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Commission de la défense nationale et des forces armées

Séance du 7 décembre 2010 à 17h15

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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Audition de M. Alain Hespel, Président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, accompagné de Mme Françoise Saliou, conseillère maître, et de MM. Pascal Desrousseaux et Olivier Brochet, rapporteurs, sur le rapport de la Cour des comptes relatif aux médecins et hôpitaux des armées.

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Le rapport de la Cour des comptes sur les médecins et les hôpitaux des armées souligne l'excellence de notre service de santé des armées (SSA) et reconnaît clairement la spécificité de son activité. S'il a fait grand bruit, c'est parce qu'il révèle un important déficit d'exploitation de ses hôpitaux, de l'ordre de 280 millions d'euros. En outre, il contient des propositions d'évolution qui pourraient bien déterminer l'avenir des médecins et des hôpitaux des armées. Je relève ainsi le rapprochement avec le secteur civil, l'optimisation de la formation des praticiens, ou encore l'amélioration du soutien en opérations extérieures avec, notamment, une meilleure prise en charge des pathologies psychiatriques.

Bien évidemment, notre commission a suivi de près ce dossier. Monsieur le président Hespel, votre audition intervient après celle du médecin général des armées Gérard Nédellec, directeur central du service de santé des armées, et celle du ministre de la défense, entendu à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2011. Elle complétera également les éclairages de notre rapporteur pour avis sur les crédits du soutien et de la logistique interarmées, M. Philippe Nauche, qui s'est particulièrement intéressé à ce sujet dans son dernier rapport.

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Le rapport public thématique intitulé « Médecins et hôpitaux des armées » que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui à la Commission de la défense ne traite pas de la seule gestion d'un service de l'État, aussi important soit-il, avec un budget d'environ 1,3 milliard d'euros et plus de 15 600 personnes dont près de 1 900 médecins et plus de 4 500 personnels infirmiers. C'est d'une véritable politique publique qu'il est question.

Le soutien santé des 340 000 militaires et gendarmes en métropole, outre-mer, auprès des forces prépositionnées et en opérations extérieures (OPEX) est la mission première, la raison d'être du SSA. La façon dont celui-ci s'organise pour assurer cette mission fondamentale a naturellement été un axe majeur des analyses de la Cour.

Le cadre dans lequel évolue le service de santé des armées a beaucoup évolué depuis la fin de la guerre froide et la suspension de la conscription. Le SSA a dû être redimensionné en conséquence à la fin des années 1990. Une nouvelle stratégie a alors été définie autour de neuf hôpitaux d'instruction des armées (HIA).

Le service de santé des armées a ouvert ces établissements aux patients civils pour maintenir au plus haut niveau les compétences de ses chirurgiens et spécialistes en leur garantissant un volume d'activité satisfaisant. Dès lors, les hôpitaux militaires ont aujourd'hui une activité civile à plus de 90 % et traitent des pathologies pour la plupart identiques à celles rencontrées dans les hôpitaux civils de taille comparable. La mission de santé civile des hôpitaux militaires est inscrite dans la loi. Mais, jusqu'à aujourd'hui, les modalités d'organisation de cette contribution au service public de santé sont définies en toute autonomie par le seul ministère de la défense, sans réelle concertation avec les administrations de la santé.

Il y a donc une seconde dimension de politique publique qui méritait également d'être analysée, celle de la participation des médecins et hôpitaux des armées au service public de santé.

Nous sommes arrivés à cinq conclusions principales.

La première porte sur le recrutement, la formation et la carrière des médecins militaires.

Le recrutement dès le baccalauréat, après un concours très sélectif, de la grande majorité des futurs praticiens et d'une part notable des personnels infirmiers, est traditionnel, tout comme leur formation dans des écoles de santé militaire. Cela a conduit le SSA à consacrer 105 millions d'euros en 2009 à la formation initiale et continue de ses personnels, dans quatre écoles militaires : Lyon, Bordeaux et le Val-de-Grâce pour les praticiens, Toulon pour les personnels paramédicaux.

La Cour a fait à ce sujet plusieurs remarques et recommandations.

La première concerne les obligations de service et le remboursement des frais de scolarité par les élèves démissionnaires. Durant toute leur scolarité, les élèves sont rémunérés. Ils signent en échange un engagement à servir de huit ans pour les paramédicaux, de neuf à douze ans pour les praticiens. Or, la Cour a noté une généralisation injustifiée des mesures de bienveillance en faveur des élèves démissionnaires, ce qui atténue l'aspect dissuasif de l'obligation de rembourser les frais de scolarité.

Deuxième remarque, le coût des écoles est particulièrement élevé. Y concourt d'abord le sur-encadrement des élèves. Alors que 93 % de sa formation est dispensée dans les universités civiles, le coût moyen de la scolarité d'un élève praticien, hors sa propre rémunération, est d'environ 42 000 euros par an. De plus, le regroupement des écoles de santé de Lyon et Bordeaux sur le site de Lyon a été décidé tardivement – la première promotion exclusivement lyonnaise a commencé sa scolarité à la rentrée 2009 – alors qu'il était prévu dès la création de la nouvelle école de Lyon en 1981. Enfin, le déménagement de l'école d'infirmiers de Toulon sur le site de Lyon, qui aurait permis de créer un seul grand pôle de formation, n'a pas été sérieusement examiné. Une nouvelle école a été construite pour un montant d'environ 40 millions d'euros.

Troisième remarque, la place accordée à la formation militaire des futurs praticiens des armées apparaît faible. Elle ne représente que 4 % du temps de formation des étudiants entre la deuxième et la sixième année. Les exigences accrues des opérations extérieures, en particulier en Afghanistan, nécessitent très certainement une formation militaire plus importante.

La deuxième conclusion de la Cour porte sur le soutien apporté aux troupes en opérations extérieures.

