Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a examiné le rapport d'information sur les gaz et huile de schiste (MM. François-Michel Gonnot et Philippe Martin, rapporteurs).
Je souhaiterais tout d'abord excuser le président de notre commission, Serge Grouard, qui m'a demandé de présider cette importante réunion pour laquelle je présenterai en préambule les éléments contextuels.
La commission du développement durable a décidé la création d'une mission d'information sur l'exploitation des gaz et huile de schiste en France. Elle a désigné, le 1er mars dernier, deux co-rapporteurs : François-Michel Gonnot pour le groupe UMP et Philippe Martin pour le groupe SRC. La mission d'information a travaillé dans un délai très court de trois mois, réalisant une soixantaine d'auditions et des déplacements dans trois pays étrangers – Allemagne, États-Unis et Québec. Je précise, par ailleurs, que quatre ingénieurs des conseils généraux de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) et de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont été mandatés par le Gouvernement pour une étude comparable. Leurs travaux étaient attendus pour le 31 mai mais ils n'ont pas encore été rendus. La date de leur restitution nous est encore inconnue.
Je cède maintenant la parole à nos deux rapporteurs.
Philippe Martin et moi allons tenter de vous communiquer le bilan de nos réflexions. Elles sont souvent complexes, parfois techniques et pas toujours consensuelles. Mais nous avons essayé de conduire des travaux sérieux en nous abstrayant de la pression de l'actualité et des passions qui agitent l'opinion.
Nos investigations ont été menées dans le respect de plusieurs principes. En premier lieu, nous avons pris acte de l'adoption par l'Assemblée nationale de la proposition de loi déposée par Christian Jacob : nous avons considéré, par conséquent, la fracturation hydraulique interdite dans l'industrie pétrogazière sur le territoire national.
En deuxième lieu, nous avons gardé l'esprit ouvert pour embrasser l'ensemble du sujet et des problématiques liées, en évitant les préjugés et les a priori. La mission d'information a donc auditionné tous ceux qui ont souhaité être entendus. Ce choix a conduit à procéder indépendamment des travaux des ingénieurs mandatés par le Gouvernement, avec lesquels une seule réunion a été tenue dans la foulée de la publication de leur rapport d'étape. Philippe Martin et moi avons poursuivi nos propres réflexions. C'est la raison pour laquelle – et certains ont pu en être surpris – nous nous sommes astreints à intervenir le moins possible dans l'examen de la proposition de loi de Christian Jacob, que ce soit en commission ou en séance publique. Nous avons considéré que c'était la meilleure façon de conserver le recul nécessaire pour mener à bien la mission qui nous avait été confiée.
Nous avons inventorié les questions que posent la fracturation hydraulique et la production d'hydrocarbures de schiste. La presse et Internet fourmillent d'articles sur l'emprise foncière, la circulation routière, la protection de zones particulières comme un parc national, etc. Nous nous sommes évidemment penchés sur les additifs contenus dans les fluides de fracturation, sur leur nature, leur proportion, les raisons qui président à leur emploi, leur nocivité, leur devenir. La question de l'eau, essentielle pour beaucoup d'entre vous, nous a occupés longtemps : elle intervient du début à la fin de la procédure de fracturation, du prélèvement au retraitement en passant par l'injection et les risques de contamination. On parle moins des risques sismiques, mais ils se sont manifestés en Amérique du Nord et au Royaume-Uni ; nous avons donc réfléchi à leur propos. L'impact sur l'air est également très peu abordé dans le débat public français alors qu'il occupe une place plus importante dans les études américaines. Nous nous sommes enfin interrogés sur le bilan carbone des hydrocarbures de schiste, qui a été mis en cause par des études universitaires en raison, notamment, des fuites de méthane qui se produisent pendant le processus d'extraction. Personne, toutefois, n'a encore dressé un tableau comparatif des émissions de gaz à effet de serre des différentes sources d'énergie en intégrant, pour chacune, l'ensemble du cycle de production – ce serait particulièrement utile pour les combustibles que nous importons.
La troisième partie du rapport traite d'un sujet fréquemment abordé à l'occasion du débat parlementaire : la réforme du code minier et de ses dispositions relatives aux hydrocarbures. Nous savons que ce droit n'a pas été actualisé depuis longtemps et que les préoccupations environnementales formalisées par le Grenelle de l'environnement n'y ont pas été intégrées. Les procédures ne permettent pas suffisamment la participation de la population et des élus. Nous formulons des propositions pour y remédier, comme nous recommandons de revoir la fiscalité minière qui nous est apparue largement surannée et trop éloignée des collectivités territoriales.
La première partie du rapport, enfin, tend à expliciter la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. La législation ne précise pas le caractère conventionnel ou non des hydrocarbures ; nous suggérons de régler le problème en sériant les différents types de gaz et de pétrole qui peuvent exister dans notre sous-sol. Nous précisons aussi ce que désigne le terme de « fracturation hydraulique » et quelles recherches sont en cours pour mettre en oeuvre des techniques alternatives. Nous présentons enfin les ressources supposées dans les différents continents d'après les chiffres communiqués par l'Agence internationale de l'énergie.
Je vais prolonger cette présentation, mais je suggère d'ores et déjà que la commission débatte à nouveau du sujet des hydrocarbures de schiste une fois que chacun aura pris connaissance des termes de notre rapport, car je comprends combien il doit être difficile pour les commissaires de le parcourir dans un temps très limité.
François-Michel Gonnot et moi avons tenté de dépasser nos divergences politiques pour apporter à notre commission et, au-delà, à notre assemblée, une somme d'informations objectives sur un dossier relativement nouveau dans le débat énergétique de notre pays. Une série d'interventions législatives ont rendu nos travaux un peu plus difficiles encore. Le rapport le mentionne ; le président Serge Grouard l'avait souligné en son temps. Il sera bon que l'Assemblée nationale apprenne à expertiser d'abord et à légiférer ensuite, plutôt que le contraire. Je sais que Michel Havard et Jean-Paul Chanteguet partagent cet avis.
Le délai de trois mois a été court, surtout quand on pense que l'enquête québécoise a, par exemple, duré sept mois. En outre, nos moyens limités ne nous permettent pas toujours de recouper toutes les données alors même – et c'est normal – que les industriels cherchent à présenter leurs activités sous leur meilleur jour. Il n'a pas été facile de vérifier à chaque fois.
La mission d'information n'a pas pu aborder les enjeux financiers et industriels. Je regrette que MM. Albert Frère et Paul Desmarais, que nous avions invités à présenter les ressorts de leurs investissements dans ce secteur, aient décliné notre invitation. Nous n'étions pas une commission d'enquête, nous n'avons pas pu requérir leur présence.
