La séance est ouverte à dix heures.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président
La Commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale (n° 1237) (M. Jean-Paul Garraud, rapporteur).
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, déposé il y a un an, a pour objet de compléter les dispositions de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, dont certaines dispositions avaient été déclarées contraires à la Constitution ou fait l'objet de réserves par le Conseil constitutionnel. À la suite de cette décision, le Président de la République avait demandé au premier président de la Cour de cassation de lui remettre un rapport sur les conséquences devant être tirées de la décision du Conseil constitutionnel, rapport à la suite duquel a été déposé le présent projet de loi.
Le présent projet de loi a pour objet d'amoindrir le risque de récidive criminelle. Ce projet de loi répond à une attente de l'opinion publique, choquée par certains crimes récents commis par des personnes récidivistes. Loin d'être dicté par l'émotion, ce projet de loi permet de prendre en considération une problématique particulièrement perturbante pour la société, qu'est la récidive de certains crimes d'une particulière gravité.
Je souhaite en préambule saluer la qualité du travail effectué par votre commission, en particulier par son rapporteur, M. Jean-Paul Garraud. La qualité de la loi dépend largement de la coopération entre le Gouvernement et le Parlement. À cet égard, je me félicite du climat de confiance, de franchise et de responsabilité de nos échanges.
Le projet de loi soumis à votre examen vise à amoindrir le risque de récidive en matière criminelle. Tout d'abord il complète la loi du 25 février 2008 et tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 en s'appuyant sur le rapport de M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, dont je tiens à saluer la qualité. Ensuite, il renforce la protection de nos concitoyens.
Si l'incarcération est la première des réponses pénales contre les actes criminels graves, elle n'est pas toujours suffisante à la protection de la société. L'actualité l'a récemment rappelé. Qu'une femme ait pu trouver la mort en croisant sur son chemin un violeur récidiviste, à peine sorti de prison, qu'un enfant de cinq ans soit agressé par un violeur déjà condamné et incarcéré, c'est intolérable et insupportable.
Face aux risques que font peser certains récidivistes, les Français attendent de l'État qu'il sache les protéger. C'est notre responsabilité. Il nous appartient de prendre les mesures adaptées, respectueuses des libertés publiques, mais à même de permettre la prévention de la récidive.
La loi du 10 août 2007 a institué des peines planchers à l'égard des multirécidivistes. Elle est mise en oeuvre, puisqu'à ce jour, près de 14 000 condamnations en récidive ont donné lieu à une peine au moins égale à la peine plancher.
Pour prévenir la récidive, la fermeté doit aller de pair avec des réponses adaptées. Ainsi, la loi pénitentiaire récemment adoptée a prévu des dispositifs encourageant la réinsertion, qui constitue certainement la meilleure garantie pour la prévention de la récidive. Mais nous devons aussi être réalistes, en reconnaissant que certains criminels présentent un risque grave de récidive. Il faut réduire leur dangerosité, pour autrui mais également pour eux-mêmes. Pour ces personnes, il faut renforcer leur suivi, qui doit être à la fois judiciaire mais aussi médical et psychiatrique. Surtout, ce suivi doit débuter en prison d'abord, mais aussi se poursuivre en dehors de la prison après la libération.
Le projet de loi permet de consolider les mesures de sûreté prévues par la loi du 25 février 2008, tandis que de nouvelles mesures permettront de garantir un meilleur suivi des criminels dangereux en dehors de la prison.
En premier lieu, le projet de loi garantit l'effectivité des mesures de sûreté. Sur la base du rapport Lamanda, deux objectifs sont visés : d'une part, clarifier les conditions de placement en rétention de sûreté, et, d'autre part, renforcer l'efficacité des mesures de surveillance de sûreté.
S'agissant de la clarification des conditions de placement en rétention de sûreté, le projet de loi prévoit, conformément à la décision du Conseil constitutionnel, qu'un placement en rétention de sûreté impliquera que l'intéressé ait, pendant sa détention, bénéficié d'une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée. Ensuite, la mesure de rétention de sûreté ne pourra intervenir que lorsque le renforcement des mesures de surveillance apparaît insuffisant pour prévenir la récidive. Enfin, l'aide juridique sera bien sûr garantie aux personnes placées en rétention de sûreté, qui pourront ainsi bénéficier de l'assistance d'un avocat pour les mesures pouvant être prises pendant le cours de la rétention.
S'agissant du renforcement de l'efficacité des mesures de surveillance de sûreté, les possibilités de placement sous surveillance de sûreté seront étendues. Ainsi, la mesure pourra intervenir soit à l'issue d'une surveillance judiciaire ayant accompagné une libération anticipée, soit directement à la sortie de prison. Ensuite, si une personne est condamnée à une peine de prison pendant l'exécution des mesures de surveillance ou de rétention, ces dernières ne seront que suspendues et pourront donc reprendre à l'issue de l'exécution de la peine. Enfin, des personnes remises en liberté dans l'attente d'une procédure de révision pourront faire l'objet de mesures de contrôle.
Cependant, la protection des citoyens contre les criminels dangereux ne peut être limitée au temps de l'incarcération. La loi sur la rétention de sûreté nous a permis de mieux prévenir la récidive des infractions sexuelles ou violentes les plus graves, mais il est nécessaire d'aller plus loin. En effet, le Gouvernement souhaite que le présent projet de loi soit complété sur trois points : en renforçant le suivi médico-judiciaire des délinquants et criminels sexuels, en assurant le contrôle et la surveillance effectifs des criminels après leur libération et en garantissant une meilleure protection des victimes.
S'agissant du renforcement du suivi médico-judiciaire des délinquants et criminels sexuels, nous savons que certains délinquants tentent de contourner leur obligation, soit en ne s'y soumettant pas, soit par la prise de médicaments interférant avec le traitement. Pour donner aux juges les moyens de vérifier la réalité de la prise et du suivi du traitement, un médecin traitant chargé de prescrire et de suivre l'administration du traitement, rendra compte au médecin coordonnateur. Lui-même aura l'obligation d'informer les juges de toute interruption de traitement. Le juge comme le médecin sont astreints au secret professionnel, et le demeureront, puisqu'il n'est pas question de revenir sur ce point. Le médecin aura simplement l'obligation d'informer le juge sur l'exécution de la mesure, et non sur le protocole médical suivi. La circulation de l'information renforcera ainsi la protection de tous.
S'agissant du contrôle et de la surveillance des criminels après leur libération, il apparaît que l'un des problèmes centraux est celui de la circulation de l'information. Il sera donc proposé de renforcer l'information des services enquêteurs. Pour savoir où se trouvent les sortants de prison sur le territoire, l'identité et l'adresse des condamnés libérés seront systématiquement communiquées aux services de police et de gendarmerie. Cette mesure simple et de bon sens permettra aux forces de sécurité d'assurer une surveillance ciblée, gage de prévention et de protection. En outre, pour renforcer l'efficacité du travail des policiers et gendarmes, il faut moderniser le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles. Une interconnexion avec le fichier des personnes recherchées doit être envisagée.
L'information des magistrats doit également être renforcée. Il n'est pas tolérable qu'un juge doive prendre une décision sans disposer de tous les éléments, alors même que ces éléments existent mais sont dispersés. Une connaissance du parcours individuel du condamné permettra au juge de mieux évaluer son profil et sa dangerosité. Pour prendre un exemple, un cas de cannibalisme a été déploré au centre pénitentiaire de Rouen. Or le juge n'était pas informé de l'état mental du détenu, ce qui n'est pas acceptable.
