La séance est ouverte à 16 heures 15.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
La Commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des libertés sur le projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution (n° 1983) (M. Philippe Houillon, rapporteur).
Nous avons le plaisir d'accueillir Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, que nous allons entendre sur l'un des projets de loi organique tendant à appliquer la dernière révision de la Constitution.
Madame la ministre d'État, vous savez que nous attachons une grande importance à ce que ce travail soit effectué dans les meilleurs délais, et je vous remercie de l'impulsion que vous donnez en ce sens.
Le projet de loi organique que vous nous présentez, adopté par le Sénat le 15 octobre dernier, fait l'objet de vives attentes. Il devrait, sinon conclure, du moins marquer d'une pierre blanche un débat engagé depuis plusieurs années sur le fonctionnement de l'autorité judiciaire, la place du Conseil supérieur de la magistrature et son ouverture aux plaintes des justiciables.
Je rappelle que la Commission a consacré, la semaine dernière, une matinée entière à des auditions sur ce projet de loi, et que le rapporteur procède à d'autres auditions sur le même sujet. Nous avons souhaité vous entendre avant d'aborder l'examen du texte.
Ce projet de loi organique a pour objet de moderniser le Conseil supérieur de la magistrature, comme l'a prévu la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il a été adopté par le Sénat, voilà déjà un mois et demi, au terme d'un débat particulièrement intéressant. Je ne doute pas que les travaux de l'Assemblée permettront également de préciser un certain nombre de dispositions et d'améliorer leur rédaction.
Ce texte revêt une grande importante, car la justice constitue l'un des fondements de l'unité de notre pays. La confiance des Français dans l'autorité judiciaire est donc une condition essentielle de la vie en commun. Dans cette perspective, la réforme qui vous est soumise a pour objet de renforcer la confiance des justiciables et d'adapter la justice aux exigences d'une démocratie moderne.
Le projet de loi organique sert deux objectifs principaux : apporter de nouvelles garanties d'indépendance à l'autorité judiciaire – l'évolution des attributions et de la composition du Conseil supérieur de la magistrature y contribueront – et rapprocher la justice du citoyen – a saisine directe du CSM par le justiciable sera une nouvelle avancée dans notre droit.
Le texte précise, tout d'abord, les dispositions constitutionnelles relatives aux attributions et à la composition du CSM.
L'article 65 de la Constitution pose trois principes en la matière : indépendance, ouverture et transparence.
L'indépendance, tout d'abord : le Président de la République cessera d'exercer la présidence du CSM et le garde des sceaux perdra, par la même occasion, sa qualité de vice-président. La procédure de nomination du secrétaire général du CSM et les modalités de réunion du Conseil sont donc adaptées en conséquence.
L'ouverture, ensuite : six personnalités qualifiées seront nommées par les autorités traditionnellement compétentes, à savoir le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat. Autre nouveauté, ces nominations seront soumises à la procédure de l'article 13 de la Constitution, ce qui vous permettra de vous prononcer. Le projet de loi organique précise par ailleurs les modalités pratiques de cette autre innovation prévue par la Constitution, qui est la désignation d'un avocat comme membre du CSM, et il tend à instaurer un régime d'incompatibilité entre l'appartenance au CSM et la profession d'avocat – c'est d'ailleurs l'un des points délicats de cette réforme.
La transparence, troisième principe directeur, sera renforcée par l'élargissement des nominations soumises au CSM : toutes les nominations des magistrats du parquet feront l'objet d'un avis du CSM, y compris les emplois pourvus par décision du Conseil des ministres – celui du procureur général près la Cour de cassation, mais aussi ceux de procureurs généraux près les cours d'appel. L'indépendance des magistrats du parquet s'en trouvera naturellement renforcée.
J'en viens au second volet du texte, qui constitue une sorte de révolution dans nos habitudes constitutionnelles et dont l'importance est comparable à celle que présente la création d'une exception d'inconstitutionnalité : la possibilité offerte aux justiciables de saisir directement le CSM en matière disciplinaire.
