La séance est ouverte à 10 heures
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
La Commission procède à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des libertés sur le projet, adopté par le Sénat, de loi pénitentiaire (n° 1506) (M. Jean-Paul Garraud, rapporteur).
Je suis heureux d'accueillir Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, ainsi que M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.
Nous examinons aujourd'hui un texte particulièrement attendu sur lequel notre rapporteur, Jean-Paul Garraud, a effectué un travail d'autant plus approfondi que cette tâche lui a été confiée il y a déjà longtemps, le 5 septembre 2007…
Il s'agit d'un projet particulièrement important pour notre pays qui sera ainsi doté d'une loi fondamentale sur le service public pénitentiaire et ainsi d'un cadre juridique dont il est aujourd'hui partiellement dépourvu, en dépit des importantes dispositions adoptées récemment à l'occasion d'autres textes. Voilà près de dix ans que les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat – comment ne pas faire ici référence au travail accompli par les commissions d'enquête sur les prisons ? – demandent l'adoption d'une loi pénitentiaire.
Ce texte vise aussi à répondre aux questions que l'on se pose sur ce que doit être l'emprisonnement au XXIe siècle. Attendu par les parlementaires, il l'est tout autant par tous les acteurs du milieu pénitentiaire et par tous ceux qui s'intéressent au monde carcéral.
À la suite des travaux de sa commission des lois, le Sénat a adopté un grand nombre d'amendements et ajouté bien des articles à un texte qui en compte aujourd'hui 91 contre 59 à l'origine. Je propose, madame la ministre, que vous commenciez par nous en présenter l'économie générale.
Sans aller jusqu'à parler de « surpopulation », force est de constater, monsieur le président, que la salle où nous nous trouvons ne permet pas d'accueillir dans de bonnes conditions les nombreux députés et journalistes qui s'y pressent ce matin. Il est regrettable que nos conditions de travail soient aussi mauvaises lorsque nous examinons des textes importants.
Nous avons soulevé le problème au cours d'un bureau de la commission et deux réunions à ce propos ont eu lieu avec un questeur. Les murs de cette salle ont même été sondés pour voir lesquels pourraient être déplacés…
Nous entamons aujourd'hui un débat important, qui se prolongera dans les semaines qui viennent. « Surpopulation carcérale », « conditions de détention indignes » : beaucoup a été dit sur les prisons françaises. Mais je crois qu'il faut aller au-delà de l'indignation et envisager de façon pragmatique comment faire évoluer les choses. Nous avons en effet la responsabilité commune de donner au service public pénitentiaire les moyens d'exercer pleinement ses trois missions : protéger la société contre des personnes et des actes qui peuvent être dangereux, sanctionner des actes de délinquance et, parfois, des crimes, aider à la réinsertion des détenus afin de prévenir la récidive.
Tels sont bien les objectifs de ce projet de loi pénitentiaire qui a été adopté par le Sénat le 6 mars dernier et qui s'inscrit dans un processus de réforme engagé depuis sept ans. En effet, des efforts sans précédent ont été accomplis depuis 2002, en particulier pour moderniser nos prisons. Ainsi, en 2009, la livraison de neuf nouveaux établissements offrira 5000 places supplémentaires et, en 2012, le nombre de places correspondra au nombre actuel des détenus.
Pour autant, la réforme des prisons ne saurait se résumer à un problème immobilier et l'ambition de ce projet est aussi de combler les lacunes de notre droit pénitentiaire dont je rappelle qu'il est souvent régi par des normes réglementaires alors qu'il touche fréquemment aux libertés publiques, qui relèvent pour leur part de la compétence du législateur. Il s'agit en outre d'un droit complexe, mal ordonné, parfois obscur, en décalage avec nos engagements européens.
Ce texte vise également à mieux définir les missions de l'administration pénitentiaire. Ainsi, il précise les régimes, les modes de prise en charge, les modalités d'action des personnels. Il détermine aussi les devoirs et les droits des détenus. Bref, il touche aux différents aspects de ce qui peut se passer au sein de nos prisons.
Vous l'avez dit, monsieur le président, le Sénat a adopté un grand nombre d'amendements et a beaucoup allongé le texte. Pour autant, je considère qu'il demeure perfectible et je suis ouverte à vos propositions d'amélioration. Je salue à mon tour de très important travail accompli par Jean-Paul Garraud comme par tous les membres de votre commission. Cette dernière s'est pleinement saisie d'un débat qui engage l'avenir non seulement de nos prisons mais de toute notre société.
J'en viens aux finalités de ce texte. On qualifie souvent la prison d'« école du crime », ce qu'illustre un film récent – même si son auteur précise qu'il ne s'agit en rien d'un reportage. Pour ma part, je suis convaincue qu'il faut en faire l'école de la lutte contre la récidive. Aussi, le projet vise à moderniser la vie dans nos prisons et à développer et à encadrer des modes de sanction qui peuvent être soit complémentaires soit alternatifs à l'emprisonnement.
L'objectif d'améliorer la vie en prison concerne aussi bien les détenus que l'administration et les personnels pénitentiaires, confrontés chaque jour aux enjeux du milieu pénitentiaire et exposés à des risques importants face à des individus dangereux et violents. C'est un métier difficile, souvent peu connu, parfois caricaturé. Il faut le reconnaître et saluer le professionnalisme des directeurs, des gardiens, de l'encadrement et des personnels administratifs et techniques. Je souhaite que le débat à venir nous permettre de rendre un hommage collectif à leur détermination et à leur dévouement.
En donnant à ces personnels le statut de forces de sécurité intérieure, le projet reconnaît mieux leur place dans la chaîne de sécurité qui vise à rendre notre pays plus sûr pour chacun.
Un code de déontologie est prévu pour encadrer l'administration pénitentiaire. Garant du respect de normes éthiques en milieu carcéral, il améliorera l'efficience de cette administration mais aussi les conditions d'exercice de ses missions et son image auprès du public.
Par ailleurs, les devoirs et les droits des détenus seront mieux définis. Le cadre de leur exercice sera profondément rénové afin d'individualiser davantage le parcours de détention dans l'idée de mieux préparer la sortie. J'ai en effet la conviction profonde que le régime de détention doit s'adapter à la personnalité du détenu, à sa dangerosité et à ses efforts d'insertion. Il est ainsi prévu qu'à son arrivée chaque détenu adhère à un parcours de peine personnalisée au cours duquel il va se former, travailler, mais aussi se soigner. Nous mettrons fin de la sorte à un égalitarisme allant à l'encontre de l'équité comme de l'efficacité.
Le problème spécifique de l'encellulement individuel a fait l'objet de fréquents débats et de nombreux textes qui ne sont pas appliqués et qui prévoient en outre des exceptions et des moratoires. Or, j'en suis persuadée, quand un texte n'est pas appliqué, il perd son autorité, et la loi perd sa légitimité. Dans un certain nombre de cas, il vaut donc mieux avancer progressivement et de façon pragmatique. Pour ma part, je ne suis pas favorable à un nouveau moratoire : je préfère que l'on regarde les choses concrètement et avec bon sens.
Je considère en particulier que l'encellulement individuel n'est pas la panacée et que, face à la fragilité de certains détenus et au risque de suicide, la cohabitation est parfois un gage de survie : combien de tentatives de suicide ont-elles avorté grâce à l'intervention d'un codétenu ? Qui plus est, préparer les détenus à la réinsertion suppose de maintenir un lien social, ce que ne permet pas l'encellulement individuel. Il serait donc préférable, au cours des cinq années à venir, de mettre en oeuvre le principe du libre choix du détenu, qui est d'ailleurs conforme aux règles européennes comme à la pratique de la plupart de nos voisins.
Lieu sensible, symbolique, de nos prisons, le quartier disciplinaire peut être nécessaire dans un certain nombre de cas de violence et de refus systématique de respecter les règles. Il doit donc être destiné à sanctionner des actes graves mais aussi servir à la prise de conscience du détenu afin d'éviter la récidive. S'il faut conserver ce rôle, il est proposé de ramener la durée du séjour en quartier disciplinaire de 45 à 20 jours, avec la possibilité d'aller jusqu'à 30 jours en cas de violences contre les personnels pénitentiaires. Il faut aussi éviter l'isolement total qui peut conduire au repli sur soi, avec un risque de suicide, et à une violence accrue à la sortie du quartier disciplinaire. C'est pourquoi le texte autorise l'usage de la radio et l'accès au parloir familial.
Autre question générale : le maintien d'un certain nombre de droits pour les détenus. Parce qu'elle doit aussi aider à la réinsertion, la prison ne saurait être un lieu de non-droit : si elle protège la société et si elle sanctionne, n'oublions jamais qu'elle ne doit pas marquer une coupure totale qui empêcherait toute réinsertion. Bien sûr, la liberté d'opinion, la liberté de conscience et la liberté d'exercice religieux doivent être reconnues aux détenus. Mais, au-delà de ces droits déjà inscrits, il faut reconnaître des droits plus concrets comme le maintien des liens familiaux, qui passe par un accès élargi au téléphone, le développement de l'accès au travail, à partir d'un acte d'engagement et sur la base d'une rémunération indexée sur le SMIC.
Il faut aussi éviter que l'indigence et la pauvreté ne créent des murs supplémentaires et ne nuisent à ce lien social qui existe véritablement en prison. Nous avons donc décidé qu'une aide en nature ou en numéraire pourra être accordée aux détenus qui n'auraient aucunes ressources afin de leur permettre de vivre de façon décente.
Afin de faciliter les démarches administratives, nous proposons également de permettre aux détenus d'élire domicile dans les établissements pénitentiaires.
Le deuxième grand objectif de ce texte est de poser les conditions du développement de sanctions complémentaires ou alternatives à l'emprisonnement. Nous sommes partis tout d'abord du constat que le recours à l'incarcération n'est pas la seule sanction pénale possible et que l'aménagement des peines jouait pour 10 % des effectifs des condamnés en 2007 et pour 13 % depuis le 1er janvier 2009. C'est surtout le placement sous surveillance électronique qui a fortement progressé : de 35 % ces deux dernières années. Cela montre qu'il faut chercher à utiliser les technologies nouvelles et plus efficaces.
Nous avons aussi constaté que la sortie « sèche » est souvent une mauvaise solution, en particulier parce qu'elle représente un véritable choc pour le détenu qui sort brutalement d'une vie encadrée. J'ai ainsi été frappée par le suicide d'une personne moins de 48 heures avant sa sortie de prison. Il est donc indispensable d'anticiper, de préparer la sortie au cours de l'incarcération.
Que les choses soient claires, lorsque j'affirme que nous devons réfléchir à des solutions alternatives ou complémentaires, je ne propose pas que les détenus soient purement et simplement remis en liberté ou que les sanctions ne soient pas exécutées. Si tel était le cas, on priverait les sanctions de leur rôle pédagogique dans la lutte contre la récidive ; la loi, la justice et l'État verraient leur légitimité contestée aux yeux de ceux qui auraient dû être sanctionnés comme de la société tout entière. Pour autant, nous devons regarder comment les sanctions sont exécutées. Et, s'il peut y avoir des aménagements, il faut savoir à quel moment.
