Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Commission des affaires étrangères

Séance du 9 février 2011 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • chine
  • chinois
  • chinoise
  • dirigeants

La séance

Source

Table ronde sur la Chine en présence de M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, et de M. François Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

La séance est ouverte à dix-heures trente.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je vous remercie, messieurs, d'avoir accepté l'invitation de notre commission. La Chine fascine l'Occident depuis des siècles, mais aujourd'hui elle l'inquiète, pour reprendre le titre d'un récent ouvrage de M. Jean-Luc Domenach.

Si nous comprenons, dans leurs grandes lignes, les objectifs économiques de la Chine, nous ne mesurons pas exactement ses intentions en matière politique et nous parvenons mal à déchiffrer le double langage de ses autorités. Ainsi, le président chinois reconnaît devant la presse internationale que son pays a des progrès à faire en matière de droits de l'homme, mais la censure veille à ce que la population chinoise ignore cette déclaration. Le formidable développement économique du pays offre d'immenses opportunités aux entreprises occidentales, mais il se traduit aussi par une concurrence que ces dernières ont du mal à soutenir et confère à la Chine une nouvelle forme de puissance d'autant plus redoutable qu'elle s'accompagne du renforcement de ses capacités militaires.

Comment analysez-vous l'évolution de la Chine au cours des dernières années ? Quel est votre sentiment sur ce que pourrait être son avenir ?

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

C'est une fierté pour un citoyen d'être appelé à aider la représentation nationale ; je vous remercie de m'en donner l'occasion.

Je précise pour commencer que l'on a mal compris le propos de M. Hu Jintao : les Chinois, a-t-il dit en réalité, « ne sont pas assez bons dans leur travail concernant les droits de l'homme », autrement dit dans l'exercice consistant à convaincre le monde qu'en matière de droits de l'homme, tout va pour le mieux en Chine…

L'analyse de la situation chinoise montre une continuité mais aussi une inflexion depuis 2007. Il y a continuité dans les objectifs : la Chine est engagée dans une croissance économique très forte, qui vise à renforcer son potentiel national et à améliorer le niveau de vie des Chinois, sans oublier celui de leurs dirigeants – avec une croissance de 10 % par an, ils peuvent se le permettre. Il y a aussi continuité de moyens : le pays est dirigé par un parti politique adossé aux milieux économiques. À l'instar de ce qui était le cas dans la France de Napoléon III, la classe dirigeante est issue de l'élite politico-administrative - en l'occurrence, l'élite « communiste ». Cette situation diffère légèrement de la période précédente, pendant laquelle l'élite était plus commerçante et plus attirée par l'argent ; Jiang Zemin, qui dirigeait le parti avant Hu Jintao, venait de Shanghai et s'était entouré de personnalités proches du monde des affaires. Hu Jintao et Wen Jiabao sont plus politiques. Je les tiens pour les meilleurs dirigeants de l'histoire communiste chinoise car ils savent s'entourer de conseillers compétents ; je me rappelle d'ailleurs mes collègues de l'Université revenant épuisés de séances du bureau politique au cours desquelles on leur avait posé d'innombrables questions.

Des inflexions ont eu lieu dans deux directions. Tout d'abord, la Chine a adopté depuis peu un moralisme de façade. Les autorités ont compris que le pays connaît de réels problèmes sociaux. Entourés de spécialistes compétents – sociologues, économistes –, les dirigeants ne se racontent pas d'histoires, certains de leurs conseillers allant jusqu'à me confier récemment que leur pays risquait un embrasement général. Ils savent que le développement que connaît la Chine aujourd'hui excite les appétits, notamment de ceux qui en profitent le moins, à savoir les habitants de ces zones rurales proches des villes qui sont la cible principale de la soif de lucre de l'appareil.

L'autre inflexion, c'est que l'on ressent aujourd'hui des nuances de populisme. Hu Jintao et Wen Jiabao se complètent. Hu Jintao, avec son côté « post-maoïste », veut servir le peuple ; Wen Jiabao sait fort bien pleurer, parfois sincèrement. L'un et l'autre joignent compétence et talent politique. Ils n'ont pas connu de menaces graves mais, ce qui est nouveau depuis la survenue de la crise en 2008, et alors que la Chine réalisait une percée internationale, c'est que les bribes de discussions qui existaient auparavant se sont cristallisées en un véritable débat, consacrant la différence entre la période actuelle et celle de Mao Tsé-toung. L'évolution était déjà nette sous Deng Xiaoping, mais désormais on se divise sur des questions non plus seulement politiques mais économiques : quelle ligne suivre pour consolider le régime et faire que les fumerolles qui surgissent dans les campagnes et aux abords des villes ne se transforment en un embrasement ? Quelle ligne suivre pour que la Chine profite à fond des opportunités extraordinaires que lui offre la crise mondiale ? Tout indique que ces questions font l'objet d'une bataille politique intense. Mais comme les termes en demeurent invérifiables, ce que je peux vous en dire ne peut être considéré que comme hypothétique. Ce qui est certain, c'est que le débat existe sur les questions de fond.

La question principale qui se pose aux dirigeants chinois est celle-ci : faut-il soutenir l'emploi et pour cela renforcer les secteurs d'exportation, ou profiter de la crise pour faire passer une série de réformes qui accéléreront la mutation de l'économie chinoise vers une économie de consommation et de progrès technologiques ? Au demeurant, cette mutation est en cours. Les Chinois ne sont pas des robots mais des êtres normaux qui, après avoir beaucoup travaillé, aspirent au repos. On a beaucoup parlé d'un sondage récent selon lequel la jeunesse chinoise est la seule jeunesse optimiste du monde. En revanche, on a passé sous silence un autre sondage comparant l'attitude des différentes jeunesses d'Asie à l'égard du travail : il montre que la jeunesse la moins intéressée par le travail est la jeunesse chinoise. Bien sûr, tout dépend de qui a été interrogé : si l'on avait posé la question majoritairement à de jeunes ruraux encore désargentés, qui n'ont pas encore accès à la richesse, ils auraient répondu qu'ils comptent bien travailler. Il n'empêche, le tableau d'ensemble a changé.

On peut dire schématiquement que les provinces côtières et Shanghai souhaitent conforter un système qui fonctionne bien, et donc les exportations, tandis que les provinces de l'intérieur, plus directement tenues par Hu Jintao, sont enclines à un choix plus logique, celui qui consiste à profiter de la crise pour engager des réformes sociales et encourager la progression technologique.

Ces deux lignes s'expliquent aussi par des affiliations factionnelles : Hu Jintao, ancien de l'École centrale du parti, est plus à l'aise avec les dirigeants de la Chine de l'intérieur qu'avec ceux des régions côtières, plus proches des milieux d'affaires. Il existe, entre ces deux grandes factions, une autre faction - elle-même divisée - qui, d'après ce que me disent mes contacts, penche suivant les moments d'un côté ou de l'autre. Après avoir donné dans un premier temps donné priorité à la relance, ce groupe charnière a ensuite privilégié l'autre politique, sans toutefois engager tous les moyens pour la mener à bien, tout en confirmant leur appui à Xi Jinping la personnalité appelée à succéder à Hu Jintao, qui penche plutôt du côté de Shanghai et des provinces côtières…

Pour remplacer le Président et le Premier ministre actuels, deux hommes sont en effet en piste, l'un et l'autre très compétents et qui savent manier les appareils. Li Keqiang, probable futur Premier ministre, est le préféré de Hu Jintao, mais il reste dans les esprits qu'il a été gouverneur de la province du Henan où a eu lieu le scandale de la contamination par le VIH-sida des paysans incités à vendre leur sang.

