COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 25 janvier 2012
La séance est ouverte à dix heures.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)
La Commission des affaires sociales entend MM. Michel Heinrich et Régis Juanico sur leur rapport au nom du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la performance des politiques sociales en Europe (n° 4098).
Je suis heureux d'accueillir nos collègues Michel Heinrich et Régis Juanico, qui ont réalisé un travail remarquable. Nous devrions, à l'image de ce rapport, faire plus d'évaluation des politiques publiques et moins de propositions de loi ! Leur comparaison des politiques sociales permet de réfuter toutes les formes de démagogie et d'identifier de nombreuses marges d'amélioration en termes d'efficience. Je les en remercie et souhaite que ce travail soit poursuivi à l'avenir par d'autres collègues.
Je précise à cet égard, que le 31 janvier après-midi prochain, un débat ouvert à l'ensemble des parlementaires se tiendra à l'Assemblée nationale sur ce sujet dans le cadre de la semaine de contrôle.
À l'initiative du président Pierre Méhaignerie, le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a inscrit à son programme de travail l'évaluation de la performance des politiques sociales en Europe. Essentielle pour améliorer le pilotage de l'action publique, cette question n'en constituait pas moins un véritable défi, dont chacun s'accordera à reconnaître le caractère pour le moins ambitieux.
Pour y répondre, le rapport comporte d'abord plusieurs éléments d'analyse transversale, puis un second volet, thématique, concernant les politiques d'accompagnement des demandeurs d'emploi et deux politiques sociales à destination des familles dans quelques pays européens.
À cet effet, de nombreuses personnes ont été auditionnées par le groupe de travail, composé notamment du président Pierre Méhaignerie et de Jean Mallot, ici présent. Nous nous sommes rendus dans quatre pays, en adressant également des questionnaires à une quinzaine d'ambassades et de parlements européens. Enfin, nous nous sommes appuyés sur deux études comparatives de qualité réalisées par des prestataires extérieurs – Eureval et Sciences PoObservatoire français des conjonctures économiques (OFCE) –, que vous pourrez trouver en annexe au rapport.
Comme le montre la page 2 du document (annexé ci-après) qui vous a été distribué et qui est projeté sur écran, nous avons choisi d'évaluer la performance principalement à l'aune de trois critères : l'efficacité, l'efficience et la qualité de service, en prenant ainsi respectivement en compte les points de vue du citoyen, du contribuable et de l'usager. Autrement dit, les objectifs fixés ont-ils été atteints, de quelle façon et à quel coût ? Il nous a aussi semblé nécessaire d'inscrire l'évaluation dans une temporalité suffisamment longue, afin de prendre notamment en compte les économies qu'une réforme peut générer à plus ou moins long terme.
Il est rapidement apparu que les comparaisons internationales peuvent être très riches d'enseignements, par le repérage de bonnes pratiques, mais qu'elles appellent aussi certaines précautions, en particulier pour interpréter les différents indicateurs sociaux. Par exemple, le taux de chômage de certains pays, tels que la Norvège, peut être faible, mais en réalité « masqué » pour partie par une mobilisation plus importante des dispositifs liés à l'incapacité (cf. page 3 du document distribué, annexé ci-après). De même, en Allemagne, si les chiffres du chômage peuvent paraître assez satisfaisants, ils ne tiennent pas compte des 4,5 millions de « mini-jobs » à 400 euros par mois existant dans ce pays.
En France, il faut tout d'abord rappeler que les prestations de protection sociale représentaient près de 600 milliards d'euros en 2009 (cf. page 4 du document annexé). C'est dire si l'évaluation de la performance des politiques sociales constitue aujourd'hui un impératif.
Si la structure des dépenses de notre pays est assez proche de celle prévalant généralement en Europe, la France se distingue par leur niveau particulièrement élevé : en 2008, les dépenses de protection sociale représentaient ainsi près de 31 % du PIB, contre 26,4 % en moyenne dans l'Union européenne (cf. page 5 du document annexé).
Mais la France se distingue également par l'évolution de ces dépenses : si celles-ci ont augmenté progressivement dans de nombreux pays au cours des dernières décennies (cf. page 6 du document annexé), elles se sont accrues dans notre pays d'un montant équivalent à 6 % du PIB depuis le début des années 1980, soit un rythme deux fois plus soutenu que dans la moyenne des pays de l'OCDE (cf. page 7 du document annexé).
L'importance de cet effort de la Nation doit naturellement conduire à s'interroger sur les résultats obtenus par rapport aux principaux objectifs et indicateurs sociaux, ainsi que sur le positionnement de la France dans ce domaine. Notre rapport montre que les performances de notre pays sont souvent supérieures à la moyenne de l'OCDE s'agissant par exemple de notre dynamisme démographique, de notre taux de natalité, de l'espérance de vie à la naissance, de la durée de vie en retraite, de notre politique familiale – qui nous est enviée, y compris en Suède et en Allemagne –, de l'efficacité redistributive de nos prestations sociales et de la prise en charge des enfants de trois à six ans. Mais il a aussi identifié certains de nos points faibles, sur lesquels des progrès sont possibles : le taux d'emploi, le retour à un emploi de qualité, les inégalités et l'augmentation de la pauvreté.
Nous avons donc choisi de présenter les résultats obtenus dans ce dernier domaine. À cet égard, il apparaît tout d'abord que les inégalités de revenus sont plus faibles dans les pays ayant un niveau élevé de dépenses sociales, en particulier en France (cf. page 8 du document annexé).
La pauvreté revêt différentes formes selon les États membres ; d'où la définition de trois indicateurs combinés dans le cadre de la nouvelle stratégie « Europe 2020 », dont l'un des objectifs phares est de sortir 20 millions d'Européens de la pauvreté d'ici à 2020 (cf. page 9 du document annexé) : la part des personnes en situation de pauvreté relative, c'est-à-dire dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian ; la part des personnes en situation de privation matérielle sévère et la part des personnes vivant dans un ménage où personne ne travaille. Les résultats de la France sont au-dessus de la moyenne de l'Union européenne mais moins bons que ceux des pays dont les dépenses sociales sont comparables aux nôtres.
Plusieurs personnes auditionnées ont souligné l'importance de l'accès à l'emploi pour sortir durablement de la pauvreté. Ainsi, une mère isolée bénéficiaire de l'aide sociale avec deux enfants atteint en France à peine 40 % du revenu médian, c'est-à-dire moins que le seuil de pauvreté après transferts et impôts.
Pour renforcer la performance des politiques sociales, nous préconisons d'améliorer leur pilotage et leur évaluation, au regard notamment de bonnes pratiques observées dans plusieurs pays européens. À cet effet, nous recommandons de développer le recours à l'expérimentation dans le champ social, en définissant un programme pluriannuel d'expérimentations, soumis pour avis à la Commission des affaires sociales, d'organiser régulièrement des débats en séance publique sur leurs résultats et de renforcer l'évaluation des politiques, afin de promouvoir une conduite pragmatique des réformes dans la durée.
