Cette proposition de loi suscite de ma part des réserves. La première est pratique : l'audition de la personne gardée à vue doit-elle être différée dans l'attente d'un avocat ? Je sais pour avoir exercé dans des barreaux de province que les distances rendent souvent impossible la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue. Décaler l'interrogatoire générerait pour les enquêteurs des problèmes récurrents tout au long de la procédure – comme la disparition de preuves.
En deuxième lieu, on ne peut réformer le régime de la garde à vue sans l'inscrire dans une vision d'ensemble de la procédure. La réforme de la procédure pénale s'articulera autour de la suppression du juge d'instruction et de son remplacement par un juge de l'enquête – dont la mission sera de superviser l'ensemble des procédures pénales, y compris les 96 % ou 97 % d'affaires qui ne sont pas aujourd'hui placées sous la surveillance d'un juge du siège. On ne saurait utiliser deux arrêts de la CEDH pour réformer la garde à vue alors que, très prochainement, toutes les enquêtes seront placées sous l'autorité d'un juge du siège. Il faut donc attendre que nous soit soumis le projet du Gouvernement pour statuer sur la présence de l'avocat durant la première heure de garde à vue.
En troisième lieu, l'interprétation des arrêts Salduz et Dayanan est compliquée, non seulement parce que le texte de ces arrêts trahit le fait qu'ils ont été rédigés en anglais et que l'on n'y retrouve pas cette « horlogerie de la pensée » qu'incarnait, selon un secrétaire perpétuel de l'Académie française, le français employé comme langue du droit international, mais aussi parce que certains alinéas sont contradictoires. Du reste, les deux arrêts cités condamnent la Turquie parce que la présence de l'avocat est proscrite durant la garde à vue, ce qui est très différent de notre droit. En outre, si les informations recueillies en l'absence d'un avocat ne constituaient pas le fondement de la condamnation, la jurisprudence de la CEDH serait probablement inverse.
Il serait donc plus judicieux que la question de la garde à vue soit examinée dans le cadre d'une révision complète de notre procédure pénale.