Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a procédé au vote sur les crédits Recherche dans les domaines du développement durable (M. André Chassaigne, rapporteur pour avis) dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 : mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Elle a ensuite entendu M. Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
Nous avons le plaisir d'accueillir à nouveau M. Marc Mortureux, que nous avions déjà auditionné le 18 novembre 2009. Vous êtes désormais, monsieur Mortureux, à la tête de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES, née de la fusion de l'AFSSA et de l'AFSSET. Pourriez-vous nous décrire les missions de cette nouvelle structure et faire le point sur la fusion des deux agences ?
Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, de me donner l'occasion de faire un point sur la mise en place de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES – nous avons préféré cet acronyme au sigle ANSSAET, imprononçable –, issue de la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET. Valérie Baduel, directrice générale adjointe de l'agence, et Jean-Nicolas Ormsby, m'aideront à répondre à vos questions.
Je voudrais vous décrire en quelques mots ce qu'est l'ANSES et comment s'est passée la fusion, avant de vous exposer les orientations de nos travaux. Les agences de sécurité sanitaire ayant été créées par la volonté du Parlement, je suis particulièrement heureux d'avoir l'occasion d'échanger avec vous. Je ne redirai jamais assez que nous avons vocation à vous faire profiter de notre expertise scientifique.
L'ANSES a été instituée par une ordonnance de janvier 2010, prise sur le fondement de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, et élaborée à l'issue d'une large concertation que j'avais engagée en tant que chargé de la préfiguration de la future agence. Déposée en mars sur le bureau des assemblées, elle n'a cependant pas encore été, à ma connaissance, ratifiée par le Parlement. Le décret d'application a permis la mise en place de l'Agence le 1er juillet, dans les délais qui avaient été prévus et qui ont permis de concilier concertation et célérité.
Les premières réunions des conseils scientifiques et du conseil d'administration de l'Agence, qui se sont tenues fin septembre, nous ont permis d'élaborer les textes, règlement intérieur, code de déontologie, orientations stratégiques, grâce auxquels nous sommes aujourd'hui en ordre de marche.
L'ANSES a pour première mission l'évaluation et la prévention des risques auxquels le consommateur, le travailleur et le citoyen sont exposés. Son champ de compétence extrêmement large, puisqu'il recouvre l'environnement, le travail, l'alimentation, permet à l'Agence de traiter l'ensemble des risques sanitaires, selon un principe clair : chaque risque fait l'objet d'une évaluation unique prenant en compte l'ensemble des expositions, dans une volonté de lisibilité et de cohérence.
Ce vaste champ de compétence fait de l'ANSES la plus grande agence de sécurité sanitaire d'Europe. Nous pourrions être des pionniers de ce point de vue : à nous de convaincre de la pertinence et de l'avenir de ce modèle d'agence sanitaire les instances européennes et internationales dont les décisions influent directement sur notre champ de compétence. Assurer la présence et la reconnaissance de l'Agence à l'étranger est d'ailleurs une de nos priorités. J'observe déjà que beaucoup de nos homologues européens suivent avec intérêt ce que nous sommes en train de mettre en place. Je ne vous cache pas que cet intérêt est parfois teinté d'un certain scepticisme, tant les domaines couverts par l'agence – santé- environnement, santé au travail, alimentation et santé animale – sont divers et relèvent de cultures différentes.
L'ANSES est d'abord et avant tout une instance scientifique indépendante d'évaluation des risques, qui assure des missions de veille, d'alerte et de référence, visant à prévenir la survenue de crises sanitaires. L'évaluation des risques est assurée par des collectifs d'experts, sélectionnés selon des modalités visant à assurer l'indépendance de notre expertise. Ils sont en effet recrutés par le biais d'appels à candidature publics, et après examen de la déclaration publique d'intérêts à laquelle ils sont tenus. La composition de ces collectifs est soumise au conseil scientifique de l'Agence préalablement à leur mise en place.
L'indépendance est tout autant assurée par les modalités de l'expertise, qui doit être conforme à la norme NF X 50-110, visant à assurer, à travers un ensemble de procédures, son caractère collectif et contradictoire. Cette norme nous impose notamment de rendre systématiquement publics nos avis et nos rapports, en faisant état des opinions minoritaires qui se seraient exprimées au sein des collectifs d'experts.
À côté de cette mission d'évaluation des risques, l'Agence compte en son sein des laboratoires de référence et de recherche, oeuvrant essentiellement dans le domaine de la santé animale et de la sécurité sanitaire des aliments. En récupérant ces laboratoires, qui relevaient jusqu'ici du ministère de l'agriculture, l'Agence hérite de missions de surveillance et de suivi des différents types de pathologies susceptibles de toucher le monde animal, et demain le monde végétal, dans le souci de prévenir les risques de contamination de la chaîne alimentaire.
La création de l'ANSES conjugue en outre la garantie d'une expertise en santé publique indépendante et l'ouverture aux préoccupations de la société civile, autre caractéristique essentielle de l'Agence.
La fusion a fait l'objet d'une concertation approfondie, menée, de septembre 2009 à juin 2010, avec l'ensemble des parties prenantes, soit plus d'une quarantaine d'acteurs, dont des représentants des personnels des deux agences. Si cette large consultation a montré que le bien-fondé de la fusion n'était pas contesté, de nombreuses inquiétudes se sont exprimées à cette occasion, auxquelles le processus de concertation s'est attaché à apporter des réponses concrètes.
Face à la crainte, qui agitait tout particulièrement le monde de la santé au travail et celui de la santé animale, de voir leur identité se diluer dans ce vaste ensemble regroupant des thématiques aussi diverses, nous avons proposé des solutions en termes de gouvernance et d'organisation interne ainsi que sur le plan financier afin de préserver l'identité de chacun des grands domaines de l'Agence tout en tirant parti des synergies résultant de la fusion. Sur le plan de la gouvernance, le conseil d'administration de l'ANSES a la possibilité de mettre en place quatre comités d'orientation thématiques, chacun dédié à un des quatre grands domaines de l'agence. Associant toutes les parties prenantes, ils ont pour charge de présenter les priorités de l'Agence afin de permettre de véritables échanges et d'assurer que notre programme de travail tiendra compte des préoccupations exprimées par l'ensemble des acteurs, associations, ONG, partenaires sociaux, organisations professionnelles ou ministères. Les premières réunions ont permis de mesurer l'attente forte qui entoure la création de l'ANSES. Nous nous efforcerons d'être à la hauteur de cette attente, notamment en associant à notre travail toutes les parties prenantes, en amont, mais également en aval, tout en préservant la rigueur et l'indépendance du processus d'expertise scientifique.