Il existe déjà des recours permettant de contester les décisions juridictionnelles et le fonctionnement défectueux de la justice : la cassation et l'appel, d'un côté, l'action contentieuse sur le fondement de la responsabilité de l'État, de l'autre. En revanche, le justiciable ne peut pas aujourd'hui saisir directement le CSM en cas de manquements commis par un magistrat ; seuls le garde des sceaux et les chefs de cour d'appel en ont la faculté. Grâce à ce texte, tout citoyen pourra désormais saisir le CSM lorsqu'il estimera que, à l'occasion d'une procédure judiciaire, le « comportement » d'un magistrat – j'insiste sur ce terme – pourrait faire l'objet d'une qualification disciplinaire.
Pour que cette importante avancée soit effective, la saisine devra être facile à exercer, mais il faudra également veiller à ce qu'elle soit suffisamment encadrée. On peut, en effet, imaginer sans difficulté les pressions que les magistrats pourraient subir, ainsi que l'atteinte à la sérénité de l'action judiciaire qui pourrait en résulter. Je précise que cet encadrement de la saisine individuelle du CSM est conforme à l'esprit même de la révision constitutionnelle de 2008 : il s'agit de protéger les libertés des citoyens sans déstabiliser, pour autant, les magistrats et l'institution judiciaire.
L'accessibilité de la procédure sera garantie par le caractère très peu contraignant des exigences de forme : il suffira au justiciable de rédiger une lettre précisant les faits et gestes allégués, sans qu'il soit besoin de recourir pour cela à un avocat.
Le premier aspect du filtrage à deux niveaux que nous allons mettre en place concerne la recevabilité de la plainte. Afin d'empêcher les dénonciations intempestives, susceptibles de porter atteinte à la sérénité du travail des magistrats, les commissions d'admission des requêtes effectueront un premier examen des requêtes, consistant à vérifier qu'un certain nombre de conditions – très objectives et faciles à constater – sont réunies : la qualité du requérant pour agir – il devra être concerné par la procédure en cause, ce qui semble la moindre des choses – ; l'objet de sa plainte, laquelle ne pourra viser que le comportement du magistrat dans l'exercice de ses fonctions ; le moment auquel elle intervient – elle ne sera recevable que si le magistrat du siège n'est plus saisi ou bien si le parquet n'est plus en charge du dossier.
Considérant que cette dernière règle pourrait poser problème dans le cas de procédures d'une longueur particulière, en particulier en matière de tutelle, le Sénat a souhaité que le CSM puisse être saisi, à titre exceptionnel, en cours de procédure. Il n'en reste pas moins que les présidents des commissions d'admission des requêtes pourront rejeter les plaintes irrecevables, abusives ou manifestement infondées.
En second lieu, la plainte devra porter sur un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, ce qui impliquera de recueillir un certain nombre d'informations et d'observations auprès des chefs de cours. La procédure devant trouver une issue rapide afin de dissiper au plus vite les doutes éventuels portant sur les qualités des magistrats concernés et de ne pas les déstabiliser dans le cadre d'autres affaires, il est prévu que les chefs de cours devront répondre aux demandes d'informations dans un délai de deux mois.
Le texte permettra au Conseil supérieur de la magistrature d'être à l'image de la justice du XXIe siècle que nous voulons instaurer : une justice indépendante, sûre de ses valeurs et fière de ses missions ; une justice irréprochable aux yeux des citoyens et consciente de la nécessaire exemplarité des magistrats, lesquels doivent être insoupçonnables ; une justice proche du justiciable et en phase avec la société.
La justice est, en effet, le coeur de la démocratie. Telle est la perspective dans laquelle se place le projet de loi organique déposé par le Gouvernement.
