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Intervention de Jean-Paul Garraud

Réunion du 3 novembre 2009 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Garraud, rapporteur :

La sécurité constitue l'une des aspirations les plus fortes de nos concitoyens. Depuis plusieurs années, la lutte contre la délinquance et la prévention de la récidive sont au coeur de l'action du Gouvernement et du Parlement. Pour ne prendre que deux exemples, la loi du 10 août 2007 sur la lutte contre la récidive et la loi du 25 février 2008 sur la rétention et la surveillance de sûreté ont permis d'apporter des réponses fermes, mais proportionnées, aux problèmes de délinquance que connaît notre pays.

Mme le ministre d'État a rappelé l'évolution législative des dernières années, qui a permis d'améliorer la prise en charge des individus dangereux par l'introduction dans notre droit de la notion de mesures de sûreté, à la suite notamment du rapport que j'avais remis en 2006 à M. le Premier ministre sur l'évaluation et la prise en charge des criminels dangereux. Cette évolution a ouvert, aux côtés et en complément du droit de la peine, la voie aux mesures de sûreté, basées sur l'évaluation et le contrôle de la dangerosité. A la déclaration de culpabilité correspond la peine, à la déclaration de dangerosité correspond la mesure de sûreté. Il fallait oser cette évolution législative, entreprise depuis de nombreuses années par certains de nos voisins européens, sans que ces systèmes existants n'aient été jugés contraires à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Avant d'en venir aux propositions de modifications que je présenterai, je rappellerai que le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis met en oeuvre les propositions du rapport Lamanda, en remédiant à certaines difficultés techniques ponctuelles et en tirant les conséquences de la décision rendue par le Conseil constitutionnel.

Ce projet de loi constitue donc, pour l'essentiel, un projet de loi technique, qui n'apporte pas de réelle amélioration en matière de prise en charge et de contrôle des criminels dangereux et ne répond pas pleinement aux attentes de nos concitoyens, choqués et inquiets à l'idée que des auteurs de crimes particulièrement graves puissent être libérés sans mesure de contrôle ni soins adaptés, alors même que leur dangerosité est connue.

C'est pour cette raison que j'ai estimé indispensable, au cours des travaux préparatoires que j'ai conduits en tant que rapporteur, de poursuivre et d'approfondir la réflexion que je mène depuis plusieurs années sur les questions de l'évaluation et du traitement de la dangerosité. Cette réflexion me conduira à vous présenter demain un certain nombre d'amendements, qu'il me semble nécessaire de vous présenter brièvement dès aujourd'hui.

La première lacune de notre législation en matière de prévention de la récidive des crimes dangereux tient à l'effectivité insuffisante des interdictions de paraître dans certains lieux et de rencontrer la victime. Un renforcement de l'effectivité de ces mesures est nécessaire, afin de garantir qu'un condamné ayant reçu interdiction d'entrer en contact avec sa victime ne puisse, dès sa libération, s'installer dans la même commune qu'elle.

Ce défaut d'effectivité tient tout d'abord au fait que, actuellement, les forces de police et de gendarmerie n'ont généralement pas connaissance de l'installation de criminels libérés sur le territoire sur lequel elles ont la charge d'assurer la sécurité. En conséquence, je vous proposerai un amendement prévoyant que l'identité et l'adresse des condamnés libérés à l'issue de l'exécution de leur peine devront être communiquées aux services de police et de gendarmerie du lieu d'installation du sortant de prison. Un décret en Conseil d'État précisera les modalités de transmission de cette information.

En outre, le fait pour un condamné d'entrer en contact avec sa victime en dépit d'une interdiction ne constitue pas une infraction, mais seulement un motif éventuel de réincarcération pour non-respect de ses obligations. Le placement en garde à vue de la personne n'est donc pas possible, y compris dans l'attente de sa présentation au JAP qui pourra décider de sa réincarcération. Je vous proposerai donc de créer une mesure de rétention, pendant une durée de 24 heures, calquée sur la garde à vue en ce qui concerne les droits de la personne retenue.