En moyenne, sur les cinq dernières années, le service de santé des armées a déployé annuellement en OPEX, en comptant l'ensemble des rotations et relèves, de l'ordre de 1 600 personnes et 30 équipes chirurgicales. Toutefois, comme il n'a pas développé d'indicateurs ni de statistiques sur les délais d'évacuation des blessés, il n'est pas possible aujourd'hui de dire si les standards OTAN sont bien respectés.

C'est donc une très faible part des effectifs qui est en fait mobilisée en opérations extérieures : 200 emplois équivalent temps plein, soit 2,4 % des effectifs projetables. Le service dispose donc globalement d'un réservoir de personnels largement suffisant pour faire face aux opérations, et, en l'état des opérations militaires, il peut parfaitement remplir ses différentes missions, même si l'on note des différences très sensibles de mobilisation selon les catégories. Au sein d'une même catégorie de personnel, l'effort est très inégalement réparti : entre 2002 et 2008, par exemple, 35 % des chirurgiens et anesthésistes-réanimateurs ne sont jamais partis et 20 % ne sont partis qu'une fois. La charge réelle des OPEX porte donc sur un nombre très restreint de personnels fortement sollicités.

La Cour a noté plusieurs insuffisances dans l'adaptation du SSA à l'évolution des conflits.

Alors qu'il dispose de services psychiatriques importants, le service de santé laisse les armées développer leurs propres services de soutien psychologique.

Les moyens de transport des blessés restent moins développés que ceux de nos partenaires allemands, avec lesquels il est sans doute souhaitable de davantage les mutualiser.

C'est surtout au niveau tactique, pour l'évacuation des blessés des zones de combat, que la situation reste préoccupante, compte tenu de la faiblesse des équipements héliportés disponibles et des conséquences en termes de délais d'alerte, ceux-ci étant actuellement le double de ceux de l'armée américaine.

Plus généralement, les coopérations et les mutualisations des services et moyens de santé entre armées alliées doivent encore se développer.

Par ailleurs, l'aide médicale apportée aux populations locales doit être développée. L'activité chirurgicale en opération apparaît très faible : un acte tous les trois jours au Liban, trois par jour au Tchad. Les capacités sont nettement sous-utilisées et les équipes ne pratiquent pas assez pour maintenir leur qualification.

La troisième conclusion de la Cour porte sur la médecine d'unité.

Près de la moitié des médecins militaires – 44 % – travaillent au sein des unités ou à bord des navires, que ce soit en métropole, outre-mer ou auprès des forces prépositionnées. Les personnels de la médecine d'unité forment le réservoir principal des personnels de santé qui accompagnent les troupes en opérations. Le coût total de la médecine d'unité représente le quart des dépenses du service de santé des armées.

La Cour a constaté que l'activité quotidienne de ces personnels les prépare peu aux opérations. L'activité de soins est, de façon générale, assez faible, avec six à sept consultations médicales par jour pour un médecin militaire, les trois quarts n'ayant aucun lien avec le service. Les médecins d'unité prennent trop peu part aux gardes d'urgence, que ce soit dans les hôpitaux militaires ou dans les hôpitaux civils plus proches de leur garnison.

Un nombre élevé de consultations sans relation avec le service se fait gratuitement au profit des militaires – 400 000 consultations – et de leurs familles – 34 000 consultations.

Ces consultations posent deux types de problèmes. Elles sont peut-être utiles pour maintenir la compétence généraliste des médecins militaires mais prennent du temps qui pourrait être consacré notamment à des gardes d'urgence hospitalière plus opérationnelles. Le manque à gagner pour le service de santé des armées résultant de la gratuité peut être évalué à 10 millions d'euros. Or, dans le même temps, les soins en lien direct avec le service pris en charge dans le milieu civil ont tendance à croître. Ils représentent eux aussi plus de 10 millions d'euros.

La Cour ne peut que souligner le paradoxe entre, d'une part, des médecins militaires qui soignent gratuitement des civils ou des militaires pour des affections sans lien avec le service, et, d'autre part, des militaires qui se font soigner dans le civil pour des actes en lien direct avec le service. Le rapport rappelle donc la recommandation déjà faite par la Cour en 2002 d'instaurer le paiement des actes sans lien avec le service.

Enfin, la rationalisation du dispositif doit être poursuivie. Il y a aujourd'hui 316 services médicaux d'unité. Cet éclatement explique en partie leur faible productivité. La création des bases de défense devrait permettre de le réduire en développant des centres médicaux plus importants.

La quatrième conclusion de la Cour est relative à la place centrale des hôpitaux militaires dans le dispositif.

Le service de santé des armées entretient neuf hôpitaux d'instruction des armées. Dotés d'un budget global de 800 millions d'euros, soit plus de 60 % du budget du service, ces hôpitaux emploient 8 400 personnes, dont 677 médecins militaires. Ils regroupent près de 2 700 lits, soit l'équivalent du CHU de Toulouse – le quatrième de France. Le financement de ces établissements repose pour plus de la moitié – 416 millions d'euros en 2009 – sur leurs recettes de soins réalisés au profit de plus de 90 % de patients civils à travers une contribution de l'assurance maladie.

Les hôpitaux des armées sont au coeur du dispositif par leur poids financier et humain, leur rôle dans le maintien des compétences des équipes médicales, leur fonction de réservoir pour la constitution des équipes chirurgicales projetées en opération et, enfin, leur capacité d'accueil pour les militaires blessés.

À la fin des années 1990 le service de santé a considéré que la mise en oeuvre du contrat opérationnel qui lui impose de disposer de 48 équipes chirurgicales nécessitait de préserver une structure hospitalière éclatée en neuf établissements. Afin de garantir une activité suffisante aux équipes chirurgicales, il était dès lors nécessaire d'ouvrir largement ces hôpitaux aux patients civils et, en conséquence, de disposer d'hôpitaux généralistes.

La Bundeswehr n'a gardé que quatre hôpitaux et demi, avec moins de 1 800 lits, alors même que cette armée compte encore de très nombreux appelés et que les militaires allemands doivent prioritairement s'adresser aux hôpitaux militaires.

