Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue pour cette deuxième matinée d'auditions de la Mission d'évaluation et de contrôle consacrées aux opérations militaires extérieures, notamment sous mandat international.
Lors de la première matinée d'auditions, nous avions entendu les responsables de la direction des Affaires financières du ministère de la Défense et de la sous-direction compétente à la direction du Budget. Nous recevons aujourd'hui les responsables des opérations militaires extérieures à l'état-major des armées.
Nous avions prévu, messieurs, de vous entendre successivement, mais vous avez préféré une audition commune. Nous n'y voyons aucun inconvénient ; au contraire, cela rendra nos débats encore plus vivants.
Nos deux rapporteurs représentent, l'un, la commission des Finances, l'autre, la commission de la Défense, et sont issus, l'un, de la majorité, l'autre, de l'opposition, ce qui montre que la Mission d'évaluation et de contrôle travaille dans un esprit non partisan, de manière à aboutir à un rapport final consensuel. Je précise que le compte rendu de votre audition vous sera adressé avant toute publication.
Je remercie de leur présence, habituelle et précieuse, les représentants de la Cour des comptes : M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre, Mme Françoise Saliou, conseiller-maître, et M. Benoît d'Aboville, conseiller-maître en service extraordinaire.
Nous souhaiterions, messieurs, que nos échanges soient les plus directs possibles. J'espère que vous ne vous en formaliserez pas.
Pour commencer, messieurs, pourriez-vous nous présenter brièvement vos fonctions et votre rôle par rapport aux opérations militaires extérieures, les « Opex » ?
Je suis, depuis le 1er septembre, le sous-chef d'état-major « opérations », après avoir été durant deux ans le chef du Centre de planification et de conduite des opérations à l'état-major des armées. Mon rôle consiste à assister le chef d'état-major des armées pour toutes les questions relatives à la préparation et à l'emploi des forces, c'est-à-dire les opérations au sens large : cela va du concept à la conduite des opérations, en passant par la préparation opérationnelle et les exercices interarmées. Les structures dont j'ai plus particulièrement la charge sont le CICDE, Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations, la division « Emploi » – qui, en particulier, fixe les contrats opérationnels et organise l'entraînement interarmées –, le CPCO, Centre de planification et de conduite des opérations, chargé de la préparation des conseils restreints, de la planification et de la conduite des opérations, la division « Forces nucléaires », pour tout ce qui concerne les activités opérationnelles, et le Bureau géographique interarmées, qui conçoit et édite les documents utilisés, chaque jour, sur le terrain.
Au sein du pôle « Plans » de l'état-major, la division « Plans, programmes et évaluation » ou « PPE » réalise plus particulièrement la maîtrise d'ouvrage des exercices de planification et de programmation, et veille à la cohérence physico-financière de la programmation. La loi de programmation militaire et les exercices annuels d'actualisation des différents programmes sont typiquement au coeur des attributions de la division PPE. Par ailleurs, la division PPE exerce pour le compte du chef d'état-major des armées les attributions de responsable du programme 178, Préparation et emploi des forces, et de co-responsable du programme 146, Équipement des forces. C'est ainsi qu'une section de la division supervise, avec le reste du programme 178, la programmation des crédits du budget opérationnel de programme (BOP) Opex – sa gestion étant désormais assurée par le CPCO.
En tant que chef du bureau Finances du CPCO, j'assiste l'amiral Teule pour les questions relatives à la centralisation de l'information sur les dépenses dédiées aux opérations, qu'il s'agisse de celles réalisées sur le BOP Opex ou sur les BOP d'armées. Par ailleurs, comme l'a signalé le général Morizot, j'exerce depuis un an la responsabilité de la conduite et de la gestion du BOP Opex.
La durée du séjour de nos troupes en Afghanistan a été portée à six mois. Est-il envisagé de généraliser cette durée à toutes les Opex ?
La durée du séjour de nos militaires en Afghanistan a été portée à 6 mois car ils mènent un combat difficile et ont besoin de s'approprier le terrain : ils doivent montrer leur efficacité durant un temps suffisant avant de préparer la relève. Pour le moment, il n'est pas envisagé de généraliser la durée de six mois aux autres théâtres d'opérations.