Nous proposons également d'organiser un débat annuel au Parlement sur l'efficacité des politiques sociales, par exemple sur des thèmes correspondant à certains objectifs des programmes de qualité et d'efficience (PQE) et dont le choix serait partagé entre la majorité et l'opposition.
Il apparaît également nécessaire de développer l'évaluation des politiques locales, mais aussi de mieux mobiliser les outils de l'Europe sociale, en particulier le Fonds social européen (FSE) pour la période 2014-2020. Nous pourrons revenir plus en détail sur chacune de ces propositions.
Nous abordons maintenant le premier thème approfondi dans le rapport : l'emploi.
Un graphique de l'OCDE (cf. page 12 du document annexé) montre notamment combien le poids des cotisations employeurs sur les revenus du travail est élevé en France par rapport aux autres pays – notamment l'Allemagne ou le Danemark, où n'existe aucune cotisation patronale –, tandis que la part de la cotisation salariale est dans la moyenne européenne et celle de l'impôt sur le revenu inférieure à celle-ci. Les contributions de sécurité sociales payées par l'employeur représentent 29 % du coût de la main-d'oeuvre en France contre 16 % en Allemagne, 26 % en Italie et 23 % en Suède.
Il faut bien garder à l'esprit que le financement de la protection sociale n'est pas neutre pour l'emploi. C'est d'ailleurs tout l'enjeu du débat en cours sur la TVA sociale. Selon nous, cette question doit faire l'objet d'une réflexion plus large sur l'impact des prélèvements obligatoires.
L'Allemagne a mis en oeuvre en 2007 une réforme du type de celle de la TVA sociale. Ses résultats sont visibles (cf. page 13 du document annexé). Bien que, sur les trois points de hausse de TVA, les deux tiers des recettes supplémentaires aient été affectés au désendettement, les Allemands ont réalisé des gains d'efficience sur la politique de l'emploi et réduit leur taux de cotisation pour l'assurance chômage, à parts égales entre salariés et employeurs, à 1,40 %. Cela étant, ils ont aussi supprimé toutes les prestations qu'ils n'estimaient pas efficaces. Au bout du compte, leur taux de cotisation d'assurance chômage est de 2,80 % contre 6,40 % en France.
Vous trouverez également dans le rapport des chiffres inédits permettant de comparer les conditions d'indemnisation du chômage (cf. page 14 du document annexé). Ils montrent la générosité du modèle français, notamment pour les cadres, qui peuvent recevoir un maximum de 6 764 euros bruts d'indemnisation chômage, contre 2 215 euros en Allemagne, 1 425 euros au Portugal, 324 euros au Royaume-Uni et 1 625 euros en Suède. De même, pour accéder à l'indemnisation, il faut avoir travaillé 12 mois au cours des 24 derniers mois en Allemagne, 122 jours au cours des 28 derniers mois en France, 430 jours au cours des 24 derniers mois au Portugal et 65 jours au cours des 12 derniers mois en Suède.
Concernant la durée d'indemnisation, hormis le Royaume-Uni où celle-ci est très courte – 3,5 mois –, La France est dans la moyenne. Mais notre plafond des salaires s'élève à 11 540 euros, alors qu'il atteint 5 500 euros maximum en Allemagne.
Trois modèles de politique de l'emploi ressortent de l'analyse des dépenses en faveur de l'emploi dans les pays comparés : le graphique qui vous est présenté (cf. page 15 du document annexé), distingue les dépenses correspondant au service public de l'emploi, les mesures « actives » d'aide au retour à l'emploi et l'indemnisation et les préretraites, appelées « dépenses passives » par l'Union européenne et l'OCDE. Les différences de montants et de répartition laissent penser que certains pays feraient mieux que d'autres. La Suède peut apparaître comme exemplaire en la matière, avec une indemnisation réduite au profit des dépenses « actives », chacune de ces trois types de dépenses représentant environ un tiers de l'ensemble.
Nous avons identifié plusieurs grandes tendances communes aux politiques de l'emploi en Europe : la recherche d'un guichet unique pour l'usager, la préférence pour des mesures « actives » incitant au retour à l'emploi plutôt que pour l'indemnisation du chômage ; la définition de « droits et devoirs », c'est-à-dire une conditionnalité accrue de l'indemnisation chômage. Autre grande tendance européenne : l'externalisation. Mais les travaux de recherche et d'évaluation témoignent pour l'instant de résultats mitigés à cet égard : dans aucun pays ce mode de gestion ne semble plus performant que le service public de l'emploi. Son seul intérêt est de favoriser l'émulation avec celui-ci lorsque les deux systèmes coexistent.
Nous avons aussi souligné ce qui caractérise le modèle français, et avant tout, sa complexité ! Il existe au moins huit structures qui contribuent au service public de l'emploi dans un enchevêtrement de compétences, au mieux inefficace. Les autres singularités concernent plutôt Pôle Emploi et ont été identifiées notamment dans un rapport récent de l'Inspection générale des finances : les moyens de cet organisme sont significativement inférieurs à ceux de ses homologues européens. Son manque de réactivité dans la période récente contraste avec l'augmentation très rapide des effectifs des services publics de l'emploi observée en Allemagne et au Royaume-Uni, laquelle a été suivie d'une décrue tout aussi brève. Le rapport souligne aussi que les contacts avec le demandeur d'emploi sont moins fréquents en France et que les conseillers allemands ou britanniques sont plus autonomes et ont à leur disposition plus de ressources et de compétences pour l'aider.
Les chiffres fournis par l'Inspection générale des finances montrent que les effectifs du service public de l'emploi pour 10 000 chômeurs sont deux fois plus importants en Allemagne et au Royaume-Uni qu'en France (cf. page 18 du document annexé).
Le rapport s'appuie sur une synthèse des travaux d'évaluation les plus récents sur le retour à l'emploi, dont nous espérons qu'elle constituera une source d'information et d'inspiration à l'avenir. Nous avons appris à cet égard que nos voisins européens abandonnent progressivement la formation professionnelle comme méthode de retour rapide à l'emploi : investissement de long terme, elle est plus efficace dans les périodes de récession, pour les chômeurs de longue durée ou pour faciliter les transitions professionnelles. Plus efficace et moins coûteux, l'accompagnement des demandeurs d'emploi, ou coaching, doit être privilégié. De façon générale, nous gagnerions à dispenser les aides et les prestations d'accompagnement dans les situations où elles sont les plus efficaces. Tel est le cas notamment pour les prestations d'aide au retour à l'emploi. Cela exige un pilotage intelligent et réactif, qui peut être une grande source d'économies.
