La séance est ouverte à seize heures quinze.
Présidence de M. Philippe Gosselin, secrétaire
La Commission examine, sur le rapport de M. André Vallini, la proposition de loi visant à instituer la présence effective de l'avocat dès le début de la garde à vue (n° 2295).
En 2008 et 2009 la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu deux arrêts, « Salduz » et « Dayanan », reconnaissant le droit à l'assistance effective d'un avocat pendant la garde à vue. De l'avis de nombreux juristes, ces arrêts doivent s'appliquer à notre pays.
L'applicabilité de ces décisions à la France est toutefois contestée. De fait, selon l'article 46 de la Convention européenne des droits de l'Homme, les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme rendues à l'égard d'un État ne lient pas les autres États.
Cependant, le 24 janvier dernier, le président de la Cour européenne, M. Jean-Paul Costa, déclarait au quotidien La Croix qu'il faudrait sans doute « repenser ce dispositif et enjoindre aux pays européens de revoir leur législation quand un problème chez eux est analogue à celui identifié par la Cour dans un autre pays », estimant qu'« il faut cesser de jouer à cache-cache avec la Convention internationale des droits de l'Homme » et que « les États ne doivent pas attendre que des dizaines de justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs lois ».
A minima, donc, les arrêts de la CEDH devraient avoir une force d'influence sur l'ensemble des États signataires de la Convention européenne des droits de l'Homme. J'irai plus loin : aux termes de l'article 55 de notre Constitution, les traités ont une « autorité supérieure à celle des lois ». Or, le contenu des normes internationales ne saurait être limité au seul corpus des traités ou des accords conclus par les États : lorsqu'un traité a prévu la création d'une juridiction chargée de veiller à l'application et à l'interprétation de ses dispositions, les décisions rendues par cette juridiction doivent revêtir la même force supranationale que la convention qu'elles interprètent.
Les arrêts rendus par la CEDH à propos de la Turquie doivent donc conduire la France à revoir sa législation en matière de garde à vue.
En effet, ces arrêts n'exigent pas un simple entretien avec un avocat, mais une assistance effective dès la privation de liberté, incluant la possibilité pour l'avocat d'exercer librement « toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil », ce qui inclut « la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention ». L'entretien de trente minutes que prévoit notre législation en début de garde à vue ne permet pas à l'avocat de remplir toutes ces missions.
La non-conformité de la législation française est aggravée par la jurisprudence. En effet, en France, la personne gardée à vue peut ne pas bénéficier pendant plusieurs heures de l'entretien avec l'avocat auquel elle a droit au titre du code de procédure pénale, dès lors que l'officier de police judiciaire a effectué des diligences considérées comme suffisantes pour joindre l'avocat, même sans y parvenir.
En outre, depuis la loi du 18 mars 2003, le gardé à vue n'est plus informé de son « droit au silence », alors même que ce droit est consacré par la jurisprudence constante de la CEDH.
Autrement dit, même si l'on admet que le droit de demander un entretien avec un avocat en début de garde à vue suffit à rendre le droit français conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme, la jurisprudence qui permet de ne pas attendre cet entretien pour procéder à la première audition prive ce droit de toute effectivité.
Un certain nombre de décisions judiciaires se sont déjà fondées sur la jurisprudence de la CEDH pour apprécier la régularité des mesures de garde à vue. Alors que les officiers de police judiciaire et magistrats du parquet appliquent strictement la lettre du code de procédure pénale, certains juges du siège s'appuient sur la jurisprudence européenne pour annuler des mesures de garde à vue ou refuser de les prolonger. Sur une trentaine de décisions dont la liste m'a été communiquée par le ministère de la justice, dix juges des libertés et de la détention ont refusé de prolonger des mesures de garde à vue en matière de criminalité organisée, et quatorze tribunaux correctionnels ont annulé des mesures de garde à vue ou des auditions réalisées au cours de celles-ci. Seules six de ces trente décisions ont validé les mesures de garde à vue ou autorisé leur prolongation – encore quatre l'ont-elles fait en se fondant sur les critères posés par la Cour de Strasbourg et permettant de déroger à la règle générale de l'assistance de l'avocat.
Les juridictions françaises appliquent donc de plus en plus la jurisprudence de la CEDH pour contrôler la validité des mesures de garde à vue.
Dans un discours prononcé en novembre 2009, le Premier ministre, M. Fillon, soulignait les risques d'annulation que la complexité actuelle de la procédure pénale fait courir : « Que répondre aux victimes d'un délinquant dont la culpabilité peut avoir été reconnue et qui se voit dégagé de sa responsabilité parce qu'on a relevé une erreur de procédure ? ». Cet argument peut être utilisé face aux risques d'invalidation massive par les juridictions des mesures de garde à vue actuellement exécutées sans assistance d'un avocat.
La non-conformité de la législation française aux décisions de la CEDH expose donc la France à des risques importants de condamnation. Imaginez l'effet qu'aurait une telle condamnation sur l'image de notre pays. En outre, sur le plan financier, en application de l'article 41 de la Convention européenne des droits de l'Homme, la Cour peut accorder au plaignant reconnu victime d'une violation de l'un de ses droits une « satisfaction équitable », c'est-à-dire une compensation financière du préjudice subi. La France court donc le risque d'être condamnée à verser des indemnisations à toutes les personnes placées en garde à vue sans avoir pu bénéficier de l'assistance d'un avocat et qui pourront établir que cette privation a porté atteinte à leur droit à un procès équitable.
Dans mon rapport, je me suis attaché à répondre par avance aux critiques que pourrait susciter cette proposition de loi. On pourrait objecter d'abord qu'elle n'apporterait qu'une réponse partielle au problème, alors que Mme la garde des Sceaux prépare une réforme globale de la procédure pénale, et donc de la garde à vue. Cependant, l'assistance par un avocat pendant les interrogatoires présente un caractère d'urgence, alors que la réforme globale aboutira, au mieux, en 2011. Dans l'intervalle, des centaines, voire des milliers de gardes à vue risquent d'être annulées, et autant de procédures judiciaires fragilisées, au détriment de l'efficacité du travail de la police et de la justice, mais aussi de la sécurité de nos concitoyens.
Certains feront valoir ensuite que la proposition de loi n'irait pas assez loin dans l'amélioration des droits du gardé à vue, pour ce qui est notamment de l'accès au dossier par l'avocat – que les barreaux demandent avec insistance. J'avais, dans un premier temps, proposé cette disposition, que le groupe socialiste a jugé préférable de retirer. Il importe, en effet, de préserver un juste équilibre entre l'efficacité de l'enquête et les droits de la personne.