Alors qu'actuellement seules peuvent être aménagées les sanctions inférieures ou égales à une année, le Sénat a porté cette durée à deux ans. Or, cela apparaît en contradiction avec les peines plancher en cas de récidive instituée l'an dernier. Par cohérence, il faudrait exclure de la possibilité d'aménagement les peines inférieures à deux ans prononcées en cas de récidive. Il faut également prendre en considération le cas des délinquants sexuels, en raison du traumatisme subi par les victimes et des risques de récidive.
Pour ce qui est de la mise en oeuvre, il est clair que les procédures d'aménagement de peine sont aujourd'hui trop lentes et trop lourdes. L'aménagement de peine supposera un projet sérieux d'insertion, qui ne sera pas automatiquement lié à l'existence d'un contrat de travail – surtout dans une période où il est si difficile d'en obtenir. Le projet de loi s'attache à simplifier les démarches, mais aussi à renforcer le rôle du directeur des services pénitentiaires d'insertion et de probation, qui est un de ceux qui connaissent le mieux le détenu, toute la procédure restant bien entendu sous le contrôle du juge d'application des peines qui validera ou non la décision prise.
Pour éviter les sorties sèches, et même en l'absence d'aménagement de peine, je propose également un placement automatique sous surveillance électronique lorsque le reliquat de peine est inférieur ou égal à quatre mois ou, pour des condamnations inférieures à six mois, lorsqu'il reste deux tiers de la peine à effectuer. Il s'agit là plus d'un nouveau régime de détention que d'un aménagement de peine mais, par souci de cohérence, l'autorité détentrice du recours doit demeurer le parquet et non le juge de l'application des peines.
Voici le texte issu du Sénat. En améliorant les conditions de détention, il donne tout son sens à la peine d'emprisonnement. En diversifiant les modes d'application de la sanction, il adapte le service public pénitentiaire aux besoins de la société. Sur une telle question de société, nous devons tenir un débat lucide, serein et dépourvu d'a priori. Nous devons trouver des solutions pragmatiques à des problèmes concrets qui intéressent à la fois des individus et l'équilibre de notre société tout entière.
Je me réjouis que cette loi pénitentiaire vienne enfin devant cette commission et salue l'excellent travail de notre rapporteur Jean-Paul Garraud.
Madame la ministre, vous avez rappelé les défis de ce texte. La situation des prisons en France a été dénoncée sur tous les bancs, et l'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête parlementaire sur le sujet il y a déjà plusieurs années. C'est pourquoi je voudrais saluer ce qui a été fait par les ministres de toutes les majorités depuis 2002, à commencer par la création du contrôleur général des prisons ou le lancement d'un plan de construction sans précédent qui devrait nous permettre de disposer de 60 000 places de prison en 2012. Le travail réglementaire mené au niveau européen – vous connaissez l'action de la délégation française au Conseil de l'Europe sur ce point – a également abouti à une réactualisation de nos règles pénitentiaires.
Outre le constat, nous sommes également d'accord sur les objectifs. Les crimes et délits commis doivent être sanctionnés. C'est une obligation vis-à-vis des victimes, et un devoir de la société. Or, sur 100 000 peines de prison prononcées chaque année, 35 000 ne sont jamais exécutées. Certes, la sanction va toujours de pair avec une exigence d'humanité : elle réside dans la privation de liberté, pas l'humiliation. En revanche, elle doit impérativement être exécutée. Nous avons déjà connu un long processus en faveur des alternatives à l'emprisonnement, notamment, sous l'action du président de notre commission des lois, pour le bracelet électronique. Les chiffres que vous avez donnés, madame la ministre, montrent un mouvement dans le bon sens. En revanche, la décision du Sénat de relever les seuils à deux ans – les aménagements de peine seraient ainsi possibles lorsqu'il reste encore deux ans de prison à effectuer, ou que la peine prononcée est de deux ans – pose problème. Cela concerne 80 % des peines de prison prononcées chaque année ! Cette mesure risque de passer pour du laxisme dans l'opinion publique. Il faut tout faire pour concilier l'exigence d'humanité avec celle de fermeté.
Vous avez dit, madame la ministre, être ouverte aux amendements. Pour notre part, nous souhaitons que la loi dresse un cadre, mais pas trop rigide. Pour ce qui est de l'encellulement individuel, il nous paraît bon de permettre aux détenus de choisir. En revanche, nous insisterons sur la nécessité d'augmenter les moyens financiers pour traiter les détenus relevant de la psychiatrie ou nécessitant des soins – problème qui manque singulièrement de solution aujourd'hui.
Le Nouveau centre vous apportera son entier soutien pour le vote de ce texte, madame la ministre, et sera très exigeant sur sa mise en oeuvre. Mais il combattra fermement la mesure qui porte les limites des aménagements de peine de un à deux ans. Ainsi que vous l'avez dit, cette mesure n'est pas concevable sans prise en compte de la dangerosité du détenu. Or, aujourd'hui, les remises de peine sont automatiques. Même un récidiviste en matière de crime sexuel peut en bénéficier ! La presse a révélé des tragédies récentes. Comment ne pas penser à ces jeunes filles violées et assassinées par des détenus dangereux, qui avaient été condamnés à vingt ans et étaient sortis au bout de neuf ? Toutefois, nous légiférerons dans la sérénité. Vous savez mon engagement personnel pour l'amélioration de la situation dans les prisons et de la dignité des personnes privées de liberté. Mais il faut aussi améliorer les processus qui précèdent la sortie, notamment en faveur du travail et de la formation qui favorisent la réinsertion des détenus.
Il est peu de dire, madame la ministre, que nous avions trouvé le texte présenté par votre prédécesseur en juillet 2008 décevant. Et la décision du Gouvernement, en février 2009, d'appliquer la procédure d'urgence est tout aussi étonnante puisque, bien que le Sénat ait légiféré en mars, l'Assemblée n'est saisie du projet de loi qu'en septembre. Mais ce ne sont que des points de forme. Sur le fond, et bien que nos collègues sénateurs y aient apporté de nombreux progrès, le texte reste très largement à améliorer, et les députés du groupe comptent s'y employer.
Je me reconnais parfois dans vos mots, madame le garde des sceaux, mais dans ces mots, je ne reconnais pas le texte. Nous partageons l'ambition de construire une prison sans arbitraire et respectueuse du droit, une prison en rupture avec le système que nous connaissons – bref, la prison de demain. Tout le monde y gagnerait : la société, et en premier lieu les victimes, car il est conforme à l'intérêt général que l'univers carcéral cesse à tout jamais d'être le séminaire de la récidive pour devenir l'école de la réinsertion ; et les détenus, évidemment, car ils n'auraient plus à supporter ces constantes atteintes à la dignité humaine dont les pouvoirs publics s'accommodent avec une confondante insouciance.
Mais ce texte est loin de cette ambition. Un texte qui se veut fondamental, si j'ai bien compris le Président de la République au Congrès, doit fixer des principes de façon à ce que son interprétation soit la plus limitée possible. Or, pour ce qui est des droits des détenus, le présent projet ne remédiera qu'à la marge à ces atteintes choquantes à la dignité humaine qui valent à notre pays d'être condamné avec constance depuis des années par les juridictions internationales, à commencer bien sûr par la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi par des instances nationales. Nous ne pouvons pas nous contenter d'évoquer des mesures pratiques. Nous devons fixer des règles, et des droits tout autant que des devoirs. Or, la très grande majorité des droits que vous évoquez restent soumis à des impératifs d'ordre ou de sécurité. Leur portée ne dépasse pas celle de la proclamation. Ainsi, l'accès au culte n'est pas garanti : une fois affirmé, il est immédiatement limité. C'est vrai aussi de l'accès au téléphone, de la réception du courrier, de l'accès aux publications ou de l'information des familles.
L'État de droit ne doit pas s'arrêter à la porte de nos prisons. Il n'est pas possible, comme l'a rappelé avec force Robert Badinter au Sénat, qu'aussitôt énoncés, ces droits soient vidés de leur substance par un traitement d'exception décidé par l'administration sur la base de critères imprécis. Nos amendements vont donc s'attacher à proposer des limites précises à ce pouvoir discrétionnaire, en assurant notamment le respect du principe de légalité. Cela sera vrai en particulier pour le régime des fouilles, dont Nicolas Sarkozy disait pendant la campagne présidentielle qu'il devait être profondément revu, ou pour la transformation de la commission de discipline en juridiction impartiale. Nous défendrons aussi, évidemment, le principe de l'encellulement individuel comme étant le droit commun, sans quoi ce texte ne saurait encore prétendre à l'humanité. Le débat a déjà eu lieu au Sénat, où une majorité s'est dégagée contre le gouvernement de l'époque, mais je découvre avec tristesse que la question n'est pas réglée.
Je voudrais vous interroger, madame la ministre, sur l'article 51 du texte. Nous avons déjà connu les régimes progressifs, qui ont abouti à la création des quartiers de haute sécurité que la gauche a abolis, et M. Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a exprimé dans son premier rapport public son opinion sur ce que vous appelez les « parcours individualisés », un vocable inoffensif et fédérateur que je préfère remplacer par « parcours différenciés ». On peut lire notamment que cette initiative, à première vue positive, ne consiste en fait qu'à opérer un tri parmi les condamnés en proposant une évolution à certains et en laissant les autres sans espoir d'amélioration de leur sort, et qu'elle n'est ni plus ni moins qu'une pure et simple ségrégation. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Quant aux cent huit règles pénitentiaires européennes, elles ont certes la faiblesse d'être un compromis entre 47 États mais justement pour atout d'être le minimum que l'on est en droit d'attendre d'un État qui veut réformer ses prisons. Mais la position du Gouvernement à leur sujet est loin d'être claire. En mars, au Sénat, la garde des sceaux de l'époque avait affirmé que le projet de loi n'était rien d'autre que la transcription intégrale des RPE, ce qui était inexact puisqu'à ma connaissance, notre pays se contente d'en expérimenter huit. En mai, le directeur de l'administration pénitentiaire indiquait aux organisations syndicales que les RPE continueraient à s'appliquer dans la réforme et qu'il n'y avait pas d'alternative. Mais, après un mouvement social, la ministre décrétait à la stupéfaction générale un moratoire sur leur mise en oeuvre, moratoire que personne ne demandait et surtout pas les organisations syndicales, qui veulent surtout plus de moyens pour les appliquer !
