La séance est ouverte à 9 heures.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
La Commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur son rapport annuel.
Avant d'en venir à notre ordre du jour, je donne la parole à M. Jacques Valax, qui souhaite intervenir.
Vous vous étiez engagé, monsieur le président, à ce que le projet de loi organique relatif au référendum d'initiative citoyenne soit inscrit à l'ordre du jour. Je suis très inquiet de constater qu'il ne figure pas sur notre programme établi jusqu'au 8 juin prochain.
Je tiens à préciser que je ne me suis jamais engagé sur l'inscription en séance publique du projet de loi organique sur le referendum d'initiative « partagée », car je n'en ai pas la compétence. En revanche, mon engagement concernant l'inscription du texte à l'ordre du jour de notre Commission sera tenu. Nous n'avons pas pu encore arrêter la date d'audition du ministre de l'intérieur, mais le rapporteur est en train d'achever son travail et nous devrions examiner le texte d'ici au mois de juillet.
La Commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur son rapport annuel.
C'est la troisième fois que nous avons le plaisir de vous accueillir, monsieur le contrôleur général, à la faveur du rapport que vous remettez chaque année au Président de la République en application de la loi du 30 octobre 2007 qui a créé votre institution.
Je vous propose de commencer par une présentation de votre rapport, qui appellera certainement de nombreuses questions – je pense, en particulier, au nouveau régime de la garde à vue et aux récents incidents dans les établissements pour mineurs.
L'habitude n'amoindrit pas mon plaisir de vous rendre compte, chaque année, du rapport que nous publions : j'attache, en effet, une grande importance à me présenter devant votre Commission pour que vous puissiez m'interroger et exercer votre contrôle. Le rapport ayant été remis au Président de la République, mais aussi au Parlement, il est naturel que nous engagions un dialogue vous permettant d'exprimer votre sentiment.
J'ajoute que nous travaillons encore plus étroitement avec l'Assemblée depuis qu'une administratrice de vos services a été nommée membre du contrôle général, le 1er janvier dernier, avec l'accord de votre Président et de la Questure, au moins pour cette année et, si possible, pour une durée plus longue.
L'article 6 de la loi du 30 octobre 2007 permet à toute personne physique et à certaines personnes morales de nous saisir. Nous avons ainsi reçu 3 276 lettres en 2010, soit 2,6 fois plus qu'en 2009. Cette correspondance donne lieu à enquête, autant que possible, car on ne peut pas nécessairement tout croire sur parole. Pour le bon ordre des établissements concernés, nous nous efforçons d'apporter des réponses rapides.
L'augmentation du nombre des saisines nous exposant à des difficultés matérielles considérables, nous devrons nous organiser différemment pour respecter notre délai moyen de réponse, qui était d'environ dix-huit jours en 2010. C'est pourquoi j'ai demandé au Gouvernement la création de trois chargés d'enquête dans le cadre de la loi de finances pour 2012.
Comme nous ne parvenons pas toujours à établir les faits par voie de correspondance, nous aimerions réaliser davantage d'enquêtes sur place. Nous en avons réalisé 9 en 2010, pour donner suite à certaines saisines, mais il faudrait que nous puissions multiplier le nombre de ces opérations à l'avenir.
J'en viens aux visites d'établissements effectuées en application de l'article 8 de la loi de 2007. Depuis le début de notre travail en 2008 jusqu'au 31 décembre dernier, nous avons réalisé 355 visites, et ce nombre devrait être porté à 424 au 31 mai prochain. Nous avons réalisé 140 visites en 2010, contre 163 en 2009, notre objectif étant d'environ 150 par an. Cette évolution à la baisse s'explique par deux raisons. La première est que nous avons visité une série de grands établissements en 2010 : nous avons commencé l'année en déployant 19 contrôleurs dans la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis pendant quinze jours, puis nous avons envoyé 13 contrôleurs au centre pénitentiaire de Lille pendant huit jours. Le fait que nous soyons restés plus longtemps sur place contribue, par ailleurs, à réduire le nombre des visites : alors que nous passions environ quatre jours dans chaque prison en 2009, la moyenne s'est élevée à cinq jours en 2010 ; nous sommes restés, de même, trois jours en moyenne dans chaque établissement de santé visité en 2010, contre deux jours en 2009, visites de nuit comprises.
Nous poursuivons, en outre, l'effort de contre-visites engagé en 2009. Les médias ont accordé un certain intérêt à la contre-visite réalisée à la maison d'arrêt pour femmes de Versailles parce que nous avons relevé un certain nombre de faits incompatibles avec la discipline, mais je tiens à rappeler que nous avons aussi constaté un certain nombre d'améliorations de la situation. Nous avons ainsi trouvé des réfrigérateurs dans toutes les cellules, alors que les détenues s'étaient plaintes, lors de notre visite de 2008, de ne pas pouvoir conserver d'aliments.
Je précise que nous nous sommes efforcés de varier les établissements visités : au 31 décembre dernier, nous nous sommes rendus dans à peu près la moitié des établissements pénitentiaires, dans 93 % des centres de rétention, dans 37 % des centres éducatifs fermés et dans 15 % des locaux de garde à vue. Ces derniers sont les lieux de privation de liberté où nous nous sommes le plus fréquemment rendus, mais la proportion d'établissements visités reste assez faible en raison de leur nombre – il existe 3 500 brigades de gendarmerie.
Nous avons également veillé à varier les destinations géographiques en n'oubliant pas les collectivités d'outre-mer, que nous avons toutes visitées. Au 31 décembre dernier, seuls dix-sept départements n'avaient pas encore reçu de visite de nos contrôleurs.
L'article 10 de la loi de 2007 prévoit que le contrôleur général émet des avis et formule des recommandations. Chaque rapport d'établissement donne lieu à des recommandations que nous adressons au ministre concerné. Certaines d'entre elles sont rendues publiques lorsque la situation nous semble particulièrement grave, ou lorsque les faits constatés revêtent un certain caractère de généralité. Nos avis portent plutôt sur des questions de principe sur lesquelles nous souhaitons attirer l'attention de l'administration et lui fournir une sorte de vade-mecum.
En 2010, nous avons formulé des recommandations concernant la maison d'arrêt de Mulhouse, dont nous avons trouvé la situation très inquiétante, quatre brigades territoriales de gendarmerie – nous les avons traitées ensemble, car nous évitons de désigner tel acteur plutôt que tel autre, sauf quand la situation est particulièrement grave –, quatre centres éducatifs fermés et deux brigades de surveillance intérieure des douanes.
Nous avons, par ailleurs, publié un avis sur la protection des biens des détenus, ces biens ayant une fâcheuse tendance à disparaître au cours des transfèrements, et un autre sur la prise en charge des personnes transsexuelles en détention. Depuis la fin de l'année dernière, nous avons publié deux nouveaux avis, l'un concernant certaines modalités d'hospitalisation d'office, l'autre sur la pratique des cultes dans les lieux de privation de liberté.
J'ajoute que nous avons fait réaliser, à la demande d'une chaîne de télévision, un film documentaire sur notre travail. Il ne s'agissait pas de procéder à une autocélébration, mais de disposer d'images pour des raisons sur lesquelles je pourrai revenir si vous le souhaitez.
Je crois utile d'indiquer que le règlement de service du contrôle général figure, pour la première fois, dans notre rapport annuel – il est bon que chacun puisse savoir comment nous travaillons –, et que nous avons publié les principes déontologiques guidant notre action depuis le début. Tout cela doit être porté à la connaissance de tous.
J'en viens aux suites données à nos recommandations et à nos avis.
Les recommandations concernant des établissements en particulier sont généralement suivies d'effets, notamment sur le plan matériel, comme je l'indiquais tout à l'heure à propos de la maison d'arrêt de Versailles. Par ailleurs, lorsque nous trouvons des registres de garde à vue assez mal tenus, ce qui est malheureusement assez fréquent, des rappels très fermes des consignes suivent en général.
La situation est plus nuancée pour nos avis généraux. À la suite de notre avis sur la protection des biens des détenus, une note du directeur de l'administration pénitentiaire, en date du 22 décembre 2010, a posé le principe d'un inventaire contradictoire des biens des détenus lors de leur arrivée en détention, ce qui correspond à l'une de nos principales demandes.
S'agissant de notre avis relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles en détention, le ministère a, certes, constitué un groupe de travail, mais ce dernier a cessé de se réunir à la fin de l'année dernière, alors que le problème est loin d'être réglé.
D'une façon générale, il me semble que les pouvoirs publics sont attentifs à notre action. Outre les contacts fréquents que nous avons avec les administrations concernées et les cabinets ministériels, nous constatons que le Parlement n'est pas insensible à nos travaux. J'ai ainsi cru comprendre que des amendements parlementaires déposés sur le projet de loi relatif à la garde à vue faisaient écho à certaines de nos préoccupations.
J'en viens aux principaux problèmes de fond que nous avons constatés.
Pour ce qui concerne les établissements recevant des mineurs, à savoir les quartiers pour mineurs des établissements pénitentiaires, les établissements pénitentiaires pour mineurs et les centres éducatifs fermés, nous sommes confrontés depuis longtemps à une population, en nombre relativement restreint, dont la vie a été complètement bouleversée pour diverses raisons. Devenus totalement réfractaires à la discipline collective, les mineurs concernés sont enclins à une violence quotidienne. Or, nous ne savons toujours pas comment nous occuper d'eux, y compris dans les établissements pour mineurs.
Je suis ainsi frappé de constater que ces mineurs passent souvent d'un établissement à un autre : ils séjournent dans un centre éducatif fermé, d'abord, pendant un an au maximum, puis dans un établissement pénitentiaire pour mineurs, pour une durée moyenne de trois mois, et ensuite dans un quartier pour mineurs d'un établissement pénitentiaire, à la suite de mauvais comportements. Or, il n'y a aucun lien entre ces différentes séquences : chacune d'entre elles a ses propres projets, ses propres objectifs, ses propres éducateurs et ses propres manières de faire. Comment les mineurs peuvent-ils s'y retrouver ?
Il n'y a, par exemple, aucune doctrine clairement établie sur la discipline qui doit régner. Nous avons constaté que la cigarette était théoriquement interdite dans plusieurs centres éducatifs fermés, mais parfaitement admise au quotidien, le fait d'être privé de cigarettes constituant en réalité une punition. Comment le mineur peut-il s'y retrouver, surtout quand il passe ensuite dans un établissement pour mineurs où il ne pourra plus fumer du tout, puis dans un quartier pour mineurs où il se livrera à des trafics avec les adultes pour se procurer des cigarettes ?
Nous devons désormais réfléchir aux coopérations entre les différents types d'établissements et aux liens de partenariat qu'ils doivent nouer pour que les mineurs comprennent ce qu'on entend faire d'eux. Nous sommes, pour le moment, très loin du compte : les directeurs des établissements ignorent tout de ce qu'il advient des mineurs dont ils ont eu la charge, et ils ne sentent absolument pas responsables de leur devenir. On a l'impression qu'ils sont placés ici ou là pendant une période de parenthèse dont personne ne sait à quoi elle doit conduire.
En ce qui concerne les établissements pénitentiaires en général, j'observe d'abord que, si des efforts considérables ont été réalisés – je sais que vous y êtes sensibles –, les problèmes de vétusté, d'insalubrité et, de nouveau, de surpopulation sont loin d'être résolus. Après avoir visité un centre de semi-liberté, nous avons ainsi adressé, en urgence, un courrier au chef d'établissement pour recommander la fermeture d'un dortoir dévoré par l'humidité.
Les problèmes sont d'autant moins réglés que, si l'État sait construire des bâtiments, il ne sait pas les entretenir. Les lieux de privation de liberté ont pourtant pour trait commun d'être soumis à de fortes dégradations – on « passe » son impatience, sa colère et son angoisse sur le matériel. Or, la maintenance technique est tout sauf bien organisée, et les crédits manquent cruellement. J'invite donc le Parlement à interroger l'exécutif sur cette question lors de l'examen des crédits de la justice. La maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, qui est récente et dont l'architecture est, par ailleurs, tout à fait intéressante, est l'un des établissements les plus dégradés de France – certaines parties sont d'ailleurs en rénovation aujourd'hui. Et si l'établissement est dans cet état, c'est qu'il n'a jamais été entretenu.