Quant à Xi Jinping, c'est un « fils de prince » qui a longtemps travaillé dans les provinces maritimes, notamment au Fujian, et qui, un temps, dirigea Shanghai. J'ai récemment découvert la carrière sinueuse de son père. Né en 1912, il fut le plus jeune et le plus brillant des membres de la coterie qui entourait Zhou En-lai, dont il était le directeur de cabinet de fait. Aussi Mao Tsé-toung ne l'aimait-il guère, si bien qu'il fut victime des purges bien avant la Révolution culturelle. Emprisonné entre 1962 et 1979, il ne fut réhabilité que tardivement par Deng Xiaoping et n'a pas eu la carrière qu'il aurait méritée. Tout porte à croire que son fils a été poussé dans son ascension par une sorte de rancoeur. Ces choses que l'on peut comparer aux bagarres entre coteries qu'a connues notre pays au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, ont une grande importance dans la vie politique chinoise d'aujourd'hui. Xi Jinping, qui avait tout contre lui, aurait dû finir laboureur mais, exilé pendant la Révolution culturelle, il a réussi, avec une habileté hors norme, à s'imposer. D'abord secrétaire du parti dans une commune rurale, il a su gravir tous les échelons. Il faudra compter demain avec cet homme à l'esprit très vif, qui s'est laissé aller récemment à des déclarations quelque peu excessives et xénophobes ; ce sera un partenaire plus difficile encore que ne l'est Hu Jintao.

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Je vous remercie à mon tour de nous avoir invités. Avant d'évoquer la situation extérieure de la Chine, je voudrais revenir sur sa situation intérieure, en insistant sur trois données. Georges Sokoloff décrivait la Russie comme une « puissance pauvre ». Avec la Chine, on se trouve au contraire, pour la première fois dans l'histoire, devant un pays régi par un système léniniste riche. Malgré toutes les fragmentations décrites par Jean-Luc Domenach et l'enrichissement d'une certaine classe sociale, la Chine a conservé un système léniniste centralisé qui a réinventé et mis en pratique la direction collective. Certes, celle-ci peut être encombrante et donner l'impression que la Chine réagit avec lenteur aux crises extérieures – pas autant, toutefois, que l'Union européenne, qui a encore plus de cerveaux à coordonner... – , mais c'est l'inconvénient d'un système qui repose en grande partie sur le consensus, au moins apparent. La persistance de ce système est une première donnée importante pour la compréhension de la politique extérieure du pays.

Une autre donnée, quelque peu contradictoire, est l'émiettement progressif de l'appareil chinois dû au succès économique plus rapide que prévu de la Chine. Cette réussite a suscité une multitude de pouvoirs qui participent de la politique extérieure : le ministère du commerce et celui des finances, l'état-major de l'armée, la Commission chargée du développement et des réformes, les grandes entreprises d'État - en particulier les compagnies pétrolières au sein desquelles certains dirigeants ont travaillé plusieurs décennies – et les grands organismes financiers. On peut y ajouter les trois grandes provinces les plus dynamiques, qui réalisent à elles seules entre 80 et 100 milliards d'excédent commercial, chacune presque autant que l'Allemagne. Cet émiettement du pouvoir entre administrations et grandes entreprises pose la question ancienne de l'articulation entre le contrôle, pilier du système léniniste, et l'individualisme ou le « localisme ».

Troisième donnée, la réussite économique a eu lieu plus vite que les dirigeants ne l'avaient prévu. On peut illustrer la situation actuelle de la Chine en la comparant à celle d'un pilote d'avion informant les passagers qu'il est en avance sur l'horaire, ce qui une bonne nouvelle, mais qu'ayant perdu la carte, il ne sait plus où il est... Aujourd'hui, de nombreux Chinois évoquent le retard de la réflexion stratégique sur la position politique de leur pays sur le plan international, au moment où ses partenaires lui demandent de prendre sa part dans le règlement de conflits légués par l'histoire.

Sur le plan économique, la Chine a dépassé le Japon en 2010, alors que dans les schémas les plus optimistes, cette évolution ne devait pas se produire avant 2015. Mais les Chinois se gardent d'en faire état, tant ils sont conscients de ce que cela signifie pour toute l'Asie. Sauf accident, l'économie chinoise surpassera l'économie des États-Unis avant 2025 si les courbes de croissance ne s'infléchissent pas. En 2011 déjà, la production industrielle de la Chine sera supérieure à la production industrielle américaine ; même s'il s'agit plus de vis, d'écrous et de composants électroniques que d'ensembles complexes, c'est un tournant majeur.

Les Chinois se trouvent entraînés à devoir gérer une grande puissance et doivent assumer une influence globale à laquelle ils disent n'être pas préparés – mais l'argument est trop mis en avant pour être tout à fait honnête.

En ce qui concerne l'évolution des principes de la politique extérieure, on peut parler d'un millefeuille. La Chine n'oublie rien, et les revendications territoriales, les contentieux, les humiliations qui datent d'un siècle et demi sont toujours susceptibles de ressurgir.

Au premier étage du millefeuille on trouve le principe de non-intervention, de non-ingérence. Ce principe - l'ancienne coexistence pacifique - a bien fonctionné et marque encore la conception qu'a la Chine des relations internationales : quelle que soit son influence, elle a une vision a minima du système international. Les Chinois veulent le respect pointilleux du droit commercial international que des bataillons de juristes de grande qualité étudient avec soin, mais l'extension d'un système normatif international ne les intéresse pas. D'ailleurs, à l'initiative de Hu Jintao, ils ont inventé la notion ambiguë de « démocratisation des relations internationales », une curieuse construction intellectuelle selon laquelle chaque pays serait citoyen d'un système international dans lequel il doit conserver un maximum de liberté d'agir.

Deuxième étage du millefeuille : le refus de la Chine d'assumer le rôle de grande puissance. De l'époque maoïste, la Chine conserve des identités multiples, dont elle joue dans ses négociations avec les pays occidentaux. Son statut de pays en voie de développement, auquel elle est très attachée, lui a permis d'obtenir des exemptions auprès de l'OMC. C'est aussi une économie émergente, ce qui lui permet de s'allier au nouveau bloc des pays émergents lorsqu'il s'agit de refuser les propositions de l'Europe ou des États-Unis. Elle est également proche des grandes puissances, une expression qu'elle assume de plus en plus sans tabou. Enfin, c'est de toute évidence un pays développé ; plus exactement, une partie de l'économie chinoise est équivalente à celle d'un pays développé. Actuellement, selon des chiffres fiables quoique non officiels, dans une prodigieuse inégalité, 10 % des Chinois concentrent 55 % des revenus individuels, les 20 % les plus pauvres 2,4 % seulement. Les Chinois les plus riches ont un niveau de vie équivalent à celui des Français ou des Allemands, mais ils paient moins d'impôts, ont des capacités d'épargne bien supérieures et peuvent utiliser une main d'oeuvre à un coût bien moins élevé que dans l'Union européenne.

Ce qui caractérise la Chine aujourd'hui, c'est donc une évolution, des polémiques, un développement pacifique et de moins en moins de complexes à évoquer la montée en puissance du pays. Ainsi, dans une longue série d'articles parue dans le dernier numéro de la revue du premier institut géopolitique chinoise, le mot « multilatéral » n'est mentionné qu'une fois - et encore est-ce à propos d'institutions multilatérales – alors que les occurrences de l'expression « monde multipolaire » sont… multiples.