On nous a dit que le coût des Opex s'élevait à 850 millions d'euros pour 2008, avec une très forte croissance des contributions internationales et des dépenses de fonctionnement. Ce chiffre est-il définitif ? Quelles sont vos prévisions pour 2009, en fonction des formats déployés, des retours de contingents et des surcoûts sur chacun des théâtres ?
Pour 2009, les prévisions s'établissent actuellement à une dépense d'environ 826 millions d'euros pour un effectif moyen de 11 330 hommes en opérations extérieures. Les options stratégiques à l'étude couplées aux décisions du Conseil restreint, validées récemment par l'Assemblée nationale – c'est-à-dire un désengagement de l'EUFOR au Tchad, un désengagement partiel en Côte-d'Ivoire, le retrait de nos éléments maritimes des côtes du Liban, une réduction de nos effectifs au Kosovo, un retrait de nos forces de Bosnie, et un éventuel déploiement de deux mois du groupe aéronaval dans l'Océan indien –, permettront une économie brute de 50 à 70 millions d'euros, sans laquelle le surcoût aurait atteint la somme de 880 millions d'euros en 2009, soit 50 millions de plus qu'en 2008. Toutefois, cette économie ne portera ses effets que sur une demi-année budgétaire ; l'application des mesures de réduction ne débutant qu'à la fin du premier semestre, il est vraisemblable que l'objectif annoncé de 100 à 150 millions d'économies sur le budget des Opex ne sera atteint que dans quelques années. Pour 2010, si les choses restent en l'état, on peut évaluer à 130 millions d'euros l'économie par rapport au budget de 2008.
Afin d'éviter toute ambiguïté, je précise que le chiffre de 850 millions cité par M. le rapporteur correspond à l'ensemble du périmètre de la mission Défense, gendarmes inclus, alors que ceux-ci ne sont pas pris en compte dans le chiffre donné par l'amiral Teule : d'où la différence de 20 millions d'euros.
Pour l'exercice 2008, la dépense nette a été finalisée à 831 millions d'euros, hors gendarmerie, somme à comparer aux 880 ou 885 millions d'euros qui auraient pu être engagés en 2009, toujours hors gendarmerie. Cette distinction est importante : dans la présentation des surcoûts, le programme 152 Gendarmerie nationale était adjoint au programme 178.
Sachant que l'on envisage l'envoi de gendarmes en Afghanistan, ce n'est pas sans incidence !
Certes, mais il ne nous appartiendra plus de restituer la dépense.
Que pense l'état-major de la demande du SHAPE d'étendre le périmètre des coûts communs de l'OTAN, s'agissant de la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) ?
Les extensions des coûts communs relèvent de deux procédés.
Si des éléments jugés critiques pour les opérations sur le théâtre ne sont pas réalisés, on peut faire appel à la sous-traitance. Pour la FIAS, par exemple, des hélicoptères sont loués par l'OTAN afin d'assurer du transport logistique en Afghanistan. La décision d'extension est prise au niveau du Comité militaire, qui avalise par consensus la dépense.
D'autres extensions peuvent paraître inappropriées. Ainsi, nous ne sommes pas favorables à l'éligibilité aux coûts communs d'un déploiement d'Awacs au-dessus de l'Afghanistan, car nous considérons que d'autres besoins sont prioritaires. S'il existe une opposition forte au sein du Comité militaire, ou s'il y a un changement fondamental concernant les capacités à projeter, la décision se prend au niveau du Conseil de l'Atlantique Nord. C'est une décision politique, qui doit également être prise par consensus.
Nous ne participons pas à la flotte d'Awacs de l'OTAN car nous disposons de nos propres appareils – comme d'ailleurs les Britanniques. C'est en fait une question de principe : participerons-nous à des dépenses qui relèvent d'un programme auquel nous n'étions pas associés ? Le même problème se pose pour le transport stratégique, certains pays ayant accepté de le mutualiser dans le cadre de l'OTAN, ce qui risque de créer un précédent.
