Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, de me donner l'occasion de faire un point sur la mise en place de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES – nous avons préféré cet acronyme au sigle ANSSAET, imprononçable –, issue de la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET. Valérie Baduel, directrice générale adjointe de l'agence, et Jean-Nicolas Ormsby, m'aideront à répondre à vos questions.
Je voudrais vous décrire en quelques mots ce qu'est l'ANSES et comment s'est passée la fusion, avant de vous exposer les orientations de nos travaux. Les agences de sécurité sanitaire ayant été créées par la volonté du Parlement, je suis particulièrement heureux d'avoir l'occasion d'échanger avec vous. Je ne redirai jamais assez que nous avons vocation à vous faire profiter de notre expertise scientifique.
L'ANSES a été instituée par une ordonnance de janvier 2010, prise sur le fondement de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, et élaborée à l'issue d'une large concertation que j'avais engagée en tant que chargé de la préfiguration de la future agence. Déposée en mars sur le bureau des assemblées, elle n'a cependant pas encore été, à ma connaissance, ratifiée par le Parlement. Le décret d'application a permis la mise en place de l'Agence le 1er juillet, dans les délais qui avaient été prévus et qui ont permis de concilier concertation et célérité.
Les premières réunions des conseils scientifiques et du conseil d'administration de l'Agence, qui se sont tenues fin septembre, nous ont permis d'élaborer les textes, règlement intérieur, code de déontologie, orientations stratégiques, grâce auxquels nous sommes aujourd'hui en ordre de marche.
L'ANSES a pour première mission l'évaluation et la prévention des risques auxquels le consommateur, le travailleur et le citoyen sont exposés. Son champ de compétence extrêmement large, puisqu'il recouvre l'environnement, le travail, l'alimentation, permet à l'Agence de traiter l'ensemble des risques sanitaires, selon un principe clair : chaque risque fait l'objet d'une évaluation unique prenant en compte l'ensemble des expositions, dans une volonté de lisibilité et de cohérence.
Ce vaste champ de compétence fait de l'ANSES la plus grande agence de sécurité sanitaire d'Europe. Nous pourrions être des pionniers de ce point de vue : à nous de convaincre de la pertinence et de l'avenir de ce modèle d'agence sanitaire les instances européennes et internationales dont les décisions influent directement sur notre champ de compétence. Assurer la présence et la reconnaissance de l'Agence à l'étranger est d'ailleurs une de nos priorités. J'observe déjà que beaucoup de nos homologues européens suivent avec intérêt ce que nous sommes en train de mettre en place. Je ne vous cache pas que cet intérêt est parfois teinté d'un certain scepticisme, tant les domaines couverts par l'agence – santé- environnement, santé au travail, alimentation et santé animale – sont divers et relèvent de cultures différentes.
L'ANSES est d'abord et avant tout une instance scientifique indépendante d'évaluation des risques, qui assure des missions de veille, d'alerte et de référence, visant à prévenir la survenue de crises sanitaires. L'évaluation des risques est assurée par des collectifs d'experts, sélectionnés selon des modalités visant à assurer l'indépendance de notre expertise. Ils sont en effet recrutés par le biais d'appels à candidature publics, et après examen de la déclaration publique d'intérêts à laquelle ils sont tenus. La composition de ces collectifs est soumise au conseil scientifique de l'Agence préalablement à leur mise en place.
L'indépendance est tout autant assurée par les modalités de l'expertise, qui doit être conforme à la norme NF X 50-110, visant à assurer, à travers un ensemble de procédures, son caractère collectif et contradictoire. Cette norme nous impose notamment de rendre systématiquement publics nos avis et nos rapports, en faisant état des opinions minoritaires qui se seraient exprimées au sein des collectifs d'experts.
À côté de cette mission d'évaluation des risques, l'Agence compte en son sein des laboratoires de référence et de recherche, oeuvrant essentiellement dans le domaine de la santé animale et de la sécurité sanitaire des aliments. En récupérant ces laboratoires, qui relevaient jusqu'ici du ministère de l'agriculture, l'Agence hérite de missions de surveillance et de suivi des différents types de pathologies susceptibles de toucher le monde animal, et demain le monde végétal, dans le souci de prévenir les risques de contamination de la chaîne alimentaire.
La création de l'ANSES conjugue en outre la garantie d'une expertise en santé publique indépendante et l'ouverture aux préoccupations de la société civile, autre caractéristique essentielle de l'Agence.