Tous ces éléments ont amené la Chine à faire de ses rapports avec les Etats-Unis sa relation essentielle. Malheureusement, bien qu'elle pèse économiquement autant et parfois plus que les États-Unis, l'Union européenne a un poids politique négligeable pour la Chine du fait de son manque de coordination, et plus aucun pays européen n'est en mesure de traiter seul avec la Chine. Certes, les Chinois investissent dans la zone euro, mais ils en restent là.

Pendant plus de dix ans, les Chinois ont mené une politique de bon voisinage, ce qui leur a permis de résister à ce qu'ils percevaient comme un encerclement américain. Depuis 18 mois, cette politique se délite. Le géopoliticien Shi Yinhong, rappelant le mot de Bismarck selon laquelle quand on a cinq voisins il faut s'entendre au moins avec trois, observe que la Chine, qui a quatorze voisins, ne respecte pas du tout ce principe. Cette évolution étonnante renvoie probablement à une lutte factionnelle en cours et à l'imminence d'une succession en 2012. Hu Jintao et Wen Jiabao sont très satisfaits de la situation dans laquelle ils laisseront la Chine et comptent bien terminer leur mandat sans polémiques et sans prendre des décisions difficiles ; celles-ci sont donc retardées. Mais, dans un système léniniste, en l'absence de direction ferme imposée par le sommet, toutes sortes de pouvoirs tentent de se positionner, y compris dans le domaine de la politique extérieure : c'est ce que font l'armée et les grandes compagnies pétrolières, intéressées par les ressources en mer de Chine. Le pays vit une période de transition.

J'en viens à l'armée. Depuis 1979, soit 32 ans, la croissance annuelle des dépenses militaires n'a été qu'une seule fois inférieure à 10 %. Les experts ne s'accordent pas sur les capacités technologiques réelles de l'armée chinoise. C'est une indication de constater que la Chine achète aujourd'hui beaucoup moins d'armes aux Russes – lesquels se vengent en vendant des sous-marins aux Vietnamiens ; il est même question qu'ils en vendent à Taïwan, ce qui serait un casus belli pour la Chine. Le rapprochement opéré par la Russie avec l'Occident s'explique aussi par l'inquiétude des Russes qui comprennent que leur relation avec la Chine, fondée sur le commerce des armes, du pétrole et surtout du gaz, ne suffit pas à contenir les ambitions de ce pays.

Ne prenons pas les Chinois d'aujourd'hui pour des Soviétiques déclinants, des Irakiens ou des Nord-Coréens. Ils ont une perception exacte des limites de leur puissance. Il existe en Chine un débat très réaliste sur les risques de la puissance, martelé sinon par l'armée, du moins par les géopoliticiens et par l'appareil de sécurité, et repris par les dirigeants. Contrairement à ce que l'on croit généralement, les Chinois veulent retarder le plus possible le moment de prendre des responsabilités mondiales. Pour assurer leur légitimité intérieure, ils ont besoin de briller à l'étranger, mais ils savent que les responsabilités sont un piège dangereux.

Ils savent aussi que la situation économique du pays ne sera pas éternellement favorable. Le vieillissement de la population constituera un couperet démographique. En outre, étant donné la crise de croissance en Europe et aux Etats-Unis, la Chine se heurte aujourd'hui aux limites d'absorption de sa production par le reste du monde. Les pays émergents comme l'Inde et le Brésil, qui ne s'en laissent pas conter sur le libre marché et la concurrence loyale, se montrent plus durs lors des négociations de l'OMC. La Chine sait aussi qu'elle sera confrontée à l'épuisement des ressources naturelles : si la croissance chinoise continue sur sa lancée, dans quinze ans, la Chine consommera 75 % du pétrole mondial – c'est manifestement impossible. Il en va de même pour l'eau, dont la raréfaction pourrait conduire à des conflits sur le continent asiatique.

Les Chinois savent qu'ils disposent d'un temps limité ; ils entendent donc maximiser leurs gains et pour cela se soumettre le plus tard possible aux demandes internationales d'égalisation des règles et à « l'inconvénient démocratique »… Il faut bien reconnaître que, vu sous l'angle de la puissance réaliste qu'est la Chine, la démocratie est une machine à se donner des coups de pied ! Les Chinois observent le Japon, où le gouvernement change tous les neuf mois ; la Corée du Sud, où tous les anciens premiers ministres finissent en prison, sauf ceux qui se suicident ; Taïwan, où leur adversaire Chen Shui-bian et sa femme sont emprisonnés pour le restant de leurs jours, et ils sont confortés dans l'idée que leur système stable, autoritaire et qui offre à une partie de la population un bon niveau de vie, est un système très satisfaisant.

PermalienPhoto de Martine Aurillac

Monsieur Godement, quelles sont les relations entre la Chine et l'Inde ? J'aimerais par ailleurs connaître le point de vue de M. Domenach sur la situation réelle de la population chinoise. Les inégalités très fortes qui persistent entre villes et campagnes menacent-elles la cohésion du pays ? Des fractures sont-elles perceptibles ?

PermalienPhoto de Jean-Marc Roubaud

Vous avez présenté l'axe sino-américain comme une relation essentielle pour la Chine. Cependant, l'acceptation par la Chine de l'agenda de la présidence française du G 20 n'est-elle pas un signe d'ouverture plus large qu'on ne pouvait le craindre ?

PermalienPhoto de Lionnel Luca

Si je vous ai bien compris, le meilleur garant du bon fonctionnement d'un régime capitaliste, c'est un régime léniniste… À vous entendre, la situation politique chinoise existe pour l'éternité, puisque le système est efficace, animé par des personnalités remarquables dont la succession est programmée. En est-il vraiment ainsi ? On peut d'autre part s'interroger sur le retardement supposé de l'admission du statut de grande puissance par un pays dont les dépenses d'armement s'accroissent chaque année de 10%. Qu'en pensent les quatorze voisins de la Chine, déjà fort inquiets de la puissance politique et militaire chinoise ?

PermalienPhoto de Patrick Labaune

Vous avez évoqué un clivage que je ne soupçonnais pas au sein du bureau politique du parti communiste chinois entre représentants des zones côtières et des provinces de l'intérieur. En existe-t-il d'autres, par exemple entre pragmatiques et idéologues, maoïstes avérés et post-maoïstes, conservateurs et avant-gardistes ?

PermalienPhoto de Marie-Louise Fort

Il semble que les ouvriers chinois commencent à ne plus supporter les mauvaises conditions de travail et que la conception de l'industrialisation évolue. Pouvez-vous nous en dire un mot ? Par ailleurs, la Chine achète des milliers d'hectares partout en Afrique et de très nombreux Chinois émigrent, notamment en France. Quelles relations la Chine entretient-elle avec les Chinois de la diaspora, très actifs sur le plan économique ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Quelle est la position du parti communiste chinois sur les questions environnementales ? Y a-t-il des débats à ce sujet ? Y a-t-il des « Verts » en Chine ? Dans le domaine militaire, la Chine montre-t-elle des signes d'interventionnisme ? Sa politique d'armement n'est-elle pas défensive ? Enfin, la corruption affecte un grand nombre de pays ; qu'en est-il de la Chine et de ses dirigeants ?