En deuxième lieu, l'effectivité de la lutte contre la récidive est limitée par l'insuffisance de la connaissance de la dangerosité des criminels. Notre système médical et judiciaire souffre d'un trop grand cloisonnement, qui a pour conséquence, par exemple, que les expertises réalisées dans le cours d'une instruction ne sont pas portées à la connaissance des équipes médicales qui vont être amenées à soigner le condamné en détention. Cette absence de centralisation des expertises médicales et psychiatriques a également pour conséquence que certaines décisions judiciaires – de libération, notamment – sont parfois prises sans que le magistrat saisi ait connaissance de l'ensemble des informations médicales et d'évaluation de la dangerosité pertinentes s'agissant d'un condamné.

Je reprendrai donc la proposition n° 13 de mon rapport au Premier ministre de 2006, en proposant un amendement tendant à créer un fichier intitulé « Répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires », qui comprendra l'ensemble des expertises réalisées préalablement à une décision judiciaire ainsi que pendant le cours de l'exécution de la peine des personnes poursuivies ou condamnées pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru. Ce nouveau répertoire permettra une meilleure prise en compte de la personnalité et favorisera la prise de décisions éclairées.

En troisième lieu, certaines affaires récentes ont montré le caractère insuffisant des obligations résultant de l'inscription au FIJAIS (Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles) pour prévenir la récidive. Je vous présenterai donc un amendement ayant pour objet de renforcer l'efficacité du FIJAIS, d'une part en abaissant d'un an à 6 mois la fréquence à laquelle les personnes qui y sont inscrites doivent justifier de leur adresse, d'autre part en permettant la mise en oeuvre du régime de justification renforcé à l'encontre d'une personne condamnée pour un crime ou un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, sans attendre le caractère définitif de cette condamnation, et enfin en abaissant de 6 à 3 mois la fréquence de la justification d'adresse auprès du commissariat ou de l'unité de gendarmerie pour les personnes soumises au régime de justification renforcé.

J'en viens à la question, essentielle pour la prévention de la récidive, des soins suivis par les criminels dangereux. Sur ce sujet, je rappellerai tout d'abord que notre législation prévoit déjà largement la possibilité de soumettre à injonction de soins les auteurs des infractions contre les personnes. Notre droit prévoit également, depuis la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la possibilité pour le médecin qui traite la personne soumise à une injonction de soins de lui prescrire « un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido ». La prescription de ce traitement est soumise au consentement écrit du condamné, ce consentement devant être renouvelé une fois par an.

En outre, la loi du 25 février 2008 a prévu une incitation à accepter des soins en détention, en permettant au JAP de retirer les crédits de réduction de peine à un condamné à une infraction commise sur un mineur de meurtre ou assassinat, torture ou actes de barbarie, viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle, lorsque celui-ci refuse de suivre le traitement qui lui est proposé. Est également prévue une limitation du maximum des réductions de peine supplémentaires pour ce même condamné refusant le traitement proposé.

Sur la question des traitements médicamenteux, sur laquelle des amendements nous seront proposés, je me dois de rappeler deux éléments. Premièrement, s'agissant d'un traitement médical, il serait pour le moins délicat de prévoir qu'une juridiction judiciaire peut prescrire un traitement particulier. Je crois que chacun doit rester dans son rôle : la justice ordonne l'injonction de soins, et la médecine prescrit les soins adaptés. Deuxièmement, les règles que nous édictons doivent respecter les principes de nécessité et d'individualisation des peines. Le Conseil constitutionnel veille attentivement au respect de ces deux principes, sa jurisprudence en la matière nous interdisant d'édicter des peines automatiques auxquelles les juridictions ne pourraient pas déroger.