Vous avez, madame la garde des sceaux, évoqué avec une grande clarté beaucoup des questions soulevées par ce texte, qui a largement progressé au Sénat mais doit encore être amélioré. En revanche, vous n'avez rien dit d'un problème pourtant dénoncé tout ensemble par les directeurs d'établissement, le personnel et les associations : la proportion très importante de détenus atteints de troubles psychiques, qui varie suivant les évaluations entre 20 et 40 %. Il y a deux approches possibles : on peut vouloir organiser à l'échelle du pays tout entier une politique de santé mentale audacieuse, qui fait totalement défaut aujourd'hui, et dont la détention ne serait qu'un volet ; ou bien prévoir des dispositions spécifiques pour l'univers carcéral, allant, comme un certain nombre de pays l'ont déjà fait, jusqu'à la création d'unités spécialisées. Le projet de loi ne répond pas à ce problème pourtant de l'avis général fondamental.
J'ai beaucoup plus apprécié votre intervention, madame la ministre d'État, que je n'apprécie le texte. Vous avez mis l'accent sur les deux questions essentielles que sont d'abord le mieux vivre en prison, sachant que si l'on y vit si mal, c'est tout simplement parce que l'on n'a pas construit suffisamment de places – le taux d'incarcération est ainsi bien plus faible en France qu'en Allemagne ou en Grande-Bretagne : 90 pour cent mille habitants contre 144 pour les Britanniques – et, ensuite, la préparation de la réinsertion, notamment par la semi-liberté ou les peines de substitution.
A la suite de plusieurs affaires parues dans la presse, notamment de suicides, nous avons pris l'habitude de parler de la prison comme Michel Foucault le pressentait dans Surveiller et punir, lorsqu'il parlait de la honte à punir de la justice moderne. Cette mauvaise conscience se sent très bien dans le texte. Il n'est qu'à voir la part consentie d'un côté aux droits des personnes incarcérées et de l'autre à leurs devoirs : c'est le cheval et l'alouette ! Et l'on n'en parle même pas dans le titre, ce qui est extrêmement symbolique. C'est pourquoi je dois rappeler que les détenus ont des devoirs et que le but de la prison n'est pas seulement de réinsérer les détenus, même si c'est impératif, mais aussi tout simplement de faire respecter la loi et de réparer le mal fait aux victimes – en grande partie oubliées dans ce texte. Une idée de Durkheim à laquelle je suis très attaché est que l'application de la loi est le meilleur moyen de créer de la cohésion sociale parmi les gens, les plus nombreux, qui ne seront jamais des délinquants – ce qu'il appelle la « solidarité », au sens sociologique du terme. Si l'emprisonnement a une mauvaise image, si 20 % des personnes qui y sont condamnées y échappent – soit 82 000 personnes aujourd'hui ! –, ce n'est pas bon pour l'ensemble des citoyens, découragés devant une société qui ne fonctionne pas et qui n'est pas capable de garantir ses valeurs.
Ce qui nous ramène au problème essentiel de la gestion hôtelière – du nombre de places disponibles. Nous avons un stock que je crains que la loi veuille transformer en flux, en favorisant les sorties et en réduisant les entrées avec des mesures comme la semi-liberté ou les peines de substitution. Or le non juriste que je suis n'approuve pas que ces mesures soient appliquées en fonction de quanta et non selon des types de délits. Je considère, par exemple, que l'allongement de la durée des travaux d'intérêt général est une réponse parfaitement adaptée à certains types de délinquance, comme les bandes. En revanche, prévoir une limite générale de deux ans pour les aménagements de peine permet de remettre dans la nature un récidiviste qui a commis une agression sexuelle sur mineur de moins de quinze ans, une femme qui a poignardé son compagnon ou un voleur qui a déjà dix-sept condamnations. Ce n'est pas une bonne solution !
J'en profite pour revenir, madame la ministre, sur cette question des travaux d'intérêt général – j'avais souhaité il y a quelque temps qu'ils soient privilégiés et allongés. Vous m'aviez répondu que ce n'était pas réaliste et qu'il valait mieux construire des prisons, mais je continue à penser que le développement de cette mesure est beaucoup plus réaliste ! En Suisse, ces travaux représentent 720 heures, contre 210 heures seulement en France. Le texte abaisse encore la durée des travaux d'intérêt général, réduisant le seuil minimum de 40 à 20 heures. C'est, selon moi, un signal très négatif.
Quant à la surveillance électronique, il est certes satisfaisant de posséder un gadget à la mode, mais ce « machin » ne répond pas à tout. Vous savez en effet qu'une agression a été commise très récemment à Montpellier dans un débit de tabac par un homme de 36 ans qui était pourtant placé sous surveillance électronique. N'oublions pas l'objectif de la loi, qui est de contribuer à instaurer la sécurité dans notre pays en terrorisant ceux qui prétendent y porter atteinte, en sécurisant les victimes et en permettant à ceux qui veulent s'amender de le faire dans les meilleures conditions possibles.
J'évoquerai deux points : les conditions de sortie de prison et le maintien du lien social.
L'une des propositions du rapport que m'a demandé le Premier ministre sur le logement social et l'hébergement d'urgence était de veiller, par une préparation en amont, à ce qu'en aucun cas un prisonnier libéré ne se trouve à la rue, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui, faute de liens relationnels.
Par ailleurs, madame le ministre, je souhaiterais connaître votre avis quant à la participation de partenaires extérieurs, en particulier des collectivités locales, au maintien du lien social dans les prisons. À la prison de femmes de Versailles, j'ai contribué à la création de la bibliothèque et à celle de la médiathèque, à la formation du personnel, et j'y ai fait entrer notre théâtre pour meubler les loisirs des détenues. Qu'on le veuille ou non, les détenus, s'ils sont momentanément privés de liberté, restent des citoyens.
Je soutiens le Gouvernement dans son souci d'améliorer le respect de la dignité humaine dans les conditions de détention, qui est l'un des objectifs majeurs de ce texte. Les difficultés actuelles ne font pas honneur à notre pays et de nombreux progrès sont nécessaires. Le texte propose des réponses importantes et le Sénat lui a apporté des améliorations utiles et pertinentes.
Pour ce qui concerne la question douloureuse des suicides en prison, qui ont atteint un nombre inacceptable pour notre démocratie, je proposerai un amendement tendant à confier à un observatoire national le soin de rédiger un rapport annuel et d'établir des statistiques par établissement.
Je tiens cependant à exprimer de très fortes réserves quant au second volet, ajouté par le Sénat, relatif aux aménagements de peine, qui présente des risques, sinon des dangers. La loi doit en effet s'inscrire dans le cadre d'une politique plus globale de lutte contre la délinquance et de défense du droit des victimes – un droit essentiel qui a, selon moi, autant de valeur que celui des détenus. Cette politique voulue par le Président de la République et par notre majorité est mise en oeuvre depuis deux ans par le Gouvernement, qui adresse en permanence aux délinquants un message de fermeté clair et cohérent. La loi d'août 2007 sur les peines plancher s'inscrivait naturellement dans cet esprit de fermeté et de justice, tout comme l'action que vous avez menée place Beauvau, madame la ministre. Ce n'est pas le cas, en revanche, du projet de loi qui nous est soumis, qui ne manquera pas d'adresser aux délinquants un message de clémence.
Ainsi, l'article 32 affirme que l'emprisonnement devient l'exception. Alors que l'exemplarité de la sanction doit avoir une valeur essentielle, cet article dispose qu'« une peine d'emprisonnement ferme ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate » et que, « dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle », faire l'objet de mesures d'aménagement. Autant dire que, sous ces conditions très restrictives, la peine de prison ferme ne pourra pratiquement plus être exécutée, sinon même prononcée. Cet article est pour moi inacceptable, car il adresse aux victimes un message alarmant et aux délinquants un message d'impunité.
Sans remettre en cause le principe de l'aménagement de peine, je trouve tout aussi inacceptable l'article 48, qui prévoit le caractère quasi automatique de l'aménagement de peine pour les condamnations à deux ans de prison ou pour lesquelles deux ans de prison restent à accomplir. Je m'élève également contre l'élévation des seuils à laquelle a procédé le Sénat.
Je partage avec le Gouvernement le souci de trouver une solution au problème carcéral, mais les aménagements de peine ne doivent ni être automatiques, ni devenir la variable d'ajustement des places disponibles en prison. Le texte que nous examinons permettra la remise en cause systématique, dans le huis clos du cabinet d'un juge d'application des peines, des peines décidées souverainement par les tribunaux. Le nombre de mises en liberté qui en découlera, certes difficile à évaluer, sera très élevé – selon l'estimation publiée cet été par un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi, 10 000 détenus pourraient en bénéficier.
Ce texte suscite déjà une très grande inquiétude de la part des policiers et des gendarmes. Selon le syndicat policier Synergie-officiers, le projet de loi « met en péril toute la chaîne de lutte contre l'insécurité ». En l'état, je ne me sens donc guère en mesure d'approuver ses dispositions relatives à l'aménagement des peines. M. le rapporteur, qui a effectué un excellent travail sur ce texte, déposera tout à l'heure des amendements visant à en gommer certains des aspects les plus dangereux, comme je l'ai fait moi-même pour exclure les récidivistes de ces dispositions d'aménagement des peines.
Je fais confiance au Gouvernement, au rapporteur et à la Commission pour améliorer ce texte, dont l'esprit a été quelque peu dénaturé par le Sénat.
Comme l'a relevé M. Urvoas, le texte présente plusieurs contradictions. Présenter un tel texte dans le cadre d'une procédure d'urgence revient à mépriser le travail parlementaire et à escamoter le débat. Compte tenu, en outre, des nouvelles règles imposées pour la discussion en séance publique, cette loi pénitentiaire ne sera pas examinée comme il conviendrait de le faire dans une grande démocratie.
Vous vous êtes livrée, madame la ministre, à un véritable exercice de schizophrénie politique. Comment, en effet, défendre une loi pénitentiaire dont l'un des trois piliers est celui de l'insertion, alors que, depuis 2002, votre majorité a fait voter plusieurs lois qui jettent systématiquement les gens en prison, comme les lois sur les peines plancher, sur la récidive ou sur la rétention de sûreté, qui est une véritable honte, sans parler de quelques propositions de loi déposées par certains de nos collègues devenus depuis lors ministres, ni des propos de votre successeur au ministère de l'intérieur qui, à la veille des élections régionales, brandit le vieil épouvantail de la « tolérance zéro » ? Comment présenter sérieusement une loi pénitentiaire qui consisterait à améliorer la condition des détenus et à éviter l'enfermement systématique alors même que la politique à laquelle vous participez est une politique du chiffre et une culture du résultat ?
Ces contradictions obligent le représentant du peuple que je ne suis à situer dans son contexte le projet que vous nous soumettez après son examen par le Sénat.