Je souhaite donc que pour chaque détenu le justifiant soit créé un dossier unique de personnalité comprenant l'ensemble des expertises psychiatriques, psychologiques et autres enquêtes sociales réalisées dans le cadre d'une procédure pénale ou lors de l'exécution d'une mesure de sûreté.
De même, les mesures de sûreté et les décisions de surveillance judiciaire doivent être inscrites au casier judiciaire. L'autorité judiciaire doit avoir connaissance de ces éléments lorsqu'elle poursuit ou juge une personne qui a fait l'objet d'une telle mesure.
Enfin, nous avons l'obligation de garantir aux victimes la tranquillité, en faisant en sorte que les interdictions de se trouver en contact soient plus systématiquement prononcées et mieux respectées. Qu'un criminel puisse, en sortant de prison, s'installer près des lieux où habite ou travaille la victime des faits qu'il a commis est inacceptable. Actuellement, dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un aménagement de peine, la juridiction de jugement ou d'application des peines peut interdire à un condamné d'entrer en relation avec la victime ou de paraître en tout lieu. Je souhaite que soit créée une nouvelle interdiction, afin de faciliter l'éloignement des condamnés de leurs victimes : l'interdiction de paraître dans un périmètre précisé par la juridiction autour du lieu où travaille ou réside la victime ou sa famille. En outre, toute personne condamnée pour un crime sexuel et bénéficiant d'un aménagement de peine devra être obligatoirement soumise à cette interdiction par le juge de l'application des peines, sauf décision contraire motivée.
Enfin, aujourd'hui, quand les services de police ou de gendarmerie constatent la violation d'une interdiction de s'approcher de la victime, ils n'ont aucun moyen légal pour intervenir. Je souhaite donc qu'il leur soit permis d'interpeller l'intéressé, de le retenir pendant 24 heures, et, si le juge de l'application des peines l'estime nécessaire, de le déférer devant celui-ci éventuellement aux fins d'incarcération.
Protéger les Français, ce n'est pas se contenter de sanctionner le criminel une fois le crime commis. Combien faudrait-il alors de viols, de meurtres et d'agressions violentes pour assurer la sécurité de nos concitoyens ? La protection des Français doit être préventive et proactive. Elle doit reposer sur l'évaluation lucide et efficace des risques de récidive.
En adaptant le suivi médico-judiciaire, en mutualisant les informations et en assurant la tranquillité des victimes, nous franchirons une étape supplémentaire dans la prévention de la récidive. Cela ne réglera pas forcément tout : ce ne serait ni lucide ni honnête de le penser. Cependant, notre devoir est de doter notre pays des instruments les plus adaptés pour lutter contre la récidive. Première des libertés, la sécurité est la condition de toutes les autres. La garantir à nos concitoyens relève de notre responsabilité partagée.
La sécurité constitue l'une des aspirations les plus fortes de nos concitoyens. Depuis plusieurs années, la lutte contre la délinquance et la prévention de la récidive sont au coeur de l'action du Gouvernement et du Parlement. Pour ne prendre que deux exemples, la loi du 10 août 2007 sur la lutte contre la récidive et la loi du 25 février 2008 sur la rétention et la surveillance de sûreté ont permis d'apporter des réponses fermes, mais proportionnées, aux problèmes de délinquance que connaît notre pays.
Mme le ministre d'État a rappelé l'évolution législative des dernières années, qui a permis d'améliorer la prise en charge des individus dangereux par l'introduction dans notre droit de la notion de mesures de sûreté, à la suite notamment du rapport que j'avais remis en 2006 à M. le Premier ministre sur l'évaluation et la prise en charge des criminels dangereux. Cette évolution a ouvert, aux côtés et en complément du droit de la peine, la voie aux mesures de sûreté, basées sur l'évaluation et le contrôle de la dangerosité. A la déclaration de culpabilité correspond la peine, à la déclaration de dangerosité correspond la mesure de sûreté. Il fallait oser cette évolution législative, entreprise depuis de nombreuses années par certains de nos voisins européens, sans que ces systèmes existants n'aient été jugés contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
Avant d'en venir aux propositions de modifications que je présenterai, je rappellerai que le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis met en oeuvre les propositions du rapport Lamanda, en remédiant à certaines difficultés techniques ponctuelles et en tirant les conséquences de la décision rendue par le Conseil constitutionnel.
Ce projet de loi constitue donc, pour l'essentiel, un projet de loi technique, qui n'apporte pas de réelle amélioration en matière de prise en charge et de contrôle des criminels dangereux et ne répond pas pleinement aux attentes de nos concitoyens, choqués et inquiets à l'idée que des auteurs de crimes particulièrement graves puissent être libérés sans mesure de contrôle ni soins adaptés, alors même que leur dangerosité est connue.
C'est pour cette raison que j'ai estimé indispensable, au cours des travaux préparatoires que j'ai conduits en tant que rapporteur, de poursuivre et d'approfondir la réflexion que je mène depuis plusieurs années sur les questions de l'évaluation et du traitement de la dangerosité. Cette réflexion me conduira à vous présenter demain un certain nombre d'amendements, qu'il me semble nécessaire de vous présenter brièvement dès aujourd'hui.
La première lacune de notre législation en matière de prévention de la récidive des crimes dangereux tient à l'effectivité insuffisante des interdictions de paraître dans certains lieux et de rencontrer la victime. Un renforcement de l'effectivité de ces mesures est nécessaire, afin de garantir qu'un condamné ayant reçu interdiction d'entrer en contact avec sa victime ne puisse, dès sa libération, s'installer dans la même commune qu'elle.
Ce défaut d'effectivité tient tout d'abord au fait que, actuellement, les forces de police et de gendarmerie n'ont généralement pas connaissance de l'installation de criminels libérés sur le territoire sur lequel elles ont la charge d'assurer la sécurité. En conséquence, je vous proposerai un amendement prévoyant que l'identité et l'adresse des condamnés libérés à l'issue de l'exécution de leur peine devront être communiquées aux services de police et de gendarmerie du lieu d'installation du sortant de prison. Un décret en Conseil d'État précisera les modalités de transmission de cette information.
En outre, le fait pour un condamné d'entrer en contact avec sa victime en dépit d'une interdiction ne constitue pas une infraction, mais seulement un motif éventuel de réincarcération pour non-respect de ses obligations. Le placement en garde à vue de la personne n'est donc pas possible, y compris dans l'attente de sa présentation au JAP qui pourra décider de sa réincarcération. Je vous proposerai donc de créer une mesure de rétention, pendant une durée de 24 heures, calquée sur la garde à vue en ce qui concerne les droits de la personne retenue.
En deuxième lieu, l'effectivité de la lutte contre la récidive est limitée par l'insuffisance de la connaissance de la dangerosité des criminels. Notre système médical et judiciaire souffre d'un trop grand cloisonnement, qui a pour conséquence, par exemple, que les expertises réalisées dans le cours d'une instruction ne sont pas portées à la connaissance des équipes médicales qui vont être amenées à soigner le condamné en détention. Cette absence de centralisation des expertises médicales et psychiatriques a également pour conséquence que certaines décisions judiciaires – de libération, notamment – sont parfois prises sans que le magistrat saisi ait connaissance de l'ensemble des informations médicales et d'évaluation de la dangerosité pertinentes s'agissant d'un condamné.