Ma première question porte sur l'article 6 bis, introduit par le Sénat en vue de définir les obligations déontologiques des membres du CSM et d'imposer leur « déport » quand l'impartialité des décisions l'exige. Le texte laisse aux présidents de chaque formation du CSM le soin de prendre les « mesures appropriées » pour assurer le respect de ces obligations, ce qui peut paraître insuffisamment précis. En outre, ne trouvez-vous pas qu'il serait souhaitable d'instaurer un mécanisme de décision collégial en la matière ?
Le Sénat, qui est à l'origine de cet article, comme vous l'avez rappelé, n'a précisé ni ses conditions d'application, ni les sanctions encourues. On peut toutefois se référer à des situations similaires – je pense notamment aux règles applicables aux membres du Conseil constitutionnel.
Faut-il aller plus loin ? Il ne me semble pas nécessaire d'introduire de nouvelles dispositions dans ce domaine ; il faut, en outre, veiller à préserver la lisibilité de notre droit, objectif que nous pourrons atteindre par la simple application de règles similaires à celles qui sont déjà en vigueur.
de la collégialité ? La décision doit-elle appartenir au seul président de section ? Certaines des personnes que nous avons auditionnées s'en inquiètent.
Mieux vaudrait éviter d'alimenter le soupçon portant sur les détenteurs de l'autorité. Je trouverais raisonnable de laisser les présidents de section exercer une sorte de police en matière de déontologie et d'éthique. Ce sont des personnalités dignes de confiance qui devraient assumer ces fonctions.
Je suis d'accord avec vous, mais il faut tout de même reconnaître qu'il y a eu des précédents quelque peu problématiques.
J'en viens à ma deuxième question, relative au statut de l'avocat membre du CSM. Le constituant a souhaité qu'il s'agisse d'un avocat en tant que tel, ce qui implique un plein exercice de cette activité professionnelle. Or, un amendement adopté par le Sénat a « lyophilisé » le dispositif en interdisant à cet avocat de plaider en justice et d'agir en conseil juridique, terme qui me semble inapproprié car il ne figure plus dans notre droit – on peut certes donner des conseils juridiques, mais on n'agit plus en qualité de « conseil juridique », cette profession ayant été supprimée depuis longtemps.
Comme nous avons pu le constater au cours de nos auditions, certains se demandent comment un avocat membre du CSM pourrait continuer à plaider devant une juridiction sans que celle-ci soit impressionnée, au sens premier du terme, par le fait qu'il pourrait être appelé à se prononcer en matière d'avancement ou en matière disciplinaire. La partie adverse pourrait également considérer que la situation n'est pas impartiale, et la Cour européenne des droits de l'homme risque d'estimer que cette disposition porte atteinte au principe d'égalité des armes.
Cela étant, les membres du parquet, a fortiori celui qui est membre de la formation compétente pour les magistrats du siège, se trouvent dans la même situation que l'avocat bientôt nommé au CSM, sans que cela ait appelé d'observations particulières. Nul ne demande que ces magistrats cessent d'exercer leurs fonctions dès lors qu'ils appartiennent au CSM. Les membres du parquet sont pourtant partie au procès pénal – mais je sais qu'il y a des avis divergents.
Je rappelle tout d'abord que ces dispositions ont été adoptées par le Sénat contre l'avis du Gouvernement. Il faut prendre en compte tous les risques, notamment le soupçon qui pourrait peser sur les membres du CSM – et pas seulement sur l'avocat membre de cette instance, comme vous l'avez rappelé ; il reste que le constituant a explicitement fait référence à un avocat, et non à un ancien avocat ou à un avocat ayant démissionné de ses fonctions, ce qui emporte un certain nombre de conséquences. Il serait paradoxal de chercher à exclure des caractéristiques que le constituant a souhaité prendre en compte pour renforcer l'ouverture du CSM.