Sur le plan financier, nous veillerons à assurer une parfaite traçabilité des crédits et la transparence de leur répartition entre chacun des quatre domaines, via notamment une comptabilité analytique.
Une autre inquiétude s'est fait jour, celle que cette fusion traduise une volonté de réduire fortement les moyens dédiés à ces missions. Or, bien qu'elle soit conforme aux préconisations de la RGPP, son objectif est d'optimiser le service rendu bien plus que de réaliser des économies, les activités des deux agences ne doublonnant pas, même si leurs champs de compétence étaient proches. Le projet de budget pour 2011 prévoit d'ailleurs un rebasage de la subvention destinée aux laboratoires relevant jusqu'ici de l'AFSSA : à périmètre constant, la nouvelle agence voit sa subvention progresser de 3,9 %.
En matière d'indépendance, de transparence, d'ouverture aux parties prenantes, les textes, qu'il s'agisse de l'ordonnance ou du décret d'application, apportent des garanties très fortes.
Gagner en efficacité et en lisibilité est un des objectifs essentiels de la fusion, la nouvelle agence devant permettre des synergies inédites. Dans le domaine de l'eau, par exemple, l'AFSSA était compétente pour l'eau de boisson, alors que l'AFSSET était chargée de la surveillance des eaux de baignade. La fusion permettra d'appréhender le cycle de l'eau dans son ensemble et de traiter de manière plus adaptée des problématiques telles que la réutilisation des eaux usées, à l'articulation des champs de compétence respectifs de l'AFSSA et de l'AFSSET. Le vaste domaine des produits chimiques est également propice à des synergies, de même que celui de l'exposition aux substances chimiques, aux enjeux considérables. Ainsi, en ce qui concerne les pesticides, l'AFSSA procédait à l'évaluation des risques liés aux produits phytosanitaires, alors que les biocides, la mise en oeuvre du règlement européen REACH et la santé des travailleurs relevaient de l'AFSSET. La fusion va nous permettre d'appréhender le dossier des pesticides dans toutes ses dimensions, depuis les autorisations avant mise sur le marché jusqu'à la protection des consommateurs et des travailleurs.
Notre deuxième grand objectif est de devenir un acteur de premier plan du réseau mondial des organismes de sécurité sanitaire. S'agissant de thématiques aussi complexes que celle des perturbateurs endocriniens, nous avons besoin de travailler avec les autres grands acteurs de dimension mondiale et de faire reconnaître la qualité de nos avis, non seulement au niveau national, mais aussi européen et international. Nos laboratoires assurent déjà de nombreuses missions de référence pour la Commission européenne ; il y a quelques jours encore, nous avons remporté l'appel à candidature lancé par la Commission pour devenir le laboratoire de référence s'agissant de la mortalité des abeilles, question extrêmement sensible aujourd'hui. Ce mandat européen nous permettra de disposer de moyens supplémentaires et de peser davantage à l'échelle internationale, la surmortalité des abeilles étant un phénomène observé partout dans le monde.
Aujourd'hui, même si nous devons encore améliorer notre organisation interne, l'ANSES est en ordre de marche. Nous avons mis en place une équipe de direction. Surtout, nous avons eu à coeur de poursuivre notre travail quotidien en dépit de la fusion, afin que celle-ci ne ralentisse pas le rythme de nos travaux. Depuis le 1er juillet, nous avons émis 85 avis. Dans le domaine de la santé au travail, nous avons préconisé l'abaissement des valeurs limites d'exposition professionnelle à certaines substances dangereuses ; nous avons émis des recommandations de prévention des risques liés aux algues vertes pour la santé des personnes. Nous nous sommes également exprimés sur les risques sanitaires liés au développement des activités en souterrain où l'air peut être de mauvaise qualité.
Dans le domaine santé-environnement, je ne vous citerai que l'avis rendu lundi par l'Agence sur les systèmes d'éclairage utilisant des diodes électroluminescentes, ou led, en plein développement. S'ils sont très économes en énergie et ont une très longue durée de vie, l'ANSES appelle l'attention sur leurs risques sanitaires. Elle recommande de limiter l'accès du grand public aux led très riches en lumière bleue, qui peuvent être nocives pour le cristallin des enfants. Nous avons aussi recommandé d'éviter l'installation de ce type d'éclairage dans des lieux fréquentés par des enfants et d'améliorer l'étiquetage de ces produits. Il ne s'agit pas pour nous de condamner cette technologie extrêmement prometteuse. D'ailleurs, les professionnels de l'éclairage ont accueilli très favorablement nos recommandations, parce qu'ils sont conscients que cette expertise les aidera à prévenir toute difficulté.
Dans le domaine de l'alimentation, je pourrais citer l'avis défavorable dont la boisson Outox a fait l'objet, l'Agence jugeant dénuées de tout fondement scientifique les allégations selon lesquelles cette boisson ferait baisser le taux d'alcool dans le sang, élément pourtant retenu pour en faire la promotion.
Dans le domaine de la santé animale, nous avons devant nous une tâche importante en matière de hiérarchisation des pathologies animales, dans le prolongement des États généraux du sanitaire. Nous étudions notamment l'émergence sur notre territoire de pathogènes dits « exotiques » du fait des changements climatiques et de l'essor des échanges internationaux.
Au nombre des orientations de l'ANSES pour 2011 figurent des problématiques aussi lourdes que celle des risques émergents, qui justifient pleinement la fusion. L'Agence a été saisie du sujet des perturbateurs endocriniens, qui appelle déjà un travail considérable sur le plan méthodologique. Il s'agit de définir d'autres méthodes d'évaluation des risques s'agissant de substances pour lesquelles l'approche traditionnelle par seuils ne semble plus pertinente. Nous travaillons par ailleurs à mettre en place un observatoire des substances, en commençant par établir une typologie des usages de ces produits. Je citerai également la problématique de l'antibiorésistance, l'ANSES devant évaluer, non seulement l'utilisation des antibiotiques en médecine humaine, mais également en médecine vétérinaire, dans le cadre du futur Comité national pour un usage raisonné des antibiotiques dans le monde vétérinaire. Nous enquêtons en ce moment sur les pratiques qui ont cours dans certaines filières et une journée nationale sur l'antibiorésistance est prévue le 18 novembre prochain. Nous lancerons d'autres initiatives sur un phénomène dont le caractère préoccupant appelle la mobilisation de tous les acteurs.