Je reprendrai donc la proposition n° 13 de mon rapport au Premier ministre de 2006, en proposant un amendement tendant à créer un fichier intitulé « Répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires », qui comprendra l'ensemble des expertises réalisées préalablement à une décision judiciaire ainsi que pendant le cours de l'exécution de la peine des personnes poursuivies ou condamnées pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru. Ce nouveau répertoire permettra une meilleure prise en compte de la personnalité et favorisera la prise de décisions éclairées.
En troisième lieu, certaines affaires récentes ont montré le caractère insuffisant des obligations résultant de l'inscription au FIJAIS (Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles) pour prévenir la récidive. Je vous présenterai donc un amendement ayant pour objet de renforcer l'efficacité du FIJAIS, d'une part en abaissant d'un an à 6 mois la fréquence à laquelle les personnes qui y sont inscrites doivent justifier de leur adresse, d'autre part en permettant la mise en oeuvre du régime de justification renforcé à l'encontre d'une personne condamnée pour un crime ou un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, sans attendre le caractère définitif de cette condamnation, et enfin en abaissant de 6 à 3 mois la fréquence de la justification d'adresse auprès du commissariat ou de l'unité de gendarmerie pour les personnes soumises au régime de justification renforcé.
J'en viens à la question, essentielle pour la prévention de la récidive, des soins suivis par les criminels dangereux. Sur ce sujet, je rappellerai tout d'abord que notre législation prévoit déjà largement la possibilité de soumettre à injonction de soins les auteurs des infractions contre les personnes. Notre droit prévoit également, depuis la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la possibilité pour le médecin qui traite la personne soumise à une injonction de soins de lui prescrire « un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido ». La prescription de ce traitement est soumise au consentement écrit du condamné, ce consentement devant être renouvelé une fois par an.
En outre, la loi du 25 février 2008 a prévu une incitation à accepter des soins en détention, en permettant au JAP de retirer les crédits de réduction de peine à un condamné à une infraction commise sur un mineur de meurtre ou assassinat, torture ou actes de barbarie, viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle, lorsque celui-ci refuse de suivre le traitement qui lui est proposé. Est également prévue une limitation du maximum des réductions de peine supplémentaires pour ce même condamné refusant le traitement proposé.
Sur la question des traitements médicamenteux, sur laquelle des amendements nous seront proposés, je me dois de rappeler deux éléments. Premièrement, s'agissant d'un traitement médical, il serait pour le moins délicat de prévoir qu'une juridiction judiciaire peut prescrire un traitement particulier. Je crois que chacun doit rester dans son rôle : la justice ordonne l'injonction de soins, et la médecine prescrit les soins adaptés. Deuxièmement, les règles que nous édictons doivent respecter les principes de nécessité et d'individualisation des peines. Le Conseil constitutionnel veille attentivement au respect de ces deux principes, sa jurisprudence en la matière nous interdisant d'édicter des peines automatiques auxquelles les juridictions ne pourraient pas déroger.
Je souhaite souligner l'importance que j'attache au principe d'individualisation des peines, qui doit jouer dans les deux sens. Si un condamné réalise des efforts de réinsertion sociale, il convient d'encourager la mise en place d'un aménagement de peine : c'est ce que prévoit la loi pénitentiaire que nous venons d'adopter. En revanche, si un condamné manifeste à l'issue de sa peine une dangerosité élevée, il convient de prendre les mesures de sûreté nécessaires à la prévention de la récidive. Le fait que j'aie été rapporteur de la loi pénitentiaire et que je sois rapporteur du présent projet de loi qui renforce les mesures de sûreté montre la cohérence de cette politique, qui met en avant l'individualisation des sanctions et des mesures de sûreté.
En conséquence, je vous présenterai un amendement qui permettra, tout en respectant les principes rappelés, de renforcer l'injonction de soins et d'inciter les condamnés à accepter le traitement médicamenteux qui leur est proposé. Ainsi, la personne soumise à une injonction de soins qui refusera de commencer ou de poursuivre le traitement proposé – et notamment un traitement anti-libido – sera informée de ce que son refus peut entraîner sa réincarcération (si elle est sous surveillance judiciaire ou suivi socio-judiciaire) ou son placement en rétention de sûreté (si elle est sous surveillance de sûreté).
En outre, afin de favoriser le décloisonnement entre la médecine et la justice qui est nécessaire pour permettre le partage des informations, je vous proposerai également de rendre obligatoire, et non plus facultatif, le signalement par le médecin traitant d'un refus ou d'une interruption de traitement, lorsqu'il s'agit d'un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido.
Enfin, la dernière lacune de l'actuel dispositif en matière de mesures de sûreté applicables aux criminels dangereux me semble résider dans le niveau des seuils de mise en oeuvre des différentes mesures existantes. Actuellement, deux niveaux de mesures de sûreté peuvent être mis en oeuvre pour les criminels dangereux. Le premier niveau est celui de la surveillance judiciaire, qui permet de soumettre à diverses obligations – pointage au commissariat, interdictions de paraître, suivi de soins, ou placement sous surveillance électronique mobile, principalement – les personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à 10 ans d'emprisonnement pour des faits pour lesquels le suivi socio-judiciaire est encouru. La durée de cette surveillance judiciaire est limitée à celle des réductions de peines obtenues par le condamné et a donc pour terme la date de fin de la peine qui avait été prononcée par la juridiction de jugement.
Le deuxième niveau est celui de la rétention et de la surveillance de sûreté, qui permet d'ordonner l'une de ces mesures de sûreté à l'encontre des personnes condamnées pour l'une des infractions mentionnées précédemment – homicide volontaire, viol, tortures et actes de barbarie ou enlèvement et séquestration, commis sur mineur ou avec circonstance aggravante – à une peine supérieure ou égale à 15 ans de réclusion criminelle. Ces mesures de rétention et de surveillance de sûreté ne peuvent être prononcées qu'après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
Les conditions prévues par les textes pour mettre en oeuvre ces dispositions me paraissent appropriées et ne me semblent pas constituer la cause de l'insuffisance du dispositif actuel. En revanche, le niveau des seuils de peine requis me paraît faire difficulté et appeler une évolution. En effet, l'ensemble de ce dispositif est marqué par l'idée de gradation de la réponse au niveau de dangerosité de la personne. En cohérence avec cette idée de gradation, si un seuil élevé de peine prononcée (15 ans) apparaît nécessaire pour permettre un placement direct sous le régime de la rétention de sûreté à l'issue de la peine, il paraît nécessaire de prévoir un seuil plus bas pour le placement sous surveillance de sûreté d'une personne dont le risque de récidive apparaît élevé à l'issue de la période de surveillance judiciaire. Je vous proposerai donc d'abaisser le seuil de placement sous surveillance de sûreté à la suite d'une surveillance judiciaire de 15 à 10 ans.
En cohérence avec cet abaissement du seuil de la surveillance de sûreté, je vous proposerai également d'abaisser le seuil de placement sous surveillance judiciaire de 10 à 7 ans.
En conclusion, je me réjouis de l'examen de ce texte, qui permet d'aller jusqu'au bout d'une évolution législative en faveur de laquelle je plaide depuis de nombreuses années, à savoir la consécration des mesures de sûreté destinées à permettre de prendre en charge la dangerosité.
Les députés du groupe SRC s'opposeront à ce projet de loi pour plusieurs raisons.
La première d'entre elles est que ce texte s'appuie sur l'institution récente de la rétention de sûreté, dispositif que nous avons combattu parce qu'il découple la sanction de l'infraction, ce qui nous semble être un grave retour en arrière. Par ce biais, on assiste à une remise en cause des progrès qui avaient été accomplis, grâce à l'apparition des médicaments neuroleptiques et de la psychanalyse – majoritairement lacanienne en France – par rapport à la psychiatrie d'enfermement de la première moitié du vingtième siècle.