Selon une jurisprudence que j'enseignais autrefois à mes étudiants, on considère qu'une seule personne n'est pas à même d'exercer une influence sur un jury. Or, nous sommes dans un cas similaire, l'avocat membre du CSM n'étant pas seul à décider. En outre, il n'est pas question qu'il intervienne dans une affaire relevant d'une formation disciplinaire à laquelle il aurait à participer ultérieurement. Ce texte apportant déjà un certain nombre de garanties, lesquelles seront complétées par des règles de déontologie, il me semble que l'on commettrait un excès de précaution en allant plus loin dans ce domaine, et que l'on s'exposerait à un risque d'inconstitutionnalité.
Dans la rédaction du texte adoptée par le Sénat, les incompatibilités prévues ne sont pas assorties de sanctions. Vous paraît-il souhaitable que la loi les précise ?
La question est déjà réglée pour toutes les incompatibilités antérieures. Pour celles qui pourraient être constatées en cours de mandat – que le membre concerné ait cessé d'exercer une activité au titre de laquelle il a été nommé ou bien, au contraire, qu'il accepte une fonction ou un mandat incompatible avec la neutralité attendue du CSM –, il me semble que l'on pourrait retenir une solution semblable à celle qui est appliquée pour le Conseil constitutionnel, à savoir la démission d'office.
Pensez-vous que cette règle doive être écrite ? Je rappelle que les sanctions disciplinaires sont de droit étroit.
Je ne vois pas d'inconvénient à ce que la loi les précise, mais cela ne me semble pas indispensable. Ce type de règles peut se mettre en place spontanément.
Les débats en séance publique pourraient être l'occasion de fixer une référence dans ce domaine.
Ma troisième question concerne les deux commissions d'admission des requêtes, dont l'une sera compétente pour les magistrats du parquet et l'autre pour ceux du siège. Certaines des personnes que nous avons auditionnées se demandent s'il ne serait pas préférable d'instaurer une commission unique.
Par ailleurs, comment envisagez-vous le contrôle exercé sur les requêtes ? Sera-t-il purement formel, c'est-à-dire limité à des questions de recevabilité, ou bien peut-on considérer que la procédure disciplinaire commencera dès l'instruction des dossiers par les commissions d'admission des requêtes ?
Comme je l'ai indiqué, il y aura un double filtrage, dont le premier niveau sera essentiellement formel : il s'agira de vérifier que la plainte est recevable et qu'elle n'est pas manifestement infondée. D'une certaine façon, il s'agira donc d'un contrôle extérieur. La deuxième étape aura pour objet de vérifier que les faits concernés sont susceptibles de recevoir une qualification exposant à des sanctions disciplinaires.
En ce qui concerne le point de départ des délais, il faut se référer à la jurisprudence administrative. Celle-ci considère que la phase d'enquête précédant la saisine d'un organe à compétence disciplinaire constitue un élément extérieur à la procédure disciplinaire en elle-même. Dans le cas présent, la commission d'admission des requêtes ne formulera pas une pré-appréciation de la responsabilité du magistrat : son rôle sera de vérifier objectivement que les faits sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, et non de se prononcer sur leur réalité. C'est seulement à partir du moment où la formation de jugement du CSM sera réunie que la procédure disciplinaire débutera.
S'agissant du nombre des commissions d'admission des requêtes, sujet qui a déjà été évoqué au Sénat, je rappellerai seulement que l'article 65 de la Constitution consacre un principe de dualité. La constitution d'une commission unique pourrait donc poser un problème constitutionnel.
C'est également mon avis mais, si je vous pose la question, c'est que de hauts magistrats ont suggéré de ne constituer qu'une seule commission.
Par ailleurs, il serait impossible de formuler une plainte à l'encontre d'un magistrat saisi de la procédure « sauf si, compte tenu de la nature de la procédure et de la gravité des manquements évoqués », la commission d'admission des requêtes estimait que la plainte est quand même recevable. Cette double condition n'est-elle pas trop restrictive ? Ne faudrait-il pas plutôt envisager que la plainte d'un justiciable puisse prospérer dès lors qu'une procédure est excessivement longue ou que le manquement du magistrat est manifestement grave ?