Le Royaume-Uni a, en revanche, retenu une voie radicalement différente. Il a fermé la quasi-totalité des hôpitaux militaires, en raison de leur sous-activité, et signé une convention avec le National Health Service, qui accueille les praticiens militaires dans 32 hôpitaux civils où ils sont insérés en particulier dans des unités de traumatologie. Les militaires britanniques n'ont en fait gardé que les spécialistes qui leur sont directement utiles pour les besoins opérationnels sur les théâtres d'opération et ils s'appuient sur le système de santé civil pour accueillir et soigner les soldats blessés. Le système retenu fait l'objet d'une appréciation positive d'un rapport récent du National Audit Office.

C'est donc en gardant à l'esprit qu'il existe d'autres modèles d'organisation qu'il faut examiner le fonctionnement des hôpitaux militaires.

La mission première, la raison d'être des HIA, est bien entendu militaire. La Cour a constaté que, fin 2008, le contrat opérationnel n'était pas rempli puisque le service de santé des armées ne disposait que de 37 équipes chirurgicales sur les 48 prévues. Cela n'a pas d'impact aujourd'hui, compte tenu du niveau d'engagement des armées, mais, en cas de conflit majeur, le SSA ne disposerait pas des équipes chirurgicales suffisantes en métropole.

La deuxième mission militaire confiée aux hôpitaux militaires est naturellement d'assurer des soins en lien direct avec le service : médecine d'aptitude et d'expertise, soins aux soldats malades ou blessés dans l'exercice de leurs fonctions. En fait, cette activité est aujourd'hui marginale puisqu'elle ne représentait plus que 5,4 % de l'activité de soins totale des hôpitaux militaires en 2009. Cette situation tient à la liberté de choix du médecin et de l'hôpital, qui est reconnue par la loi aux patients militaires comme à tout citoyen. Un nombre croissant de militaires se fait donc soigner dans des structures civiles.

En fait, depuis le début des années 2000, les hôpitaux militaires travaillent très majoritairement au profit des populations civiles. Les trois quarts des patients des hôpitaux militaires sont des civils sans lien avec le monde de la défense, qui se rendent dans un hôpital généraliste de taille moyenne proche de chez eux, lequel jouit en général d'une bonne réputation. Dans ces conditions, l'activité des hôpitaux est diversifiée et proche de celle des centres hospitaliers de taille équivalente, hormis en matière d'obstétrique – cette spécialité n'étant présente qu'à l'hôpital Bégin de Saint-Mandé.

Pourtant, le service de santé des armées n'a pas tiré toutes les conclusions de cette mission de santé publique. Les relations entre le SSA et les autorités sanitaires sont marquées par un manque de concertation. Le premier détermine ainsi ses équipements en fonction de ses propres besoins et les notifie à l'agence régionale de santé, mais il ne tient pas compte en sens inverse des besoins déterminés au plan régional, y compris pour des équipements qui n'ont qu'une vocation civile. L'élaboration du schéma national d'organisation des soins dans les hôpitaux militaires pour 2015 n'a pas été davantage l'occasion de dialoguer avec les autorités civiles. D'une façon générale, cette attitude et la faiblesse du dialogue institutionnel au niveau des agences régionales de santé font que les autorités civiles ne tiennent quasiment pas compte de l'offre hospitalière militaire, sauf pour le traitement des grands brûlés et la neurochirurgie.

Cette absence de concertation a des conséquences financières. Aucun des projets de rénovation importants engagés depuis 2000, au Val-de-Grâce, à Bégin et surtout à Toulon – où l'hôpital Sainte-Anne a été entièrement reconstruit – n'a fait l'objet d'une concertation avec les autorités civiles. Ainsi, un projet évoqué par l'agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte-d'Azur de partage d'infrastructures entre l'hôpital militaire et l'hôpital civil de Toulon, lui aussi en rénovation, a été écarté par le ministère de la défense. La reconstruction de l'hôpital militaire de Toulon a été pourtant, je le souligne, un projet d'envergure puisque 240 millions d'euros ont été investis.

La même attitude du ministère de la défense a aussi été relevée à propos de plusieurs équipements médicaux coûteux sans aucun usage spécifiquement militaire, comme un tomographe à émission de positons (TEP), dont l'installation est normalement réglementée. Le service de santé des armées a décidé d'en équiper l'hôpital de Toulon sans concertation avec l'agence régionale de santé, laquelle a été placée devant le fait accompli.

Le dernier constat porte sur l'activité des hôpitaux militaires. Quel que soit l'indicateur retenu, elle est très faible. Avec 52 %, le taux d'occupation des lits est largement inférieur à celui mesuré dans les établissements civils – 75 % en chirurgie, 85 % en médecine. Les surcapacités sont évidentes, malgré la fermeture de 10 % des lits depuis le début de la décennie. Ces capacités ne sont pas utilisées de façon optimale et leur gestion reste empirique et éloignée des référentiels établis par la Mission nationale d'expertise et d'audit hospitalier.

Cette sous-activité est aussi mesurable en chirurgie. En dépit des efforts réalisés depuis 2002, le ratio moyen de 140 séjours chirurgicaux par chirurgien et par an est très inférieur à celui observé dans les centres hospitaliers de taille comparable – 243 séjours chirurgicaux par chirurgien en moyenne. Les blocs opératoires sont sous-utilisés et mal organisés.

La cinquième et dernière conclusion porte sur le coût du SSA pour le ministère et les finances publiques.

Les hôpitaux militaires constituent le premier déficit hospitalier de France. Alors qu'ils ne regroupent que 2 % des capacités hospitalières publiques, leur déficit d'exploitation équivaut à celui cumulé de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, des Hospices civils de Lyon et de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille.

Je dois souligner la constance de ce déficit, qui représente 53 % des produits d'une année sur l'autre, et le fait que tous les hôpitaux militaires connaissent une situation financière très dégradée. Le déficit des hôpitaux militaires est hors norme. Il est évidemment théorique puisque couvert par une dotation du ministère de la défense : 81 % de cette dernière servent à le couvrir. Cela pèse sur le budget, contraint, du ministère. Ainsi, pour parler équipement des armées, ce déficit hospitalier annuel pourrait servir à acquérir six hélicoptères Caracal ou quatre avions de transport C130.