Par ailleurs, ce texte repose sur l'idée que l'on peut mesurer précisément la dangerosité d'un individu, ce qui est en réalité impossible. Le rapport rédigé sur cette question par le Premier président de la Cour de Cassation, M. Vincent Lamanda, a constaté l'existence d'un fort retard français en matière criminologique. Plus précisément, les études actuarielles relatives à la survenue d'un événement doivent, pour être en mesure d'évaluer le risque de récidive, reposer sur l'analyse de cohortes d'individus beaucoup plus larges que celles qui ont été utilisées jusqu'ici. Actuellement, le risque de récidive peut être évalué par intuition, mais il est impossible d'évaluer scientifiquement le risque de dangerosité. On en revient donc à la solution du début du XXe siècle, consistant à enfermer les personnes durablement en hôpital psychiatrique, sans tenir compte de l'existence de médicaments anti-délirants. Le seul condamné à avoir déjà fait l'objet de la nouvelle mesure de surveillance de sûreté avait auparavant, indépendamment de son parcours carcéral, fait l'objet d'une hospitalisation d'office, ce qui témoigne bien du « mélange des genres » que l'on est en train de faire, au risque d'aboutir à un enfermement durable de cohortes de personnes malades qu'il conviendrait avant tout de soigner. J'ajoute que l'on ne connaît pas le nombre de personnes, condamnées à une peine de plus de 15 ans d'emprisonnement, qui sont considérées comme dangereuses. M. Michel Fourniret, surnommé « le tueur des Ardennes », qui avait été condamné pour viol à 7 années d'emprisonnement et avait aussi tué 7 jeunes filles, n'aurait pas été concerné par ce dispositif.
Je tiens aussi à souligner que le dispositif de la surveillance de sûreté est construit sur un mécanisme semblable à celui du suivi socio-judiciaire mis en place en 1998, qui respectait les exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales parce qu'il reposait sur une obligation de soins et une sanction de durée limitée. Or, ce suivi socio-judiciaire n'est pas actuellement bien appliqué, car il n'existe que 200 médecins coordonnateurs alors qu'il en faudrait 500. Je rappelle également que la France ne compte que 11 000 psychiatres, dont 5 000 psychiatres d'exercice public, catégorie pour laquelle 800 postes demeurent vacants.
En outre, les victimes ne pourront être rassurées par le dispositif que vous proposez, car il ne concerne qu'un nombre très limité de criminels, les termes de « criminels sexuels » étant au demeurant inadaptés car si ceux-ci sont nombreux, beaucoup d'entre eux ne présentent pas de dangerosité particulière. Nous ne sommes pas opposés à un recours accru aux traitements médicamenteux permettant de mieux maîtriser les pulsions sexuelles des personnes ayant fait l'objet d'une condamnation, mais nous sommes fermement opposés à ce qui se cache derrière la notion de « castration chimique ». Car il ne s'agit pas de castration, notion qui alimente tous les fantasmes et peut être assimilée à une forme de torture, avec des risques de dérive et de confusion avec la question de la castration physique.
Enfin, j'appelle votre attention sur les conséquences de l'abaissement à 10 ans du seuil de surveillance de sûreté, question sur laquelle nous reviendrons demain à l'occasion de la discussion des amendements.
Nous légiférons ici sur un sujet particulièrement grave, qu'il convient d'aborder avec d'autant plus de prudence que sa forte dimension émotionnelle pourrait conduire à des emportements.
Le rapporteur a rappelé les enjeux essentiels du débat en abordant, de façon complète, le problème de la dangerosité dans le document préparatoire à son rapport qui nous a été remis en fin de semaine dernière. Je partage l'opinion de notre collègue Dominique Raimbourg en ce qui concerne les insuffisances actuelles des méthodes actuarielles et l'abandon de l'idéal de réadaptation des condamnés qu'elles impliquent, en conduisant à exclure de la société certaines catégories de personnes. L'avenir dira si l'entrée de la notion de dangerosité dans notre droit pénal restera pour notre rapporteur un motif de fierté. Il aurait mieux valu commencer par évaluer l'application de la loi adoptée en 1998 pour permettre le suivi socio-judiciaire des personnes condamnées, car celle-ci avait été adoptée dans un cadre consensuel et apportait de réelles solutions. Les moyens disponibles pour assurer ce suivi indispensable sont aujourd'hui très insuffisants : les médecins coordonnateurs sont trop peu nombreux et 10 % seulement des personnes potentiellement concernées par ce suivi en ont effectivement bénéficié. J'ajoute qu'il n'existe actuellement qu'un seul établissement spécialisé dans l'accueil des délinquants sexuels, situé à Caen, qui soit également doté d'un service médico-psychologique régional.
Nous devons également prendre en compte l'aspect philosophique de ce débat, car il me semble que la fonction première de la médecine n'est pas d'être l'auxiliaire de la justice. Les soins psychiatriques, aussi utiles soient-ils, n'ont pas d'effet « magique » et nous ne savons pas mesurer leur efficacité réelle. En France, une seule étude a été conduite, à partir de 2004, par le Professeur Stoléru, sous l'autorité de l'INSERM. Elle avait pour objet de mesurer l'effet du traitement suivi par 48 violeurs pédophiles, mais elle a été interrompue en 2009, car seules 8 personnes condamnées étaient portées volontaires. On peut certes émettre un pronostic optimiste sur l'impact de tels traitements, mais il serait prudent d'étudier l'expérience canadienne avec davantage de précision. Par ailleurs, les mesures non législatives préconisées dans le rapport de M. Vincent Lamanda seront-elles suivies d'effet ?
Enfin, je tiens à souligner que, pour la délinquance sexuelle, l'image répandue de monstres pervers récidivistes ne correspond généralement pas à la réalité, qui est plus complexe. Ainsi, il faut avoir le courage de dire que seulement 1 % des délinquants sexuels récidivent, constat qui ne remet nullement en cause l'importance des mesures à mettre en oeuvre pour limiter davantage encore ce risque de récidive.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, s'agissant de l'évaluation des textes déjà applicables, notre commission a déjà examiné un rapport rédigé par notre collègue Étienne Blanc concernant la prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes placées sous main de justice. J'ai personnellement proposé à la Conférence des présidents de notre assemblée qu'un débat soit organisé à ce sujet en séance publique, pendant la prochaine semaine consacrée aux travaux d'évaluation et de contrôle.
Je tiens à remercier Mme le ministre d'avoir dressé un tableau sans complaisance de la situation de la récidive en matière de délinquance sexuelle, alors que notre pays a connu tout récemment des événements dramatiques. Même s'il ne faut pas légiférer sous le coup de l'émotion, notre rôle est de remédier aux situations les plus inadmissibles en la matière. L'opinion publique est aujourd'hui excédée de constater que des crimes sont commis par des récidivistes, qui ont bénéficié de libérations anticipées alors qu'ils étaient particulièrement dangereux. Le débat à ce sujet aura lieu en séance publique et devra être assumé devant la population, comme cela a été le cas pour la loi pénitentiaire, dont je rappelle que nos collègues de l'opposition ont choisi de la contester devant le Conseil constitutionnel.
