COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mardi 16 février 2010
La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.
(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend M. Philippe Blain, entraîneur de l'équipe de France de volley-ball, M. Alain Fabiani, ancien joueur de volley-ball, M. Andrej Golic, ancien joueur de handball, M. Jacques Monclar, entraîneur de basket-ball, et M. Serge Simon, ancien joueur de rugby sur la profession d'agent sportif.
Mes chers collègues, j'ai souhaité organiser cette table ronde en vue du prochain examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à encadrer la profession d'agent sportif. Je suis ravie que notre commission permette au sport de revenir sur le devant de la scène parlementaire et que nous puissions ainsi prendre le temps de parler d'un sujet d'importance puisqu'il concerne un grand nombre de disciplines et fait le lien entre le sport et l'argent – lien extrêmement sensible et parfois à l'origine de dérives regrettables.
Le constat est partagé que les fédérations sont parvenues à mieux encadrer l'accès à la profession d'agent sportif, mais que le contrôle de cette activité reste déficient. D'où la volonté unanime d'améliorer l'encadrement de la profession d'agent sportif, de définir les incompatibilités pour éviter les conflits d'intérêt, de prévoir des modalités d'intervention des agents étrangers et, surtout, d'instaurer des sanctions fortes contre l'exercice illégal de cette profession.
La proposition de loi apporte un certain nombre de réponses, et je me réjouis que nous puissions réfléchir ensemble aux évolutions souhaitables. En effet, de nombreuses questions se posent, de nature éthique et en termes financiers.
Nos échanges avec nos invités vont, je crois, nous permettre de mieux appréhender le vécu des sportifs sur ce sujet, sachant que le rapporteur de notre commission, Philippe Boënnec, a également mené un nombre très important d'auditions, ce dont je le remercie.
Je vous propose, pour notre première table ronde, d'accueillir des représentants du handball, du volley-ball, du basket-ball et du rugby. Dans une deuxième table ronde, nous échangerons avec les représentants du football, du tennis et du sport automobile.
Je souhaite donc la bienvenue à nos premiers invités que je remercie très sincèrement d'avoir répondu très rapidement à notre invitation : Philippe Blain entraîneur de l'équipe de France de volley-ball depuis 2001, après une carrière sportive accomplie – 340 sélections et un titre de meilleur joueur des Championnats du monde en 1986 ; Alain Fabiani, ancien joueur de volley-ball, considéré comme le meilleur passeur au monde, septuple vainqueur du Championnat de France ; Andrej Golic, ancien joueur de handball, élément décisif de la victoire des Bleus au Championnat du monde en 2001, désormais agent ; Jacques Monclar, ancien international, un des plus grands entraîneurs de basket-ball français, devenu sélectionneur de l'équipe de Côte-d'Ivoire en 2007, et dont la parfaite connaissance du milieu sportif nous sera très profitable ; enfin, Serge Simon, consultant média, ancien international de rugby, ancien président du Syndicat des joueurs de rugby, dont nous connaissons le franc-parler.
La semaine prochaine, notre rapporteur présentera la proposition de loi en Commission, et les députés pourront en débattre après l'audition de Mme la secrétaire d'État chargée des sports.
Je vous invite, messieurs, à vous exprimer sur ce que vous attendez de la proposition de loi. Ensuite, nos collègues parlementaires vous poseront des questions.
Je suis ravi que le sport fasse un retour dans le milieu politique.
Au départ, on attendait d'un agent sportif qu'il conseille les joueurs pour choisir le meilleur projet sportif – y compris les aspects relatifs à la rémunération et au lieu de vie. Puis le projet sportif est passé au second plan derrière l'aspect économique, ce qui est dommage.
Le marché français du volley-ball n'est sans doute pas suffisamment évolué pour que de nombreux agents y évoluent, contrairement à des pays comme l'Italie, la Pologne, la Russie, où les championnats expliquent que nombre d'agents interviennent, lesquels ont d'ailleurs tendance à être remplacés par une dizaine d'agents importants, mais, encore une fois, avec un projet sportif passant au second plan.
Pour autant, des règles trop draconiennes sur le territoire français qui ne seraient pas applicables au reste de l'Europe ou du monde poseraient des problèmes pour faire venir des joueurs en France, alors que les paramètres économiques de notre championnat sont déjà quelque peu inférieurs aux autres.
La solution la plus adéquate serait que l'agent ne soit pas payé par le club, mais par le joueur. Resterait un problème d'ordre fiscal pour ce dernier, puisqu'une TVA de 20 % s'appliquerait alors, renchérissant d'autant ses coûts.
En offrant un cadre à la profession d'agent sportif, la proposition de loi est très intéressante.
Cependant, si, dans le monde du volley-ball, des présidents et entraîneurs de clubs font appel à des agents non référencés au niveau de la fédération française, ce n'est pas pour détourner la loi, mais tout simplement parce qu'ils ont toujours fonctionné ainsi : de nombreux entraîneurs de clubs français sont étrangers, et conservent l'habitude de travailler avec des agents étrangers.
Il sera indispensable que chaque fédération prévoie, en début de saison, une formation en direction des présidents de club, afin de leur faire savoir que certaines déviances sont aujourd'hui réprimées. Cela serait aussi très profitable aux agents qui ont fait l'effort de passer l'examen en France auprès de leur fédération de référence, et éviterait de gros problèmes.
Pour avoir été joueur pendant de très longues années et passé ma licence d'agent voilà trois ans en France, j'ai l'expérience des deux mondes. L'écriture de mon mémoire sur les agents dans les sports collectifs m'a ainsi permis de découvrir d'immenses lacunes, surtout dans le hand-ball.
La France est le seul pays où la profession d'agent est réglementée, hormis l'Allemagne où la licence est accordée après une entrevue – et non un examen. Le problème se situe donc surtout en dehors de nos frontières, même si tout n'est pas parfait en France. Une harmonisation est donc primordiale si l'on veut que les choses avancent. Or, ni la fédération internationale ni la fédération européenne ne veulent se saisir du problème.
La proposition de loi comporte de nombreuses dispositions intéressantes, surtout celle relative au paiement de l'agent par le club. En effet, partout en Europe, c'est le club qui rémunère l'agent, et non le joueur. Mais, encore une fois, si les autres n'avancent pas en même temps que nous, cela ne servira à rien.
Contrairement à Philippe Blain, je ne pense pas que les agents doivent être payés par les joueurs – dont les salaires devraient alors être augmentés de 20 % pour prendre en compte la TVA qu'ils auraient eux-mêmes à verser. Je préconise plutôt, pour éviter que les clubs aient affaire à trois, quatre voire cinq agents pour un même joueur, une contractualisation entre un agent et un joueur. Pourquoi ne pas créer à cet effet une commission d'éthique pour les dirigeants et les agents, afin de lutter contre les dérives malhonnêtes qui existent non pas dans les « petits sports » comme les nôtres, mais dans le football avec les rétrocessions de commissions sur les transferts ?