Ma troisième observation sera relative à la multiplication des bases de données concernant la population carcérale, sujet sur lequel nous avons pris contact avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Je suis inquiet de constater que la loi de 1978 sur la protection des données personnelles n'est pas appliquée : il faut rappeler à l'administration pénitentiaire qu'elle est tenue par cette loi, comme toute autre administration. Nous serons d'autant plus vigilants qu'il existe désormais une forte propension à suivre les parcours individuels d'exécution des peines, comme la loi pénitentiaire invite à le faire – on s'efforce donc de recueillir des données nominatives auxquelles la loi de 1978 doit naturellement s'appliquer.
Je reste, par ailleurs, inquiet de la façon dont certaines personnes incarcérées peuvent se défendre : les droits de la défense font partie des droits fondamentaux. La confidentialité des échanges avec les avocats et le respect du droit à un recours effectif sont encore loin d'être la norme. Par divers moyens, sur lesquels nous pourrons revenir, l'administration pénitentiaire ne facilite pas l'exercice des droits de la défense, car il n'existe par de pire détenu pour elle qu'une personne procédurière. Il faudra donc progresser sur ce point.
Quant à la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, je mesure l'effort considérable réalisé par la nation, mais je persiste à dire que la taille de ces établissements n'est pas de nature à assurer le calme et à atteindre les objectifs fixés par la loi pénitentiaire en matière de détention. Même si les petits établissements souffrent de problèmes d'incommodité, ils bénéficient d'une spirale vertueuse : les détenus sont très facilement connus des surveillants et le dialogue est constant, ce qui permet de désamorcer les problèmes et les conflits. De ce fait, les mesures de contrainte peuvent être allégées, ce qui laisse plus de temps aux surveillants pour dialoguer, et ainsi de suite. C'est l'inverse qui se produit dans les grands établissements : le dialogue n'a plus lieu, les déplacements sont plus compliqués, chacun ignore l'autre et les conflits ne peuvent pas être désamorcés. Dans ce contexte, les tensions, les frustrations et l'agressivité croissent, de même que la violence. Il faut donc s'attendre à certaines déconvenues. Les proportions retenues dans le cadre du programme récemment annoncé par le garde des sceaux me paraissent un peu plus raisonnables, même si je ne suis pas entièrement satisfait.
En matière de garde à vue, je ne reviendrai pas sur la loi qui vient d'être votée : elle n'est pas intégralement entrée en application, même si ses premiers effets sont déjà perceptibles. Je rappellerai, en revanche, que la durée de la garde à vue est inutilement longue pour certaines personnes, en particulier dans le cadre des infractions routières. Quand on est mis en examen après six heures du soir, on passe généralement la nuit en garde à vue, car la brigade chargée de la répression des délits routiers ne fonctionne qu'en journée : il faut attendre le lendemain matin pour que le procès-verbal soit établi. Le fichier des permis de conduire, tenu par les préfectures, n'est pas non plus consultable avant neuf heures du matin, ce qui est une cause inutile de prolongation des gardes à vue.
J'observe, par ailleurs, qu'il est impossible de se laver quand on est en garde à vue dans notre pays. Les douches installées dans les commissariats au cours des dernières années servent en réalité de placards à balais, et l'accès aux lavabos reste difficile. En cas de comparution immédiate, on se présente donc devant le juge en étant mal fagoté et mal lavé.
L'accès aux médecins demeure, en outre, quelque peu problématique. Des circulaires contradictoires ont été récemment adoptées : le ministre de l'intérieur a d'abord demandé qu'on conduise le gardé à vue à l'hôpital le plus proche, puis le garde des sceaux a incité des équipes mobiles de médecins à se rendre dans les commissariats et les brigades de gendarmerie. Or il faudrait choisir. J'estime que la deuxième solution doit être privilégiée : en faisant venir le médecin, on évite des déplacements inutiles des personnes gardées à vue, en particulier dans des lieux publics, et on permet aux forces de l'ordre de réaliser des gains de temps considérables.
J'en viens aux dépôts et aux geôles des tribunaux : ce sont les pires locaux qu'il nous est donné de visiter. Ils sont en général dans un état déplorable et les besoins essentiels –alimentation, accès aux toilettes – ne sont que diversement assurés. On constate, en effet, des variations selon les personnes et les lieux. Alors que les « extraits » bénéficient d'un repas fourni par l'administration pénitentiaire, les « déférés », qui sortent d'un commissariat, ne peuvent pas s'alimenter.
La situation juridique a été partiellement réglée par une disposition de la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », du moins en ce qui concerne les personnes placées sous mandat de dépôt. Mais la situation des geôles, c'est-à-dire les cellules des tribunaux, ouvertes seulement le jour, n'est toutefois pas réglée. J'invite le Parlement à se saisir de la question, car nous sommes en totale infraction au regard des droits fondamentaux : aucune disposition législative ne permet aujourd'hui de justifier la retenue d'une personne contre son gré dans la geôle d'un tribunal entre la garde à vue et le moment de sa comparution immédiate.
Les centres et les locaux de rétention présentent quelques similitudes avec les geôles des tribunaux. En effet, les étrangers en situation irrégulière se voient souvent signifier la fin de leur garde à vue avant leur transfert dans un centre de rétention où la notification leur est faite de leur mise en rétention. Il conviendrait soit de signifier plus tard la fin de la garde à vue, soit de signifier plus tôt la mise en rétention ; on ne peut pas admettre, en tout cas, qu'une personne soit retenue contre son gré pendant plusieurs heures sans fondement législatif.
Par ailleurs, si les lieux de rétention ne sont pas des locaux pénitentiaires, la rétention s'apparente pour bien des fonctionnaires, en particulier dans la police, à une prolongation de la garde à vue, et l'on observe une multiplication de réglementations tatillonnes et inutiles : il faut parfois obtenir l'autorisation d'un gendarme ou d'un policier pour changer de chaîne de télévision.
Je suis, par ailleurs, très mal à l'aise à la pensée qu'un étranger puisse être obligé de passer par l'intermédiaire d'un fonctionnaire de police ou de gendarmerie pour déposer une demande de droit d'asile. Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue en 2007, a interdit aux forces de l'ordre d'accéder aux dossiers de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Je ne vois donc pas pourquoi un fonctionnaire de police ou de gendarmerie pourrait avoir accès aux dossiers de demande d'asile des personnes placées en centre de rétention : ces dossiers doivent passer entre les mains de tierces personnes.
S'agissant des établissements de santé, j'observe que la psychiatrie traverse de graves difficultés. Sans entrer dans le débat sur l'actuel projet de loi, je constate que les personnes hospitalisées d'office ou à la demande d'un tiers subissent de graves difficultés pour assurer leur défense. Leur accès au juge des libertés et de la détention est, en effet, illusoire : les personnes sont mal informées et ne disposent pas des moyens matériels nécessaires pour accéder au juge. Dans le film documentaire que j'évoquais tout à l'heure, un détenu demande ainsi comment il pourrait accéder au juge des libertés et de la détention si on ne lui fournit ni papier ni crayon. Les droits de la défense impliquent certains moyens matériels. Je suis chargé de veiller à ce qu'ils soient effectivement là.
On observe, par ailleurs, un mouvement général de fermeture des unités psychiatriques dans les centres spécialisés et les centres hospitaliers généraux. Je suis troublé de savoir que coexistent dans les unités fermées des personnes hospitalisées contre leur gré et d'autres qui sont venues de leur propre chef. Comment se fait-il que ces dernières se trouvent dans une unité fermée sans qu'aucune procédure ne le leur ait été signifiée ? Le mélange des genres est préoccupant. Ainsi, j'ai lu hier encore une note d'une unité de police demandant à un hôpital psychiatrique de signaler les fugues des personnes hospitalisées à la demande d'un tiers et des « personnes en placement libre ».
Au-delà de la situation de ces établissements de santé, la psychiatrie connaît de graves difficultés résultant sans doute de l'organisation du travail, mais aussi de problèmes d'effectifs que j'ai évoqués devant vous l'an dernier. Je suis obligé de revenir sur le sujet, craignant, en effet, que la loi en cours de débat ne soit grosse d'illusions. Les délais sont tels quand on demande aux psychiatres de prodiguer des soins aux personnes détenues ou d'établir des expertises que leur intervention arrive beaucoup trop tard. J'ignore si une grande loi de santé mentale est nécessaire, mais je demande aux pouvoirs publics de réfléchir sérieusement à un plan de développement de la psychiatrie publique, faute de quoi nous nous exposerons à de graves désillusions.
J'en terminerai par la question du secret et de la confidentialité dans les lieux de privation de liberté, et par celle du maintien des liens familiaux.
Tout ce qui concerne la personne n'a pas nécessairement vocation à être surveillé : il y a une part d'intimité, de secret et de confidentialité qui doit échapper au personnel des établissements. Or tout leur fonctionnement est organisé selon un principe contraire. Nous demandons que tout ce qui touche aux secrets protégés par la loi, à la vie intime et à la confidentialité soit respecté. Il y a notamment un problème quand les échanges avec les avocats peuvent être écoutés depuis un couloir adjacent. Nous demandons que, dans chaque lieu de privation de liberté, existe un endroit où la confidentialité puisse être assurée.
Pour ce qui est du maintien des liens familiaux, le rapport contient des propositions précises sur lesquelles je ne reviendrai pas. Je rappellerai simplement que la tendance naturelle d'un lieu de privation de liberté est de se replier sur lui-même et de ne pas apprécier les intrusions, telles que celles des familles. Tout est fait pour les dissuader. Or il faut habituer les lieux de privation de liberté à ces intrusions-là, car les liens avec les familles sont nécessaires. Les familles doivent, en particulier, être associées à ce que l'on fait des mineurs dans les centres éducatifs fermés. Elles sont trop souvent mal accueillies, humiliées, voire soupçonnées.
Pour conclure, je tiens à dire que je ne méconnais pas le chemin parcouru. Mais mon rôle est précisément de veiller au respect des droits fondamentaux, domaine dans lequel il reste encore à progresser.
Merci pour cette présentation, d'une grande profondeur et d'une grande clarté.
Sans revenir sur la situation des établissements pénitentiaires, qui sera sans doute évoquée par de nombreux collègues, je voudrais dire à quel point nous avons été interpellés par la question des mineurs. Les visites dans les centres éducatifs fermés, les établissements pour mineurs et les quartiers pour mineurs des établissements pénitentiaires laissent un sentiment pour le moins mitigé. D'autres collègues vous feront sans doute part d'incidents récents ; de mon côté, j'ai visité un établissement pour mineurs plutôt paisible près de Nantes, à Orvault, en compagnie de Dominique Raimbourg, mais il m'a semblé qu'il restait tout un travail de coopération à réaliser entre l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), dont les cultures sont très différentes.
Même si le sujet dépasse le cadre de votre rapport, je souhaiterais aussi évoquer le malaise que nous avons ressenti en rencontrant les organisations syndicales et professionnelles de la PJJ. Les mineurs n'étant plus les mêmes qu'autrefois, il est nécessaire que la PJJ évolue, mais elle le fait dans un climat marqué par de grandes interrogations. Le personnel se heurte à un véritable problème de doctrine.
Comme vous, j'ai très récemment visité la prison de Fleury-Mérogis, immense établissement qui accueille 3 800 détenus – des hommes, des femmes et beaucoup de mineurs. J'ai été surpris par le climat de violence latente qui y règne, ainsi que par les dégradations qui s'y produisent. Malgré les expériences extrêmement intéressantes conduites par le service pénitentiaire de probation et d'insertion (SPIP) et par l'administration pénitentiaire en matière de formation, de réinsertion et de réhabilitation, il importe d'être conscient de la situation très tendue qui prévaut. S'il faut saluer le travail réalisé par les équipes constituées d'éducateurs, de conseillers d'insertion et de probation, de fonctionnaires de l'administration pénitentiaire et d'intervenants médicaux, force est de constater qu'on se heurte à un problème lié au gigantisme des structures. En dépit des efforts de l'administration pénitentiaire, il reste aussi à mieux introduire les familles dans ce monde très particulier qu'est Fleury-Mérogis.
Mais je voudrais surtout revenir sur la question des établissements psychiatriques et des quartiers psychiatriques des hôpitaux généraux, dont nous avons récemment débattu.