PermalienPhoto de Jacques Myard

J'ai été l'un des premiers, en 1984, à négocier, avec M. Jean-Claude Trichet, la promotion et la garantie des investissements en Chine. Lors d'un récent voyage en Chine, j'ai été frappé par la nouvelle liberté de parole des Chinois – sauf en matière politique. Vous avez parfaitement décrit l'oligarchie politico-administrative qui tient le pays sur les plans économique et politique. Le modèle chinois a ceci d'intéressant qu'il repose sur une synergie et un échange permanent d'informations ; les décisions ne sont prises qu'après une longue concertation. Le XXIIe plan quinquennal, qui privilégie la consommation intérieure, tend à maîtriser l'exode rural, périlleux. Le danger d'une économie duale est grand ; les Chinois le savent et avouent qu'il y a 200 à 300 émeutes chaque jour dans le pays. Le système pourra-t-il durer si le hiatus persiste entre économie libérale et absence de libertés publiques ? En politique étrangère, les Chinois évoluent dans un temps long, mais il est clair qu'à terme, leur objectif est de chasser les États-Unis d'Asie. Quelle opinion avez-vous de la relation « amour-haine » que les Chinois entretiennent avec les Américains ?

PermalienPhoto de Jean-Louis Christ

La règle de l'enfant unique a eu des conséquences importantes sur la démographie chinoise : dans quelques années, le nombre des personnes âgées triplera d'ici quelques années ; le déséquilibre entre le nombre d'hommes et le nombre de femmes fragilise la société ; la raréfaction de la main-d'oeuvre pourrait bouleverser le modèle économique chinois, construit sur l'abondance d'une main-d'oeuvre bon marché. Compte tenu de ces éléments, peut-on envisager que des entreprises se relocalisent en Europe ?

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Raymond Aron considérait que le libéralisme économique débouche forcément sur la démocratie politique. Cette thèse trouvera-t-elle à s'appliquer à la Chine ? D'autre part, dans ses relations avec ses quatorze voisins, la stratégie de la Chine tient-elle du jeu de go ou du jeu d'échecs ?

PermalienPhoto de Chantal Bourragué

Combien de temps encore la population rurale acceptera-t-elle l'écart des niveaux de vie ? Les dirigeants chinois ont-ils vraiment une préoccupation environnementale ? Est-il concevable que Hongkong et Macao demeurent des paradis fiscaux, comme la Chine l'a exigé lors de son adhésion à l'OMC ? Enfin, les femmes chinoises, dont on voit bien peu aux postes de responsabilité, ont-elles des droits réels ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Dupré

La stratégie expansionniste de la Chine en Afrique, qui se traduit par de considérables investissements fonciers destinés à garantir son approvisionnement en ressources naturelles et en matières premières, a-t-elle déjà des conséquences pour les populations des pays considérés ? D'autre part, le basculement en train de s'opérer en faveur des pays anciennement dits émergents peut-il mettre en péril les économies européennes ?

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Mme Aurillac a évoqué les relations entre la Chine et l'Inde. On observera que leur différend frontalier n'est toujours pas tranché ; d'autre part, l'Inde n'a pas cédé à propos du Dalaï Lama, et la Chine attend la succession pour mieux contrôler la situation. En réalité, le mythe de la « Chindia » inventé par la banque Goldman Sacks, selon laquelle les deux pays seraient complémentaires, ne tient pas : les deux pays sont en concurrence économique permanente. C'est d'ailleurs cette rivalité qui a poussé l'Inde à investir - enfin – dans les infrastructures dont le manque entravait son développement. L'Inde bénéficie indirectement de la croissance chinoise, notamment parce que le Japon, par méfiance, y investit davantage qu'il n'investit en Chine. On assiste donc à l'amorce d'un rééquilibrage des puissances de la région Asie-Pacifique : l'Inde ne peut prétendre y parvenir seule, mais avec d'autres elle le pourrait, d'autant qu'elle a mainmise sur l'Océan Indien, ce qui constitue un verrou stratégique.

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

Il n'y aura pas de fractures dans la société chinoise aussi longtemps que le taux de croissance annuel sera de 6 à 8% au minimum. Il est donc absolument nécessaire d'atteindre ce taux car les Chinois, comme les autres peuples, sont parfaitement capables de faire savoir qu'ils sont mécontents ; le gouvernement, qui ne l'ignore pas, fait tout pour maintenir la croissance dans ces eaux. Selon moi, le risque de clivage est triple. D'abord, entre populations urbaines et populations rurales ; à terme, entre riches et pauvres ; enfin, entre hommes et femmes. La question du statut de la femme est explosive, car le pays est dans une phase de transition, périlleuse, entre le modèle traditionnel qui n'a jamais vraiment satisfait et un nouveau modèle social où l'argent est roi.

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Vous nous avez interrogés, monsieur Roubaud, sur les relations sino-américaines. Vous aurez noté que même à l'occasion de la conférence de presse clôturant leurs rencontres MM. Obama et Hu Jintao parlent sans fard de la concurrence – « amicale et « contrôlée » certes, mais concurrence néanmoins – qui existe entre les deux pays. Cela traduit l'acceptation d'une situation devenue instable. Les Chinois savent la suprématie stratégique actuelle des Etats-Unis mais ils se préparent à l'atténuation de cette domination, voire à un renversement de situation. Tout en envisageant une deuxième crise financière occidentale et notamment américaine, ils continuent d'investir en dollars car ils n'ont pas le choix mais ils s'attachent en même temps à diversifier leurs placements. Ils poussent des pointes en matière militaire, car ils veulent un libre accès à la mer, et pour cela s'extraire de la double chaîne de bases installées depuis 50 ans sur des îles en mer de Chine, mer du Japon et mer des Philippines dans laquelle les Américains les ont enfermés. A cette fin, ils font pression sur leurs voisins des pays concernés et sur les États-Unis eux-mêmes ; c'est un changement.

A propos du G20 et des attentes européennes et françaises qu'il suscite, je suis réservé. En effet, la Chine a obtenu un premier gain : la réduction de la représentation des pays de l'Union européenne au conseil d'administration du FMI sans contrepartie pour les Européens. Ceux-ci ont d'autre part atténué leurs demandes de réévaluation du yuan – deuxième gain pour la Chine. Nous, Européens, recherchons un appui pour réformer le système monétaire international, mais la Chine prendra ce qui lui conviendra et de l'offre européenne et de l'offre américaine, si bien que l'Europe me paraît dangereusement exposée. Cela me ramène aux relations entre l'Inde et la Chine, qui s'appuient l'une sur l'autre quand elles en ont besoin contre l'Europe. L'échec de Copenhague en est un exemple : les deux pays s'étant mis d'accord, la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique était vouée au fiasco avant même de s'ouvrir. De même, lorsque les Indiens veulent mettre en échec les négociations sur la libéralisation commerciale au sein de l'OMC, ils s'allient aux Chinois. La Chine privilégie les coalitions sélectives avec les grands pays émergents quand elles l'arrangent ; mais quand il s'agit d'obtenir le statut de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, elle se défend seule et ne cède rien à personne. Inutile de dire que l'on se prend à rêver d'une diplomatie européenne qui se chercherait, elle aussi, de grands alliés…

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

Aucun régime n'est éternel, monsieur Luca, mais le régime chinois est plus solide que d'autres car il est identifié à la réussite économique ; il peut donc espérer durer autant qu'elle durera et il s'y emploie. Mais si la réussite économique s'effiloche, le risque existe de fragmentations régionales, car faire vivre ensemble 1,4 milliard d'habitants sous un régime centralisé est à la limite du raisonnable. Trois des provinces chinoises sont, chacune, une puissance économique ; si le régime obtient de moins bons résultats, des divergences apparaîtront entre elles sur le partage des sacrifices et le climat politique peut alors devenir très lourd. La Chine est si vaste et si densément peuplée que chaque tendance y est amplifiée : quand les choses vont bien, elles vont très bien mais l'accélération se produit aussi quand cela va mal. Par ailleurs, la démocratie occidentale, outre qu'elle n'est pas aussi attrayante qu'on peut le penser, a longtemps été imparfaite. Il faut du temps. Des transitions conduiront à des pouvoirs plus séparés et des libertés personnelles plus affirmées, mais, pour l'instant, le régime est en bonne santé.

