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Intervention de André Vallini

Réunion du 24 février 2010 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Vallini, rapporteur :

En 2008 et 2009 la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu deux arrêts, « Salduz » et « Dayanan », reconnaissant le droit à l'assistance effective d'un avocat pendant la garde à vue. De l'avis de nombreux juristes, ces arrêts doivent s'appliquer à notre pays.

L'applicabilité de ces décisions à la France est toutefois contestée. De fait, selon l'article 46 de la Convention européenne des droits de l'Homme, les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme rendues à l'égard d'un État ne lient pas les autres États.

Cependant, le 24 janvier dernier, le président de la Cour européenne, M. Jean-Paul Costa, déclarait au quotidien La Croix qu'il faudrait sans doute « repenser ce dispositif et enjoindre aux pays européens de revoir leur législation quand un problème chez eux est analogue à celui identifié par la Cour dans un autre pays », estimant qu'« il faut cesser de jouer à cache-cache avec la Convention internationale des droits de l'Homme » et que « les États ne doivent pas attendre que des dizaines de justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs lois ».

A minima, donc, les arrêts de la CEDH devraient avoir une force d'influence sur l'ensemble des États signataires de la Convention européenne des droits de l'Homme. J'irai plus loin : aux termes de l'article 55 de notre Constitution, les traités ont une « autorité supérieure à celle des lois ». Or, le contenu des normes internationales ne saurait être limité au seul corpus des traités ou des accords conclus par les États : lorsqu'un traité a prévu la création d'une juridiction chargée de veiller à l'application et à l'interprétation de ses dispositions, les décisions rendues par cette juridiction doivent revêtir la même force supranationale que la convention qu'elles interprètent.

Les arrêts rendus par la CEDH à propos de la Turquie doivent donc conduire la France à revoir sa législation en matière de garde à vue.

En effet, ces arrêts n'exigent pas un simple entretien avec un avocat, mais une assistance effective dès la privation de liberté, incluant la possibilité pour l'avocat d'exercer librement « toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil », ce qui inclut « la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention ». L'entretien de trente minutes que prévoit notre législation en début de garde à vue ne permet pas à l'avocat de remplir toutes ces missions.

La non-conformité de la législation française est aggravée par la jurisprudence. En effet, en France, la personne gardée à vue peut ne pas bénéficier pendant plusieurs heures de l'entretien avec l'avocat auquel elle a droit au titre du code de procédure pénale, dès lors que l'officier de police judiciaire a effectué des diligences considérées comme suffisantes pour joindre l'avocat, même sans y parvenir.

En outre, depuis la loi du 18 mars 2003, le gardé à vue n'est plus informé de son « droit au silence », alors même que ce droit est consacré par la jurisprudence constante de la CEDH.

Autrement dit, même si l'on admet que le droit de demander un entretien avec un avocat en début de garde à vue suffit à rendre le droit français conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme, la jurisprudence qui permet de ne pas attendre cet entretien pour procéder à la première audition prive ce droit de toute effectivité.

Un certain nombre de décisions judiciaires se sont déjà fondées sur la jurisprudence de la CEDH pour apprécier la régularité des mesures de garde à vue. Alors que les officiers de police judiciaire et magistrats du parquet appliquent strictement la lettre du code de procédure pénale, certains juges du siège s'appuient sur la jurisprudence européenne pour annuler des mesures de garde à vue ou refuser de les prolonger. Sur une trentaine de décisions dont la liste m'a été communiquée par le ministère de la justice, dix juges des libertés et de la détention ont refusé de prolonger des mesures de garde à vue en matière de criminalité organisée, et quatorze tribunaux correctionnels ont annulé des mesures de garde à vue ou des auditions réalisées au cours de celles-ci. Seules six de ces trente décisions ont validé les mesures de garde à vue ou autorisé leur prolongation – encore quatre l'ont-elles fait en se fondant sur les critères posés par la Cour de Strasbourg et permettant de déroger à la règle générale de l'assistance de l'avocat.

Les juridictions françaises appliquent donc de plus en plus la jurisprudence de la CEDH pour contrôler la validité des mesures de garde à vue.