La profession d'agent est indispensable car les joueurs de haut niveau sont souvent immatures et éblouis, tout comme leur entourage, par l'argent. Dans ce cadre, l'absence de formation des dirigeants constitue une grande faiblesse dont savent profiter les agents. Aussi, comme l'a souligné Alain Fabiani, cette formation doit être mise en place.
Dans le basket, certaines licences ont été pratiquement données. Dorénavant, il y a un examen assez difficile, voire incompréhensible, mais sans remise à niveau des agents en place. Or si des difficultés existent c'est bien parce qu'il y a des problèmes avec les anciens agents !
Quant à instaurer des licences par sport, ce serait inepte car on ne demande pas à un agent une connaissance technique. En France, des capacités et des masters en droit peuvent préparer à la licence d'agent, sans qu'il y ait besoin de séparer les sports. En tout cas, pour avoir été à l'origine de la création du syndicat national du basket en 1988, je peux attester que la profession d'agent se révèle nécessaire face à la multiplicité des dirigeants et aux problèmes financiers de toutes sortes rencontrés par les joueurs.
Enfin, l'harmonisation européenne est indispensable. Il faut savoir que si un agent polonais, par exemple, demande une équivalence, il l'obtiendra. Pire, il peut demander à un agent français d'être son relais, sans que celui-ci connaisse quoi que ce soit à la situation qu'il aura à gérer.
En conclusion, ne rendons pas les choses trop difficiles en France, alors même que les clubs ont déjà du mal à exister au niveau européen.
J'ai une vision très noire de la profession d'agent.
Lorsqu'il y a une dizaine d'années j'ai été le créateur du syndicat des joueurs professionnels de rugby, à une époque où le rugby professionnel se structurait avec l'apparition de la Ligue, le football, dans cette aventure exaltante, nous a servis à la fois d'exemple et de repoussoir.
Les agents sont arrivés très vite dans le rugby, même si les flux financiers étaient moins importants qu'ailleurs, et très vite, on s'est demandé comment s'en débarrasser ! En effet, il n'y a pas d'agents honnêtes, ou en tout cas ils ne sont pas majoritaires. Ils sont dans un système où il y a beaucoup d'argent, et en cherchant eux-mêmes à multiplier les transactions, car chaque changement de club pour un joueur est synonyme pour eux de commission, ils ont fini par être des agents de dérégulation. Beaucoup de choses pourraient être racontées sur les montages et l'ingéniosité des agents en la matière ! Pour être médecin, je dirais même qu'ils nous ont conduits à rechercher comment nous immuniser contre eux !
Jacques Monclar a cependant raison : il y a un besoin d'agents. Si ces derniers se sont installés avec force dans le football, puis dans le rugby et tous les sports, c'est parce que les sportifs, outre qu'ils sont avides, n'ont ni le temps ni le savoir pour gérer des millions d'euros. Aussi préfèrent-ils que quelqu'un s'en occupe à leur place.
Mais si j'ai mis du temps à comprendre qu'il était illusoire de vouloir lutter contre l'existence des agents, peut-être serait-il intéressant de proposer un service interne propre à chaque discipline, qui réponde à une partie de la demande, à savoir le placement. Cette structure internalisée, que je n'ai pas réussi à instaurer, pourrait s'occuper du joueur, en lui donnant des conseils. Mon successeur a d'ailleurs mis en place cette année une expérience pilote concernant les moins de dix-neuf ans : une cellule de placement propre au Syndicat propose une alternative gratuite, neutre pour conseiller les joueurs à propos du renouvellement de leur contrat et de la recherche d'autres clubs. Car un des grands pouvoirs des agents, c'est la captation de l'information – les joueurs sont obligés de les écouter – outre le fait qu'ils sont également en quelque sorte les DRH des clubs – ce qu'entérine la loi puisque ce sont les clubs qui les paient. Dans ce système, l'intérêt des joueurs n'existe pas.
Le rugby professionnel va ainsi s'occuper de trente joueurs de moins de dix-neuf ans cette année, puis de soixante l'année prochaine et de cent dans trois ans. Dans le monde du rugby, les agents représentent un coût global de 5,5 millions d'euros pour les clubs. Même s'il s'agit d'une petite somme par rapport à d'autres sports, le législateur ne pourrait-il pas plutôt offrir une alternative aux jeunes en imposant la mise en place dans les sports professionnels d'une offre de services gratuite, neutre et répondant à l'intérêt des joueurs ?
On ne peut plus combattre les agents car le pli est pris, mais une autre réponse institutionnelle peut être apportée. Le football américain l'a fait, conscient que ces agents de dérégulation mettaient en danger l'ensemble de la structure professionnelle alors que celle-ci a besoin de stabilisation.
S'agissant de la proposition de loi, la disposition relative à la rémunération des agents par les clubs légalise simplement la pratique – condamnée à l'époque par le Syndicat, mais malheureusement incontournable. Qu'elle soit encadrée et s'exerce dans la plus grande transparence possible est en tout cas une bonne chose. Enfin, la protection des mineurs est également primordiale.
La proposition de loi a été déposée en 2008 au Sénat, à la demande du Comité national olympique, des fédérations et des ligues pour répondre aux préoccupations en matière d'éthique et de moralisation. La protection des jeunes de moins de seize ans en est un volet important, car les agents n'ont pas à se rémunérer sur leur dos. Le texte propose en outre que la licence soit attribuée par les fédérations. Personnellement, je ne trouve pas inintéressant que l'État ne fasse pas tout.
La proposition de loi, pour sa part, plafonne la rémunération de l'agent sportif à 10 % de l'intérêt financier du contrat négocié pour son mandant, le joueur professionnel. C'est une bonne chose car aujourd'hui un agent peut très bien percevoir des rémunérations à chaque transfert successif du joueur, même si ce dernier n'est jamais entré sur un terrain !
Plus généralement, que pensez-vous, messieurs, s'agissant des incompatibilités, de l'impossibilité pour un membre de fédération, un dirigeant de club professionnel, un avocat, d'être agent sportif ?
Le texte propose par ailleurs que tout manquement à la loi soit dorénavant sévèrement sanctionné et que l'agent soit rémunéré directement par le club, avec l'accord du joueur. Qu'en pensez-vous, sachant, comme l'ont montré les auditions, qu'il s'agit là de la pratique actuelle ?
Concernant enfin l'absence d'harmonisation européenne, préférez-vous l'application du principe de subsidiarité ou l'application d'une directive européenne ?