Par ailleurs, les subventions et les exonérations de charges sociales pour les bas salaires et les publics les plus éloignées de l'emploi semblent efficaces, de même que les contrats aidés pour donner un coup de pouce temporaire, sachant qu'une plus grande constance serait souhaitable dans la politique menée en la matière.
Nous formulons plusieurs préconisations pour améliorer nos performances en matière de retour à l'emploi.
D'abord, nous souhaiterions promouvoir le rapprochement des acteurs de l'emploi, de l'entreprise et de la formation professionnelle, sur le modèle de ce qui se fait à Vitré, dont le président Pierre Méhaignerie pourra nous parler.
Deuxièmement, nous préconisons la mise en place d'un accompagnement renforcé et personnalisé pour les demandeurs d'emplois, avec deux entretiens très rapprochés mais distincts, dès que possible après l'inscription, le premier renseignant la personne sur ses droits, le second portant sur son projet. L'intensification des contacts avec le demandeur d'emploi aurait en effet un impact très positif sur le retour à l'emploi.
Troisièmement, nous proposons l'adoption d'une approche globale du demandeur d'emploi : les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) doivent être accompagnés vers l'emploi grâce à une meilleure coordination avec les travailleurs sociaux ; les aides à la reprise d'activité – aides à la garde d'enfants, aides pour le permis de conduire etc. – ont montré leur efficacité et doivent être confortées ; l'accompagnement du chômeur doit pouvoir commencer le plus en amont possible de la perte de l'emploi, en particulier pour les bénéficiaires de contrats aidés. Nous avons, par exemple, découvert qu'un bénéficiaire de contrat aidé n'a aucun contact avec Pôle emploi avant la fin de celui-ci.
Quatrièmement, nous préconisons l'évolution du travail des conseillers de Pôle emploi, qui doivent acquérir la même autonomie et la même expertise que leurs homologues européens. En particulier, nous estimons qu'il faut abandonner l'idée de généraliser le métier unique sans toutefois décourager ceux qui veulent acquérir plus de compétences.
Nous jugeons également nécessaire d'augmenter le nombre de conseillers à Pôle Emploi pour faire face à la crise. Nous n'ignorons pas pour autant l'état actuel de nos finances publiques : nous appelons donc aussi à une plus grande flexibilité, en permettant notamment l'accroissement de l'emploi de contrats à durée déterminée (CDD). Mais, il n'est pas concevable qu'un conseiller ayant la charge de plus de 600 demandeurs d'emploi puisse assurer un accompagnement efficace. Comme l'Inspection générale des finances, nous pensons qu'un investissement massif mais maîtrisé peut, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, permettre en compensation des économies substantielles sur les dépenses d'indemnisation. Des annonces viennent d'ailleurs d'être faites en ce sens.
Enfin, les associations de chômeurs pourraient être mieux consultées et associées.
Concernant l'articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle, je voudrais d'abord souligner les enjeux majeurs des politiques menées dans ce domaine, lesquelles sont susceptibles de favoriser l'augmentation des taux d'activité – donc de contribuer à la consolidation des systèmes de protection sociale –, ainsi que l'égalité hommes-femmes, la qualité de l'emploi et la performance des entreprises.
La France se place au premier rang des pays de l'OCDE pour les différentes aides apportées aux familles, qui représentent 3,7 % du PIB, contre 2,2 % en moyenne dans l'OCDE (cf. page 22 du document annexé). Des moyens importants sont alloués aux mesures visant à favoriser la conciliation entre famille et travail, qui constitue aujourd'hui un objectif clairement identifié des politiques publiques.
Notre pays se distingue par de bons résultats dans certains domaines : son indice de fécondité est le deuxième plus élevé des pays de l'Union européenne en 2009 et le troisième de l'OCDE, l'insertion professionnelle des femmes s'y fait plutôt à temps plein, contrairement par exemple aux Pays-Bas (cf. page 23 et 24 du document annexé), et le taux d'activité des femmes entre 25 et 49 ans y est de 80 %.
Autre point fort : l'accueil, gratuit et sur la journée entière, des enfants de moins de six ans dans les écoles maternelles (cf. page 25 du document annexé). En termes de prise en charge, la France est ainsi la mieux positionnée des pays étudiés. L'accès à des modes de garde de qualité présente à cet égard des enjeux importants en termes d'égalité des chances, de réussite scolaire et de lutte contre les inégalités sociales.
Il existe toutefois des voies d'amélioration pour mieux répondre aux difficultés parfois ressenties en matière de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, mais aussi concernant l'offre d'accueil de la petite enfance – les besoins non couverts étant estimés à environ 350 000 places, dans un contexte de diminution de 30 % à 13,6 % en dix ans de la part des enfants de deux ans scolarisés. Des progrès restent également à faire en matière d'égalité des genres et de réduction des écarts salariaux.
Enfin, l'analyse fait apparaître une autre spécificité française concernant le congé parental, qui est parmi les plus longs en Europe – ce qui peut avoir des effets préjudiciables sur les trajectoires professionnelles – et est aussi très féminisé (cf. page 27 du document annexé). Il est par ailleurs moins bien rémunéré que dans certains pays comme l'Allemagne ou la Suède. A contrario, plusieurs pays européens ont adopté des mesures visant à favoriser une meilleure implication des pères, à travers par exemple des périodes spécifiques ou « quotas du père ».
Pour créer les conditions d'un meilleur équilibre des temps professionnels et familiaux, nous préconisons d'aller progressivement vers un congé parental plus court, de quatorze mois – incluant deux « mois d'égalité », qui seraient réservés à celui des parents n'ayant pas pris le reste du congé –, et mieux rémunéré qu'aujourd'hui – à hauteur des deux tiers du salaire antérieur – en s'inspirant des dispositifs mis en place en Suède et en Allemagne.
Nous proposons également d'apporter un accompagnement renforcé vers l'emploi et la formation aux bénéficiaires du complément de libre choix d'activité (CLCA) en accroissant la coopération entre les caisses d'allocations familiales et Pôle emploi.
De même, nous recommandons de poursuivre le développement de l'offre de garde de la petite enfance, en particulier en accueil collectif, en maintenant au moins au niveau actuel la scolarisation des enfants de moins de trois ans.
Enfin, nous suggérons de favoriser le développement de la négociation collective et des bonnes pratiques en milieu professionnel, au regard notamment de l'implication des entreprises dans ce domaine en Allemagne. Les directions de ressources humaines doivent penser l'organisation du travail en fonction d'un objectif de meilleure articulation entre celui-ci et la vie familiale, visant à favoriser une paternité active et un véritable partage des tâches familiales. Nous souhaitons ainsi offrir de meilleures opportunités de carrière aux mères et plus de temps de famille aux pères.