Troisième critique : le texte proposé serait inapplicable, compte tenu du nombre des mesures de garde à vue dans lesquelles un avocat devrait intervenir. Cependant, la restriction du champ de la garde à vue que propose Mme le garde des Sceaux permettra d'en diminuer le nombre.
Quatrième critique : cette réforme nuirait à l'efficacité des enquêtes. En effet, certains estiment que la présence de l'avocat pendant la garde à vue poserait un problème considérable aux policiers – je précise à cette occasion que j'auditionnerai mercredi prochain, durant toute la journée, tous les syndicats de policiers. Cependant, il faut rappeler que, depuis que l'avocat peut s'entretenir pour une durée d'une demi-heure avec son client au cours de la première heure de garde à vue, les dérapages auxquels cet entretien a donné lieu se comptent sur les doigts d'une main, car les avocats sont tenus de respecter des règles de déontologie très rigoureuses.
Le rapport évoque d'autres problèmes liés à la garde à vue, comme l'état indigne des locaux, les pressions parfois trop fortes auxquelles est soumis le gardé à vue ou l'insuffisance du contrôle exercé par les magistrats du parquet. La garde à vue y est également envisagée comme « phase critique » de la procédure pénale – selon l'expression que nous avions employée, avec Philippe Houillon, dans le rapport de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau. On sait bien que se fabrique souvent, lors de la garde à vue, une « vérité policière » qui suit le prévenu tout au long de la procédure et devient, vraie ou fausse, une « vérité judiciaire ».
Je conclurai en citant – une fois n'est pas coutume – les propos tenus par le Président de la République lors de l'audience solennelle de la Cour de cassation du 7 janvier 2009, au cours de laquelle il a annoncé une grande réforme de la procédure pénale : « Parce que les avocats sont auxiliaires de justice et qu'ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne faut pas, parce qu'elle est bien sûr une garantie pour leurs clients mais elle est aussi une garantie pour les enquêteurs qui ont tout à gagner d'un processus consacré par le principe du contradictoire ».
Nous sommes d'accord sur le constat : le recours à la garde à vue est aujourd'hui trop systématique, les conditions en sont indignes, quels que soient les efforts engagés, et l'avocat n'a pas toujours les moyens d'y jouer pleinement son rôle.
Je salue, monsieur Vallini, la qualité et la modération de l'argumentation que vous développez, et j'en tiendrai compte au cours de la concertation que j'ai lancée sur la base du texte que j'ai préparé. Votre proposition en rejoint plusieurs autres, formulées à l'Assemblée nationale et au Sénat. Vous avez vous-même souligné, néanmoins, certaines des difficultés qu'elle soulève.
La première est qu'elle est très parcellaire. Or, la multiplication de réformes ponctuelles rend souvent peu lisible le fonctionnement de la justice. La réforme que j'engage, qui est une véritable refondation de la procédure pénale, vise précisément à assurer cette lisibilité d'ensemble. Toute réflexion sur la garde à vue doit s'inscrire dans une approche globale de la procédure pénale. La question particulière de la présence de l'avocat doit prendre en compte tous les paramètres de l'enquête judiciaire, en veillant à assurer un bon équilibre entre les besoins de l'enquête et la garantie des droits de la défense.
Cette refondation de la procédure pénale ne viendra pas si tard que vous le craignez. Dès mardi, une vaste concertation sera engagée avec les syndicats de policiers et de magistrats, les associations de victimes et les représentants de toutes les structures, ainsi qu'avec les groupes parlementaires. Il serait paradoxal de ne pas organiser une telle concertation sur un sujet aussi sensible.
D'autre part, vous reconnaissez vous-même que votre proposition de loi serait difficilement applicable avant la mise en oeuvre de la nouvelle procédure pénale. Mieux vaut donc mettre en oeuvre au plus vite cette réforme.
La question de la présence de l'avocat au cours de la garde à vue devra certes être posée. Notre projet va plus loin, et cherche à garantir les conditions de l'efficacité de l'assistance par l'avocat, permettant notamment à celui-ci d'avoir accès aux procès-verbaux d'interrogatoire au fur et à mesure de leur production.
Nos réponses doivent s'inscrire dans une logique d'ensemble. Aucune question ne doit être éludée. La première question, que ne pose pas votre proposition de loi, est de savoir à quoi sert réellement la garde à vue. Notre texte prévoit qu'elle ne sera possible que dans les cas de crimes ou de délits punis d'une peine d'emprisonnement. Il y aurait un paradoxe à ce que soit privé de liberté quelqu'un qui, même s'il était condamné, ne le serait pas. En outre, la garde à vue doit être distinguée d'autres situations, comme le dégrisement, qui représente sans doute aujourd'hui quelques centaines de milliers de gardes à vue, et devrait être tout à fait séparé – y compris du point de vue immobilier. C'est là sans doute l'une des questions à régler en urgence.
Il se pose également le problème des critères de la garde à vue : pourquoi et quand y recourir ? Elle doit être liée aux nécessités réelles de l'enquête – quand on craint, par exemple, que la personne mise en garde à vue ne se soustraie à l'interrogatoire, ne fasse disparaître des preuves ou ne suborne des témoins. Nous proposons donc, lorsque ces critères ne sont pas remplis, une forme d'audition libre – sauf bien sûr si la personne concernée demande elle-même à être placée en garde à vue.
La meilleure réponse à la crainte que l'aveu puisse être obtenu par des pressions exercées durant la garde à vue, c'est de dénier la force de l'aveu : des aveux ou des déclarations faits durant la garde à vue hors de la présence de l'avocat ne pourront pas être utilisés comme un élément participant à la condamnation.
Les conditions de la garde à vue contribuent au soupçon qui entoure celle-ci. Il est donc prévu de développer l'usage de l'enregistrement audiovisuel. La pratique des fouilles doit aussi être mieux encadrée, ainsi que celle du retrait de certains objets, comme le soutien-gorge. Les conditions de la garde à vue ne doivent pas porter atteinte à la dignité de la personne.
Tous ces éléments sont indissociables et nous devons parvenir à une réforme aussi complète et cohérente que possible, situant la garde à vue dans le cadre de l'enquête. La question de la présence de l'avocat ne doit donc pas être isolée de l'ensemble des éléments de la réforme.