Le rapport que nous présentons aujourd'hui réalise une photographie de la problématique des hydrocarbures de schiste. Ce dossier n'est pas seulement énergétique ou environnemental, il est aussi un enjeu démocratique et de citoyenneté. C'est la raison pour laquelle, à l'issue de nos travaux, nous sommes parvenus à des conclusions différentes. Nous n'avons pas voulu les estomper. Nous n'avons pas voulu, non plus, formaliser nos désaccords par l'interruption de la mission d'information : c'eût été tirer un trait sur tout le travail que nous avions accompli. Nous avons préféré passer au-dessus de cela et apporter autant d'informations que possible. C'est la raison pour laquelle j'ai cosigné des préconisations qui devraient être mises en oeuvre dans le cas éventuel où la France s'engagerait dans la voie d'une exploitation des gaz de schiste. Cela ne signifie pas – ce sera d'ailleurs le sens de ma conclusion – que je sois favorable à cette issue. A partir du cadre existant, nous avons détaillé ce qui pourrait être amélioré.
Ainsi, il y a dans ce rapport une partie factuelle et objective, puis des conclusions personnelles forcément subjectives. Dans la partie factuelle, il y a ce que nous avons vu, entendu et lu. Nous avons pu assister à une fracturation hydraulique et nous rendre compte de ce dont il s'agit, en termes visuels comme sonores.
La fracturation en elle-même dure trois heures. Un puits sera fracturé plusieurs fois, ce qui porte le temps des opérations à quinze jours ou trois semaines. Une fois ceci fait, le puits produit une dizaine d'années.
Tout au long de ce dossier, j'ai vu s'accumuler les doutes, les incertitudes, le manque de recul. Ceci ne signifie pas qu'il n'existe aucune réponse à apporter. Toutefois, tant les organismes publics rencontrés que nos diverses auditions ont renforcé ces doutes. Vous lirez dans la deuxième partie du rapport les impacts sur l'environnement de cette activité. Nous considérons ainsi qu'il faut préserver les parcs nationaux de toute exploitation, contrairement à ce qui peut être pratiqué en Amérique du Nord.
Je pense, ainsi, qu'il existe une grande différence de vue entre la vision qui prévaut de l'autre côté de l'Atlantique et la nôtre. Lorsque nous nous y sommes rendus, nous avons vu combien nos questionnements étonnaient les industriels : la logique des « pionniers » est d'extraire l'énergie du sous-sol pour subvenir aux besoins du pays. Quand je demandais quel était le risque de contamination des nappes phréatiques, on me répondait qu'on trouverait une solution pour régler le problème, le cas échéant. Et quand j'interrogeais sur la situation des générations futures, on me disait qu'elles géreraient leur héritage comme la génération actuelle doit gérer le sien. Je crois important de le répéter car cette mentalité diffère beaucoup de la nôtre, et l'environnement y occupe un rang bien moins prééminent.
L'exploitation suscite une circulation routière importante. Le site que nous avons visité est plutôt campagnard et peu densément peuplé. Le passage de camions imposants y était une nouveauté. Les élus locaux, dans l'assistance, savent combien nos populations sont attentives à l'impact d'une activité nouvelle sur le trafic routier.
En ce qui concerne les additifs, nous avançons vers la fin de la culture du secret. Beaucoup a été dit sur leur nombre – y compris des choses fausses. Aujourd'hui, on sait qu'une demi-douzaine d'adjuvants est utilisée. Dans l'hypothèse où la France s'engagerait dans une production des gaz et huile de schiste, la communication de la composition des fluides est une condition sine qua non. Une autorité indépendante devrait assurer le suivi de la question.
L'utilisation massive de l'eau constitue une difficulté. Quand les industriels répliquent qu'elle est moindre que pour les cultures agricoles, ce n'est pas satisfaisant. La sécheresse actuelle nous rappelle l'acuité de la concurrence des usages. Il semble possible d'utiliser l'eau qui provient du forage. Le rapport recommande, dans le cas où la France autoriserait cette activité, de limiter les fracturations à des périodes hivernales pendant lesquelles l'accès à la ressource semble plus aisé. Des pollutions restent possibles cependant : le 20 avril dernier, en Pennsylvanie, des milliers de litres d'eau usée ont été répandus dans l'environnement. Quant au sous-sol, il peut être menacé par des techniques agressives, notamment celles qui nécessitent une explosion souterraine en prélude à l'injection du fluide. Je rappelle que l'Angleterre a connu il y a quelques jours un séisme sur son site expérimental de fracturation. Les amplitudes minimes ne doivent pas nous faire négliger cet aspect intrusif de la technologie.
J'ajoute que d'autres méthodes sont envisagées, qui permettraient de ne pas utiliser de l'eau. On a parlé de gaz liquéfié ou encore d'arc électrique. Ces perspectives ne nous ont pas forcément rassurés.
La puissance publique a été excessivement inattentive. Le rapport évoque d'ailleurs une autorité étatique longtemps ignorante des enjeux, en manque de cohérence et de compétence, et qui méconnaît la parole des citoyens.
En attendant de répondre à vos questions et de vous livrer nos conclusions personnelles, je voudrais rappeler l'interrogation préalable qui a guidé nos travaux : la France a-t-elle raison de s'engager dans l'exploitation des gaz de schiste ? Pour ma part, je pense que non.
Je souligne que les trois premières parties du rapport constituent une analyse partagée. Nous y abordons la question de la géothermie profonde, qui emploie également la fracturation hydraulique et des additifs chimiques, ce qui est étonnant car la même technique suscite d'un côté une approbation générale et de l'autre côté des oppositions marquées. Les essais de géothermie ont ainsi suscité des séismes, en Alsace et en Suisse par exemple.
Le rapport opère un tour d'horizon des pays dotés de gisements conséquents. C'est intéressant de voir qui se précipite avec enthousiasme, qui dresse un cadre réglementaire strict au préalable, et qui décide de proscrire la production. Certaines zones ont édicté un moratoire préventif : New York, le Québec, l'Afrique du Sud ou encore le canton suisse de Fribourg. La plupart des nations fédérales considèrent que la compétence minière appartient aux entités fédérées : la majorité des États américains et des provinces canadiennes ont fait le choix de la production. Des zones mènent une expérimentation, comme la Grande-Bretagne et le Land allemand de Basse-Saxe. La Pologne espère se lancer bientôt pour échapper à sa dépendance envers la Russie. La Chine souhaite couvrir rapidement 10 % de ses besoins énergétiques par le gaz. L'Australie et l'Inde ne font pas exception à l'agitation mondiale.
