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Commission des affaires économiques

Séance du 17 décembre 2008 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • ARCEP
  • OGM
  • biotechnologie
  • génétiquement
  • génétiquement modifiés
  • haut
  • numérique
  • scientifique

La séance

Source

Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire

La commission a entendu M. Jean-Luc Darlix, candidat à la présidence du Haut conseil des biotechnologies en vue de l'avis que la Commission doit donner sur cette candidature, en application de l'article L. 531-4 du code de l'environnement introduit par la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux OGM. Un vote à bulletin secret a suivi l'audition.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

C'est la première fois que la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire se réunit pour donner son avis sur une proposition de nomination du gouvernement à la présidence d'un organisme extra parlementaire, en l'occurrence d'une haute autorité indépendante. Nous allons donc procéder de la sorte : à l'issue de la présentation de M. Jean-Luc Darlix et de l'échange que nous aurons avec lui, la Commission se prononcera par un vote à bulletin secret. L'avis qu'elle rendra devra rester confidentiel jusqu'à sa publication au Journal Officiel et la publication du compte rendu de notre réunion.

Avant de passer la parole à l'intéressé, je rappelle que la Commission est saisie sur le fondement de l'article 3 de la loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés qui prévoit que la nomination du président du Haut conseil des biotechnologies intervient après avis des commissions du Parlement compétentes en matière d'agriculture et d'environnement. Afin que chacun ait à l'esprit le cadre général dans lequel le Haut conseil des biotechnologies doit exercer sa mission, je vous donne lecture des dispositions de l'article 2 de la loi, codifié à l'article L. 531-2-1 du code de l'environnement, qui précisent que « les décisions d'autorisation concernant les organismes génétiquement modifiés ne peuvent intervenir qu'après une évaluation préalable indépendante et transparente des risques pour l'environnement et la santé publique. Cette évaluation est assurée par une expertise collective menée selon des principes de compétence, pluralité, transparence et impartialité ». De ces principes découlent une organisation spécifique pour le Haut conseil : celui-ci est en effet composé d'un comité scientifique et d'un comité économique, éthique et social, et il est présidé par « un scientifique choisi en fonction de ses compétences et de la qualité de ses publications ». Le président est membre de droit des deux comités. Son rôle est de transmettre à l'autorité administrative l'avis du comité scientifique en cas d'utilisation confinée d'organismes génétiquement modifiés et l'avis du Haut conseil, lui-même composé de l'avis du comité scientifique et des recommandations du comité éthique, économique et social, en cas d'utilisation d'OGM en milieu ouvert.

PermalienJean-Luc Darlix

Mesdames, Messieurs les députés, je vais tout d'abord me présenter, vous exposer mon parcours professionnel et évoquer ensuite quelques considérations générales sur les manipulations génétiques au niveau moléculaire et la création d'organismes génétiquement modifiés. Marié, père de quatre enfants, de nationalité franco-suisse, je possède des diplômes en chimie générale, chimie organique, physique expérimentale, biochimie, physiologie animale, biologie, microbiologie et physiologie. Je suis titulaire d'un DEA en microbiologie et clinique et d'un doctorat ès sciences naturelles. J'ai tout d'abord travaillé comme ingénieur au commissariat à l'énergie atomique avant d'être chargé de recherches à l'Université de Genève en biologie moléculaire. Plus récemment, j'ai fondé et dirigé l'unité de virologie humaine de l'INSERM et de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon qui travaille notamment sur les virus HIV et EBOLA. Depuis janvier 2003, je suis directeur de recherches à l'INSERM, responsable du Laboratoire des Rétrovirus.

Suite à la levée du moratoire sur les manipulations génétiques et la création d'organismes génétiquement modifiés instaurée par la Conférence d'Asilomar en 1975, j'ai commencé en 1982 à créer des micro-organismes génétiquement modifiés. J'ai notamment travaillé sur le développement des premiers vecteurs lentiviraux : il s'agit de nanosphères très stables que l'on retrouve chez l'homme et chez l'animal mais également chez les plantes et qui sont à la base de la transgénèse moléculaire. Les vecteurs rétroviraux ont notamment été utilisés dans la recherche du fonctionnement neuronal chez la souris. J'ai ainsi à mon actif un grand nombre de publications parues dans des revues de renommée internationale et je suis membre de l'editorial board de « Retrovirology ».

J'ai par ailleurs été membre de la Commission du génie génétique (CGG), présidée par Roland Rosset, à qui je tiens à rendre hommage, qui était chargée de rendre des avis sur l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés. A ce titre, j'ai pu examiner un nombre très important de dossiers ayant trait aussi bien aux plantes qu'aux animaux ou aux bactéries. La mission de la CGG était de proposer à l'autorité administrative les mesures de confinement appropriées pour prévenir les risques liés à l'utilisation des organismes génétiquement modifiés et de délivrer les agréments aux installations utilisant des OGM en milieu confiné. Dans le cadre de l'examen des dossiers soumis à la commission, le rôle de ses membres était plus spécifiquement d'étudier :

– le trinôme transgène-donneur-receveur correspondant au vecteur ;

– les buts de l'utilisation du ou des vecteurs, ainsi que les conditions expérimentales ;

– les buts de l'utilisation de l'OGM ;

– les risques spécifiques afférents à la manipulation de MGM hautement ou extrêmement pathogènes pour l'homme et les animaux (HIV, EBOLA, Influenza H5N1…) ;

– les classements préconisés en fonction dudes gènes vectorisés, du type de vecteur et des éventuels dysfonctionnements physiopathologiques connus ou supposés causés par ces OGM-MGM ;

– la possibilité de dissémination dans le milieu confiné, chez l'utilisateur et dans l'environnement ;

– la possibilité de mobilisation du vecteur par un autre agent pathogène ;

– l'éventualité de modifications de l'expression génique par mutagenèse insertionnelle, recombinaison ou autre.

Précision importante, la CGG émettait également des recommandations de portée générale pouvant être rendues publiques (guide et normes par exemple) et pouvait se saisir ou être consultée par toute personne publique ou privée sur toute question qui se rapporte au génie génétique. J'ai par ailleurs été amené à apporter mon expertise dans le cadre des travaux de la Commission du génie biomoléculaire qui, elle, intervenait dans le cadre des autorisations de dissémination d'OGM au champ à des fins de recherche et de développement ou de mise sur le marché.