À titre personnel, je me bats pour que l'on mette fin au système des remises de peine actuellement appliqué pour les crimes les plus graves. J'avais d'ailleurs demandé, dans le cadre de nos récents débats sur la loi pénitentiaire, qu'il soit procédé à un scrutin public sur les amendements que j'avais déposés pour remettre en cause l'automaticité des remises de peine pour les personnes condamnées, en situation de récidive, après avoir commis un acte particulièrement grave. Le législateur doit certes agir sereinement, mais cessons de permettre la libération, sans suivi socio-judiciaire, des pires criminels récidivistes.
Nous débattrons prochainement du budget de la justice : profitons de cette occasion pour rappeler qu'il est essentiel d'assurer le suivi socio-judiciaire, afin de permettre la réinsertion des criminels les plus dangereux. Les moyens disponibles dans notre pays demeurent très insuffisants pour garantir ce suivi, et les objectifs fixés par le Parlement depuis plusieurs années sont donc loin d'être respectés.
Sans revenir sur ce qui a été fort bien exprimé par mes collègues Jean-Jacques Urvoas et Dominique Raimbourg, je souhaite aborder deux aspects : le suivi des traitements et la surveillance électronique mobile.
Concernant le suivi des traitements, pourriez-vous nous donner des informations sur les instruments dont disposeront les juges et l'administration pénitentiaire. Quels moyens budgétaires seront alloués dans ce cadre ?
Il est par ailleurs prévu que les juridictions régionales de la rétention de sûreté pourront compléter par un placement sous surveillance électronique mobile les obligations d'une surveillance de sûreté. Quel opérateur assurera cette surveillance électronique mobile et quels moyens budgétaires sont prévus ?
Madame le garde des sceaux, vous avez commencé votre intervention en affirmant qu'il fallait se garder de légiférer sous le coup de l'émotion. Or, sur ces bancs, nous vous faisons souvent le reproche de réagir un peu trop rapidement après chaque fait divers, et ce texte n'échappe pas à cette critique. La loi sur la rétention de sûreté avait été adoptée après un fait divers. Le projet de loi que nous examinons a été élaboré par votre prédécesseur à partir de ce rapport. Et aujourd'hui, c'est à la suite d'un nouveau fait divers que ce projet de loi est inscrit à l'ordre du jour.
Nous ne manquons pas de lois, mais des moyens de faire appliquer celles qui existent. De ce point de vue, l'affaire Evrard montre que, si toute la panoplie aujourd'hui à la disposition de la justice avait été utilisée, le petit Enis n'aurait sans doute pas été violé. Il y a eu beaucoup de dysfonctionnements, par manque de moyens, qui auraient pu être évités.
Comme beaucoup de mes collègues, j'ai rencontré plusieurs experts : il y a quinze jours, le Docteur Sophie Baron-Laforet, le Professeur Serge Stoleru et le Professeur Christian Hervé, et ce matin même Madame Florence Thibault, présidente de la Fédération mondiale des sociétés de psychiatrie. Tous avouent travailler de façon isolée et souhaitent la création d'un centre pluridisciplinaire de recherche et d'application clinique sur la récidive sexuelle, comme l'a proposé le rapport Lamanda. De tels centres existent au Canada, en Allemagne. Les moyens financiers à consacrer à ce centre ne seraient pas considérables. Je vous ai d'ailleurs saisi par un courrier de cette question, Madame le ministre, ainsi que vos collègues Mesdames Valérie Pécresse et Roselyne Bachelot. Je suis persuadé que la meilleure prévention commence par la recherche et les moyens accordés à cette dernière.
Nous sommes tous placés devant le double souci de prévenir les crimes et les atteintes aux victimes, d'une part, et de maintenir les libertés fondamentales, d'autre part.
Mais, à l'inverse de Michel Foucault, vous punissez d'abord, puis vous surveillez. L'inverse est préférable, et c'est la raison pour laquelle nous nous opposons farouchement au concept même de rétention de sûreté. Si au bout de quinze ans de détention, une personne est libérée en étant aussi mauvaise qu'à son entrée en prison, cela traduit un échec. La décision du Conseil constitutionnel de lier la rétention de sûreté à l'obligation de soins pendant l'incarcération m'apparaît évidente. Si nous sommes incapables d'améliorer le sort de la personne ayant purgé une longue peine, nous faisons fausse route.
L'étude du procès Evrard montre bien que l'arsenal est là : suivi socio-judiciaire de la loi de 1998, surveillance judiciaire, surveillance de sûreté…
Il faut arriver à faire travailler ensemble ce trio qui regroupe le monde politique, le juge et le médecin. Partager le secret n'est pas possible, mais partager l'information doit pouvoir être possible. Or, l'information ne circule pas, car le manque de moyens est patent.
On légifère trop vite sans mettre en place et conforter les outils. Le rapport d'information de notre collègue Étienne Blanc, mentionné par le président Warsmann, doit être mis en application. La médecine psychiatrique est, on le sait bien, le parent pauvre de la médecine publique, et de la médecine pénitentiaire. Pour y remédier, il faut créer des SMPR réellement dotés de moyens.
Enfin, j'insiste sur le fait que ce débat ne peut être complet si le ministère de la Santé n'est pas pleinement partie prenante à la discussion.
Il faut être attentif, vigilant, prudent, mais aussi assez ferme. Ce n'est pas parce que des faits divers surviennent que la réponse apportée l'est sous le coup de l'émotion : de nombreux projets de loi ont été préparés – comme celui-ci – sans être inscrites immédiatement à l'ordre du jour.
Le problème fondamental est celui de la dangerosité. Le chiffre de 1,8 % de récidiviste parmi les délinquants sexuels, cité par notre collègue, est une statistique sans fondement. Si l'on réunit les 190 publications anglo-saxonnes sur le sujet, le nombre de récidivistes varie entre 25 et 30 %.
Si nous ne disposons en France d'aucune cohorte suffisante pour établir des résultats scientifiques, il n'en demeure pas moins que la récidive est inacceptable.
La proposition d'injonction thérapeutique est équilibrée. On ne peut pas contraindre un patient à suivre un traitement, mais on peut l'inciter à le suivre en prévoyant une sanction en cas de refus du traitement.
Plusieurs précautions doivent cependant être prises. Dès le prononcé de la peine, l'évaluation de la dangerosité doit être faite par un collège de médecins. Ce collège doit permettre d'examiner les différents problèmes, qui peuvent être aussi bien somatiques ou endocrinologiques que psychiatriques.
La surpopulation et la promiscuité dans le milieu carcéral sont aussi à l'origine d'actes sexuels délictueux innombrables. Il faudrait plus de médecins en prison, mais aussi une possibilité de mener une vie sociale en prison plus satisfaisante qu'aujourd'hui.
Enfin, à la sortie de la prison, si l'individu a payé pour sa faute, des mesures de sûreté peuvent néanmoins être indispensables. Elles doivent être décidées chaque année par un collège de médecins, comprenant au moins deux médecins en plus du médecin psychiatre, pour évaluer toute la personnalité du patient. Les mesures de diminution temporaire des hormones, improprement appelées castration chimique bien que ce terme soit également employé par la communauté médicale, ne sont pas à elles seules la solution.
Le problème du secret médical est un faux problème. Il suffit que le juge s'assure que la surveillance médicale a bien lieu auprès du corps médical.
Enfin, je souhaite poser le problème de la prescription de certains médicaments en prison. Ne faut-il pas interdire la prescription de certains médicaments qui ne sont pas vitaux ni nécessaires pour la vie des détenus ? Je pense aux médicaments qui potentialisent la puissance sexuelle et qui n'ont rien à faire en prison.