La fusion a fait l'objet d'une concertation approfondie, menée, de septembre 2009 à juin 2010, avec l'ensemble des parties prenantes, soit plus d'une quarantaine d'acteurs, dont des représentants des personnels des deux agences. Si cette large consultation a montré que le bien-fondé de la fusion n'était pas contesté, de nombreuses inquiétudes se sont exprimées à cette occasion, auxquelles le processus de concertation s'est attaché à apporter des réponses concrètes.
Face à la crainte, qui agitait tout particulièrement le monde de la santé au travail et celui de la santé animale, de voir leur identité se diluer dans ce vaste ensemble regroupant des thématiques aussi diverses, nous avons proposé des solutions en termes de gouvernance et d'organisation interne ainsi que sur le plan financier afin de préserver l'identité de chacun des grands domaines de l'Agence tout en tirant parti des synergies résultant de la fusion. Sur le plan de la gouvernance, le conseil d'administration de l'ANSES a la possibilité de mettre en place quatre comités d'orientation thématiques, chacun dédié à un des quatre grands domaines de l'agence. Associant toutes les parties prenantes, ils ont pour charge de présenter les priorités de l'Agence afin de permettre de véritables échanges et d'assurer que notre programme de travail tiendra compte des préoccupations exprimées par l'ensemble des acteurs, associations, ONG, partenaires sociaux, organisations professionnelles ou ministères. Les premières réunions ont permis de mesurer l'attente forte qui entoure la création de l'ANSES. Nous nous efforcerons d'être à la hauteur de cette attente, notamment en associant à notre travail toutes les parties prenantes, en amont, mais également en aval, tout en préservant la rigueur et l'indépendance du processus d'expertise scientifique.
Sur le plan financier, nous veillerons à assurer une parfaite traçabilité des crédits et la transparence de leur répartition entre chacun des quatre domaines, via notamment une comptabilité analytique.
Une autre inquiétude s'est fait jour, celle que cette fusion traduise une volonté de réduire fortement les moyens dédiés à ces missions. Or, bien qu'elle soit conforme aux préconisations de la RGPP, son objectif est d'optimiser le service rendu bien plus que de réaliser des économies, les activités des deux agences ne doublonnant pas, même si leurs champs de compétence étaient proches. Le projet de budget pour 2011 prévoit d'ailleurs un rebasage de la subvention destinée aux laboratoires relevant jusqu'ici de l'AFSSA : à périmètre constant, la nouvelle agence voit sa subvention progresser de 3,9 %.
En matière d'indépendance, de transparence, d'ouverture aux parties prenantes, les textes, qu'il s'agisse de l'ordonnance ou du décret d'application, apportent des garanties très fortes.
Gagner en efficacité et en lisibilité est un des objectifs essentiels de la fusion, la nouvelle agence devant permettre des synergies inédites. Dans le domaine de l'eau, par exemple, l'AFSSA était compétente pour l'eau de boisson, alors que l'AFSSET était chargée de la surveillance des eaux de baignade. La fusion permettra d'appréhender le cycle de l'eau dans son ensemble et de traiter de manière plus adaptée des problématiques telles que la réutilisation des eaux usées, à l'articulation des champs de compétence respectifs de l'AFSSA et de l'AFSSET. Le vaste domaine des produits chimiques est également propice à des synergies, de même que celui de l'exposition aux substances chimiques, aux enjeux considérables. Ainsi, en ce qui concerne les pesticides, l'AFSSA procédait à l'évaluation des risques liés aux produits phytosanitaires, alors que les biocides, la mise en oeuvre du règlement européen REACH et la santé des travailleurs relevaient de l'AFSSET. La fusion va nous permettre d'appréhender le dossier des pesticides dans toutes ses dimensions, depuis les autorisations avant mise sur le marché jusqu'à la protection des consommateurs et des travailleurs.
Notre deuxième grand objectif est de devenir un acteur de premier plan du réseau mondial des organismes de sécurité sanitaire. S'agissant de thématiques aussi complexes que celle des perturbateurs endocriniens, nous avons besoin de travailler avec les autres grands acteurs de dimension mondiale et de faire reconnaître la qualité de nos avis, non seulement au niveau national, mais aussi européen et international. Nos laboratoires assurent déjà de nombreuses missions de référence pour la Commission européenne ; il y a quelques jours encore, nous avons remporté l'appel à candidature lancé par la Commission pour devenir le laboratoire de référence s'agissant de la mortalité des abeilles, question extrêmement sensible aujourd'hui. Ce mandat européen nous permettra de disposer de moyens supplémentaires et de peser davantage à l'échelle internationale, la surmortalité des abeilles étant un phénomène observé partout dans le monde.