Il n'est certes pas difficile de se reconnaître dans les lieux communs qui nous sont tenus depuis des décennies sur la condition des détenus et la nécessité d'humaniser nos prisons. Nous sommes ici un certain nombre à avoir participé à la commission d'enquête sur les prisons – qui n'était d'ailleurs pas une initiative parlementaire, mais avait été créée à la suite de l'émotion suscitée par le livre d'un médecin de la prison de la Santé : la logique était plus celle du suivisme que celle de l'anticipation qu'attendent de nous nos électeurs. Nous sommes plusieurs également à avoir poursuivi ce travail hors du cadre de la commission et nous constatons que, malgré ce rapport, adopté à l'unanimité, rien n'a changé et que les conditions ont même empiré.
Je souscris au point de vue de M. Urvoas sur la question de l'encellulement individuel et je regrette, madame la ministre, que, comme votre prédécesseur, vous ne défendiez pas cette idée, au motif que la présence d'un codétenu pourrait permettre de prévenir les suicides.
La question du suicide, que vous avez évoquée dans une conférence de presse, est certes une question majeure – elle est notamment le révélateur de la condition des détenus et de la difficulté qu'éprouvent les surveillants de prison à détecter ceux qui se trouvent dans des situations suicidaires. Cependant, plusieurs parlementaires ou associations remettent en cause les chiffres que vous avez cités, et nous demanderons dans les jours prochains la création d'une commission d'enquête parlementaire sur la réalité des suicides en prison.
À l'instar des premières mesures prises par le Gouvernement, comme la loi sur les peines plancher, votre texte est en totale contradiction avec les propos tenus durant sa campagne électorale par le Président de la République, qui insistait alors sur l'individualisation des peines.
Vous avez déclaré tout à l'heure que les SPIP auraient un rôle important à jouer et que le juge d'application des peines validerait leur avis. Les SPIP étant des personnels pénitentiaires, ils seront juge et partie. C'est pour l'administration pénitentiaire une manière de dépouiller le juge de ce qu'elle considère comme son bien, alors qu'il devrait précisément revenir au juge de décider, au titre de l'individualisation de la peine, de ce qu'il convient de faire.
Durant le débat, nous insisterons beaucoup sur la question des régimes différenciés. Comme l'a relevé M. Urvoas et comme nous le montrerons, il n'est pas juste d'affirmer que le texte met en oeuvre les recommandations européennes. Au fond, vous appliquez aux centres de détention des dispositions qui s'appliquent aujourd'hui aux maisons d'arrêt. La mutinerie qui a éclaté voici quelques jours à Salon-de-Provence à cause d'un transfèrement de cellule manifeste que cette pratique très courante pose des problèmes.
Le rapport Canivet a bien montré que, dès que la porte de la prison se referme, c'est une autre société qui s'ouvre, brutale, violente, discriminatoire et ségrégationniste. Il nous faut donc résister avec force aux propositions que vous formulez sur le régime différencié et qui ne font que mettre en place une forme de tri.
Si donc je n'approuve pas ce texte, c'est pour des raisons bien différentes de celles de M. Ciotti.
Vous êtes, madame la ministre, prisonnière de votre électorat et des ultras de votre majorité. Comment pouvez-vous à la fois satisfaire ceux qui demandent toujours plus d'enfermement, de « tolérance zéro » et de condamnations et nous proposer une loi pénitentiaire qui allège la souffrance de ceux qui, s'ils ont une dette à payer, ne peuvent être traités comme des sous-hommes, des sous-citoyens ? Soyez certaine que nous serons très présents au cours de la discussion parlementaire et défendrons les points de vue que je viens d'exposer.
Madame la ministre, afin que notre débat puisse être serein, sérieux et approfondi, il faut lever la procédure d'urgence. Du reste, ce débat manifeste bien que des oppositions de fond s'expriment sur le sens de l'enfermement ou de la prison. La prison doit certes être le lieu de l'exécution des peines, mais elle a également vocation à être un lieu de réinsertion, de réadaptation, de rééducation de ceux qui s'y trouvent.
Le souci des victimes et de la réparation est légitime, mais ceux qui se trouvent incarcérés ne sont-ils pas aussi les victimes d'une société qui produit ces situations ? Sauf à estimer que la cause des déviances comportementales se trouve dans les gènes – ce qui renverrait à un autre débat –, cette cause doit bien se trouver, pour l'essentiel, dans les conditions sociales dans lesquelles nous vivons. Il nous faut donc considérer les agresseurs incarcérés comme des victimes, ce qui permet d'envisager la réinsertion.
Le texte qui nous est soumis comporte deux parties, et, selon que s'exprime un député de l'opposition ou de la majorité, le déséquilibre entre ces parties change de sens. Comme l'a fort bien observé l'un de mes collègues de gauche, la première partie, consacrée aux services et à la condition pénitentiaires, est décevante, car elle ne correspond ni aux besoins des personnes incarcérées, notamment en termes d'insertion, ni à ceux des personnels de surveillance. Je rappelle à cet égard que la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. Pourquoi donc n'avoir intégré qu'a minima les règles pénitentiaires européennes et ne vous être pas inspirée davantage des décisions récentes du Conseil d'État, selon lequel un détenu doit conserver l'ensemble des droits attachés à la personne, à l'exception seulement de celui d'aller et venir ? L'apport du Sénat a été positif à cet égard.
Quant à l'encellulement individuel, évoqué à l'article 49, le fait qu'il ne soit pas toujours la meilleure réponse ne signifie pas qu'il ne doive pas être possible pour tous les détenus, à l'exception de ceux qui ne le souhaitent pas.
Il convient donc de maintenir les avancées proposées par le Sénat – ce qui n'est pas ce que j'ai cru entendre.
Pour ce qui concerne la deuxième partie du texte, les apports du Sénat sont là encore positifs, et le désir exprimé par certains collègues de la majorité, notamment dans la presse, de revenir sur ces apports est inquiétant. Quelle est, madame la ministre, votre position à cet égard ?
Je souhaiterais également connaître la position du Gouvernement sur l'article 51, qui prévoit la différenciation des régimes des détenus, malgré les observations de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui craint comme nous l'aggravation des réponses arbitraires de l'administration pénitentiaire, et l'avertissement du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, qui affirme clairement son refus de la légalisation d'un régime de détention différencié.
Enfin, alors que le Sénat n'a pas modifié la procédure disciplinaire prévue à l'article 53, il nous paraît au contraire urgent de remédier à de graves carences dans l'application du principe du procès équitable au sein des commissions de discipline chargées de prononcer les décisions de l'administration pénitentiaire. Le fait qu'une seule personne étrangère à l'administration pénitentiaire soit présente dans ces commissions n'en garantit ni l'indépendance, ni l'impartialité. En outre, l'abaissement de 45 à 30 jours de la durée de placement en quartier disciplinaire est très en retrait par rapport au seuil maximum de 20 jours préconisé par le Sénat et que nous avons voté à l'unanimité en 2001. Cette durée distingue négativement la France de nombreux autres pays, comme l'Irlande, la Belgique ou le Royaume-Uni, où cette durée est respectivement de trois, neuf et quatorze jours. Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ces deux points ?
Le sujet que nous examinons mérite un débat approfondi. Une question de fond nous est posée : voulons-nous faire de la prison un lieu qui crée les conditions de la non-récidive ? Pour y répondre positivement, il faut se donner les moyens de la réinsertion, voire de l'insertion de ceux que la vie a mis dans des situations dramatiques.
Par la présente loi, nous avons la possibilité de construire dans notre pays une justice juste. Ne manquons pas cette occasion !
Tout d'abord, il faut faire de la prison un lieu de droit, afin de lutter contre ce que le président de la République a appelé, lors du Congrès de Versailles, l'indignité de la situation pénitentiaire. Pour cela, il convient également de garantir aux personnels – dont vous avez avec justesse, madame la ministre, souligné le dévouement dans la réalisation d'une tâche difficile – des conditions de travail dignes.
Ensuite, il faut passer d'une culture de l'enfermement pur à une culture qui lui associe un travail, non seulement de réinsertion, mais aussi de surveillance à la sortie – étant entendu qu'une partie de la peine peut s'effectuer hors détention.
Enfin, l'amélioration du système doit permettre d'améliorer la protection des victimes : victimes passées, en imposant des restrictions aux sortants de prison, et victimes à venir, en luttant contre le renouvellement des infractions.
Plusieurs chiffres attestent la gravité de la situation : 63 000 détenus pour 53 000 places – la surpopulation étant concentrée dans les maisons d'arrêt, puisque les centres de détention bénéficient d'une sorte de numerus clausus ; 2 600 conseillers d'insertion et de probation pour les suivre et gérer près de 150 000 mesures en milieu ouvert ; enfin, l'Annuaire statistique de la justice fait état de 85 000 personnes sorties de prisons en 2006. Sur ce total, 6 000 ont bénéficié d'une libération conditionnelle et 15 000, en détention provisoire, ont été libérées sur décision du juge d'instruction ; les quelque 65 000 qui restent sont sorties en fin de peine : cela signifie que nous devons fournir un effort très important pour assurer le suivi des sortants de prison.
Je partage l'analyse de mes collègues Noël Mamère et Jean-Jacques Urvoas : vous vous trouvez, madame la ministre, dans une situation paradoxale. Vous nous avez tenu un discours particulièrement mesuré, et tout à fait appréciable, mais la majorité à laquelle vous appartenez surfe depuis plusieurs années sur le thème de la lutte contre la délinquance, utilisant ces questions de manière quasi obsessionnelle. Cette armée de « surfeurs » vous réclame sans cesse plus de répression ; elle ne se satisfera pas de mesures qui, pourtant, nous paraissent raisonnables.
Évitons les faux débats ! La question du seuil ne se pose pas : c'est le juge d'application des peines qui décide de la sanction et de l'aménagement. Par ailleurs, on compte 100 000 peines d'emprisonnement de moins d'un an et 7 000 à 15 000 de moins de deux ans : dans les faits, la question de l'aménagement de ces dernières ne se pose pas. Passé le seuil d'un an, on délivre en général un titre de détention, ce qui entraîne l'incarcération immédiate et fait obstacle à tout aménagement de peine.
La question des récidivistes constitue un autre faux débat. Pour le sens commun, un récidiviste est une personne qui recommence à commettre des infractions après avoir été condamnée : il est évident qu'elle doit être punie davantage que celle qui commet sa première infraction. Or la notion juridique de « récidiviste » ne recouvre pas cette réalité, puisque la récidive correctionnelle correspond à la répétition d'un même délit, après une condamnation définitive.
Prenons un exemple : un individu s'introduit chez une vieille dame en se faisant passer pour un agent d'EDF et lui subtilise ses économies. Il est condamné à six mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel. Mécontent, il se dispute avec l'agent de police de faction et le frappe : il s'agit d'un acte antisocial grave, mais non d'une récidive, pour deux raisons : il ne s'agit pas d'un vol, mais d'une violence volontaire ; de plus, la condamnation correctionnelle étant sous le coup de l'appel, elle n'est pas encore définitive.