Dans le domaine de la santé alimentaire, nous avons mis en place un dispositif de nutrivigilance destiné à étudier l'impact sanitaire de la consommation de certains aliments tels que les compléments alimentaires ou certaines substances d'origine botanique comme les pignons de pin – la consommation de certains pignons en provenance de Chine a donné lieu au signalement de nombreuses réactions allergènes.
Ce panorama des différents sujets relevant de la compétence de l'ANSES est évidemment extrêmement partiel, mais vos questions devraient me permettre de vous répondre sur d'autres que je n'ai pas abordés.
Votre exposé nous fait mesurer l'ampleur du défi que constituent cette fusion et la création d'une agence au champ de compétence aussi étendu. Nos collègues vont maintenant vous poser leurs questions.
Comment se passe concrètement la fusion, notamment en ce qui concerne les personnels et la localisation de la nouvelle structure ? Sur le plan budgétaire, le budget de l'ANSES est-il inférieur à l'addition des budgets respectifs des deux agences, et de combien ? Les effectifs de la nouvelle agence sont-ils exactement l'addition de ceux des deux agences ?
Je voudrais également vous interroger sur vos missions. Le champ de compétence de l'ANSES n'est-il pas trop large pour permettre de développer une expertise objective sur des questions sujettes à controverses sans fin, au sein même de la communauté scientifique ? Certes, nous saluons votre volonté d'introduire de l'objectivité dans ces débats, vos avis et vos préconisations ayant vocation à servir de références. Mais c'est là une lourde responsabilité. Comment l'appréhendez-vous ? Comment ferez-vous pour ne pas être vous-même prisonniers du prisme médiatique, voire politique ? D'une manière générale, notre société est anxiogène jusqu'à l'irrationnel, en dépit de son besoin de certitudes scientifiques. Vous risquez d'être pris en tenaille entre ce besoin d'une vérité objective, parfois difficile à appréhender, et la pression de cette part grandissante d'irrationnel. Dans un tel contexte, ne risquez-vous pas de préconiser des normes toujours plus contraignantes et coûteuses, acculant les décideurs à des choix difficiles ? J'en donnerai un exemple parmi cent autres : en raison de la toxicité supposée des canalisations en plomb, les collectivités locales sont sommées de mettre aux normes tout leur réseau d'eau potable, ce qui leur coûte des millions d'euros, et se chiffre en milliards à l'échelle nationale. Pourtant, la dangerosité des tuyaux de plomb n'a jamais été démontrée.
Sur le plan international, votre agence ne pourrait-elle pas être également un outil de valorisation de la recherche française ?
Le Gouvernement a justifié la fusion de l'AFSSA et de l'AFSSET par le recoupement de leurs thématiques et la complémentarité de leurs moyens d'expertise. Pourtant les organisations syndicales ont contesté le regroupement de missions relevant de problématiques et de méthodes scientifiques différentes. Par ailleurs, certains ont exprimé la crainte de voir l'AFSSET se faire » manger toute crue » par l'AFSSA. Ces inquiétudes ont-elles disparu ?
J'aimerais par ailleurs que vous nous disiez quels étaient les budgets 2010 de l'AFSSA et celui de l'AFSSET, et quel sera le budget de l'ANSES pour 2011.
Selon quelles modalités les associations pourront-elles exercer leur droit de saisine ? Avez-vous déjà été saisis par des associations défendant les intérêts des consommateurs ou des patients, et quel est l'objet de ces saisines ? Est-il vrai que cette agence préfigure l'institution d'un grand pôle d'expertise sanitaire à la française, sur le modèle de la Food and Drug Agency américaine, la FDA ?
J'aimerais enfin que vous nous expliquiez pourquoi vous avez retenu l'acronyme ANSES, et non ANSSAET, qui serait le sigle normal.
Vous avez évoqué une augmentation de 3,9 % des moyens de l'ANSES. Or, les chiffres dont je dispose en tant que rapporteur pour avis du budget de l'Agence pour 2011 font apparaître une augmentation de 1,7 % des autorisations d'engagement et de 1,08 % des crédits de paiement. D'où vient cette différence de 2,2 points ? S'agirait-il d'une dotation supplémentaire au titre de la « liste de mariage » ? Le montant de la dotation budgétaire qui nous a été communiqué pour 2010 tient-il déjà compte de la fusion ou est-il simplement l'addition des dotations des deux agences ?
Vos tutelles sont au nombre de cinq, puisque vous relevez des ministères en charge de l'agriculture, de la consommation, de l'environnement, de la santé et du travail. Un nombre aussi élevé de tutelles ne risque-t-il pas de compliquer le fonctionnement de l'Agence ? Comment comptez-vous assurer le passage d'une expertise publique indépendante à votre mission de proposition ? Avez-vous un droit de regard sur la mise en oeuvre de vos préconisations ? La saisine de l'Agence est-elle réservée aux ministères de tutelle, ou est-elle étendue à des organisations de la société civile ? Comment la mission de veille sanitaire assurée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, s'articule-t-elle avec votre compétence, plus spécifique ?
Vous êtes-vous heurtés, au moment de composer vos équipes, à une pénurie, soit de moyens, soit d'experts scientifiques, qui vous contraindrait à sous-traiter l'exécution de certaines de vos missions à des organismes privés, avec le risque d'une perte d'objectivité ? Plus généralement, l'indépendance de vos équipes est-elle garantie, notamment par les modalités de recrutement de vos experts ? Ont-ils coupé tout lien qui pourrait les placer en situation de conflit d'intérêts ?
Existe-t-il un registre national des cancers ? Que notre pays envisage d'instaurer un fichier des morsures canines quand il n'est même pas capable d'assurer un suivi épidémiologique centralisé de cette pathologie au niveau national, c'est un comble ! Cette carence a d'ailleurs déjà été soulignée par de nombreux observateurs.
Dans le domaine alimentaire, avez-vous constaté des carences généralisées qui justifieraient la mise en oeuvre de politiques publiques spécifiques ?
Vous m'avez interrogé sur les modalités concrètes de la fusion. Il est vrai qu'une fusion n'est jamais un processus simple. Nous avons mis en place des instances de concertation avec nos partenaires extérieurs et, dès le mois de février, un comité de pilotage interne. Nous avons organisé de nombreuses rencontres entre les représentants des personnels des deux agences. Surtout, nous avons organisé de nombreux séminaires scientifiques réunissant les experts des deux agences. Il s'agissait de mettre à plat les différences d'approche et de faire remonter les inquiétudes. Grâce à cela, beaucoup de sujets d'inquiétude étaient déjà clairement identifiés et beaucoup de réponses apportées au moment de la fusion effective. C'est ce qui a permis à l'Agence de regrouper ses équipes en fonction de leurs domaines d'activité dès début juillet – il est vrai que nous avions la chance que les deux agences soient situées à Maisons-Alfort. Cela nous a permis de donner une réalité concrète à la fusion, et de marquer qu'il s'agissait de créer du neuf, et non pas de faire disparaître l'une des agences au profit de l'autre.