Le passage à la tarification à l'activité, engagé depuis le 1er janvier 2009 et qui sera achevé en 2015, laisse craindre à terme une aggravation de ces résultats et, par conséquent, une nécessaire augmentation de la subvention du ministère de la défense.

Il faut donc s'attaquer résolument aux causes du déficit.

Il y en a trois principales. D'abord, la proportion de personnels non soignants est beaucoup trop élevée. Ainsi, le personnel administratif des hôpitaux militaires est deux fois plus nombreux que celui des établissements civils. Ensuite, la productivité médicale est trop faible. Avec une recette moyenne d'activité de soins par médecin de l'ordre de 665 000 euros, les hôpitaux militaires se situent parmi les 20 % d'établissements les moins productifs. Enfin, l'organisation des soins doit être améliorée.

L'hypothèse d'un resserrement du dispositif autour d'un nombre réduit d'hôpitaux, comme l'a fait par exemple le service de santé de la Bundeswehr, a été évoquée. Le service de santé doute que cela permette de disposer du même nombre d'équipes chirurgicales, à moins d'accroître significativement la taille des établissements et de rendre plus complexe leur insertion locale. Cette hypothèse de diminution du nombre des hôpitaux autour des plus performants réduirait en tout état de cause mécaniquement l'ampleur du déficit, même si elle n'en résoudrait pas pour autant les causes profondes.

La solution passe en fait par la construction d'une trajectoire de redressement financier crédible et par un véritable adossement aux autorités civiles de santé, adossement refusé jusqu'à présent par les autorités militaires.

Le fonctionnement des hôpitaux militaires repose pour le moment sur une organisation centralisée : un hôpital unique avec neuf implantations régionales. Ce n'est pas là un mode de gestion adapté au pilotage de chaque établissement. Les chefs d'établissement, qui sont des médecins, doivent être formés à la gestion hospitalière et disposer de marges de manoeuvre plus importantes pour redresser les comptes de leur hôpital. Ils doivent aussi pouvoir s'appuyer sur des outils de pilotage plus efficients, notamment en matière de comptabilité analytique.

Mais il est surtout essentiel que les hôpitaux militaires s'adossent réellement au système civil de santé publique. C'est indispensable par exemple au bon fonctionnement des urgences. Plus généralement, il est essentiel que la stratégie des établissements soit définie avec les agences régionales de santé.

En conclusion, le rapport insiste sur le fait que l'organisation actuelle du service de santé découle d'un choix fait il y a dix ans, choix qui n'était pas le seul envisageable.

Les résultats de ce choix sont satisfaisants sur le plan opérationnel, même si le contrat opérationnel n'est pas intégralement rempli et si l'on peut regretter l'absence d'indicateurs OTAN en matière de délais d'évacuation des blessés.

En revanche, le modèle hospitalier retenu pose un double problème : il ne garantit pas un niveau d'activité suffisant aux équipes médicales et il est excessivement coûteux pour le budget du ministère de la défense. Il n'est pas convenable que la dotation budgétaire du ministère aux hôpitaux militaires serve à 80 % à couvrir un déficit d'exploitation qui est la conséquence d'une stratégie reposant sur une activité exercée essentiellement au profit de la population civile. Le ministère de la défense doit mieux hiérarchiser ses priorités budgétaires en faveur des dépenses les plus utiles à la santé des soldats.

La politique d'autonomie des hôpitaux militaires par rapport aux hôpitaux civils doit donc être abandonnée, et le service de santé doit rechercher avec les autorités civiles une stratégie crédible de redressement.

Le message essentiel de la Cour tient dans ces quelques mots : si le service de santé des armées ne parvient pas à améliorer substantiellement et rapidement ses comptes hospitaliers, la question de la pérennité des hôpitaux militaires devra être clairement posée.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Merci, monsieur le Président, pour cette analyse très complète.

La Cour ne me semble cependant pas échapper à un tropisme permanent pour le fonctionnement civil.

Pour moi, l'institution militaire est une institution à part. À force de voir « civiliser » ses services et ses modes de fonctionnement, de travail, voire ses relations sociales, notre défense finira par muter profondément, pour se rapprocher de ces armées qui, loin de pouvoir agir, se limitent désormais à défiler lors de manifestations officielles. Je suis très inquiet de cette évolution.

Par ailleurs le rapport soulève des points qui méritent attention.

Le coût de formation est prohibitif, nous dites-vous. Nous faisons confiance à votre analyse. Mais devrions-nous nous plaindre qu'au moins une école bénéficie de larges avantages pour former ses élèves, alors que partout ailleurs, ce ne sont que cris d'orfraies pour déplorer – à juste titre – insuffisance d'encadrement et de moyens ? À l'époque de la conscription, l'abondance d'encadrement était un peu l'apanage des grandes écoles militaires.

Vous avez eu raison de stigmatiser la tolérance envers les élèves qui rompent leur contrat et qui, trop souvent, ne se voient pas imposer le remboursement de leur formation. Cependant, cette indulgence n'aurait-elle pas pour origine l'affectation des remboursements des familles au Trésor public ? Si, au contraire, les reversements allaient au ministère de la défense, peut-être celui-ci y serait plus attentif.

Vous avez également signalé que seule une part réduite des médecins militaires part en opération à l'étranger. L'une des raisons de cette situation n'est-elle pas la rapide féminisation de cette profession ? Il est extrêmement difficile pour la hiérarchie militaire d'aller exposer en Afghanistan une mère de famille, même si elle a choisi le métier de soldat. Elle préférera envoyer en OPEX des médecins hommes, les femmes recevant plus facilement des affectations de médecins d'unité.

Le personnel non médical est-il vraiment en surnombre ? En tant que Marseillais, je connais bien l'hôpital Laveran. Or, pour ce que j'en sais, il est très bien classé en matière de propreté et de maladies nosocomiales. Est-ce dû aux effectifs en personnel, ou bien à une conscience professionnelle aiguë qui aurait pour origine le statut militaire ?