Après ces cent pages d'analyses partagées, vous trouverez donc deux conclusions. Nous avons estimé que la France, comme d'ailleurs les pays étrangers, n'a pas traité la question de fond : personne ne s'est interrogé sur la place que pourraient occuper les gaz de schiste dans notre bouquet énergétique. C'est un débat que nous n'éviterons pas. Il devra se poursuivre, notamment après Fukushima. La place et le coût des énergies renouvelables, l'indépendance énergétique, la limitation des émissions de gaz à effet de serre, sont autant de facteurs à prendre en compte. Les conclusions abordent donc la question du principe d'une exploitation. La réponse appartient au pays, quand chacun aura décidé qu'il est temps de l'esquisser. Nous avons souhaité contribuer à ce débat : Philippe Martin dans un sens, et moi dans un sens un peu différent.
Je souhaiterais poser deux premières questions très simples pour lancer le débat. Avez-vous des précisions sur le calendrier retenu par le Gouvernement pour la réforme du code minier ? Considérez-vous, par ailleurs, comme normal que les élus locaux n'aient pas été préalablement informés de la délivrance de permis sur leur territoire ?
Il est difficile pour nous de nous faire une religion sur l'ensemble de ces sujets, d'autant que nos rapporteurs parviennent à des religions conclusives différentes ! Paradoxalement, je me félicite de cette diversité d'approches, s'agissant d'une problématique encore neuve que l'Union européenne et les États-Unis abordent de manière diamétralement opposée.
A la lecture du projet de rapport, j'ai le sentiment qu'après une période de pratiques un peu « sauvages » entre 2005 et 2009, l'industrie évolue désormais dans un cadre mieux régulé.
Je suis heureux que notre commission ait pris l'initiative de lancer cette mission d'information, même si je regrette – comme je l'ai déjà dit dans un passé récent – que nous ayons eu à examiner avant d'en connaître les conclusions les deux propositions de loi présentées sur ce sujet.
Je crois que nous ne pourrons pas faire l'économie d'un débat global sur la stratégie énergétique de notre pays. Lorsque nous importons du gaz ou du pétrole, le bilan carbone de leur production et de leur transport n'est aucunement pris en compte. Un tel débat pourrait constituer un thème pertinent dans le cadre de la prochaine élection présidentielle, de même que les effets du Grenelle de l'environnement que le Gouvernement et sa majorité ont initié et porté.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement la technique de fracturation hydraulique, le projet de rapport mentionne l'utilisation, aujourd'hui, d'une dizaine de produits chimiques d'appoint. Quels sont ces produits ? S'agit-il de dérivés benzéniques – on parle souvent du toluène ? En connaît-on les quantités et les effets sur l'environnement ? Peut-on imaginer opérer une fracturation sans faire appel à de tels adjuvants ? Y a-t-il un espoir de voir apparaître, à terme, une fracturation sans danger pour les nappes phréatiques ?
S'agissant du code minier, qui a fait l'objet d'un travail remarquable de nos collègues Michel Havard et Jean-Paul Chanteguet, avez-vous des recommandations à formuler quant à sa réforme à venir ?
Comment cette problématique des gaz et huile de schiste est-elle appréhendée par les autres pays membres de l'Union européenne? L'Union elle-même y est-elle sensible et s'en préoccupe-t-elle suffisamment ?
Enfin, comment l'effort de recherche publique, que vous semblez appeler de vos voeux, pourrait-il accompagner le développement de ces technologies et sur quels organismes pourrait-il s'appuyer ?
Je pense également qu'il sera nécessaire de réfléchir collectivement, dans les mois qui viennent, à la stratégie énergétique de demain. Celle-ci devra arbitrer entre divers enjeux, comme l'indépendance et l'environnement. Deux enjeux notamment me semblent fondamentaux : la lutte contre le réchauffement climatique ainsi que la réduction des risques environnementaux et sanitaires.
Je m'interroge sur la rentabilité des exploitations de gaz et huile de schiste. Le pré-rapport des ingénieurs estime que l'exploitation d'huile de schiste ne permettrait d'en récupérer que de 1 % à 2 % ; pour ce qui concerne le gaz, la proportion serait de 20 % à 40 %. On peut donc penser qu'à l'avenir, les entreprises rechercheront une plus grande efficacité, ce qui les conduira à fracturer la roche-mère toujours plus profondément. Le risque sera alors de faire appel à des techniques toujours plus violentes sur le plan sismique. Les incidents survenus au Royaume-Uni doivent nous inquiéter à cet égard.
J'ai pris connaissance de diverses études sur le bilan du gaz de schiste en termes d'émission de gaz à effet de serre. Il serait apparemment aussi mauvais que celui du charbon. Au regard des engagements pris par la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique, on ne peut que s'inquiéter de l'exploitation, demain, de ces nouvelles énergies fossiles.
Je souhaiterais également que nos rapporteurs puissent relayer, auprès du ministère chargé de l'énergie, mes inquiétudes sur la prochaine réforme du code minier : en réponse à une question sur sa date d'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée, M. Éric Besson a indiqué, le 1er juin dernier, que celle-ci était « imminente », ajoutant aussitôt « qu'en politique, l'imminence peut être plus ou moins longue ». Je crois que le plus tôt sera le mieux.
S'agissant enfin des permis exclusifs de recherche déjà accordés, qui sont inconnus des parlementaires, avez-vous été en mesure de prendre connaissance de leurs dossiers d'instruction ? Dans l'affirmative, ces dossiers mentionnaient-ils la technologie que l'exploitant avait l'intention d'utiliser ?
Je voudrais revenir sur le contexte démocratique et politique de notre sujet. À l'origine de la confusion relevée à juste titre par plusieurs de nos collègues, il y a le Gouvernement qui a fait une énorme erreur de communication – et peut-être de politique industrielle – en accordant des permis exclusifs de recherche dans le bassin parisien et dans le sud-est. La contestation a pris pour cible ces permis, en s'élevant notamment contre le caractère confidentiel de la démarche, l'absence de débat et l'approche autoritaire du pouvoir exécutif. Nous avons assisté ensuite à une course de vitesse, au sein de notre assemblée, entre les groupes UMP et SRC, pour le dépôt d'une proposition de loi sur la question. L'ancien ministre Jean-Louis Borloo a déposé également son propre texte, faisant par là acte de contrition.