S'agissant du Haut conseil des biotechnologies, l'organisation du travail doit être axée autour des échanges entre chaque comité et la présidence ainsi qu'entre les deux comités. Pour assurer le bon fonctionnement du Haut conseil, des moyens humains et matériels suffisants sont indispensables : des salles de réunion, un secrétariat, un budget récurrent et un budget exceptionnel notamment afin de permettre l'organisation de réunions publiques et le recours à des experts extérieurs en particulier étrangers. La question du règlement intérieur est également très importante. Celui-ci devra en effet définir les modalités de nomination et de rémunération des experts ainsi que leur statut. A cet égard, un devoir de réserve sera imposé aux experts sur tous les dossiers examinés. Le règlement intérieur devra également arrêter les procédures d'examen détaillé ou rapide des dossiers qui sont soumis au Haut conseil en fonction des utilisations projetées.

Il me semble par ailleurs que le Haut conseil devra se fixer pour objectif de répondre à un certain nombre de questions pour l'avenir. J'en vois plusieurs :

– la première concerne la multiplication du nombre de vecteurs : à terme on prévoit la production et la commercialisation de 100 000 lentivecteurs ayant un large spectre d'hôtes potentiels ;

– la deuxième porte sur les nouveaux protocoles de transgénèse facilitant la création d'OGM utilisés en milieu confiné. Je pense aux lentivecteurs, aux adénovecteurs, aux AAV, aux baculovecteurs, aux vecteurs mixtes, qui sont tous des vecteurs stables facilement utilisables et en partie commercialisés. Je pense également aux co-cultures de bactéries recombinantes avec les plantes pour générer des plantes génétiquement modifiées avec une grande efficacité. Enfin, je pense aux nanoparticules vectorisant des ADN, des peptides ou de simples molécules pénétrant de façon efficace dans les cellules et les animaux ;

– la troisième est la multiplication des OGM utilisables en milieu non confiné ;

– la quatrième a trait aux modalités de suivi des autorisations délivrées et notamment des agréments délivrés dans le cadre des utilisations confinées d'OGM et de leur respect. Elle implique également la mise en place d'un suivi médical des personnels manipulant des organismes et des micro-organismes génétiquement modifiés ainsi que l'organisation de visites de contrôles sur les sites concernés ;

– enfin, en dernier lieu, la question de l'information du citoyen me paraît cruciale.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Merci. Nous en venons aux questions. Je donne tout d'abord la parole à Antoine Herth, rapporteur sur le projet de loi relatif aux OGM.

PermalienPhoto de Antoine Herth

Le comité scientifique rendra des avis, tandis que le comité éthique, économique et social émettra des recommandations. Comment envisagez-vous l'articulation entre ces deux organes ?

Votre curriculum vitae indique que vous avez des compétences en matière de météorologie : quelle est votre opinion concernant la dissémination et la coexistence ?

S'agissant du calendrier, vous avez listé divers travaux prévisionnels du Haut conseil des biotechnologies ; quand pensez-vous qu'il pourra commencer à rendre des avis et des recommandations ?

Quelle appréciation portez-vous sur l'évolution du débat européen ? Je pense notamment à la question du moratoire français sur le MON810 et aux discussions qui ont récemment eu lieu au sein du Conseil des ministres sur une évolution possible de la réglementation.

Enfin, comment pensez-vous résister au « star system » ?

PermalienJean-Luc Darlix

La science, ce sont d'abord des faits. Mais il existe également un questionnement sociétal, auquel les scientifiques n'ont pas forcément de réponse. Par ailleurs, nous avons besoin de développer une approche multidisciplinaire au sein du comité scientifique et technique, en réunissant des experts aussi bien en génétique que, par exemple, en vaccinologie, domaine essentiel et pourtant fréquemment oublié. Il en va de même au sein du deuxième comité.

Etant météorologue de montagne, mes compétences dans ce domaine ne me permettent pas de répondre d'expérience à votre deuxième question. Cependant je puis vous dire qu'un article paru la semaine dernière dans la revue Nature établit que des pollens ont pu se déplacer sur plusieurs milliers de kilomètres à travers les montagnes mexicaines, ce qui n'est pas sans poser question sur le développement local de certains maïs à très grand rendement.

Le comité scientifique ne devrait pas avoir de mal à rendre ses avis car il s'appuiera en général sur des faits indiscutables – comme la toxicité d'une modification génétique, ou encore sa stabilité. Il procédera comme la Commission de génie génétique.

En revanche, de même que la Commission du génie biomoléculaire était un lieu d'affrontement, on peut penser que l'autre comité aura plus de difficultés à se mettre d'accord sur des recommandations. S'il n'y a pas de majorité, je ferai appel à des experts extérieurs et, si possible, non français. S'il faut trancher, je prendrai mes responsabilités.

S'agissant du calendrier de travail, la Commission de génie génétique et la Commission du génie biomoléculaire se réunissaient à peu près une fois par mois. J'espère que le Haut conseil sera installé avant le mois de mars prochain. De nombreuses questions se posent en effet dans des domaines certes moins connus que le développement du maïs transgénique, mais tout aussi importants. Je pense notamment aux animaux transgéniques ainsi qu'aux micro-organismes génétiquement modifiés, au sujet desquels les chercheurs font encore preuve d'une grande naïveté car, à mon avis, leur pouvoir de dissémination est au moins égal à celui des pollens. Non seulement il est urgent d'installer le Haut conseil et de lui donner des moyens – pour qu'il ne soit pas une coquille vide –, mais il faut aussi développer l'information en direction des chercheurs, qui font parfois preuve d'un certain laisser-aller, ainsi qu'en direction de nos concitoyens – car il faut faire vivre notre démocratie.

S'agissant des évolutions au niveau communautaire, il me semble que des compléments d'information ont été demandés s'agissant du MON 810. Quant à une possible évolution de la réglementation, cela me paraît positif de permettre aux États-membres qui le souhaitent d'adopter des dispositions restrictives.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Les questions suivantes vont vous être posées de manière groupée, je vous demanderai donc d'y répondre globalement.

PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Sachant que, comme vous l'avez rappelé, les pollens peuvent franchir les montagnes, quelle est votre position sur l'expérimentation en plein champ ?

Comment jugez-vous le fonctionnement du comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM, dont vous étiez membre ? Un certain nombre de scientifiques s'étaient désolidarisés de la décision prise au sujet du MON810 : quelle a été votre position personnelle ?

Avez-vous participé à la défense de la position française à Bruxelles à partir du rapport d'Yvon Le Maho ?

L'information, que j'ai lue sur Internet, selon laquelle vous avez été conseiller scientifique de la société privée Transgene, et qui ne figure pas dans votre CV, est-elle exacte ?

Enfin, le fait que vous ne soyez pas médecin vous semble-t-il un inconvénient pour prendre la tête du Haut conseil des biotechnologies, dont le champ de compétences inclut la thérapie génique ?

PermalienPhoto de Claude Gatignol

Pouvez-vous préciser votre conception des biotechnologies ? Selon vous, sont-elles réservées au monde végétal, ou s'étendent-elles au monde animal – sans parler des êtres humains ?