Enfin, le texte qui nous est proposé soulève des questions auxquelles il ne répond pas. L'évolution de la présence de l'avocat doit tenir compte de certaines nécessités de l'enquête. La garde à vue étant destinée à permettre aux services de police ou de gendarmerie d'entendre directement une personne dans le but d'obtenir des informations indispensables à l'enquête, la présence systématique de l'avocat est incompatible avec certaines exigences, notamment en matière de lutte contre le terrorisme ou la grande criminalité – cas dans lesquels même la Cour de Strasbourg ne l'exige pas.
En outre, très concrètement, qu'advient-il si l'avocat ne se présente pas ? Il est déjà très difficile d'obtenir sa présence dans la première heure. Faut-il bloquer toute investigation en l'attendant ? La question se pose particulièrement dans les cas d'enlèvement ou de séquestration. Si l'avocat ne se présente pas au bout de 24 heures, la prolongation de la garde à vue serait peu compatible avec le respect des droits de la défense et avec le souhait de proportionner la longueur de la garde à vue à l'importance de l'infraction constatée. Si l'avocat ne se présente jamais, l'enquête sera-t-elle repoussée sine die ? De fait, la garde à vue peut avoir lieu n'importe où sur le territoire national, et n'importe quand. Le régime proposé est donc trop rigide et inadapté à certaines procédures.
Nous souhaitons que la réforme que nous préparons s'accompagne d'une étude d'impact des mesures proposées. C'est ce qui manque à votre proposition. On reproche assez souvent au Gouvernement de légiférer dans la précipitation et sous l'effet de l'actualité, pour que je puisse, avec un sourire, vous retourner pour une fois ce reproche.
Par ailleurs, je ne partage pas vos craintes quant à la perspective de condamnations de la France par la CEDH car, dans les affaires ayant motivé les arrêts que vous invoquez, les personnes gardées à vue n'avaient bénéficié de la présence d'aucun avocat, ce qui est très différent de la situation actuelle en France. La CEDH n'a du reste jamais condamné la France à propos de la garde à vue et les décisions rendues portent sur des affaires particulières. Quant à l'applicabilité d'un arrêt auquel vous voulez donner la force d'un traité, permettez à la constitutionnaliste que je suis de s'étonner de votre vision très extensive du droit conventionnel.
Vous l'aurez compris, si je suis intéressée par votre proposition et, plus encore, désireuse de travailler avec vous dans un esprit de concertation non dilatoire, je souhaite que la proposition de loi ne soit pas discutée, car elle est contraire à notre souhait d'une réforme globale de la procédure pénale.
Le dépôt de cette proposition de loi permet de maintenir la pression sur un sujet qui mérite indiscutablement une réforme. Ce texte, identique à celui qu'a adressé le bâtonnier de Paris à un certain nombre de députés voici quelques mois, vient cependant en contradiction avec d'autres propositions, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.
La question est complexe. La portée exacte de la jurisprudence européenne doit être précisée : les arrêts de la CEDH disposent que, si les conséquences incriminantes des déclarations faites en garde à vue peuvent être prises en compte pour asseoir la culpabilité et la condamnation, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme suppose l'assistance d'un avocat. En outre, l'arrêt de 2008 précise que « ce droit, que la Convention n'énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables » – comme dans les cas du terrorisme ou de la criminalité organisée, lesquelles ne sont pas prévues dans le texte qui nous est soumis. « Il s'agit donc, dans chaque cas, de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l'affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l'accusé d'un procès équitable ». Il faut donc disposer d'une vue d'ensemble de la procédure pénale pour juger si les dispositions de l'article 6 ont été respectées. Pour juger de la conformité à l'article 6 de la réforme engagée par Mme le ministre d'État, il faudra donc attendre d'avoir connaissance de son contenu, ce qui sera le cas dans quelques jours.
L'arrêt de 2009 évoque, quant à lui, « l'assistance d'un avocat », qu'il définit comme l'ensemble des conseils que l'avocat peut prodiguer. La CEDH précise en effet que, « comme le soulignent les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit ». Or, un avocat est efficace quand il peut conseiller son client sur sa défense – et il est, à cet égard, insatisfaisant que son rôle soit, dans le système actuel, celui d'une assistante sociale. La préparation de la défense suppose l'accès au dossier, aussi difficile que soit cette question.
Cette proposition de loi suscite de ma part des réserves. La première est pratique : l'audition de la personne gardée à vue doit-elle être différée dans l'attente d'un avocat ? Je sais pour avoir exercé dans des barreaux de province que les distances rendent souvent impossible la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue. Décaler l'interrogatoire générerait pour les enquêteurs des problèmes récurrents tout au long de la procédure – comme la disparition de preuves.
En deuxième lieu, on ne peut réformer le régime de la garde à vue sans l'inscrire dans une vision d'ensemble de la procédure. La réforme de la procédure pénale s'articulera autour de la suppression du juge d'instruction et de son remplacement par un juge de l'enquête – dont la mission sera de superviser l'ensemble des procédures pénales, y compris les 96 % ou 97 % d'affaires qui ne sont pas aujourd'hui placées sous la surveillance d'un juge du siège. On ne saurait utiliser deux arrêts de la CEDH pour réformer la garde à vue alors que, très prochainement, toutes les enquêtes seront placées sous l'autorité d'un juge du siège. Il faut donc attendre que nous soit soumis le projet du Gouvernement pour statuer sur la présence de l'avocat durant la première heure de garde à vue.
En troisième lieu, l'interprétation des arrêts Salduz et Dayanan est compliquée, non seulement parce que le texte de ces arrêts trahit le fait qu'ils ont été rédigés en anglais et que l'on n'y retrouve pas cette « horlogerie de la pensée » qu'incarnait, selon un secrétaire perpétuel de l'Académie française, le français employé comme langue du droit international, mais aussi parce que certains alinéas sont contradictoires. Du reste, les deux arrêts cités condamnent la Turquie parce que la présence de l'avocat est proscrite durant la garde à vue, ce qui est très différent de notre droit. En outre, si les informations recueillies en l'absence d'un avocat ne constituaient pas le fondement de la condamnation, la jurisprudence de la CEDH serait probablement inverse.
Il serait donc plus judicieux que la question de la garde à vue soit examinée dans le cadre d'une révision complète de notre procédure pénale.
Je partage en tout point cet avis, même si je comprends les motivations de la proposition de loi.
