son cas et, plus grave, sur la crédibilité de la lutte contre le dopage dans le cyclisme. Pourtant, il n'a jamais été condamné par la justice et, au nom de la présomption d'innocence, le dossier n'est toujours pas clos. Dans ce contexte, doit-il être au départ du Tour de France ? S'il n'avait rien à se reprocher, il plaiderait lui-même pour que l'on examine rapidement tous les prélèvements qui ont été réalisés sur lui. Aujourd'hui, Armstrong est une icône mondiale. Pourtant le public n'est pas dupe. On s'honorerait donc ici à privilégier la morale au droit. Il convient d'être courageux sur ce dossier, pour lever toutes les suspicions et éviter que tous les jours, les journaux ne dissertent sur une ou deux pages de ce sujet, au lieu de parler de sport.
Toutes les interrogations formulées ici reflètent clairement une difficulté originelle : la définition du dopage qui sous-tend la définition de l'interdit. Du fait de cette complexité initiale, les réponses ne sont pas évidentes.
Un premier constat : il faut faire très attention à ne pas mélanger dopage et addiction. Le dopage est aujourd'hui un « vaste fatras » et cela nuit énormément à la lutte contre le dopage. Un exemple souligné à juste titre par M. Bernard Debré : l'EPO et les stages en altitude. C'est un exemple caricatural, mais très parlant : l'EPO est interdit alors que les stages en altitude ne le sont pas – tout comme le passage en caisson hypobare d'ailleurs. Pourtant, toutes ces méthodes aboutissent au même résultat : la polyglobulie, considérée comme du dopage si elle provient de l'EPO, mais pas dans les deux derniers cas.
La lutte contre le dopage cherche à garantir l'équité entre les sportifs, mais elle se fourvoie : l'équité n'existe pas dans le sport. Il existe des différences de moyens entre sportifs – tel sportif aura les moyens financiers de faire un stage en altitude, tel autre ne les aura pas –, des différences physiques, etc. Le sport se débat aujourd'hui avec force contre le dopage mais l'application de ces principes en théorie simples me semble insensée. Le parallélisme avec la sécurité routière est intéressant : sur la route, si la norme est fixée à 90 kmh, il est simple de dire qu'on est en infraction à 91 kmh. La lutte contre le dopage est beaucoup plus complexe car les risques d'injustice sont énormes et les frontières difficiles à déterminer. Le cyclisme est très contrôlé, mais, pour autant, son blason est très loin d'être redoré.
On est aujourd'hui dans la course au déploiement des moyens alors que l'on n'a pas encore réfléchi à la racine du problème. Un des produits les plus dopants est, à mon sens, un anti-inflammatoire non stéroïdien qui n'est pourtant actuellement pas considéré comme dopant. Comme de nombreux rugbymen, j'en ai pris en grande quantité pour me soulager après chaque compétition. Je pense qu'une des causes du problème vient d'une vision bien trop hygiéniste du sport de haut niveau. Marcher vingt minutes par jour contribue à maintenir une bonne hygiène de vie, mais en aucun cas la pratique du sport de haut niveau ne peut être assimilée à cela : c'est avant tout une passion, mais une passion parfois lourde de conséquences pour le corps de ces sportifs, car un effort intensif, dans la durée, laisse des traces et les sportifs sont meurtris après ces années de sport professionnel.
Je vous remercie. Le débat, passionnant, n'est pas clos et la commission prolongera sa réflexion sur ce sujet par d'autres auditions.
La séance est levée à 12 heures 15.