La proposition de loi de M. Christian Jacob partait d'une position politiquement compréhensible et juridiquement claire : l'abrogation pure et simple de tous les permis de recherche déjà accordés ainsi que l'interdiction de la fracturation hydraulique. Puis des amendements ont rendu les choses plus obscures. Pour la première fois – et il s'agit d'une nouveauté soulignant la difficulté du sujet – deux rapporteurs ont travaillé de concert, l'un issu de la majorité, l'autre de l'opposition. Celui issu du groupe SRC, M. Jean-Paul Chanteguet, a été « pris en étau » : si le texte a bien été voté par notre commission, le groupe SRC a voté contre lors de l'examen en séance publique. Je relève que cette parité majorité-opposition a également été respectée dans la mission d'information dont nous examinons le rapport ce matin, puisque nous avons deux co-rapporteurs.
Ma première question porte sur la différence de nature existant entre le sous-sol nord-américain – dans les Appalaches ou le Texas par exemple – et la géologie européen. Le rapport qui nous est présenté établit-il une différence entre le premier, où la régularité dans la distribution des différentes strates semble quasi-constante, et le second, où les failles et fractures donnent un ensemble beaucoup plus hétérogène ? Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a-t-il conduit des études comparatives dans ce domaine ?
Je reviens sur le rapport de MM. Michel Havard et Jean-Paul Chanteguet sur la proposition de loi de M. Christian Jacob. Dans le vocabulaire pétrolier international, l'adjectif « conventionnel » fait référence à la matière extraite du sous-sol, selon son emplacement, et s'emploie par exemple pour parler du gaz. Dans leur rapport, nos deux collègues ont pris le parti de l'employer à propos des procédés d'extraction, le forage hydraulique étant considéré comme conventionnel, contrairement à la fracturation hydraulique qualifiée de « non conventionnelle ». Comment avez-vous résolu cette ambiguïté sémantique ?
S'agissant des ressources disponibles en France, à quelle conclusion nos rapporteurs ont-ils pu parvenir, à la fois pour l'huile et pour le gaz de schiste, par exemple à partir de données fournies par le BRGM ou par d'autres organismes scientifiques ? Ou bien la profondeur rend-elle toute évaluation de ce qui se trouve sous nos pieds impossible, le BRGM lui-même, ou l'IFP Énergies nouvelles, pouvant avancer que les réserves avoisinent les 3, les 30 ou les 100 milliards de barils ?
Plusieurs députés. C'est bien pour cela qu'il faut faire des recherches !
François-Michel Gonnot nous a indiqué dans sa présentation qu'un puits d'exploitation de gaz de schiste pouvait, après la fracturation hydraulique initiale, produire pendant 10 à 15 ans. Il me semble que la durée de vie moyenne d'un puits, avec un rendement fortement décroissant, s'élèverait plutôt à 5 ou 10 ans, comme tendrait à prouver les exemples outre-Atlantique de Barnett au Texas ou des Appalaches. Quels éclaircissements peut-il nous fournir à ce sujet ?
Enfin l'impact paysager et sanitaire, qui varie en fonction des caractéristiques géographiques des États détenteurs de réserves, a-t-il été mesuré ? Il paraît évident que cet impact demeure plus faible aux États-Unis, compte tenu de l'immensité des espaces dont certains restent exempts de peuplement, qu'au sein des espaces européens et notamment français, si l'on prend l'exemple de la Seine-et-Marne où ne résident pas que MM. Jean-François Copé et Christian Jacob ! Se pose donc la question de la démocratie : nous ne pouvons pas agir avec les mêmes principes que les Américains qui conservent l'héritage, dans leurs mentalités, de leur ancêtres « cowboys », et qui partent à la conquête de l'environnement sans se soucier, ni du principe de précaution, ni du legs aux générations futures.
Enfin, que pensez-vous de l'amendement sénatorial scélérat à la proposition de loi de M. Jacob, actuellement en cours d'examen au Sénat ? Il propose une dérogation au principe d'interdiction de la fracturation hydraulique pour des raisons scientifiques.
Aux États-Unis, on a assisté à un véritable débat démocratique car les bassins d'exploitation concernés sont souvent très peuplés. S'agissant de l'amendement adopté par le Sénat, il est certes intéressant d'envisager des forages expérimentaux entourés scientifiquement. Mais outre la frilosité des industriels qui ne sont pas certains de pouvoir exploiter ces puits, j'y vois un obstacle : on ne peut pas prendre comme référence un forage bardé de sécurités, propre à limiter les risques, pour une activité à grande échelle où les industriels ne s'entoureraient pas forcément des mêmes précautions.
En ce qui concerne l'information des élus, le déficit est incontestable. Il en va de même pour les citoyens, qui se sont trouvés devant le fait accompli.
La question de la fracturation sans additif constitue un objectif de recherche. Aucun expert n'a pu dire que cette opération était à ce jour possible sans eau, sans sable ou sans adjuvant chimique.
La Pologne, qui doit présider l'Union européenne à compter du 1er juillet prochain, a inscrit parmi les priorités de sa présidence l'indépendance énergétique de l'Europe. La Commission ne semble pas avoir encore répondu à cette demande. Le Président de la République Nicolas Sarkozy a souligné la neutralité de la France à l'égard de la Pologne, si celle-ci exploitait massivement les gaz de schiste. Parce que nous sommes dans une situation d'interdépendance, cette neutralité contrevient à ce que nous faisons dans notre pays. Enfin, le bilan en termes d'émission de gaz à effet de serre n'est pas bon, cet aspect ayant peut-être été minoré.
La mobilisation contre l'exploitation du gaz de schiste a été particulièrement forte au Québec, de la part des associations, des municipalités et du public. Elle a porté sur la question du « pourquoi faire ? » plutôt que sur le « comment faire ? ».
En ce qui concerne la réforme du code minier, nous observons que le Gouvernement est soucieux d'aller vite. Mais une importante question se pose : quelle procédure sera utilisée ? Les ministres en charge de l'énergie et de l'environnement se jugent tous deux compétents en la matière ; un arbitrage interministériel sera nécessaire sur ce point. En outre, le Parlement doit faire comprendre au Gouvernement qu'il souhaite avoir une vue d'ensemble, de nombreuses dispositions ayant un caractère réglementaire. Notre rapport mentionne, par ailleurs, la question du périmètre des compétences au sein même de l'Assemblée nationale : sur un tel sujet, il est souhaitable que les responsabilités soient partagées entre les commissions des affaires économiques et du développement durable, laquelle a une vision plus environnementale.
S'agissant de l'absence de consultation des élus au moment de la délivrance des permis, il faut rappeler que, par le passé, la délivrance des permis d'exploration intervenait après une enquête publique spécifique. Celle-ci a été supprimée en 1994. Le Gouvernement, qui voulait encourager l'exploitation des ressources minières, souhaitait alors rendre plus facile la délivrance des permis d'exploration. Le Parlement l'avait accepté.