À la différence de la mise en examen, qui intervient alors que l'enquête est terminée et ouvre une phase juridictionnelle, la garde à vue, qui se situe au tout début de la procédure, vise à recueillir tous les éléments susceptibles de participer à la manifestation de la vérité et suppose des investigations dont certaines doivent être confidentielles. Il faut donc se garder de la judiciariser. C'est la raison pour laquelle certaines restrictions sont apportées à la présence de l'avocat.
J'observe en outre qu'aucune cour d'appel, ni la Cour de cassation, n'ont eu à se prononcer sur la question de la présence de l'avocat.
Enfin, pour la garde à vue, décidée par la police sur le fond de raisons plausibles appelant des investigations, la présence de l'avocat n'est pas la seule garantie de la préservation des droits des personnes gardées à vue : au titre de l'article 63 du code de procédure pénale, le procureur de la République est informé dès le placement en garde à vue…
…et il doit viser son éventuelle prolongation. Peut-être peut-on donc tirer meilleur parti des textes existants. En tout état de cause, la question de la garde à vue ne doit pas être dissociée de la prochaine réforme globale de la procédure pénale. Il serait prématuré d'adopter un texte consacré à la garde à vue à la veille de cette réforme et de la concertation qui va s'engager.
La proposition de loi répond à une urgence juridique. Il faut en effet tenir compte des arrêts de la CEDH – je rappelle que, dans l'un des cas, la procédure a été incriminée alors que le plaignant avait gardé le silence durant toute sa garde à vue, et ne se trouvait donc pas dans une situation où ses déclarations auraient pu le priver du droit à un procès équitable. Les décisions des tribunaux correctionnels qui annulent des procédures en appliquant les arrêts de la CEDH sont une autre cause d'insécurité juridique.
La question est difficile, car il faut trouver un équilibre entre la nécessité de la manifestation de la vérité et la protection du gardé à vue. En outre, la garde à vue fait partie d'un arsenal policier et est un élément de gestion de l'ordre public. S'il faut sans doute la distinguer du dégrisement, il faut aussi s'assurer que cette distinction n'engendrera pas trop de troubles.
Troisième observation : nous ne saurons que la semaine prochaine, lorsque nous connaîtrons le contenu de la réforme d'ensemble de la procédure pénale, si les deux textes sont dissociables et s'il est possible de répondre séparément à la situation d'insécurité juridique que nous connaissons.
Enfin, des améliorations seront évidemment nécessaires. Ainsi, on peut envisager de prévoir par amendement un enregistrement filmé de la garde à vue pour les cas où, du fait de la distance, l'avocat ne pourrait pas y assister. Ce sont là des questions que nous pourrons aborder durant l'examen du texte. N'écartons donc pas trop vite cette proposition de loi.
Madame la ministre d'État, il est certes nécessaire de prévoir un régime dérogatoire dans le cas du terrorisme. Je rappelle toutefois qu'en Espagne, l'avocat est présent tout au long des interrogatoires de garde à vue, sans dérogation pour la criminalité organisée ni pour le terrorisme.
Pour ce qui est des difficultés pratiques, je suis ouvert à tous les amendements, mais je dois aussi souligner que les barreaux sont demandeurs de cette réforme, et qu'il leur revient de s'organiser. Il conviendra également que l'aide juridictionnelle soit abondée en conséquence au niveau du budget de l'État.
Du reste, pour permettre aux policiers de procéder aux perquisitions ou auditions nécessaires avant l'interrogatoire de la personne gardée à vue, il pourrait être préférable d'écrire simplement que « l'avocat est présent aux interrogatoires », en supprimant la notion d'immédiateté qui figure dans la proposition.
Enfin, notre souci n'est pas de répondre à l'urgence médiatique, mais à l'urgence juridique que représente le risque de condamnation de la France par la CEDH. Dès le 1er mars, et donc avant la réforme que vous préparez, se posera la question de ce que fera le Conseil constitutionnel lorsqu'il sera saisi par un justiciable soulevant l'exception d'inconstitutionnalité de la procédure de garde à vue au regard de la Convention européenne des droits de l'Homme.
J'ai bien compris que M. Houillon voulait aller plus loin que moi, en permettant l'accès de l'avocat au dossier et sa présence tout au long de la garde à vue.
Il est vrai, monsieur Garraud, que ce texte, comme d'ailleurs la réforme que prépare Mme la garde des Sceaux, judiciarise davantage encore la garde à vue. On peut condamner cette évolution, mais, à défaut d'y mettre fin en décidant que les gardes à vue ne peuvent être décidées que par les procureurs, elle est inéluctable et il me semble préférable de l'accompagner. Votre réaction me fait penser à celle des juges d'instruction de la fin du xixe siècle, qui ne souhaitaient pas la présence des avocats dans leurs cabinets, jugeant qu'ils les empêcheraient de faire leur travail. La même réaction anime aujourd'hui les policiers. Il nous faut donc aller au bout de la logique et judiciariser la garde à vue.
Quant au contrôle qu'exercerait le procureur, il existe certes dans les textes, mais il est théorique, pour ne pas dire fictif, comme le soulignait dans son premier rapport M. Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Enfin, trois juridictions d'appel – Orléans, Nancy et Paris – ont déjà appliqué la jurisprudence « turque » de la CEDH.
Monsieur Blanc, les arrêts de la CEDH sont très précis : l'avocat doit exercer librement sa mission de conseil et d'assistance, décrite dans les termes que j'ai cités tout à l'heure.
Les délais ne poussent pas à la précipitation. En effet, une phase de consultation de deux mois doit s'ouvrir la semaine prochaine et le dépôt du texte devrait intervenir au début de l'été pour une discussion qui pourrait s'engager dès l'automne. Nous pouvons donc prendre un peu de temps, sans renvoyer aux calendes grecques pour autant.
Pour préciser le propos de M. Vallini, s'il est vrai qu'en Espagne la présence de l'avocat est admise dans les affaires de terrorisme, cet avocat n'est pas choisi par la partie concernée. Il n'est pas certain que les barreaux français accepteraient cette pratique.
La Commission passe ensuite à l'examen de l'article unique de la proposition de loi.
Article unique : Audition immédiate de toute personne gardée à vue et droit à l'assistance d'un avocat au cours de cette audition :
La Commission rejette cet article, la proposition de loi étant ainsi rejetée.
La Commission examine ensuite, sur le rapport de Mme Sandrine Mazetier, la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union Européenne résidant en France (n° 2223).
