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Intervention de Serge Simon

Réunion du 26 mai 2010 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Serge Simon, ancien joueur de rugby :

Je vous remercie, Madame la Présidente, de m'avoir invité, à nouveau, devant la Commission. Ceci prouve que je ne vous ai pas désespérée à l'occasion de la précédente audition à laquelle j'ai participé !

Aujourd'hui, je tiendrai un discours quelque peu à contre-courant de mes aînés. Mon point de départ est le suivant : pour être efficace, la lutte contre le dopage doit être juste et crédible. À cet égard, les argumentaires que nous venons d'entendre me surprennent. En particulier, M. Alain Calmat a employé des mots et des expressions durs, notamment sur la méthode, la menace de sanctions lourdes ou en qualifiant le dopage de problème de santé publique.

Or, à ma connaissance, aucune étude scientifique ne permet de démontrer que nous sommes, dans ce domaine, effectivement confrontés à un problème de santé publique. Oui, il y a eu des morts emblématiques, notamment dans le cyclisme : je pense à Tom Simpson et à Marco Pantani. Mais cela ne suffit pas à justifier un certain discours alarmiste sur le dopage, érigé en priorité de santé publique. À mes yeux, ce sont le tabac, l'alcool, la tuberculose, la sécurité routière qui relèvent bien de problématiques de santé publique.

Attention aux effets de ce discours ! Jouer sur la peur n'est pas une bonne stratégie, car le décalage entre un jeune sportif qui aura consommé du cannabis dans un contexte festif et le discours effrayant qu'on lui tient est tel que la lutte contre le dopage finit par être inopérante : en effet, les jeunes ne peuvent pas se sentir concernés par le discours ambiant.

De quoi et de qui parle-t-on au juste ? Qui va-t-on sanctionner et pourquoi ? On suspendrait, à vie, et annulerait les comptes bancaires de tout sportif qui aurait triché pour avoir fumé du cannabis ?

La réalité est bien plus complexe. Au quotidien, c'est souvent une consommation occasionnelle de cannabis que l'on constate. Ainsi, 30 à 40 % des contrôles positifs le sont au cannabis. Pourtant, c'est cette même réalité qui est confondue, dans l'opinion publique, avec l'affaire Ben Jonhson, un sportif qui a pris des produits dopants pour chevaux…

On voit bien qu'en la matière, le renforcement de la lutte contre le dopage doit aller de pair avec une sophistication croissante de son discours et de ses moyens, permettant de mettre à jour les réseaux qui sont au coeur du problème.

On a beaucoup parlé de Richard Gasquet qui avait consommé de la cocaïne. Je relève, là aussi, cette confusion que je dénonce. Qu'est-ce que la lutte contre le dopage ? Cela revient à lutter contre le comportement de certains sportifs qui prennent des produits interdits et dont il est prouvé que ceux-ci ont augmenté leurs performances. Or ceci n'a rien à voir avec l'affaire Gasquet. En effet, ce n'est pas en consommant de la cocaïne que l'on dope ses performances pour trois semaines d'affilée ! Si réaction du corps il y a, elle ne dure que quelques heures. En aucune manière, Richard Gasquet ne peut être comparé à Ben Johnson.

Quant au cannabis, on peut être contrôlé positif trois semaines après en avoir consommé. J'aurais pu être moi-même être mis en cause dix ou vingt fois dans ma vie sportive. Et tout le monde pourra vous dire qu'on ne peut augmenter ses performances en fumant un « joint »…

Le discours contre le dopage s'est en quelque sorte « emballé » et a atteint une puissance réellement perturbatrice. Il faut donc le recentrer, car, au final, c'est toute la politique de lutte contre le dopage mise en oeuvre qui risque d'être décrédibilisée. De surcroît, en tenant ce discours, on véhicule l'image du « tous pourris, tous drogués », la suspicion généralisée entraînant de redoutables effets pervers.

J'en viens à la géolocalisation. Cette méthode peut se comprendre dans le contexte particulier des Jeux olympiques, qui n'ont lieu que tous les quatre ans, et auxquels participent des sportifs qui ne concourent qu'à cette compétition. De même, les contrôles inopinés ont leur utilité s'agissant de ces rencontres.

Pour le reste, a-t-on vraiment mesuré les effets d'un recours systématique à cette méthode ? Je rappelle que les rugbymen sont faciles à « repérer » : ils ne prennent que quelques semaines de vacances et s'entraînent dur onze mois sur douze. Or la géolocalisation implique, concrètement, que chaque sportif remplisse une fiche de 90 cases correspondant à autant de jours, en indiquant ainsi, à chaque moment, où il se trouvera tel et tel jour. Je mets au défi les politiques d'indiquer 90 jours à l'avance leur agenda. Les sportifs, qui s'entraînent ici ou là et participent à de multiples compétitions, sont confrontés au même problème.

Ainsi que le soulignait un article publié dans le journal Libération, la géolocalisation s'apparente, de fait, à un contrôle judiciaire, que je croyais plutôt réservé aux délinquants… On en revient à la toute-puissance d'un discours qui, parfois, semble préconiser des mesures disproportionnées.

Lorsque j'avais réuni les joueurs de l'équipe de France en tant que président du Syndicat des joueurs de rugby pour aborder, entre autres, la question du dopage, les participants avaient tous fait part de leur souhait que le dopage ne « s'invite » pas dans ce sport. Je leur avais répondu que celui-ci ne tombait du ciel et qu'on ne se réveillait pas dopé un matin, une seringue plantée dans le postérieur…

Mais un tel discours de responsabilité ne peut pas être tenu dans le climat créé par le discours actuel sur le dopage. Celui-ci conduit à ce que les sportifs eux-mêmes se sentent exclus de l'enjeu qu'est la lutte contre ce phénomène et conforte, par conséquent, l'analyse selon laquelle « le dopage, c'est l'affaire des dirigeants ».

Quant à l'instrument principal de ce combat, le contrôle urinaire, il est moyenâgeux : on peut vous contrôler positif parce que vous avez consommé, en discothèque, de la cocaïne et vous blanchir dès lors que rien n'est détecté.

Il convient de revenir au fondamentaux : pour prouver qu'il y a eu un délit, l'intentionnalité de l'auteur du délit doit être prouvée. Beaucoup reste à faire puisque, on le sait, il n'y a ni respect du secret de l'instruction ni présomption d'innocence dès qu'une affaire éclate. Or quand celle-ci fait, via des circuits poreux, la « une » de L'Équipe, le nom du sportif est jeté en pâture pendant des semaines et des semaines. Ce fonctionnement médiatique, la nature des actes en cause n'étant évidemment pas comparable, n'est pas sans rappeler les affaires de pédophilie où le soupçon vaut accusation et condamnation.

En conclusion, il convient de recentrer les objectifs de la lutte contre le dopage et tenir, sur le sujet, un discours moins fantasmatique. Un système d'enquête à charge et à décharge doit être mis en place, permettant de mettre en lumière tous les chaînons d'un réseau. S'il faut combattre avec force les pratiques à la Ben Johnson, il faut, comme le soulignaient Alain Calmat et Cyrille Guimard, éviter d'entretenir le « tous pourris » qui conduit à tous les excès.

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