La liste des principaux adjuvants figurera en annexe du rapport. Les industriels manifestent une volonté de plus en plus forte de communiquer sur la nature des produits avant leur injection. Ils sont, par ailleurs soucieux d'utiliser au maximum des produits biodégradables. Une autre question essentielle, peu évoquée et pour laquelle des précautions sont nécessaire, est celle de la remontée des adjuvants à la surface.
Au plan européen, il est clair que le dossier a acquis une dimension politique. Mais il faut bien noter que les réglementations minières relèvent des États et même, dans le cas de l'Allemagne, des Länder. La Commission ne devrait ainsi logiquement pas aller au-delà ; il paraît très peu envisageable qu'elle s'implique dans la réforme des codes miniers nationaux et dans les conditions de délivrance des permis.
Pour le lancement des programmes de recherche, on nous indique souvent qu'il n'y aurait pas d'autre méthode que la fracturation hydraulique. Certains imaginent de nouvelles techniques, telle que l'utilisation de gaz liquéfié à la place de l'eau, mais s'agit-il là d'une solution d'avenir ? En toute hypothèse, de nouvelles technologies sont sans doute à trouver, de nouveaux brevets à déposer, et la recherche publique pourrait jouer un rôle important.
La rentabilité pour les industriels est le sujet majeur : le coût de production est certes important, mais le bénéfice est directement corrélé aux prix du marché. Aujourd'hui, les prix du pétrole sont élevés, mais ceux du gaz ont beaucoup diminué. Aux États-Unis, ils sont deux fois inférieurs à ce qu'ils sont en Europe, justement en raison de l'exploitation massive des gisements non conventionnels.
Le bilan de l'exploitation des gaz et huile de schiste en termes d'émission de gaz à effet de serre est mauvais. Toutefois, il faut le comparer avec celui du pétrole produit ailleurs, transporté sur de longues distances et raffiné, et réfléchir ainsi sur l'ensemble du processus à l'échelle de la planète. Il ne semble pas qu'il existe d'étude globale sur ce point.
Les ressources françaises demeurent méconnues et nous devons nous fonder, comme c'est le cas dans tous les autres pays, sur les estimations opérées par les géologues américains. Le BRGM a lui-même une très mauvaise connaissance de notre sous-sol très profond. Les chiffres qui circulent sont d'ailleurs que des estimations.
80 % de la production d'un puits sont réalisés les quatre premières années. La mission, enfin, n'a pas voulu entrer dans le débat sur la proposition de loi. Elle ne se prononcera pas, pareillement, sur l'amendement adopté par le Sénat au sujet des expérimentations.
Merci à MM. Gonnot et Martin pour ce rapport très intéressant, élaboré dans un contexte particulier qui ne nous a pas pleinement satisfaits. Pour autant, sous réserve d'un examen plus approfondi, il semble que vos conclusions et préconisations rejoignent celles que nous avons défendues dans le cadre de la proposition de loi de Christian Jacob. En effet, il s'agit en priorité d'interrompre un processus mal engagé, tant au plan juridique que fiscal, environnemental ou territorial. Ainsi, les questions relatives aux emprises foncières ne sont pas traitées dans un cadre juridique adapté. Il convient donc d'y remédier au travers d'une réforme du code minier.
Il est également indispensable d'ouvrir le débat sur la stratégie énergétique nationale, comme sur l'avancée de la connaissance de notre sous-sol qui nécessite des forages verticaux traditionnels. Nous avons besoin de temps pour en débattre et nous souhaitons que ces discussions aient lieu au Parlement. La définition des conditions dans lesquelles pourraient être menées des expérimentations scientifiques nécessite d'installer un cadre précisant qui fait quoi, selon quelles procédures et à quelle fin : cela ne peut pas être renvoyé au Gouvernement.
Une seule question, sur la géothermie : il semble que la technique de la fragmentation hydraulique y soit très rarement utilisée mais disposeriez-vous de précisions à apporter à ce sujet ?
Je souscris à l'excellente conclusion de Philippe Martin : « au travers de cet important sujet, c'est un véritable choix de modèle de développement – et même de société – qui se dessine. » Un seul mot, en revanche, pour qualifier l'attitude du Gouvernement et de la majorité dans cette affaire : « atermoiements » ! Le ministre Borloo a signé les arrêtés d'exploration, le responsable du groupe UMP – après le groupe SRC – dépose une proposition de loi visant à les interdire, et il est finalement soutenu par le député Borloo qui vient contredire le ministre qu'il a été.
La suite des événements n'a rien simplifié. Lors de son audition devant notre commission le 1er juin dernier, le ministre de l'énergie, M. Besson, réitère l'avis favorable du Gouvernement à des expérimentations sur le gaz de schiste au motif qu'il pourrait, je cite, « fournir un siècle de consommation »… De son côté le président Nicolas Sarkozy, le 3 juin, assure au Premier ministre polonais Donald Tusk qu'il ne fera pas de difficulté à la Pologne qui souhaite exploiter ses réserves. Quant au groupe Total, dont l'État est actionnaire à hauteur de 23 %, il se positionne pour l'exploitation de ces gisements polonais avec le groupe Exxon Mobil.
La position exprimée par Philippe Martin étant limpide, ma question s'adresse à François-Michel Gonnot : au-delà des positions démagogiques et électoralistes suscitées par les oppositions locales (murmures), ce rapport permet-il à la majorité parlementaire et au Gouvernement d'adopter enfin une position claire sur les gaz de schiste ? Dans l'affirmative, laquelle ?
Je salue l'excellent travail de nos deux rapporteurs. Je viens de parcourir leurs conclusions respectives, que je ne trouve d'ailleurs pas en totale opposition. Il y a d'un côté une opposition très franche et de l'autre le souhait d'ouvrir un débat. Mais dans les deux cas, il me semble qu'il eût été nécessaire d'insister davantage sur l'exigence d'études. La recherche – notamment publique – est indispensable et le rapport pèche un peu par excès de timidité à cet égard. Des ouvertures en direction de l'IFPEN ou du BRGM auraient été bienvenues.
S'agissant de la réforme du code minier, de l'application de la convention d'Åarhus ou de la mise en oeuvre de la Charte de l'environnement – laquelle exige une procédure de consultation qui n'est malheureusement pas encore transcrite dans notre droit -, votre rapport est très clair et vos réponses aux questions précédentes l'ont encore précisé.