Il est assez étonnant que ce texte, censé moraliser la profession d'agent, divise encore autant, y compris dans le milieu du football professionnel : les syndicats de joueurs ne sont pas favorables à la rémunération de l'agent par le club et les positions au sein de l'UEFA sont elles-mêmes très variées. La question centrale est de savoir qui paie. Au passage, cela permettra de savoir qui est exonéré en matière fiscale et d'Urssaf – nouvelle niche fiscale !
S'agissant de l'incompatibilité avec la profession d'avocat, le contexte a changé entre le texte de juin 2008 et l'actuel avec l'adoption d'une position très claire par le Conseil de l'Ordre des avocats du Barreau de Paris qui a modifié son règlement intérieur pour rappeler que l'avocat peut être agent sportif et qui a fait passer le nombre des spécialisations de six à trente, y compris celle en matière de droit du sport. Selon Philippe Blain, il faut aider les joueurs en matière de déontologie, de connaissances financières et juridiques. Or celui qui est le plus apte de par sa profession reste l'avocat. Le cumul des fonctions n'est donc absolument pas incompatible et est même recommandé dans certaines fédérations internationales, notamment la boxe.
Concernant l'harmonisation européenne, une étude d'impact, depuis le passage du texte au Sénat, a été effectuée de mars à octobre 2009 par la Commission européenne pour fournir un aperçu clair des activités des agents sportifs dans l'UE et pour évaluer si une action au niveau de l'UE serait nécessaire. Que pensez-vous, messieurs, de l'obligation de rendre publique, en début de saison, la liste des agents de chacune des fédérations, et de l'obligation pour tous les agents mais aussi les dirigeants de club de se soumettre à la circulaire TRACFIN ?
Le principal problème dénoncé par les uns et les autres en matière de dérives – pour ne pas parler de blanchiment et de corruption – est celui des transferts, lesquels concernent plutôt le milieu du football. Or ce point n'est absolument pas traité par la proposition de loi qui, non seulement traite un vingtième seulement des préconisations du rapport de 2007 de Dominique Juillot, mais va à l'encontre de la principale condition qui y est présentée comme pouvant moraliser la profession : le paiement de l'agent par le joueur.
Il est d'ailleurs dommage que nous soyons conduits à examiner le texte juste avant la suspension de nos travaux pour cause d'élections régionales. Je n'approuve pas cette façon de travailler.
Madame Fourneyron, non seulement le texte ne sera examiné en séance publique qu'après les régionales, le 23 mars, mais notre travail s'organise selon moi au mieux. Outre que nous prenons la peine d'organiser des tables rondes pour permettre à des spécialistes de nous faire part de leur sentiment, vous disposez d'une semaine pour préparer vos amendements sachant que le texte sera examiné en Commission la semaine prochaine.
En ma qualité de président du Syndicat des joueurs professionnels de rugby, j'étais foncièrement opposé à la rémunération des agents sportifs par les clubs, mais j'ai abdiqué. Lutter pour le paiement de l'agent par le joueur – socle d'une certaine vertu – est peine perdue : même si vous arrivez à l'imposer par la loi, des montages comptables très simples, mais impliquant une inflation salariale, permettront toujours au club de payer indirectement l'agent. C'est une réalité de terrain incontournable : le joueur ne paiera jamais. On n'y est même pas arrivé dans notre milieu à l'époque où les choses n'étaient pas figées.
Concernant la moralisation, on oublie des personnages très importants : les présidents de club. Sans eux, les agents n'existent pas. Dans le rugby, les quatorze dirigeants institutionnels pourraient très bien se mettre autour d'une table…
…et s'entendre pour arrêter de jeter 5,5 millions d'euros par les fenêtres et pour inventer des dispositifs différents.
Moraliser les agents, non. Éduquer les joueurs à la gestion à l'âge de dix-huit – vingt ans, non. Mais réfléchir à une éducation ou une obligation pour cette dizaine de personnes – comme dans le football – qui gère tout et fait vivre ce système, de réfléchir à un système alternatif, certainement.
Jacques Monclar. Il ne faut pas tomber dans la caricature.
Que ce soit le joueur ou le club qui paie l'agent, le volume financier sera le même. Le problème est plutôt celui de la représentativité des joueurs et de la fiabilité des contrats entre joueurs et agents pour éviter les agents multiples. C'est le cas dans tous les sports et il faut y mettre un terme : le jeune footballeur Mohammed Lamine Sissoko n'a-t-il pas fini par être représenté par trois agents ?
Quant à croire à l'éducation des présidents, c'est oublier qu'ils veulent tous les mêmes joueurs. On peut regretter que les agents fassent de l'argent, mais je ne connais pas beaucoup de gens qui exercent un métier dans un but caritatif ! En tout cas, il y a des agents honnêtes – encore que les sports particulièrement opaques financièrement ne vont pas, une fois devenus professionnels, se transformer du jour au lendemain.
En outre, je crois à une profession d'agent sportif non pas spécifique à chaque sport, mais globale. Les licences d'agents d'artistes sont-elles différentes pour les comédiens, les chanteurs, les musiciens ? Quant à la circulaire TRACFIN, comment croire à sa réelle application dans ce milieu ?
Il faut être très vigilant s'agissant des moins de seize ans. S'il faut éduquer aussi les parents, ces gamins ne tombent cependant pas du ciel : ils sortent de centres de formation. De même, faisons attention lorsque nous faisons venir de jeunes joueurs étrangers, notamment africains. Par notre expérience du terrain, nous connaissons les dérives – passeports falsifiés, conditions de vie difficiles…
Soit on considère que tout le monde est malhonnête, soit on essaie de faire autrement. C'est mon cas, je crois, comme celui de cet immense joueur suédois, Stefan Lovgren, qui a commencé à faire le métier d'agent voilà trois mois. À mon avis, il est possible, comme dans toutes les professions, d'exercer le métier d'agent honnêtement.
Quant à publier la liste des agents, c'est déjà le cas sur les sites Internet des fédérations.
Selon la proposition de loi, un agent aura dû arrêter son métier depuis un an avant d'occuper un poste dans un club ou une fédération. Autrement dit, si un club de handball me propose un poste de directeur sportif, il me faudrait arrêter mon métier d'agent sportif pendant un an : on me pousserait à ne jamais m'arrêter qu'on ne s'y prendrait pas autrement ! Pourtant, je n'ai pas envie de faire ce métier d'agent pendant trente ans. Cette disposition est donc problématique.
Pour avoir un master professionnel en management des organisations sportives, je n'en estime pas moins que chaque agent devrait être entouré d'un avocat voire d'un conseiller financier pour être en mesure d'apporter des conseils au joueur.
Comme l'a dit Jacques Monclar, nous travaillons tous pour être rémunérés, mais, je le répète, je suis persuadé que cette profession peut être exercée d'une façon morale.