La tendance que vous décrivez est extrêmement préoccupante. Afin d'assurer une sécurité maximale, tout le monde reste enfermé, y compris des personnes qui pourraient se rendre au café et au bureau de tabac du coin, ou bien sortir pour faire quelques courses. La régression est considérable : la plupart des hôpitaux concernés disposent d'immenses parcs, y compris en région parisienne, en application d'une théorie hygiéniste et psychiatrique parfaitement légitime selon laquelle il est préférable d'être « au vert ». Mais la plupart de ces espaces sont aujourd'hui inaccessibles faute de personnel d'accompagnement. Les patients sont donc cantonnés à des cours de promenade, alors qu'ils pourraient profiter des immenses espaces verts environnants. Le rapport décrit très bien l'ennui absolu qui règne dans les hôpitaux psychiatriques – il n'y a jamais eu beaucoup d'activités, mais la situation actuelle est très préoccupante. Compte tenu des traitements suivis, la télévision n'est pas une solution dans ces établissements, contrairement aux prisons.
En dernier lieu, nous devons être très attentifs au fait que les droits fondamentaux sont aujourd'hui bafoués dans les établissements psychiatriques. Alors que l'état d'esprit commence à changer dans l'administration pénitentiaire, où des efforts ont eu lieu grâce aux règles européennes, au contrôleur général des lieux de privation de liberté et à la récente loi pénitentiaire, on ne constate rien de tel dans le domaine de la santé, bien au contraire.
La loi que nous venons de voter en deuxième lecture prévoit le recours systématique au juge des libertés et de la détention à compter du quinzième jour d'hospitalisation d'une personne contre son gré. Or on compte aujourd'hui 3 000 personnes hospitalisées depuis plus de quinze jours dans les hôpitaux parisiens, et un nombre égal de personnes hospitalisées depuis six mois ; au total, entre 15 et 20 personnes passeraient donc chaque jour devant le tribunal de grande instance de Paris – je n'évoque même pas la situation du tribunal de Créteil, encore plus embouteillé que celui de Paris. Puisque le recours aux visioconférences paraît encore très futuriste et que les juges ne se déplaceront pas dans les hôpitaux, il faudra organiser des transfèrements très complexes de personnes. Une des pires manières d'appliquer la loi serait, en effet, de procéder à un simple contrôle sur pièces : il ne faudrait pas se contenter de déplacer les dossiers pour les soumettre à un avocat commis d'office et à un juge le temps d'une matinée, car ce serait le contraire du contrôle effectif que nous avons souhaité instaurer.
Vous recommandez la mise en place de procédures systématiques pour garantir la confidentialité à l'égard de tiers qui voudraient obtenir des informations sur les personnes hospitalisées. Le respect de l'obligation de confidentialité faisant partie des obligations des établissements de santé, qui sont comptables devant la Haute autorité de santé, j'aimerais savoir si vos rapports lui sont transmis. Vos constats sont certes ciblés sur les personnes privées de liberté, mais ils pourraient servir la cause de l'ensemble des patients.
Comptez-vous, par ailleurs, effectuer un suivi annuel des progrès réalisés dans l'application de vos recommandations ?
D'après le décompte que vous établissez, 80 % de l'ensemble de vos charges sont constituées de dépenses de personnel, et vous indiquez que vos crédits de fonctionnement ont très peu augmenté depuis la création de votre institution, alors que votre activité augmente. De combien de personnes supplémentaires auriez-vous besoin ?
J'aimerais connaître, en outre, le coût moyen d'une visite sur place et celui du traitement d'une plainte ou d'une demande.
Ces informations nous seraient utiles dans la perspective des discussions budgétaires à venir.
Je voudrais vous féliciter, monsieur le contrôleur général, pour la qualité et la fermeté de vos observations.
Nous partageons entièrement vos remarques concernant la déshumanisation des grands établissements pénitentiaires. Nous avions fait des constats similaires à l'occasion de la mission d'information sur les centres de rétention : ce ne sont pas toujours les établissements les plus beaux et les plus modernes qui sont les plus humains.
S'agissant des mineurs, vous évoquez la nécessité de projets pédagogiques. Quelles mesures préconisez-vous pour avancer dans ce domaine ?
Enfin, comment envisagez-vous l'articulation de votre tâche avec celle du défenseur des droits, nouvellement institué ?
Un nouvel établissement pénitentiaire a été construit à Mont-de-Marsan pour remplacer une vieille maison d'arrêt, considérée comme l'une des plus vétustes de France dans les années 2000. J'avais trouvé ce nouvel établissement bien conçu lorsque je l'ai visité, il y a deux ans, en compagnie des futurs gardiens : on avait l'impression d'entrer dans un autre monde. Or, l'échec est aujourd'hui patent : on assiste à des mouvements de protestation des détenus, qui disent regretter l'ancienne structure malgré ses nombreux défauts, et les gardiens se sont lancés, il y a vingt-quatre heures, dans un mouvement collectif qui révèle un mal-être partagé.
Ce cas n'est sans doute pas spécifique, car l'établissement en question relève d'un programme de constructions conçues de façon identique. Il est donc grand temps de s'interroger sur les raisons qui nous ont conduits à cette situation et sur les réponses que nous pouvons apporter : nous ne pouvons pas rester de simples spectateurs face à la dégradation actuelle. Y a-t-il, selon vous, une erreur de conception des établissements ? S'agit-il plutôt d'une erreur d'organisation qui consisterait à plaquer un fonctionnement ancien sur un établissement nouveau ? Pour ma part, j'ai le sentiment que ce type d'établissements s'adresse surtout à des détenus qui peuvent travailler, cette explication n'étant pas forcément exclusive des autres. Si la vie du détenu n'est pas rythmée par le travail, le fonctionnement de l'établissement devient très pesant.
Un local de garde à vue a récemment été créé à l'intérieur de l'unique centre de rétention administrative de Pamandzi, dans ma circonscription de Mayotte. On y garde à vue non seulement des étrangers, mais aussi des nationaux français. Or on peut s'interroger sur la légalité d'une garde à vue réalisée dans un simple centre de rétention administrative. Je voudrais dénoncer fermement cette pratique, en contradiction totale avec distinction entre les deux types de locaux.
Monsieur le contrôleur général, je partage votre diagnostic sur les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). L'incohérence des trajectoires était déjà dénoncée, au début de l'année 2008, par le rapport de Michèle Tabarot, et j'ai été choquée, comme vous, d'apprendre l'existence d'un mode de rétribution à la cigarette dans les centres éducatifs fermés, mais je voudrais surtout vous interroger sur des incidents récents qui traduisent une situation extrêmement alarmante : nous avons assisté à une multiplication d'incidents particulièrement violents dans les EPM de Lavaur, à l'agression d'une surveillante dans celui de Marseille et à la prise en otage d'une éducatrice dans celui de Meyzieu. Ces incidents ont été rendus publics, mais on peut se demander s'il n'y a pas des situations similaires dans d'autres établissements.
J'aimerais savoir, par ailleurs, si vous avez diligenté des enquêtes et des contrôles à la suite de ces incidents.
En février 2008, j'avais demandé une remise à plat complète de la conception des établissements pour mineurs. Le garde des sceaux de l'époque, Mme Dati, avait répondu que le projet était bien conçu et qu'il fallait leur laisser le temps de se mettre en marche. Mais les problèmes sont réels : d'abord, une gestion bicéphale des établissements, à la fois par l'administration pénitentiaire et par la protection judiciaire de la jeunesse ; ensuite, des défauts de conception architecturale – sans même parler des difficultés dues aux partenariats public-privé –, les établissements étant organisés autour d'une cour centrale, tout le monde est immédiatement au courant du moindre incident ; enfin, une volonté d'occuper les mineurs toute la journée, au lieu d'une conception plus éducative.
J'aimerais connaître votre point de vue, et demande à nouveau au président de la commission des lois d'organiser une rencontre avec le garde des sceaux sur le sujet. Il y a là des urgences un peu plus importantes que les dispositions proposées dans le projet de loi qui viendra bientôt en discussion.
Je comprends bien la nécessité de protéger le secret dû aux individus, mais divers intervenants regrettent aussi de se le voir opposer, notamment s'agissant de mineurs, alors qu'ils ont besoin d'informations concernant notamment leur devenir après leur libération. Comment articuler cette nécessité du secret avec la politique de prévention de la délinquance et de la récidive dont, de l'avis général, le maire doit être le pivot et qui suppose le partage d'informations ?
Par ailleurs, je m'associe à tout ce que vient de dire Delphine Batho. Les établissements pour mineurs ne sont-ils pas tout simplement trop grands ? Est-il possible de faire vivre ensemble soixante mineurs qui ont autant de difficultés ?
Mais il faut aussi parler des jeunes filles mineures. Pendant longtemps, faute de quartiers dédiés – il est vrai qu'elles sont très minoritaires –, elles ont été placées dans des maisons d'arrêt pour femmes. Qu'en est-il aujourd'hui ? Il serait question de les envoyer également dans des établissements pour mineurs. Dans les circonstances actuelles, ce serait placer ces jeunes filles dans des situations très difficiles.
Enfin, et c'est tout aussi marginal, y a-t-il des avancées sur le sort des bébés incarcérés avec leur mère ? Peut-on espérer une politique générale pour qu'ils ne soient pas en détention trop longtemps ? Peut-on envisager des modifications de la loi afin d'éviter leur incarcération ?
Vous avez visité les établissements de Loos et Sequedin. Il s'y mène une expérience assez positive sur la préparation à la sortie des détenus, en trois étapes : travail à l'intérieur de la prison, puis à l'extérieur dans une entreprise, Triselec, et enfin, à la sortie, prise en charge par l'association Interm'aide pour accéder à un emploi. Le travail dans les prisons est un merveilleux moyen à la fois d'occuper les gens et de les préparer à leur sortie. Est-il en voie de développement, ou se heurte-on à des obstacles ?
Par ailleurs, avez-vous des propositions concernant les produits illicites qui circulent dans les lieux de détention ?
Je viens de visiter l'établissement pour mineurs de Lavaur et je voudrais rappeler que les gens qui ont choisi de travailler dans ce type de structure, qu'ils soient issus de la PJJ, de la pénitentiaire ou de l'éducation nationale, étaient au départ convaincus de réussir, sûrs du potentiel de réinsertion sociale de ces établissements. Aujourd'hui, ils sont en souffrance. D'où l'intérêt d'une mission d'évaluation, réclamée à la fois par le personnel, par l'encadrement et en l'occurrence par la directrice de Lavaur, et promise par le ministre. Après trois ou quatre ans d'expérience, il est temps.
Différents problèmes ont été soulevés à la fois par la direction et par le personnel. Le premier est celui du nombre. Les établissements sont conçus pour recevoir une soixantaine de mineurs. Or, il semble que, dès qu'on dépasse quarante, il y ait une montée en puissance des problèmes – les groupes se font et se défont et tout devient ingérable. Le problème architectural dont on a déjà parlé a aussi été évoqué. Par ailleurs, les divers intervenants étant de culture différente, il faut prévoir une formation commune. Comment appliquer la sanction, par exemple : faut-il une période de discussion, ou intervenir immédiatement et énergiquement, comme le prône la pénitentiaire ? Une réponse unifiée s'impose.
La coexistence des 13-16 ans et des 16-18 ans semble aussi poser problème.
Enfin, en cas de récidive à la sortie, le magistrat ne devrait pas pouvoir renvoyer l'individu dans un établissement pour mineurs : ce serait remettre en cause le fonctionnement même de ces structures.
Vous avez formulé des observations très négatives sur les nouveaux établissements pénitentiaires, évoquant une déshumanisation progressive de la détention, causée par une forme d'industrialisation de la captivité, qui rend la réinsertion plus difficile. Je présume que vous avez pris contact avec l'agence publique chargée de l'immobilier du ministère de la justice. A-t-elle pris en compte vos remarques pour les établissements restant à construire ? Avez-vous été associé aux projets de construction ? Quant aux tout récents établissements pour mineurs, dont le premier a été créé à Meyzieu, il s'y produit régulièrement des problèmes importants. Pourtant, leur architecture est très différente de ce que l'on connaissait auparavant. Est-ce un problème de conception, ou la situation est-elle plutôt liée à l'accompagnement éducatif ?
Je voudrais d'abord rendre hommage à votre action, et me féliciter que le contrôleur général des lieux de privation de liberté n'ait pas été fondu dans le nouveau défenseur des droits.