Par la répression de la récidive, on s'acharne donc sur une catégorie juridique, non sur une délinquance particulière, et l'on omet les réitérants, quelle que soit la gravité de leurs actions. De surcroît, la loi de 2007 instituant les peines plancher a déjà traité de la situation du récidiviste : il n'y a pas lieu de recommencer à l'occasion de l'exécution de la peine, alors que les récidivistes nécessitent un suivi particulier.
Nous souhaitons formuler plusieurs propositions, visant à enrichir le débat.
Tout d'abord, lorsque deux personnes doivent partager neuf mètres carrés, nulle dignité n'est possible et tous les beaux discours sur les droits des détenus ne sont que glose inutile. Afin d'adapter le nombre de places au nombre de détenus, nous proposons d'adopter une sorte de numerus clausus, impliquant la sortie automatique des détenus les plus proches de la fin de peine, suivant un mécanisme apparenté à celui proposé par le texte concernant l'aménagement automatique des peines quand il reste quatre mois ou les deux tiers d'une peine de six mois à exécuter.
Afin de garantir la surveillance des personnes qui sortent de prison, nous proposons d'instaurer un mécanisme de libération conditionnelle à deux tiers de peine, automatique sous réserve que le juge d'application des peines ne s'y oppose pas. On passerait ainsi d'une culture de l'enfermement à une culture de la surveillance.
Nous proposons également une modification du fonctionnement des commissions de discipline, ainsi qu'une amélioration de la situation disciplinaire des surveillants de prison – qui, dans certains cas, peuvent être sanctionnés sans réunion de la commission de la discipline.
Nous souhaitons que de ce travail en commun émerge la pénalité, sinon du XXIe siècle, du moins des dix à quinze prochaines années.
Si la prison est bien une sanction, je rappelle qu'à la suite des émeutes de 1974, le président Giscard d'Estaing, découvrant des établissements en très mauvais état et des conditions de détention extrêmement dures, avait souligné que cette sanction devait être la privation de la liberté, et rien d'autre. C'est dire ma surprise de voir ce débat resurgir aujourd'hui. À cet égard, le présent texte, du moins tel qu'il nous est transmis par le Sénat, me paraît une bonne introduction, car il insiste sur les droits – et les devoirs – des détenus.
Il s'agit d'assurer la protection – celle des victimes, bien entendu, celle des détenus, mais aussi celle du personnel pénitentiaire – et de préparer la réinsertion des détenus. De ce point de vue, le suivi médico-psychologique est fondamental. J'en veux pour preuve que dès la réforme Amor, il y a soixante ans, et la création, à la maison d'arrêt de Fresnes, du Centre national d'observation, le CNO, il est apparu évident qu'un détenu n'était pas qu'un numéro d'écrou, mais également une personne, certes condamnée, en instance de punition, mais différente des autres détenus. Depuis le XIXe siècle, l'empilement et la promiscuité sont considérés comme l'école de la récidive et du crime ; on passerait à côté de la question si l'on n'individualisait le regard que l'administration pénitentiaire, composée de professionnels aguerris, porte sur les détenus. Madame la ministre, nous sommes inquiets pour l'avenir du CNO : nous espérons le voir renaître – sans doute sous une forme régionalisée – et souhaitons que des moyens importants lui soient affectés.
Il convient de partir des éléments positifs. Ainsi, la loi de 1994 avait fait rentrer la médecine pénitentiaire dans le droit commun. Il importe de poursuivre le développement des unités de consultations et de soins ambulatoires, des unités hospitalières spécialement aménagées et des unités hospitalières sécurisées interrégionales et que le ministère de la santé s'implique davantage dans les soins aux détenus et dans la prévention.
Nous proposerons pour notre part des amendements relatifs aux bilans de santé ainsi qu'à la présence dans nos prisons de 20 à 30 % de personnes en grande difficulté psychique ou psychiatrique. L'audition de nombreux professionnels a montré que l'augmentation du nombre de celles-ci était le problème majeur rencontré par de nombreux établissements. Aucune amélioration ne pourra être apportée au système carcéral tant que cette situation perdurera – et les discours démagogiques sur la responsabilité pénale ne feront qu'ajouter aux difficultés. Le fait est que se trouvent aujourd'hui en prison des personnes n'y seraient pas allées autrefois, parce qu'elles auraient été soignées dans d'autres établissements. C'est pourquoi nous souhaitons insister sur le devoir de partenariat entre les professionnels de santé et le personnel pénitentiaire.
Une des conséquences très graves du mauvais état de santé du système pénitentiaire français est l'augmentation effrayante du nombre de suicides dans les prisons. Peut-être, monsieur Vanneste, y a-t-il davantage d'incarcérations en Grande-Bretagne, mais c'est la France qui détient le plus fort taux de suicide parmi les détenus. Le rapport Albrand n'avait pas été suivi d'effet au printemps. Vous avez voulu, madame la ministre, apporter des réponses d'urgence. Nous souhaitons qu'elles soient suivies de mesures s'inscrivant dans la durée, et qu'un travail de prévention soit poursuivi.
Se pose en outre le problème du vieillissement de la population carcérale. En effet, chers collègues de la majorité, si, du fait de vos lois répressives, davantage de personnes sont incarcérées et la durée des peines allongée, il y aura de plus en plus de personnes âgées et handicapées en prison ! J'espère que les amendements que nous avons déposés à l'initiative de l'Association des paralysés de France seront votés à l'unanimité. Il faut examiner ces questions avec attention et humanisme, afin d'éviter la situation américaine, où des octogénaires croupissent dans des prisons-maisons de retraite.
Vous vous déclarez favorable à l'encellulement individuel, tout en y apportant, au nom du pragmatisme, certaines restrictions. Il y a pourtant un moment où il faut s'en tenir aux principes – qui, en l'occurrence, sont les règles pénitentiaires européennes. Certes, certains peuvent souhaiter partager leur cellule avec un codétenu, mais j'imagine que personne ne demande à être sur un matelas par terre dans une cellule de quatre, cinq ou six !
Par ailleurs, l'encellulement individuel constitue la meilleure protection contre les maladies infectieuses qui se propagent en prison, comme la tuberculose ou la grippe A. Comment stopper la contagion avec une telle promiscuité ? Louerez-vous des hôtels ? Le personnel pénitentiaire et les détenus sont inquiets. Je crains que la situation ne devienne rapidement dramatique.
Il est de notre devoir de vous alerter sur ces points, et nous le continuerons à le faire tout au long du débat.
L'une des spécificités de l'univers carcéral est sa non-mixité. Or ce texte présente une lacune, car il ne fait nulle part mention de la situation spécifique des femmes. J'aurais souhaité qu'une section leur soit consacrée.
Les femmes ne représentent que 3,7 % de la population carcérale, ce qui suscite quelques problèmes : l'accès aux activités professionnelles et éducatives leur est plus difficile, et, les établissements qui les accueillent étant peu nombreux, elles sont plus isolées, plus éloignées de leur famille et reçoivent moins fréquemment des visites.
La question ne se réduit pas aux problèmes des mères et des femmes enceintes. Un rapport du Parlement européen daté du 5 février 2008 a souligné la nécessaire spécificité des établissements pour femmes : elles doivent bénéficier de structures de sécurité et de réinsertion qui leur soient destinées. Or, actuellement, l'univers carcéral est pensé par et pour des hommes.
De surcroît, beaucoup de ces femmes ont été par le passé victimes d'abus physiques, affectifs ou sexuels. Les règles pénitentiaires européennes demandent qu'une attention particulière soit accordée aux détenus qui ont été victimes d'abus de ce genre. En outre, les règles pénitentiaires 34-1, 34-2 et 34-3 rappellent la nécessité de satisfaire aux besoins spécifiques des femmes, et pas seulement dans le domaine médical. Il conviendrait par conséquent d'adopter des amendements visant à améliorer la condition des détenues.
Plus spécifiquement, les jeunes filles mineures sont, du fait de la non-mixité, privées d'un grand nombre d'activités. Il faut améliorer leur condition. D'ailleurs, le rapport Hammarberg, en novembre 2008, a souligné le manque de structures et d'activités adaptées aux jeunes filles et l'absence de progrès depuis 2006.
Nous apprécions les aménagements de peine prévus par ce texte : il s'agit d'un progrès dans l'exécution de la sanction.
En revanche, nous ignorons comment ces aménagements s'appliqueront aux étrangers, lesquels représentent 20 % de la population carcérale française. Ces détenus rencontrent des difficultés particulières, liées à leur mauvaise maîtrise du français, à l'illettrisme, à leur isolement par rapport à leur famille, qui rend les visites difficiles – une partie de la famille pouvant d'ailleurs se trouver en situation irrégulière. Ils ont du mal à bénéficier d'une libération conditionnelle ou de mesures d'aménagement de peine, dans la mesure où il peut s'agir de personnes en situation irrégulière, éventuellement menacées d'expulsion vers le pays d'origine.
Il importe d'en tenir compte si nous voulons que l'individualisation de la peine soit applicable à 20 % de la population pénale.
La délégation aux droits des femmes de notre Assemblée a examiné la spécificité de la détention féminine. Elle a visité quatre centres de détention – Fleury-Mérogis, Rennes, Valenciennes, et l'établissement pour mineurs de Quiévrechain – et auditionné des membres des services pénitentiaires.
Premier constat, numérique : la proportion de femmes dans nos prisons est faible.
Deuxième constat, juridique : l'article 248 du code de procédure pénale pose le principe de la non-mixité. L'avantage, c'est qu'à quelques exceptions près, il n'y a pas de surpopulation carcérale chez les femmes. Cependant, ce principe entraîne également des inconvénients. Comme l'a rappelé Aurélie Filippetti, les prisons sont conçues sur un modèle masculin plutôt que féminin. Le faible nombre de détenues dans les quartiers de femmes interdit quasiment la mise en commun des activités dans les établissements accueillant également des hommes.
Je voudrais également soulever, avec prudence, un sujet qui a fait l'objet de nombreuses discussions au cours des auditions menées par la délégation. Si la présence de surveillants dans les quartiers de femmes est proscrite par le code de procédure pénale, des surveillantes ont le droit d'exercer dans les quartiers d'hommes. La grande majorité des personnes interrogées estiment que leur présence a permis d'apaiser certains conflits. La présence de surveillants hommes dans les quartiers de femmes ne pourrait-elle produire les mêmes effets ? Nous avions posé la question à votre prédécesseure, qui s'y était déclarée opposée. Je vous la pose à nouveau.
Pour le reste, je confirme les propos d'Aurélie Filippetti sur les inconvénients liés au faible nombre de détenues. En matière de santé, notamment, sur vingt-six services régionaux, un seul est accessible aux femmes.
En outre, la délégation recommande que les peines alternatives, comme le bracelet électronique, soient étendues aux femmes enceintes et que soit signées des conventions entre les établissements pénitentiaires et les départements, notamment les services de protection maternelle et infantile, afin de remédier aux inégalités territoriales constatées sur le terrain.