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Pour ce qui est des relations entre la Chine et ses voisins, monsieur Guibal, un proverbe chinois dit « l'esprit le veut mais la chair est faible »… Ces pays ont un dilemme : ils voudraient se protéger de la Chine et ils font appel aux États-Unis pour cela, mais ils ont aussi besoin que la locomotive de l'économie régionale continue sur sa lancée. Cela étant, ils ne sont pas mus par des considérations d'ordre politique ; si les Indiens, les Coréens du Sud et les Japonais ont envoyé une délégation à Oslo pour la remise du Prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo, ce n'est pas pour promouvoir la démocratie mais pour dire à la Chine qu'ils en ont assez de ses revendications territoriales et des incidents qu'elle provoque à ce sujet. C'est donc une politique à courte vue.

Une chose est, selon moi, beaucoup plus importante : l'impossibilité qu'il y a à poursuivre ce développement dans le schéma actuel. La croissance de l'économie chinoise a profité à beaucoup dans un premier temps, mais on en est arrivé au point où, dans les grandes villes, le prix de l'immobilier est la moitié de ce qu'il est à Paris ; c'est hors de portée, non seulement pour les plus pauvres mais aussi pour les classes moyennes et les diplômés, car les salaires sont très loin d'avoir progressé dans les mêmes proportions. On ne cesse de répéter que les salaires chinois ont augmenté, mais on oublie d'ajouter que dans le même temps les prix alimentaires se sont renchéris de 50% et ceux de l'immobilier de 45% dans les mégapoles : on a là le réservoir de grandes tensions sociales, et c'et un phénomène nouveau.

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

Monsieur Labaune, notre schéma politique traditionnel nous conduit à opposer la gauche, communiste, à la droite, capitaliste. En Chine, les clivages importants sont autres : ce sont les clivages régionaux d'une part, les clivages moraux d'autre part. Aussi bien, le pays n'a pas été travaillé par les polarisations politiques - au demeurant, l'histoire de la démocratie en Chine tient sur un mince feuillet. Pour parvenir à la démocratie, il faut du temps et le loisir de créer des partis politiques, ce qui n'est pas possible maintenant en Chine sans être inquiété par les autorités.

Mme Faure nous a interrogés sur la condition ouvrière. Je me suis trouvé, au milieu des années 2000, assister à un mouvement de population depuis le Sud de la Chine vers, en quelque sorte, un moindre malheur. Les ouvriers, qui n'en pouvaient plus des conditions de travail exécrables imposées par les Chinois d'outremer ou taïwanais ont préféré partir en masse vers les usines Shanghai, considérant que le sort qui leur serait fait là-bas par les Japonais ou les Occidentaux serait moins rude, m'expliquant que là-bas au moins les hommes et les femmes avaient des toilettes séparées … De fait, il se produit dans les zones côtières de la Chine une dynamique émouvante, avec un parfum de conquête des droits ouvriers élémentaires, les revendications portant, outre sur l'augmentation des salaires, sur l'amélioration des conditions de travail et de vie. Un monde se dessine dans lequel se forge la demande de droits de l'homme fondamentaux. Aussi longtemps que la prospérité économique sera là, on peut être optimiste.

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Pour les Chinois, monsieur Lecoq, l'environnement est un marché. C'est pourquoi un chapitre du XIIème plan quinquennal est consacré à l'énergie solaire, à la voiture électrique et à la voiture hybride, aux énergies alternatives. Les autorités ont déjà commencé de développer ces secteurs car ils y voient un créneau d'exportation et un relais de croissance. Cela étant, on note une contradiction flagrante entre les objectifs environnementaux imposés aux cadres et une croissance échevelée qui détruit les maigres progrès accomplis.

On trouve en Chine des zones à basse intensité carbone et de ces quartiers d'«urbanisme efficient » dont font état les communiqués de presse euro-chinois. Mais l'un des grands problèmes pour l'Union européenne est qu'elle continue de parler de ces questions comme s'il lui revenait de contribuer au changement chinois sans conditionner son aide à des alliances de firmes, au respect de la propriété intellectuelle, au cofinancement. Savoir que la Banque européenne d'investissement, qui s'est déjà vantée d'avoir consacré 500 millions d'euros au financement du troisième terminal de l'aéroport de Pékin, s'apprête maintenant à investir 500 autres millions dans le développement d'énergies alternatives en Chine, sans avoir reçu de garanties d'aucune sorte pour les entreprises européennes laisse rêveur. En ces temps de vaches maigres, c'est inconcevable.

Il n'empêche que les autorités chinoises agissent très sérieusement. C'est que les conditions actuelles de la croissance en Chine, avec les atteintes gigantesques à l'environnement qu'elles induisent, représentent une menace pour la santé et pour les générations chinoise futures, et il est impossible de laisser la croissance se poursuivre dans les conditions actuelles. L'eau sera le problème majeur.

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

Les données relatives à la corruption des dirigeants sont, par nature, difficiles à obtenir ; j'ai eu à connaître à ce sujet de témoignages contradictoires donnant à penser que les situations sont diverses. Mais, au sommet de l'État, il existe des liens consubstantiels entre les factions au pouvoir et les grandes entreprises, lesquelles entretiennent des rivalités traditionnelles ; c'est le cas par exemple pour Petrochina et Sinopec, dont les différends se règlent parfois au revolver… En matière de corruption, le pire se produit vraisemblablement dans les provinces lointaines, où des chefs de département cherchent à tirer le plus grand bénéfice possible de leur temps en fonction ; là-bas, tout est possible.

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Les débats sont permis, monsieur Myard, aussi longtemps qu'ils ne touchent pas à la politique. Les Chinois sont libres de parole à condition que leurs propos ne soient pas diffusés, et j'ai même été frappé récemment de constater que la mise en cause vague de la politique des dirigeants est désormais possible. Dans le même temps, on constate depuis deux ou trois ans un durcissement constant de la répression des activistes déclarés ; ceux-là sont incarcérés, parfois enlevés pour être détenus incommunicado. Sur la peine de mort, le débat est en panne. Il avait été question de réduire le nombre des condamnés en diminuant les incriminations entraînant cette sanction – pour être précis, de retirer de la liste les délits économiques et la corruption ; on a pris prétexte de l'impopularité d'une telle mesure pour ne pas réduire le champ d'application de la peine de mort.

Les États-Unis ne savent comment obtenir ce qu'ils souhaitent en matière de renforcement des droits de l'homme ; même si, lors de la visite aux Etats-Unis du président Hu Jintao, le président Obama a été plus net que les dirigeants européens à ce sujet, il n'a pas obtenu davantage.