La présente proposition de loi ne constitue pas, contrairement à la précédente, un dispositif d'urgence, mais l'aboutissement de la lente maturation d'une idée. « Rien n'est plus fort qu'une idée dont l'heure est venue », disait Victor Hugo.
Ce n'est pas la première fois que les socialistes proposent d'accorder le droit de vote aux élections municipales aux étrangers. Au siècle dernier, cette mesure avait été incluse dans les propositions d'un candidat à la présidence de la République ; et une proposition de loi en ce sens avait été adoptée à l'Assemblée nationale, mais n'avait pas été examinée par le Sénat. En 2002, le groupe socialiste a déposé une nouvelle proposition de loi, de portée plus large. En 2008, lors du débat sur la révision constitutionnelle, il a défendu la même position par voie d'amendements. Il s'agit par conséquent d'une conviction forte de notre groupe – mais pas seulement de lui.
Dans l'opinion publique et au sein de la majorité actuelle, en effet, l'idée d'accorder le droit de vote aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne semble avoir fait son chemin. À plusieurs reprises, l'actuel président de la République a exprimé son accord sur le principe ; le ministre de l'intérieur, M. Hortefeux, a déclaré que ce serait une mesure d'intégration simple et juste ; et plusieurs ministres, ainsi que des personnalités éminentes de la majorité présidentielle – comme Mme Rama Yade, MM. Jean-Louis Borloo, Philippe Douste-Blazy ou Yves Jégo –, y sont favorables.
Je rappelle que, depuis 1992 en théorie et depuis 1998 dans les faits, les étrangers originaires de l'Union européenne bénéficient du droit de vote aux élections municipales. Nous vous proposons à nouveau d'accorder ce droit de vote aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne. La présente proposition, qui reprend les termes de la proposition adoptée par l'Assemblée nationale en 2000, est en retrait sur celle de 2002, laquelle est conforme à nos convictions, mais peut-être moins susceptible d'un large accord.
Il s'agit d'une simple mesure de justice et d'égalité. Depuis dix ans, les enquêtes montrent que nos concitoyens y sont majoritairement favorables, tout simplement parce qu'ils trouvent étonnant que certains de ceux qui partagent leur vie quotidienne n'aient pas droit de cité, contrairement aux ressortissants communautaires, même si ces derniers sont présents sur notre territoire depuis moins longtemps et en moins grand nombre.
Ce texte de bon sens nous renvoie aux sources de la République et à la plénitude de notre bloc de constitutionnalité. Les deux nouveaux membres du Conseil constitutionnel que nous avons auditionnés ce matin nous ont rappelé que le Préambule de la Constitution fait référence à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, laquelle véhicule le message de 1789, celui d'une République conquérante, fière d'elle-même, qui voulait proposer au monde la liberté, l'égalité et la fraternité. La Déclaration reconnaît des citoyens avant que de reconnaître des Français. Cette proposition de loi est une main tendue, un moyen de privilégier ce que le médiateur, M. Jean-Paul Delevoye, appelait ce matin devant nous l'espérance, plutôt que la gestion par la peur ou l'humiliation.
Vous pourrez lire dans le rapport provisoire que le vote des étrangers aux élections municipales est pratiqué sur quasiment tous les continents. Et en Europe, la France, qui était à l'époque de la Révolution le phare de la démocratie et de la République, est aujourd'hui la lanterne rouge sur ce sujet. Toutes les institutions communautaires, du Parlement au Conseil en passant par la Commission, se sont d'ailleurs prononcées en faveur du droit de vote des étrangers aux élections locales.
C'est donc avec conviction et en souhaitant avancer avec sérénité que le groupe SRC vous propose, mes chers collègues, d'adopter cette proposition de loi.
Je suis en total désaccord avec le texte qui nous est proposé.
Le droit de vote des étrangers aux élections locales faisait partie des 110 propositions du candidat François Mitterrand, mais aucun texte n'a finalement été inscrit à l'ordre du jour des assemblées au cours de sa présidence ; et si une proposition de loi a été adoptée à l'Assemblée nationale en 2000, elle n'a jamais été discutée au Sénat.
Quant aux propos de M. Nicolas Sarkozy, ils étaient l'expression d'un avis personnel, d'ailleurs assorti de nuances ; il ne s'agissait en aucun cas du programme du candidat.
Il n'est évidemment pas question pour moi de stigmatiser qui que ce soit, ni d'aller à l'encontre des bons sentiments qui viennent d'être exprimés. En revanche, je veux dire mon incompréhension devant ce texte.
Le droit de vote aux élections locales a déjà été accordé aux étrangers ressortissants de l'Union européenne, à la suite du traité de Maastricht, qui voulait créer une sorte de citoyenneté européenne. Une première question se pose : pourquoi s'arrêter aux élections locales, et instaurer ainsi une demi-citoyenneté ? Les ressortissants communautaires ont le droit de vote aux élections locales, mais ils ne peuvent pas être élus maires car ils ne doivent pas participer aux élections des sénateurs, ceux-ci étant des élus nationaux... Ces restrictions sont reprises dans votre proposition de loi.
Deuxième problème : à mon sens, on ne peut pas différencier la citoyenneté et le droit de vote. Si des étrangers qui séjournent en France depuis longtemps, qui y travaillent et y ont une famille, veulent obtenir le droit de vote, ils n'ont qu'à acquérir la nationalité française ! C'est une procédure assez répandue, ce qui nous différencie de certains pays que vous citez en exemple ; ainsi, la Suède a accordé le droit de vote aux étrangers, mais c'est une sorte de succédané de l'acquisition de la nationalité suédoise. Je ne vois pas pourquoi l'on créerait une catégorie de citoyens qui, bien que vivant et travaillant en France, ne voudraient pas acquérir la nationalité française mais voudraient néanmoins voter. Pour moi, c'est incohérent.
Enfin, pourquoi donner davantage de droits aux étrangers alors que les Français qui séjournent et travaillent dans les pays d'origine ne peuvent pas y voter ? Le principe de réciprocité avait d'ailleurs été mis en avant par M. Sarkozy.
Pour conclure, je ne suis pas d'accord avec les membres du Gouvernement qui estiment que les Français ne sont pas encore « mûrs » pour cette réforme et qu'il faut attendre quelques années. Il s'agit pas d'une question de maturité, mais d'un problème juridique : pour moi, le droit de vote est indissociable de la nationalité française.