Dans un discours prononcé en novembre 2009, le Premier ministre, M. Fillon, soulignait les risques d'annulation que la complexité actuelle de la procédure pénale fait courir : « Que répondre aux victimes d'un délinquant dont la culpabilité peut avoir été reconnue et qui se voit dégagé de sa responsabilité parce qu'on a relevé une erreur de procédure ? ». Cet argument peut être utilisé face aux risques d'invalidation massive par les juridictions des mesures de garde à vue actuellement exécutées sans assistance d'un avocat.

La non-conformité de la législation française aux décisions de la CEDH expose donc la France à des risques importants de condamnation. Imaginez l'effet qu'aurait une telle condamnation sur l'image de notre pays. En outre, sur le plan financier, en application de l'article 41 de la Convention européenne des droits de l'Homme, la Cour peut accorder au plaignant reconnu victime d'une violation de l'un de ses droits une « satisfaction équitable », c'est-à-dire une compensation financière du préjudice subi. La France court donc le risque d'être condamnée à verser des indemnisations à toutes les personnes placées en garde à vue sans avoir pu bénéficier de l'assistance d'un avocat et qui pourront établir que cette privation a porté atteinte à leur droit à un procès équitable.

Dans mon rapport, je me suis attaché à répondre par avance aux critiques que pourrait susciter cette proposition de loi. On pourrait objecter d'abord qu'elle n'apporterait qu'une réponse partielle au problème, alors que Mme la garde des Sceaux prépare une réforme globale de la procédure pénale, et donc de la garde à vue. Cependant, l'assistance par un avocat pendant les interrogatoires présente un caractère d'urgence, alors que la réforme globale aboutira, au mieux, en 2011. Dans l'intervalle, des centaines, voire des milliers de gardes à vue risquent d'être annulées, et autant de procédures judiciaires fragilisées, au détriment de l'efficacité du travail de la police et de la justice, mais aussi de la sécurité de nos concitoyens.

Certains feront valoir ensuite que la proposition de loi n'irait pas assez loin dans l'amélioration des droits du gardé à vue, pour ce qui est notamment de l'accès au dossier par l'avocat – que les barreaux demandent avec insistance. J'avais, dans un premier temps, proposé cette disposition, que le groupe socialiste a jugé préférable de retirer. Il importe, en effet, de préserver un juste équilibre entre l'efficacité de l'enquête et les droits de la personne.

Troisième critique : le texte proposé serait inapplicable, compte tenu du nombre des mesures de garde à vue dans lesquelles un avocat devrait intervenir. Cependant, la restriction du champ de la garde à vue que propose Mme le garde des Sceaux permettra d'en diminuer le nombre.

Quatrième critique : cette réforme nuirait à l'efficacité des enquêtes. En effet, certains estiment que la présence de l'avocat pendant la garde à vue poserait un problème considérable aux policiers – je précise à cette occasion que j'auditionnerai mercredi prochain, durant toute la journée, tous les syndicats de policiers. Cependant, il faut rappeler que, depuis que l'avocat peut s'entretenir pour une durée d'une demi-heure avec son client au cours de la première heure de garde à vue, les dérapages auxquels cet entretien a donné lieu se comptent sur les doigts d'une main, car les avocats sont tenus de respecter des règles de déontologie très rigoureuses.

Le rapport évoque d'autres problèmes liés à la garde à vue, comme l'état indigne des locaux, les pressions parfois trop fortes auxquelles est soumis le gardé à vue ou l'insuffisance du contrôle exercé par les magistrats du parquet. La garde à vue y est également envisagée comme « phase critique » de la procédure pénale – selon l'expression que nous avions employée, avec Philippe Houillon, dans le rapport de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau. On sait bien que se fabrique souvent, lors de la garde à vue, une « vérité policière » qui suit le prévenu tout au long de la procédure et devient, vraie ou fausse, une « vérité judiciaire ».

Je conclurai en citant – une fois n'est pas coutume – les propos tenus par le Président de la République lors de l'audience solennelle de la Cour de cassation du 7 janvier 2009, au cours de laquelle il a annoncé une grande réforme de la procédure pénale : « Parce que les avocats sont auxiliaires de justice et qu'ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne faut pas, parce qu'elle est bien sûr une garantie pour leurs clients mais elle est aussi une garantie pour les enquêteurs qui ont tout à gagner d'un processus consacré par le principe du contradictoire ».

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