Nous sommes d'accord sur le constat : le recours à la garde à vue est aujourd'hui trop systématique, les conditions en sont indignes, quels que soient les efforts engagés, et l'avocat n'a pas toujours les moyens d'y jouer pleinement son rôle.
Je salue, monsieur Vallini, la qualité et la modération de l'argumentation que vous développez, et j'en tiendrai compte au cours de la concertation que j'ai lancée sur la base du texte que j'ai préparé. Votre proposition en rejoint plusieurs autres, formulées à l'Assemblée nationale et au Sénat. Vous avez vous-même souligné, néanmoins, certaines des difficultés qu'elle soulève.
La première est qu'elle est très parcellaire. Or, la multiplication de réformes ponctuelles rend souvent peu lisible le fonctionnement de la justice. La réforme que j'engage, qui est une véritable refondation de la procédure pénale, vise précisément à assurer cette lisibilité d'ensemble. Toute réflexion sur la garde à vue doit s'inscrire dans une approche globale de la procédure pénale. La question particulière de la présence de l'avocat doit prendre en compte tous les paramètres de l'enquête judiciaire, en veillant à assurer un bon équilibre entre les besoins de l'enquête et la garantie des droits de la défense.
Cette refondation de la procédure pénale ne viendra pas si tard que vous le craignez. Dès mardi, une vaste concertation sera engagée avec les syndicats de policiers et de magistrats, les associations de victimes et les représentants de toutes les structures, ainsi qu'avec les groupes parlementaires. Il serait paradoxal de ne pas organiser une telle concertation sur un sujet aussi sensible.
D'autre part, vous reconnaissez vous-même que votre proposition de loi serait difficilement applicable avant la mise en oeuvre de la nouvelle procédure pénale. Mieux vaut donc mettre en oeuvre au plus vite cette réforme.
La question de la présence de l'avocat au cours de la garde à vue devra certes être posée. Notre projet va plus loin, et cherche à garantir les conditions de l'efficacité de l'assistance par l'avocat, permettant notamment à celui-ci d'avoir accès aux procès-verbaux d'interrogatoire au fur et à mesure de leur production.
Nos réponses doivent s'inscrire dans une logique d'ensemble. Aucune question ne doit être éludée. La première question, que ne pose pas votre proposition de loi, est de savoir à quoi sert réellement la garde à vue. Notre texte prévoit qu'elle ne sera possible que dans les cas de crimes ou de délits punis d'une peine d'emprisonnement. Il y aurait un paradoxe à ce que soit privé de liberté quelqu'un qui, même s'il était condamné, ne le serait pas. En outre, la garde à vue doit être distinguée d'autres situations, comme le dégrisement, qui représente sans doute aujourd'hui quelques centaines de milliers de gardes à vue, et devrait être tout à fait séparé – y compris du point de vue immobilier. C'est là sans doute l'une des questions à régler en urgence.
Il se pose également le problème des critères de la garde à vue : pourquoi et quand y recourir ? Elle doit être liée aux nécessités réelles de l'enquête – quand on craint, par exemple, que la personne mise en garde à vue ne se soustraie à l'interrogatoire, ne fasse disparaître des preuves ou ne suborne des témoins. Nous proposons donc, lorsque ces critères ne sont pas remplis, une forme d'audition libre – sauf bien sûr si la personne concernée demande elle-même à être placée en garde à vue.
La meilleure réponse à la crainte que l'aveu puisse être obtenu par des pressions exercées durant la garde à vue, c'est de dénier la force de l'aveu : des aveux ou des déclarations faits durant la garde à vue hors de la présence de l'avocat ne pourront pas être utilisés comme un élément participant à la condamnation.
Les conditions de la garde à vue contribuent au soupçon qui entoure celle-ci. Il est donc prévu de développer l'usage de l'enregistrement audiovisuel. La pratique des fouilles doit aussi être mieux encadrée, ainsi que celle du retrait de certains objets, comme le soutien-gorge. Les conditions de la garde à vue ne doivent pas porter atteinte à la dignité de la personne.
Tous ces éléments sont indissociables et nous devons parvenir à une réforme aussi complète et cohérente que possible, situant la garde à vue dans le cadre de l'enquête. La question de la présence de l'avocat ne doit donc pas être isolée de l'ensemble des éléments de la réforme.
Enfin, le texte qui nous est proposé soulève des questions auxquelles il ne répond pas. L'évolution de la présence de l'avocat doit tenir compte de certaines nécessités de l'enquête. La garde à vue étant destinée à permettre aux services de police ou de gendarmerie d'entendre directement une personne dans le but d'obtenir des informations indispensables à l'enquête, la présence systématique de l'avocat est incompatible avec certaines exigences, notamment en matière de lutte contre le terrorisme ou la grande criminalité – cas dans lesquels même la Cour de Strasbourg ne l'exige pas.
En outre, très concrètement, qu'advient-il si l'avocat ne se présente pas ? Il est déjà très difficile d'obtenir sa présence dans la première heure. Faut-il bloquer toute investigation en l'attendant ? La question se pose particulièrement dans les cas d'enlèvement ou de séquestration. Si l'avocat ne se présente pas au bout de 24 heures, la prolongation de la garde à vue serait peu compatible avec le respect des droits de la défense et avec le souhait de proportionner la longueur de la garde à vue à l'importance de l'infraction constatée. Si l'avocat ne se présente jamais, l'enquête sera-t-elle repoussée sine die ? De fait, la garde à vue peut avoir lieu n'importe où sur le territoire national, et n'importe quand. Le régime proposé est donc trop rigide et inadapté à certaines procédures.
Nous souhaitons que la réforme que nous préparons s'accompagne d'une étude d'impact des mesures proposées. C'est ce qui manque à votre proposition. On reproche assez souvent au Gouvernement de légiférer dans la précipitation et sous l'effet de l'actualité, pour que je puisse, avec un sourire, vous retourner pour une fois ce reproche.
Par ailleurs, je ne partage pas vos craintes quant à la perspective de condamnations de la France par la CEDH car, dans les affaires ayant motivé les arrêts que vous invoquez, les personnes gardées à vue n'avaient bénéficié de la présence d'aucun avocat, ce qui est très différent de la situation actuelle en France. La CEDH n'a du reste jamais condamné la France à propos de la garde à vue et les décisions rendues portent sur des affaires particulières. Quant à l'applicabilité d'un arrêt auquel vous voulez donner la force d'un traité, permettez à la constitutionnaliste que je suis de s'étonner de votre vision très extensive du droit conventionnel.
Vous l'aurez compris, si je suis intéressée par votre proposition et, plus encore, désireuse de travailler avec vous dans un esprit de concertation non dilatoire, je souhaite que la proposition de loi ne soit pas discutée, car elle est contraire à notre souhait d'une réforme globale de la procédure pénale.