Le droit de vote des étrangers aux élections locales, vieille lune de nos collègues socialistes, faisait partie, il y a trente ans, des 110 propositions du candidat Mitterrand. Pourquoi le remet-on à l'ordre du jour ? Tout simplement parce que des élections régionales vont avoir lieu ! On sait bien, en effet, que le simple fait de relancer cette idée peut redonner des couleurs au Front national – et donc avoir pour effet de créer des triangulaires dans certaines régions.
Pour ma part, je suis opposé au droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales des étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France. Comme mon collègue Garraud, je considère que le droit de vote est lié à la citoyenneté et que ceux qui veulent voter doivent acquérir la nationalité française – qui leur donnera tous les droits, mais aussi tous les devoirs qui y sont attachés.
Si vous pensez, comme vous l'avez écrit dans l'exposé des motifs, que cet argument « est révélateur d'une étroitesse d'esprit », votre position relève quant à elle d'un déni de notre histoire ! Le fait que la qualité d'électeur ne soit attribuée qu'au citoyen français découle d'un choix politique et institutionnel : les révolutionnaires de 1789 ont consacré la nation comme titulaire de la souveraineté, laquelle fonde le droit de suffrage. Selon les constituants de 1791, la nation est une entité distincte des individus, dans laquelle ces derniers se retrouvent ; c'est parce qu'ils appartiennent à cette entité qu'ils ont le droit de peser sur sa destinée.
Votre proposition de loi constitutionnelle menace donc le fondement même de notre souveraineté nationale – d'autant que vos amendements vont beaucoup plus loin que le texte de 2000. Seule la Constitution montagnarde de 1793, qui n'a jamais été appliquée, prévoyait la possibilité d'accorder le droit de vote à des étrangers. Je suis pour ma part convaincu que la citoyenneté est étroitement liée à l'exercice de la souveraineté nationale, et qu'elle ne peut s'exercer à travers le droit de vote que pour les nationaux.
Certes, les ressortissants de l'Union européenne peuvent voter pour les élections municipales et européennes dans leur pays de résidence, quelle que soit leur nationalité. Mais, d'une part, il existe un début de citoyenneté européenne, et d'autre part, il y a réciprocité – ce qui ne serait pas le cas pour la plupart des autres pays.
Votre proposition de loi est donc fondée sur une conception mondialiste de la citoyenneté, en rupture avec notre conception républicaine selon laquelle la citoyenneté est indissociable de la nationalité et de la souveraineté. Vous nous proposez une citoyenneté de résidence, une citoyenneté de passage, une citoyenneté de consommateur, et c'est pourquoi je voterai contre ce texte.
Cette proposition de loi est une trahison de l'esprit de 1789. Si la Constitution de 1793 a pu aller dans le même sens, c'est parce que 1793 correspond au dérapage de notre Révolution et à la transformation de la démocratie libérale en un régime totalitaire : la Terreur.
Vous avez évoqué la démocratie et la République comme si ces deux notions appelaient naturellement le vote des étrangers. C'est tout le contraire ! La République, c'est la cité, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens, par opposition à ceux qui ne le sont pas. Ces citoyens sont définis par le fait qu'ils visent un bien commun, qui n'est pas un bien universel, mais le bien de la République. Quant à la démocratie, elle renvoie au peuple, au demos, qui n'est pas l'humanité !
Ce n'est pas par hasard que la Déclaration de 1789 distingue l'homme et le citoyen : à l'instar de tous les penseurs de la démocratie libérale, elle opère une distinction fondamentale entre deux types de liberté, celle de tout homme vivant sur le territoire de la République, et celle, réservée aux citoyens, de participer à la République. Tout homme qui réside sur notre territoire a donc intérêt à accéder à la nationalité française, c'est-à-dire à devenir citoyen, pour pouvoir voter – et passer ainsi de la liberté de protection à la liberté de participation. Sans même vous en apercevoir, vous êtes en train de dresser un obstacle à l'intégration des étrangers, en leur promettant qu'ils auront les droits des autres résidents sans avoir besoin de vouloir devenir français. La distinction entre l'homme et le citoyen est un appel à devenir citoyen, donc à s'intégrer.
Cela fait d'ailleurs écho au débat sur le droit du sang et le droit du sol. Contrairement aux sottises que l'on entend, le droit du sol n'est pas le plus républicain ! Le droit du sol était lié au fait d'être sujet du roi, propriétaire du sol, tandis que le droit du sang est celui de citoyens qui héritent – comme les nobles –, de leur droit, de père en fils. S'ajoute, dans l'esprit moderne, un troisième droit qui, à mon avis, dépasse les deux précédents : le droit de la volonté ; je deviens citoyen si je le veux – non pas seulement si j'en exprime la volonté, mais si mes comportements sont en accord avec elle, si mon mérite est suffisant. Voilà l'esprit de nos institutions, dont nous pouvons légitimement être fiers.
C'est pourquoi nous devons rejeter cette proposition de loi. D'ailleurs, le Gouvernement qui avait soutenu celle de 2000 avait aussi accepté que les résidents français en Nouvelle-Calédonie ne participent pas, pendant plusieurs années, aux votes de ce territoire français – ce qui était, en l'occurrence, une bien curieuse conception de la citoyenneté ! Cela ne fait qu'apporter de l'eau au moulin de ceux qui pensent que ces propositions apparemment généreuses ne sont que des textes de circonstance à visée politicienne.
Au moins faudrait-il poser le principe de réciprocité : il serait un peu fort d'accorder des droits à un étranger venant d'un pays qui n'accorde pas les mêmes aux Français résidant chez lui !
Enfin, justifier le vote des étrangers par le fait qu'ils participent à la vie économique, c'est revenir à l'idée du suffrage censitaire. Pour ma part, je préfère défendre une conception digne de la démocratie : est citoyen celui qui en a les droits parce qu'il le veut et qu'il le mérite.
S'agissant de la relation entre citoyenneté et nationalité, je ferai plusieurs observations.
Premièrement, les deux notions ont été, de fait, dissociées. Certes, vous liez cette dissociation à la constitution progressive d'une citoyenneté européenne, mais celle-ci est encore dans les limbes.
Deuxièmement, ce texte porte sur la relation, non entre la citoyenneté et la République, mais entre la citoyenneté et la municipalité. Il s'agit d'une proposition minimaliste, puisqu'elle vise à faire participer les étrangers à la vie municipale, en excluant les fonctions de maire ou d'adjoint.