En matière de demande de permis exclusif, vous ne précisez pas le contenu exact des dossiers pour ce qui concerne la fracturation hydraulique. Cependant, j'ai obtenu des réponses dans le rapport provisoire au Gouvernement de MM. Durville, Leteurtrois, Gazeau et Pillet sur les hydrocarbures de roche-mère, que je cite : « s'agissant des hydrocarbures de roche-mère, si l'on veut conclure sur l'exploitabilité et la rentabilité économique d'un gisement, il est indispensable de réaliser en outre quelques essais de fracturation hydraulique, en forage vertical le plus souvent, assortis de prises de données complètes, notamment pression-débit des fluides et micro sismicité. » Selon ce rapport provisoire, il semble donc bien que, mécaniquement, une recherche menée au titre d'un permis exclusif implique des essais de fracturation hydraulique. Ceci rend donc caduques les dispositions de la proposition de loi.
La violence de la réaction du public contre les techniques d'extraction d'huile et de gaz de schiste est liée à l'extrême centralisation des décisions énergétiques dans notre pays, ainsi qu'à la culture du fait accompli et du secret. Je dis à ceux qui déplorent la fin des recherches en ce domaine que nous n'avons que ce que nous méritons. J'espère que le Gouvernement comme le Parlement sauront tirer la leçon de cet échec.
François-Michel Gonnot a évoqué le nécessaire débat public sur les énergies de demain. Je considère pour ma part qu'il doit avoir lieu immédiatement, à la suite de cet échec sur les gaz de schiste, de l'accident de Fukushima et de l'arrêt brutal des sept centrales nucléaires allemandes. A mon sens, ce débat doit être déconnecté de la campagne présidentielle et mené dans un climat non passionnel. Yves Cochet a parlé d'une erreur de communication du Gouvernement. Les torts sont partagés car je ne vois pas ce qui a distingué la gauche de la droite dans la conduite de la politique énergétique depuis quarante ans…
J'ai noté le trouble de M. Gonnot suite à la révélation des techniques de forage en géothermie. Compte tenu des contraintes juridiques qui en découlent, n'est-il pas temps de réformer la réglementation de la recherche ? A quel endroit y a-t-il des risques sismiques élevés ou des risques particuliers de pollution?
Du fait notamment de la loi « Bataille », la Haute-Marne et la Meuse mènent une recherche sur le stockage des produits nucléaires en fin de vie. Or j'apprends qu'il y a des explorations de gaz de schiste dans cette même région : comment faire en sorte qu'elles soient définitivement arrêtées ? Quelles garanties pouvons-nous obtenir à cet égard ?
Dans l'ex-bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, plusieurs industriels m'ont fait part de leur inquiétude quant au devenir de l'extraction du gaz de houille, le grisou. A la page 19 du rapport, il est indiqué que les interlocuteurs des rapporteurs sont restés assez confus quant à la définition des hydrocarbures non conventionnels, laquelle n'est pas satisfaisante au regard, précisément, du gaz de houille. Depuis des dizaines d'années, la société Gazonor l'extrait sans aucun problème. En outre, cette industrie permet de l'empêcher de remonter à la surface, ce qui est précieux car, du fait de l'arrêt des houillères, il n'y a plus de pompage de l'air dans les galeries.
Pouvez-vous nous rassurer en confirmant que l'extraction du gaz de houille n'est pas menacée d'une quelconque interdiction ? Des emplois sont en jeu et, à la veille d'une probable réforme du code minier, nous souhaitons disposer de garanties à ce sujet.
Il existe un vrai danger que la discussion sur les gaz de schiste, confisquée par les idéologies, ne s'appuie sur des clichés plutôt que sur des faits. Or n'est-il pas temps de lancer un débat de société et de dresser un bilan carbone comparé avec le charbon, d'autant que celui-ci risque d'être encore plus utilisé en Allemagne dans les années à venir ? Nos réflexions doivent porter sur des risques établis.
S'agissant de la mesure des risques sur le sous-sol, votre rapport reste mesuré et n'apporte pas de certitude : ainsi, aux pages 57 et 58, vous parlez d'études « isolées » ou « contestées » et de contre études venant infirmer les précédentes.
Êtes-vous en mesure de fournir des résultats confirmés et attestés ? Si tel n'est pas le cas, ne faudrait-il pas créer un observatoire international du risque, assis sur l'expérience des pays déjà engagés dans cette exploitation ?
Pourquoi la fracturation hydraulique serait-elle admissible en géothermie et inenvisageable pour ce qui concerne la recherche de gaz de schiste ? Peut-on avancer sur ce point ? S'agit-il de la même technique ? Dans sa conclusion, Philippe Martin se déclare opposé à la technique de la fracturation hydraulique : cette opposition vaut-elle aussi pour la géothermie alors que celle-ci a été encouragée par nombre de régions, notamment dans l'est de la France – où plusieurs collectivités l'utilisent – et en Bretagne, dans les zones granitiques ? S'agit-il d'une énergie d'avenir ? Est-elle ou non dangereuse ?
Je souscris à l'analyse d'André Chassaigne sur la nécessité de soutenir l'effort de recherche. On ne peut pas se dire que l'on a peut-être sous les pieds une énorme réserve d'énergie et ne pas en tenir compte. J'estime que le rapport devrait aller plus loin dans la comparaison des deux techniques et expliquer pourquoi la fracturation hydraulique serait bonne pour la géothermie et mauvaise pour la prospection des gaz schistiques.
Lors de la discussion générale sur la proposition de loi, j'avais choisi de concentrer mon propos sur les aquifères profonds et je souhaite y revenir aujourd'hui car il s'agit à mes yeux d'un sujet essentiel.
Les aquifères profonds sont alimentés par des réseaux presque toujours méconnus : lorsqu'on verse de la fluorescéine à cinquante kilomètres, on la retrouve à la résurgence, ce qui signifie que le bassin de réception est extrêmement vaste. Au reste, les professeurs Avias et Mattauer, qui furent mes maîtres à la faculté des sciences de Montpellier, ont enseigné toute l'importance des aquifères. Il s'agit en effet de la seule eau que l'humanité peut consommer quasi directement. Ainsi, sans jamais faillir, l'aquifère de la source du Lez alimente tout au long de l'année 500 000 habitants dans la région de Montpellier. Dans le cadre des recherches en eau du département de l'Hérault, nous venons de découvrir un nouvel aquifère qui permettra de pallier une pénurie prévisible, à terme, dans tout le coeur du département. Or l'étude géologique qui figure dans l'excellent rapport de nos collègues – et je partage sur ce point l'analyse d'Yves Cochet – me semble très insuffisante. On n'y parle que du risque de prélèvement d'eau dans la nappe phréatique mais le problème est tout à fait différent : la nappe phréatique, on connaît ses limites et on sait comment elle est abondée alors que l'on ne sait rien de l'aquifère profond. Dans le sud de la France, il y a nombre de failles et de résurgences comme à Fontaine de Vaucluse ou à la source du Durzon. Ce sont des aquifères de première importance car ce sont eux qui répondront demain aux besoins en eau potable. C'est pourquoi il importe de ne prendre aucun risque sans disposer au préalable d'études géologiques très poussées.