Le projet de loi que nous allons discuter est un projet équilibré, et je tiens à féliciter Madame le ministre pour sa pondération, qui répond par avance aux critiques relatives au fait de légiférer dans l'urgence.
Ce texte va ajouter de nouveaux outils aux moyens dont disposent les magistrats pour accomplir leur mission afin de tenir compte de la diversité des situations. J'y suis très favorable car il est nécessaire de disposer d'une panoplie large pour adapter la réponse à la situation de chacun.
En ce qui concerne le débat qui se profile entre sanction et assistance, lorsque l'on discute avec des psychiatres, ceux-ci nous invitent à regarder davantage la réalité du monde, dans lequel ce sont bien souvent les auteurs de faits graves eux-mêmes qui demandent une assistance. Considérer l'assistance comme une sanction est donc une erreur.
Certains nous reprochent de légiférer en fonction de l'actualité, mais, dans ce domaine, il y a malheureusement sans arrêt de nouveaux cas : ce ne serait donc jamais le bon moment pour légiférer ! Par ailleurs, il ne faut pas oublier que des faits minimes peuvent générer par la suite des faits beaucoup plus graves.
Je voudrais maintenant revenir sur la mission d'information sur l'exécution des peines qui a travaillé sur la santé en prison. Manifestement, l'incarcération constitue trop souvent un rendez-vous manqué de la justice et de la médecine. Le dialogue entre les deux est difficile, il serait peut-être facilité si un magistrat était mis à disposition du ministère de la santé, de la même façon qu'un médecin est actuellement mis à la disposition de la chancellerie. Il est par ailleurs regrettable que les schémas régionaux d'organisation des soins (SROS) ne prennent pas, ou peu, en compte cette dimension.
Lors d'un déplacement à l'hôpital psychiatrique de Villejuif, j'ai pu observer le travail de suivi post-pénal remarquable effectué par Mme de Beaurepaire. Sur le conseil de leur médecin ou d'une assistante sociale, des personnes qui ont purgé leur peine et qui mènent une vie normale, tout en ayant encore des pulsions, viennent volontairement chercher l'assistance d'un médecin. Parmi les 200 personnes qui ont été suivies, et dont certaines avaient commis des faits très graves, aucune n'a récidivé. Ces services de consultation post-pénale sont très importants, mais ils sont mis en place en dehors d'un contrôle du juge et reposent sur des initiatives individuelles. Il est nécessaire de les institutionnaliser comme cela existe par exemple au Canada ou aux Pays-Bas.
Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est un sujet grave qui appelle humilité et responsabilité. L'opposition critique le fait de légiférer en fonction de l'émotion, mais nous ne pouvons pas nier cette émotion : la mort de Mme Hodeau a ému l'opinion publique, qui ne peut pas comprendre qu'un individu condamné à 11 ans de réclusion criminelle n'en n'ait effectué que 7 et qu'il ait pu s'installer à proximité immédiate de sa précédente victime. Notre responsabilité est d'apporter des réponses face à ce type d'affaires. Les questions que nous devons nous poser sont : « combien de drames aurait-on pu éviter si nous avions disposé de davantage d'outils contre la récidive ? et combien de drames pourra-t-on éviter en adoptant de nouveaux moyens législatifs ? ».
Certes, il n'existe pas de risque zéro dans ce domaine, mais des mesures existent que nous devons prendre. À cet égard, ce projet de loi apporte des réponses concrètes et pragmatiques, en tenant compte de la décision du Conseil constitutionnel qui, il faut bien l'admettre, ne nous facilite pas la tâche… Il est néanmoins possible d'apporter des améliorations qui m'amèneront à déposer des amendements suivant trois axes.
Le premier axe concerne la définition de la dangerosité. Je souhaite qu'une évaluation de la dangerosité de tout condamné pour crime sexuel à une peine supérieure à dix ans soit systématiquement réalisée avant la fin de son incarcération. En ce qui concerne la « castration chimique » – il est vrai que le terme est inadapté car ce traitement est réversible et n'empêche pas d'avoir des relations sexuelles –, ce traitement doit pouvoir être mis en oeuvre dès lors que le médecin le préconise. En outre, je souhaite l'allongement de la surveillance de sûreté à deux ans et que sa mise en oeuvre soit étendue aux personnes condamnées à une peine de 10 ans, et non plus de 15 ans, comme le rapporteur l'a d'ailleurs suggéré.
Le deuxième axe de propositions a trait à la protection des victimes. Je proposerai de faire passer la durée maximum de garde à vue à 96 heures en cas de séquestration. Il s'agit de répondre à des demandes formulées par des policiers et des gendarmes : par exemple, dans le cas de l'affaire Hodeau, si des traces ADN n'avaient pas été recueillies sur l'auteur présumé des faits au cours de sa garde à vue, peut-être que le corps n'aurait jamais été retrouvé. Je signale d'ailleurs que le ministre de l'Intérieur, M. Brice Hortefeux, partage ma position. En outre, il me semble indispensable, et je vous remercie Madame le ministre de l'avoir dit, d'interdire à un criminel sexuel de résider à proximité de sa victime. Enfin, il faut informer le maire sur la présence d'individus potentiellement dangereux sur le territoire de sa commune.
Troisième axe de propositions : la durée d'exécution des peines. Nous avons déjà eu un débat sur cette question à l'occasion de l'examen de la loi pénitentiaire, qui a fait apparaître quelques divergences dans notre majorité. Mais les gens ne comprennent pas les réductions automatiques de peine. Je ne remets pas en cause le principe de l'aménagement des peines, mais il faut inverser le raisonnement : l'exécution de la peine prononcée doit être le principe et l'aménagement l'exception, et non l'inverse comme aujourd'hui où un détenu bénéficie automatiquement de trois mois de réduction de peine la première année, et de deux mois par année ensuite. La peine doit être exécutée, sous réserve d'aménagements qui doivent être individualisés.
Lorsque l'on parle de récidive, on nous oppose souvent des chiffres très faibles, mais ceux-ci concernent la seule récidive légale et sont bien éloignés de la récidive réelle. Quand bien même on retiendrait ces chiffres, ils correspondent à 300 ou 400 cas de récidive par an, ce qui est déjà beaucoup et justifie d'apporter des réponses adaptées.
Je ne comprends pas les critiques concernant l'obligation de suivre un traitement. La détention elle-même constitue une privation de liberté, celle d'aller et de venir, qui est plus importante que celle de se soigner. Lorsque la peine de mort existait, elle constituait bien évidemment une atteinte autrement plus grave à l'intégrité physique du condamné. On peut donc obliger une personne à suivre un traitement.
J'ai entendu le rapporteur insister sur l'importance de l'individualisation des peines, il me semble cependant que celle-ci est aussi nécessaire pour le prononcé de la peine que pour son exécution. Il faut donc revenir sur les réductions automatiques de peine. Enfin, je pense moi aussi qu'il faut informer les maires sur certains types de délinquance.
Votre texte, Madame le ministre, complète très utilement notre droit et je considère qu'il est tout à l'honneur de notre majorité d'adapter notre législation en permanence. En tant qu'élus, nous devons nous adapter aux évolutions de la société, même si cela peut nous conduire à légiférer à plusieurs reprises sur un même sujet.
Je tiens à remercier chacune et chacun des orateurs dont les interventions témoignent d'un climat de dialogue, de clarté, de confiance et de sérieux. Cela est conforme à ce qu'exige tout débat sur un tel sujet.