À mon avis, le risque n'est pas grand s'agissant d'une procédure courte ou banale. En tout état de cause, le jeu des délais fait qu'il risque d'y avoir chevauchement des procédures. Dans l'hypothèse où le manquement est d'une gravité exceptionnelle, l'autorité disciplinaire prendra elle-même l'initiative de le sanctionner, sans qu'il y ait à attendre pour cela que le justiciable porte plainte. Je ne pense pas qu'il y ait un problème de facto, à moins que vous ne m'en donniez des exemples. Je peux déjà vous dire que les cas les plus flagrants que j'ai pu connaître depuis mon arrivée ont donné lieu à une réaction immédiate.
Il importe en revanche que le justiciable n'ait pas à attendre la fin de procédures très longues, en matière de tutelle ou d'assistance éducative par exemple, faute de quoi nous manquerions l'objectif assigné à ce texte.
Le Sénat a souhaité affirmer dans un nouvel article 7 bis l'autonomie budgétaire du Conseil supérieur. Dans cette perspective, le Gouvernement envisage-t-il de proposer, lors du prochain projet de budget, la création d'un programme spécifique pour les crédits du CSM ?
Les crédits du Conseil supérieur de la magistrature font déjà l'objet d'une individualisation propre à garantir l'indépendance du CSM. De plus, la dernière révision constitutionnelle n'avait pas pour objectif d'élever le CSM au rang de pouvoir constitutionnel, au même titre que le Conseil constitutionnel ou la Cour de justice de la République, et n'imposait donc pas l'existence d'un budget complètement autonome.
Si vous voulez que les crédits du CSM bénéficient d'une lisibilité plus grande, je vous proposerai, le cas échéant, de les intégrer à la mission « Conseil et contrôle de l'État ».
Je ne reviendrai pas sur la question de l'avocat, déjà évoquée par le rapporteur, mais le problème reste entier et nous y consacrerons sans doute quelques-uns de nos amendements.
Alors que le Président de la République ne préside plus le CSM, le secrétaire général du CSM sera toujours nommé par lui. Ne serait-il pas plus judicieux de laisser au CSM une autonomie entière en l'autorisant à élire son secrétaire général, ou en proposant au président du CSM de nommer celui-ci sans passer par le Président de la République.
Par ailleurs, nous aurions souhaité que les magistrats du parquet soient nommés sur avis conforme du CSM. Ne serait-il pas opportun que les avis du CSM sur les nominations de magistrats du parquet soient, non seulement motivés, mais aussi publiés ?
Ne pensez-vous pas que la formation plénière du CSM, dont ce texte officialise l'existence juridique, devrait pouvoir s'autosaisir de toutes questions qui l'intéressent afin de formuler, le cas échéant, des recommandations à l'adresse du Président de la République, sans avoir besoin d'attendre que ce dernier le consulte sur telle ou telle question concernant la magistrature ?
Certains souhaiteraient que le délai de saisine du CSM par un justiciable, que le texte fixe à un an à compter d'une décision irrévocable, soit porté à deux ans, d'autres qu'il soit réduit à six mois. Quel est votre avis ?
Ne pensez-vous pas que la commission d'admission des requêtes devrait pouvoir entendre les justiciables qui saisissent le CSM, et non pas seulement le magistrat concerné, comme le Sénat l'a prévu ?
Le projet de loi organique intervient dans le cadre très contraint de la Constitution, et l'article 65 ne laisse que peu de liberté au législateur. Toutefois, certaines dispositions du projet de loi sont le fruit du travail de la commission des Lois du Sénat : je pense notamment à l'article 11 bis, qui impose la parité de la composition de chaque formation du CSM siégeant en matière disciplinaire, même en l'absence d'un des membres. Le Gouvernement compte-t-il demander la suppression de cette disposition ou en restera-t-il à la position du Sénat ?