Quand j'ai commencé à jouer en première division à quinze ans, je ne savais pas grand-chose. Je me réjouis donc que la proposition de loi protège les mineurs, et je serais même favorable à des sanctions plus fortes, par exemple en cas de violation de l'interdiction de percevoir une rémunération lors de la signature d'un contrat par un mineur
Je ne suis pas entièrement d'accord avec Jacques Monclar concernant les agents multisports. L'examen d'agent sportif se compose de deux parties : un tronc commun pour toutes les fédérations et tous les sports, et une partie spécifique pour chaque fédération.
Le rôle d'agent consiste en une analyse très fine à la fois de la meilleure proposition sportive et de la meilleure proposition financière. Le fait d'avoir une connaissance de sa fédération et du sport en question est à cet égard un atout.
Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi un avocat n'aurait pas le droit d'être agent à partir du moment où il passe la licence d'agent.
Enfin, la proposition de loi légalise la pratique de la rémunération des agents par les clubs. Dans le monde du volley, la grande majorité des présidents de club qui rémunérait les agents pensaient le faire en toute légalité, et leurs factures apparaissaient d'ailleurs dans les comptes des clubs. C'est pourquoi j'ai souligné en introduction l'importance de l'information des présidents.
La solution serait effectivement que les agents soient payés par les personnes qui les emploient. Néanmoins, c'est un voeu pieux car cela est ingérable économiquement : non seulement les joueurs ne sont pas des travailleurs indépendants et n'ont aucune connaissance en gestion, mais cela coûterait trop cher aux clubs et aux joueurs puisque la TVA serait à chaque fois répercutée.
Pour terminer, faisons attention à ne pas mélanger deux réalités. Nos sports restent du sport, avec un vrai projet sportif, alors que le football est aussi du business.
Une réglementation faite pour le football peut en effet être très difficile à assumer par les autres sports.
Rien ne concerne nos sports dans la proposition de loi qui vise surtout le football.
Selon moi, le législateur pourrait imposer aux institutions professionnelles, ligues ou syndicats, d'avoir non seulement un rôle de placement, mais aussi un rôle de conseil juridique, fiscal et financier qu'assument parfois les agents, car il y a un vrai besoin des joueurs dans ces domaines. Pourquoi pas ne pas envisager une réponse neutre, officielle qui aurait une efficacité auprès de la jeune génération ? L'institution sportive devrait offrir à l'athlète un accompagnement complet en matière de compétition mais aussi de reconversion. Ainsi, les lois de l'offre et de la demande pourraient amender, sans la tuer, la profession d'agent, car de nombreux joueurs seraient intéressés par une offre honnête et gratuite.
Il est dommage que des représentants du football n'aient pas été conviés à cette première table ronde. Cela aurait permis de confronter les points de vue et de souligner la spécificité du football, un sport davantage guidé par le business, où le mercato – qui semble avoir pour unique objectif de faire gagner de l'argent aux agents et aux joueurs – est central.
Avec la loi de 2000, les présidents de fédération avaient en quelque sorte la possibilité de gérer les agents. Ils n'en ont que très rarement usé. Pourquoi le feraient-ils aujourd'hui ? Par ailleurs, une réglementation européenne est nécessaire ; prenons garde à ne pas défavoriser nos clubs et nos équipes en cherchant à être plus blanc que blanc au seul niveau national. Enfin, je me réjouis que la loi prévoie des dispositions concernant les agents étrangers – qui représentent 40 % des agents exerçant en France dans le domaine du football. Je suis heureux que ce texte vienne réguler une profession qui, chaque jour, gagne du terrain : même les jeunes joueuses de handball bisontines ont un agent !
L'idéal serait de disposer d'un texte européen. Le traité de Lisbonne promeut l'équité des compétitions sportives, ce qui devrait impliquer d'édicter des règles de fair-play financier et de favoriser les pays qui possèdent des centres de formation. S'agissant des agents sportifs, nous sommes malheureusement encore loin d'une réglementation communautaire. Commençons donc par légiférer en France, en tentant d'éviter les effets négatifs d'une loi trop restrictive.
Je souhaiterais qu'Andrej Golic, qui suit des joueurs en Allemagne, en Croatie et en France, nous explique en quoi consiste son métier. L'activité de « conseil sportif » semble être passée au second plan chez les agents. Qu'en pense-t-il ? Enfin, que prévoit la proposition de loi s'agissant des agents exerçant dans les sports individuels ?
Les pratiques varient beaucoup d'un sport à l'autre. La ligue professionnelle de handball a remarquablement progressé depuis vingt ans, mais est encore loin derrière le championnat allemand. Pour ma part, je n'ai jamais eu d'agent. Une vision globale du hand a pu me manquer pour orienter ma carrière, mais il me semblait alors que l'activité de 90 % des agents se limitait à faire changer de club leurs joueurs chaque année.
L'agent doit être un intermédiaire, mais il doit surtout écouter le joueur et tenir compte de son intérêt pour décider ou non d'un changement de club. C'est à cette seule condition qu'il peut durer dans la profession et être reconnu par les différents acteurs sportifs. Mon rôle consiste aussi à aiguiller les joueurs vers des équipementiers, des avocats, voire à organiser leur rééducation ou leurs interventions chirurgicales dans d'autres pays que celui où ils évoluent.
Ce texte, qui ne s'appliquera qu'en France, risque de défavoriser nos clubs dans la compétition internationale. Les agents étrangers hésiteront à passer par un autre agent pour contracter avec un club français. Ils préféreront éviter ce surcoût en proposant directement leur joueur à un club étranger.
Prenons garde à une autre conséquence négative que pourrait avoir ce texte sur les sports individuels, notamment l'athlétisme : bien des agents s'efforcent d'inscrire leurs athlètes dans des meetings tout en étant eux-mêmes des organisateurs de manifestations sportives. Or, la proposition de loi vise à rendre incompatibles ces deux activités.
Même si l'idée de Serge Simon est intéressante, elle est utopique : il ne faut pas oublier que le sport professionnel est un métier, et qu'à ce titre le droit du travail s'applique. Le texte confère aux fédérations et aux ligues un rôle important en matière d'éthique, de formation, de contrôle et de sanction. C'est à elles qu'il revient de mettre un peu d'ordre dans ce domaine. Il leur faut aussi mieux protéger leurs joueurs de niveau national, davantage confrontés aux dérives de la profession d'agent sportif que les joueurs de haut niveau.
Les auditions que j'ai menées ont fait apparaître que les joueurs ne recrutaient pas leur agent, mais que c'étaient plutôt les clubs qui demandaient à leurs propres agents de prospecter. Le texte prévoit donc la possibilité, pour les clubs, de rémunérer les agents, mais avec « l'accord des parties », c'est-à-dire des joueurs.