Cette création s'appuie sur les acquis et les richesses de l'une et de l'autre. Fondée sur nos similitudes, elle s'enrichit aussi de nos différences. Du mariage de la culture de l'urgence et de la réactivité de l'AFSSA, née des crises au cours desquelles cette agence a dû intervenir, et de la démarche de l'AFSSET, marquée par l'ouverture aux parties prenantes et l'apport des sciences humaines et sociales, doit naître quelque chose dont la valeur dépasse l'addition des deux éléments.
Concrètement, en dépit des inquiétudes qui s'étaient manifestées, chacun a pu trouver sa place dans l'organisation, qui avait été pratiquement décidée dès février. Je pense que c'est le résultat de la concertation menée avec les parties prenantes, qui a été extrêmement intense. Outre qu'elle a permis d'apporter des réponses, elle a surtout permis aux uns et aux autres de s'apprivoiser. C'est pourquoi les inquiétudes n'ont pas empêché la conviction que ce nouvel ensemble avait du sens, y compris en interne : s'ouvrir à des domaines scientifiques nouveaux renforce l'attractivité des métiers et l'intégration dans un ensemble plus large multiplie les opportunités d'évolution professionnelle.
Nous dialoguons aujourd'hui avec les partenaires sociaux, de manière très constructive, afin d'harmoniser les conditions statutaires des personnels des deux anciennes agences. Je puis dire, je le crois, que cette fusion s'est passée aussi bien que possible. Je ne sous-estime pas le chemin restant à parcourir. Je ne minimise pas les différences qui demeurent ni les inquiétudes qui peuvent encore se faire jour. Mais c'est ainsi que, dans le respect mutuel, nous pourrons durablement construire un futur commun.
Nous avons le projet de construire sur le campus de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort un bâtiment qui permettra de regrouper toutes nos équipes en un même lieu. Ce choix est le plus économique, sachant que sont déjà implantés sur ce site deux laboratoires employant plus d'une centaine de personnes. Ce regroupement constituera une étape importante car l'actuelle dispersion géographique constitue clairement un handicap.
L'ANSES est placée sous la tutelle de cinq ministères, je l'ai dit, et ses crédits relèvent de quatre programmes, celui du ministère de l'écologie se subdivisant en une subvention générale et une subvention spécifique pour les programmes de recherche santé-environnement. Toutes nos dotations budgétaires augmentent, à l'exception de celle en provenance du ministère du travail. Celle du ministère de l'agriculture progresse fortement du fait d'un rebasage à hauteur de 5,4 millions d'euros au titre des investissements ainsi que de l'intégration à l'Agence du Laboratoire national de la protection des végétaux à compter du 1er janvier 2011– 8 millions d'euros sont prévus à cet effet. Mais à périmètre constant et hors abondement lié aux investissements, elle diminue. Celle du ministère de la santé régresse de même légèrement, si l'on fait abstraction des 0,8 million d'euros octroyés là encore au titre des investissements. Dans un contexte budgétaire général difficile pour l'État, le rebasage – indispensable – auquel il est procédé pour nos investissements est la marque de l'importance donnée à nos missions.
Nos effectifs diminueront de 18 ETP, soit 1,5% de l'effectif total. La fusion a permis d'optimiser les moyens des services-supports et d'économiser dix postes. Nous avons réalisé des économies partout où cela était possible sans dommage pour nos missions ni nos métiers – services financiers, administratifs, … Nous cherchons à améliorer sans cesse nos procédures internes et des investissements informatiques devraient nous permettre de progresser encore dans cette voie.
Les missions de l'ANSES sont-elles trop larges ? J'ai pleinement conscience de l'ampleur de nos responsabilités. Nous avons affaire à des enjeux complexes, variés, avec des incidences économiques et sanitaires potentiellement considérables. Nous nous devons d'être toujours prêts à intervenir en cas de crise. Nous nous appuyons sur un réseau de quelque 800 experts externes, aux compétences très diverses. L'un de nos objectifs est de continuer d'attirer les meilleurs chercheurs. De ce point de vue, la fusion constitue un atout, faisant disparaître le risque de concurrence entre agences et limitant celui d'avis divergents, qui désorientent toujours nos concitoyens. Outre qu'elle permet d'optimiser les moyens, la fusion est aussi gage d'une meilleure cohérence, garantie par la généralisation de process transversaux. Nous avons notamment mis en place un comité de traitement des saisines afin de veiller le plus en amont possible à la cohérence des approches. Le défi est vaste, vous le voyez, mais nous avons les moyens de le relever.
Existe-t-il un risque que nous soyons prisonniers du prisme politique ou médiatique ? L'extrême rigueur de notre démarche vise à nous en protéger. Nos recommandations, formulées en toute objectivité, ne reposent que sur des éléments scientifiques. Reste que nous devons mieux communiquer sur nos travaux. Nous ne sommes, hélas, pas encore bien outillés pour le faire en direction du grand public. Mais les liens étroits avec l'ensemble des « parties prenantes » – associations de consommateurs, associations de victimes d'accidents du travail, ONG, organisations professionnelles, partenaires sociaux… – constituent heureusement pour nous autant de relais d'opinion. Nous devons améliorer notre site internet : nous y travaillons et cela devrait être terminé en 2011. Nous portons une large responsabilité dans la façon dont sont restitués nos travaux. L'une de nos ambitions est qu'ils fassent référence, non en tant que parole unique tant il ne saurait y en avoir dans nos domaines de compétence, mais comme base de travail facilitant la tâche de tous les acteurs chargés de la gestion, éminemment complexe, des risques sanitaires.