Par-delà la question de l'avocat, ce qui importe d'une façon générale, monsieur Vallini, c'est de sortir de l'ère du soupçon, qui domine entre les avocats et les politiques, mais également entre les justiciables et l'ensemble du monde judiciaire. Pour cela, il faut le plus de transparence possible. Nous devons nous-mêmes faire la plus grande confiance aux personnes.
Je voudrais vous rappeler que tous les magistrats sont nommés par décret du Président de la République : le secrétaire général du CSM étant un magistrat, il n'est pas anormal qu'il relève de cette procédure. Compte tenu en outre des fonctions du secrétaire général, je ne vois pas ce que la crédibilité de l'institution gagnerait à son élection.
Si la publication de l'avis du CSM sur la nomination des magistrats du parquet n'a rien de choquant en soi, il convient d'en peser les risques pour les intéressés eux-mêmes. La publication d'un avis défavorable est susceptible de porter atteinte à la crédibilité du magistrat en cause, jusque dans sa propre juridiction, vis-à-vis de ses pairs comme des justiciables. C'est en considération de ce risque, beaucoup plus que sur le principe, que je suis défavorable à la publication : nous devons protéger la légitimité des magistrats aux yeux des justiciables.
Votre proposition d'auto-saisine de la formation plénière du CSM ne me paraît pas pertinente, étant donné les relations qui existent déjà entre la Chancellerie et le CSM. En cas de difficulté, le dialogue permanent que nous entretenons avec le CSM nous permet de recueillir son avis, et c'est le plus souvent la Chancellerie, voire la Présidence de la République, qui sont demandeurs. Je ne vois donc pas l'intérêt de formaliser dans une loi cette possibilité qui n'a jamais été contestée.
En ce qui concerne les délais de saisine du CSM par les justiciables, il me semble que nous avons trouvé un juste milieu entre les propositions des uns et des autres, une solution équilibrée qui garantit à la fois l'efficacité de la saisine et la sérénité de la justice.
Je ne vois pas en quoi la présence du justiciable s'impose dans le cadre d'une formation disciplinaire. Le justiciable aura déjà eu la possibilité de s'exprimer par écrit dans une plainte de façon suffisamment précise pour que celle-ci soit instruite par la formation disciplinaire compétente.
Une telle possibilité n'existe d'ailleurs, à ma connaissance, dans aucune procédure disciplinaire : n'est présent que le professionnel poursuivi, assisté éventuellement d'un conseil, mais en aucun cas la personne qui a porté plainte ou signalé la faute.
Je ne veux pas tout ramener à l'affaire d'Outreau, même si la réforme du CSM lui doit beaucoup. Mais pour avoir été, comme six autres députés ici, membre de la commission qui s'est penchée sur cette affaire, je peux vous dire que les acquittés d'Outreau auraient été sans doute beaucoup moins convaincants s'ils n'avaient pu décrire que par écrit ce qu'ils ont eu à subir de la part de certains magistrats. Voilà pourquoi je suis favorable à ce que la commission d'admission des requêtes puisse, au moins une fois et si elle le souhaite, entendre le justiciable concerné.
On pourrait à la rigueur l'autoriser dans le cas où la commission d'admission le souhaite, mais, même dans cette hypothèse, je n'y suis franchement pas favorable. Vous ne devez pas oublier que la procédure disciplinaire n'appartient pas aux tiers, mais qu'elle relève de l'institution, même si elle prend son origine dans une dénonciation extérieure : c'est à l'institution de faire respecter ses règles. En outre, le justiciable pourra toujours se faire assister dans la rédaction de sa plainte.
Je crains qu'en adoptant une telle possibilité, on ne dévoie la nature de cette procédure : il ne s'agit pas d'un recours !