D'autres points méritent une réflexion plus approfondie, notamment celui concernant l'incompatibilité entre l'exercice de la profession d'agent et celle d'avocat. S'agissant de la forte représentation des étrangers parmi les agents, il faut se réjouir que ce texte prévoie une régulation et une protection, même imparfaites. En définitive, la vraie question consiste à savoir si le transfert est inclus ou non dans le contrat qui donne lieu à la rémunération de l'agent.
Certains clubs continuent de verser d'un coup la totalité de sa commission à l'agent d'un joueur qui a signé pour trois ans. Cette pratique aberrante favorise les mouvements incessants de joueurs qu'a justement dénoncés Serge Simon. Quant au mercato, son but est certes de faire de l'argent, mais aussi de permettre aux clubs de changer leurs équipes pour gagner et à certains joueurs de revenir sur le terrain.
La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend ensuite M. Bruno Bellone, ancien joueur de football, M. Frédéric Besnier, directeur de l'Association nationale des ligues sportives professionnelles, M. Nicolas Lamperin, agent de joueurs (tennis), Lagardère, M. Christian Lopez, ancien joueur de football, M. Philippe Piat, président de l'Union nationale des footballeurs professionnels, M. Bruno Satin, agent de joueurs (football), IMG World, et M. Philippe Streiff, ancien pilote de Formule 1, sur la profession d'agent sportif.
Je vous remercie, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Nous avons voulu organiser cette table ronde afin de nous imprégner des réalités, différentes selon les disciplines, de la profession d'agent sportif. La proposition de loi qui nous vient du Sénat sera examinée en commission la semaine prochaine, après que nous aurons auditionné Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Le texte sera examiné en séance publique le 23 mars.
Monsieur Piat, vous êtes une personnalité éminente du monde du football. Quelles sont vos attentes concernant cette proposition de loi et quelles remarques souhaitez-vous formuler ?
Je ne suis pas favorable à cette proposition de loi. Un tel texte devrait viser à supprimer le conflit d'intérêts permanent qui existe dans le football entre les joueurs et les agents, lorsque ceux-ci sont rémunérés par les clubs. Comme la loi le prévoit actuellement, il revient au mandant – le joueur – de payer son mandataire. Si cette règle était respectée, les commissions des agents seraient ramenées à de plus justes proportions. Cela aurait par ailleurs pour effet de réduire la pression fiscale qui pèse sur les joueurs, puisque ceux-ci ont la possibilité d'inclure dans leurs frais réels la rémunération de leur agent.
Je ne vois pas en quoi les nouvelles dispositions prévues par cette proposition de loi permettront de supprimer les sur-commissions et les rétro-commissions. Ces pratiques, qui ont donné lieu aux procédures judiciaires que l'on sait, se sont développées alors que les clubs avaient déjà pris l'habitude de rémunérer – en toute illégalité – les agents.
Les agents n'existaient pas lorsque j'étais footballeur professionnel, entre 1972 et 1986. J'ai appris seul à placer mon argent et c'est un ami qui m'a aidé à organiser mon transfert de Saint-Étienne à Toulouse. Il est vrai qu'un agent aurait utilement pu me conseiller, car certaines questions ne sont pas de la compétence d'un sportif de haut niveau.
S'agissant de la rétribution des agents, je suis d'accord avec Philippe Piat : ce sont les joueurs qui doivent l'assumer, et non les clubs. Par ailleurs, il est important que ce texte permette d'édifier des barrières afin de protéger les jeunes joueurs. Responsable d'un club de division d'honneur – le Cannet-Rocheville –, je suis choqué de voir des agents tourner autour de gamins de treize ans, avant même qu'ils n'intègrent un centre de formation.
Je suis entré à l'âge de quatorze ans au club de Monaco ; il n'y avait pas de centre de formation et nous étions logés chez l'habitant. Sur les conseils de mon père, j'ai confié mon argent à l'un de ses amis, un promoteur immobilier. Sa gestion malhonnête et le krach financier de 1989 m'ont ruiné, et je suis devenu un has been, criblé de dettes. C'est en acceptant de participer à des émissions de télévision que j'ai pu refaire surface.
Je pense que les joueurs d'aujourd'hui ont besoin de s'entourer de personnes compétentes, d'autant qu'ils gagnent beaucoup plus : un professionnel perçoit en un an l'équivalent de mes revenus sur quinze ans !
J'ai débuté dans la profession d'agent sportif au moment où Christian Lopez et Bruno Bellone achevaient leur carrière. Animé par la passion, j'ai d'abord exercé de façon indépendante. J'ai ensuite rejoint le groupe IMG, qui représente notamment Roger Federer, Rafael Nadal et Tiger Woods. Je suis aujourd'hui le directeur mondial de la division football.
En matière législative, la France est en avance sur les autres pays. La loi de 2000 nous protège déjà d'un certain nombre de dérives. Cette proposition de loi va dans le sens que nous souhaitons, car elle apporte davantage de clarté, de transparence et d'encadrement.
La question de la protection des mineurs est complexe. Il est interdit d'être rémunéré pour le travail des mineurs, mais dans le modeling, des commissions peuvent être touchées sur les mannequins âgés de plus de seize ans. Peut-être faudrait-il adapter la loi aux réalités ? Certains jeunes, dans des centres de formation, peuvent percevoir des primes de signature atteignant 300 000 euros. Il est important qu'ils puissent bénéficier de conseils pour gérer de telles sommes, en s'entourant d'un agent sportif et parfois d'un avocat. Il convient aussi de les protéger des intermédiaires occultes, surgis de nulle part.
Àcet égard, le texte permet de combattre les « faux agents », qui ne sont ni licenciés ni employés comme préposés dans une société, une notion à laquelle le groupe IMG est très attaché.
Cette proposition de loi va dans le bon sens, même si, dans le cas spécifique du tennis, elle pose des problèmes en termes de compétitivité. Lorsque des joueurs français ont un rayonnement international, nous nous retrouvons face à des agents étrangers qui ne subissent pas les mêmes contraintes législatives que nous. Nous ne pouvons pas, par exemple, commissionner un mineur, ce qui implique une plus grande prise de risque lorsque nous choisissons d'investir dans la formation, en structure privée, d'un jeune joueur. Par ailleurs, la proposition de loi vise à étendre au droit à l'image l'interdiction de commissionner sur les placements de mineurs dans les tournois. Ces dispositions risquent de nous limiter encore dans nos activités et d'inciter nos jeunes talents à quitter le territoire français.
L'association nationale des ligues sportives professionnelles suit avec grand intérêt ce texte depuis son examen au Sénat et a participé au groupe de travail mis en place par le Comité national olympique et sportif français.
La professionnalisation aidant, les agents sportifs sont désormais nombreux dans les sports que nous regroupons – basket, football, rugby et, dans une moindre mesure volley et handball. Les agents sont des interfaces nécessaires, pourvoyeurs d'informations aussi bien auprès des clubs que des joueurs. Mais ce métier doit être mieux régulé et davantage contrôlé, afin que son image ne soit plus polluée par ceux qui n'ont d'agent que le nom.
