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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 8 septembre 2009 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Il est peu de dire, madame la ministre, que nous avions trouvé le texte présenté par votre prédécesseur en juillet 2008 décevant. Et la décision du Gouvernement, en février 2009, d'appliquer la procédure d'urgence est tout aussi étonnante puisque, bien que le Sénat ait légiféré en mars, l'Assemblée n'est saisie du projet de loi qu'en septembre. Mais ce ne sont que des points de forme. Sur le fond, et bien que nos collègues sénateurs y aient apporté de nombreux progrès, le texte reste très largement à améliorer, et les députés du groupe comptent s'y employer.

Je me reconnais parfois dans vos mots, madame le garde des sceaux, mais dans ces mots, je ne reconnais pas le texte. Nous partageons l'ambition de construire une prison sans arbitraire et respectueuse du droit, une prison en rupture avec le système que nous connaissons – bref, la prison de demain. Tout le monde y gagnerait : la société, et en premier lieu les victimes, car il est conforme à l'intérêt général que l'univers carcéral cesse à tout jamais d'être le séminaire de la récidive pour devenir l'école de la réinsertion ; et les détenus, évidemment, car ils n'auraient plus à supporter ces constantes atteintes à la dignité humaine dont les pouvoirs publics s'accommodent avec une confondante insouciance.

Mais ce texte est loin de cette ambition. Un texte qui se veut fondamental, si j'ai bien compris le Président de la République au Congrès, doit fixer des principes de façon à ce que son interprétation soit la plus limitée possible. Or, pour ce qui est des droits des détenus, le présent projet ne remédiera qu'à la marge à ces atteintes choquantes à la dignité humaine qui valent à notre pays d'être condamné avec constance depuis des années par les juridictions internationales, à commencer bien sûr par la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi par des instances nationales. Nous ne pouvons pas nous contenter d'évoquer des mesures pratiques. Nous devons fixer des règles, et des droits tout autant que des devoirs. Or, la très grande majorité des droits que vous évoquez restent soumis à des impératifs d'ordre ou de sécurité. Leur portée ne dépasse pas celle de la proclamation. Ainsi, l'accès au culte n'est pas garanti : une fois affirmé, il est immédiatement limité. C'est vrai aussi de l'accès au téléphone, de la réception du courrier, de l'accès aux publications ou de l'information des familles.

L'État de droit ne doit pas s'arrêter à la porte de nos prisons. Il n'est pas possible, comme l'a rappelé avec force Robert Badinter au Sénat, qu'aussitôt énoncés, ces droits soient vidés de leur substance par un traitement d'exception décidé par l'administration sur la base de critères imprécis. Nos amendements vont donc s'attacher à proposer des limites précises à ce pouvoir discrétionnaire, en assurant notamment le respect du principe de légalité. Cela sera vrai en particulier pour le régime des fouilles, dont Nicolas Sarkozy disait pendant la campagne présidentielle qu'il devait être profondément revu, ou pour la transformation de la commission de discipline en juridiction impartiale. Nous défendrons aussi, évidemment, le principe de l'encellulement individuel comme étant le droit commun, sans quoi ce texte ne saurait encore prétendre à l'humanité. Le débat a déjà eu lieu au Sénat, où une majorité s'est dégagée contre le gouvernement de l'époque, mais je découvre avec tristesse que la question n'est pas réglée.

Je voudrais vous interroger, madame la ministre, sur l'article 51 du texte. Nous avons déjà connu les régimes progressifs, qui ont abouti à la création des quartiers de haute sécurité que la gauche a abolis, et M. Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a exprimé dans son premier rapport public son opinion sur ce que vous appelez les « parcours individualisés », un vocable inoffensif et fédérateur que je préfère remplacer par « parcours différenciés ». On peut lire notamment que cette initiative, à première vue positive, ne consiste en fait qu'à opérer un tri parmi les condamnés en proposant une évolution à certains et en laissant les autres sans espoir d'amélioration de leur sort, et qu'elle n'est ni plus ni moins qu'une pure et simple ségrégation. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Quant aux cent huit règles pénitentiaires européennes, elles ont certes la faiblesse d'être un compromis entre 47 États mais justement pour atout d'être le minimum que l'on est en droit d'attendre d'un État qui veut réformer ses prisons. Mais la position du Gouvernement à leur sujet est loin d'être claire. En mars, au Sénat, la garde des sceaux de l'époque avait affirmé que le projet de loi n'était rien d'autre que la transcription intégrale des RPE, ce qui était inexact puisqu'à ma connaissance, notre pays se contente d'en expérimenter huit. En mai, le directeur de l'administration pénitentiaire indiquait aux organisations syndicales que les RPE continueraient à s'appliquer dans la réforme et qu'il n'y avait pas d'alternative. Mais, après un mouvement social, la ministre décrétait à la stupéfaction générale un moratoire sur leur mise en oeuvre, moratoire que personne ne demandait et surtout pas les organisations syndicales, qui veulent surtout plus de moyens pour les appliquer !

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