Vous avez cité, monsieur le député, l'exemple de l'eau et du plomb. L'une des difficultés que nous rencontrons, notamment auprès des acteurs et du grand public, est de faire comprendre la différence entre danger et risque. L'expologie, qui fait le lien entre la présence d'une substance toxique dans l'environnement et l'apparition d'un dommage, constitue l'essentiel de notre travail. Cela exige de croiser beaucoup de données. Ainsi dans le domaine alimentaire, il faut, pour évaluer l'exposition réelle à un risque, croiser les résultats d'enquêtes très fines sur les habitudes de consommation alimentaire sur une longue période et ceux d'enquêtes dites d'alimentation totale (EAT) visant à identifier tous les résidus contaminants susceptibles d'être retrouvés dans 20 000 aliments. De 39 contaminants analysés il y a quelques années, on est arrivé aujourd'hui à 280. Pour jouer pleinement notre rôle de veille, nous travaillons sur une palette extrêmement large de substances, bien au-delà des exigences posées par la réglementation. Il nous appartient de faire comprendre que ce n'est pas parce qu'une substance est intrinsèquement porteuse de dangers qu'il y a nécessairement matière à légiférer ou réglementer à son sujet. Le niveau d'exposition réelle peut en effet être si faible qu'il conduit à un niveau de risque acceptable. Mais ce n'est pas là message facile à faire entendre !
Les organisations syndicales avaient exprimé diverses inquiétudes quant à la fusion des deux agences. Les grands acteurs qui étaient les interlocuteurs privilégiés de l'AFSSET demeurent dans la nouvelle organisation. J'ai veillé à ce que les équilibres antérieurs soient préservés dans la nouvelle équipe de direction. Garantie a aussi été apportée que les crédits alloués par le ministère du travail dans le domaine de la santé au travail seront intégralement préservés et que les appels à projets de recherche dans les domaines santé-environnement et santé au travail ne seraient pas remis en cause. Bien au contraire, nous pourrons impulser de nouvelles recherches. C'est important, car sur un certain nombre de sujets, nous manquons de connaissances scientifiques pour procéder à l'évaluation des risques.
Une autre avancée est que désormais l'ensemble des acteurs représentés au conseil d'administration de l'Agence peuvent la saisir sur tout sujet d'intérêt général justifiant la mobilisation de moyens publics. Nous tenons à cet esprit d'ouverture. Une organisation syndicale nous a ainsi saisis sur le sujet de l'exposition des travailleurs au bitume, une association de consommateurs sur celui des revêtements d'ustensiles culinaires en Teflon susceptibles de contenir de l'acide perfluorooctanoïque (PFOA). L'Agence a de surcroît la possibilité de s'autosaisir, et elle le fait couramment. C'est la garantie de son indépendance.
Pourquoi avoir choisi l'acronyme ANSES ? Nous avons cherché, en faisant d'ailleurs appel à des compétences externes, un sigle facile à retenir et à prononcer, en France comme à l'étranger. « ANSSAET » était imprononçable. Nous reste maintenant à faire connaître notre sigle.
L'ANSES peut-elle demain constituer un pôle d'expertise sur le modèle de la FDA américaine ? Elle a en tout cas l'ambition d'être un pôle fort, aussi reconnu à l'étranger que l'est la FDA. Cela étant, le mode de fonctionnement des deux agences est très différent puisque la FDA n'a pas seulement la responsabilité de l'évaluation des risques, mais aussi de leur gestion – sans compter qu'elle s'occupe également des médicaments. Une distinction nette entre les missions d'évaluation et de gestion des risques me paraît gage de clarté. Le regroupement de l'AFSSA et de l'AFSSET présente un autre intérêt. Tous les pays qui possèdent des agences sanitaires ont été confrontés, par exemple dans le cas du bisphénol A, à des différences d'approche entre les agences du type AFSSA et celles du type AFSSET. Cela a été le cas aux Etats-Unis entre la FDA et l'EPA, en Allemagne entre le BfR et l'UBA… En un sens, l'ANSES internalise la complexité d'un sujet comme celui des perturbateurs endocriniens sur lequel la communauté scientifique elle-même est assez divisée. Elle peut ainsi d'ailleurs mieux comprendre l'origine des différences d'approche.
Notre quintuple tutelle est-elle source de difficultés, du moins de complexité accrue ? Non. Depuis un an, la coordination a été totale entre les cinq ministères qui, tous, travaillent dans un esprit le plus constructif possible. Un comité regroupant les cinq directeurs généraux des administrations concernées se réunit régulièrement pour faire le point. Les cinq ministères trouvent intérêt à la plus grande transparence que permet la nouvelle organisation.
Manque-t-on de spécialistes dans certains domaines ? C'est indéniable : il n'y a pas assez en France d'écotoxicologues ou d'entomologistes – les compétences de ces derniers nous seraient très utiles pour l'étude des maladies vectorielles. L'un des grands enjeux pour l'Agence est d'être attractive vis-à-vis la communauté scientifique, de façon que les meilleurs chercheurs acceptent de mettre leur expertise à son profit. Sur ce plan, une agence unique est un atout.
L'ANSES intervient-elle en lien avec les syndicats interdépartementaux de démoustication ? Est-elle en contact avec les agences de l'eau, notamment dans le cadre de l'élaboration des schémas d'aménagement et de gestion des eaux ?
Je m'interroge sur la cohérence entre le dispositif national et le dispositif européen en matière de sécurité sanitaire. Je regrette d'ailleurs qu'on ne se soit pas posé cette question à l'occasion de cette fusion. Il existe actuellement six agences européennes couvrant le champ de compétences de l'ANSES, auxquels s'ajoutent quatre comités scientifiques indépendants, placés auprès de la Commission. L'ANSES nourrit l'ambition d'être un acteur européen majeur, nous avez-vous dit. Mais les agences européennes n'ont-elles pas vocation à être les acteurs européens ? N'y a-t-il pas des redondances ? Il serait logique d'opter soit pour des agences nationales puissantes demeurant les acteurs principaux tout en coopérant au niveau européen, soit pour des agences européennes ayant le primat. Mais il faudrait alors en tirer les conséquences au niveau national et que les structures nationales s'intègrent dans les structures européennes. Or, il semble aujourd'hui que les agences nationales souhaitent conserver toutes leurs prérogatives tout en se posant en acteurs européens, au risque de susciter la perplexité dans le public, notamment par des avis divergents. Comment avoir confiance dans une information démentie par une autre agence ? Ne gagnerait-on pas à clarifier la situation ?
Ma question rejoint celle de Christophe Caresche. Les missions de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, agence indépendante financée sur le budget européen, recoupent exactement celles de l'ANSES dans le domaine de l'alimentation. Or, il est arrivé que cette Autorité rende des avis divergents de ceux des agences de sécurité sanitaire française. Si on comprend que la législation et la réglementation diffèrent selon les États, il est difficilement compréhensible que la toxicité d'une substance puisse être évaluée de façon différente d'un pays à l'autre. La création d'une agence européenne unique, disposant d'antennes dans chacun des États membres, ne serait-elle pas la solution ?
