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Intervention de Michel Heinrich

Réunion du 25 janvier 2012 à 10h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Heinrich, rapporteur :

Nous abordons maintenant le premier thème approfondi dans le rapport : l'emploi.

Un graphique de l'OCDE (cf. page 12 du document annexé) montre notamment combien le poids des cotisations employeurs sur les revenus du travail est élevé en France par rapport aux autres pays – notamment l'Allemagne ou le Danemark, où n'existe aucune cotisation patronale –, tandis que la part de la cotisation salariale est dans la moyenne européenne et celle de l'impôt sur le revenu inférieure à celle-ci. Les contributions de sécurité sociales payées par l'employeur représentent 29 % du coût de la main-d'oeuvre en France contre 16 % en Allemagne, 26 % en Italie et 23 % en Suède.

Il faut bien garder à l'esprit que le financement de la protection sociale n'est pas neutre pour l'emploi. C'est d'ailleurs tout l'enjeu du débat en cours sur la TVA sociale. Selon nous, cette question doit faire l'objet d'une réflexion plus large sur l'impact des prélèvements obligatoires.

L'Allemagne a mis en oeuvre en 2007 une réforme du type de celle de la TVA sociale. Ses résultats sont visibles (cf. page 13 du document annexé). Bien que, sur les trois points de hausse de TVA, les deux tiers des recettes supplémentaires aient été affectés au désendettement, les Allemands ont réalisé des gains d'efficience sur la politique de l'emploi et réduit leur taux de cotisation pour l'assurance chômage, à parts égales entre salariés et employeurs, à 1,40 %. Cela étant, ils ont aussi supprimé toutes les prestations qu'ils n'estimaient pas efficaces. Au bout du compte, leur taux de cotisation d'assurance chômage est de 2,80 % contre 6,40 % en France.

Vous trouverez également dans le rapport des chiffres inédits permettant de comparer les conditions d'indemnisation du chômage (cf. page 14 du document annexé). Ils montrent la générosité du modèle français, notamment pour les cadres, qui peuvent recevoir un maximum de 6 764 euros bruts d'indemnisation chômage, contre 2 215 euros en Allemagne, 1 425 euros au Portugal, 324 euros au Royaume-Uni et 1 625 euros en Suède. De même, pour accéder à l'indemnisation, il faut avoir travaillé 12 mois au cours des 24 derniers mois en Allemagne, 122 jours au cours des 28 derniers mois en France, 430 jours au cours des 24 derniers mois au Portugal et 65 jours au cours des 12 derniers mois en Suède.

Concernant la durée d'indemnisation, hormis le Royaume-Uni où celle-ci est très courte – 3,5 mois –, La France est dans la moyenne. Mais notre plafond des salaires s'élève à 11 540 euros, alors qu'il atteint 5 500 euros maximum en Allemagne.

Trois modèles de politique de l'emploi ressortent de l'analyse des dépenses en faveur de l'emploi dans les pays comparés : le graphique qui vous est présenté (cf. page 15 du document annexé), distingue les dépenses correspondant au service public de l'emploi, les mesures « actives » d'aide au retour à l'emploi et l'indemnisation et les préretraites, appelées « dépenses passives » par l'Union européenne et l'OCDE. Les différences de montants et de répartition laissent penser que certains pays feraient mieux que d'autres. La Suède peut apparaître comme exemplaire en la matière, avec une indemnisation réduite au profit des dépenses « actives », chacune de ces trois types de dépenses représentant environ un tiers de l'ensemble.

Nous avons identifié plusieurs grandes tendances communes aux politiques de l'emploi en Europe : la recherche d'un guichet unique pour l'usager, la préférence pour des mesures « actives » incitant au retour à l'emploi plutôt que pour l'indemnisation du chômage ; la définition de « droits et devoirs », c'est-à-dire une conditionnalité accrue de l'indemnisation chômage. Autre grande tendance européenne : l'externalisation. Mais les travaux de recherche et d'évaluation témoignent pour l'instant de résultats mitigés à cet égard : dans aucun pays ce mode de gestion ne semble plus performant que le service public de l'emploi. Son seul intérêt est de favoriser l'émulation avec celui-ci lorsque les deux systèmes coexistent.