Monsieur Christ nous a interrogés sur les délocalisations et la hausse des salaires. Il est vrai que dans les moments de surchauffe de l'économie la main d'oeuvre peut chercher à s'employer là où elle est le mieux payée. Mais on est loin d'en être là, et la thèse selon laquelle dès 2013 on ne trouverait plus en Chine assez de gens en âge de travailler ne me convainc pas, car le pays a utilisé sa richesse à l'intégration de son territoire, construisant 50 000 km d'autoroutes et 10 000 km de voies de train à grande vitesse, des aéroports et des ports intérieurs pour porte-conteneurs. De ce fait, si les entreprises estiment que la main d'oeuvre des régions côtières est trop payée, elles peuvent se replier 2 000 km à l'intérieur des terres.

Sur un tout autre plan, on peut évoquer le mouvement de relocalisation des entreprises occidentales voulant protéger leur propriété intellectuelle. Les Japonais, les premiers, ont renoncé à des transferts en Chine dans de nombreux domaines et en particulier ce qui concerne les énergies alternatives – marché de dupes.

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

Vous vous demandiez, monsieur Guibal, si le capitalisme produit nécessairement la démocratie. Il se trouve que le capitalisme chinois est d'une autre sorte que le nôtre, en ce sens qu'il est très difficile d'être un capitaliste sans être à l'ombre de l'État-parti, singulièrement dans les provinces. Toutefois, un facteur joue : l'augmentation des revenus. Pour avoir vécu en Chine de 2002 à 2007, j'ai constaté en personne que quand les gens ont plus d'argent ils ont plus de loisirs, plus de liberté, plus de temps pour penser… et ils le font. Il est maintenant possible de parler du régime, même assez durement, dans la presse. Une anecdote permet de mesurer l'évolution intervenue. J'avais connu lors de mon séjour à Pékin un chauffeur de taxi qui n'était jamais sorti de la ville, ni sa femme de son quartier. Lorsque je l'ai retrouvé en janvier 2010, il revenait d'un voyage itinérant en Thaïlande, se préparait à partir en Inde, n'écartait pas l'idée de me visiter en France et exprimait une opinion circonstanciée sur le Président Sarkozy…

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Madame Bourragué, la grave question des paradis fiscaux doit être élargie aux dysfonctionnements d'ensemble du système financier international. En tenant compte de ce qui n'apparaît pas dans les statistiques officielles, les réserves de la Chine s'élèvent à 3 500 milliards de dollars, et de 60 à 70% des flux transitent par des places off shore. Les Chinois tirent de cette opacité un avantage politique considérable : ils valorisent eux-mêmes ce qu'ils font. Ainsi, en 2010, les achats par la Chine de bons du Trésor américains ont, nominalement, très légèrement baissé ; mais, dans le même temps, les investissements (pas tous d'origine chinoise, bien sûr), qui ont transité par Londres ont augmenté en un an de 120 à 456 milliards de dollars, ce qui est considérable. La Chine pourra agir indirectement, ce qui pose un problème réel.

M. Dupré s'est inquiété des visées chinoises en Afrique. Là, la Chine joue la synergie avec les pays en développement, et c'est là qu'elle est engagée dans la concurrence la plus vive avec les entreprises européennes et américaines : les consommateurs africains veulent les produits chinois bon marché. On nous rebat les oreilles des 5 ou 6 milliards que la Chine va prêter au Portugal ou à la Grèce, mais elle a prêté de 15 à 20 milliards de dollars à la République démocratique du Congo en contrepartie de concessions minières.

Quant à l'immigration chinoise, elle est constante, et plus forte qu'on ne le dit. Les évaluations ont évoqué 300 000, puis 600 000, et enfin un million d'émigrants. Je ne serais pas surpris que ce soit deux millions, et le mouvement continue.

Pour ce qui est des tensions politiques récentes, la Chine a l'habileté de choisir pour partenaires les gouvernements en place, avec lesquels elle traite à la seconde où ils accèdent au pouvoir, pas une minute avant ni une minute après. Qui aurait pu prédire, il y a cinq ans, la partition du Soudan ? Or la Chine, le plus grand allié du Président Omar el Béchir, s'est adaptée en souplesse à la nouvelle situation. Donc, hormis soulèvement populaire local – mais même en ce cas les ressortissants chinois ne seraient pas forcément les plus exposés - je pense qu'en Afrique la Chine gagne.

PermalienPhoto de Jean-Paul Bacquet

Qu'entendez-vous par « développement pacifique », monsieur Godement, pour un pays dont les dépenses militaires augmentent en moyenne de 10% par an et de 16% cette année, aux fins d'acquérir des armements sophistiqués et qui, en 2020, disposeront de capacités militaires équivalentes à celles des États-Unis ?

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

« Développement pacifique » signifie que l'on dissuade en créant un périmètre dans lequel une intervention américaine serait plus risquée et plus coûteuse mais que l'on n'engage pas de conflits, on n'est pas agressif. Certes, les Chinois avancent sur tous les fronts en matière de capacités militaires, mais il existe un doute sur ce dont ils sont réellement capables. Des experts chinois mettent en balance leur futur porte-avions et le projet chinois de plateforme spatiale... Le plus inquiétant dans le discours chinois – et cela recoupe une question relative aux constantes de la politique extérieure chinoise - tient à ce que la Chine indique toujours « pour l'instant, nous faisons ainsi ». Il est très rare qu'elle prenne un engagement de long terme.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Kucheida

La Chine vous inquiète, monsieur Domenach ; pourquoi, précisément ? Par ailleurs, la notion de « droits de l'homme » a-t-elle un sens dans ce pays ? Enfin, quelle est l'attitude de la Chine à l'égard du Tibet, de Taiwan et de la Corée du Nord ?

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

François Godement et moi avons une différence d'approche. Je suis beaucoup plus pessimiste que lui sur l'avenir de la Chine, historiquement victime de la propension à la vanité de ses élites – un travers qui menace les pays qui furent glorieux et dont le nôtre n'est pas exempt. De plus, étant donné l'origine de ses dirigeants, je n'ai pas confiance. Je sais que des arguments raisonnables peuvent m'être opposés mais, tout en reconnaissant les progrès réalisés, je demeure profondément inquiet car j'ai du mal à croire qu'un régime qui a été communiste puisse être autre chose que pourri, corrompu et fragmenté.

On a tendance, à l'étranger, à exagérer la situation des droits de l'homme « classiques ». Si l'on parle des victimes des catastrophes environnementales – par le lait contaminé, par exemple -, ou des conditions de travail dans des usines qui sont en réalité des camps de travail, ou de la très dure répression des pasteurs évangélistes dont les sectes fleurissent, alors le tableau est effectivement catastrophique. Mais il y a beaucoup moins de prisonniers politiques qu'il y en eut – peut-être 5 000, un chiffre assez faible rapporté à la population. Cela tient à ce que la population est occupée par ailleurs, et qu'elle est prudente. J'ai parlé des camps de travail dans un de mes ouvrages intitulé L'archipel oublié ; le titre du prochain sera L'archipel décomposé car c'est de cela qu'il s'agit maintenant. Certes, les incarcérations sont encore dures et il y a parfois des tortures mais, au regard de ce qui se passait auparavant, la rigueur du régime n'est plus ce qu'elle fut.

PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

La conscience politique de la classe politique chinoise va-t-elle jusqu'à lui faire envisager la création d'un État social ? Par ailleurs, en 2004, vous aviez devant moi, monsieur Domenach, les doutes que vous éprouviez sur la capacité d'innovation de la Chine, sinon par imitation ; vos doutes sont-ils levés ? Enfin, vous avez décrit une situation très inquiétante pour l'Union européenne, incapable de faire valoir ses intérêts face à une Chine qui, elle, n'hésite pas à le faire ; comment expliquez-vous la frilosité européenne ?

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Il existe un programme appliqué de manière pragmatique : les réformes se font ville par ville, province par province - et les caisses de sécurité sociale se font souvent voler. On est, en Chine, pris dans une course de vitesse permanente entre la constitution d'un système social et une prodigieuse dissipation des ressources. En effet, le taux d'épargne est de 50 %, mais cette épargne, gérée par le système bancaire étatique, part en fumée dans des investissements sans retour pour ceux qui l'ont placé. La Chine n'est pas dans une trajectoire d'économie libérale, et le discours officiel porte sans cesse sur la nécessité de réduire la « fracture sociale » mais, quels que soient les efforts entrepris, les choses ne vont pas assez vite au regard de l'ampleur des problèmes et l'on peut prévoir des inégalités considérables.

S'agissant du rôle de l'Europe, ni Mme Merkel, ni M. Brown en son temps, ni M. Sarkozy - dirigeants des trois grands pays européens - n'ont rien obtenu des Chinois. Au moins chacun a-t-il compris qu'à faire cavalier seul, il n'arriverait à rien et l'on a amorcé une coordination européenne. Mais, outre que l'Union européenne est terriblement handicapée par la lenteur avec laquelle s'installe le Service européen pour l'action extérieure, ce tournant réaliste n'empêche pas la persistance de quelque naïveté à Bruxelles, puisque plus de la moitié de la délégation de l'Union européenne à Pékin continue de travailler à des programmes d'aide à la Chine.

PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

Je parlerais d'incompétence plus que de naïveté…

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

De cinq années passées au sein d'une grande université scientifique chinoise je n'ai pas gardé le souvenir d'une grande vie intellectuelle. Je sais en revanche que les étudiants étaient occupés le week-end à analyser les sites web de nos entreprises !

Mes doutes sur la capacité d'innovation de la Chine tiennent à ce que cela leur coûtera très cher, et que l'innovation a la particularité d'être … bizarre. Or, en Chine, « il ne faut pas qu'un épi de blé dépasse ». Le Japon est parvenu à innover, mais cela lui a coûté beaucoup d'argent. Il paraît que la Chine aurait des centres privés de recherche et développement ; je n'en ai vu aucun. Et combien les centres de R et D des grandes entreprises françaises, France Telecom ou EDF par exemple, recrutent-ils dans leurs cadres de ces Chinois que l'on dit si bons ? Bien sûr, la Chine finira par innover, mais elle éprouvera des difficultés.

PermalienPhoto de Didier Mathus

Quel est le système de sélection des dirigeants chinois, qui montrent une telle intelligence collective ? Comment sont-ils perçus par la population ? J'ai le souvenir d'applaudissements accueillant des personnalités, sans avoir le sentiment d'une présence policière coercitive.

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

Le parti monopolistique s'est soudainement senti contraint à la raison. Deng Xiaoping, ayant analysé les causes d'un échec persistant, a réussi à faire comprendre qu'à la base est l'économie, que le reste doit suivre, et qu'il faut préparer la stabilité en sélectionnant, sans hâte, les futurs dirigeants ; Hu Jintao a attendu son tour patiemment. Le système de sélection des dirigeants a surtout bénéficié de la compréhension qu'il ne fallait pas répéter les errements de la période de Mao Zedong.

PermalienPhoto de Michel Vauzelle

Vous avez décrit une Chine consciente des risques de la puissance. Toutefois, ce pays autrefois discret intervient maintenant en Afrique de manière spectaculaire, rachète une part de la dette de la Grèce et du Portugal et a un budget militaire en augmentation constante. On a plutôt le sentiment d'une puissance mondiale qui accepte ce statut. N'y a-t-il pas là une contradiction ?

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

S'agissant de l'usage de la capacité militaire, les débats internes font florès : l'armée sert-elle seulement à dissuader les États-Unis d'intervenir dans notre environnement proche ? Doit-elle sécuriser les détroits ? Avoir une action sur les lignes de transport maritime ? Aller jusqu'à l'Afrique, comme le fait la force navale chargée de combattre la piraterie dans l'Océan indien et qui, très isolée, éprouve bien des problèmes car elle est inadaptée à ce genre de mission ? Cela incite l'armée à réclamer des bases en Afrique, c'est-à-dire à s'y substituer aux pays occidentaux – mais ils n'y sont pas encore. Actuellement l'armée chinoise se déploie dans les forces internationales de maintien de la paix : c'est pour elle à la fois une vitrine, une école d'apprentissage et un moyen de renseignement. Mais il y a aussi une déperdition d'énergie : beaucoup d'investisseurs et d'entrepreneurs chinois le disent, ils ne savent pas investir correctement et perdent de l'argent. Il y a là un retard. Mais comme les voyages des dignitaires chinois sont préparés comme des voyages impériaux, avec une extrême minutie, ils nous donnent une impression un peu exagérée de la capacité d'action chinoise. Il faut savoir enfin que la Chine a développé ses services de renseignement dans tous les domaines, au point de devenir un véritable aspirateur de données.

PermalienPhoto de Rudy Salles

Y a-t-il en Chine une autre idéologie que celle du yuan, de l'« enrichissez-vous » ? Et y existe-t-il une opinion publique politique ?

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

Il ne s'agit pas seulement du yuan : il faut une croissance de 7% par an, afin que chacun puisse bénéficier de la croissance et pas seulement les dirigeants. Il y a en Chine deux idéaux. Le premier est un moralisme traditionnel parfois quelque peu hypocrite comme nous pouvons en connaître sous une forme équivalente – il faut être « convenable ». Par ailleurs, à des moments où il se sentait fragilisé, le régime a pris le risque de fouetter le sentiment nationaliste et la xénophobie anti-japonaise. Cela a si bien marché que le pouvoir a ensuite titubé sous le coup de vent qu'il avait lui-même déclenché…

Les Chinois ont, bien sûr, une opinion ; ce ne sont pas des automates, ils sont au courant des petites manoeuvres de leur chef et ils s'expriment quand c'est utile. Les révoltes sont bien conduites, et ils savent profiter de la présence d'un journaliste qui peut peser. La population évoque largement le montant des loyers ou le prix de l'immobilier qui posent un grave problème.

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Comme vous le savez tous, la politique consiste à parler aux gens. En Chine, si vous êtes nationaliste ou maoïste, vous pouvez vous exprimer publiquement ; pas si vous êtes démocrate. L'opinion publique se développe, mais elle est déformée, du fait que ne peut s'exprimer que ce qui est autorisé.

PermalienPhoto de Hervé de Charette

Peut-on imaginer que persiste un système politique centralisé pour 1,4 milliard de personnes et la perpétuation d'un contrôle de la population quand on organise parallèlement le libéralisme économique ? Je pense que ce régime finira par éclater.

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

François Godement et moi ne sommes pas d'accord sur ce point, je vous l'ai dit. Pour ma part, je pense qu'il y aura de très forts ressacs d'ici une douzaine d'années. Quand les choses commencent à aller mal en Chine, elles peuvent aller très vite très mal, et de grosses tempêtes sont possibles.