Effectivement, monsieur Valax, la question de la parité entre magistrats et non-magistrats dans la composition de la formation disciplinaire a été longuement débattue au Sénat. Si le constituant a imposé la parité dans la composition des formations du CSM compétentes en matière disciplinaire, le Sénat voulait en outre qu'en cas d'absence d'un ou de plusieurs membres, on pût désigner par tirage au sort ceux des membres, non-magistrats ou magistrats, qui ne siégeraient pas afin que soient rétablis les équilibres paritaires prévus par la Constitution.
J'ai objecté à cette proposition son caractère probablement anticonstitutionnel : tous les membres de cette instance ayant vocation à y siéger, en exclure certains, même par tirage au sort, me semblait contraire à l'esprit, voire à la lettre de la Constitution.
Les articles 64 et 65 de la Constitution posent la question de l'indépendance des magistrats. Selon l'article 64, en effet, le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et il est assisté dans cette mission par le CSM. Pourtant, aux termes de l'article 65, le Chef de l'État ne préside plus le CSM.
De quels pouvoirs disposera le Président de la République pour assurer cette indépendance ?
Ma deuxième question portera sur la compatibilité entre l'article 65 et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci a estimé en effet, dans son arrêt Medvedyev contre France, que le procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire, notamment en raison de sa subordination au pouvoir exécutif.
Quelle est votre position s'agissant d'un projet qui n'est pas conforme au principe de droit, selon lequel la carrière d'un magistrat ne doit pas dépendre du Gouvernement ou de toute autre institution pouvant laisser douter de son impartialité ?
L'arrêt Medvedyev n'a rien à voir avec la question. Dans cet arrêt, la CEDH conteste le pouvoir d'un membre du parquet de prendre des mesures privatives de liberté, compétence qui relève des juges du siège. Mais l'arrêt ne remet pas pour autant en cause le fait que les membres du parquet soient des magistrats.
Quant au Président de la République, il est le garant du bon fonctionnement des pouvoirs publics, notamment du respect de la séparation des pouvoirs, qui est renforcée par le fait qu'il ne préside plus le CSM. Il lui reste cependant la possibilité de saisir le CSM de questions relatives à l'indépendance de la justice.
Madame la ministre d'État, je voudrais vous mettre en garde contre le risque de paralysie de l'action de la justice et de déstabilisation de l'institution, qui découlerait de la possibilité, même soigneusement encadrée, pour le justiciable de saisir le CSM d'une procédure en cours. On ne peut pas en effet exclure que des justiciables usent de cette possibilité comme d'une manoeuvre dilatoire pour ralentir le cours de la justice. La possibilité pour le CSM d'entendre le justiciable, proposée par M. Vallini, contribuerait encore à rallonger des procédures déjà longues.
Une saisine directe du CSM par un justiciable aurait pour conséquence concrète de jeter la suspicion sur le magistrat en cause en cours de procédure, alors que le manquement invoqué n'est, par hypothèse, pas manifeste puisque la hiérarchie judiciaire n'a pas réagi.
D'autre part, puisqu'on met ainsi sur la table la question de la responsabilité des magistrats et de la saisine du CSM directement par les justiciables, pourquoi ne pas poser également la question de la déontologie des avocats ? Ce sont toutes les parties au procès qui peuvent être concernées, et l'on doit permettre au justiciable de se retourner contre les avocats dont le comportement ne serait pas admissible.
J'ai déjà dit très clairement que je ne laisserai pas mettre en cause la légitimité et l'autorité des magistrats. Il est vrai que l'on entend parfois des propos scandaleux, notamment aux assises. Ce sont en premier lieu les bâtonniers qui doivent être saisis, ces questions relevant des barreaux. Si l'on veut que la justice soit respectée par les citoyens, elle doit aussi être respectée en son sein par ceux qui contribuent à son administration. Si nécessaire, je prendrai les mesures propres à assurer le respect de ce principe.
Les plaintes abusives, quant à elles, peuvent déjà faire l'objet de poursuites en dénonciation calomnieuse.
La séance est levée à 17 heures 15