Pour que les Awacs puissent être acceptés comme éligibles aux coûts communs, ils doivent figurer au « catalogue capacitaire » du théâtre, c'est-à-dire inclus sur la liste des matériels considérés comme critiques pour la communauté. Tant que la France refusera de voter l'inscription de cette capacité au catalogue, les Awacs, qu'ils soient de l'OTAN ou d'une nation, ne pourront pas être éligibles aux coûts communs. Or nous sommes plusieurs pays à ne pas accepter cette inscription, non parce que nous estimons ne pas en avoir besoin, mais parce que nous considérons qu'il y a actuellement d'autres priorités opérationnelles à inscrire en coûts communs.
La question des contributions internationales nous préoccupe particulièrement. On constate que, dans un certain nombre de cas, nous effectuons des interventions au bénéfice d'autres pays. Ainsi, le soutien aux contingents étrangers dans le cadre d'EUFOR Tchad représente un coût de 12 millions d'euros, la plus forte contribution étant la fourniture de carburant pour l'Ukraine, à hauteur de 8 millions d'euros. À Novo Selo, au Kosovo, un contingent marocain est imbriqué avec nos propres unités. Dans quelle mesure ces contributions au soutien d'unités non françaises sont-elles inscrites au budget pour 2009 ?
Ces coopérations sur le terrain nous apportent beaucoup. Par exemple, lorsque nous avons voulu nous réorganiser en Afghanistan afin de renforcer notre efficacité et notre sécurité, nous avons souhaité nous désengager de la garde du camp de Warehouse. Nous avions obtenu des Géorgiens qu'ils nous remplacent, à condition de leur apporter un soutien, dans la limite d'une enveloppe validée par le ministre. Il s'agissait d'une forme de cession : le ministre nous autorisait à conclure un accord avec la Géorgie à condition que le coût ne dépasse pas une certaine somme. En raison des événements de l'été dernier, les Géorgiens ont renoncé. Une compagnie du 3e RPIMA a été obligée d'assurer la garde du camp, alors que ce n'est ni sa spécialité, ni sa vocation, réduisant d'autant la capacité de manoeuvre du bataillon.
Certains pays nous sollicitent pour partager nos savoir-faire, nos entraînements et nos capacités. Par exemple, nous travaillons en ce moment avec les Émiriens, qui nous avaient accompagnés au Kosovo, il y a plusieurs années. Nous recevons également des demandes de la part de la Mongolie, mais ses prétentions sont pour l'instant exorbitantes.
De telles coopérations sont donc importantes au point de vue à la fois militaire et financier, car elles nous permettent, globalement, de faire des économies – les dépenses étant encadrées par le ministre, qui accepte, ou non, de les engager.
La coopération avec les Marocains est ancienne, puisqu'il y avait déjà en Bosnie un bataillon complet de 450 hommes, chargé notamment de la garde de nos dispositifs militaires. Elle revêt aussi une dimension diplomatique, en raison des liens très forts existant entre la France et le Maroc. D'ailleurs, la décision venait à l'époque de la Présidence de la République.
Ces coopérations ne sont pas budgétées, sinon par un plafond d'autorisation de dépenses du ministre. Aucune enveloppe spécifique n'est prise en compte dans la loi de finances initiale. Tout avait été prévu pour les Géorgiens, les demandes avaient été envoyées au cabinet et, in fine, ils ne sont pas venus : cela prouve bien qu'il s'agit d'adaptations financières en cours de conduite, en général pour des raisons opérationnelles. De même, pour l'EUFOR, le plafond autorisé s'est élevé à 12,5 millions d'euros tandis que la dépense réellement exécutée n'a pas dépassé 4,5 millions d'euros.
Parfois, il s'agit de soutien pur, c'est-à-dire que la dépense sera, en effet, exécutée dans le cadre du programme 178. Parfois, il s'agit d'allocations en matériel. Ainsi, au Tchad, nous avons prêté aux Russes un « module 150 », c'est-à-dire un équipement global permettant de loger une compagnie de 150 personnes. La dépense n'est donc pas toujours exécutée dans le cadre du BOP Opex.
Ne peut-on pas considérer ces opérations comme des actions de coopération, qui devraient être financées par le ministère des Affaires étrangères au titre de la Coopération plutôt que par celui de la défense ?