Concernant enfin les politiques publiques en direction des familles monoparentales – qui représentent 2 millions de personnes en France et un enfant sur cinq –, elles se caractérisent par une certaine diversité dans les cinq pays étudiés, illustrant différentes formes d'État social. Certains pays, tels la France et le Royaume-Uni, ont ainsi adopté des dispositifs spécifiques en faveur des parents isolés, tels que le RSA majoré (ex-allocation de parent isolé, API), contrairement à d'autres pays comme la Suède. En France, le taux d'emploi des parents isolés est plus élevé que dans la moyenne des pays de l'OCDE, tandis que leur taux de pauvreté est nettement inférieur à celle-ci (cf. page 30 du document annexé). Mais dans tous les pays, les familles monoparentales – très majoritairement des mères seules – sont particulièrement exposées au risque de pauvreté et de précarité.
L'analyse a permis d'identifier plusieurs leviers de l'action publique de nature à soutenir l'accès à l'emploi des parents isolés. Je pense tout d'abord à l'importance de veiller au caractère rémunérateur du retour à l'emploi. À cet égard, je rappelle qu'en France, la réforme du RSA avait pour objectif de faire en sorte que la reprise d'un emploi se traduise par un gain de revenu, dès la première heure travaillée (cf. page 31 du document annexé).
Concernant la question des incitations financières, la France se distingue par de plus faibles revenus d'inactivité (minima sociaux) que dans d'autres pays (cf. page 32 du document annexé).
Est-ce le cas si l'on tient compte des 24 prestations versées entre la naissance et la mort, notamment les prestations logement ? Beaucoup d'articles montrent combien leur prise en compte modifie les résultats.
Les données que j'évoque concernent spécifiquement le cas d'un parent isolé avec deux enfants en fonction de son revenu net d'activité.
La France se distingue aussi par le caractère rémunérateur du retour à l'emploi, même à temps partiel, contrairement par exemple aux Pays-Bas. Ce constat mérite toutefois d'être nuancé par le recours plus limité que prévu au RSA activité. Il faut également souligner l'importance de la prise en compte des frais et difficultés liés à la garde des enfants, d'un accompagnement adapté et de l'accès à des emplois de qualité.
L'évaluation de la performance comparée des différentes politiques fait ressortir l'absence d'un réel modèle de réussite – compte tenu notamment de taux de pauvreté partout significatifs –, même si la Suède, puis la France, apparaissent plutôt mieux positionnées (cf. page 33 du document annexé). De manière apparemment paradoxale, il est intéressant de noter que le « premier de la classe » – la Suède – est aussi celui qui n'a pas mis en place de dispositifs spécifiques en direction des parents isolés, ce qui souligne l'importance des politiques volontaristes visant à promouvoir l'emploi des parents en général grâce, par exemple, à l'offre de garde.
Afin d'améliorer l'accompagnement social et professionnel des parents isolés en situation de vulnérabilité, nous proposons notamment de développer l'information concernant les aides aux familles et le dispositif du RSA et de procéder à une évaluation de l'accompagnement par les travailleurs sociaux – qui est insuffisamment axé vers l'emploi – et des conditions d'accès aux établissements d'accueil des jeunes enfants pour les bénéficiaires de minima sociaux.
Enfin, nous préconisons de renforcer la coordination entre les acteurs, de sensibiliser les agences de l'emploi à la question des parents isolés et d'engager des expérimentations visant à proposer un accompagnement spécifique pour ces parents, sur la base du volontariat – concernant par exemple l'accès à la formation ou les aides à la garde d'enfants –, en s'inspirant des bonnes pratiques observées notamment au Royaume-Uni et en Allemagne.
Telles sont les principales conclusions de nos travaux, aussi passionnants que complexes. Ils s'inscrivent, plus largement, dans une démarche d'évaluation des politiques publiques, qui constitue une exigence pour une démocratie moderne. Nous espérons ainsi avoir ouvert un débat, qui loin d'être épuisé par ce rapport, qui a vocation à se poursuivre régulièrement au sein de notre assemblée.
Nous devons tirer de ces travaux, très riches, certains enseignements.
D'abord, il convient d'éviter, dans cette commission comme à l'extérieur, de parler d'un recul des acquis sociaux. Dire la vérité, c'est déjà résoudre la moitié des problèmes ! Or, les statistiques évoquées montrent qu'il faut faire mieux et non davantage. Des marges de redéploiement existent ; à cet égard, des efforts supplémentaires pourraient être faits pour les familles monoparentales et les enfants pauvres. Là comme ailleurs, le pessimisme est destructeur.
Deuxièmement, sur le service public de l'emploi, vous n'avez pas défini nettement les huit structures compétentes en la matière. Quand j'ai constaté à Vitré que les missions locales, Pôle emploi, la maison de l'emploi, le centre d'information et d'orientation (CIO), la chambre de commerce et les structures d'insertion subventionnées étaient dispersées et travaillaient chacun de leur côté, j'ai décidé de les regrouper au niveau de la communauté d'agglomération dans un seul immeuble. Nous avons également demandé à Pôle emploi que l'ensemble soit dirigé par un seul directeur.
Cette réforme s'est traduite par une meilleure efficacité. La directrice des ressources humaines d'Oberthur se dit d'ailleurs impressionnée par le dynamisme et l'interaction permanente entre l'ensemble des associations et des structures de la maison de l'emploi et des entreprises ; elle a indiqué n'avoir jamais vu autant d'initiatives correspondant aux besoins des entreprises et des salariés et que lorsqu'elle fait la comparaison avec la Picardie où elle était auparavant, elle a le sentiment d'avoir affaire à une entreprise privée et non à une administration !
Nous avons les outils nécessaires, mais nous sommes submergés par l'empilement de structures qui ne communiquent pas entre elles. Nous devons y remédier.
Je souligne enfin l'enjeu que constitue le caractère rémunérateur du retour à l'emploi.
J'espère que le débat du 31 janvier va nous montrer qu'existent des marges d'amélioration en termes d'efficacité, et non de progression de 3 % des dépenses sociales ! Nos voisins européens soulignent à cet égard combien nos dépenses sont élevées mais pourraient être utilisées de façon plus optimale. Je souhaite que le Gouvernement s'attelle à cette question.
Je souhaite d'abord souligner la qualité de ce rapport : parler de performance est essentiel en matière de politiques sociales, dans la mesure où celles-ci ne sont pas toujours correctement évaluées.
Ce rapport nous permet de faire des comparaisons entre les mesures qui marchent et celles qui ne marchent pas, ainsi que d'en estimer le coût. Il permet aussi d'apprécier l'efficacité des politiques à la fois pour le contribuable, le citoyen et l'usager.
Avez-vous comparé les systèmes de formation des chômeurs ? Certains sont-ils plus efficaces que le nôtre ? Comment y est menée la formation et comment s'y fait l'accompagnement ? Je rappelle que le Président de la République et le Gouvernement ont, lors du sommet social de la semaine dernière, pris des dispositions nouvelles pour apporter des moyens supplémentaires dans ce domaine et que seulement 10 à 15 % des chômeurs peuvent aujourd'hui accéder à une formation – ce qui est inquiétant.