Pour terminer, je salue un texte important, attendu depuis longtemps, qui vise à soumettre les établissements pénitentiaires français au droit commun et à mettre en oeuvre – du moins pour partie – les règles pénitentiaires européennes. Ce projet de loi équilibré réalise la synthèse entre les deux fonctions de la prison : la protection de la société et la réinsertion sociale des détenus.
Au mois de juillet, la Commission des lois a adopté à l'unanimité un rapport sur la prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes majeures placées sous main de justice, présenté en conclusion d'une mission d'information organisée par le président Jean-Luc Warsmann. Le rapport concluait à une situation insatisfaisante de nos établissements pénitentiaires ; la proportion des détenus affectés de dépression, plus ou moins sévère, est estimée à 50 % ; en prison celle des schizophrènes est huit fois plus importante que dans la société ; 60 % des détenus présentent des pathologies dentaires lourdes, et la même proportion des problèmes d'hygiène débouchant sur des pathologies infectieuses graves.
Notre sentiment est que la loi de programme votée en 1994 et les textes qui l'ont suivie n'ont pas été à la hauteur de cet enjeu. Nous avons conclu ce rapport sur deux pistes de travail, qui mériteraient d'être mieux prises en compte dans les articles 20 et suivants du présent projet de loi.
La première est celle d'une meilleure articulation, dans le domaine de la santé, entre les actions des ministères de la justice et de la santé. Curieusement, alors que le ministère de la santé dispose bien d'un représentant au ministère de la justice, la réciproque n'est pas vraie. Nous n'avons pas trouvé au ministère de la santé de correspondant susceptible de nous indiquer la stratégie de ce ministère dans les établissements pénitentiaires. J'ai donc formulé un amendement pour remédier à cette situation.
Nous avons ensuite constaté que dans un schéma régional d'organisation sanitaire sur deux – les SROS sont élaborés sous l'autorité des Agences régionales de santé – la santé en prison n'est même pas abordée, ni sous l'angle pathologique, ni sous l'angle psychiatrique ; à l'exception de quelques SROS, où ce point fait l'objet d'une attention particulière, la question, lorsqu'elle est abordée, l'est de façon très elliptique et superficielle. Je présenterai aussi un amendement pour tenter de répondre à cette situation. Notre constat est simple : la fermeture des lits de psychiatrie a reporté sur les établissements pénitentiaires la charge du traitement d'un certain nombre de pathologies, notamment celles qui s'expriment sur la voie publique ; la deuxième ou la troisième condamnation pour tapage ou trouble public est accompagnée d'une incarcération ; c'est alors le ministère de la justice, dont ce n'est pas le rôle, qui est chargé de traiter cette question de sécurité publique.
Je voudrais d'abord saluer l'existence même de ce projet de loi. A l'exemple du Gouvernement qui nous le présente, les députés qui l'adopteront auront été capables de dépasser la parole au profit d'une action lucide. La population l'attend. Ce projet de loi a pour objectif l'équilibre, d'autant plus délicat à atteindre dans ce domaine que les voies et moyens pour y parvenir sont souvent contradictoires dans leur essence même.
Nous devrons régler la contradiction évidente entre les dispositions que nous avons prises en matière de récidive, notamment l'institution des peines plancher, et le texte tel qu'il nous arrive du Sénat, notamment en matière de seuils.
Je reste très fier d'avoir été le rapporteur de la loi sur les peines plancher. Contrairement à ce qui continue à se dire, ces peines ne sont en aucun cas prononcées automatiquement. Le rapport présenté à la Commission sur l'application de cette loi l'a prouvé. Dans un cas sur deux, le juge, en utilisant tous les critères objectifs à sa disposition, possibilité qui ne lui a jamais été enlevée, s'est départi du recours à la peine plancher ; dans les autres cas, la peine plancher a été prononcée. Le dispositif s'inscrit donc bien dans le respect fondamental de l'individualisation de la peine.
Je serai très attentif à la cohérence de la législation. Je sais que le rapporteur y a veillé. Une fois maintenue la possibilité de différencier le traitement pénal des récidivistes de celui des primo-délinquants – tout en veillant à rester dans l'esprit de l'aménagement des peines –, il n'y aura plus d'incohérence. La législation doit maintenir les principes qui sont les nôtres, et qui ne sont certes pas ceux de l'enfermement à tout va et de sanctions systématiquement aggravées.
Je poserai une question sur la justice des mineurs. Je me souviens avec fierté du premier amendement que j'ai présenté, et qui, après avoir été adopté à l'unanimité par notre Commission et l'Assemblée nationale, est désormais partie intégrante de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Il fixait à la Nation l'objectif, dès que possible, de n'incarcérer les mineurs que dans des établissements spécifiquement prévus à cet effet. Cette orientation a été mise en oeuvre avec vigueur par le Gouvernement, et je constate avec satisfaction et gravité que les établissements pour mineurs sont désormais une réalité. Madame la ministre d'État, quelles sont les perspectives dans ce domaine ? Peut-on dresser un point précis et connaître la date à partir de laquelle les jeunes que nous devrons malheureusement incarcérer, aucune autre solution n'étant possible, le seront, quelle que soit la gravité de leurs actes, dans des établissements pour mineurs, c'est-à-dire spécifiquement adaptés à ce qu'ils sont ?
Enfin, codicille à ma précédente question, nombre d'entre nous, y compris des membres de l'opposition comme notre collègue Dominique Raimbourg, avec qui nous avons travaillé de façon très consensuelle au sein de la commission Varinard, sommes très attachés à la justice pénale des mineurs. Un calendrier se dessine-t-il pour ce travail lourd et nécessaire qu'est la refonte de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante et la création d'un code de la justice pénale des mineurs ?
Après plus de deux heures de débats, vous pouvez constater, Madame la ministre d'État, monsieur le secrétaire d'État, que les parlementaires de la majorité sont évidemment en accord avec l'essentiel de ce texte.
Nous sommes un certain nombre à avoir accompagné dans les prisons, à de nombreuses reprises, la ministre qui vous a précédée, et à avoir entamé des débats avec l'ensemble des acteurs du milieu carcéral et écouté leurs doléances, afin de comprendre le malaise actuel de ce milieu. Nous nous réjouissons donc que notre rapporteur ait pu consacrer du temps, pendant les deux ans qui ont suivi sa nomination, à de nombreuses visites et auditions sur ce texte. Ce n'est pas au sein du texte que résident les contradictions soulignées par M. Mamère : alors que la semaine dernière, madame la ministre, c'est votre précipitation qui vous était reprochée, ce sont aujourd'hui des délais trop longs !
Madame la ministre, la vocation même d'une peine d'emprisonnement prononcée par un tribunal ou une Cour est évidemment d'être exécutée. L'aménagement des peines correctionnelles et criminelles doit être non pas une règle ou une obligation mais une possibilité, une exception, justifiée par de sérieuses garanties de réinsertion. Il ne faut pas instituer un droit à la non exécution de la peine prononcée. Des spécialistes, comme M. Alain Bauer, nous ont exposé que la première mesure de prévention de la délinquance est la sanction : c'est la première mesure pour éviter la récidive. Les statistiques, notamment celles présentées par l'Observatoire national de la délinquance dans son rapport montrent que six mineurs sur dix qui passent par le milieu carcéral ne récidivent pas : l'application de la peine crée un « déclic » chez le jeune délinquant, qui se gardera ensuite de recommencer. La prison est certes une privation de liberté, mais bien des victimes se sont trouvées privées par des délinquants non seulement de leurs biens mais aussi de leur mobilité : un grand nombre de victimes d'agressions deviennent handicapées à la suite de celles-ci.
Madame la ministre, vous avez rendu un hommage solennel aux personnels pénitentiaires. J'ai pu les rencontrer dans les différentes prisons que j'ai visitées avec mes collègues. Ils attirent notre attention sur les conditions d'octroi de la libération conditionnelle. Celui-ci doit, selon eux, être lié à la manifestation par le condamné d'efforts sérieux de réadaptation sociale. Pour nous, cette condition essentielle doit être maintenue parallèlement aux autres. L'administration pénitentiaire ne doit pas être privée d'un outil efficace pour maintenir l'ordre. Si le comportement du détenu n'est plus l'un des critères d'appréciation de l'opportunité d'une libération conditionnelle, il sera moins incité à respecter les règles de la détention, et l'administration pénitentiaire devra recourir plus qu'aujourd'hui à des sanctions disciplinaires, contrairement à l'esprit même du projet de loi.
Madame la ministre d'État, je souhaite profiter de cette réunion pour porter publiquement une réclamation, que je vous ai adressée par écrit voilà plus d'un mois, et à laquelle je n'ai pas encore reçu de réponse. Elle illustre les mauvaises conditions dans lesquelles cette loi pénitentiaire est préparée.
Après l'annonce, fin juillet, de l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour de la session extraordinaire, j'ai sollicité par trois fois l'administration pénitentiaire pour des autorisations d'organisation de débats ; j'ai essuyé trois refus successifs de sa part.
Ma première demande était faite à l'instigation de La Chaîne Parlementaire, qui travaille au sein même de l'Assemblée nationale. LCP avait souhaité organiser un débat sur le texte dans un centre de détention, et j'avais proposé la maison d'arrêt de Caen. J'ai essuyé un refus de M. Claude d'Harcourt, directeur de l'administration pénitentiaire.
La deuxième demandait l'organisation d'un tel débat au sein du studio d'enregistrement de cette même maison d'arrêt. Les émissions ainsi produites sont diffusées au sein du centre de détention. Dans ce studio travaillent des détenus et des membres du personnel ; c'est un outil de réinsertion remarquable. Nous sommes nombreux à participer régulièrement à des émissions qui y sont organisées. J'avais proposé que s'y tienne un débat sur la loi, associant le personnel pénitentiaire du centre, la direction et les détenus. La direction de l'administration pénitentiaire m'a opposé un nouveau refus.
Enfin, j'ai souhaité organiser dans ma circonscription – comme nous sommes sans doute nombreux à le faire – une table ronde réunissant tous les acteurs locaux intervenant en détention – associations, personnel pénitentiaire, surveillants… Seul un directeur-adjoint de centre a pu y participer, les autres membres de l'administration pénitentiaire invités n'ayant apparemment pas reçu à temps l'autorisation. Je veux bien croire qu'il n'y a pas là d'intention délibérée, mais je trouve particulièrement regrettable cette mauvaise organisation.
Madame la ministre d'État, je souhaiterai vous entendre sur l'article 1erA, ajouté par le Sénat, qui porte sur le sens même de la peine. Le titre sous lequel il figure est ainsi libellé : « Du sens de la peine de la privation de liberté ». Ne croyez-vous pas qu'il y manque un élément sur le sens de la privation de liberté quand aucune peine n'a encore été prononcée ? En France, le quart des détenus est en détention provisoire ! Ces détenus ne sont donc pas concernés par cet article dans son actuelle rédaction.