Je souhaite souligner l'importance que j'attache au principe d'individualisation des peines, qui doit jouer dans les deux sens. Si un condamné réalise des efforts de réinsertion sociale, il convient d'encourager la mise en place d'un aménagement de peine : c'est ce que prévoit la loi pénitentiaire que nous venons d'adopter. En revanche, si un condamné manifeste à l'issue de sa peine une dangerosité élevée, il convient de prendre les mesures de sûreté nécessaires à la prévention de la récidive. Le fait que j'aie été rapporteur de la loi pénitentiaire et que je sois rapporteur du présent projet de loi qui renforce les mesures de sûreté montre la cohérence de cette politique, qui met en avant l'individualisation des sanctions et des mesures de sûreté.

En conséquence, je vous présenterai un amendement qui permettra, tout en respectant les principes rappelés, de renforcer l'injonction de soins et d'inciter les condamnés à accepter le traitement médicamenteux qui leur est proposé. Ainsi, la personne soumise à une injonction de soins qui refusera de commencer ou de poursuivre le traitement proposé – et notamment un traitement anti-libido – sera informée de ce que son refus peut entraîner sa réincarcération (si elle est sous surveillance judiciaire ou suivi socio-judiciaire) ou son placement en rétention de sûreté (si elle est sous surveillance de sûreté).

En outre, afin de favoriser le décloisonnement entre la médecine et la justice qui est nécessaire pour permettre le partage des informations, je vous proposerai également de rendre obligatoire, et non plus facultatif, le signalement par le médecin traitant d'un refus ou d'une interruption de traitement, lorsqu'il s'agit d'un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido.

Enfin, la dernière lacune de l'actuel dispositif en matière de mesures de sûreté applicables aux criminels dangereux me semble résider dans le niveau des seuils de mise en oeuvre des différentes mesures existantes. Actuellement, deux niveaux de mesures de sûreté peuvent être mis en oeuvre pour les criminels dangereux. Le premier niveau est celui de la surveillance judiciaire, qui permet de soumettre à diverses obligations – pointage au commissariat, interdictions de paraître, suivi de soins, ou placement sous surveillance électronique mobile, principalement – les personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à 10 ans d'emprisonnement pour des faits pour lesquels le suivi socio-judiciaire est encouru. La durée de cette surveillance judiciaire est limitée à celle des réductions de peines obtenues par le condamné et a donc pour terme la date de fin de la peine qui avait été prononcée par la juridiction de jugement.

Le deuxième niveau est celui de la rétention et de la surveillance de sûreté, qui permet d'ordonner l'une de ces mesures de sûreté à l'encontre des personnes condamnées pour l'une des infractions mentionnées précédemment – homicide volontaire, viol, tortures et actes de barbarie ou enlèvement et séquestration, commis sur mineur ou avec circonstance aggravante – à une peine supérieure ou égale à 15 ans de réclusion criminelle. Ces mesures de rétention et de surveillance de sûreté ne peuvent être prononcées qu'après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.

Les conditions prévues par les textes pour mettre en oeuvre ces dispositions me paraissent appropriées et ne me semblent pas constituer la cause de l'insuffisance du dispositif actuel. En revanche, le niveau des seuils de peine requis me paraît faire difficulté et appeler une évolution. En effet, l'ensemble de ce dispositif est marqué par l'idée de gradation de la réponse au niveau de dangerosité de la personne. En cohérence avec cette idée de gradation, si un seuil élevé de peine prononcée (15 ans) apparaît nécessaire pour permettre un placement direct sous le régime de la rétention de sûreté à l'issue de la peine, il paraît nécessaire de prévoir un seuil plus bas pour le placement sous surveillance de sûreté d'une personne dont le risque de récidive apparaît élevé à l'issue de la période de surveillance judiciaire. Je vous proposerai donc d'abaisser le seuil de placement sous surveillance de sûreté à la suite d'une surveillance judiciaire de 15 à 10 ans.

En cohérence avec cet abaissement du seuil de la surveillance de sûreté, je vous proposerai également d'abaisser le seuil de placement sous surveillance judiciaire de 10 à 7 ans.

En conclusion, je me réjouis de l'examen de ce texte, qui permet d'aller jusqu'au bout d'une évolution législative en faveur de laquelle je plaide depuis de nombreuses années, à savoir la consécration des mesures de sûreté destinées à permettre de prendre en charge la dangerosité.

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