Si nous sommes si prudents, c'est précisément pour ne pas porter atteinte au lien entre souveraineté nationale et citoyenneté. Nous savons nous aussi tirer les leçons de l'histoire, et nous ne voulons pas prendre le risque de voir se constituer des groupes nationaux susceptibles d'influer sur la politique étrangère de notre pays : bien que je ne sois pas historien, je crois savoir que l'Anschluss fut la conséquence de la présence d'Allemands des Sudètes sur le territoire autrichien.
Troisièmement, le droit de vote ne s'oppose pas à la naturalisation. La naturalisation est une procédure complexe, à l'issue imprévisible et dont les délais sont particulièrement longs. Plusieurs années peuvent s'écouler entre le dépôt de la demande, après au moins cinq ans de résidence, et le premier rendez-vous à la Préfecture, avec des différences extrêmement importantes d'une préfecture à l'autre, ce qui porte atteinte au principe d'égalité. Il ne s'agit donc pas d'un refus de la naturalisation, mais d'un accompagnement du processus, par le renforcement du vouloir-vivre ensemble.
Cette proposition minimaliste ne mérite donc pas l'opprobre ! De surcroît, elle ne sera discutée qu'après les élections régionales : les arrière-pensées que vous nous prêtez ne sont donc pas fondées.
Le droit de vote est un attribut de la nationalité, dites-vous. Ce n'est que partiellement vrai : aux époques du suffrage censitaire, certains Français ne pouvaient voter faute d'avoir des revenus suffisants ; et jusqu'à une période très récente, les Françaises n'avaient pas le droit de vote. À l'inverse, des étrangers non seulement ont voté, mais ont été élus, tel Thomas Paine, élu député à la Convention. La conception de la citoyenneté française a donc évolué dans le temps.
Par ailleurs, les ressortissants de l'Union européenne bénéficient du droit de vote, mais leurs attaches sont parfois bien moins fortes que celles de ressortissants d'autres pays qui vivent dans nos villes depuis vingt ou trente ans.
Monsieur Vanneste, la Déclaration de 1789 ne s'applique pas qu'aux citoyens ! Bien au contraire, elle affirme qu'au-delà des droits attachés à la citoyenneté, il existe des droits intangibles attachés à tout homme.
Nous considérons ainsi qu'il est légitime de participer aux affaires de la cité et d'exprimer son avis même si l'on n'est pas citoyen.
C'est important dans les domaines régaliens. Mais il est bon que les personnes vivant sur un territoire donnent leur avis sur des décisions touchant à leur vie quotidienne.
Enfin, l'attribution de la nationalité française est un pouvoir souverain. Certaines personnes qui vivent dans notre pays depuis longtemps, qui l'aiment et parlent notre langue, ne peuvent pas l'obtenir ; il est souhaitable qu'elles puissent au moins voter aux élections locales. Au sein d'une même famille, certaines personnes ont obtenu la nationalité française, d'autres se la sont vu refuser, sans que l'on sache pourquoi… Il me paraît utile de pouvoir s'exprimer sur les affaires de la cité même si on ne peut pas ou si on ne veut pas avoir la nationalité française.
Je ne reviens pas sur ce qui a été excellemment dit par mes collègues de l'UMP sur le lien intime, qui doit demeurer intangible, entre la citoyenneté, la nationalité et le droit de vote.
En revanche, je considère pour ma part qu'il ne faut pas entrer dans le jeu de la réciprocité, à caractère très inégal : la France peut avoir sur son sol 300 000 ressortissants d'un pays où ne vivent que dix Français...
Quant à la participation des résidents étrangers non communautaires à la vie municipale, elle est déjà possible : de nombreuses municipalités, de droite comme de gauche, ont mis en place des conseils de quartier, des conseils de sages, des conseils de jeunes ou d'autres organes participatifs qui leur sont ouverts et leur permettent d'exprimer leurs idées, sans qu'il soit besoin pour cela de voter ou d'être élu.
Quant à dire que l'on doit accorder le droit de vote aux étrangers parce qu'ils paient des impôts et travaillent en France, cela revient à prôner le retour à un suffrage censitaire.
Enfin, votre proposition consiste à créer des élus de seconde catégorie, qui ne pourront jamais devenir maires ou adjoints ni participer aux élections sénatoriales.
Monsieur Raimbourg, on est citoyen ou on ne l'est pas. Si l'on vote aux élections municipales ou européennes, c'est que l'on est citoyen.
Présenter les choses autrement, ce n'est pas du minimalisme, mais de la tartufferie ! Dans le système que vous proposez, les étrangers ne pourront pas voter aux élections sénatoriales, mais ils participeront néanmoins au choix de la majorité municipale, et par voie de conséquence à la désignation des grands électeurs chargés d'élire les sénateurs. Qui plus est, tout élu, à quelque niveau que ce soit, a un poids politique ; le maire d'une grande ville, par exemple, peut avoir des chances de remporter des élections nationales. Ceux qui l'ont élu ont donc une influence directe sur la vie politique nationale. Il n'existe pas deux formes de citoyenneté française, mais une seule.
Vouloir que les gens qui résident chez nous puissent donner leur avis est une bonne chose, mais si l'on adopte cette proposition de loi, on leur permettra d'engager des dépenses importantes, parfois sur une longue durée, sans avoir l'assurance qu'ils participeront à leur financement. Veuillez pardonner à l'élu local que je suis ces considérations terre à terre, mais néanmoins importantes !
Mieux vaudrait mettre au point une proposition de loi visant à simplifier la procédure de naturalisation. Aux étrangers qui me signalent qu'ils sont en France depuis vingt ans, je suggère de devenir Français – et je serais heureux de pouvoir les y aider.
On compte quand même plus de 100 000 naturalisations par an, ce qui est loin d'être anecdotique !
Monsieur Garraud, la citoyenneté européenne existe : j'en veux pour preuve que, dans la salle de la Commission, nous siégeons sous deux drapeaux, le drapeau français et le drapeau européen, et que l'article 88-3 de la Constitution fait explicitement référence aux citoyens européens. Cela démontre que, depuis la réforme constitutionnelle qui a suivi l'adoption du traité de Maastricht, nationalité et citoyenneté sont bel et bien dissociées.
Pourquoi notre proposition de loi limite-t-elle le droit de vote des étrangers aux élections municipales ? Précisément pour ne pas donner prise à des remarques comme celle de M. Verchère ; mais rassurez-vous, l'élargissement viendra. Au demeurant, le débat essentiel porte sur le fait d'accorder ou non le droit de vote aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne ; le vote aux élections municipales serait une première étape décisive. Enfin, la commune est étymologiquement le lieu d'exercice de la citoyenneté : qui dit citoyen dit cité, donc polis, ville, et commune. Les maires sont les plus légitimes des élus, ceux à qui nos concitoyens accordent la plus grande confiance, fondée sur la proximité, sur l'évidence de la vie en commun, sur la pertinence de l'exercice démocratique.