La loi pénitentiaire a prévu la mise en place de caméras dans les lieux publics de la prison. Cette disposition est-elle appliquée ? A-t-elle amélioré la sécurité, notamment la lutte contre les trafics en tous genres ?
Les nouveaux établissements pénitentiaires suscitent de nombreuses critiques, mais ce serait tout de même bien pire si nous en étions restés aux anciens ! Le centre de détention de Roanne, qui compte six cents places, était le premier du programme du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Au bout de quelques mois, après les difficultés de démarrage auxquelles on pouvait s'attendre, son fonctionnement apparaît somme toute optimal. À cet égard, votre rapport ne pourrait-il être teinté d'un certain optimisme ?
La création de places de détention est un facteur important d'amélioration de la condition pénitentiaire, et il faut en remercier Dominique Perben.
Dans combien d'établissements avez-vous effectué deux visites successives, et quelles améliorations avez-vous pu constater entre les deux ? Vos recommandations ont-elles été suivies d'effets ? Quelle est votre opinion sur un éventuel pouvoir d'injonction, dont vous ne disposez pas aujourd'hui ? Par ailleurs, vous faites beaucoup plus de visites inopinées que programmées. Sur quels critères ?
Si, depuis la création de votre institution, il y davantage de lettres de saisine, le nombre de dossiers ouverts n'a pas forcément augmenté. Pourquoi ? Est-ce dû au bien-fondé des lettres de saisine ?
En ce qui concerne les conditions de détention – organisation de la journée, façon dont sont traités les détenus –, quelle différence faites-vous entre gestion publique et gestion privée ?
Enfin, quelle est la situation en matière de pratique des cultes ?
Vous êtes effectivement assez critique à l'encontre des nouveaux établissements pénitentiaires, qui font pourtant suite à des établissements du XIXe siècle. Cette modernisation est une bonne chose ! Quel écho trouvent vos critiques, surtout s'agissant des établissements qui restent à construire ? Et voyez-vous, au final, une différence entre une gestion complètement publique et les fameux partenariats public-privé ?
Les établissements pour mineurs et les nouveaux établissements pénitentiaires suscitent de nombreux commentaires.
M. Blisko me donne l'occasion de rendre un hommage appuyé au personnel des établissements pour mineurs, centres éducatifs fermés et quartiers de mineurs, confronté à des adolescents extrêmement difficiles. Un seul exemple : en cas d'agression contre un membre du personnel des établissements pénitentiaires, celui-ci porte plainte. Dans un établissement pour mineurs, jamais – et pourtant, les agressions y sont nombreuses. C'est vous dire l'abnégation des personnels !
Je ne pense pas qu'il y ait un problème de doctrine dans les établissements pour mineurs. En revanche, s'agissant des centres éducatifs fermés, je crois que la direction de la PJJ a quelque peu failli à sa vocation d'encadrement. Elle a d'ailleurs commencé l'an dernier à refondre leur cahier des charges. Ces centres sont pour partie tenus par des associations, avec des gens extrêmement désireux de bien faire mais qui ont été un peu démunis en termes de doctrine et de partage d'expérience. Il faut assurer des échanges horizontaux sur les pratiques qui sont suivies dans ces centres.
Il y a beaucoup de jeunes à Fleury-Mérogis, et beaucoup de violence. Malgré tout ce qui est fait, malgré tout le désir du personnel, on ne trouvera pas de solution définitive sans améliorer la coordination. D'abord, tous les établissements devraient signer entre eux, pour chaque jeune, des contrats de partenariat. Ensuite, il faudrait, comme la PJJ a commencé de le faire, un « éducateur fil rouge », un référent, qui suive le mineur de la première mesure éducative à la dernière et qui puisse orienter le juge des enfants. Tant que ces deux conditions ne seront pas réunies, on n'avancera pas beaucoup. Le sujet est extrêmement difficile, et il faut avancer pas à pas.
Pour ce qui est des établissements psychiatriques, parler de « cours de promenade » est déjà très optimiste ! Je connais un centre hospitalier dans le sud où les jardins sont inaccessibles et où l'on a fermé les balcons par crainte pour la vie des personnes hospitalisées. Les malades errent bien, mais dans les couloirs ! L'enfermement est déjà difficile, et les problèmes d'effectifs rendent impossible d'accompagner quelqu'un dehors, à la cafétéria, dans le jardin, pour aller fumer. Cela débouche sur des pratiques peu recommandables, concernant les cigarettes, par exemple.
Quant au recours au juge des libertés et de la détention, il en sera bientôt question ici et je me suis toujours fixé pour règle de ne pas intervenir dans les projets de loi en débat. Sauf à dire quand même qu'en cas de désaccord, et il s'en trouve de plus en plus, entre le psychiatre et le préfet sur la mainlevée d'une mesure d'hospitalisation sans consentement, il faut l'intervention d'un tiers. On ne peut pas plus demander au préfet d'apprécier l'évolution de la maladie qu'au psychiatre de juger de l'ordre public. Ces deux opinions sont complémentaires, pas concurrentes. En cas de désaccord, il faut un arbitre – peut-être pas le juge des libertés et de la détention, mais en tout cas pas le préfet.
J'en viens aux questions de Mme Karamanli. La confidentialité soulève bien sûr des questions difficiles, mais je crois qu'il est possible, tout en respectant l'intérêt de la personne, d'échanger ce qui doit l'être. Beaucoup de travailleurs sociaux se sont inquiétés de ce partage d'informations, mais je ne vois pas d'inconvénient majeur à ce que ce qui n'est pas confidentiel soit communiqué au maire, ou à une autre personne intéressée. En revanche, ce qui est confidentiel doit le rester, notamment la relation entre la personne et son avocat.
Nous sommes naturellement en relation avec la Haute autorité de santé, qu'il s'agisse des hôpitaux psychiatriques, ou des transsexuels, par exemple. Nous sommes complémentaires et devons nous éclairer l'un l'autre. J'ai très récemment reçu son nouveau président, et nous sommes en contact à peu près constant. Il faut éviter que la doctrine de la Haute autorité entre en conflit avec les demandes que je suis amené à faire, et réciproquement. Nous y sommes tous deux très attentifs.
Quant au suivi des recommandations, le rapport s'efforce d'être précis. Nous avons pris l'exemple du centre de détention d'Eysses, dans le Lot-et-Garonne, et avons dressé un tableau, quelque peu fastidieux, rappelant nos propositions, celles qui ont été retenues par le garde des sceaux et celles qui ont été effectivement réalisées. C'est assez représentatif de ce qui s'est passé dans de nombreux autres endroits.
Pour ce qui est des dépenses, 80 % sont effectivement consacrées à notre personnel, qui est hautement qualifié. Les dépenses de fonctionnement sont très serrées et le contrôleur subit un amaigrissement perpétuel, mais je considère normal d'être extrêmement attentif à l'argent public. Toutefois – l'essentiel de ces dépenses, une fois exclu le loyer, qui n'est pas très élevé, étant des frais de déplacement –, il est regrettable que nous ne puissions financer qu'un déplacement outre-mer par an, à la rigueur deux. Il n'est par exemple pas possible de se rendre d'urgence en Guyane lorsqu'un déplacement est déjà prévu dans une autre collectivité d'outre-mer. C'est une difficulté que je soumets à l'exécutif, et je serais heureux que le Parlement veuille bien s'y intéresser.
Enfin, il serait souhaitable de renforcer la cellule qui traite du courrier.
Je répondrai à Mme Pau-Langevin sur les nouveaux établissements pénitentiaires plus tard. Pour ce qui est des projets pédagogiques des établissements pour mineurs, je crois qu'il faut fixer à chacun, et non de façon collective, un projet pédagogique à sa mesure, et qui soit gradué : se réconcilier avec ses parents ou avec l'école, s'exprimer autrement que par la violence, par exemple. L'attention à chaque personne prime. Je crains les directives trop générales. Il faut de l'imagination et de l'adaptation. Les petits effectifs de ces établissements le permettent.
Quant à l'articulation avec le défenseur des droits, elle se fera tout simplement, comme avec les anciennes autorités administratives indépendantes. Dès sa nomination, je lui proposerai une convention, comme celles que j'avais signées avec le Médiateur, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la Commission nationale de déontologie de la sécurité ou la défenseure des enfants, afin que les dossiers soient clairement répartis entre nous et que le citoyen n'ait pas à souffrir d'une quelconque difficulté de lecture.
M. Vidalies s'est inquiété des nouveaux établissements pénitentiaires. Il est très clair que la situation constatée il y a onze ans par le Parlement ne pouvait pas rester en l'état, et que je ne suis pas spécialement partisan de l'humidité et de la moisissure. L'amélioration du confort matériel dans ces établissements est indiscutable – un détenu m'a même dit : « Ici, c'est l'hôtel ! ». Tout cela suppose une maintenance convenable et, en la matière, même les établissements neufs sont encore loin du compte. Attention aux crédits de fonctionnement du ministère de la justice sur ce point !
Restent toutefois des défauts de fonctionnement tout aussi incontestables, et il ne s'agit pas d'une opinion subjective. Il suffit d'observer la proportion des surveillants absents pour congé, leurs demandes de mutation, les demandes de transfert des détenus : tous les indicateurs sont concordants. Je ne citerai qu'un exemple : le tout récent centre pénitentiaire du Havre, qui vient de connaître un mouvement social important et où l'on a dû remplacer les surveillants titulaires par des élèves de l'école nationale d'administration pénitentiaire ! Les surveillants sont extrêmement mal à l'aise. En particulier, l'architecture de ces établissements crée un sentiment de peur, parce qu'ils se trouvent seuls dans des coursives hors de la vue des autres surveillants. Conséquence naturelle, ils désertent ces couloirs – une des raisons de cette absence de dialogue que j'ai relevée. On a aussi cru bien faire en dotant chaque bâtiment de tous les équipements collectifs nécessaires : il n'y a plus une seule bibliothèque, mais une par bâtiment. Cela limite la circulation des détenus à leur propre bâtiment, et c'est un tort. Il faut leur assurer un minimum de mouvements : c'est une condition de la vie collective, et ce n'est pas le cas dans les nouveaux établissements.
Les nouveaux établissements ont souvent une gestion partagée, à la fois publique et privée, et plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur ce point. Je n'ai aucun état d'âme par principe sur la gestion privée. Toutefois, lorsqu'une partie des tâches de gestion est confiée au privé, ce qui est parfaitement légitime, certains chefs d'établissement ont tendance à s'en désintéresser. La cantine, l'accueil des familles, l'entretien ne sont alors plus leur affaire. Par conséquent, plus personne n'exerce une vue d'ensemble sur la gestion de l'établissement. Il y a là un risque. Le centre de Mont-de-Marsan, que j'ai visité, n'y a pas tout à fait échappé, ce qui est aussi un motif d'inquiétude des personnels.
Enfin, les détenus des nouveaux établissements sont souvent frustrés de dialogue, ce qui conduit inévitablement à l'agressivité et à la violence. Et, autre indicateur, le nombre d'agressions et de suicides y est proportionnellement beaucoup plus élevé que dans les vieux établissements.
Pour répondre à M. Aly, je dirai qu'il n'y a pas d'inconvénient de principe à ce que, dans un même bâtiment, coexistent deux fonctions différentes – en métropole, c'est l'inverse de Mayotte, beaucoup de locaux de rétention sont installés dans des commissariats de police –, mais à la condition que ces deux fonctions soient séparées de façon parfaitement étanche. Nous avons trouvé dans un certain nombre de centres de rétention des registres de garde à vue qui n'y avaient pas leur place, et avons dû alerter le procureur de la République. S'il y a à Mayotte, ce que nous n'avons pas constaté lorsque nous nous y sommes rendus en mai 2009, confusion des genres entre la garde à vue et le centre de rétention, elle doit être combattue avec la dernière énergie, d'autant plus que leurs régimes juridiques sont différents.
Je profite de la question de Mme Batho pour revenir sur les établissements pour mineurs.