Aujourd'hui, même si nous devons encore améliorer notre organisation interne, l'ANSES est en ordre de marche. Nous avons mis en place une équipe de direction. Surtout, nous avons eu à coeur de poursuivre notre travail quotidien en dépit de la fusion, afin que celle-ci ne ralentisse pas le rythme de nos travaux. Depuis le 1er juillet, nous avons émis 85 avis. Dans le domaine de la santé au travail, nous avons préconisé l'abaissement des valeurs limites d'exposition professionnelle à certaines substances dangereuses ; nous avons émis des recommandations de prévention des risques liés aux algues vertes pour la santé des personnes. Nous nous sommes également exprimés sur les risques sanitaires liés au développement des activités en souterrain où l'air peut être de mauvaise qualité.
Dans le domaine santé-environnement, je ne vous citerai que l'avis rendu lundi par l'Agence sur les systèmes d'éclairage utilisant des diodes électroluminescentes, ou led, en plein développement. S'ils sont très économes en énergie et ont une très longue durée de vie, l'ANSES appelle l'attention sur leurs risques sanitaires. Elle recommande de limiter l'accès du grand public aux led très riches en lumière bleue, qui peuvent être nocives pour le cristallin des enfants. Nous avons aussi recommandé d'éviter l'installation de ce type d'éclairage dans des lieux fréquentés par des enfants et d'améliorer l'étiquetage de ces produits. Il ne s'agit pas pour nous de condamner cette technologie extrêmement prometteuse. D'ailleurs, les professionnels de l'éclairage ont accueilli très favorablement nos recommandations, parce qu'ils sont conscients que cette expertise les aidera à prévenir toute difficulté.
Dans le domaine de l'alimentation, je pourrais citer l'avis défavorable dont la boisson Outox a fait l'objet, l'Agence jugeant dénuées de tout fondement scientifique les allégations selon lesquelles cette boisson ferait baisser le taux d'alcool dans le sang, élément pourtant retenu pour en faire la promotion.
Dans le domaine de la santé animale, nous avons devant nous une tâche importante en matière de hiérarchisation des pathologies animales, dans le prolongement des États généraux du sanitaire. Nous étudions notamment l'émergence sur notre territoire de pathogènes dits « exotiques » du fait des changements climatiques et de l'essor des échanges internationaux.
Au nombre des orientations de l'ANSES pour 2011 figurent des problématiques aussi lourdes que celle des risques émergents, qui justifient pleinement la fusion. L'Agence a été saisie du sujet des perturbateurs endocriniens, qui appelle déjà un travail considérable sur le plan méthodologique. Il s'agit de définir d'autres méthodes d'évaluation des risques s'agissant de substances pour lesquelles l'approche traditionnelle par seuils ne semble plus pertinente. Nous travaillons par ailleurs à mettre en place un observatoire des substances, en commençant par établir une typologie des usages de ces produits. Je citerai également la problématique de l'antibiorésistance, l'ANSES devant évaluer, non seulement l'utilisation des antibiotiques en médecine humaine, mais également en médecine vétérinaire, dans le cadre du futur Comité national pour un usage raisonné des antibiotiques dans le monde vétérinaire. Nous enquêtons en ce moment sur les pratiques qui ont cours dans certaines filières et une journée nationale sur l'antibiorésistance est prévue le 18 novembre prochain. Nous lancerons d'autres initiatives sur un phénomène dont le caractère préoccupant appelle la mobilisation de tous les acteurs.
Dans le domaine de la santé alimentaire, nous avons mis en place un dispositif de nutrivigilance destiné à étudier l'impact sanitaire de la consommation de certains aliments tels que les compléments alimentaires ou certaines substances d'origine botanique comme les pignons de pin – la consommation de certains pignons en provenance de Chine a donné lieu au signalement de nombreuses réactions allergènes.
Ce panorama des différents sujets relevant de la compétence de l'ANSES est évidemment extrêmement partiel, mais vos questions devraient me permettre de vous répondre sur d'autres que je n'ai pas abordés.