Vous avez raison, monsieur Garraud : il n'y a pas de raison que le mandat d'un élu étranger – qu'il soit ou non ressortissant de l'Union européenne – soit tronqué. C'est pourquoi je propose dans mes amendements que les élus étrangers puissent être maires ou adjoints.
Je propose également de supprimer les restrictions relatives à l'élection des sénateurs. Certains juristes avaient estimé qu'il pourrait n'y avoir pas besoin de révision constitutionnelle pour accorder le droit de vote aux ressortissants communautaires aux élections municipales, au motif qu'il ne s'agirait pas d'élections politiques. Nous ne sommes pas de cet avis, et c'est pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi constitutionnelle. Mais le lien entre la désignation des grands électeurs par des conseillers municipaux et la souveraineté nationale est, comme nous l'a confirmé Guy Carcassonne vendredi dernier, extrêmement ténu. Et dans l'hypothèse absurde où un « parti des étrangers », attirant tous les étrangers vivant en France, quelle que soit leur origine, se concentrerait dans un seul département afin de peser au maximum sur la désignation des sénateurs, son influence se limiterait à 3 % à peine des sénateurs !
Cela ne pourra pas se produire dans la réalité !
S'agissant de la réciprocité, vous pouvez toujours, jusqu'au 22 mars, déposer des amendements au titre de l'article 88 ! Admettez qu'il est paradoxal de considérer, d'un côté, que cette proposition de loi est nulle et non avenue et, de l'autre, d'imaginer des conditions de réciprocité. Mais cela n'a pas échappé à M. Bodin…
M. Garraud a eu raison de s'opposer aux arguments attentistes. L'opinion publique est prête, comme le montrent les sondages ainsi que les déclarations de plusieurs personnalités de la majorité – même si celles-ci ont été faites à titre personnel. C'est une idée qui a fait largement son chemin.
Monsieur Verchère, il n'y a guère de lien entre, d'un côté, le droit de cité et la participation à la désignation d'élus locaux et, de l'autre, diverses formes d'exercice de la souveraineté nationale. Toutefois, vous avez raison, notre proposition de loi vise à faire émerger une citoyenneté de résidence, qui n'est pas selon nous une sous-citoyenneté ou une citoyenneté de consommateurs, mais l'échelon le plus tangible de l'exercice de la citoyenneté. Ceux qui, bien que n'ayant pas le droit de vote, participent à des instances de démocratie locale agissent non comme des consommateurs, mais comme des citoyens.
Par ailleurs, non, la citoyenneté n'est pas liée à la nationalité et ne l'a jamais été. C'est une conception qui vous est propre, une conception patrimoniale, selon laquelle la citoyenneté est un avoir, transmis par le sang. Pour nous, la citoyenneté relève de l'être ; c'est l'action, l'expression, la participation au quotidien à la vie en commun.
Monsieur Vanneste, c'est bien à tort que vous nous accusez de trahir l'esprit de 1789 ! Ce sont les partisans de la Terreur qui ont suspendu l'application de la Constitution de 1793.
Cette Constitution a été rédigée, en 1793, année terrible, alors que des menaces de guerre pesaient sur la France révolutionnaire entourée de régimes hostiles, par des hommes qui désiraient rester fidèles au message de 1789. Ils ont écrit une Constitution qui reconnaît des citoyens et non des nationaux, tout simplement parce que la nationalité est une invention ultérieure. Le conventionnel Coupé désignait quant à lui le peuple français comme « cette nombreuse famille qui reconnaît pour ses frères tous les enfants de la terre, les admet en son sein et ne connaît d'ennemis que les bêtes féroces, les oppresseurs et les rois ». C'est pourquoi l'article 4 de la Constitution de 1793 reconnaît comme citoyen, doté du droit de vote, tout étranger qui a épousé une Française ou qui nourrit un vieillard. Vraiment, monsieur Vanneste, vous vous trompez.
En faisant référence au demos, vous nous renvoyez à la conception grecque de la citoyenneté : le citoyen grec était un citoyen censitaire, qui devait payer son armement ; ni les paysans, ni les esclaves, ni les femmes, ni les métèques n'avaient le droit de vote. Il s'agit de l'origine de la démocratie, non de celle de la République.
La République a une vision universaliste et conquérante de la citoyenneté. Accorder le droit de vote aux étrangers en espérant convaincre les autres peuples européens de basculer du côté de la Révolution et de s'affranchir de leurs monarques relevait même d'une forme d'impérialisme élégant.
Bref, nous sommes conformes à la République, vous êtes conformes aux origines grecques de la démocratie.
Notre proposition ferait-elle obstacle à l'intégration des étrangers ? Les auditions que nous avons menées nous conduisent à penser le contraire. Entre les élus locaux et leurs administrés qui n'ont pas le droit de vote s'établit en effet une relation transactionnelle, qui encourage le communautarisme.
En outre, comme l'ont rappelé mes collègues Dominique Raimbourg et George Pau-Langevin, le droit de vote ne s'oppose pas à la naturalisation : ils sont au contraire complémentaires, tant il est difficile d'obtenir la nationalité française.
Monsieur Bodin, le dernier quart de siècle a montré que le droit de vote, la citoyenneté et la nationalité ne sont pas liés de manière intangible. Nous en sommes pour notre part convaincus et nous vous proposons d'en débattre le 24 mars prochain.
Je ne peux pas laisser dire que les maires sont les élus les plus légitimes : ce sont « des élus » – qui sont de plus grande proximité.
C'était évidemment le sens de mon propos, et c'est ce qui ressort des baromètres de confiance politique. Bien entendu, tous les élus sont légitimes.
La Commission passe ensuite à l'examen des articles de la proposition de loi constitutionnelle.
Article 1er (article 72-5 [nouveau] de la Constitution) : Droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales des étrangers non ressortissants de l'Union européenne :
La Commission rejette l'amendement CL1 de la rapporteure.
Puis elle rejette l'article 1er.
Article 2 (article 88-3 de la Constitution) : Coordination :
La Commission rejette l'amendement CL2 de la rapporteure.
Puis elle rejette l'article 2.
Elle rejette l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
La séance est levée à dix huit heures quinze.