Cet hôpital – je connais moins celui de Sainte-Anne – rend aussi un vrai service public : non seulement, comme vous l'avez souligné, il est ouvert à l'ensemble de la population civile, mais, il prend un tour de garde pour les urgences au même titre que les hôpitaux de l'Assistance publique de Marseille. Dans le quartier difficile où il est situé, le travail ne manque pas.

Par ailleurs, tous ne considèrent pas, comme vous semblez le faire, l'exemple anglais comme une réussite. Les Britanniques nous rendent visite aujourd'hui pour étudier comment nous avons pu maintenir un service de santé aussi opérationnel et compétent dans une armée de métier. Ils reconnaissent désormais avoir commis une erreur en démantelant un service de santé qui était assez proche du nôtre.

Le nombre de consultations est trop faible, nous avez-vous aussi dit. Un médecin commandant rencontré à Abéché, au Tchad – et donc, il est vrai, en opération – me disait pourtant donner entre 45 et 50 consultations par jour, à l'exception du seul dimanche. Je veux bien admettre que cette réalité n'est pas forcément celle d'un médecin militaire de régiment dans une ville de garnison.

Vous avez aussi eu raison de souligner que les militaires avaient désormais le droit de se tourner à leur guise vers les médecins et les hôpitaux soit militaires soit civils. Peut-être aurait-il fallu en rester à l'épure ancienne, où un militaire ne pouvait consulter qu'auprès d'un médecin militaire.

Plusieurs députés ici présents sont eux-mêmes médecins. Certains, réservistes actifs, consacrent une partie de leurs vacances à dispenser des soins sur des théâtres d'opérations. Ils vous donneront eux aussi sans doute leur sentiment sur la situation.

PermalienPhoto de Françoise Hostalier

Madame et messieurs, quelles que soient les perspectives ouvertes par votre rapport, notamment pour la rationalisation de nos services de santé, je l'ai trouvé sévère.

Je m'associe aux propos du président Guy Teissier sur l'image de l'armée. Nos militaires doivent conserver des modes d'organisation spécifiques.

Je voudrais rendre hommage à la polyvalence, à la disponibilité et à l'efficacité des équipes de santé que j'ai rencontrées sur les théâtres d'opérations, notamment au Tchad et en Afghanistan. La valeur de leur action est unanimement saluée par leurs partenaires sur le terrain. Leur rôle est aussi central dans les opérations civilo-militaires. Leur action est-elle comptabilisée uniquement en termes de santé ? Est-il aussi tenu compte de leur apport à la stabilisation des pays où elles interviennent et à l'image de notre action en faveur de la paix ?

Faut-il parler de sous-équipement, notamment pour l'évacuation ? Les équipements sont proportionnels au volume des forces envoyées en mission. Le nombre de militaires français en Afghanistan est sans commune mesure avec celui des militaires américains !

Faut-il effectuer des comparaisons avec la Bundeswehr ou l'armée britannique alors que la configuration n'est pas du tout la même ?

Enfin, de quel retour d'expérience pouvez-vous nous faire part sur les nouveaux traumatisés et les soldats très gravement blessés, amputés ou mutilés, notamment ceux du contingent envoyé en Afghanistan ? Certes, les interventions, extrêmement rapides, permettent de les sauver. Mais dispose-t-on d'éléments sur la prise en charge et les incidences budgétaires des traitements très lourds et très longs qu'ils doivent suivre ensuite ?

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Madame la députée, je ne fais que porter la parole d'une chambre du Conseil composée de 130 personnes. C'est elle qui a voté ce rapport public.

Je ne crois pas en la vertu des modèles. La Cour n'affirme pas que le système britannique ou allemand serait un modèle pour la France. Elle constate simplement que, selon un mode d'organisation différent, qu'elle a analysé, les militaires britanniques ou allemands sont soignés dans des conditions dont les résultats ne sont pas fondamentalement différents de ceux du système français.

PermalienFrançoise Saliou, conseillère maître à la deuxième chambre de la Cour des comptes

Nous l'avons mentionné dans le rapport, les soins de suite aux personnes blessées, très gravement ou non, ne sont pas assurés par le service de santé lui-même. L'Institution nationale des Invalides n'abrite aujourd'hui qu'un ou deux militaires très gravement atteints. Une fois sortis de la phase critique, la plupart des blessés poursuivent leur rééducation dans des structures civiles adaptées à leur pathologie. Les Britanniques au contraire disposent d'une structure dédiée aux soins de suite.

PermalienPhoto de Michel Grall

Notre pays, l'un des rares au monde capable d'entrer en premier sur un théâtre d'opérations, est aujourd'hui engagé dans de nombreuses opérations extérieures. Le service de santé y joue un rôle éminent. Sa qualité hors pair est largement reconnue dans le monde.

Le rapport de la Cour a mis en évidence des voies d'améliorations possibles mais, comme le président Teissier, j'ai le sentiment qu'il ne tient pas suffisamment compte de la spécificité du monde militaire. Comment la communauté militaire, et plus particulièrement le SSA, a-t-elle reçu votre rapport ?

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

La Cour a tenu compte de la particularité du monde militaire, et la chambre que j'ai l'honneur de présider connaît bien celui-ci. Que 85 % des patients des hôpitaux militaires soient des civils sans aucun lien avec l'armée mérite qu'il en soit tiré quelques conséquences.

Comment le monde militaire a-t-il reçu le rapport de la Cour des comptes ? Dans un discours tenu à Lyon, en octobre dernier, juste après la parution du rapport, le ministre de la défense d'alors, M. Hervé Morin, a déclaré : « À côté de ces critiques, sur lesquelles je reviendrai, j'y ai d'abord vu (dans le rapport de la Cour) une reconnaissance réelle de la spécificité des missions du service de santé des armées et de sa vocation à soigner au plus près de nos forces ». Je ne suis donc pas persuadé que notre rapport soit mal reçu par les médecins militaires.