A propos des cultures autorisées, on utilise souvent l'expression « dissémination volontaire » : la faites-vous vôtre, ou préférez-vous parler d'autorisation et de culture en plein champ ?

Que peut-on attendre des biotechnologies dans le domaine médical, tant pour le diagnostic que pour la thérapeutique, ainsi qu'en matière de productions végétales, à vocations alimentaire et énergétique ?

Selon vous, quelle doit être demain la place des OGM, sachant qu'on en cultive aujourd'hui 150 millions d'hectares dans le monde ? Considérez-vous qu'il existe des organismes génétiquement améliorés ?

Que pensez-vous de l'usage de la transgénèse comme alternative à celui des molécules phytopharmaceutiques ?

PermalienPhoto de André Chassaigne

Mes premières questions concernent l'indépendance du Haut conseil vis-à-vis des sociétés privées intéressées par le développement des biotechnologies. Avez-vous eu personnellement des liens avec ce type d'entreprises au cours des dernières années ? S'agissant du choix des membres du Haut conseil, souhaitez-vous un équilibre entre chercheurs publics et chercheurs privés ? De même, les experts extérieurs dont vous parlez devront-ils selon vous venir du privé ou du public ?

S'agissant du fonctionnement du Haut conseil, pensez-vous que les deux comités doivent travailler de façon autonome, ou bien envisagez-vous des réunions communes afin de favoriser un questionnement des scientifiques par la société civile ? Considérez-vous que les recommandations du comité éthique, économique et social pourraient influencer les avis du Haut conseil ?

Enfin, de quelle façon vous semble-t-il possible de respecter les productions sous signe de qualité « sans OGM », sur lesquelles l'Assemblée nationale avait voté un amendement qui est désormais pour partie repris dans les orientations définies au niveau européen ?

PermalienPhoto de Christian Jacob

Pourriez-vous nous dire si vous êtes l'auteur de publications scientifiques sur les biotechnologies végétales ?

Comment analysez-vous l'impact de celles-ci sur l'utilisation des pesticides et sur la consommation d'eau ?

Enfin, j'aimerais moi aussi que vous nous apportiez quelques précisions sur la façon dont vous envisagez l'articulation entre les deux comités du Haut conseil.

PermalienPhoto de Pierre Lang

Ne pensez-vous pas qu'il existe des organismes génétiquement modifiés depuis bien longtemps, même si l'appellation est récente ? Même s'il ne s'agissait pas de modifications génétiques par introduction de fragments d'ADN dans des organismes, on aboutissait en effet au même résultat quand on pratiquait la sélection des semences par diverses méthodes, par exemple après exposition aux rayons X ou UV.

Ne pensez-vous pas que la réglementation actuelle risque avant tout de tuer la recherche agricole en France, au profit d'autres pays ? Ce serait d'autant plus ridicule que la « pollution » par les gènes ne s'arrêtera pas plus aux frontières que le rayonnement de Tchernobyl.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

J'attends moi aussi des précisions sur la manière dont vous envisagez les relations entre les deux comités. Lors du débat législatif, nous avions beaucoup insisté sur la nécessité de les établir clairement dans le règlement intérieur. Or cela n'apparaît pas dans la présentation que vous avez faite.

Vous êtes un scientifique reconnu en matière de virologie ; toutefois, votre CV ne fait pas mention de publications dans le domaine des biotechnologies végétales, premier objet de la loi sur les OGM. Qu'en est-il exactement ?

S'agissant de l'utilisation d'OGM en milieu confiné, votre position est claire. En revanche, j'aimerais connaître votre point de vue sur les essais en plein champ. Considérez-vous, ou non, que c'est une étape obligée dans la recherche et la mise au point de variétés génétiquement modifiées ?

Selon vous, la coexistence entre les cultures traditionnelles ou « bio » et les cultures « OGM » est-elle possible ? Si oui, à quelles conditions ?

Enfin, le comité d'experts de l'Autorité européenne de sécurité des aliments a estimé, dans un avis rendu public le 31 octobre dernier, que les éléments fournis par le Gouvernement français ne justifiaient pas l'activation de la clause de sauvegarde à l'encontre du MON810. Entre les avis des experts français et ceux des experts européens, nous sommes un peu perdus : quel est votre avis personnel sur cette question précise ?

PermalienJean-Luc Darlix

Le comité scientifique me paraît devoir fonctionner comme la Commission de génie génétique, c'est-à-dire en recevant des dossiers détaillés sur lesquels il émettra des avis. Le « plus » qu'il devra apporter, c'est l'instauration d'un suivi des agréments délivrés, qui fait actuellement défaut. L'autre comité émettra pour sa part des recommandations. Bien entendu, sur les questions majeures, qu'il s'agisse du maïs ou du riz génétiquement modifiés, ou même des animaux génétiquement modifiés, il faudra que les deux comités se réunissent pour débattre. J'essaierai de faire la synthèse des recommandations et des avis, et s'il faut trancher, je le ferai. Si les points de vue sont trop divergents, je ferai appel à des avis extérieurs.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Permettez-moi de vous interrompre car c'est un point fondamental. La loi dispose que l'avis du Haut conseil des biotechnologies est composé de l'avis du comité scientifique et des recommandations du comité éthique, économique et social. Il n'y a donc pas lieu de faire de synthèse ni de trancher. Or, ce n'est pas du tout ce que vous venez de dire.

PermalienJean-Luc Darlix

Je me suis peut-être mal exprimé. Au sein de la Commission de génie génétique et de la Commission du génie biomoléculaire, où s'exprimaient différents experts, on procédait à une synthèse. De même, dans le cadre du Haut conseil, je ferai la synthèse des avis émanant de comité scientifique et la synthèse des recommandations émanant de l'autre comité, sans bien sûr faire d'amalgame entre les deux.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Le président du Haut conseil n'a pas à se substituer aux comités, dont le rôle est clairement établi par la loi.

PermalienJean-Luc Darlix

Concernant mon parcours personnel, j'ai effectivement été pendant cinq ans, jusqu'en 2000, membre du comité scientifique de Transgene, une entreprise de biotechnologies dont les travaux ont permis le développement de vecteurs à destination des animaux et des humains. J'avais également, auparavant, été expert auprès d'Elf Biorecherche, et, plus récemment, auprès de Sanofi Pasteur pour des vaccins recombinants contre la grippe, mais je ne le suis plus depuis deux ans.

Mais j'ai également été expert auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Dans le cadre de ces fonctions, j'ai d'ailleurs pu constater les limites de l'utilisation des OGM ou des micro-organismes génétiquement modifiés. Par exemple, dans le cas des « enfants bulles », que j'ai eu à connaître en tant qu'expert, l'apparition de leucémies, dont deux enfants sont morts, a ainsi conduit à l'arrêt des essais.