De la table ronde que j'ai organisée il est ressorti ce que soulignent depuis longtemps tous les rapports, toutes les missions d'information parlementaire.
C'est d'abord la surpopulation en maison d'arrêt ; nous le savons tous, elle interdit toute prise en charge décente des personnes détenues. Les statistiques mêlent souvent centres de détention et maisons d'arrêt. Mais le taux d'occupation du quartier hommes de la maison d'arrêt de Caen est de 200 %. Comment le personnel pourrait-il travailler correctement, et la réinsertion des détenus se faire ? Les nouveaux droits inscrits par le Sénat resteront lettre morte tant que perdurera cette surpopulation. Les syndicats de personnels eux-mêmes le disent et réclament l'encellulement individuel. L'institution d'un numerus clausus, comme en centre de détention, est un préalable indispensable à une mise en oeuvre intéressante de ce texte. Au passage, au centre de détention de Caen, la taille d'une cellule est de 5,44 m2.
Je n'évoquerai pas ici le traitement des femmes, des mineurs, des étrangers, déjà évoqué par Aurélie Filippetti et George Pau-Langevin, ni le manque de moyens.
En matière de travail, je prône de faire entrer en détention, partout où c'est possible, le droit commun, la loi de tous. Le travail en détention est peu formateur, insuffisamment rémunéré, et ne garantit aucun droit social. Il faut avancer sur ces points. Pourquoi la difficulté de trouver des entreprises proposant du travail en détention devrait-elle peser sur le détenu ? Un travailleur en détention est d'abord un travailleur. Sa rémunération ne doit pas être d'autant plus basse que peu d'entreprises sont candidates. D'autres voies que la rémunération doivent pouvoir être trouvées pour inciter les entreprises à proposer du travail en détention. La majorité n'a pas besoin que je lui suggère des idées d'incitations fiscales…
Madame la ministre d'État, je n'ai été rassurée sur les intentions ni du Gouvernement, ni de la majorité envers ce projet de loi. Les larges améliorations apportées par le Sénat le laissaient encore décevant. J'espère que son contenu ne régressera pas lors de son examen en séance publique.
Je serai bref. Je souscris aux excellents propos tenus par mes collègues Vanneste et Ciotti notamment sur les aménagements des peines de prison, qui figurent aux articles 46 et 48. En ne modifiant pas ces deux articles, nous remettrions gravement en cause la loi sur la récidive et sur les peines plancher, que nous avons adoptée en 2007. Je proposerai donc des amendements sur ces deux articles.
Je salue moi aussi ce texte fondateur, qui marquera le début de ce siècle. Au-delà même de sa dimension pénitentiaire, il est constitutif d'un nouveau rapport entre la sanction et notre société, au même titre que les premières lois pénitentiaires des années 1944 à 1947.
Pour moi, il n'y a pas de contradiction entre la politique pénale menée dans notre pays, par le législateur et le Gouvernement, et le présent projet de loi pénitentiaire, qui améliore de façon considérable la situation dans les établissements pénitentiaires, notamment pour les détenus. Il faut souligner l'avancée prodigieuse qu'a été l'institution par la loi du contrôleur général des lieux de privation de liberté. La liberté de commentaire et d'action dont il fait preuve témoigne d'une transparence nouvelle dans ce domaine.
Le projet de loi renforce les droits et garanties reconnus aux détenus, en matière d'information, de communication, de vie privée et familiale. Il prend en considération les règles pénitentiaires européennes. Il prouve aussi que la prison n'est pas l'alpha et l'oméga de notre politique ; ses dispositions portent aussi sur des alternatives à la mise en détention provisoire ou au prononcé d'une peine de détention ; le développement des aménagements de peine, déjà considérable ces dernières années, va encore s'accroître.
Je pense aussi, comme d'autres collègues, que la loi ne doit pas entrer en contradiction avec les lois sur la récidive ou les peines plancher, dont les résultats et l'efficacité sont là.
Ce projet de loi améliore aussi sensiblement le statut du personnel, notamment des personnels de surveillance, qui mènent sans relâche une tâche extraordinairement difficile et auxquels on ne rendra jamais assez hommage.
Un effort considérable doit être mené en faveur de l'encellulement individuel. La solution, mise en oeuvre par les récents gouvernements, est la construction de nouveaux établissements pénitentiaires et de nouvelles places de prison. Des progrès sont déjà là.
Ces dernières années, les avancées sont également considérables en matière de prise en charge psychiatrique. Celle-ci doit demeure une priorité forte ; or elle est encore balbutiante. Les besoins restent importants au regard des moyens. Une réflexion devra aussi être menée sur la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux ; elle constitue désormais la voie d'entrée de ces personnes en prison, alors que chacun considère que leur place est à l'hôpital.
Enfin, le prosélytisme islamiste dans les établissements pénitentiaires me semble aussi devoir être pris en compte. Même s'il est assez marginal, il s'y développe. L'administration pénitentiaire connaît ce phénomène et l'appréhende de mieux en mieux. Depuis quelques années, elle a pris des mesures destinées à l'endiguer. Le législateur doit la soutenir dans cette action, en conférant une base légale à la politique qu'elle mène.
Je voudrais remercier chacun des orateurs ; leur nombre, la qualité des propos tenus, quelle que soit leur orientation, montre bien la motivation des membres de la Commission.
Je remercie Michel Hunault de son accord à la fois sur le constat et les objectifs. Nous devons en effet toujours avoir en tête les victimes ; l'une de leurs premières attentes, c'est un jugement, et une fois celui-ci rendu, son exécution. L'une de nos difficultés, ce sont les 82 000 peines non exécutées – ou plutôt, si l'on considère que ce chiffre comporte à la fois des stocks et des flux, les 30 000 peines environ qui ne sont pas exécutées chaque année.
De ce fait, les dispositions sur les aménagements de peines ont aussi pour objet de mettre fin à ces non-exécutions. Un bracelet électronique ou un aménagement de peine ne viendra pas se substituer à la prison, mais à l'absence de sanction et de respect du jugement, qui est la réalité dans ces 30 000 cas. Les aménagements doivent aboutir à ce que toutes les peines soient effectivement exécutées.
J'en viens à la question des seuils. Actuellement, 80 % des jugements prononcés portent sur des peines inférieures à un an d'emprisonnement, et 88 % à deux ans. Le différentiel est faible, voire symbolique – ce qui en la matière ne doit pas être négligé. Pour ce qui est des récidivistes, nous devons bien sûr veiller à ne pas mettre à mal le texte voté l'année dernière par le Parlement.
Je ne reviens pas sur la problématique des auteurs d'infractions sexuelles, mais je rappelle que les remises de peine, qui ne sont pas abordées dans ce projet de loi, ne sont pas automatiques. Il s'agit d'une sorte de crédit, que le juge de l'application des peines peut supprimer si le comportement du détenu le justifie.
Sur les dysfonctionnements de notre système pénitentiaire, monsieur Urvoas, nous faisons tous le même constat. Mais gardons-nous de stigmatiser ce qui a déjà été fait, car pour progresser, nous nous inspirons des succès que nous avons obtenus dans le passé. La prison est de plus une institution très contrôlée, que ce soit par les magistrats, les personnels de l'aide sociale et sanitaire, les commissions de déontologie et de sécurité, le contrôleur général, les institutions européennes ou les juridictions françaises.
Vous rejetez les régimes différenciés tout en affirmant votre volonté de tenir compte de l'individu. Qui peut être défavorable à la dimension multidisciplinaire du travail de l'administration pénitentiaire, d'autant qu'en prenant en compte l'individu, on limite le choc carcéral et l'on prépare la sortie de prison ? Les détenus ne sont pas identiques, ils n'ont pas tous le même degré de dangerosité, les mêmes comportements et les mêmes problèmes de santé. Jean-Marie Delarue lui-même reconnaît l'opportunité des parcours différenciés, à condition que nous disposions de moyens suffisants pour les mettre en oeuvre dans de bonnes conditions.
Vous avez souligné la nécessité d'adopter des règles pénitentiaires européennes : c'est également notre souhait. Il n'est pas question pour nous de nier l'importance des 108 critères, et nous n'entendons pas les réduire à huit : simplement l'administration pénitentiaire a réellement progressé – grâce à à la labellisation de certains établissements, notamment destinés aux jeunes – à partir de huit éléments principaux de ce référentiel.
Nous examinerons ensemble les conclusions du rapport que Mme la ministre a commandé à M. Charbonniaud. Les syndicats ne sont pas hostiles au principe d'un référentiel européen en matière de règles pénitentiaires.
Les fouilles sont un sujet sensible eu égard à la dignité et au droit des personnes. Le projet de loi traduit la volonté politique du Gouvernement de faire évoluer cette question en donnant à l'administration des moyens technologiques susceptibles de faciliter les démarches de fouille.
La liberté de culte est garantie et assurée par les aumôniers du culte, que je rencontrerai très bientôt.
Daniel Garrigue insiste sur les problèmes que posent les 20 % de détenus atteints de troubles de la personnalité ou de troubles psychotiques. Un certain nombre de mesures sont prévues dans le projet de loi, qui confirme notamment la création de plus de 700 places dans des unités spécialisées, placées sous l'autorité de l'administration hospitalière. J'ai fait le point hier avec Roselyne Bachelot. Vingt-deux établissements sont en mesure de recevoir des détenus atteints de troubles sexuels. Le ministère de la santé a fait des efforts considérables pour augmenter les effectifs hospitaliers dans le cadre de la détention, en créant 2 400 équivalents temps plein.
Nous avons certes des efforts à faire pour améliorer l'accès au logement des détenus, monsieur Pinte, mais l'élection de domicile à l'établissement rendue possible par le texte permettra de mieux préparer les détenus aux droits sociaux, dont le droit au logement. C'est également l'objet des aménagements de peine, et nous rédigerons des conventions en ce sens avec les préfectures et les bailleurs sociaux.
Les élus locaux et les établissements pénitentiaires entretiennent des relations suivies, notamment sur la question du travail. C'est un domaine dans lequel nous pouvons encore progresser.
Des possibilités existent notamment dans des domaines qui touchent au développement durable comme le nettoyage des rivières ou le débroussaillage des forêts – donc la prévention des inondations et des incendies.
Christian Vanneste, soucieux de permettre aux détenus de mieux vivre en prison et de préparer leur réinsertion, déplore la non application des sanctions et l'insuffisance du nombre de places dans nos prisons. Je rappelle que des programmes de construction et de modernisation ont été engagés, essentiellement par les gouvernements issus de la majorité actuelle : ainsi le plan Chalandon, de 1986 à 1988, prévoyait la création de 13 000 places ; le plan Toubon, de 1995 à 1997, de 4 000 places ; le plan de Dominique Perben, de 2002 à 2007, engageait la réalisation de 13 200 places, dont la livraison commence aujourd'hui – auxquels il faut ajouter le plan que je vous soumettrai prochainement dans le cadre du projet de loi de finances.