PermalienPhoto de Michel Grall

La communauté militaire ne se limite pas au ministre ! Elle est très large. Avez-vous eu des échos de sa part ?

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Monsieur le député, pour peu qu'il existe une expression de la communauté militaire – ce dont je ne suis pas certain – elle n'est pas venue jusqu'à moi. C'est aussi une particularité du monde militaire !

PermalienPhoto de Françoise Hostalier

Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle la Grande muette !

PermalienPhoto de Philippe Nauche

Pour vous, monsieur le Président, l'hôpital public civil ou le système d'hospitalisation privé sont-ils des modèles absolus, alors même qu'on entend sans cesse parler, à propos des hôpitaux, de malaise ou de déficit ? Certes, celui-ci n'est pas du même ordre, mais le système de comptabilité est différent : les hôpitaux, à l'instar des collectivités locales, doivent obligatoirement atteindre l'équilibre. De plus, la qualité des soins à l'hôpital public est-elle toujours au rendez-vous et la tarification à l'activité donne-t-elle satisfaction à l'ensemble des acteurs du monde hospitalier ?

Le rapport de la Cour doit permettre au service de santé des armées d'engager un travail prospectif dans deux domaines en particulier : en premier lieu, une meilleure intégration des soins psychiatriques qui représentent assurément un tabou par rapport à l'image que l'on se fait habituellement du soldat. Il convient en second lieu de combler le hiatus entre la volonté affichée de solidarité de l'armée en direction de ceux qui ont été blessés en service et le fait que, trop souvent, ces derniers se retrouvent plongés dans l'anonymat du monde civil où leur sont prodigués les soins de suite, sans aucune forme de reconnaissance particulière.

Par ailleurs, en ce qui concerne les standards OTAN en matière d'évacuation sanitaire, les outils de mesure n'existent pas. Il convient également de prendre en considération le fait que la doctrine d'intervention classique française avec médicalisation sur le théâtre d'opérations n'est pas la même que celle des Anglo-saxons, qui préfèrent évacuer très rapidement le blessé. Le temps d'évacuation ne saurait évidemment être évalué de la même façon dans le cadre de deux doctrines de prise en charge différentes.

Vous avez quantifié la sous-activité des opérateurs chirurgicaux dans les hôpitaux militaires : 140 séjours chirurgicaux par chirurgien et par an contre 243 dans les centres hospitaliers. À terme, cette sous-activité peut poser le problème de l'organisation du maintien en condition opérationnelle des chirurgiens. Toutefois, la religion du chiffre suffit-elle à apprécier la situation sur le terrain alors que cette moyenne de 140 séjours chirurgicaux permet d'assurer des niveaux d'intervention corrects dans les hôpitaux projetés ? La plupart des experts qui ont voix au chapitre exercent dans de grands centres médicaux, ce qui influe sans doute sur leur appréciation.

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Monsieur le député, je vous ai dit mon aversion pour la notion de modèle. Ce n'est pas un magistrat de la Cour des comptes qui soutiendra que les hôpitaux civils sont un modèle : il suffit de lire les rapports sur les lois de financement de la sécurité sociale !

Il n'en reste pas moins que le déficit du service de santé des armées, qui entretient neuf hôpitaux regroupant quelque 2 700 lits, égale celui des assistances publiques de Paris, de Marseille et de Lyon cumulés. Cela n'est ni normal ni supportable, d'autant que le ministère de la défense botte en touche lorsqu'il rend le coût de possession responsable d'un tel déficit : ce n'est pas une réponse.

De plus, le chiffre de 140 séjours chirurgicaux est une moyenne annuelle – pour certains chirurgiens, c'est beaucoup moins.

Par ailleurs, le fait que seulement 20 % des chirurgiens soient allés en OPEX au cours des six dernières années prouve qu'il y a bien une dégradation de l'activité chirurgicale et, plus généralement, de l'activité médicale du service de santé des armées, dégradation que dissimulent les moyennes. Je n'en reconnais pas moins que le service est convenablement géré en termes de ressources humaines : on n'envoie en Afghanistan que des chirurgiens opérationnels. La Cour considère toutefois que la situation générale est contestable.

Par ailleurs, la Cour ne saurait se prononcer sur le bon modèle d'évacuation des blessés. Le choix, qui relève d'une décision technique, est du ressort du ministre de la défense et du directeur central du service de santé. La Cour ne peut se prononcer que sur le coût du modèle choisi. Toutefois, comme nous n'avons pas d'hélicoptères, nous pouvons difficilement envisager d'aller chercher nous-mêmes sur le terrain nos propres blessés.

Je me permets enfin de rappeler que, selon la loi du 17 janvier 2002, les hôpitaux des armées concourent au service public de santé et que le rôle de la Cour est de vérifier l'application de la loi. Le contrat opérationnel précise, quant à lui, la nécessité de maintenir, grâce à un volume d'activité suffisant, les praticiens militaires à un haut degré de compétence. Tout l'effort de la Cour a visé à concilier ces deux impératifs, alors même qu'elle constatait que les militaires ne se font pas soigner dans les hôpitaux militaires, non pas parce qu'ils n'ont pas confiance dans la qualité des soins qui y sont dispensés, mais parce qu'ils préfèrent aller dans un hôpital de proximité. Il convient donc de rapprocher et de mieux coordonner hôpitaux militaires et hôpitaux civils, au plus grand profit des budgets du ministère de la défense et du service public hospitalier.

PermalienFrançoise Saliou, conseillère maître à la deuxième chambre de la Cour des comptes

Nous avons constaté, en Afghanistan, un rapprochement des doctrines de prise en charge des blessés, la définition initiale du modèle français ne correspondant pas à la situation rencontrée sur le terrain, notamment avec les équipes de liaison et de tutorat opérationnel – OMLT (operational mentoring and liaison team). De petits détachements ne permettent pas la présence d'un médecin ; la nécessité d'assurer, à proximité, les conditions d'une évacuation plus lourde vers une structure hospitalière, entraîne, de facto, un rapprochement des modèles de prise en charge. Il n'est donc pas tout à fait inutile de mesurer le temps mis à ramener un blessé dans une structure hospitalière afin de préserver ses chances de vie dans les meilleures conditions possibles.