PermalienPhoto de Hervé de Charette

Cela signifie que, pour l'Europe, tout n'est pas perdu ! Que pensez-vous de la politique de la France à l'égard de la Chine ? Estimez-vous qu'elle se caractérise par une vision, un projet, une action ?

M. François Godement. Je me souviens d'une réunion au ministère des finances en 2008, où l'on s'agitait beaucoup, considérant que la crise économique mondiale ne pouvait manquer d'entraîner une crise sociale en Chine ; cette crise n'a pas eu lieu. C'est que les dirigeants chinois ont l'habileté extrême de n'ajuster le système qu'au strict minimum nécessaire. Mais il est vrai que le jour où la croissance ralentira, l'argument du « complot occidental » sera un peu court pour la population.

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

La Chine nous contraint à réfléchir à l'autorité de l'État français dans les relations internationales. Je considère que l'État doit se tenir droit, ce qui conduit le citoyen que je suis à protester. Pour commencer, la Chine conduit une campagne de collecte de renseignements d'une agressivité extrême. Par exemple, il est inacceptable que l'État français ait laissé sans réagir l'ambassade de Chine organiser une manifestation pour « rétablir la vérité sur la Chine et le Tibet », ce qui est contraire à tous les usages. Par ailleurs, j'ai été informé que l'ambassade de Chine en France se donne plus de droits qu'auparavant sur les Chinois d'outremer – y compris de nationalité française – en France ; c'est tout aussi inacceptable. Enfin, il serait grandement temps que nous réfléchissions aux questions sociales en tenant un peu plus compte de notre compétitivité et en gardant à l'esprit que ce que nous ne gagnons pas dans le marché mondial, d'autres le gagnent.

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Étudier la Chine a plusieurs effets : cela fait devenir plus dirigiste, plus partisan de mesures telles que la TVA sociale. Cela fait aussi devenir Européen : car, même si on est mécontent de la manière dont l'Union européenne fonctionne, on prend conscience de la nécessité de mieux coordonner l'action. La France a pris du retard en Chine, où sa présence est dans un rapport de 1 à 5, voire de 1 à 10 par rapport à l'Allemagne, au Royaume-Uni et à l'Italie. Nous ne tenons pas complètement notre rang économique, et la persistante « insularité » française nous cause bien des difficultés.

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

J'ajoute que nous devons nommer nos ambassadeurs en Chine en fonction de leurs compétences et non de leur complaisance. Or, il a longtemps été question que soit nommé à ce poste un des familiers du président. Il est heureux que nos autorités se soient reprises et que la diplomate finalement nommée connaisse son métier et parle chinois, mais le vent du boulet est passé très près.

PermalienPhoto de Alain Bocquet

Que pensez-vous du fait que nos grandes entreprises, depuis près de trente ans, apportent leur concours actif à la croissance et à l'expansion chinoises ? Cela vaut en particulier pour toutes les entreprises du secteur ferroviaire qui, mus par des intérêts à court terme, ont vendu des trains à grande vitesse à la Chine, et avec eux la technologie et la formation des cadres sur place. De 1982 à 2010, nous avons fabriqué en France 476 trains à grande vitesse. La Chine qui, depuis trois ans, en a fabriqué 1 200, ne dédaignerait pas d'en vendre maintenant sur le marché européen. Pendant ce temps, nos entreprises coulent et leurs sous-traitants sont rachetés les uns après les autres par les Chinois. En bref, l'expansion chinoise signifie aussi qu'Alstom et Siemens risquent de disparaître dans les dix ans qui viennent.

Dans un autre domaine, l'acquisition de terres partout dans le monde n'est-elle pas une façon pour la Chine de prévenir le risque de malnutrition que présente l'accroissement à venir de la population mondiale ?

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Vous avez évoqué un cas particulier ; je répondrai sur ce sujet précis. J'apprécie que le patron d'Alstom suggère une politique industrielle européenne ; j'apprécie moins le fait qu'Alstom et Siemens n'aient jamais réussi à se mettre d'accord. Confrontée au marché chinois, une entreprise seule ne peut gagner ; elle doit être soutenue par une réglementation publique imposant la réciprocité. Mais les pouvoirs publics ne peuvent céder à la demande en ce sens des dirigeants d'Alstom si, dans le même temps, ceux-ci refusent toute alliance ; les deux doivent aller de pair.

Le prix des matières premières agricoles ne cesse de monter. Le problème est mondial, et la Chine est en effet la mieux organisée pour parer au plus pressé.

PermalienPhoto de François Rochebloine

Concernant la liberté d'expression des media, avez-vous constaté une évolution ? L'accueil par la Chine des derniers Jeux olympiques a-t-il contribué à faire progresser les droits de l'homme ?

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

Les Jeux olympiques ont eu beaucoup moins d'impact que ce qui a pu être dit. Ils ont renforcé le nationalisme et donc le soutien au régime bien davantage que la compréhension entre les peuples…

S'agissant de la liberté d'expression, le régime frappe fort sur tout ce qui sort du rang, et donc sur les médias qui se donnent ouvertement des allures d'opposants. En revanche, les médias traditionnels font de plus en plus preuve d'une certaine ouverture. L'évolution, même si elle est lente, est plutôt positive.

PermalienPhoto de Robert Lecou

Face à la Chine, la realpolitik est nécessaire ; mais les Occidentaux sont-ils capables de parler d'une seule voix ? Existe-t-il vraiment un « G2 » États-Unis-Chine ?

PermalienFrançois Godement, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Il existe sur le plan monétaire et financier puisque toutes les devises autres que le dollar et le yuan sont poussées vers le haut. Le Japon, le Brésil, l'Inde se plaignent des afflux de capitaux. Le compromis passé entre Américains et Chinois, qui ont, à court terme, partie liée à ce sujet, consiste à laisser la Chine suivre le dollar vers le bas, ce qui accentue les déséquilibres mondiaux. C'est un problème considérable.

PermalienPhoto de Jean-Luc Reitzer

Depuis plusieurs années, notre économie se fait damner le pion par la Chine ; c'est d'autant plus regrettable que la France du Général de Gaulle a été le premier pays occidental à reconnaître ce pays.

Quelle est la position de la Chine par rapport à la Corée du Nord ? Des négociations militaires s'engageront dans deux jours entre les deux Corées : la Chine pèsera-t-elle dans ces négociations ? D'autre part, vous avez mentionné l'opportunisme politique de la Chine ; en Côte d'Ivoire, qui soutiendra-t-elle du président élu ou de M. Gbagbo ?

PermalienJean-Luc Domenach, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques

De nombreux représentants d'entreprises françaises me disent être à la limite de rattraper des marchés qu'ils avaient perdus au bénéfice de la Chine, parce que les produits chinois sont d'une qualité aléatoire, que leurs délais de livraison le deviennent aussi et que leurs prix sont moins compétitifs. Dans ce contexte, je prends connaissance avec désolation de certaines décisions politiques prises en France, qui ne tiennent pas compte de ce que quelques sacrifices nous permettraient de rattraper assez rapidement des pans significatifs de ce qui a été perdu.

François Godement. Si les Chinois sont extraordinairement silencieux sur les événements qui se déroulent en Côte d'Ivoire, en Tunisie et en Égypte, c'est qu'ils attendent de savoir qui l'emportera. Ils ne sont pas en retard sur les événements, ils sont simplement à l'heure…

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je vous remercie, messieurs, pour cette audition passionnante qui a suscité un nombre de questions jamais atteint depuis plus de trois ans que je préside cette commission. Nous vous entendrons certainement à nouveau.

Information relative à la commission