Dans l'une des premières phrases de sa conclusion, François-Michel Gonnot indique que « l'interdiction » ne sera que temporaire. S'agit-il de l'interdiction d'exploitation ou, comme nous l'avons décidée, de celle de la fracturation hydraulique ? En d'autres termes, devons-nous revenir sur notre vote en faveur de l'interdiction de la fracturation ? Existe-t-il d'autres techniques présentant une moindre incidence environnementale ?
Au début du rapport, il est indiqué qu'il a été procédé au cours de la dernière décennie à une trentaine d'opérations de fracturation hydraulique en France : dispose-t-on d'une analyse des conséquences de ces forages ?
Enfin, estimez-vous que le code minier révisé devra prévoir une interdiction absolue de délivrer des permis dans les parcs nationaux – tel celui des Cévennes – et dans les territoires en voie de classement au patrimoine mondial ?
Messieurs les rapporteurs, je vous invite à répondre aux différents intervenants en évoquant successivement les thèmes abordés par chacun d'entre eux.
Monsieur le président, je débuterai mon intervention par le cas de la géothermie. Il s'agit d'un sujet complexe, qui échappe bien évidemment au coeur de notre mission. Nous étions néanmoins quasiment forcés de nous pencher sur le sujet, dès lors que la fracturation hydraulique peut être utilisée pour certaines opérations. Je pense notamment au projet de Soulz-sur-Forêts, en Alsace. Il s'agit, je le rappelle, d'un projet financé par l'Union européenne, l'État et les collectivités locales. Il semble donc avoir fait l'objet d'un large consensus parmi les élus et les responsables politiques. Or, la mise en oeuvre de la géothermie sur le site suppose de recourir à la fracturation hydraulique. Jusqu'à présent, les essais pratiqués ont été source de difficultés, notamment après le constat de mouvements sismiques. Je me permets donc, en réponse à Francis Saint-Léger, d'exprimer certains doutes quant à la justification de l'interdiction d'une technique dans certains cas – l'exploitation d'hydrocarbures – et son autorisation pour d'autres. Ma position est minoritaire au sein de l'Assemblée nationale, je le reconnais.
Comme vous le savez, l'un des grands principes du droit français est le caractère non-discriminatoire d'une disposition. Le texte voté il y a quelques semaines présente, à mon sens, quelques fragilités juridiques que le Conseil constitutionnel sera peut-être à même de soulever s'il est saisi. Il serait dommageable, à mes yeux, de voir le juge constitutionnel déclarer l'inconstitutionnalité de la loi relative à l'interdiction de la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures. Rien ne serait pire car les permis seraient pleinement restaurés dans leurs droits et l'objectif initial totalement manqué !
Notre rapport invite donc à examiner les dangers de la fracturation hydraulique pour toutes les activités où elle est mise en oeuvre.
Je souhaite à présent évoquer la thématique de la recherche, dont a notamment parlé André Chassaigne. La connaissance géologique de notre sous-sol profond est des plus mauvaises, voire quasi inexistante. Ceci s'explique par l'histoire : les travaux de recherches ont en effet eu pour objet les nappes phréatiques et les ressources minières. Seuls les pétroliers disposent d'un certain savoir-faire sur l'exploration des profondeurs. Aussi, notre connaissance est circonscrite aux territoires explorés par les groupes pétroliers : Bassin parisien et vallée du Rhône notamment. Ailleurs, nous ignorons la nature géologique des sous-sols, ou du moins nous n'en avons qu'une connaissance partielle. C'est particulièrement vrai dans certaines régions où des permis ont pourtant été délivrés. Nous avons souhaité distinguer dans le rapport les zones connues de celles sur lesquelles nous ne savons pratiquement rien. André Vézinhet nous a interpellés sur ce sujet et, comme lui, nombre de nos interlocuteurs nous ont mis en garde quant à la complexité des aquifères profonds. D'après nous, il est donc nécessaire de n'entamer aucune activité dans ces régions avant de disposer d'une connaissance exacte des sous-sols. Nous ne souhaitons pas que des permis soient délivrés dans ces zones.
André Chassaigne notait que nous évoquions trop brièvement dans le rapport l'exigence d'un programme de recherches. La raison en est simple : nous n'étions pas totalement d'accord. Philippe Martin, il me corrigera, m'a dit : « si je suis contre l'exploitation des hydrocarbures de schiste, je ne peux pas me prononcer en faveur d'un programme de recherches ». En fait, un tel programme devrait comprendre deux aspects. D'abord, l'amélioration de la connaissance de notre sous-sol. Le BRGM ou IFP-Énergies Nouvelles seraient prêts à se pencher sur le sujet, mais il reste à trouver le financement ! Ensuite, il me semble pertinent qu'ils abordent les procédures industrielles. Yanick Paternotte a d'ailleurs évoqué le sujet. La France pourrait, à mon sens, être à l'origine d'avancées technologiques en la matière.
Plusieurs de nos collègues nous ont également interrogés sur la mise en place d'un pilotage de la filière. Lors de la discussion de la proposition de loi de Christian Jacob, certains amendements allant dans ce sens n'ont pas été adoptés. Nous n'avons donc pas voulu proposer un dispositif déjà rejeté, par respect pour la décision de la représentation nationale. Néanmoins, à titre personnel, je me permets de suggérer de confier à l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) une mission de suivi des techniques employées et des programmes mis en oeuvre dans le monde. Je pense que l'OPECST pourrait également piloter le travail de modernisation de notre droit de l'environnement et de notre droit minier. D'après moi, l'Assemblée nationale devrait opérer ce suivi de manière régulière au cours des prochaines années.
En réponse à Albert Facon sur l'exploitation du gaz de mine, je serai très clair : nous avons auditionné les dirigeants de Gazonor. Son exploitation se situe hors du champ de la fracturation hydraulique. Tous les programmes doivent donc être poursuivis. Il s'agit même parfois d'un intérêt national en termes de sécurité publique.
Yves Cochet a fait part des difficultés à distinguer les hydrocarbures conventionnels des hydrocarbures non conventionnels. Une imprécision existe, c'est vrai. Nous avons donc essayé d'aborder la question d'un point de vue différent. À nos yeux, la réforme du code minier pourrait être l'occasion de créer différentes catégories de permis selon le type d'hydrocarbure recherché : permis de gaz de schiste, permis de gaz de houille, permis d'huile de schiste, etc. Une telle évolution permettrait de clarifier les procédures et de les rendre plus transparentes, en accord d'ailleurs avec le souhait exprimé à l'instant par Jean-Paul Chanteguet.