La pratique hospitalière ne saurait se mesurer avec précision ni au nombre d'actes moyen pratiqués dans l'année, ni à ceux pratiqués lors des opérations extérieures. Les Britanniques, dont le service de santé est désormais intégré dans les structures hospitalières civiles, le plus souvent dans les unités de très haute traumatologie, reconnaissent que les situations rencontrées en OPEX sont très différentes de celles qu'ils ont à prendre en charge dans le cadre, par exemple, des accidents de la route. Si les blessés de guerre sont, comme les accidentés de la route, des polytraumatisés, la pratique chirurgicale n'est pas la même, la chirurgie de guerre différant de toute autre chirurgie. Les soldats français qui ont été soignés dans les hôpitaux militaires américains ou les familles de ceux qui, malheureusement, y sont décédés, ont pu constater la qualité des soins qu'ils y avaient reçus.

En matière de soins psychiatriques, le service de santé des armées a pris tardivement la mesure de la situation, notamment à la suite de la guerre en Afghanistan, considérant dans un premier temps que les pratiques des Canadiens ou des Américains en la matière ne concernaient pas le soldat français. C'est à la demande de l'armée de terre, qui avait un grand nombre de stress post-traumatiques à gérer, que le service de santé a reconsidéré le problème.

PermalienPhoto de Guy Teissier

J'ai visité à plusieurs reprises un jeune chasseur alpin dont le pied avait été arraché par l'explosion d'une mine en Afghanistan. Dès son arrivée à l'hôpital de Laveran, à Marseille, le chirurgien lui a proposé de voir un psychiatre : c'est le soldat qui a refusé. Il a, depuis, réintégré son unité comme vaguemestre.

PermalienPhoto de Marc Joulaud

Le rapport de la Cour émet des réserves sur la capacité du service de santé des armées à maintenir le niveau d'activité des médecins militaires. Quelles recommandations fait-il pour lui permettre de continuer à effectuer au mieux ses missions ? Une révision ou des ajustements du statut de médecin militaire semblent-ils nécessaires ?

Par ailleurs, la France dispose à l'étranger, en dehors du cadre des OPEX, d'hôpitaux et de personnels de santé militaires – je pense notamment à l'hôpital de Djibouti, dont les services sont utilisés à la fois par les militaires français, des militaires étrangers ainsi que par les civils. Avez-vous fait des recommandations sur le sujet ?

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

En ce qui concerne la formation des praticiens des armées, la Cour a exprimé trois recommandations : mieux intégrer dans la scolarité des praticiens les besoins spécifiquement militaires du soutien santé des forces ; réduire le coût de la formation en limitant le personnel d'encadrement des écoles du service de santé ; s'assurer du remboursement effectif des frais dus par les élèves ou militaires qui démissionnent avant l'achèvement de leurs obligations de service. J'ai bien entendu, monsieur le Président, votre souhait qu'une entorse à la règle de l'unité budgétaire soit faite au profit du service de santé des armées. Toutefois, ces recettes ne suffiraient pas à combler son déficit.

PermalienFrançoise Saliou, conseillère maître à la deuxième chambre de la Cour des comptes

Le service de santé des armées a besoin de recruter dans certaines spécialités où il a des manques avérés. Pour que ces personnels, qui n'ont pas fait leur cursus initial dans le service de santé des armées, aient le désir d'y rester, il conviendrait d'améliorer la gestion de leur carrière au sein de l'armée : ils y trouvent aujourd'hui difficilement leur place, notamment en termes de grade.

PermalienPhoto de Guy Teissier

J'ai visité l'école de formation des infirmières et des cadres de Sainte-Anne, à Toulon. Or le rapport n'a pas pris en compte le fait que les jeunes gens et les jeunes filles présents dans cette école y sont venus avec une réelle volonté de servir, en vue d'être infirmiers militaires, et non pas seulement parce que les conditions pour étudier ou pour travailler y sont meilleures que dans le civil.

Les armées se sont déjà penchées sur la question des perspectives de carrières de ces personnels, puisque le passage du corps des sous-officiers à celui des officiers, jusqu'au grade de capitaine, est beaucoup plus aisé, ce qui n'est que justice compte tenu des compétences – je pense notamment aux infirmiers ayant la spécialité d'anesthésiste.

PermalienPhoto de Jean-Claude Beaulieu

J'ai eu de nombreux contacts avec des responsables du service de santé des armées : ils ont bien perçu le rapport, qui réaffirme la spécificité de leur service tout en les obligeant à se remettre en cause. Ils en tireront des enseignements profitables pour le développement du service.

En matière de formation, je me rappelle avoir eu, au CHU de Bordeaux, beaucoup de navalais : c'étaient des étudiants remarquables, bien encadrés par l'école de santé navale. Toutefois, lorsqu'ils réussissaient l'internat, qui est un concours très sélectif, l'armée les obligeait à rejoindre un corps avant d'intégrer un CHU, ce qui était préjudiciable en termes de formation : les internes ne peuvent en effet acquérir de l'expérience qu'en traitant des cas aussi nombreux que variés, que seul un CHU, par définition multidisciplinaire, est à même de leur offrir. Certes, en matière de formation, la situation a un peu évolué, mais il faudrait sans doute l'améliorer encore.

En ce qui concerne les OPEX – en tant que réserviste actif, j'ai participé à quasiment toutes les opérations extérieures depuis quelque dix ans –, nous pouvons être fiers de l'action du service de santé des armées sur le terrain. Il s'agit d'équipes réduites – un chirurgien orthopédiste, un chirurgien viscéraliste, un anesthésiste, cinq ou six infirmiers – dont l'impact sur les populations, notamment africaines, est considérable. Nous sommes davantage coupés de la population en Afghanistan ; toutefois, nous soignons des civils et entretenons des relations avec les hôpitaux afghans. Une telle action de notre service de santé des armées, qui n'est ni monnayable ni chiffrable, participe au renom de la France à l'étranger : la Commission de la défense y est très sensible.