Même si elle gagnerait à être améliorée, cette proposition de loi va dans le bon sens : elle définit mieux l'accès au métier d'agent – interdiction de la délivrance des licences aux personnes morales, encadrement des agents communautaires et extra-communautaires – et comporte un certain nombre d'avancées concernant l'exercice de la profession et son contrôle – les mandats seront désormais répertoriés auprès des fédérations.
S'agissant de la possibilité pour les clubs de rémunérer les agents, elle est encadrée et assortie de procédures permettant une plus grande transparence. Il convient de noter que cette capacité existe pour d'autres professions, comme celle d'agent immobilier, celui-ci étant rémunéré par l'acheteur alors que le mandant est le vendeur.
Enfin, ce texte organise le contrôle de l'activité d'agent et prévoit une aggravation des sanctions, en soulignant la nécessaire coopération entre les ligues – qui homologuent les contrats des joueurs – et les fédérations – qui délivrent les licences des agents.
Je n'ai pas non plus connu d'agent durant ma carrière – à l'époque, seuls Alain Prost et Ayrton Senna en avaient un. Il était difficile d'exceller dans nos disciplines tout en gérant notre argent. La formule 1 est un sport qui nécessite, indépendamment du talent, de très grands moyens financiers. J'ai eu avec Patrick Tambay, présent dans la salle, la chance de bénéficier du soutien d'Elf, qui était le sponsor du sport automobile français jusqu'à son rachat par Total.
Comme Nicolas Lamperin l'a souligné, les sportifs débutent très jeunes leur carrière ; ils ont besoin d'un agent qui puisse les aider à financer leur structure de formation puis à entrer dans le circuit.
Cette proposition de loi répond à une demande formulée par le CNOSF, les fédérations et les ligues sportives. Son objectif principal est de renforcer l'éthique en conférant aux fédérations et aux ligues sportives la responsabilité de délivrer les licences, d'organiser les examens et de sanctionner les mauvaises pratiques. L'État leur délègue ce rôle de régulateur, faisant d'elles les garantes morales de l'exercice de la profession d'agent sportif. Que pensent nos invités de cette « autogestion » par le monde sportif ? Est-elle compatible avec l'idée que, dans le sport professionnel, le droit du travail doit s'appliquer ?
Par ailleurs, la proposition de loi interdit aux personnes morales d'être agent, fixe un plafond aux rémunérations – 10 % du montant de la transaction, transfert compris – et ajoute un certain nombre d'incompatibilités, celle concernant la profession d'avocat posant encore question. Comment nos invités accueillent-ils ces évolutions ?
Enfin, Philippe Piat a montré que la rémunération des agents par les clubs pouvait poser problème. Il convient cependant de noter que, d'une part, les clubs ont déjà leurs agents, et que, d'autre part, cette disposition prévoit l'accord des parties, c'est-à-dire celui des joueurs.
Les joueurs seront toujours d'accord pour que leur club paye !
Cette proposition de loi a été déposée en juin 2008 pour moraliser la situation et Philippe Piat a sans doute raison de considérer que l'on est assez loin de cet objectif initial.
Dans quel contexte nous situons-nous ? Il y a au total, dans l'Union européenne, 6 000 agents, officiels et non officiels, ce qui est considérable. Le paiement par le club signifie au mieux le versement aux footballeurs d'un complément de rémunération net d'impôt, au pire, comme le soulignait Michel Platini, la porte ouverte à toutes les combines offshores. Il apparaît donc que le paiement par le joueur, qui est au coeur du débat, serait bien préférable à une situation dans laquelle le joueur apprend par la presse combien l'agent a touché.
Par rapport aux sports qui ont fait l'objet de la première table ronde, l'une des spécificités du football est qu'il est absolument nécessaire d'y moraliser les transferts. Il est vrai que la situation de la France, où nous nous efforçons d'encadrer le plus possible les choses, est très différente de celle des autres pays, surtout en dehors de l'Union européenne. Tout en sachant que certaines disciplines individuelles pourraient être pénalisées, comme l'a souligné Nicolas Lamperin, j'aimerais savoir comment vous réagissez les uns et les autres à l'idée que l'on soumette les agents et les dirigeants de clubs à la circulaire TRACFIN.
Par ailleurs, les fédérations n'étant manifestement pas parvenues à exercer un contrôle efficace des agents, on fait maintenant intervenir également les ligues. Mais on ne saurait oublier qu'elles sont dirigées par des représentants des sociétés qui gèrent les clubs et qui rémunèrent les agents. Il y a donc là à nouveau conflit d'intérêts.
Pensez-vous qu'il faudrait interdire l'intervention des agents en deçà d'un certain niveau de compétition – par exemple CFA2 – et l'autoriser au-delà ? Devrait-on faire de même à partir du niveau du joueur – par exemple aspirant ou stagiaire ?
Jacques Monclar disait tout à l'heure que, lorsque le contrat court sur plusieurs années, il ne faut surtout pas verser immédiatement sa commission à l'agent car il aura alors tout intérêt à pousser le joueur à quitter plus rapidement le club. Toutefois, aux termes de la loi de modernisation de l'économie, tout paiement doit intervenir dans un délai de 45 jours.
Enfin, notre rapporteur vient d'insister à juste titre sur la question de l'avocat : on a bien senti dans vos interventions à quel point le sportif qui se retrouve seul face à certaines situations peut avoir besoin d'un interlocuteur présentant un certain nombre de compétences.
Je voudrais poser à mon tour trois questions.
Pourriez-vous me dire, monsieur Lamperin, qui paie les commissions d'agents dans le tennis ?
Je ne conteste nullement la nécessité de mieux réglementer la profession d'agent. Mais selon vous, monsieur Satin, si la loi est adoptée en l'état et si l'on permet au club de payer l'agent du joueur, qu'est-ce qui empêchera que perdurent les pratiques délictueuses des sur-commissions et des rétro-commissions ?
Enfin, dans la mesure où la valeur des joueurs peut varier considérablement et où il est fréquent qu'un transfert s'opère avec l'étranger, comment sera-t-il possible, monsieur Boënnec, de vérifier que la rémunération du joueur et le montant du transfert sont véritablement distincts et qu'il n'y a aucune commission occulte ?
D'habitude, monsieur Piat, ce sont les députés qui posent les questions et les personnes auditionnées qui y répondent.
Si Philippe Piat défend toujours avec brio la position de son syndicat, il exprime ici un avis tout personnel.
Si nous débattons aujourd'hui, c'est tout simplement parce que le système ne fonctionne pas, les footballeurs étant totalement rétifs à l'idée de payer eux-mêmes leur agent, nous l'avons vérifié auprès de ceux que nous représentons.