Par ailleurs, comment est organisé le chômage partiel dans les autres pays où vous vous êtes rendu ? Sommes-nous en France sur la bonne voie dans ce domaine ?
On peut enfin retenir de ce rapport les points positifs de nos politiques sociales, notamment en matière familiale, mais aussi que l'amélioration des résultats est moins un problème de moyens que d'organisation. Je souscris tout à fait à vos propositions pour favoriser les expérimentations. Il faut mettre en application celles qui sont efficaces, comme celle de Vitré, que le président Pierre Méhaignerie vient d'évoquer, quitte à remettre en cause le fonctionnement très hiérarchisé de certains de nos dispositifs. Il convient également que ce rapport débouche sur des propositions claires en matière d'évaluation des politiques menées sur nos territoires. Nous devons enfin tenir compte de la place des élus et des dirigeants dans le cadre de nos réflexions.
Je tiens également à féliciter les rapporteurs pour le travail très important qu'ils ont réalisé.
Concernant la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, l'offre de garde est un facteur déterminant.
Le rapport de Michèle Tabarot de 2008 a établi qu'il manquait 350 000 places de garde pour les enfants de moins de trois ans. Or, force est de constater que les besoins n'ont pas diminué depuis lors, malgré les efforts réalisés grâce aux différents plans d'investissement tendant à créer de nouvelles places, du fait de la suppression de l'école maternelle pour les enfants de cet âge. Cela pose un problème au regard du développement de l'emploi des femmes.
Le congé parental a également fait l'objet du rapport de Michèle Tabarot ainsi que de celui de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur la prestation d'accueil au jeune enfant (PAJE) de 2009 et des travaux du Haut conseil de la famille réalisés depuis deux ans : tous préconisent qu'il soit plus court et mieux rémunéré.
Je rappelle à cet égard que le Président de la République avait pris des engagements tant sur l'offre de garde que sur le congé parental, mais que ceux-ci n'ont pas été tenus. Aucun progrès n'a été réalisé dans ce domaine.
S'agissant des familles monoparentales, leur nombre s'est accru en France et en Europe au cours des dernières années, de même que leur précarité et leur pauvreté. Il faut s'atteler à ce problème de façon plus radicale et voir dans quelle mesure on peut s'inspirer du modèle suédois.
Enfin, vous avez raison d'insister sur l'accompagnement limité des travailleurs sociaux : encore faudrait-il qu'il y en ait en nombre suffisant pour suivre les familles qui en ont besoin, a fortiori lorsque des juges aux affaires familiales ordonnent des placements et que ceux-ci ne peuvent être réalisés faute de moyens – ce qui constitue un grave problème.
Je précise que je n'ai pas, pour ma part, parlé de recul des acquis sociaux : il n'y a que vous, monsieur le président, qui l'avait évoqué !
Je félicite également nos collègues pour leur important travail.
Les propositions tendant à organiser un débat annuel au Parlement sur l'efficacité des politiques sociales, à favoriser les expérimentations ou à renforcer l'évaluation des politiques locales me paraissent intéressantes.
J'ai également noté avec satisfaction que nos politiques familiales sont enviées à l'étranger et que vous souhaitiez être plus à l'écoute des usagers.
Encore faut-il que vos recommandations soient suivies d'effet.
Je félicite moi aussi les rapporteurs pour la qualité de leur travail.
Je suis favorable à votre proposition de débat annuel sur l'efficacité des politiques sociales : on ne peut plus en effet se contenter de dire chaque année qu'il faut faire des évaluations !
Par ailleurs, on mesure aujourd'hui l'importance d'un accompagnement renforcé tant pour l'emploi, la famille que pour la lutte contre la pauvreté : pouvez-vous nous apporter plus de précisions à cet égard ? Or l'accompagnement de qualité fait défaut, faute de moyens : il faut sans doute procéder à des réorganisations, s'appuyer sur les coopérations existantes entre les collectivités et entre les services sociaux, et disposer d'un pilotage de qualité. Dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, j'avais réalisé un rapport en 2007 sur les politiques sociales des collectivités territoriales : il serait intéressant de voir dans quelle mesure nous avons avancé dans ce domaine.
En outre, que faisons-nous pour repenser la question du travail social dans notre pays ? Les travailleurs sociaux sont en effet confrontés à des difficultés tant en termes de formation, de pratiques que de reconnaissance, auxquelles notre commission devrait réfléchir.
Monsieur le président, vous avez souvent évoqué la part de nos dépenses de protection sociale : je crois que la France n'a pas à rougir de ce qu'elle fait. Nos voisins européens portent une appréciation plutôt positive sur les politiques que nous menons, même si tout est loin d'être parfait. Nous devons nous réjouir que des choix aient été faits pour donner des moyens à ces politiques, ce qui a notamment été utile dans la période de crise que nous traversons, même s'il y a lieu de se demander comment rendre celles-ci plus efficaces dans certains domaines.
Enfin, je suis très sensible à la question des expérimentations, que nous ne mettons pas suffisamment en valeur. Celles-ci doivent être évaluées et au besoin généralisées.
Je félicite également les rapporteurs pour leur travail. Il me semble qu'il faudrait avoir une analyse comparative détaillée de ce type pour l'examen de chaque projet ou proposition de loi.
Peut-être le thème du rapport est-il un peu trop large : il serait sans doute utile d'approfondir davantage chacun des sujets abordés.
Vous avez rappelé que nous consacrions à l'emploi, par comparaison avec les autres pays, des moyens très importants, au travers des trois volets que sont le service public de l'emploi, l'indemnisation du chômage et les dépenses « actives ».
Or vous proposez d'augmenter les moyens de Pôle emploi, ce qui implique, à moyens publics constants – car je ne vois pas comment on pourrait augmenter le budget global –, de réduire ceux consacrés aux deux autres volets. Beaucoup de pays ont des niveaux d'indemnisation qui seraient considérés comme inacceptables en France : si on ne peut les réduire, il faut donc diminuer les dépenses « d'activation », ce qui serait à mon sens une grave erreur, car on « n'active » pas assez les dépenses dans ce domaine ! Je suis donc perplexe sur votre proposition.
L'expérimentation me paraît être une bonne approche. Il faut laisser davantage d'initiative aux territoires : à cet égard, nos politiques sont trop corsetées.
Dans l'ensemble, ce rapport ouvre une voie très intéressante, qui permet de sortir d'approches souvent par trop idéologiques au profit d'une analyse plus objective.
Je souhaite souligner l'exemplarité du travail des rapporteurs et le caractère novateur de leur démarche. Nous devons cesser de nous arc-bouter sur notre histoire sociale et nous ouvrir plus systématiquement à l'évaluation géographique comparée.