Bertrand Pancher a évoqué les risques de conflit entre les différents projets : exploration et exploitation d'hydrocarbures contre géothermie, lieux de stockages de déchets nucléaires ou de CO2. Il faudra que le législateur demeure attentif afin d'arbitrer entre différents objectifs éventuellement concurrents.
Avant de conclure, je répondrai à Francis Saint-Léger sur le recours à la fracturation hydraulique dans le passé en France. Il y a eu quelques dizaines de cas, dont aucun n'a posé problème. Toutefois, il est important de préciser que ces opérations ont été réalisées dans des puits verticaux, dont deux très récemment en Seine-et-Marne d'ailleurs.
Enfin, en réponse à Jean-Paul Chanteguet, les dossiers d'instruction des permis sont très minces, mais les procédures sont longues.
La procédure prévoit notamment la consultation des préfets et des DREAL. Les permis attribués en mars 2010 faisaient ainsi suite à des demandes déposées vingt-sept mois auparavant !
François-Michel Gonnot a apporté la plupart des réponses, que je partage. Nous sommes en effet parvenus à ne pas nous étriper au cours de ces semaines de travail et, même si Fabienne Labrette-Ménager tente de procéder à une sorte de « fracturation » entre François Michel Gonnot et moi-même, nous sommes d'accord sur nombre de points ! (Sourires)
Je me permettrai donc simplement de compléter certains points. Concernant la géothermie, il convient de bien distinguer la géothermie classique de la géothermie profonde. Seule cette dernière peut éventuellement être source de difficultés, comme nous le mentionnons dans le rapport à la page 25. Nous avons interrogé à ce sujet les personnes rencontrées au cours de notre déplacement au Canada, où la géothermie est pratiquée, parfois à proximité des habitations. Soyons honnête, la géothermie est beaucoup mieux acceptée socialement que la fracturation hydraulique en vue de l'exploitation d'hydrocarbures.
Il existe une autre différence. En effet, dans le cas des hydrocarbures, la fracturation hydraulique vise à créer des failles alors que, dans le cas de la géothermie, il s'agit plutôt d'essayer d'élargir des failles naturelles existantes.
Comme l'a souligné Michel Havard, ce dossier a été mal engagé depuis le début. Nous l'avons tous constaté et nous avons trouvé surprenant de voir un parlementaire déposer une proposition de loi visant à interdire ce qu'il a autorisé en tant que ministre. Comme Jean-Louis Borloo nous l'a expliqué avec beaucoup de franchise à l'occasion de son audition, les services administratifs en charge de l'instruction des dossiers n'ont pas cru nécessaire de porter à sa connaissance l'existence de ces demandes. D'ailleurs, la note qui lui a été adressée sur le sujet, le 26 mars 2010, intervient trois semaines après la signature des permis. Aux yeux des fonctionnaires en charge du dossier, la procédure, habituelle, était totalement conforme à la réglementation.
Ceci explique ma position en faveur d'une abrogation des permis, telle qu'exprimée dans ma conclusion. D'abord, j'ai en mémoire la réponse du Premier Ministre à une question de notre collègue Christian Jacob, le 13 avril dernier : François Fillon a évoqué lui-même une annulation des permis. Mais au-delà, je suis convaincu que si Jean-Louis Borloo, alors ministre, avait eu connaissance de l'impact environnemental de la fracturation hydraulique avant la signature des permis, ces derniers n'auraient pas été accordés. Dès lors, il semble logique de procéder à leur abrogation.
Par ailleurs, je tiens à le dire, si nous n'avons pas eu accès aux dossiers de demande de permis, nous savons qu'il est fait mention de la technique de fracturation hydraulique. Le délai de deux mois prévu par la proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée me semble en ce sens peu utile dans la mesure où l'administration doit avoir une connaissance précise des techniques employées par les industriels.
De plus, les organismes publics de recherche ne disposent pas d'assez de moyens financiers et humains. Nous avons été effrayés de découvrir les ressources dont dispose le BRGM en comparaison des structures similaires aux États-Unis. On ne peut que regretter la dépendance de la France à l'égard d'organismes américains pour la connaissance de son propre sous-sol.
Enfin, au sujet de la recherche, François-Michel Gonnot a fait part de mon opposition à la mise en oeuvre immédiate d'un programme de recherche. En revanche, si la France décidait de développer cette activité, il faudrait alors mettre en place des expérimentations sous contrôle public. Mais il me semble plus pertinent de mener une réflexion globale sur notre bouquet énergétique. La France ne doit pas se prononcer en faveur de la poursuite de ces activités. Une telle position serait contraire à nos propres engagements nationaux – je pense à la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE) – mais également à nos engagements européens quant à la réduction de 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre et internationaux, qu'il s'agisse du Protocole de Kyoto ou de la volonté manifestée par le Président de la République lors du Sommet de Copenhague de stabiliser le réchauffement climatique. Comme le soulignait Philippe Plisson, le ministre en charge de l'énergie, M. Éric Besson, a rappelé lors de son audition devant la commission du développement durable que l'un des objectifs était la réduction de la dépendance de la France aux énergies fossiles. Les hydrocarbures de roche mère entrent dans cette catégorie.
Avant de nous prononcer sur l'autorisation de publication du rapport, M. Gonnot souhaite apporter un complément.
Vous l'aurez compris, Philippe Martin a quelque peu développé la conclusion qu'il présente dans le rapport… Comme j'aime lui rappeler souvent, « en politique c'est comme en amour, il ne faut jamais dire : jamais ; il ne faut jamais dire : toujours ! ».
Interrogée sur la publication du rapport d'information, la commission l'autorise à l'unanimité.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 8 juin 2011 à 9 h 30
Présents. - M. Jean-Pierre Abelin, M. Yves Albarello, M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Jean-Claude Bouchet, M. Christophe Bouillon, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, M. Yves Cochet, Mme Claude Darciaux, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, M. Raymond Durand, Mme Odette Duriez, M. Philippe Duron, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, M. André Flajolet, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Jean-Pierre Giran, M. Joël Giraud, M. François-Michel Gonnot, M. Michel Havard, M. Antoine Herth, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Pierre Lang, M. Jacques Le Nay, M. Gérard Lorgeoux, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. René Rouquet, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Claude Thomas, M. Philippe Tourtelier, M. André Vézinhet
Excusés. - M. Jean-Yves Besselat, M. Frédéric Cuvillier, M. Paul Durieu, M. Serge Grouard, M. Jean Lassalle, M. Thierry Lazaro
Assistaient également à la réunion. - M. Lionnel Luca, M. Francis Saint-Léger