M. Vanneste est réservé devant la surveillance électronique. Certes, elle ne peut être appliquée à tous les détenus, mais elle contribue à la réinsertion. Sur les 4 700 bracelets actuellement en place, seuls 3 % ont débouché sur une récidive.
Monsieur Mamère, la question de la détention doit être abordée avec modestie plutôt qu'avec des a priori idéologiques. Depuis une trentaine d'années, les prisons ont beaucoup évolué. Il est faux de dire que rien n'a été fait. Sur le plan quantitatif – la cellule individuelle, l'humanisation des conditions de détention, l'accès aux apprentissages – les efforts réalisés sont réels et ils vont s'amplifier. Sur le plan qualitatif, nous avons commencé à mettre en oeuvre les règles européennes et amélioré les conditions de détention des mineurs. Les textes votés ont tous le même objectif : outre la protection de la société, c'est, pour les détenus, la réinsertion et la prévention de la récidive.
Nous déplorons tous le taux de suicides anormalement élevé dans nos prisons. Il est clair qu'il rejoint des problèmes plus généraux sur lesquels nous devons agir. Sur les questions d'ordre psychologique, Mme la garde des sceaux a repris les éléments du rapport Albrand, mais elle va plus loin en confiant au professeur Terra – déjà auteur d'un rapport très intéressant il y a quelques années – le soin de faire des propositions.
L'amélioration des conditions de vie pénitentiaires, à laquelle nous sommes tous attachés, est l'une des conditions du succès de la lutte contre la récidive.
Il s'agit donc bien d'un texte de cohérence.
Pour mieux prévenir le suicide des détenus, Éric Ciotti propose la création d'un observatoire national. Étant, pour ma part, favorable à la plus grande transparence en la matière, je considère que cette suggestion mérite d'être retenue.
Il nous a fait part de ses réserves sur l'aménagement des peines ; mais celui-ci a pour objet de remplacer une absence totale de peine, et aussi de préparer la sortie de prison. Nous devons trouver une juste mesure. Les propositions du rapporteur sont en cohérence avec le texte que nous avons voté l'année dernière.
Les aménagements de peine ne sauraient être automatiques. La décision en sera prise, au cas par cas, par le juge, sous l'autorité du parquet.
M. Raimbourg nous a fait part des préoccupations et des attentes du personnel pénitentiaire et a évoqué l'évolution de ses missions. Il est clair que sans ces personnels, nous ne pourrions progresser.
Actuellement, nous disposons de 53 441 places opérationnelles, occupées par 63 180 détenus, ce qui représente une densité globale de 118 %. Si nous nous comparons aux autres pays européens, nous constatons que nous ne sommes pas dans le « tout carcéral », et nous nous trouverons bientôt dans la moyenne européenne, avec toutefois une moindre densité. Quant à l'encellulement individuel, s'il doit être la règle, on ne doit pas interdire qu'une cellule soit occupée par deux détenus ; mais il est inacceptable de voir des cellules occupées par cinq ou six personnes.
Je tiens à souligner le rôle important de l'ENAP, qui nous permet de disposer de personnels de mieux en mieux formés, tant sur le plan humain que technique.
Enfin, nous pensons qu'il y a cohérence entre cette loi pénitentiaire et la loi qui punit la récidive. Je rappelle que 30 % des condamnations qui portent sur une peine comprise entre un et deux ans correspondent à des récidives.
On ne peut à la fois, monsieur Vaxès, contester la procédure d'urgence et déplorer que nous agissions trop lentement ! Il faut être cohérent.
La France fait actuellement moins l'objet de condamnations par les instances européennes que par le passé. La Commission européenne des droits de l'homme nous a même félicités pour notre action de mise en place des règles européennes.
Nous reviendrons sur la question de l'encellulement individuel, mais il faut prendre en compte la réalité et nos marges de manoeuvre. Si, dans les hôpitaux, on ne place pas les malades seuls dans une chambre, c'est aussi pour des raisons qui tiennent au maintien du lien social. Pourquoi voulez-vous qu'il en aille autrement dans les prisons ? Cela mérite au moins réflexion.
S'agissant de la durée d'affectation au quartier disciplinaire, le Sénat nous propose de la fixer à vingt jours, trente en cas de violences contre les surveillants. Nous nous rallions à sa position.
Aurélie Filippetti connaît bien les quartiers réservés aux femmes dans les prisons. Les 3 200 femmes aujourd'hui détenues dans notre pays ne souffrent d'aucune surpopulation. Regroupées dans de petites unités, leur taux d'activité, qui avoisine les 50 %, est très supérieur à la moyenne française. Je reconnais la pertinence de vos remarques, madame, s'agissant de leurs attentes spécifiques, et les conditions sont désormais réunies pour que nous puissions y répondre. Je rappelle qu'actuellement, 30 % des personnels pénitentiaires, de la base au sommet de la hiérarchie, sont des femmes.
M. Blisko nous a fait part de son inquiétude quant au devenir du Centre national d'observation. Il se réfère à la réforme Amor qui a vu la création de ce centre, tout en dénonçant les régimes différenciés. Pourtant, l'objet de la réforme était l'individualisation et le CNO a été créé pour élaborer des projets d'exécution des peines. Quel paradoxe !
La prévention du suicide en prison doit faire l'objet d'une réflexion de notre part, au-delà des mesures d'urgences que nous avons prises. Quant au développement de la médecine en prison, les problèmes psychiatriques ne sont pas les seuls auxquels les détenus sont confrontés. Les problèmes spécifiques aux personnes âgées et handicapées ne relèvent pas de la loi et ils me semblent abordés avec beaucoup d'humanité par les personnels pénitentiaires.
Enfin, quant à la grippe, il est évident que les établissements pénitentiaires s'y préparent, comme toutes les administrations. Les quelques cas de grippe que nous soupçonnons ne concernent à ma connaissance que les personnels. Cela dit, nous n'échapperons pas à l'épidémie ; c'est pourquoi nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs.
Oui, monsieur Geoffroy, cette loi pénitentiaire est cohérente avec la loi sur les peines plancher. Les deux veulent lutter contre la récidive avec fermeté mais en favorisant la réinsertion par l'aménagement des peines. Si le texte soulevait précédemment des questions, celui qui vous est soumis aujourd'hui a déjà été amélioré. L'exclusion des récidivistes, qui existait déjà, est maintenue – ce qui pose d'ailleurs la question de la définition de la récidive. Certaines catégories d'infractions pourront aussi éventuellement être exclues. Par ailleurs, les peines concernées, celles de un à deux ans, représentent 6 % du total, dont 30 % de récidivistes.
Un mot sur les mineurs incarcérés, qui sont aujourd'hui 733, un chiffre stable. Il n'y a donc au moins pas de surpopulation pour cette catégorie. Nous continuons à implanter des établissements pénitentiaires pour mineurs, les EPM – peut-être un jour y en aura-t-il un par région – qui nous permettent de fermer au fur et à mesure les quartiers pour mineurs, dans lesquels demeurent cependant encore 433 détenus : nous avons encore du travail, mais il est bien engagé.
Nous avons déjà parlé longuement des conditions d'incarcération des femmes, évoquées par M. Huet. Les unités de vie familiale et les parloirs familiaux sont en cours de développement. Quant à la possibilité de surveillants hommes dans les quartiers des femmes, j'avoue franchement ne pas y avoir réfléchi. Nous en parlerons ensemble. Enfin, le placement sous bracelet électronique des femmes enceintes peut faire partie des aménagements de peine pour circonstances particulières.
Deux remarques à Laurence Dumont. D'abord, l'article sur le sens de la peine est positif. Il clarifie les choses. Vous regrettez qu'il laisse de côté la problématique de la détention provisoire, qui est devenue cruciale, mais c'est lors de la discussion du texte sur la détention provisoire qui doit vous être prochainement soumis que nous en discuterons. Ensuite, sur la question de l'activité, le projet de loi permet déjà de progresser fortement. La mise en place brutale d'un contrat de travail ne créerait-elle pas un effet pervers immédiat, qui découragerait plutôt les entreprises de faire travailler des détenus ? Poser la question, c'est un peu y répondre. L'acte d'engagement est déjà une avancée considérable dont nous devrions être d'autant plus fiers qu'un certain nombre de pays réputés pour leur pragmatisme ne l'ont pas encore faite.
Etienne Blanc m'a interrogée sur les manques en matière de santé. J'ai rappelé l'entretien que j'ai eu hier avec Mme Bachelot, ainsi que les efforts qui ont déjà malgré tout été faits, et qu'il faut bien sûr intensifier.
Guy Geoffroy a évoqué les mineurs. Je rappelle que le code de justice pénale des mineurs doit être intégré à la réforme d'ensemble de la procédure pénale : nous en parlerons à cette occasion. En tout état de cause, il n'est pas question de mettre en cause la spécialisation de la justice pénale des mineurs. Je souhaite que le texte, après toutes les concertations nécessaires, puisse vous être proposé vers la fin de janvier 2010. En revanche, compte tenu des diverses procédures de consultation en cause, y compris le Conseil d'État, la discussion ne pourra pas intervenir avant le début de l'été.
Jacques-Alain Bénisti a rappelé ce principe que la peine doit être exécutée. J'ai déjà donné les chiffres exacts et indiqué ce que je veux obtenir et comment. Quant aux critères d'appréciation de l'administration pour la libération conditionnelle, je rappelle que l'aménagement de peine n'a pas de caractère automatique : le juge appréciera l'opportunité d'y procéder et les modalités pertinentes.
Je suis d'accord avec ce qu'a dit Philippe Goujon sur le statut des personnels. Il a aussi évoqué la question sensible du prosélytisme islamiste dans les prisons. On oublie trop que les problèmes de la société française se retrouvent en prison, parfois de manière exacerbée. Nous devons donc être extrêmement vigilants face aux dérives, tout en préservant impérativement – sans quoi on ne ferait que les encourager – la liberté de culte dans les établissements pénitentiaires. Cela me permet de rendre hommage au travail des aumôniers de prison des différentes confessions qui, grâce à leur expérience et leur proximité avec les détenus, peuvent nous faire passer des messages très utiles.
Mme Pau-Langevin a enfin soulevé le problème des aménagements de peine pour les étrangers. J'ai déjà dit que ces mesures n'étaient pas automatiques, ce qui redonne un rôle au juge. Par ailleurs, un certain nombre de conventions bilatérales permettent de régler en partie le problème. Le Sénat n'a pas souhaité ériger une catégorie particulière pour les étrangers mais des mesures précises ont été prises. Le projet prévoit notamment que le Règlement intérieur soit communiqué aux détenus dans une langue qu'ils puissent comprendre. D'autre part, je pense que l'éventail des mesures d'aménagement de peine est suffisamment large pour que certaines d'entre elles soient appliquées.
La séance est levée à treize heures cinq.