Comme nous allons nous retrouver demain à l'occasion de l'examen du texte par votre commission des Lois, je n'insisterai pas à ce stade sur certains éléments de réponse de nature très technique. Toutefois, je m'efforcerai de répondre aux interrogations ou aux observations formulées par tous.
Votre rapporteur, avec lequel nous avons travaillé de concert dans la perspective de l'examen de ce projet de loi, a brillamment exposé les objectifs que nous poursuivons et l'esprit de ce texte, qui consistent à rechercher plus d'efficacité tout en préservant le nécessaire équilibre entre besoin de sécurité et protection des libertés publiques. Je ne nie pas que certains aspects méritent encore de faire l'objet de quelques approfondissements, notamment en ce qui concerne les seuils de mise en oeuvre des différentes mesures de suivi pour lesquels un problème de constitutionnalité n'est pas à exclure, mais j'ai bon espoir que nous parvenions à une solution d'ici l'examen des articles du projet de loi par votre commission.
M. Dominique Raimbourg a soulevé de vraies questions, tout particulièrement s'agissant de l'appréciation de la dangerosité. J'ai également entendu ses suggestions, notamment en matière d'appréciation par un collège de médecins.
Pour ce qui concerne les difficultés rencontrées dans l'application des dispositions existantes relatives au suivi socio-judiciaire, j'observe que des progrès importants ont été obtenus avant même mon arrivée à la Chancellerie. Au début de l'année, la rémunération des médecins coordonnateurs est passée à 700 euros par personne suivie. Il reste que cette revalorisation ne résoudra pas tout, le problème tenant plus généralement à un déficit d'attractivité de la spécialité et appelant une réflexion plus globale. Dès ma prise de fonctions, j'ai souhaité qu'un suivi conjoint avec le ministère de la santé soit initié. Croyez bien que je mesure pleinement cette difficulté et que je m'efforce d'y apporter des réponses, dans la mesure de mes compétences.
S'agissant de votre affirmation selon laquelle les criminels sexuels ne présentent pas de dangerosité particulière, j'avoue en revanche, M. le député, ne pas pouvoir vous rejoindre. Peut-être votre expression était-elle impropre ? En tout cas, elle ne me paraît pas compréhensible par nos concitoyens.
Je répondrai ensuite à M. Jean-Jacques Urvoas que si un arsenal législatif existe bel et bien en matière de lutte contre la récidive criminelle, il ne faut pas pour autant en déduire que les textes en vigueur ne comportent ni lacune, ni défaut. J'en veux pour preuve le constat de la possibilité actuelle pour une personne ayant fait de la détention pour un crime ou un délit sexuel de résider à proximité du domicile de sa victime, à sa sortie de prison. À cet égard, les mesures que nous allons proposer devraient permettre d'éviter la réitération de certains crimes ou délits. C'est de la responsabilité du Gouvernement et du Parlement que de le prévoir.
Pour ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures non législatives du rapport Lamanda, j'indique à votre commission que, naturellement, il entre dans mon intention d'y donner suite, même si toutes les suggestions ne sont pas simples à traduire en réalité.
Enfin, en réponse aux observations formulées sur la difficulté d'apprécier l'étendue du phénomène de la récidive en matière criminelle, je préciserai que, pour la seule année 2008, l'autorité judiciaire a constaté 2,6 % de récidives en matière de viols et 4,5 % de récidives en matière de délits sexuels. En valeur absolue, cela représente respectivement 43 viols et 467 délits sexuels par des auteurs déjà condamnés pour des faits similaires. Derrière les pourcentages abstraits, qui peuvent ne porter que sur de faibles nombres de personnes, il y a toutefois des réalités individuelles douloureuses.
J'indiquerai à M. Michel Hunault que l'essentiel des efforts en direction des médecins coordonnateurs relève du ministère de la santé. Toutefois, nous avons engagé un travail conjoint en la matière, qui se concrétise par une réunion régulière de mes collaborateurs avec ceux de mon homologue.
À Mme Marietta Karamanli, je fais valoir que le projet de budget pour 2010 comporte des moyens significatifs pour la prise en compte du risque de récidive et les peines alternatives, notamment à travers l'acquisition de 7 000 bracelets électroniques. Vous serez prochainement amenés à juger de cet effort non négligeable lors de votre vote en séance publique sur ces crédits.
M. André Vallini fait au Gouvernement le reproche de légiférer à la suite d'un événement dramatique. J'oserai renverser son raisonnement en lui demandant pour quel motif la survenance d'un tel événement devrait justifier le report du vote de lois de nature pénale ? En l'occurrence, le projet de loi qui vous est soumis a été déposé il y a un an. Votre rapporteur a travaillé sur le sujet et formulé des propositions. Je ne vois pas ce qui justifierait de retarder plus avant l'examen par le Parlement.
De manière plus générale, mon rôle ne consiste pas à légiférer à tout prix. Je vous avouerai même franchement que je me passerais parfois de tenir autant de séances dans les deux assemblées. À titre de comparaison, toutefois, je dois souligner que le gouvernement de M. Lionel Jospin n'était pas le dernier à soumettre des textes judiciaires au Parlement. J'ai personnellement le souvenir de nombreuses séances et sessions extraordinaires prévues à cet effet. Compte tenu de l'ordre du jour désormais partagé entre le Gouvernement et les assemblées, on peut donc dire que le Gouvernement légifère plutôt moins que ses prédécesseurs en matière pénale.
Quand bien même l'on ferait abstraction de cette divergence d'appréciation sur la mobilisation du Parlement sur des questions judiciaires et pénales, j'estime que l'on ne peut pas oublier ce qui se passe dans le pays pour adapter le droit dans ses aspects les plus lacunaires.
Je ne conteste pas qu'il puisse y avoir des dysfonctionnements dans l'administration de la justice, ainsi que l'a malheureusement rappelé l'affaire Evrard. Mon rôle est aussi de veiller à l'application des textes existants. C'est la raison pour laquelle nous réfléchissons à la mise en place d'un système d'alerte sur ces dysfonctionnements.
Pour le reste, j'ai bien retenu l'idée d'un centre de recherche sur les criminels et délinquants sexuels, mais il nous faut aussi veiller à ne pas multiplier à l'envi les structures.
Comme M. Serge Blisko, je suis favorable au partage d'informations entre la justice et les médecins. Les moyens existent pour cela. Mais, en matière de psychiatrie, la difficulté tient moins à des problèmes financiers qu'à des carences en ressources humaines et en volonté de faire.
M. Bernard Debré connaît parfaitement ces sujets et il en a parlé avec beaucoup d'humanité. Je le remercie pour son analyse sur la dangerosité et lui confirme que la collégialité des médecins chargés de son appréciation constitue une piste de réflexion retenant mon attention. J'approuve également ses propos sur la prise en compte du besoin pour les détenus de conserver une vie sexuelle et sociale en prison comme moyen de mieux prévenir la récidive.
Dans la loi pénitentiaire, que vous avez récemment adoptée, l'accent a particulièrement été mis sur la préparation au retour dans la société, ainsi que sur la rénovation des établissements anciens et la conception des nouveaux de manière à mieux prendre en considération l'espace nécessaire à la socialisation des détenus. Pour aller plus loin, l'idée d'une évaluation annuelle de la dangerosité des détenus pour crimes ou délits sexuels mérite de retenir l'attention pour améliorer le suivi des intéressés. En revanche, le contrôle des prescriptions médicamenteuses en prison se heurte à la liberté de prescription des médecins ainsi qu'à des contraintes inhérentes à la situation médicale des détenus.
