Cette proposition de loi est une trahison de l'esprit de 1789. Si la Constitution de 1793 a pu aller dans le même sens, c'est parce que 1793 correspond au dérapage de notre Révolution et à la transformation de la démocratie libérale en un régime totalitaire : la Terreur.
Vous avez évoqué la démocratie et la République comme si ces deux notions appelaient naturellement le vote des étrangers. C'est tout le contraire ! La République, c'est la cité, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens, par opposition à ceux qui ne le sont pas. Ces citoyens sont définis par le fait qu'ils visent un bien commun, qui n'est pas un bien universel, mais le bien de la République. Quant à la démocratie, elle renvoie au peuple, au demos, qui n'est pas l'humanité !
Ce n'est pas par hasard que la Déclaration de 1789 distingue l'homme et le citoyen : à l'instar de tous les penseurs de la démocratie libérale, elle opère une distinction fondamentale entre deux types de liberté, celle de tout homme vivant sur le territoire de la République, et celle, réservée aux citoyens, de participer à la République. Tout homme qui réside sur notre territoire a donc intérêt à accéder à la nationalité française, c'est-à-dire à devenir citoyen, pour pouvoir voter – et passer ainsi de la liberté de protection à la liberté de participation. Sans même vous en apercevoir, vous êtes en train de dresser un obstacle à l'intégration des étrangers, en leur promettant qu'ils auront les droits des autres résidents sans avoir besoin de vouloir devenir français. La distinction entre l'homme et le citoyen est un appel à devenir citoyen, donc à s'intégrer.
Cela fait d'ailleurs écho au débat sur le droit du sang et le droit du sol. Contrairement aux sottises que l'on entend, le droit du sol n'est pas le plus républicain ! Le droit du sol était lié au fait d'être sujet du roi, propriétaire du sol, tandis que le droit du sang est celui de citoyens qui héritent – comme les nobles –, de leur droit, de père en fils. S'ajoute, dans l'esprit moderne, un troisième droit qui, à mon avis, dépasse les deux précédents : le droit de la volonté ; je deviens citoyen si je le veux – non pas seulement si j'en exprime la volonté, mais si mes comportements sont en accord avec elle, si mon mérite est suffisant. Voilà l'esprit de nos institutions, dont nous pouvons légitimement être fiers.
C'est pourquoi nous devons rejeter cette proposition de loi. D'ailleurs, le Gouvernement qui avait soutenu celle de 2000 avait aussi accepté que les résidents français en Nouvelle-Calédonie ne participent pas, pendant plusieurs années, aux votes de ce territoire français – ce qui était, en l'occurrence, une bien curieuse conception de la citoyenneté ! Cela ne fait qu'apporter de l'eau au moulin de ceux qui pensent que ces propositions apparemment généreuses ne sont que des textes de circonstance à visée politicienne.
Au moins faudrait-il poser le principe de réciprocité : il serait un peu fort d'accorder des droits à un étranger venant d'un pays qui n'accorde pas les mêmes aux Français résidant chez lui !
Enfin, justifier le vote des étrangers par le fait qu'ils participent à la vie économique, c'est revenir à l'idée du suffrage censitaire. Pour ma part, je préfère défendre une conception digne de la démocratie : est citoyen celui qui en a les droits parce qu'il le veut et qu'il le mérite.