Il est exact que je ne suis pas médecin. J'ai néanmoins poursuivi mes études de médecine à Paris jusqu'à la cinquième année ; j'ai alors décidé, de mon plein gré, de me réorienter vers la recherche fondamentale en virologie.

S'agissant du comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM, celui-ci n'a pas toujours travaillé dans des conditions faciles car les experts étaient très nombreux et leurs avis très tranchés. J'ai essayé de raisonner les uns et les autres, de faire en sorte que les généticiens travaillent avec les environnementalistes, et les agronomes et les agriculteurs avec les scientifiques. J'estime en effet que si l'on parvient à réellement échanger les points de vue, on peut toujours arriver à un accord. Sur le rôle tenu par Jean-François Le Grand, j'estime que celui-ci a exposé l'avis général du comité ; pour ma part, je n'ai pas signé la prise de position publiée par certains collègues contre cet avis, d'abord parce que je voulais respecter mon devoir de réserve, ensuite parce que j'ai estimé que l'avis général devait prévaloir sur les avis personnels.

Quant à mon indépendance à l'égard des entreprises de biotechnologies, il va de soi que je ferai en sorte de l'assurer. Je suis bien conscient que ces grandes firmes sont en train d'acquérir une puissance redoutable, non seulement aux Etats-Unis mais également au niveau européen et mondial. L'indépendance du Haut conseil des biotechnologies est absolument essentielle. Toutefois, elle dépendra aussi des moyens qui lui seront accordés.

Concernant mes travaux dans le domaine végétal, j'ai été le premier à mettre au point, à Genève, des vecteurs de biotechnologie végétale. Mais je n'ai pas continué à travailler dans ce domaine parce qu'on ne peut pas explorer toutes les voies en même temps ; j'ai préféré me consacrer à la recherche sur les virus, lesquels concernent aussi bien les plantes que les animaux et les bactéries.

En ce qui concerne la dissémination en plein champ, je veux d'abord rappeler que les croisements impliquent l'adaptation de l'animal ou du végétal à son environnement – la terre, l'eau ou l'air. Ils ne datent pas d'aujourd'hui : on en parlait déjà du temps des Romains, et même des Egyptiens. Nous effectuons un saut technologique en introduisant dans des plantes ou des animaux des gènes qui vont les faire croître, le cas échéant aux dépens des autres organismes. J'ignore les conséquences qui en résulteront en matière d'alimentation humaine et d'environnement. Tout récemment, une Américaine qui défendait farouchement les organismes et les plantes génétiquement modifiés a totalement changé d'avis au vu de certains résultats. Pour ma part, j'étudie aussi les nouvelles publications, mais je reste persuadé qu'à titre expérimental, il faut autoriser des cultures en plein champ, bien encadrées, bien localisées, afin d'évaluer leur impact sur l'environnement.

Sur l'avenir de la recherche, j'estime que si le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche investissait davantage dans la recherche en biotechnologies, notamment dans le domaine des nanoparticules, qui peuvent véhiculer des médicaments ou de l'ADN, nous serions probablement bien plus avancés qu'aujourd'hui. Parallèlement, certaines firmes privées réalisent des efforts considérables, à l'image de Sanofi-Aventis et de Transgene, mais nous péchons au niveau des laboratoires, qui manquent de moyens. Néanmoins, la France est loin d'être en retard en matière de recherche sur les micro-organismes génétiquement modifiés et les OGM.

J'en viens aux progrès qui peuvent être attendus des OGM dans le domaine médical. Tout le domaine de la vaccinologie est concerné, mais je pense en particulier au sida et à l'hépatite C. Pour le HIV, des vecteurs recombinants ont déjà été expérimentés sur deux cohortes aux Etats-Unis et au Canada, mais la cohorte vaccinée s'est malheureusement révélée davantage exposée aux risques d'infection que l'autre. La question reste donc en suspens. Si l'on veut aboutir, je crois qu'il faut revenir à la recherche fondamentale en vaccinologie et en immunologie.

S'agissant de l'énergie, nous sommes en pleine incertitude, le coût du baril du pétrole étant passé de 150 à moins de 50 dollars. L'intérêt de l'essence « verte » varie avec ces fluctuations. Les constructeurs automobiles et les professionnels du bâtiment ont encore des efforts technologiques immenses à réaliser, mais ce sujet n'entre pas dans mon champ de compétences. Je peux néanmoins vous dire que le projet de moteur à basse consommation pour lequel mon fils a plaidé pendant bien longtemps chez Renault est aujourd'hui brutalement ressorti des cartons !

Pour ce qui est de l'usage des pesticides et des herbicides, il n'y a pas lieu d'opposer les cultures traditionnelles et les OGM. A cet égard, il faut rappeler que le MON810, par exemple, ne permet pas de se dispenser de ces produits.

La question de la consommation d'eau est en revanche très intéressante. Nous savons que certaines plantes d'Afrique sont très économes en eau et les recherches ont montré que cet état est lié à un facteur multigénique : c'est une série de gènes, commandant tant les racines que les feuilles et les fruits, qui intervient dans la moindre consommation. J'espère que grâce à la biotechnologie et aux croisements, on parviendra à utiliser à grande échelle ces plantes à moindre consommation d'eau, voire consommant de l'eau salée, comme il en existe en Afrique orientale. Mais il faut commencer par travailler en amont, pour trouver les gènes concernés, en vue de les cloner et de les introduire dans d'autres plantes. C'est un domaine de recherche qui me semble essentiel.

S'agissant enfin des appellations d'origine contrôlée, qui constituent un atout majeur pour notre économie, je pense qu'il faudrait en étendre l'utilisation, en particulier dans le secteur de l'élevage.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Je vous remercie.

Après une brève suspension de séance demandée par M. François Brottes, la Commission, se prononçant par un vote à bulletin secret, émet, à la majorité de 35 voix contre 1 sur 37 votants et 36 suffrages exprimés, un avis défavorable à la nomination de M. Jean-Luc Darlix à la présidence du Haut conseil des biotechnologies.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

J'indique que le Sénat a également rendu un avis défavorable hier soir.

Puis la Commission a entendu M. Jean-Claude Mallet, candidat à la présidence de l'ARCEP en vue de l'avis que la Commission doit donner sur cette candidature, en application de l'article L. 130 du code de la Poste et des télécommunications. Un vote à bulletin secret a suivi l'audition.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Monsieur le Conseiller d'État, le Gouvernement propose votre nomination à la présidence de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Dans le cadre d'une procédure nouvelle, la commission des affaires économiques doit donner son avis. Je vous propose donc de présenter votre candidature de la façon qui vous conviendra, après quoi nous vous poserons des questions. À l'issue de la séance, un vote aura lieu à bulletin secret.