Beaucoup ont affirmé, en 2002, que, parce que les EPM étaient des lieux fermés, il ne pouvait s'y réaliser aucun progrès éducatif. Je n'ai jamais épousé ce point de vue. Il est vrai que certains souffrent d'une mauvaise conception architecturale, avec une cour centrale : lorsqu'un enfant est emmené au quartier disciplinaire, toute la maison est mobilisée. Mais il existe une autre conception, beaucoup plus satisfaisante. Je déplore à cet égard que, sans doute pour des raisons d'économie, on ne construise aujourd'hui que selon un seul modèle – et cela vaut pour l'ensemble des établissements pénitentiaires. Je plaide pour la diversité architecturale, notamment auprès de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice, et j'encourage des projets comme celui de Pierre Botton, qui rompent avec la doctrine officielle.
Je ne suis pas défavorable au mélange des cultures professionnelles dans les établissements pour mineurs. L'association entre la PJJ, l'administration pénitentiaire et l'éducation nationale peut être, quand elle est bien pensée, que les chefs sont d'accord et que le personnel d'exécution suit, une réussite exemplaire. Mais il est des endroits où cela n'a pas fonctionné. À Meyzieu, les responsables ne se sont pas entendus, ce qui a valu à l'établissement beaucoup d'avanies. Mais je reste persuadé qu'une démarche plurielle est une bonne chose pour affronter les difficultés des enfants. Peut-être a-t-on voulu trop bien faire en occupant ces derniers du matin au soir : ils ont besoin de rêverie et de temps libre ! Mais cette volonté répond aussi à des nécessités.
Des paris très heureux ont été réussis dans les établissements pour mineurs. D'abord, c'est la première fois en France que l'accent est mis sur l'aspect collectif de la vie dans l'établissement. Les établissements sont divisés en unités dans lesquelles les mineurs prennent leurs repas avec le personnel, par groupes de dix ou douze. C'est une rupture radicale avec la tradition française, qui présente de grands avantages car la socialisation est indispensable à ces enfants. Le niveau d'investissement de l'éducation nationale représente un autre pari intéressant, mais cela ne suffit pas : la définition des projets pédagogiques doit se faire en fonction de chaque enfant et de façon beaucoup plus précise qu'aujourd'hui.
M. Raimbourg a évoqué un effectif théorique de soixante mineurs, mais les établissements n'en comptent de facto que quarante : on s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas aller au-delà. Seul Marseille faisait exception, avec soixante jeunes qui s'entendaient relativement bien jusqu'aux événements récents. Par ailleurs, il n'y a pas incompatibilité entre le respect absolu du secret et l'échange des informations qui peuvent être partagées. C'est un problème qu'on a su régler pour ce qui est des travailleurs sociaux.
Il n'y a aucun progrès pour ce qui est des mineures, qui sont toujours hébergées dans des quartiers de femmes majeures pour la raison qu'elles sont très peu nombreuses. Certaines sont placées en établissement pour mineurs. Cela se passe en général plutôt bien, même si elles peuvent être aussi réactives que les jeunes garçons.
Enfin, je suis très attentif à la question des nourrissons. Le rapport annuel contient une proposition très claire : l'instauration d'un mécanisme d'aménagement ou de suspension de peine pour chaque détenue en passe d'accoucher, afin que plus aucun nourrisson ne se trouve en détention. Ce n'est d'ailleurs pas une révolution juridique : notre code de procédure pénale prévoit déjà un aménagement de peine pour raisons parentales. Il suffirait de le rendre un peu systématique. Une modification législative serait bienvenue à cet égard.
M. Vanneste a évoqué le travail en prison, qui est en diminution. Depuis 2008, le nombre de détenus au travail n'a cessé de baisser : 35 % aujourd'hui, selon l'administration pénitentiaire, mais je crains qu'elle ne compte les postes de travail plutôt que les personnes. Je pense qu'en fait 30 % des détenus sont au travail – 15 % dans les maisons d'arrêt. C'est tout à fait insuffisant. Outre le problème du volume du travail se pose la question de sa nature : il doit pouvoir offrir à la fois une réelle motivation et une qualification. Par ailleurs, je souscris à l'idée qu'un bon travail de préparation associe nécessairement l'intérieur de la prison et l'extérieur. Tant que ce lien n'existera pas, beaucoup restera à faire.
Quant aux produits illicites, il est notoire que l'alcool et le cannabis circulent en prison, ce dernier en grande quantité. On me parle aussi d'un renforcement de l'héroïne, en très petite quantité. Il faut absolument pouvoir repérer les gens qui font du trafic parce qu'outre le problème de base des stupéfiants, cette situation induit une domination absolument inacceptable de certains détenus sur d'autres. Il faut maintenir la vigilance sur ce point.
M. Valax a évoqué une période de formation commune pour le personnel des établissements pour mineurs. Je n'y suis pas hostile. De façon plus générale, je suis navré de l'absence de mécanisme de suivi institutionnel au profit du personnel pénitentiaire. Dans les établissements de santé, on peut recourir à des tierces personnes en tant que de besoin. Le personnel pénitentiaire ne le peut qu'en cas d'agression, malgré des conditions de travail extrêmement difficiles. Il faut renforcer ce suivi.
M. Verchère a rappelé les difficultés de l'établissement de Meyzieu. J'ai déjà parlé des problèmes de la conception architecturale et de l'accompagnement éducatif. Il faut améliorer les liens entre les différentes catégories de personnel.
Répondant à M. Hunault, je dirai que nous décomptons très précisément les caméras de vidéoprotection. Elles peuvent être très utiles en matière de sécurité et je ne vois aucun inconvénient à leur présence, hors des lieux de confidentialité et des cellules. Mais il faut savoir d'abord qu'elles présentent souvent un problème de qualité d'image, et ensuite qu'elles ne peuvent en aucune sorte remédier à des problèmes d'effectifs. Les deux sont étroitement complémentaires. Il est clair qu'une caméra ne réduira jamais la nécessité d'une présence humaine dans un couloir !
M. Nicolin a évoqué le centre de détention de Roanne. Je reste convaincu que, certes, les nouveaux établissements étaient indispensables, mais qu'ils doivent être améliorés. Il serait souhaitable de restaurer de petites unités et d'organiser des lieux de socialisation. Il importe aussi d'y simplifier les mouvements, entravés par des mesures de sécurité excessives.
Je suis d'accord avec M. Goujon pour ce qui est de la création de places.
Quant à un pouvoir d'injonction, je n'y tiens pas particulièrement : je suis en négociation avec les pouvoirs publics, pas en situation de leur enjoindre quoi que ce soit, et c'est pleinement satisfaisant. Par ailleurs, nous programmons une visite lorsque nous pensons qu'il sera intéressant de disposer de documents à l'avance, ou que les personnes préparent leur entretien. Nous nous rendons de façon inopinée dans les établissements de petite taille parce qu'il est facile d'y changer la situation, et dans les endroits où des difficultés semblent se produire.
Pour ce qui est du culte, j'ai publié un avis début avril. Il y a encore un certain nombre de difficultés. Nous sommes désormais sous le règne de la diversité religieuse : la liberté de conscience est un droit fondamental qui doit être assuré en prison, y compris pour les personnes qui n'ont aucune religion et pour les religions minoritaires.
Enfin, M. Gosselin a lui aussi évoqué les nouveaux établissements. Je ne méconnais pas leurs avantages, mais je maintiens mes critiques. Je n'ai aucun parti pris contre les partenariats public-privé, sauf qu'ils grèveront très lourdement le budget du ministère de la justice pour de longues années. Vous devez donc veiller aux crédits de fonctionnement !
Monsieur le contrôleur général, je vous remercie et vous souhaite de poursuivre avec la même énergie votre mission.
Puis la Commission examine, sur le rapport de M. Bernard Roman, la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues, simplifiant le vote par procuration (n° 3374).
Il s'agit d'une proposition de loi du groupe SRC, simple, courte et au champ bien circonscrit.
Chaque scrutin est aujourd'hui l'occasion d'un taux d'abstention élevé. Il y a de multiples raisons à cela ; l'une d'elles, très marginale, peut être corrigée en facilitant tout simplement le vote par procuration.
Le vote par procuration est une faculté ouverte par la loi et dérogatoire au droit électoral. Il devient indispensable à la vie démocratique dans une société à la fois vieillissante, avec de nombreuses personnes qui ne sont pas en mesure de se déplacer, et mobile, avec des électeurs qui ne se trouvent pas forcément dans leur commune le dimanche. Il a déjà fait l'objet d'une simplification en 2003, mais mal appliquée : la police et la gendarmerie continuent en effet dans certains départements à exiger des justificatifs des personnes qui demandent une procuration, alors qu'une attestation sur l'honneur suffit désormais.
Notre proposition comprend trois séries de simplifications.
En premier lieu, il s'agit d'autoriser le mandant à désigner un mandataire inscrit dans une autre commune que la sienne. La justification de l'obligation actuelle d'être inscrit dans la même commune s'explique par le fait que le maire contrôle qu'aucun mandataire ne dépasse le nombre maximal de procurations autorisé. Mais aujourd'hui, ce contrôle pourrait parfaitement être réalisé via un registre départemental ou national. Cela permettrait de répondre aux nombreux cas où des enfants voudraient voter pour leurs parents, ou réciproquement.
Il s'agit, en deuxième lieu, de porter à deux le nombre maximal de procurations par mandataire. Actuellement, l'article L. 73 du code électoral prévoit que chaque mandataire ne peut disposer de plus de deux procurations, dont une seule établie en France. Dorénavant, les deux procurations pourraient être établies en France ou à l'étranger. Là encore, il s'agit de résoudre des difficultés pratiques : celles d'un enfant qui veut voter au nom de ses deux parents, d'un parent qui doit voter pour ses deux enfants faisant leurs études dans une autre ville, d'un couple en vacances qui veut donner procuration à un ami commun, par exemple.
En troisième lieu, la proposition de loi vise à permettre l'établissement des procurations en mairie. Aujourd'hui, celles-ci sont faites au tribunal d'instance – très rarement –, mais surtout au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie. Cela pose un problème à la fois aux électeurs, qui ont souvent le réflexe de se présenter à la mairie, et aux commissariats et gendarmeries, qui se trouvent ainsi mobilisés pour des tâches qui ne sont pas au coeur de leur métier, et sans aucune justification depuis qu'ils n'ont plus à vérifier les formalités exigibles avant 2003. L'établissement des procurations en mairie permettrait aux électeurs de gagner en proximité et en simplicité, puisque tout ce qui concerne l'élection s'effectuerait alors en mairie. Cette solution est tout sauf iconoclaste. Elle est proposée depuis plusieurs années par nombre de parlementaires, y compris de la majorité, sous forme de questions écrites ou de propositions de loi. Elle a même été proposée par des députés de la majorité lors de la discussion, à l'automne dernier, de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2).
Je sais pourquoi cette solution n'a pas été retenue : on a pu craindre que certaines mairies ne fassent un usage partial de cette nouvelle prérogative. Pour y répondre, nous proposons trois garanties.
D'abord, il sera précisé par amendement que, si les demandes de procuration sont déposées à la mairie auprès du maire, d'un de ses adjoints ou d'un agent de la commune, ces autorités ne remplissent qu'un rôle de guichet : l'établissement de la liste des procurations appartiendrait à la commission administrative chargée d'établir et de réviser les listes électorales, prévue à l'article L. 17 du code électoral, qui comporte notamment un délégué du président du tribunal de grande instance. Je vous proposerai de bien clarifier ce partage des tâches. Le maire et les personnes habilitées recevront les demandes exactement comme le font les commissariats aujourd'hui. La liste sera validée par la commission, ce qui impose d'ailleurs des délais d'envoi par la poste.
Ensuite, il faut distinguer entre les personnes qui ne seront pas présentes le jour de l'élection et celles qui ne peuvent pas se déplacer et qui doivent fournir un certificat médical. Pour celles-là, nous proposons que le travail de collecte des procurations continue d'être assumé par la police ou la gendarmerie, et non par les élus municipaux.
Enfin, je vous proposerai, également par amendement, cette garantie supplémentaire que les décisions de la commission administrative qui valide la liste des procurations soient susceptibles d'être contestées devant le juge de l'élection par tout électeur et par le préfet.
En conséquence, je vous invite à adopter cette proposition de loi, car les difficultés actuelles d'établissement des procurations conduisent un nombre très important, et qui ira croissant, de citoyens à renoncer à déléguer leur vote.
Les propos du rapporteur, pleins de bons sentiments, trahissent tant de naïveté qu'on ne peut que s'opposer au texte.