Il conviendrait également de mieux tenir compte des programmes de qualité et d'efficience annexés à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais comme ils nous parviennent très tard, ils ne sont en général utiles que pour le projet de loi de l'année suivante ! En tout cas, la triple approche du citoyen, du contribuable et de l'usager est bonne dans la mesure où elle est globale.
Concernant la politique de lutte contre le chômage, il faut certainement épauler davantage les demandeurs d'emploi, mais cela passe-t-il par Pôle emploi, davantage de souplesse dans le dispositif ou un appel plus large à des entreprises privées comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne ? L'efficacité doit être notre critère premier.
Je partage l'avis du président Pierre Méhaignerie sur l'empilement de structures disparates, qui est néfaste pour le demandeur d'emploi : chez moi, Pôle emploi a installé un nouveau siège décentralisé à 200 mètres d'une antenne de la mission locale sans penser à intégrer celle-ci ! Il faut promouvoir un guichet unique global, au-delà d'un guichet dédié seulement à l'emploi, et y associer l'ensemble des travailleurs sociaux et les collectivités territoriales au profit des publics en difficulté.
Concernant les parents isolés, leur nombre est-il aussi important dans les autres pays ? Depuis le milieu des années 1970, lorsque le président Giscard d'Estaing a mis en place l'allocation de parent isolé, il semble en effet qu'en France le statut encourage le comportement…
Notre modèle social est confronté à un problème de financement, lequel pèse trop sur les entreprises, comme le montre un des graphiques que vous avez présentés. Il faut se demander aujourd'hui si ce modèle, fait de stratifications parfois incohérentes, ne s'oppose pas à la croissance économique. Si nous ne le modernisons pas et si nous ne renforçons pas la place de nos entreprises sur les marchés européens, nous risquons de ne plus retrouver la croissance nécessaire à son financement.
Je rappelle à cet égard que notre taux de croissance n'a pas dépassé en moyenne 1 à 1,5 % au cours des dix dernières années, ce qui est insuffisant. Par ailleurs, les dépenses publiques représentent 56 à 57 % de notre PIB, ce qui est excessif : on devrait à cet égard s'inspirer de la Suède, où ces dépenses sont passées de 67 % à 51 % du PIB sans que la qualité de son modèle social n'en souffre.
Je veux également souligner l'ampleur et l'intérêt du travail accompli par les rapporteurs, de même que l'honnêteté de leur démarche ainsi que la vôtre, monsieur le président, pour l'avoir encouragé. Les constats sont d'ailleurs cruels pour l'actuelle majorité.
On voit bien combien il est compliqué de faire des comparaisons entre pays et combien celles-ci nécessitent d'être replacées dans leur contexte global.
On compare ainsi souvent le coût du travail en France et en Allemagne, mais il ne faut pas oublier que 42 millions de personnes travaillent dans ce pays contre 26 millions chez nous, ce qui est déterminant !
Je vois dans les propos de nos collègues de la majorité un début de forme d'amnésie : on ne peut que saluer sur l'emploi leur envie de développer les expérimentations ! Mais la mise en place de Pôle emploi les a découragées. Si l'idée de rapprocher le suivi des demandeurs d'emploi et leur indemnisation était intéressante, chacun constate que sa mise en oeuvre ne fonctionne pas, dans la mesure où on a créé une sorte de monstre administratif, d'une grande lourdeur, éloigné du terrain et piloté, comme le dit M. Christian Charpy dans son livre La Tête de l'emploi, directement par le ministère – la politique de l'emploi étant souvent déterminée par tel ou tel objectif statistique. Les déclarations du Gouvernement de la semaine dernière vont d'ailleurs dans ce sens : ce rapport gagnerait à être envoyé au Président de la République avant ses annonces de dimanche prochain !
Il est nécessaire que Pôle emploi soit plus efficace et plus réactif dans l'accompagnement des chômeurs. Nous avons la fâcheuse habitude de ne nous occuper de ceux-ci qu'au bout de quelques mois, voire d'un an : l'accompagnement doit au contraire se faire très vite, dans les cinq jours, ce qui permettrait de déterminer d'emblée si le demandeur d'emploi nécessite une prise en charge renforcée.
Cela implique d'accroître les moyens dévolus à cet effet, ce qui suppose de trouver un équilibre avec les fonds que le Gouvernement entend aujourd'hui consacrer à la formation.
Concernant les politiques familiales, un consensus se dessine sur la modification du congé parental, qui devrait être plus court, mieux rémunéré, partagé et, selon moi, sécable tout au long de la vie. On se demande pourquoi on n'a pas davantage avancé dans ce domaine ! Il faut toutefois veiller à ce que le montant de ce congé ne décourage pas la reprise du travail : il ne doit pas se transformer en salaire parental ! On pourrait à cet égard s'inspirer de la Suède, qui aide les familles monoparentales tout en essayant d'éviter cette dérive.
S'agissant de l'accueil de la petite enfance, il faut en faire un service public local – les gens le considèrent d'ailleurs comme tel –, conférant aux communes ou aux intercommunalités l'obligation d'avoir un plan d'accueil diversifié permettant un congé parental, le recours à une assistante maternelle, un accueil collectif ou des classes passerelles à l'école maternelle : les collectivités locales doivent être, comme en matière de transport, des autorités organisatrices. La loi doit aussi les obliger à mobiliser un minimum de moyens : aujourd'hui, certaines communes ne font rien et s'appuient sur les communes voisines ; elles devraient être amenées à verser une quote-part à un fonds de péréquation.
Je félicite également les rapporteurs pour la somme d'informations qu'ils nous apportent.
Concernant la lutte contre la pauvreté et l'accès à l'emploi des parents isolés, la France semble mieux positionnée que la plupart de ses voisins, même si vous indiquez qu'une évaluation de la performance de l'action publique est difficile à mettre en oeuvre en la matière.
Cependant, les familles monoparentales cumulent souvent plusieurs handicaps – difficultés liées à la formation professionnelle, à la garde d'enfant ou au travail à temps très partiel ou partiel. Le taux de pauvreté des femmes isolées notamment reste un problème, qui est à l'origine de ce qu'on appelle les travailleurs pauvres. Sur quel levier faudrait-il agir pour améliorer la situation des parents isolés sans les stigmatiser ?
Ce rapport est en effet très instructif et dense. Il pourrait, au-delà de l'idée intéressante d'organiser un débat annuel au Parlement sur l'efficacité des politiques sociales, alimenter les travaux de notre commission pendant plusieurs mois.