Notre commission connaissant très bien l'ARCEP, sur laquelle elle a beaucoup travaillé depuis cinq ans, il est inutile de revenir sur son rôle, son fonctionnement ou les modalités de désignation de ses membres. Je vous laisse donc la parole.

PermalienPhoto de Jean-Claude Viollet

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir ce matin. Avant d'aborder les questions de fond relatives à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, permettez-moi de dire quelques mots sur cette audition elle-même.

Ma présence ici est très directement liée à l'activité du législateur : la loi de 2007 dispose en effet que le président de l'ARCEP est nommé après avis des commissions compétentes du Parlement ; cette audition est aussi, en quelque sorte, l'application par anticipation du nouvel article 13 de la Constitution. Il est bon pour la démocratie qu'un certain nombre de responsables de haut niveau, à l'intérieur ou autour de l'appareil d'État, ne soient nommés qu'après consultation de la représentation nationale ; à titre personnel, je m'en réjouis beaucoup. C'est la première fois que je me présente devant votre commission, même si j'ai déjà eu l'occasion, au titre de mes fonctions antérieures, de venir devant d'autres commissions du Parlement. Lorsque j'étais président de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, j'ai milité pour que les pouvoirs du Parlement soient renforcés dans plusieurs domaines clés, comme les opérations extérieures ou le contrôle des accords de défense. Il me paraît essentiel – j'y reviendrai – qu'un dialogue s'instaure entre l'appareil d'État, au sens large, et le pouvoir législatif.

J'ai pour ma part abordé la question des télécommunications par un biais inhabituel, celui de la sécurité et des enjeux stratégiques. En travaillant sur les conséquences de la mondialisation en matière de défense et de sécurité, il m'est apparu de façon évidente que les questions liées à la révolution numérique et aux réseaux étaient fondamentales pour la sécurité du pays et de l'Europe. En 1994, lorsque j'étais rapporteur de la commission du Livre blanc présidée par M. Marceau Long, il y avait 100 000 internautes ; quand le Président de la République m'a confié la préparation du nouveau Livre blanc, il y en avait plus d'un milliard et demi : nous avions, si je puis dire, changé de planète. Le positionnement de la France dans ce bouleversement est essentiel ; et pour moi, le rôle de l'ARCEP ne se limite pas au domaine étroit des télécommunications mais doit s'étendre, plus globalement, aux questions liées à la révolution numérique.

Dans ce domaine, les questions de sécurité – sur lesquelles je me suis donc un peu spécialisé jusqu'à présent – ne sont pas sans importance. Un de vos collègues du Sénat, M. Retailleau, insiste d'ailleurs dans un rapport sur les fonctions nouvelles que la loi de 2004 assigne, en matière de sécurité, à l'ARCEP comme au ministre chargé des télécommunications. C'est un sujet fondamental, compte tenu des risques d'une utilisation malveillante ou d'un blocage des réseaux.

Par ailleurs, si l'ARCEP est une autorité administrative indépendante, selon l'expression juridique forgée il y a une trentaine d'années, c'est une autorité de l'État. Cette institution constitue un élément de la puissance publique, l'un des instruments par lesquels une politique – et d'abord le cadre législatif qui est défini par le Parlement – est mise en oeuvre. Cette appartenance à la sphère étatique me rend à l'aise pour aborder la fonction, car mon métier, c'est l'État.

Enfin, le président de l'ARCEP est celui d'un collège. Or le Conseil d'État a l'habitude de la collégialité, comme vous l'avez vous-mêmes. Je reviendrai sur cet aspect important du processus de décision.

Mais je voudrais évoquer maintenant les grands enjeux auxquels l'ARCEP est confrontée, les défis immédiats et à moyen terme à relever, et enfin son positionnement.

Le premier des quatre grands enjeux que l'on peut distinguer est la croissance et la compétitivité. Vous êtes, beaucoup plus que moi, familiers de ces questions. Vous savez que les technologies de l'information et de la communication représentent un quart du taux de croissance de notre PIB et ont un grand impact sur la compétitivité économique ; l'enjeu est donc très important en termes de croissance, de politique industrielle, de recherche et de consommation. Mais notre niveau d'investissement et de recherche reste inférieur à celui des États-Unis et de certains pays asiatiques. Certes nous avons des acteurs extrêmement forts, tels France Telecom ou Vivendi, mais j'ai été frappé de constater que notre vision reste très hexagonale. Cela peut s'expliquer par des raisons de fond : c'est à juste titre qu'on parle de « boucle locale », d'attention portée au consommateur, d'équipement des citoyens et des collectivités locales ; mais tout cela s'inscrit dans une compétition internationale, dans laquelle la France et plus généralement l'Europe doivent se placer le mieux possible.

Le deuxième grand enjeu me paraît être la solidarité. Ce terme recouvre à mes yeux les questions d'aménagement du territoire, de taux de couverture, de service universel. Ainsi, on ne peut accepter, dans un pays comme la France, que 550 000 lignes téléphoniques soient exclues du haut débit. L'accès universel est un enjeu fondamental, et nous devons mobiliser toute notre créativité pour résoudre ce problème – sans pour autant utiliser n'importe quel modèle économique ou technologique ; la loi et les règlements fixent d'ailleurs des échéances, notamment en 2009. Les tarifs sociaux constituent un autre élément important de la solidarité. S'agissant de l'aménagement du territoire, autre aspect essentiel, il est évidemment absurde, comme j'ai pu le lire dans la presse, de me prêter au motif de mon parcours l'intention d'appliquer au secteur des télécoms ce qui a été fait dans celui de la défense.

Troisième enjeu : la dimension internationale. Il s'agit tout d'abord du niveau européen, notre droit national étant encadré par la norme européenne – à l'élaboration de laquelle, faut-il le rappeler, nous participons largement. Ainsi, au dernier semestre, un débat a eu lieu sur le rôle qu'il faudrait confier à un régulateur européen ; pour ma part, eu égard à la situation des différents pays, je considère qu'il ne serait pas raisonnable d'en créer un pour le moment. Un équilibre a été trouvé sous présidence française ; nous verrons ce qu'il adviendra en 2009, mais il me paraît évident qu'il faut mettre de l'ordre chez soi avant d'aller plus loin.

Cela ne signifie pas que le niveau européen ne représente pas un enjeu fondamental. On le voit bien au sujet de l'attribution des fréquences ou de la normalisation, domaines dans lesquels il est impératif de développer des capacités européennes. À cet égard, l'élaboration de la norme GSM fait figure de référence historique, mais tout le monde pense déjà à la prochaine norme. Qu'il s'agisse de l'avenir du dividende numérique, des sous-bandes, ou plus largement de l'avenir des télécommunications mobiles, l'Europe constitue un horizon naturel.