Nous avons aussi souligné ce qui caractérise le modèle français, et avant tout, sa complexité ! Il existe au moins huit structures qui contribuent au service public de l'emploi dans un enchevêtrement de compétences, au mieux inefficace. Les autres singularités concernent plutôt Pôle Emploi et ont été identifiées notamment dans un rapport récent de l'Inspection générale des finances : les moyens de cet organisme sont significativement inférieurs à ceux de ses homologues européens. Son manque de réactivité dans la période récente contraste avec l'augmentation très rapide des effectifs des services publics de l'emploi observée en Allemagne et au Royaume-Uni, laquelle a été suivie d'une décrue tout aussi brève. Le rapport souligne aussi que les contacts avec le demandeur d'emploi sont moins fréquents en France et que les conseillers allemands ou britanniques sont plus autonomes et ont à leur disposition plus de ressources et de compétences pour l'aider.

Les chiffres fournis par l'Inspection générale des finances montrent que les effectifs du service public de l'emploi pour 10 000 chômeurs sont deux fois plus importants en Allemagne et au Royaume-Uni qu'en France (cf. page 18 du document annexé).

Le rapport s'appuie sur une synthèse des travaux d'évaluation les plus récents sur le retour à l'emploi, dont nous espérons qu'elle constituera une source d'information et d'inspiration à l'avenir. Nous avons appris à cet égard que nos voisins européens abandonnent progressivement la formation professionnelle comme méthode de retour rapide à l'emploi : investissement de long terme, elle est plus efficace dans les périodes de récession, pour les chômeurs de longue durée ou pour faciliter les transitions professionnelles. Plus efficace et moins coûteux, l'accompagnement des demandeurs d'emploi, ou coaching, doit être privilégié. De façon générale, nous gagnerions à dispenser les aides et les prestations d'accompagnement dans les situations où elles sont les plus efficaces. Tel est le cas notamment pour les prestations d'aide au retour à l'emploi. Cela exige un pilotage intelligent et réactif, qui peut être une grande source d'économies.

Par ailleurs, les subventions et les exonérations de charges sociales pour les bas salaires et les publics les plus éloignées de l'emploi semblent efficaces, de même que les contrats aidés pour donner un coup de pouce temporaire, sachant qu'une plus grande constance serait souhaitable dans la politique menée en la matière.

Nous formulons plusieurs préconisations pour améliorer nos performances en matière de retour à l'emploi.

D'abord, nous souhaiterions promouvoir le rapprochement des acteurs de l'emploi, de l'entreprise et de la formation professionnelle, sur le modèle de ce qui se fait à Vitré, dont le président Pierre Méhaignerie pourra nous parler.

Deuxièmement, nous préconisons la mise en place d'un accompagnement renforcé et personnalisé pour les demandeurs d'emplois, avec deux entretiens très rapprochés mais distincts, dès que possible après l'inscription, le premier renseignant la personne sur ses droits, le second portant sur son projet. L'intensification des contacts avec le demandeur d'emploi aurait en effet un impact très positif sur le retour à l'emploi.

Troisièmement, nous proposons l'adoption d'une approche globale du demandeur d'emploi : les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) doivent être accompagnés vers l'emploi grâce à une meilleure coordination avec les travailleurs sociaux ; les aides à la reprise d'activité – aides à la garde d'enfants, aides pour le permis de conduire etc. – ont montré leur efficacité et doivent être confortées ; l'accompagnement du chômeur doit pouvoir commencer le plus en amont possible de la perte de l'emploi, en particulier pour les bénéficiaires de contrats aidés. Nous avons, par exemple, découvert qu'un bénéficiaire de contrat aidé n'a aucun contact avec Pôle emploi avant la fin de celui-ci.

Quatrièmement, nous préconisons l'évolution du travail des conseillers de Pôle emploi, qui doivent acquérir la même autonomie et la même expertise que leurs homologues européens. En particulier, nous estimons qu'il faut abandonner l'idée de généraliser le métier unique sans toutefois décourager ceux qui veulent acquérir plus de compétences.

Nous jugeons également nécessaire d'augmenter le nombre de conseillers à Pôle Emploi pour faire face à la crise. Nous n'ignorons pas pour autant l'état actuel de nos finances publiques : nous appelons donc aussi à une plus grande flexibilité, en permettant notamment l'accroissement de l'emploi de contrats à durée déterminée (CDD). Mais, il n'est pas concevable qu'un conseiller ayant la charge de plus de 600 demandeurs d'emploi puisse assurer un accompagnement efficace. Comme l'Inspection générale des finances, nous pensons qu'un investissement massif mais maîtrisé peut, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, permettre en compensation des économies substantielles sur les dépenses d'indemnisation. Des annonces viennent d'ailleurs d'être faites en ce sens.

Enfin, les associations de chômeurs pourraient être mieux consultées et associées.

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