À la différence des maires et de leurs adjoints, toujours intéressés par le résultat d'une élection, voire des employés municipaux, qui peuvent être délégués par les maires, le personnel d'État des commissariats ou des gendarmeries effectue un travail de vérification quand il reçoit une demande de procuration. À défaut de la cause de la demande, il contrôle l'identité du demandeur. Ce rôle ne peut pas être assumé par les commissions d'établissement des listes électorales, qui ne voient jamais de demandeur et qui, dans la plupart des communes, se contentent de valider l'enregistrement effectué par l'agent d'état civil.
Respectons le principe selon lequel la demande de dérogation est vérifiée par des personnes non intéressées au résultat de l'élection !
Au vu des listes électorales des années précédentes, un maire sait quels sont les inscrits qui votent. S'il veut frauder, il lui suffit de ne pas proposer à la radiation ceux qui ont quitté la commune depuis des décennies et d'établir une procuration à leur bénéfice. Je vois que M. Daniel Vaillant, ancien ministre de l'intérieur, est dubitatif, mais le département de la Seine-Saint-Denis a déjà connu de telles fraudes, alors même que le rôle des maires reste limité dans l'octroi des procurations. Et le risque serait bien plus grand si nous votions la proposition de loi, qui exclut toute possibilité de contrôle.
Le rapporteur présente comme une garantie le fait qu'une décision pourrait être contestée devant le juge de l'élection. Mais n'est-ce pas le cas pour toutes les opérations électorales ? Dès lors, le texte n'apporte aucune protection supplémentaire. La seule proposition de bon sens qu'il contienne vise à porter à deux le nombre de procurations par mandataire, pour les raisons familiales déjà mentionnées.
Enfin, l'article 2 prévoit que les procurations seront établies « à la mairie du lieu de résidence ou de travail de l'électeur ». Cette rédaction exclut du dispositif les retraités qui font établir la leur à la gendarmerie de leur résidence secondaire, avant qu'elle ne soit adressée à la mairie où ils sont inscrits.
Il existe un moyen plus simple de lutter contre l'abstention. Sur tout le territoire, les listes électorales comptent des centaines de milliers de personnes qui, après un déménagement, ne se sont pas réinscrites dans leur nouvelle commune. Pourquoi ne pas porter automatiquement leur nom sur la liste électorale ? On éviterait ainsi qu'une personne qui déménage fin novembre, sans prendre immédiatement la précaution de s'inscrire sur la liste électorale, ne soit dans l'impossibilité de voter parce que la mairie n'aura pas effectué un travail qui est à sa portée. Aujourd'hui, même quand une commune attribue à quelqu'un un logement social dans lequel il va évidemment résider, elle ne peut pas rectifier son adresse électorale, ce qui relèverait pourtant du bon sens. Modifier la loi sur ce point n'introduirait aucun risque de fraude, ce qui n'est pas le cas de la proposition de loi.
Comme M. Lagarde, je trouve bon, au nom de la simplification du droit, qu'on autorise un électeur à accepter deux procurations, mais celles-ci ne doivent pas être reçues par le personnel municipal travaillant pour des élus, toujours intéressés au résultat d'une élection. D'ailleurs, comment les mairies qui ne sont ouvertes que quelques heures par semaine répondraient-elles aux demandes, lesquelles affluent généralement à la veille du scrutin ? Enfin, s'imaginer qu'il suffirait, pour limiter l'abstention, de simplifier la procédure du vote par procuration, traduit une méconnaissance de ses causes.
Le groupe UMP ne votera pas le texte. Si l'on veut simplifier la loi, ce qui paraît louable, commençons par appliquer la réforme de 2003, qui remplace la production de justificatifs par une attestation sur l'honneur. Je conviens que les dispositions actuelles peuvent sans doute être améliorées, mais le risque de fraude qu'introduit la proposition de loi est trop important. Sans leur intenter le moindre procès d'intention, peut-on ignorer que les maires et leurs adjoints sont des acteurs politiques, qui ne peuvent être indifférents au résultat d'une élection organisée sur leur territoire ? C'est d'ailleurs ce qui a conduit le Conseil d'État à émettre, dès 2006, un avis défavorable à un projet visant à transférer aux mairies la responsabilité d'établir les procurations.
Si le but de la proposition de loi est louable, tant les règles d'établissement des procurations sont compliquées, le système qu'elle préconise l'est encore davantage. Il sera pratiquement impossible de réunir la commission de contrôle deux jours avant l'élection, si l'on veut que ses conclusions soient efficaces. Mieux vaudrait que le Gouvernement donne aux fonctionnaires des instructions permettant de remédier à certaines errances. Enfin, si nous approuvons qu'on porte à deux le nombre de procurations par mandataire, nous comprenons mal qu'on veuille confier une procuration à un électeur qui vote sur une autre commune, ce qui rendra les contrôles plus difficiles, sinon impossibles.
Peut-être faut-il relativiser les critiques que nous venons d'entendre. On sait à quelle pression sont soumis les commissariats à la veille des élections présidentielles ou législatives. Nombre d'électeurs attendent des heures, et rentrent chez eux sans avoir pu déposer leur procuration. Il est vrai que le personnel a bien d'autres tâches à effectuer, surtout à Paris, où il n'existe pas de gendarmerie.
Je partage l'analyse de M. Lagarde. À Mayotte, plus d'un tiers des électeurs vote par procuration. Ceux de la commune de Sada devront bientôt se prononcer pour la quatrième fois, après l'annulation de trois scrutins par le tribunal administratif, puis par le Conseil d'État. Le problème vient de ce que les municipalités savent parfaitement pour qui votent les intéressés. Dès lors, il leur est facile de conserver certaines procurations par devers elles et de prétendre qu'elles ne les ont reçues qu'après l'élection.
Ces craintes ne sont pas sans fondement, mais je vous rappelle que plus de 2 millions de procurations ont été établies en 2007. Depuis lors, plusieurs gendarmeries ont été supprimées, ce qui contraindra souvent des électeurs à parcourir soixante kilomètres aller et retour pour établir une procuration. Fréquemment, le seul lieu qu'ils identifient comme celui où l'on traite les affaires électorales est la mairie, qui, dans plus de 30 000 communes, jouxte l'école et la salle des fêtes. On s'y rend pour voter comme pour faire établir sa carte d'électeur. À cette occasion, c'est un agent municipal qui contrôle l'identité, ce qui n'a jamais soulevé d'objection.
Si un problème surgissait alors, il offrirait matière à contentieux.
Au bénéfice de ces informations, je demande à nos collègues qui se sont exprimés de revoir leur position avant que le texte ne soit examiné en séance publique.
La Commission passe à l'examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er (art. L. 72 du code électoral) : Suppression de l'obligation d'inscription sur les listes électorales d'une même commune pour l'établissement d'une procuration
La Commission rejette l'article 1er.
Article 2 (art. L. 73 du code électoral) : Établissement en mairie des procurations – Relèvement à deux du nombre de procurations par mandataire
La Commission rejette successivement les amendements CL 1, CL 2 et CL3 du rapporteur.
Puis, elle rejette l'article 2.
Après l'article 2
La Commission rejette successivement les amendements CL 4 et 5 du rapporteur, portant articles additionnels après l'article 2.
Article 3 : Modalités d'application de la loi
La Commission rejette l'article 3.
Elle rejette ensuite l'ensemble de la proposition de loi.
Amendements examinés par la Commission
Amendement CL1 présenté par M. Bernard Roman, rapporteur :
Article 2
À l'alinéa 3, substituer au mot : « dressée », le mot : « établie ».
Amendement CL2 présenté par M. Bernard Roman, rapporteur :
Article 2
Rédiger ainsi l'alinéa 4 :
« Les demandes de procuration sont déposées au plus tard le troisième jour précédant l'élection, à la mairie du lieu de résidence ou de travail de l'électeur, auprès du maire, d'un de ses adjoints ou de tout agent de la commune qu'il aura désigné à cet effet. »
Amendement CL3 présenté par M. Bernard Roman, rapporteur :
Article 2
Compléter cet article par l'alinéa suivant :
« III. – Le début du dernier alinéa est ainsi rédigé : « Si cette limite n'est pas respectée, la ou les... (le reste sans changement). »
Amendement CL4 présenté par M. Bernard Roman, rapporteur :
Après l'article 2
Insérer l'article suivant :
« Après l'article L. 78, du même code, il est inséré un article L. 79 ainsi rédigé :
« Art. L. 79. – Les décisions de la commission administrative mentionnée à l'article L. 17 prises sur le fondement de l'article L. 71 peuvent être contestées par les électeurs et par le représentant de l'État à l'appui d'un recours dirigé contre les résultats de l'élection devant le juge de l'élection. »
Amendement CL5 présenté par M. Bernard Roman, rapporteur :
Après l'article 2
Insérer l'article suivant :
« L'article L. 330 du même code est ainsi modifié :
« 1° Au troisième alinéa, les mots : « aux articles L. 71 et L. 72 » sont remplacés par les mots : « à l'article L. 71 » ;
« 2° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 1° bis Pour l'application de l'article L. 72, le ou la mandataire doit être inscrit dans la même circonscription consulaire que le mandant. »
Enfin, la Commission examine, sur le rapport de M. Patrick Bloche, la proposition de loi M. Patrick Bloche et plusieurs de ses collègues visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe (n° 586).
Le groupe SRC a choisi de consacrer sa séance réservée du 9 juin à l'examen d'une proposition de loi, qui avait déjà été déposée en 2006, sous la précédente législature, avant de l'être à nouveau en 2008, sous la législature actuelle. Nous vous proposons, en adoptant ce texte, de franchir une nouvelle étape vers l'égalité des droits, de supprimer une discrimination et, douze ans après l'adoption de la loi sur le PACS, d'élargir la liberté des couples de même sexe pour déterminer le choix de leur vie commune.
La loi sur le PACS a permis, outre la reconnaissance, non seulement symbolique, mais aussi légale, des couples de même sexe, leur entrée dans le code civil. Le 1er janvier 2010, on comptait un million de pacsés et, cette année-là, 203 882 PACS ont été signés, preuve qu'en douze ans le PACS s'est installé dans la société, répondant à une véritable demande. En 2010, trois PACS ont été signés pour quatre mariages, 6 % des pacsés étant de même sexe.
La proposition de loi vise à inscrire notre pays dans une évolution générale. L'Union européenne, qui participe au mouvement de lutte contre les discriminations, promeut depuis longtemps la reconnaissance du mariage homosexuel. Elle l'a fait notamment en 1994, en 2001 et en 2003, par le biais de résolutions du Parlement européen, qui ne revêtent certes pas de caractère contraignant. Sept États membres ont reconnu le mariage homosexuel, le premier ayant été les Pays-Bas en 2001 et, le dernier, l'Islande en 2010. À travers le monde, d'autres pays ont effectué la même démarche, comme le Canada en 2005, l'Afrique du Sud en 2006 et l'Argentine en 2010. C'est aussi le cas de cinq États des États-Unis, et de la ville de Mexico. Des sociétés comparables aux nôtres, certaines de tradition catholique marquée, n'ont pas été ébranlées par la reconnaissance du mariage homosexuel.
La proposition de loi vise à ouvrir un droit supplémentaire aux uns sans réduire celui des autres. En l'adoptant, la France, pionnière en 1999, cesserait d'être à la traîne des pays européens. Elle résoudrait en outre le problème né de la libre circulation au sein de l'Union de couples binationaux ou de couples de Français de même sexe ayant contracté dans un pays de l'Union un mariage non reconnu en France.
Je salue le rôle qu'a joué Noël Mamère, qui a ouvert le débat en célébrant le 5 juin 2004, à Bègles, un mariage entre deux hommes. Quand celui-ci a été annulé le 13 mars 2007 par la Cour de cassation, l'avocat général a déclaré : « Abandonner à la seule autorité judiciaire le soin de se prononcer (…) paraît exiger du juge qu'il accomplisse une tâche excédant les limites permises de son action », ce qui revient à pointer notre responsabilité de législateurs.
Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a adopté le 28 janvier 2011 une position comparable. Considérant que l'interdiction du mariage entre deux personnes de même sexe n'est pas contraire à la Constitution, il a néanmoins précisé qu'il est « à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité ». C'est à ce titre que Jean-Marc Ayrault, président du groupe SRC, a choisi d'inscrire l'examen de ce texte à l'ordre du jour de la séance du 9 juin. Nous devons effectuer un choix politique, au sens le plus noble du terme, en ouvrant le mariage aux couples de même sexe sans modifier les règles qui régissent le mariage hétérosexuel.