Ils ne le font pas ! Pour eux, il y a donc pas de problème. Vous pourriez aussi leur demander s'ils seraient favorables au fait de ne pas payer eux-mêmes leurs impôts.
Vous ne pouvez nier qu'il y a un blocage.
Nous sommes réunis pour tenter de faire progresser les choses. Certes, on n'empêchera jamais ceux qui veulent tricher de trouver un biais pour le faire, mais il me semble hors de propos de mettre sans cesse en avant les rétro-commissions comme s'il s'agissait d'une généralité.
On compte aujourd'hui en France 250 agents licenciés. Vérifier les contrats, la réalité de l'enregistrement, l'antériorité des mandats demande un travail colossal. Le syndicat des agents sportifs du football est prêt à participer financièrement, aux côtés de la fédération et de la ligue, à l'amélioration du contrôle : c'est un gage de notre bonne volonté. Bien sûr, il y a une partie commerciale dans notre activité mais en quoi cela empêche-t-il la présence dans notre profession des gens sérieux, qui veulent servir les joueurs et gagner honnêtement leur vie ? Parce que nous répondons parfois à la demande d'un club de trouver un joueur présentant certaines caractéristiques, nous sommes un peu dans la position de chasseurs de têtes. C'est dans ce cadre que nous menons, tout à fait normalement, nos négociations.
Je n'ai pas de commentaire particulier à faire dans la mesure où il n'y a pas de transferts dans le tennis.
L'homologation des contrats par les ligues professionnelles se fait en fonction de critères liés au droit du travail, à la réglementation de la discipline concernée ou encore à la charte du football ; il n'y a donc aucune interférence des bureaux ou des comités directeurs des ligues professionnelles. Les fédérations reçoivent ensuite copie des homologations, ce qui leur permet d'établir une relation entre la liste des agents agréés et les contrats de joueurs, sur lesquels il est spécifié s'il y a eu recours à un agent et quelle est son identité.
Un des objectifs de ce texte, monsieur Piat, est bien de modifier les liens entre les clubs et les agents, afin de mettre un terme à la pratique des rétro-commissions, voire des commissions occultes. Dans ce cadre, les fédérations, qui délivrent les licences, joueront un rôle essentiel en matière de contrôle et de sanctions et, si elles ont fait beaucoup de progrès, on peut en effet se demander si elles sont véritablement organisées pour assumer toutes les tâches qui y sont liées ? Peut-être devrions-nous également renforcer le contrôle de l'État sur les fédérations.
Pour autant, ne nous leurrons pas : lorsque quelqu'un veut absolument se mettre dans l'illégalité, il trouve toujours un moyen de le faire – souvenons-nous des caisses noires.
La loi favorisera plus de transparence et d'éthique, et elle permettra de moraliser l'exercice de la profession d'agent sportif.
On a beaucoup parlé des jeunes sportifs, mais il faut aussi penser à tous ceux qui sont obligés de se consacrer exclusivement à leur sport pour se maintenir au plus haut niveau. En écoutant Christian Lopez et Bruno Bellone, dont j'ai trouvé le témoignage poignant, je me suis aussi interrogé, au-delà des transferts, sur la prestation fournie par la suite par les agents, dont certains, parce qu'ils dispensent des conseils en matière financière ou immobilière, deviennent en quelque sorte tout-puissants dans la vie du joueur. Or, tous les agents n'ont peut-être pas le niveau d'exigence de ceux que nous avons aujourd'hui devant nous. C'est pourquoi il me semblerait bon que les sportifs puissent se tourner vers une instance indépendante et neutre, créée par la fédération, qui leur permettrait de vérifier que les conseils qui leur sont prodigués leur seront véritablement utiles pour leur avenir. Quelle forme pourrait prendre, selon vous, ce contre-pouvoir ?
Cette discussion nous confirme que le système ne fonctionne pas et qu'il faut faire quelque chose. Mais nous le savions déjà puisque nous sommes ici un certain nombre à avoir participé, sous la précédente législature, aux auditions que je qualifierai de « sportives » de la mission d'information sur les transferts de joueurs et le rôle des agents sportifs – nous n'avions hélas pas obtenu la création d'une commission d'enquête devant laquelle les personnes auditionnées auraient été obligées de prêter serment.
Les sommes en jeu sont devenues d'autant plus indécentes que les clubs ont fréquemment recours à l'argent public, en particulier pour le financement de leurs installations. Il semblerait donc normal que les collectivités qui les soutiennent aient un droit de regard sur ce que font les clubs.
Par ailleurs, lorsque je demande un service à quelqu'un, je le paie directement et je ne demande pas à mon voisin de le faire à ma place, surtout si ce voisin a également des intérêts dans cette transaction. C'est pourtant bien ainsi que les choses se passent dans le football. En effet, le sportif a en face de lui un club ou plus exactement une société à objet sportif – fort heureusement, la loi a mis fin à la situation dans laquelle le Réveil amical sportif de Beauregard-L'Évêque avait le même statut que l'Olympique de Marseille – et c'est lui qui demande à ce futur employeur de régler les frais de son conseil. On marche sur la tête ! A-t-on déjà vu, lorsqu'il y a conflit d'intérêts, par exemple dans un divorce, l'un des époux payer l'avocat de l'autre ? Pour ma part, je suis convaincu que si les joueurs ont besoin d'un agent, il leur revient de le payer.
S'agissant de la profession d'agent le texte comporte un certain nombre d'avancées et de clarifications. Mais quand on entend le témoignage de Bruno Bellone, qui n'a hélas pas été le seul dans ce cas, on se dit que les jeunes ne sont aujourd'hui pas davantage formés pour gérer les sommes désormais très élevées qui leur passent entre les mains. C'est pour cela qu'il faut définir précisément le service rendu par l'agent.
Enfin, parce qu'elles ont reçu pour cela délégation de service public, c'est aux fédérations et non aux ligues qu'il appartient d'organiser la pratique du sport dans notre pays.
Les occasions de parler de sport dans l'enceinte de l'Assemblée nationale ne sont pas si fréquentes et je me réjouis par conséquent de l'organisation de ces tables rondes. Nous avons aujourd'hui en face de nous des sportifs, d'anciens sportifs, des responsables sportifs dont le franc-parler rend le débat très intéressant.
Tout aussi incisif que lorsqu'il était le spécialiste des pénalties du côté de la Meinau, Philippe Piat a mis l'accent sur les conflits d'intérêts et il a posé, comme Alain Néri, la question de la responsabilité des joueurs eux-mêmes : même si nous sommes entrés dans la société de l'assistanat, faire les choses à la place des joueurs n'est sans doute pas le meilleur service à leur rendre.
La France impose aux agents un examen et une licence, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays, et cette proposition de loi comporte un certain nombre d'avancées, en particulier en ce qui concerne les moins de 16 ans.