Il serait également opportun de développer l'évaluation, en particulier des dispositifs dont les conseils généraux ont la responsabilité, qu'il s'agisse des contrats aidés – dont il est difficile de mesurer l'efficacité pour accéder à des conditions d'emploi durable – ou du RSA – qui ne produit pas complètement ses effets et dont on a l'intime conviction que beaucoup de nos concitoyens pouvant y avoir droit ne le demandent pas. Cela dit, l'évaluation ne doit pas seulement souligner les limites des dispositifs, mais aussi identifier les améliorations possibles, lesquelles doivent être apportées de façon réactive.
L'expérimentation est une bonne chose, mais elle doit aussi donner lieu à des évaluations, qui doivent être recensées, de manière à pouvoir en partager les résultats.
Pour avoir conduit certaines expérimentations dans mon département sur l'accueil de la petite enfance, qui est un sujet important, notamment sur les structures particulièrement adaptées au milieu rural que sont les micro-crèches, je constate une certaine inertie : entre les premiers résultats et la publication des décrets permettant de généraliser un dispositif, il s'écoule souvent plusieurs années. Il faudrait donc voir comment faciliter la généralisation des expérimentations réalisées ici ou là.
La complexité des dispositifs, qui est liée à leur multiplicité ainsi qu'à celle des structures, est évidente à la fois pour le législateur que nous sommes, mais aussi pour les usagers et les personnes chargées d'accompagner les personnes en difficulté. Que préconisez-vous pour délivrer une meilleure information à cet égard et alléger les procédures existantes ?
Ce rapport très dense renforce nos convictions, notamment s'agissant de la nécessité d'un accompagnement des demandeurs d'emploi précoce et personnalisé, de la lutte contre la pauvreté et la précarité, qui est un point faible de nos politiques, du rôle et de la reconnaissance des travailleurs sociaux, ou de la mise en place d'un service public de la petite enfance au même titre que l'école maternelle pour les moins de trois ans.
Nous devons également mieux et plus rapidement généraliser les bonnes pratiques.
Je me réjouis de l'importance que vous avez donné aux femmes et au partage des tâches familiales. Cela montre une évolution de nos mentalités.
Il est important aussi d'envisager des créations d'emploi, utiles notamment du point de vue écologique. On n'a pas non plus pleinement mesuré l'impact de la diminution du temps de travail en vue d'un meilleur partage de celui-ci tout au long de la vie.
Je félicite également les rapporteurs pour le travail important qu'ils ont accompli sur des sujets aussi complexes.
On voit que les dépenses de santé représentent 77 % des dépenses sociales en France et celles liées à la politique de l'emploi seulement 6,1 %. En outre, la France est parmi les pays les mieux placés au regard des montants qu'elle consacre en proportion de son PIB aux politiques sociales.
Il est regrettable que les statistiques que vous utilisez ne concernent pas les mêmes dates, ce qui empêche de mesurer pleinement l'efficacité de certaines politiques conduites ces dernières années – je pense notamment à celle concernant le chômage et l'incapacité : à cet égard, l'augmentation de l'allocation pour adulte handicapé (AAH) depuis 2007 a modifié la donne.
On pourrait par ailleurs avoir une étude plus approfondie sur la gouvernance de ces politiques dans les différents pays européens et sur les effets de la décentralisation en France dans ce domaine, notamment au profit des départements.
Je pense aussi, comme le président Pierre Méhaignerie, que l'on doit mieux organiser les politiques de l'emploi et les structures qui y sont dédiées. Mais, il faut aussi veiller à la formation des personnels de celles-ci, les demandeurs d'emploi étant confrontés parfois à des réponses un peu curieuses de leur part – je pense notamment au cas fréquent de ces personnes auxquelles on a téléphoné pour annuler un rendez-vous à Pôle emploi et qui ont reçu quelques jours après un avertissement parce qu'ils ne s'y sont pas présentés ! Il faut éviter ce genre de problème, d'autant que ces personnes sont généralement en difficulté.
Je félicite aussi les rapporteurs : je constate d'ailleurs que leurs préconisations tendent à faire presque l'inverse de ce qui a été fait jusqu'à présent !
En matière d'emploi, il n'est guère opportun d'établir une dichotomie entre les politiques économiques et les politiques sociales, qui doivent être analysées ensemble, sachant que ces dernières ne sont pas seulement des politiques d'accompagnement.
Tous nos collègues qui se sont rendus sur le terrain se sont aperçus que si la crise a accru le nombre de demandeurs d'emploi, la fusion entre l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et les Assedic est un échec patent. Ce n'est pas un problème de formation des agents, mais d'abord de management et d'organisation !
Le Gouvernement s'est trompé en procédant à une centralisation abusive : l'efficacité commandait au contraire de décentraliser davantage !
D'ailleurs, la réforme de la formation professionnelle, qui devait être celle du quinquennat, sur laquelle il est question de revenir maintenant, est également un échec.
Il faut revoir complètement les politiques menées jusqu'à ce jour : c'est ce que nous ferons si nous gagnons les prochaines élections.
Monsieur le Président, en matière de santé, l'OCDE estime que nous pouvons réduire notre dépense, pour un service équivalent, de 1,5 point de PIB.
Par ailleurs, on observe que la durée d'inscription à Pôle emploi varie en fonction des âges, mais non de la conjoncture économique, ce qui pourra constituer un instrument pour apprécier l'efficacité de l'accompagnement.
Monsieur Perrut, nous n'avons pas comparé les systèmes de formation des chômeurs – ayant dû, comme je l'ai dit, focaliser le rapport sur certains sujets comme la précarité, l'accompagnement à l'emploi et les politiques familiales –, mais nous disposons de certains éléments. On observe notamment que la formation d'une personne au chômage ne fait que reculer la date de son retour à l'emploi : elle n'est rentable qu'à long terme, en cas de chômage partiel ou pour des personnes très éloignées de l'emploi.
Les Allemands, qui prennent parfois des décisions brutales, proposent par exemple des formations obligatoires et très longues, si bien que certains y renoncent et préfèrent reprendre un emploi, quitte à ce qu'il soit moins bien payé que le précédent.
Monsieur Descoeur, nous préconisons les méthodes ouvertes de coordination, notamment entre les départements – qui semblent adopter des pratiques très différentes – pour que chacun fasse part des siennes. Je rappelle qu'en Suède, la politique sociale est assurée par les communes, dont le nombre est limité à environ deux cents, et que celles-ci font l'objet d'un classement en fonction de leur efficacité ou de leur efficience, ce qui crée une émulation.
Madame Clergeau, nous préconisons d'évaluer le crédit d'impôt famille (CIF) : les entreprises disposent d'un plafond de 500 000 euros pour créer des crèches ou assurer leur fonctionnement, de même qu'elles peuvent participer, par le biais du chèque emploi service universel (CESU), au financement de l'assistante maternelle à hauteur de 25 %. Si on y consacre beaucoup de moyens, personne n'est en mesure de dire combien de places en crèche ont été créées grâce à ce dispositif : il semble cependant que leur nombre soit assez important.