Au niveau mondial, les compétiteurs sont Google, de grands opérateurs chinois et quelques Européens – pas beaucoup. La France doit donc adopter une stratégie internationale si elle veut se développer dans le domaine numérique, non seulement en Europe, mais aussi dans les futures zones de croissance comme l'Afrique. L'ARCEP a un rôle à jouer pour favoriser la compétitivité des entreprises françaises sur la scène internationale.

Le dernier enjeu, celui de la sécurité, n'a jusqu'à présent pas fait l'objet d'une intense mobilisation, ni au ministère, ni à l'ARCEP. La loi de 2004 oblige pourtant à traiter la question de l'intégrité et de la fiabilité des réseaux d'une part, du rôle de ces réseaux en matière de sécurité publique et de défense d'autre part. De leur côté, les opérateurs ne se préoccupent que de leur propre protection. Or le déni d'accès à Internet et aux réseaux de télécommunications serait une catastrophe. Il est donc indispensable, en amont, de développer une capacité de résistance ou de résilience des réseaux ; cela doit, à mon sens, être inscrit dans l'agenda du président de l'ARCEP – en coordination, bien entendu, avec le pouvoir exécutif et avec le pouvoir législatif, qui veille à l'application des objectifs qu'il a fixés dans la loi.

J'en viens aux défis immédiats et à moyen terme.

Le premier concerne la couverture, le service universel et, plus généralement, l'accès aux réseaux. Comme nous ne pouvons pas tout faire en même temps, il faut fixer des priorités, la première étant de permettre l'accès au haut débit à tous ceux qui en sont privés. L'année 2009 représentera une étape importante dans le processus de couverture du territoire, qu'il s'agisse du haut débit fixe ou des obligations des opérateurs dans le domaine mobile, notamment pour la troisième génération. La couverture totale constitue l'objectif à atteindre. La diversité des technologies disponibles – y compris le satellite –, celle des acteurs, et les obligations imposées aux opérateurs doivent nous y aider.

Le numérique évolue extrêmement vite, comme en témoigne le succès de l'iPhone. Le deuxième défi consiste donc à être présents sur les secteurs nouveaux. Les deux grands dossiers actuels sont le déploiement de la fibre et les nouvelles générations de téléphonie mobile. La fibre représente un investissement de 30 à 40 milliards d'euros dans les dix ans à venir, mais son modèle économique n'est pas encore ajusté, ce qui incite à la prudence ; il faut déterminer qui va en bénéficier, à quel rythme et comment. L'important est que les investissements soient lancés – je rappelle que 84 % des foyers japonais sont déjà raccordés à la fibre, contre seulement 2,5 % en France. Quant à la téléphonie mobile, elle doit se préparer à l'arrivée de la quatrième génération, celle de la norme long term evolution. Ces deux chantiers vont de pair, car la convergence fixemobile est déjà une réalité. Leur enjeu est non seulement économique, mais aussi social et politique.

De la convergence fixemobile et de l'évolution très rapide des technologies, je tire la conclusion que l'ARCEP doit être présente non pas seulement sur l'ancien périmètre des télécoms, au sens où on l'entendait dans les années 1970 et 1980 et jusqu'aux débuts de l'ART, mais, plus globalement, sur le terrain du numérique. Et si j'avais une demande à exprimer aujourd'hui auprès de votre commission, ce serait de nous aider pour cela, car il en va de la présence de la France dans le domaine du numérique, dans lequel elle doit être en mesure de définir une stratégie.

Nous avons également à relever un défi européen. J'ai dit que je n'étais pas favorable à la mise en place d'une autorité de régulation, mais il me paraît en revanche crucial d'être présents sur le champ européen en amont, pendant et en aval de l'expression du droit européen. Ce serait l'une de mes préoccupations principales.

Enfin, il faut trouver un équilibre entre le marché, la consommation et l'industrie, même s'il peut évoluer dans le temps. Il reste des choses importantes à faire en direction du consommateur : il est anormal, par exemple, compte tenu de l'explosion de l'usage du SMS, que son prix n'ait, selon la Lettre de l'ARCEP, pas bougé depuis 2005. C'est un sujet d'autant plus fondamental que le comportement du consommateur est un facteur déterminant de la modernisation et de la compétitivité du pays. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faut s'orienter dans une direction exclusivement consumériste ; nous devons aussi conduire une politique industrielle.

Quelques mots à propos de La Poste, dont je n'ai pas encore parlé et qu'il faut inclure dans les défis immédiats et à moyen terme, d'abord parce que la libéralisation va intervenir le 1er janvier 2011. Le rapport final de la commission présidée par M. Ailleret sur l'avenir de La Poste est remis aujourd'hui au Premier ministre. Dans ce domaine, nous sommes à la croisée des chemins : le volume de courrier se réduit fortement, tandis que s'accroît la compétition pour le transport des colis ; de multiples questions se posent sur le rôle de la Banque postale, sans parler de celui des 17 000 points de contact en matière d'aménagement du territoire. La Poste constitue donc un vrai sujet pour l'Autorité, en particulier en ce qui concerne les obligations de service public et le service universel.

Enfin, au sujet des relations de l'ARCEP avec les autres acteurs, deux conceptions sont possibles. La première, qui a sa légitimité, consiste à conserver l'ancien périmètre des télécommunications, qui gouverne encore en partie l'articulation entre les autorités. La deuxième est d'étendre son champ d'intervention au domaine du numérique. C'est cette dernière conception qui a ma préférence. Si je suis nommé, je tenterai donc de faire de l'ARCEP un des acteurs majeurs dans la définition d'une stratégie française dans le domaine du numérique.

En répondant à vos questions, je reviendrai, si vous le souhaitez, sur les relations de l'ARCEP avec les autres grands acteurs tels que le Conseil de la concurrence, le CSA et l'Agence nationale des fréquences. Mais je veux insister sur la relation que je souhaiterais voir s'établir dans l'avenir entre cette autorité administrative indépendante et le Parlement. Au moment de la production de la norme, mais aussi à celui de son application et de son interprétation, il me semble qu'un dialogue fructueux peut s'instaurer entre votre commission et le collège de l'ARCEP. Votre connaissance du terrain et l'insertion de votre commission dans le cadre politique général seraient en effet des atouts pour l'Autorité telle que je la conçois.

De même, je trouverais utile que l'ARCEP noue des relations avec l'industrie, et que son action puisse s'appuyer sur un éclairage scientifique et technologique. Un conseil d'orientation scientifique pourrait jouer ce rôle.

Je reviens pour terminer sur le caractère collégial des décisions de l'ARCEP, facteur important de crédibilité auprès des acteurs du marché. J'y suis très attaché, sans penser pour autant que le collège n'a pas vocation à être dirigé – car c'est justement le rôle du président. La collégialité doit fonctionner pour organiser des forums ou des auditions, mais aussi, le cas échéant, pour prendre des sanctions : ce pouvoir de sanction ne doit pas être brandi à tout moment, mais il ne doit pas non plus tomber en désuétude.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Merci.