Les polytraumatisés nécessitent des anesthésistes-réanimateurs très compétents et les chirurgiens polyvalents les plus expérimentés, car c'est en termes d'urgence vitale qu'ils interviennent auprès des blessés. C'est la raison pour laquelle je regrette que l'Allemagne envoie trop souvent des praticiens inexpérimentés, voire de simples assistants venant effectuer leur stage sur le théâtre d'opérations. On ne saurait donc comparer ce qui n'est pas comparable – et je ne parle pas de la Grande-Bretagne. N'oublions jamais que l'on ne peut évacuer que des blessés transportables : avant leur transfert, il faut rétablir les constantes vitales.

Le rapport n'évoque pas le rôle de la réserve. Il est vrai que le service de santé des armées sous-estime l'emploi des praticiens réservistes. Or, lorsqu'une équipe d'un hôpital métropolitain part en mission, elle ne sera pas remplacée, ce qui pose des problèmes de garde. Ne pourrait-on pas envisager de recourir davantage aux praticiens réservistes ? Ils sont disponibles, ne demandent que cela et ont, de plus, l'expérience nécessaire pour assurer la continuité du service sur le terrain ou dans les hôpitaux militaires à l'étranger.

Le SSA est par ailleurs conscient qu'il lui faut procéder à sa réorganisation administrative, laquelle est lourde et pyramidale. Des travaux sont actuellement en cours.

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Le rapport évoque la réserve sans porter aucune appréciation ni faire aucune recommandation.

En matière d'évacuation, j'ai évoqué les évacuations du théâtre d'opérations et non les évacuations avec retour dans le pays d'origine.

PermalienFrançoise Saliou, conseillère maître à la deuxième chambre de la Cour des comptes

Les réservistes permettent effectivement de donner de la souplesse à l'organisation des projections en évitant les tensions au sein des équipes chirurgicales.

PermalienPhoto de Jean-Claude Viollet

Le rapport constate que la moitié d'une promotion de médecins prend sa retraite après vingt-cinq années de service, soit quinze années d'activité. Le service de santé des armées suit-il le devenir professionnel de ces personnels ? Vous avez, par ailleurs, évoqué la réflexion relative aux schémas régionaux d'organisation sanitaire – SROS –, laquelle porte sur les réseaux de soins dans les territoires de santé : serait-il possible de réinsérer dans ce cadre ces médecins particulièrement qualifiés ?

Vous avez, en outre, consacré un encadré à la féminisation de la profession, que vous estimez être à la fois un défi et un atout. En tant que rapporteur des services communs, notamment pour le budget 2005, j'avais noté cette progression de la féminisation. Le service de santé des armées a de 16 à 17 % de femmes médecins, le taux de féminisation s'élevant à 60 % chez les paramédicaux. Ces chiffres, pour être inférieurs à la moyenne civile, sont toutefois très supérieurs au taux de féminisation dans le reste de l'armée. Il n'en reste pas moins qu'il est difficile de fidéliser ces personnels. J'avais fait deux propositions qui sont restées lettre morte : d'une part, privilégier à la sortie des études le choix de l'affectation par nature de poste plutôt que par arme, possibilité que prévoit expressément le statut général des militaires ; d'autre part, rendre le dispositif plus souple en proposant aux médecins et aux autres personnels de santé d'opter entre une affectation dans les effectifs à vocation opérationnelle ou les effectifs du socle, de façon à ne pas contraindre des personnels médicaux ou paramédicaux féminins à quitter l'institution militaire pour des raisons familiales. Je tiens à préciser qu'il s'agirait non pas d'une disposition statutaire mais d'une affectation provisoire avec des passerelles permettant de continuer une carrière dans l'opérationnel. Il m'a été répondu qu'il ne convenait pas de faire de la discrimination au sein de l'armée en fonction du sexe des personnels. Les problèmes liés à la fidélisation n'en existant pas moins, y compris d'ailleurs pour les hommes, ne devrait-on pas réfléchir à une telle solution, compte tenu de l'investissement réalisé dans ces personnels ?

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Il s'agit de deux remarques importantes qui ont fait l'objet de questions de la part des rapporteurs. Nous n'avons pas reçu beaucoup de réponses satisfaisantes.

Le service de santé des armées ne suit pas ses jeunes retraités et c'est regrettable.

Quant à la question posée par la féminisation, la direction centrale du service de santé des armées nous a paru plus ouverte que l'état-major des armées à l'idée d'affectations personnalisées. Nous nourrissons donc un espoir à ce sujet. Il est certain que les bases de défense peuvent être un moyen de gérer intelligemment la féminisation du service de santé des armées et, plus globalement, des armées.

PermalienPhoto de Michel Voisin

Vous avez évoqué le remboursement du coût des études pour les élèves qui ne vont pas jusqu'au bout de leur contrat. Il faut savoir qu'entre le moment où ils demandent à retourner dans le civil et celui où l'armée y consent, il se passe parfois deux ans, ce qui augmente d'autant les frais d'études à rembourser – j'ai connu trois cas dans la région lyonnaise. Avez-vous étudié ce problème ?

PermalienAlain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes

Je ne peux vous répondre sur ce point.

PermalienFrançois Saliou

Nous n'avons pas eu à connaître de cas semblables.

Nous nous sommes penchés sur la situation de ceux auxquels le service de santé des armées avait déjà donné quitus : il s'agit le plus souvent de jeunes professionnels et non d'élèves. Nous avons constaté que les créances produites par le service de santé des armées étaient gérées de manière très libérale, tant par le service lui-même que par la trésorerie qui en est responsable. Nous avons eu le sentiment que le quitus est donné assez facilement aux élèves. De fait, le service de santé des armées ne souhaite pas garder contre leur gré des élèves ou de jeunes professionnels qui ne souhaitent manifestement pas y rester.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.