Monsieur Colombier, nous aurons, comme cela a été dit, un débat le 31 janvier prochain sur les suites à donner aux recommandations du rapport.
Madame Carrillon-Couvreur, partout où il y a un accompagnement renforcé des chômeurs, ceux-ci retrouvent plus rapidement un emploi. En outre, plusieurs associations s'occupant de réinsertion nous ont affirmé que l'accompagnement était beaucoup plus efficace que l'incitation financière, notamment dans le cadre du RSA.
Nous préconisons par ailleurs un débat sur les programmes de qualité et d'efficience.
Il nous a aussi semblé que, souvent, les travailleurs sociaux n'ont pas de culture d'accompagnement vers l'emploi, notamment concernant les parents isolés. De même, il n'y a pas toujours un bon dialogue entre certains départements et Pôle emploi : nous recommandons un meilleur pilotage en la matière.
Les contacts rapprochés et personnalisés avec le demandeur d'emploi sont une nécessité, mais il faut aussi avoir une approche globale de celui-ci, et non segmentée comme aujourd'hui. Les salariés des job centers au Royaume-Uni sont par exemple en mesure de régler toutes les problématiques sociales, comme celles liées au logement ou au déplacement.
Nous ne mettons pas en cause les salariés de Pôle emploi, mais nous déplorons qu'on leur demande l'impossible : une personne sortant des Assedic a sans doute une très bonne compétence pour traiter des problèmes d'indemnisation, mais on ne peut réclamer d'elle de dominer en même temps toutes les problématiques d'accompagnement vers l'emploi : le métier unique est une hérésie ! En Allemagne, les fonctions sont beaucoup plus spécialisées : certains acteurs du service public de l'emploi ne s'occupent que d'entrer en contact avec les entreprises pour proposer des emplois. Il faut donc certes un guichet unique, mais permettre aussi aux salariés de Pôle emploi de se spécialiser et d'avoir davantage d'autonomie.
Madame Poletti, nous critiquons comme vous les comportements inadmissibles que vous évoquiez dans cet organisme, mais un accompagnant pour 500 à 600 personnes relève de la mission impossible !
Monsieur Dord, en accordant davantage de moyens à Pôle emploi, on réduira le coût des indemnisations de chômage. On le constate dans tous les pays qui ont agi ainsi : la Suède offre à cet égard un exemple éloquent.
Je rappelle par ailleurs que notre rapport n'avait pas vocation à traiter tous les sujets, mais à se concentrer sur les trois que j'ai déjà évoqués, à la suite d'une analyse transversale.
Nos préconisations concernant Pôle emploi – fin du métier unique, augmentation du nombre de salariés en fonction de celui des chômeurs dans le cadre de contrats à durée déterminée (CDD) ou approche globale de ceux-ci – vont à l'inverse de ce qui se pratique actuellement.
Monsieur Bur, nous proposons d'examiner les programmes de qualité et d'efficience, qui sont des documents de qualité, dès le printemps, soit six mois avant le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Par ailleurs, la part des parents isolés, dont le nombre augmente dans toute l'Europe, varie selon les pays : ils sont 13,8 % en Suède, 23 % au Royaume-Uni et 17 % en France. Ceux-ci sont également différents d'un pays à l'autre : au Royaume-Uni et en Suède, leur situation résulte plutôt d'un choix de vie alors qu'en France, il s'agit majoritairement de personnes divorcées ou séparées.
Madame Iborra, je récuse votre diagnostic d'échec total s'agissant de Pôle emploi : sa création est arrivée au plus mauvais moment – au début de la crise économique –, mais la nouvelle convention tripartite qui vient d'être signée avec l'UNEDIC fixe bien ses objectifs et devrait déboucher sur un fonctionnement plus rationnel.
Monsieur Gille, lorsqu'on fait des comparaisons avec l'Allemagne, il faut rappeler aussi que ce pays n'a pas de SMIC, que l'échelonnement des salaires y est plus régulier que chez nous et qu'on y recourt à certaines méthodes très drastiques tels les « mini-jobs », qui concernent 4,5 millions de personnes, lesquelles, je le rappelle, ne sont pas comprises dans les statistiques du chômage et sont rémunérées 400 euros par mois sans assurance sociale – hormis l'acquisition de trimestres de retraite – pour 30 à 35 heures de travail hebdomadaire !
Enfin, je suis d'accord avec la proposition d'un congé parental sécable.
Plus généralement, sur la pérennité de notre modèle social, nous ne proposons pas d'augmenter les 600 milliards d'euros consacrés aux dépenses sociales, lesquelles représentent, je le rappelle, pas moins de 31 % du PIB. Mais des marges de manoeuvre existent, comme dans le domaine de la santé, ainsi que le montre l'étude de l'OCDE précitée, que ce soit en termes de lutte contre les inégalités, de coordination des soins ou de réduction des frais administratifs.
Si nous disposons par ailleurs de politiques performantes, nous pouvons encore largement progresser en matière de taux d'emploi et de retour à l'emploi, notamment des mères de famille.
Des redéploiements sont possibles : l'augmentation des moyens humains et l'amélioration de l'accompagnement des demandeurs d'emploi que nous proposons pour Pôle emploi devraient permettre de dégager des marges de manoeuvre appréciables.
Je ne suis pas d'accord avec Yves Bur sur le fait que les entreprises considéreraient qu'elles subissent un niveau de prélèvement contre-productif en termes de croissance économique et de compétitivité.
La politique familiale joue en faveur de cette croissance, compte tenu de notre taux de natalité et de notre dynamisme démographique : encore une fois, tous les pays où nous nous sommes rendus nous l'envient ! En outre, la priorité donnée à une meilleure conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle est un facteur de performance et de croissance important pour les entreprises. Elles sont en train d'en prendre conscience, en France comme en Allemagne : leur direction des ressources humaines et leur encadrement travaillent sur ces questions et beaucoup estiment que la qualité de l'emploi et des conditions de travail favorisent la performance macroéconomique comme le progrès social. Nous devons accorder un effort particulier aux politiques menées dans ce domaine.
Madame Clergeau, nos données relatives aux 350 000 places manquantes pour les enfants de moins de trois ans datent de 2009. Si nous créons aujourd'hui de nouvelles places de garde en structures d'accueil collectif notamment, il ne faut pas que cela se fasse au détriment du nombre d'enfants scolarisés. Il s'agit, là encore, d'un facteur de compétitivité pour notre pays.
Merci à chacun d'entre vous.
Reste la question de savoir à quel niveau devraient être assurées les politiques sociales. À l'image du système suédois, je pense que les villes ou les communautés d'agglomération ou de communes constituent le niveau optimal, permettant à la fois une émulation ainsi que des évaluations et des comparaisons. Cela pose le problème de l'avenir du département dans les cinq à dix ans à venir, compte tenu par ailleurs de l'empilement de nos structures administratives.
La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.