D'une manière générale, les scientifiques communiquent mal parce qu'en toute honnêteté, ils sont toujours prudents quant à l'existence d'un risque potentiel. Les médias, eux, à la recherche du sensationnel, sont friands des risques en matière de sécurité sanitaire. Quelle place prend l'ANSES dans la communication institutionnelle ? Son budget lui permet-il de communiquer assez largement ?
L'ANSES est-elle amenée à se prononcer sur la sécurité sanitaire des aliments importés ? Toutes les viandes importées du continent américain par exemple proviennent d'animaux dont l'alimentation comporte des OGM. Dénoncez-vous ces méthodes d'élevage ?
L'ANSES a conservé les laboratoires de l'AFSSA et la compétence de celle-ci pour la gestion des médicaments vétérinaires et de la santé animale. Ne risque-t-elle donc pas d'être la fois juge et partie pour ce qui est de l'évaluation des risques sanitaires des rejets de médicaments vétérinaires dans l'environnement ?
Le plan ÉcoPhyto 2018, lancé en 2008, vise à réduire de moitié l'utilisation des pesticides dans l'agriculture d'ici à 2018. L'ANSES y est-elle associée ? Si oui, avec quel rôle ?
Pourriez-vous nous donner quelques exemples concrets de la valeur ajoutée apportée par l'ANSES par rapport aux deux agences précédentes ? Vous avez indiqué que l'ANSES était la plus grande agence de sécurité sanitaire en Europe. Quelles relations entretient-elle avec ses homologues européens ? Y a-t-il des doublons ? Des orientations communes ? Une homogénéité dans les appréciations ?
Quatre comités d'orientation thématiques ont été mis en place au sein de l'Agence. Quelle en est la gouvernance et chacun dispose-t-il d'un budget spécifique ?
Quand les résultats de l'étude en cours sur les perturbateurs endocriniens, demandée dans la loi Grenelle 2 seront-ils connus ?
Vous évoquez dans le document que vous nous avez remis une « régionalisation » des évaluations pour l'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Qu'entendez-vous par là exactement ?
Enfin, vous n'avez pas du tout parlé des nanotechnologies. La question est-elle taboue ?
Pour siéger à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je sais qu'y sont très largement abordés des sujets dont traite également votre Agence, notamment celui des radiofréquences et des ondes électromagnétiques. Il est quasiment certain que celles-ci contribuent aussi à la désorientation et à la surmortalité des abeilles, observées partout dans le monde, et que les pesticides ne sont pas seuls en cause. L'ANSES a-t-elle des liens avec le Conseil de l'Europe ? Les derniers experts à être intervenus sur le sujet lorsque le Conseil a présenté une résolution sur le sujet étaient allemands. Pouvons-nous espérer, avec la nouvelle agence, être vraiment « les meilleurs en Europe » ?
L'ANSES peut-elle ou non recourir à des contrats externes ? Il n'y va rien moins que de l'objectivité et de la crédibilité de son expertise car l'origine des financements n'est pas sans influer sur l'orientation des avis.
Un rapport de l'AFSSET d'octobre 2009 indiquait qu'il était nécessaire de poursuivre les recherches sur les ondes électromagnétiques. Or, vous indiquez qu'un appel à projets sera lancé « sous réserve de la mise en place des financements correspondants. » D'où attendez-vous ces financements ? Seriez-vous d'accord sur le principe de financements affectés ? On pourrait ainsi imaginer que les opérateurs de téléphonie mobile s'acquittent d'une contribution additionnelle à l'IFER pour financer de telles recherches.
Comment est organisé le suivi de vos recommandations, essentiel dans la mesure où la science évolue sans cesse, et de façon très rapide ? L'Agence s'autosaisit-elle si elle estime qu'une de ses recommandations n'est pas suivie ?
Sur les nanotechnologies, que vous n'avez pas citées parmi les risques émergents, l'AFSSA et l'AFSSET ont émis des avis extrêmement prudents, pour ne pas dire des « avis parapluie », sans que rien ne bouge depuis lors. L'ANSES rendra-t-elle un nouvel avis allant plus loin ?
Le problème d'avoir des agences distinctes, ayant des approches différentes, elles est qu'elles peuvent rendre des avis sensiblement divergents, avez-vous dit. A l'inverse, la fusion institutionnelle ne risque-t-elle pas de gommer les différences d'approche, au détriment du fondement scientifique des avis rendus ? Je ne suis pas certain que le regroupement permette de gagner en crédibilité auprès du public.
Je reviens sur l'articulation entre le niveau national et le niveau européen. Quid en cas d'avis divergents entre l'ANSES et les agences européennes ? Une procédure visant à rapprocher les points de vue est-elle prévue ? Des contre-expertises sont-elles possibles ? En effet, certains avis peuvent entraîner de sérieuses distorsions de concurrence à l'exportation ou à l'importation.
Le groupe Areva mène actuellement des études sur les émissions de radon, notamment en Bretagne où son prédécesseur, la Cogema, a exploité de l'uranium par le passé. Est-il dans les missions de l'ANSES d'évaluer les études effectuées par un groupe industriel privé, afin de s'assurer de leur objectivité ?
La pollution des cours d'eau, notamment ses conséquences, tant pour la pratique des activités aquatiques que de la pêche, inquiète. L'ANSES peut-elle intervenir en ce domaine ?
L'ANSES se veut en pole position sur le plan européen. Quels sont aujourd'hui à cet égard ses atouts et ses faiblesses ? Quelles possibilités d'évolution, quelles perspectives d'échanges et de collaborations voyez-vous? Enfin, l'ANSES fait-elle appel à des chercheurs d'autres pays européens ?
La France importe aujourd'hui beaucoup de produits, parfois en provenance de pays peu ou pas du tout mobilisés en matière de sécurité sanitaire. Quelles sont vos possibilités d'action en ce domaine ?
Je souhaiterais que vous vous attardiez sur le sujet de la mortalité des abeilles et autres apoïdes sauvages. Il existe un lourd passé entre la filière apicole et les institutions – entendues au sens large. Les relations avec le centre de recherches de Sophia-Antipolis n'ont pas toujours été sereines. Ferez-vous table rase de ce passé ? Quelles relations envisagez-vous aujourd'hui avec le monde apicole ? Tisserez-vous des liens avec le futur Institut technique apicole, dont nous attendons beaucoup ? Confronterez-vous vos études à celles conduites par ailleurs au niveau européen et international, le problème étant désormais mondial ?