Je comprends qu'il soit aujourd'hui devenu nécessaire, notamment au regard des sommes en jeu, de recourir à un agent. Mais si, à l'origine, on faisait passer en premier lieu l'intérêt du joueur, puis celui du club et enfin celui de l'agent, je me demande si les choses n'ont pas été inversées. Or, dans la mesure où les carrières sont brèves, il me semblerait important que les agents se consacrent davantage au plan de carrière des joueurs.
J'aimerais aussi que l'on introduise plus de moralité et de transparence dans les transferts des jeunes joueurs français vers l'étranger comme des jeunes joueurs étrangers vers la France, car j'ai l'impression qu'en la matière on cherche surtout à monnayer auprès des clubs les bonnes affaires qu'on leur permet de réaliser.
Enfin, je me demande s'il est encore possible aujourd'hui à un jeune pétri de qualités de réussir sans le concours d'un agent.
On critique souvent l'usage que les politiques font de la langue de bois, mais M. Piat n'est pas en reste, qui a réussi l'exploit de répondre à nos questions par d'autres questions.
Il est vrai que le milieu du football est particulièrement fermé et que les choses n'y sont pas toujours dites. Nous aurions néanmoins aimé les entendre. J'aurais souhaité en particulier que vous nous disiez qu'il faut réglementer davantage, qu'il faut rendre plus claires les relations entre les entraîneurs et les joueurs et que le recours au président du club peut être une solution pour éviter collusions et dérives.
Nombreux sont ceux qui affirment que les agents polluent le football. Messieurs Lopez et Bellone, ne pensez-vous pas que les agents devraient recevoir une véritable formation ? Quand on regarde qui exerce cette profession, on voit bien qu'il ne s'agit pas toujours – c'est un euphémisme – de spécialistes compétents. Ne faudrait-il pas se reposer davantage sur des cabinets comme IMG McCormack, qui aident à choisir, qui conseillent, qui forment, qui aident, qui font un véritable travail de suivi des joueurs ?
Dans cette perspective, cette proposition de loi marque un progrès, elle ouvre la voie vers un système plus clair et plus honnête.
Quand on nous demande notre avis sur un texte de loi, la messe est souvent déjà dite.
Je rappelle que la proposition de loi dont nous sommes saisis a déjà été adoptée par le Sénat en 2008.
Nous pourrions toutefois progresser encore si vous acceptiez de réduire fortement le risque de conflit d'intérêts en interdisant, au moins pendant un temps, à un agent de joueur d'être simultanément agent de club, et réciproquement.
Je ne vais pas défendre les agents car je trouve qu'il y en a trop et qu'il serait bon d'opérer une sélection. Force est toutefois de constater qu'il existe des agents sérieux, compétents, qui encadrent bien les joueurs. Et, parce qu'ils ne savent ni ne peuvent tout faire, il leur est possible, comme cela a été dit lors de la première table ronde, de s'entourer de spécialistes financiers et d'avocats afin d'apporter la meilleure réponse possible au joueur confronté à une situation donnée.
Il me paraît par ailleurs très difficile de cerner la notion de transfert, tout simplement parce qu'elle ne veut plus rien dire : un joueur est transféré dans un club, s'il ne s'y plaît pas ou s'il trouve qu'il ne joue pas assez, il peut à nouveau bouger lors du mercato. Mieux vaudrait l'inciter à respecter la durée du contrat qu'il a signé et à tout faire pour réussir. En fait, la morale et l'éthique devraient primer sur la facilité !
Je crois que les parents doivent davantage exercer leurs responsabilités et que c'est à eux qu'il appartient de choisir la personne apte à défendre les intérêts de leur enfant. Il peut bien sûr s'agir d'un agent – comme pour les footballeurs, il y en a des bons et des mauvais. Dans ce cas, les parents doivent discuter avec lui des orientations qu'il entend donner à la carrière du jeune joueur, demander à ce dernier où il aimerait pratiquer, visiter les installations des clubs. En fait, c'est seulement s'il y a une véritable osmose entre l'agent, la famille et le joueur que les choses se passeront mieux que dans mon propre cas et que le jeune progressera jusqu'à devenir professionnel.
En dehors de quelques exceptions, les pilotes de Formule 1 ne gagnent pas très bien leur vie – même aujourd'hui je doute que Sébastien Bourdais, par exemple, ait mis de côté de quoi tenir jusqu'à la fin de ses jours… – et ils ont besoin d'agents pour assurer leur reconversion.
On a souligné que les agents étaient très nombreux dans le football. En effet, alors que le nombre de joueurs disponibles est resté le même, il y a aujourd'hui dix fois plus d'agents que lorsque j'ai commencé et le milieu est devenu une véritable jungle. Je n'aurais donc pas été hostile à l'instauration d'un numerus clausus. Cela dit, on ne pouvait empêcher ceux qui présentaient les compétences requises et qui réussissaient l'examen d'entrer dans la profession.
Certains se sont émus par ailleurs du montant des sommes en jeu. Mais, si les médias mettent l'accent sur Cristiano Ronaldo, il ne faut pas oublier qu'un certain nombre de joueurs professionnels sont aujourd'hui sans emploi, qu'ils sont obligés de se reclasser et que la durée des carrières professionnelles a été considérablement réduite. Pour que les joueurs puissent poursuivre leur carrière, nous sommes ainsi amenés à rechercher des solutions à l'étranger, où, fort heureusement, les joueurs français ont bonne réputation.
Vous le voyez, nous sommes aussi là pour accompagner les joueurs. Nous ne prétendons pas tout savoir, et c'est d'ailleurs pourquoi nous disposons, chez IMG, de spécialistes aptes à apporter à des joueurs qui nous le demandent, des conseils en gestion de patrimoine, en fiscalité, en droit. Nous nous efforçons de proposer un service global, mais à la carte, sans rien imposer.
Si je suis favorable à un renforcement de la réglementation, force est de constater que nous en tenir à un cadre franco-français n'aboutira qu'à nous pénaliser davantage dans le domaine du tennis. Mieux vaudrait s'efforcer d'adopter des règles dans le cadre des « tours » qui gèrent les circuits masculin, féminin et junior.
Je rappelle qu'en novembre 2009 la Commission européenne a commandé une étude sur la profession d'agent sportif dans les États membres. L'une des préconisations a été que les institutions sportives s'organisent de façon volontaire afin que des examens permettent de sélectionner les agents sur la base de leurs aptitudes, de leurs connaissances et de leur expertise, et que des licences leur soient délivrées. C'est ce qui est fait en France.
Merci à tous d'avoir répondu à nos questions et de nous avoir ainsi permis de nous faire une idée plus complète de cette profession.
La séance est levée à dix-neuf heures quarante.