La proposition de loi compte quatre articles. Le premier rétablit dans le code civil un article 143, selon lequel le mariage peut être contracté par deux personnes de sexes différents ou de même sexe. Le deuxième en tire les conséquences en matière d'interdiction du mariage au sein des familles. Le troisième vise à maintenir la présomption de paternité prévue par l'article 312 du code civil, en la réservant explicitement aux seuls couples mariés composés d'un homme et d'une femme, qui en bénéficient actuellement. Le quatrième procède au toilettage des termes utilisés dans différents articles du code civil.
Je remercie tout particulièrement ceux de nos collègues qui m'ont écouté avec attention, et un peu moins ceux qui, en bavardant continuellement, ont provoqué un bruit de fond particulièrement pénible.
Je soutiens évidemment le texte. Le 5 juin 2004, les députés Verts avaient présenté une proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux personnes de même sexe, qui n'a pu être adoptée. Je crains fort que le présent texte, examiné à la veille d'importantes échéances électorales, ne subisse le même sort…
…ce qui nous privera de participer au mouvement en faveur de l'égalité des droits, auquel participent nombre de pays européens, même quand l'influence de l'Église catholique y est beaucoup plus grande qu'en France.
Certaines voix de la majorité ne se privent pourtant pas de nous objecter des motifs religieux et moraux, qui constituent manifestement un blocage !
Si le PACS représente un progrès considérable, dont il faut remercier Patrick Bloche et quelques autres, il laisse subsister une catégorie de sous-citoyens, puisque les personnes de même sexe n'ont pas le choix de contracter ou de refuser le mariage, preuve que l'orientation sexuelle reste un facteur de discrimination.
Saisi d'une QPC, le Conseil constitutionnel n'a pas fermé la porte, ce qui signifie peut-être aussi qu'il n'a pas pleinement pris ses responsabilités. Il a renvoyé le problème au législateur, qui doit assumer les siennes. Le mariage que j'ai célébré en 2004 a été valide pendant un an, au cours duquel le fisc l'a reconnu comme tel. Par la suite, l'épuisement des voies de recours internes a permis à la Cour européenne des droits de l'homme, qui a accepté la saisine, d'examiner la demande formulée par les mariés de Bègles. De ce fait, l'ouverture du mariage à des personnes de même sexe ne peut plus être considérée d'un point de vue strictement national.
La Cour européenne tranchera, mais je regrette que nous soyons en retard sur la société, faute de vouloir prendre en compte l'évolution de l'opinion. Les enquêtes, chers collègues, montrent par exemple que les Français sont prêts à ouvrir aux couples homosexuels le droit à l'adoption comme au mariage, ce qui devrait vous inciter à nous suivre. Ne restez pas figés ! Ne soyez pas réactionnaires !
Le groupe UMP rejettera évidemment la proposition de loi, sans s'étonner qu'on voie fleurir des textes provocants à l'approche des élections présidentielles. Grâce au PACS, les droits nouveaux consentis aux couples homosexuels ont été peu à peu conquis par eux. Ils répondent, notamment en matière de logement ou de solidarité, au besoin d'égalité qu'ils avaient exprimé.
L'exposé des motifs explique qu'un grand vent de liberté souffle sur l'Europe et que la conquête de nouveaux droits va dans le sens de l'Histoire. Je rappellerai la phrase de Jean Guitton, selon lequel « Être dans le vent, c'est avoir le destin des feuilles mortes ».
Selon le Conseil constitutionnel, la liberté du mariage n'interdit pas au législateur de définir les conditions requises pour pouvoir se marier, dès lors qu'elles ne sont pas contraires à d'autres exigences constitutionnelles comme le droit de mener une vie familiale normale et le principe d'égalité.
Loin de renvoyer le problème au Parlement, il précise que le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas que les couples de même sexe puissent se marier, puisque le droit de vivre en concubinage, les droits reconnus aux concubins par la jurisprudence et la possibilité de conclure un PACS leur permettent déjà de mener une vie familiale normale.
En ce qui concerne l'égalité, le Conseil constitutionnel considère qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a estimé, dans l'exercice de sa compétence, que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples de sexes opposés peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille.
Je remercie le rapporteur de la proposition de loi, et je salue le parcours qu'il nous a permis d'accomplir depuis douze ans. Si la France était à l'avant-garde en 1999, c'est en partie grâce à lui.
Bien qu'ayant écouté attentivement M. Blanc, je n'ai pas compris pas en quoi il serait si évident de réserver un droit, un mode de vie, une institution de la République à une catégorie de la population choisie en fonction de son orientation sexuelle. Il n'a avancé aucun argument pour justifier cette manière de catégoriser, de communautariser un droit, car c'est bien un discours communautariste qu'il nous a tenu. (Protestations des députés du groupe UMP.)
Rien ne justifie qu'on interdise à certains un droit acquis à d'autres. Les familles ont avancé. On ne jette plus en prison les mères célibataires.
D'ailleurs, 56 % des enfants naissent aujourd'hui hors mariage, preuve que les individus peuvent désormais choisir le type de relations qu'ils instaurent entre eux et la reconnaissance qu'ils attendent de la société. Mais le choix entre le concubinage, le PACS ou le mariage passe d'abord par une lutte contre les discriminations.
La proposition de loi est précise : elle pose strictement et uniquement le problème de l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. La seule responsabilité qui incombe au législateur est par conséquent de changer ou non une vieille coutume qui nous vient du fond des âges. Au XXIesiècle, la République s'honorerait en décommunautarisant ses propres usages.
Le raisonnement de M. Blanc devrait conduire les législateurs à exercer leurs responsabilités. C'est justement ce que nous souhaitons faire.
Compte tenu de la manière dont la société a évolué, notamment grâce au PACS, l'ouverture des droits apparaît désormais sous un nouveau jour. Ce qui n'était pas vécu comme discriminatoire il y a vingt ans l'est devenu aujourd'hui. Le texte proposé, qui défend l'ouverture et l'universalité du droit du mariage, répond en outre à un principe à l'oeuvre dans d'autres pays. À ce titre, il est inéluctable : il sera voté demain, quelle que soit la majorité. Notre démarche n'a donc rien d'électoraliste ! D'ailleurs, la position, au mieux conservatrice, au pire réactionnaire, de nos collègues va à l'encontre de bien des déclarations individuelles des membres de la majorité, selon lesquels la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe est dans le droit fil de l'action menée au cours des dernières années.
Si je ne vois rien à redire au titre de la proposition de loi, je constate que le débat s'oriente sur la question de l'homosexualité. Or qu'est-ce qu'un homosexuel ? Une personne qui éprouve une attirance sexuelle pour une autre personne de même sexe. En quoi une telle attirance justifierait-elle que la société modifie ses règles de fonctionnement ? Chacun est libre de mener sa vie sexuelle comme il l'entend, pourvu qu'il ne trouble pas l'ordre public, mais la société n'a pas à modifier son modèle au gré des souhaits des uns ou des autres.
Nous passons d'un débat à un autre. De l'idée qu'il faudrait réserver les mêmes droits à tous, quel que soit leur sexe, on en vient à soutenir qu'il faudrait prendre en compte toutes les pratiques sexuelles. Si tel était le cas, il faudrait demain en intégrer d'autres. Or il me semble dangereux d'aller dans cette voie.
Nos collègues de l'opposition reprochent souvent au Président de la République ou au Gouvernement de dresser des Français les uns contre les autres. Mais c'est précisément ce qu'ils font en ce moment !
Je suis surprise qu'on place la discussion sur le terrain de l'égalité des droits. Il y a deux sexes différents, complémentaires, qui devraient avoir des droits égaux. S'il y a un combat à mener, c'est peut-être dans ce sens qu'il faut aller, pour faire mieux respecter le droit des femmes. Pour ma part, j'y souscrirai totalement.
Vous vous êtes battus pour le PACS, que l'on a voté…
À l'époque, je n'étais pas encore députée ! L'enjeu du débat sur le PACS était que les couples homosexuels aient les mêmes droits que les couples hétérosexuels. Que leur manque-t-il aujourd'hui à part la robe de mariée ? Au nom de l'évolution des moeurs, notre société, dont les fondements laïques et républicains sont établis depuis des siècles, devra-t-elle prendre en compte, comme l'a dit mon collègue, d'autres pratiques sexuelles – et pourquoi pas le mariage avec les animaux ou la polygamie, si d'autres religions prennent le pas sur notre tradition judéo-chrétienne ?
J'exagère, bien sûr, mais c'est pour montrer où mène l'absurde. Il faut tout de même des barrières et des règles pour garantir la vie en société et les traditions. Ce que vous qualifiez de communautarisme n'est que la démocratie, c'est-à-dire la règle du plus grand nombre.
Le débat était bien parti, mais ce que nous venons d'entendre est accablant. Comment peut-on assimiler l'homosexualité aux déviances qui viennent d'être évoquées ! Je n'imaginais pas que la droite en était encore là aujourd'hui !
Vos réactions montrent d'ailleurs que vous êtes incapables d'avancer le moindre argument. Quand nous avons voté le PACS, il n'était pas certain que les couples de même sexe revendiqueraient le droit de se marier. Leur demande n'est-elle pas le meilleur service qu'on puisse rendre à l'institution républicaine du mariage ? Ceux qui pensaient qu'elle était déqualifiée ou qu'elle se réduisait à l'état de survivance devraient soutenir le texte.
Le mariage républicain est un facteur de stabilité. Il comporte des droits et des obligations, qui apportent une réponse aux difficultés de la vie. En obligeant les citoyens à se montrer responsables les uns envers les autres, il contribue manifestement à la solidité de la société. Les homosexuels sont les seuls à ne pas bénéficier des droits accordés au conjoint survivant, ce qui est une forme de discrimination.
Au fil des années, nous voyons diminuer la qualité des arguments qui nous sont opposés, ce qui confirme que nos collègues mènent un combat d'arrière-garde.
Je remercie M. Bloche, ainsi que ceux qui ont porté le débat sur un terrain raisonnable. Il y a douze ans, des centaines de milliers de personnes manifestaient violemment dans la rue contre le PACS dans lequel elles voyaient la fin de la civilisation. Les faits les ayant détrompés, nos collègues de la majorité feignent à présent d'avoir voté la mesure, oubliant que Mme Bachelot était alors parmi eux une brillante exception.
Certaines expressions m'ont fait bondir. Entre adultes consentants, il n'y a pas de forme inférieure ou supérieure de sexualité, n'en déplaise à M. Vanneste, qui a été condamné sur ce chapitre.
Pour le calme de nos travaux, M. Blisko accepte de retirer ses propos, comme d'ailleurs Mme Barèges. Les deux phrases litigieuses n'ont donc pas eu lieu d'être.
Entre adultes consentants, aucune forme de sexualité n'est condamnable. Si nous sommes d'accord sur ce point, pourquoi refuser que certains concluent un contrat, qui, à en croire les statistiques, reste de plus en plus civil ? D'où peut venir l'opposition, si elle n'est pas d'essence métaphysique ?
On ne peut aborder le sujet de manière efficace que si, évacuant tous les problèmes symboliques ou moraux, on s'en tient à la notion juridique d'égalité des droits. On pense ce qu'on veut de l'emballement pour le mariage, qui me surprend moi-même…
Je ne me prononce pas sur ce point. À mes yeux, le mariage est une institution et un contrat : dans les pièces de Molière, quand on se marie, on fait venir le notaire.
Demandons-nous si l'égalité doit s'appliquer à tous ceux qui veulent se marier. À cet égard, le sexe des partenaires ne semble pas déterminant. Ma génération a longtemps considéré que le mariage était une institution périmée, vouée au dépérissement. L'engouement actuel montre qu'il protège davantage les conjoints que le PACS, qui a cependant apporté aux couples de même sexe une avancée significative.
Un de nos collègues prétend qu'il n'y a pas de relation entre le mariage et la sexualité. Une telle conception paraîtra sans doute libertine à tous ceux, très nombreux, pour lesquels il y a entre les deux notions une relation certaine !
Enfin, je m'étonne que nos collègues refusent que la signature du PACS donne lieu à une célébration en mairie.