Nous en venons aux questions, et je voudrais pour ma part en formuler quelques-unes.

J'ai le souvenir d'échanges tendus dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, résultant du fait que, la clause de confidentialité n'ayant pas été respectée, la position personnelle de tel ou tel membre de l'Autorité avait pu faire l'objet de commentaires dans les médias. Nous avons modifié la loi afin de réduire le risque qu'une telle situation se reproduise, mais j'aimerais connaître votre avis sur ce point car il y va, me semble-t-il, de la réussite de l'exercice collégial et de la crédibilité d'une institution que nous avons, je le rappelle, le devoir de contrôler.

Quelle peut être la place de l'État dans un marché postal entièrement ouvert à la concurrence ? Alors que la commission sur l'avenir de La Poste arrive au terme de ses travaux, je serais intéressé de connaître votre avis personnel sur ce sujet.

Comment concilier la nécessité de doter notre pays de groupes de télécommunications puissants et l'intérêt des consommateurs ? Nous restons partagés sur ce point car, bien sûr, nous souhaitons que ces groupes existent, mais nous ne voulons pas qu'ils se constituent au détriment du consommateur, obligé de subir l'effet sur les tarifs de situations de quasi-monopole.

Enfin, vous avez exercé des responsabilités dans le domaine de la sécurité. Un décret d'application de la loi de modernisation de l'économie, relatif à la connaissance des réseaux, doit être prochainement publié. Il devra concilier les exigences de sécurité nationale et de protection des données stratégiques et l'accès des collectivités territoriales aux informations relatives aux réseaux de communication qui se trouvent dans leur ressort. Selon vous, comment cette conciliation est-elle possible ?

PermalienPhoto de François Brottes

J'ai cru un moment, monsieur Mallet, que vous n'alliez pas parler de La Poste : c'est pourtant loin d'être un petit dossier.

J'ai été surpris de vous entendre parler d'État à propos de l'ARCEP. Jusqu'à présent, les régulateurs étaient plutôt présentés comme des entités totalement indépendantes de l'appareil d'État et ayant à peine des comptes à lui rendre, dans un contexte où le marché est supposé régler les problèmes d'aménagement du territoire ou de service rendu au consommateur. Vos propos semblent traduire la volonté de redonner à l'État – et donc aussi au Parlement – un droit de regard sur ces questions. Il faut dire que la gestion de certains dossiers n'a pas toujours été une réussite. C'est le cas par exemple pour le Wimax, qui n'est toujours pas déployé, mais sur lequel certains continuent à spéculer et font fortune.

Hier soir, l'Assemblée débattait de la taxation des entreprises de télécommunications pour financer l'audiovisuel public. Sans entrer dans le débat politique sur le sujet, j'aimerais savoir comment vous envisagez les questions de convergence entre contenu et contenant. Quelle doit être, selon vous, la répartition des rôles entre l'ARCEP et le CSA, notamment sur la question du dividende numérique ? Il me paraît urgent de clarifier les choses, la question étant beaucoup plus prégnante que lors de la nomination de votre prédécesseur.

Dans le domaine des télécommunications, les opérateurs existants tendent à être protégés. Mais surtout, alors qu'ils se font une concurrence exacerbée dans les zones denses, ils délaissent les zones moins intéressantes en termes de marché publicitaire ou de potentiel d'abonnements. Or jusqu'à présent, et malgré les amendements adoptés sur ce sujet, souvent à l'unanimité, aucun régulateur ne s'est vraiment intéressé aux citoyens des zones rurales ou de montagne, lesquels n'ont pas seulement les mêmes devoirs, mais aussi les mêmes droits que le reste de la population. Qu'il s'agisse de courrier électronique ou de courrier tout court, c'est la vie quotidienne des gens et des entreprises qui est en cause.

Enfin, vous avez évoqué la Banque postale, mais sa régulation ne me paraît pas véritablement du ressort de l'ARCEP.

PermalienPhoto de Laure de La Raudière

Monsieur le conseiller d'État, j'apprécie beaucoup votre conception du rôle de l'ARCEP, dont l'action, en effet, ne doit pas se cantonner au domaine des télécommunications.

Mes préoccupations rejoignent celles de M. Brottes en ce qui concerne la convergence entre médias et télécommunications. Aujourd'hui, dans notre pays, la réglementation comme l'organisation de la décision politique tendent à séparer le contenu et le réseau. On a vu lors de l'examen du projet de loi sur l'audiovisuel les limites de cette séparation, d'autant que les acteurs du secteur forcent à une réflexion sur la convergence, qu'il s'agisse de Google, d'Apple avec l'iPhone ou de France Telecom, qui investit dans les médias. Certains d'entre eux n'ont pas de régulateur, alors qu'ils représentent des enjeux économiques énormes, ayant la capacité de racheter des opérateurs nationaux ou européens. Une réflexion s'impose sur le sujet, en France et au niveau de l'Union. L'Europe a d'ailleurs une régulation unique pour les médias et les télécoms, ce qui rend plus malaisée la transposition de certaines directives dans le droit français. Ne faudrait-il pas fondre l'ARCEP et le CSA en un régulateur unique, dont la compétence serait transversale ? Cela permettrait de régler les conflits d'intérêt entre le monde de l'audiovisuel et celui des télécommunications et de favoriser la convergence industrielle, source de développement économique.

Vous avez beaucoup insisté sur la couverture du territoire par l'ADSL, question à laquelle nous sommes très sensibles. L'ARCEP doit pleinement s'en saisir – même si elle n'a pas démérité dans ce domaine, l'équipement en haut débit de notre pays étant le plus important d'Europe. Elle doit rester leader européen, afin que la France puisse peser sur les décisions de l'Union. Il faudrait aussi qu'elle utilise son pouvoir de sanction si par hasard les opérateurs de téléphonie mobile 3G ne tenaient pas leurs engagements de couverture en juin 2009.

Je note que vous n'avez pas évoqué la question, qui est pourtant d'actualité, d'un quatrième opérateur de téléphonie mobile.

Enfin, je me réjouis que vous ayez placé les notions de compétitivité et de performance économique parmi les enjeux les plus importants. Nous avons besoin de champions mondiaux dans le secteur des technologies de l'information et de la communication. Pourquoi des entreprises innovantes comme Dailymotion n'ont-elles d'autre destin que d'être revendues à des entreprises américaines ? Pourquoi ne sont-elles pas elles-mêmes capables de racheter d'autres entreprises afin d'acquérir une position mondiale ?

PermalienPhoto de Alfred Trassy-Paillogues

Je ne reviens pas sur ce qui a été dit à propos de la couverture du territoire, mais il me semble essentiel d'établir un diagnostic : il faut faire le point sur ce qui existe et ce qui n'existe pas, ce qui est possible et ce qui ne l'est pas.