Dans le cadre des conventions qu'elle peut conclure avec toute personne publique ou privée ou des groupements d'intérêt public auxquels elle peut adhérer, quels liens l'ANSES pourrait-elle nouer avec Bruitparif et Airparif ? De manière plus générale, que peut faire l'Agence pour améliorer les connaissances en matière de pollution atmosphérique et sonore, et éclairer les pouvoirs publics sur les décisions les plus pertinentes à prendre ?
Je renonce à ma question qui recoupait totalement celles de notre collègue Martial Saddier.
L'ANSES a-t-elle l'intention de poursuivre les recherches sur l'impact des radiofréquences sur la santé ? C'est un sujet extrêmement sensible, où la science peut encore apporter beaucoup. Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, engagement avait été pris entre parties prenantes de continuer les travaux, afin notamment d'éviter les crispations auxquelles donne désormais lieu le déploiement des réseaux de téléphonie mobile. La fondation Santé et radiofréquences, créée par l'État et les industriels, a réalisé un travail salué par tous. Son mode de financement soulève cependant de nombreuses questions. La table ronde « Radiofréquences, santé, environnement » avait formulé plusieurs recommandations, parmi lesquelles conforter la programmation, mais aussi revoir l'organisation et le financement de la recherche. Dans son excellent rapport sur le sujet, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a de même souligné que la participation des industriels à la gouvernance de cette fondation en entachait gravement la crédibilité auprès du grand public. C'est ainsi qu'il a été décidé que l'ANSES en reprendrait les activités et honorerait les engagements pris, afin d'éviter tout soupçon de conflit d'intérêts. Pouvez-vous nous rassurer : les missions de la Fondation ont-elles bien été intégrées à celles de l'ANSES et les crédits nécessaires ont-ils été prévus ? L'Agence pourra-t-elle lancer prochainement les programmes de recherche et mettre en place l'instance de dialogue prévus ?
Le modèle d'appropriation des recommandations de l'ANSES est encore en gestation. C'est un sujet extrêmement important dans un monde où la recherche tend à être systématiquement remise en cause. Les « acteurs » sont associés à vos recommandations, mais quid du grand public ? Relève-t-il des missions de l'ANSES de l'associer ? Pensez-vous que le lancement de grands débats publics sur les sujets de sécurité sanitaire doive être à l'initiative du Parlement, voire de la CNDP, la commission nationale du débat public ?
Enfin, vous avez dit souhaiter associer plus étroitement le Parlement aux travaux de l'ANSES. La révision constitutionnelle de 2008 nous donne la maîtrise de la moitié de l'ordre du jour de notre Assemblée, sans que nous disposions parallèlement, comme il aurait été logique, d'un droit de tirage équivalent en matière d'expertise. Comment pourrait se matérialiser la collaboration que vous appelez de vos voeux entre le Parlement et l'ANSES ?
Je vous remercie de toutes ces questions qui me donnent l'occasion de dire un mot de quantité de sujets que je n'ai pas eu le temps d'aborder dans mon propos liminaire, comme les nanotechnologies qui constituent bien pour nous un enjeu majeur.
En matière de démoustication, nous sommes intervenus sur les produits utilisés, notamment pour voir comment assurer la protection de ceux qui les dispersent. Mais nous ne sommes pas en première ligne sur le sujet. A la demande de la direction générale de la santé et du ministère de l'agriculture, nous mettons en place un comité national de surveillance des maladies vectorielles. Fédérant les compétences existantes en entomologie, ce comité aidera à la surveillance des espèces animales nouvellement apparues sur notre territoire, potentiellement vectrices de nouvelles maladies.
Plusieurs d'entre vous ont abordé la question de l'articulation des niveaux national et européen. Je partage votre souci d'éviter les doublons. Des progrès demeurent nécessaires sur ce point. Mais il faut bien avoir en tête les différences dans les modes de fonctionnement. L'EFSA par exemple, qui a compétence dans le domaine alimentaire, ne privilégie pas la complémentarité avec les agences nationales. Chargée d'examiner les fondements scientifiques des allégations nutritionnelles ou de santé fournies par certains industriels, elle a pris beaucoup de retard, n'ayant à ce jour pu étudier que 1 500 des 4 500 allégations aujourd'hui recensées. Nous regrettons clairement que cette agence ne fonctionne pas comme l'Agence européenne du médicament où, sur la base d'une méthodologie définie et harmonisée au niveau européen, des rapporteurs des différentes agences nationales viennent présenter leurs travaux. Nous le regrettons d'autant plus que l'AFSSA avait beaucoup travaillé sur ce sujet des allégations, avant que la tâche ne soit confiée à l'EFSA. Nous souhaiterions pouvoir mieux articuler les compétences qui existent dans les différents pays et optimiser les moyens disponibles.
Pour ce qui est d'un risque de contradiction des avis rendus au niveau européen et au niveau national, il faut avouer que le nombre de cas d'avis nettement divergents est très faible. L'intérêt des agences nationales est qu'elles ont plus facilement accès aux données d'exposition, dont la collecte et l'exploitation sont essentielles pour évaluer l'exposition réelle des individus et le passage du danger au risque. Sur cette approche, il existe une complémentarité au niveau européen. Quelle que soit l'organisation retenue à l'avenir, il faudra toujours privilégier les remontées du terrain. Les écarts peuvent en effet être considérables entre les conditions théoriques prises en considération pour faire des évaluations ex ante et les conditions de terrain. L'une des missions essentielles de l'ANSES, que je n'ai pas citée tout à l'heure, est de piloter plusieurs observatoires et bases de données dans ses divers champs de compétences, sur lesquels s'appuient les agences européennes. Pour l'application du règlement REACH, l'agence européenne ad hoc exploite très largement nos recueils de données. Je suis tout aussi attaché que vous à éviter les doublons, mais il y a tant à faire que le risque de redondance est vraiment minime ! Ce risque est par ailleurs limité par le fait que l'ANSES travaille très largement sur saisine, notamment des pouvoirs publics, dans le cadre de grands plans nationaux comme Santé-travail, Santé-environnement ou Écophyto 2018.
Ce n'est pas l'ANSES qui réalise le contrôle des importations, notamment de produits alimentaires, n'étant pas chargée de la gestion du risque. La sécurité sanitaire des produits importés n'en est pas moins une de nos préoccupations. Nous préconisons que les contrôles soient mieux ciblés et que ce ciblage s'appuie sur une évaluation préalable des risques. Mais de tels contrôles n'ont bien entendu de sens qu'au niveau européen. C'est d'ailleurs pourquoi une proposition en ce sens avait été faite pendant la présidence française de l'Union.