M. Étienne Blanc a insisté sur la nécessité d'offrir au juge une panoplie de moyens suffisante pour lui permettre de faire face à la spécificité de chaque cas. Je le remercie d'avoir souligné le fait que de nombreux criminels et délinquants sexuels demandent eux-mêmes une assistance, ce qui différencie ce type de mesures des sanctions auxquelles certains voudraient les assimiler.
J'ai noté avec beaucoup d'intérêt l'expérience de l'hôpital psychiatrique de Villejuif. C'est souvent sur le terrain que des initiatives individuelles donnent des résultats. Elles méritent d'être connues et il faut inciter à les développer.
Je partage l'analyse de M. Éric Ciotti, selon laquelle on ne saurait ignorer les réalités de l'actualité. Le Gouvernement entend, de ce point de vue, assumer ses responsabilités et son rôle. Pour ce qui concerne les propositions que vous avez formulées, M. le député, je dirai à ce stade que certaines recueillent mon accord et d'autres non. Nous y reviendrons plus en détail demain, à l'occasion de l'examen de vos amendements.
Enfin, à M. Yves Nicolin, je répondrai que sans consentement des intéressés, il ne peut y avoir prescription d'un traitement limitant la libido des détenus. Prévoir une obligation absolue se heurterait à des problèmes constitutionnels. J'observe en outre que pour être efficaces, certains traitements doivent être acceptés. C'est là aussi une garantie qu'ils soient suivis. Pour autant, l'idée d'une sanction en cas de non-acceptation d'un traitement médical pourrait constituer une réponse conciliant tout à la fois les impératifs constitutionnels et l'objectif recherché.
Pour ce qui concerne la réduction automatique des peines, je comprends qu'il s'agit d'un vrai motif d'interrogation pour l'opinion publique, qui n'en accepte pas le principe. On peut en effet se demander quel est l'intérêt d'annoncer des sanctions dont on sait qu'elles ne seront que partiellement appliquées.
Enfin, s'agissant de l'information des maires, il me semble que le sujet nécessite une étude juridique importante car les anciens détenus, à la sortie de prison, doivent aussi bénéficier d'un droit à l'oubli.
Puis, la Commission examine, sur le rapport de M. Éric Diard, rapporteur pour avis, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2010.
La Commission est saisie des amendements CL 1 et CL 2 de Mme Sandrine Mazetier et des membres du groupe SRC.
Ces deux amendements sont indissociables l'un de l'autre.
L'amendement CL 1 vise à faire des économies en évitant les gaspillages en matière de lutte contre l'immigration irrégulière dans le programme « immigration et asile ». Il propose de maintenir les crédits consacrés à la construction des nouveaux centres de rétention administrative (CRA) à leur niveau de 2009, d'économiser les 600 000 euros de surcoûts liés au lancement d'un appel d'offres et de l'allotissement de la mission d'accompagnement juridique des étrangers en rétention et d'aligner les frais hôteliers des CRA sur le coût journalier des places en centre d'accueil des demandeurs d'asile. Il est également possible de faire des économies en matière de frais de justice liés aux condamnations très fréquentes de l'État, qui sont estimés à 100 000 euros, en matière de train de vie du ministère, dont les frais immobiliers augmentent de 46 %, et en matière de personnels, le recrutement de trois agents de catégorie « A+ » et de 23 agents de catégorie A entraînant un coût de 2,17 millions d'euros. Ce sont ainsi 24,5 millions d'euros qui pourraient être redéployés au profit de l'intégration des étrangers.
L'amendement CL 2, quant à lui, vise à abonder de 20,6 millions d'euros les crédits destinés à l'asile pour combler une partie des besoins liés l'accueil des demandeurs d'asile, qui sont de l'ordre de 50 millions d'euros pour atteindre l'objectif de 90 % d'accueil en centres d'accueil des demandeurs d'asile. De ce fait, seulement 3,87 millions d'euros seraient consacrés au programme « intégration et accès à la nationalité française ».
Comme je l'ai expliqué en réunion de Commission élargie, le ministère affiche comme priorités l'immigration choisie et l'intégration mais dépense 150 fois plus pour retenir et expulser que pour accueillir des personnes entrées légalement sur le territoire. Il conviendrait de rééquilibrer, ne serait-ce qu'un peu, ces dépenses.
Je suis défavorable à des deux amendements. Il n'est pas exact de considérer que l'on peut économiser 24,5 millions d'euros dans la lutte contre l'immigration irrégulière. Les autorisations d'engagement relatives à la rénovation et à l'extension des CRA sont effectivement plus importantes que les crédits de paiement pour permettre l'engagement des investissements en faveur d'un nouveau CRA à Mayotte, dont le paiement effectif interviendra avec un certain décalage dans le temps. Par ailleurs, le surcoût de la mission d'accompagnement juridique et social des personnes en rétention administrative résulte non pas de la mise en concurrence des intervenants mais de l'élévation des exigences requises en matière de qualification de leurs personnels et de l'augmentation du nombre de personnes retenues concernées, qui passeront de 1 660 ; mi-2009 ; à 2 159 ; en 2010.
S'agissant de la demande d'asile, votre présupposé selon lequel elle va continuer à croître sur le rythme actuel relève d'un a priori méthodologique. Depuis le début de l'été 2009, le nombre des premières demandes s'est stabilisé, ce qui laisse entrevoir que la demande devrait connaître un sort équivalent d'ici la fin de l'année actuelle.
Pour ce qui concerne l'intégration et l'accès à la nationalité, j'observe que les moyens prévus en 2010 augmentent de 9,2 % de manière à couvrir la montée en régime des actions de formation linguistique et civique des primo-arrivants, mais aussi pour mieux accompagner les étrangers installés. Naturellement, il est toujours possible de faire plus mais apparemment, pour le groupe SRC, cela doit se faire au détriment de la lutte contre l'immigration clandestine ou irrégulière.
Enfin, le regroupement des locaux parisiens du ministère permet d'économiser en 2010 des frais de location de locaux d'affaires près de la gare Montparnasse d'un montant de 1,2 million d'euros par an. Jusqu'alors, cette dépense n'entrait pas dans le cadre des loyers budgétaires mais s'imputait sur les crédits de fonctionnement du ministère puisqu'il s'agissait d'un bailleur privé. Il est ainsi exagéré de parler d'« explosion » des frais immobiliers.
Ces amendements traduisent donc une certaine incohérence.
La Commission rejette les amendements CL 1 et CL 2.
Le groupe SRC n'est pas en accord avec l'avis présenté par le rapporteur. La politique suivie en matière d'immigration est l'inverse de ce qu'il faut faire : on dépense beaucoup pour retenir et éloigner et très peu pour intégrer. Par exemple, beaucoup de demandeurs d'asile ne peuvent pas obtenir de place dans un centre d'accueil dédié et encombrent les dispositifs d'hébergement d'urgence au détriment de personnes sans domicile fixe, ce qui a conduit à augmenter l'allocation temporaire d'attente pour compenser le faible nombre de places en centre d'accueil.
Cette politique est totalement inadaptée. M. Jacques Barrot, commissaire européen, décrit parfaitement comment la perversion du système « Dublin II » va amener un nombre croissant de personnes à être en situation irrégulière en France faute d'avoir pu formuler une demande d'asile. L'affaire de l'expulsion d'Afghans a montré que cette politique est inefficace et menace la sécurité des personnes expulsées. En conséquence, le groupe SRC votera contre le projet de budget.
Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la Commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2010.
La séance est levée à douze heures quinze.