J'aimerais connaître votre avis sur le plan « Numérique 2012 ». Comment comptez-vous vous inscrire dans cette démarche ?

Si votre nomination est confirmée, quelles seraient vos premières décisions pour imprimer votre marque à l'Autorité et lui faire jouer un rôle plus dynamique ?

PermalienPhoto de Claude Gatignol

S'agissant de la couverture du territoire, je voudrais signaler que nos lignes ferroviaires en sont totalement exclues. Vous aurez sans doute, en tant que président de l'ARCEP, à régler le contentieux qui en découle entre collectivités locales, opérateurs et transporteurs ; les chefs d'entreprise souhaitant utiliser le train pour leurs déplacements considèrent que cela entraîne un déficit de compétitivité.

Vous avez évoqué les besoins de financement, qui sont considérables. L'ARCEP doit-elle selon vous donner son avis sur le choix des financeurs ?

Dans un domaine particulier comme le suivi médical, les réseaux peuvent permettre à la sécurité sociale de réaliser d'importantes économies. Ferez-vous de ce type de services un champ spécifique de l'action de l'Autorité ?

PermalienPhoto de Jean-Claude Viollet

On m'a posé une série de questions sur le positionnement de l'ARCEP par rapport aux questions de convergence. Je note que M. Besson a annoncé pour l'année prochaine le lancement d'une réflexion du Gouvernement sur le problème général des relations entre autorités de régulation, notamment dans le domaine des communications électroniques. Il convient donc d'en attendre les résultats, même si l'ARCEP a son mot à dire. Je ne vois pas comment nous pourrions nous passer d'une réflexion sur les conséquences de la convergence entre fixes et mobiles, contenants et contenus, sauf à nous laisser bien vite dépasser sur la scène mondiale. Nous devons éviter que l'organisation des autorités de régulation ne constitue un frein pour le secteur. Or il y a deux types de métier : d'un côté, ce qui relève de la protection des libertés publiques ; de l'autre, tout ce qui a trait à l'équipement, à l'industrie, aux conditions nécessaires au fonctionnement du marché. Entre ces deux métiers distincts, je ne suis pas sûr que les frontières actuelles soient les bonnes : ainsi, un sujet aussi fondamental que celui des fréquences – j'ai réalisé son importance lorsque je travaillais au secrétariat général de la défense nationale – relève de trois autorités indépendantes différentes. Nous devons donc trouver la meilleure articulation possible entre les différentes institutions. Un dialogue sera nécessaire pour adapter le système, qui devra être suffisamment souple pour accompagner les accélérations que connaît régulièrement le secteur du numérique et, le cas échéant, les anticiper.

Vous m'avez interrogé, monsieur le président, sur la confidentialité du processus de décision. Pour moi, les choses sont parfaitement claires : les débats doivent rester confidentiels. La décision est élaborée de façon collective, ensuite le président l'incarne. J'entends que la discussion soit totalement libre à l'intérieur du collège et que la solidarité soit totale à l'extérieur. Nous ne sommes pas à la Cour suprême des Etats-Unis, et il n'est pas question d'envoyer des signaux contradictoires à un marché qui a besoin d'y voir clair.

J'avoue être un novice en ce qui concerne le secteur postal, mais je ne suis pas sûr que le marché pourra se substituer à La Poste pour une grande part de ses activités. De toute évidence, il se pose un énorme problème de modernisation et de positionnement du service postal, auquel je ne sais pas aujourd'hui comment il faut répondre. Je ne vois pas comment l'État pourrait se désintéresser totalement du secteur, même si les exemples étrangers montrent que l'ouverture à la concurrence est un aiguillon pour la modernisation du service postal et pour l'amélioration du service rendu au citoyen. Ce sujet fait partie de ceux que l'ARCEP doit traiter, mais je ne le connais pas encore suffisamment pour avoir une position arrêtée.

Quant à l'équilibre entre le développement des groupes et l'intérêt des consommateurs, il se construit en permanence. Il doit s'adapter à l'évolution du marché et tenir compte de ce qui se passe au niveau international. Il faut se soucier du consommateur et éviter qu'il pâtisse de l'existence de monopoles, d'oligopoles ou d'ententes, mais il est également impératif de permettre l'émergence de champions de niveau international. Et il faut laisser de l'oxygène au secteur du numérique, qui évolue à très grande vitesse ; nous ne devons pas adopter une vision béate et nous satisfaire de l'avance que nous avons dans certains domaines. Il faut avoir des acteurs innovants, et leur laisser suffisamment d'espace. C'est aussi à cette aune que nous devons examiner la question des fréquences et celle de la quatrième licence de téléphonie mobile. La question est la suivante : quel signal les autorités publiques françaises vont-elles envoyer au marché dans le domaine du numérique ? Sera-ce un signal d'ouverture ? Nous laisserons-nous trop influencer par la conjoncture actuelle ?

En ce qui concerne le diagnostic, Monsieur Trassy-Paillogues, le bilan de l'ARCEP est remarquable en termes de mise à disposition de l'information : le site Internet, en particulier, est une mine. En outre, il s'agit d'informations ouvertes, puisque la Lettre de l'ARCEP donne la parole à des gens dont les avis sont très différents, ce qui est fondamental. Quant au plan Numérique 2012, je le conçois comme une orientation donnée par le pouvoir politique, une feuille de route. L'Autorité travaille clairement en aval du Gouvernement et du Parlement ; elle est l'un des acteurs de la mise en oeuvre d'une politique publique. Cela ne veut pas dire que je n'occuperai pas pleinement l'espace si je suis nommé à la présidence ; quand il s'agira de planifier un effort national dans le domaine du numérique, par exemple, l'ARCEP devra jouer son rôle. Elle pourra aussi proposer des feuilles de route sur tel ou tel point. En tout état de cause, un dialogue intense devra être noué avec les autorités politiques.

Je découvre le problème posé par les lignes ferroviaires.

PermalienPhoto de Jean-Claude Viollet

J'ignore les causes de cette situation, mais je l'examinerai de très près. Je n'ai pas non plus de réponse à la question relative au secteur médical. En revanche, je crois que dans les dix ans à venir, toute une série d'instruments vont révolutionner nos modes de vie. Sans être le Grand Manitou, l'ARCEP devra jouer pleinement son rôle, tant au niveau national qu'aux niveaux européen et international. La prise en compte de ces nouveaux outils devra être facilitée, accompagnée, encouragée par le travail du régulateur.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Je vous remercie.

La Commission, se prononçant par un vote à bulletin secret, émet, à l'unanimité des vingt votants, un avis favorable à la nomination de M. Jean-Claude Mallet à la présidence de l'ARCEP.

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Information relative à la Commission