M. Le Roux nous assure qu'il n'est pas question d'électoralisme, mais le deuxième signataire du texte est M. Hollande, qui se présentera aux primaires organisées par son parti en vue de l'élection présidentielle.
Nos collègues s'habillent de juridisme : ils invoquent la Cour européenne des droits de l'homme, la QPC et les droits imprescriptibles du mariage, qu'ils ravalent au rang de simple contrat. Mais la première phrase de l'exposé des motifs assure tout de même que « le mariage est une institution ». Visiblement, ils sont à recherche de sujets clivants. À en croire Mme Mazetier, la proposition de loi vise simplement à ouvrir le droit au mariage aux couples de même sexe, mais le mot « adoption » figure dans l'exposé des motifs, à la page 10 du document n° 586. Il n'est pas interdit d'y penser, mais, dans ce cas, il faut le dire clairement : si c'est l'adoption et l'homoparentalité qui sont en cause, qu'ils l'assument !
Par rapport au mariage, nous sommes tous conscients que le PACS est une sous-catégorie juridique, au sens où il s'agit, non pas d'une institution, mais d'un simple contrat, qui n'offre pas les mêmes garanties au conjoint survivant.
Par ailleurs, nous n'avons jamais demandé à Mme Barèges de retirer ses propos. Fort habilement, le président de la Commission a profité d'un incident de séance pour annoncer, de sa propre initiative, qu'ils étaient retirés, mais cette décision ne correspond ni à notre demande ni à celle de l'intéressée et ces propos ont bien été tenus.
J'espère pour ma part qu'ils figureront au compte rendu.
Il ressort de l'intervention de M. Blanc que, si la Constitution n'impose pas la création d'un mariage homosexuel, celle-ci ne serait pas anticonstitutionnelle. Nous vous proposons de traiter la question à la faveur de ce texte. À défaut, elle sera au coeur de la campagne présidentielle, et le peuple arbitrera vraisemblablement en notre faveur.
Je ne voterai pas la proposition de loi, qui me semble purement symbolique. Si nos collègues avaient voulu modifier certaines clauses défavorables au conjoint survivant d'un couple pacsé, il leur aurait été facile de déposer un texte sur le sujet. Ils ne l'ont pas fait, préférant s'attaquer, pour des raisons électoralistes, à la symbolique de l'institution. Qu'ils ne parlent donc pas d'efficacité !
La rédaction du texte devra de toute façon être harmonisée avec le reste du code civil qui, ignorant les notions d' « oncle » et de « tante », de « nièces » et de « neveux », parle de collatéraux au deuxième, troisième ou quatrième degré.
Enfin, le mariage est une institution symbolique. C'est visiblement sur le plan du symbole et non celui de la protection des individus que nos collègues entendent placer la campagne électorale.
L'institution matrimoniale est au coeur de l'anthropologie. Le mariage, qui peut prendre différentes formes, a toujours pour but de permettre à des groupes de s'allier pour créer des filiations, ce qui suppose deux partenaires de sexes différents. À l'opposé de cette logique, le texte vise à créer une situation juridique propre à notre société, en créant une protection et des droits permettant de rapprocher deux personnes du même sexe qui éprouvent des sentiments l'une pour l'autre. Cela ne concerne en rien la société, qui doit seulement se préoccuper de son avenir, de sa permanence et de ses structures.
Longtemps, comme l'a montré Luc Ferry, on n'a pas fait appel au sentiment pour conclure les mariages. C'est récemment que celui-ci a été installé au coeur de la relation matrimoniale, le seul point qui intéresse la société étant la rencontre de deux sexes et la perpétuation des générations.
Nos collègues de l'opposition et nous-mêmes sommes dans deux logiques différentes. Il n'y a pas lieu de débattre plus avant ni de nous affronter.
Puis-je savoir, monsieur le président, pourquoi vous avez demandé à Mme Barèges de retirer ses propos concernant le mariage avec les animaux ? Celle-ci a le droit d'exprimer son avis, qui n'est d'ailleurs pas éloigné de certaines opinions qui se sont exprimées il y a douze ans lors du débat sur le PACS et personne d'autre que vous-même n'a demandé de retirer ces propos.
Je m'étonne par ailleurs que M. Vanneste argue de l'absence de sentiment qui présiderait au lien matrimonial. Fort heureusement, on n'impose pas aux candidats au mariage, qui peuvent d'ailleurs être âgés ou stériles, de faire des enfants ! De notre côté, nous assumons parfaitement notre volonté d'ouvrir à tous de manière égale une institution de la République qui est toujours plébiscitée en ce qu'elle traduit l'engagement fort de deux personnes face à la société.
De toute évidence, il s'agit d'un texte de circonstance, visant à faire apparaître la majorité comme un conglomérat de dangereux réactionnaires, auxquels s'opposeraient de valeureux progressistes.
Le texte sur la bioéthique a donné lieu au même type de radicalisation. Mieux vaudrait ouvrir le nécessaire débat sur le mariage, la famille, la filiation en dehors des périodes préélectorales : il gagnerait en sérénité.
J'ai fait passer un mot au président de la Commission, après avoir été plusieurs fois mise en cause pour avoir osé une plaisanterie qui rebondissait sur le propos tenu précédemment par un collègue.
Il va de soi que je suis favorable à la liberté sexuelle entre adultes consentants. En outre, je ne pense pas qu'on puisse me suspecter d'être homophobe, puisque j'ai été rapporteure d'un texte visant à réprimer les propos homophobes et sexistes. Pour ce qui est de la lutte contre le sexisme, j'ai regretté, la semaine dernière, de ne pas entendre davantage nos collègues de l'opposition…
Si nous idéalisons tous cette institution, n'oublions pas qu'un mariage sur deux se termine aujourd'hui par un divorce. Nous devons nous situer par rapport à trois notions : la famille, le mariage et la filiation, qu'il ne faudrait pas aborder, comme nous le faisons, de manière éclatée. Si notre débat manque de cohérence, c'est parce que nous ne définissons pas le lien sociétal que nous cherchons à construire.
Le problème ne date pas d'hier : il s'est déjà posé lors du débat sur le PACS.
Cette mesure pragmatique, mais isolée, nous empêche aujourd'hui de nous situer clairement dans une démarche sociétale, ce qui m'amènera à voter contre le texte.
Monsieur Vialatte, la filiation est un des objets principaux de la révision des lois de bioéthique, dont nous n'avons pas choisi la date. Qu'on nous fasse la grâce de reconnaître que, sur ces sujets, notre position n'a jamais varié, et qu'elle ne doit rien au contexte électoral.
M. Vanneste entend réduire la question du mariage à la procréation, ce qui est une erreur juridique manifeste. Va-t-il nous proposer d'annuler tout mariage infertile ? Dans les sociétés modernes, le mariage est bien moins lié à la procréation qu'à l'argent. Sans doute n'a-t-il pas lu Lévi-Strauss, sans quoi il saurait que le mariage a longtemps été interdit aux juifs et aux protestants, signe qu'il ne peut être assimilé à la notion de reproduction.
Enfin, je rappellerai qu'aujourd'hui la majorité des enfants naissent hors mariage.
Certains de nos collègues, sans doute de bonne foi, voient dans la proposition de loi un texte de circonstance. Mais, sans la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier renvoyant le législateur à ses responsabilités, nous n'aurions probablement pas consacré une de nos séances à son examen. Elle a déjà été déposée en 2006, ce qui explique que M. Hollande, alors Premier secrétaire du parti Socialiste, soit aujourd'hui le deuxième signataire du texte, devant Jean-Marc Ayrault.
Le texte vise à ouvrir le mariage à deux personnes « de même sexe », même si, n'en déplaise à M. Nicolin, certains ont utilisé le terme « homosexuel ». On pourrait tout aussi bien parler de « mariage gay », autre appellation courante. Il exclut la question de l'homoparentalité, qui, en 2006 comme en 2008, fait l'objet d'un texte distinct, n° 585, déposé le même jour. Si nous traitons aujourd'hui spécifiquement du mariage, c'est pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel, laquelle a précisé, comme je l'ai rappelé, que, si l'interdiction actuelle du mariage entre personnes de même sexe n'est pas contraire à la Constitution, son autorisation ne le serait pas non plus. « Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter les dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité. », a dit le Conseil.
À quelques exceptions près, la majorité n'a pas voté le PACS, qu'elle a pourtant su aménager et améliorer en élargissant les droits des couples pacsés. Je pensais donc sincèrement qu'elle ferait preuve d'une plus grande ouverture, dans un contexte européen qui a amené des États très semblables au nôtre – et peut-être encore plus marqués par leur passé et leur culture catholiques, comme l'Espagne et le Portugal – à offrir la possibilité de se marier aux personnes de même sexe qui souhaitent organiser leur vie commune.
Je remercie M. Mamère et mes collègues du groupe SRC de leur attachement à certains principes : égalité des droits, lutte contre les discriminations, défense du mariage comme institution marquée du sceau de l'universalisme.
En l'occurrence, il ne s'agit que d'offrir une liberté. Puisque 94 % des PACS sont conclus, hors de toute logique communautariste, par des couples hétérosexuels, pourquoi ne pas ouvrir le mariage aux couples de même sexe, qui peuvent déjà opter par ailleurs pour le PACS ou le concubinage ?
Dans un rapport remis en 1998 au Gouvernement, Irène Théry écrivait : « Le mariage est une institution vivante, et une institution vivante ne se défend pas de façon négative et apeurée, comme une citadelle assiégée. » Ce serait rendre service au mariage que de lui permettre de s'adapter, sachant que le PACS et le mariage ne donnent pas les mêmes droits, de même qu'ils n'imposent pas les mêmes devoirs.
Les derniers sondages montrent que 61 % des Français, contre 55 % en 2007, sont favorables à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Par ailleurs, le lien qui existait jadis entre mariage et filiation biologique a disparu, comme le montre le fait que 56 % des premiers enfants naissent hors mariage.
Enfin, n'en déplaise à M. Goasguen, les mots « oncle » et « tante » figurent à l'article 163 du code civil.
Je me réjouis de notre échange, même si je pensais ne plus devoir entendre certains arguments qui m'avaient été opposés il y a douze ans lors du débat sur le PACS. Mais ainsi va la vie parlementaire.
La Commission passe à l'examen des articles de la proposition de loi.
Chapitre Ier Dispositions relatives au mariage
Article 1er(art. 143 [nouveau] du code civil) : Reconnaissance du mariage contracté par deux personnes de même sexe
La Commission rejette l'article 1er.
Article 2 (art. 162, 163 et 164 du code civil) : Conséquences sur les différentes interdictions de se marier au sein des familles
La Commission rejette l'article 2.
Chapitre II Dispositions relatives à la filiation
Article 3 (art. 312 du code civil) : Coordination en matière de filiation afin de préserver la présomption de paternité au sein des couples mariés hétérosexuels
La Commission rejette l'amendement de précision CL 1 du rapporteur.
Puis elle rejette l'article 3.
Chapitre III Dispositions visant à mettre en cohérence le vocabulaire du code civil
Article 4 (art. 75, 108, 144, 197, 412 et 980 du code civil) : Mise en cohérence de divers articles du code civil
La Commission rejette l'amendement de coordination CL 2 du rapporteur.
Elle rejette l'article 4.
Puis elle rejette l'ensemble de la proposition de loi.
Amendements examinés par la Commission
Amendement CL1 présenté par M. Patrick Bloche, rapporteur :
Article 3
Au début de l'alinéa 1, supprimer les mots : « Le premier alinéa de ».
Amendement CL2 présenté par M. Patrick Bloche, rapporteur :
Article 4
Supprimer les alinéas 6 et 7.
Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné :
— M. Philippe Gosselin, rapporteur sur le projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution (n° 3436) ;
— M. Philippe Gosselin, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique (n° 3437) ;
— M. Didier Quentin, rapporteur du projet de loi organique, après engagement de la procédure accélérée, relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française (sous réserve de sa transmission par le Sénat) ;
— M. Marcel Bonnot, rapporteur du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles (n° 3373) ;
— M. Sébastien Huyghe, rapporteur du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (n° 3452);
— M. Philippe Goujon, rapporteur de la proposition de loi de M. Jean-René Lecerf, sénateur, relative à la protection de l'identité (sous réserve de sa transmission par le Sénat).
La séance est levée à 12 heures 20.