De même, ce n'est pas l'ANSES, mais l'ONEMA qui est chargée du contrôle des pollutions environnementales, notamment des rejets de médicaments vétérinaires dans le milieu aquatique. Il n'y a donc pas de conflit d'intérêts potentiel avec le fait que nous soyons aussi par ailleurs agence nationale du médicament vétérinaire.
S'agissant d'Écophyto 2018, l'ANSES a un rôle d'évaluation des produits avant leur mise sur le marché, les autorisations étant in fine délivrées par les ministères. Le Grenelle a préconisé le retrait d'un certain nombre de substances actives. Nous y travaillons. Nous mettons également au point diverses méthodes d'évaluation des produits de substitution, ainsi que des préparations naturelles dites « peu préoccupantes ». L'Observatoire des résidus de pesticides, l'ORP, créé au sein de l'agence, collecte les données qui permettront de suivre le respect des engagements du plan.
Vous m'avez demandé un exemple concret de la plus-value apportée par la fusion. Je citerai le cas des nanotechnologies, sur lesquelles l'AFSSA et l'AFSSET avaient déjà rendu un avis. L'ensemble des acteurs a souhaité la mise au point d'une procédure réglementaire visant à ce que l'utilisation de nanoparticules soit déclarée en amont de la mise sur le marché d'un produit. Nous sommes en train de mettre au point une méthode d'évaluation simplifiée des risques liées à la présence de telles particules, au demeurant fort difficiles à détecter, dans différents produits ou milieux. Voilà l'exemple d'un travail de fond transversal mené au sein de l'ANSES.
Nous n'avons pas encore de contacts avec le Conseil de l'Europe, mais c'est avec plaisir que nous coopérerions avec ses instances travaillant dans les mêmes domaines que nous. Il est important que l'ANSES noue de tels liens et que nos chercheurs puissent être sollicités au même titre que ceux d'Allemagne ou d'autres pays.
Avons-nous parfois recours à des contrats externes ? Jamais dans notre coeur de métier. L'évaluation des risques est toujours conduite par nos collectifs d'experts. En revanche, nous pouvons y avoir recours pour la collecte de données. Nous avons par exemple passé des contrats avec l'INRS pour l'étude des perturbateurs endocriniens.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la Fondation Santé radiofréquences. Les missions en ont bien été reprises par l'AFSSET tout d'abord, puis maintenant par l'ANSES. Il s'agit d'une part de lancer des appels à projets pour poursuivre les recherches sur l'impact sanitaire éventuel de l'exposition aux rayonnements, croissante du fait de l'essor des réseaux sans fil ; d'autre part, de relancer l'instance de dialogue qui existait au sein de la Fondation, en parant à la critique qui lui était adressée de n'être pas totalement indépendante, les industriels participant pour moitié à son financement. Une taxe additionnelle à l'IFER devait rapporter deux millions d'euros par an pour financer ces appels à projets. L'institution de cette taxe est en débat dans le projet de loi de finances pour 2011. Ce qui est certain, c'est que nous ne pourrons pas remplir ces missions, comme l'engagement en a pourtant été pris auprès des parties prenantes, sans ce financement supplémentaire, destiné à éviter tout soupçon de liens d'intérêts avec les opérateurs.
Le suivi de nos recommandations est l'une de nos préoccupations constantes. Notre premier souci est en effet d'être utile. Dès lors que des recommandations concernent les pouvoirs publics, nous leur proposons systématiquement des restitutions afin de nourrir le débat. Les comités de directeurs généraux sont par excellence le lieu où faire régulièrement le point sur les suites données à nos avis.
L'ANSES ne pourrait en aucun cas évaluer un rapport établi par Areva, la radioactivité n'entrant pas dans notre champ de compétences : cela relèverait de l'IRSN, l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. De fait, nous ne sommes amenés à évaluer les travaux de groupes industriels dans nos champs de compétences que dans le cadre de processus réglementaires prédéfinis.
Faisons-nous appel à des experts européens ? Nous avons en tout cas la ferme volonté d'être très présents dans les projets de recherche européens, notamment du PCRD. Un grand programme, Nanogénotox, visant à évaluer le caractère potentiellement génotoxique des nanomatériaux, a été lancé, dans lequel nous jouerons un rôle de premier plan.
J'en viens au sujet de la surmortalité des abeilles, phénomène observé partout dans le monde, très complexe car multifactoriel. Il est vrai que nos relations avec les apiculteurs ont pu être complexes par le passé, mais cela tient aussi à l'extrême hétérogénéité du monde apicole. Mais soyez assurés que nous nous sentons très concernés par le problème. Le mandat européen que nous venons d'obtenir pour être laboratoire de référence sur le sujet nous permettra de renforcer nos compétences, de nouer le dialogue avec de nouveaux interlocuteurs, bref de conforter notre rôle et notre positionnement, en lien bien sûr avec d'autres partenaires comme l'INRA et en restant ouverts à toute coopération internationale. Nous suivons de près la mise en place de l'INSAP, l'institut technique apicole. Nous souhaitons sincèrement pouvoir le faire profiter de notre expertise et espérons parvenir à créer les conditions d'un dialogue serein et d'une coopération fructueuse.
Avec Airparif ou Bruitparif, nous entretenons des relations par nature, dirais-je, parce que d'ex-collaborateurs de ces organismes travaillent maintenant à l'Agence ou vice versa. Mais nous n'avons pas de liens institutionnels avec ces structures. En revanche, nous avons déjà mené des travaux sur l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique.
Pour terminer, un mot des relations que pourrait entretenir l'ANSES avec le Parlement. Leurs modalités restent encore à inventer, et je vous invite à y réfléchir. Les représentants des élus que compte le conseil d'administration de l'Agence, au travers de l'Association des maires de France et de l'Association des départements de France, peuvent la saisir, comme tous les autres administrateurs. Nous souhaitons être au service de tous les acteurs, en particulier du Parlement, de par la volonté duquel les agences sanitaires ont été créées. Tous nos travaux passés et en cours sont à votre disposition. Par ailleurs, tout parlementaire, s'il ne peut saisir directement l'Agence, peut toujours s'ouvrir à nous d'un sujet dont il souhaiterait que nous nous saisissions, puisque nous avons capacité d'autosaisine.
Je vous remercie, monsieur le directeur général, de la précision de vos réponses. Il a été très intéressant de vous entendre et nous renouvellerons avec plaisir ce type d'audition. Au-delà, les parlementaires peuvent toujours vous faire connaître les sujets qui les préoccupent, afin que, comme vous venez de le proposer, l'Agence puisse s'en saisir. C'est en tout cas dans la perspective d'une telle coopération que l'ANSES a été créée.
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Information relative à la commission