Nous serions très heureux si ce pouvait être le cas, madame la Rapporteure ! Toutefois, la plupart de ces coopérations résultent de considérations tactiques : la dimension opérationnelle est prépondérante. Il n'existe pas à ma connaissance d'oukases nous imposant de faire appel à un contingent étranger, quel que soit le prix demandé. Il risquerait d'y avoir des problèmes relationnels sur le terrain, ce qui paralyserait nos militaires au lieu de leur donner davantage de capacité.
Avec nos partenaires européens, dans le cadre de RECAMP (renforcement des capacités africaines au maintien de la paix) ou d'EURORECAMP, nous envisageons d'équiper des armées africaines, de manière à nous épargner un certain nombre d'interventions. Cela inclut des opérations de formation, mais aussi des dotations en matériel. Quelles formes celles-ci prendront-elles ?
L'objectif d'EURORECAMP, c'est l'entraînement ; cela n'inclut aucune fourniture de matériel. La dotation britannique y est très importante : elle s'élevait l'année dernière à 500 000 £. C'est dans le cadre de RECAMP, essentiellement français, que l'on fournit du matériel.
Les dotations prévues sont effectivement utilisées pour les Opex. Ainsi, certains contingents africains déployés ces dernières années, généralement dans le cadre de missions de l'ONU, ont été équipés, là encore sur décision politique, de matériels RECAMP, lesquels sont positionnés dans trois pays.
Dans ce cas, soit l'on complète cet équipement avec du matériel supplémentaire, soit l'on n'a plus que le transport à payer. Or, à l'ONU, le système des letters of assist nous permet de nous faire rembourser le transport. Cela ne nous coûte donc aucune dépense supplémentaire – hormis le coût de RECAMP, qui ne dépend pas du BOP Opex.
La dépense de RECAMP est programmée dans le BOP Emploi, toujours dans le programme 178.
Il existe un débat entre le ministère de la Défense et celui du Budget sur l'établissement, la vérification et l'utilisation des chiffres. Progresse-t-on dans un esprit de coopération et de confiance ? Où en est la réforme de l'instruction de 1984, que chacun appelle de ses voeux ? Le groupe de travail s'est-t-il réuni récemment ? Le ministère du Budget nous a indiqué qu'il regrettait de ne pas avoir accès au fichier Payes du ministère de la Défense, afin de pouvoir vérifier, par exemple, les rémunérations versées dans le cadre des Opex. Les choses vont-elles changer, et si oui, quand ?
Comme l'a rappelé le directeur des Affaires financières, nous avons entrepris depuis l'été 2007 des travaux visant à améliorer l'estimation des surcoûts et leur évaluation. Le chantier est en cours, notamment au sein de l'état-major, en liaison avec le SGA pour la méthodologie. À l'été 2008, les premières conclusions ont été transmises et des études complémentaires sont en cours.
Ces travaux ont pour objectif de préciser à la fois ce que recouvre une Opex et ses implications juridiques et financières. Il s'agit donc bien de réviser l'instruction de 1984. Notre objectif est d'aboutir, si possible avant l'été, à une méthodologie et à une vision commune avec la direction du Budget qui a été contactée.
Le travail est cependant complexe. Les surcoûts comprennent à la fois les coûts directs, désormais imputés sur le BOP Opex et faciles à tracer, et les coûts indirects, c'est-à-dire les retours des armées, qui, eux, sont plus difficiles à restituer. Au-delà de ce travail de clarification la réflexion porte sur deux volets : le souci de rendre compte de la totalité des coûts des Opex, qu'il faut distinguer de la problématique de la sélection des dépenses pour lesquelles un remboursement sera demandé. Nous travaillons dans ces deux directions.
Améliorer la restitution de l'ensemble des surcoûts suppose par exemple de progresser dans l'évaluation des surcoûts de maintien en condition opérationnelle ou prendre en compte la totalité de ceux liés à la consommation de munitions. On sait que des coûts ne sont pas déclarés car non remboursés.
Il faut également améliorer, en liaison avec la direction du Budget, la méthode de calcul des surcoûts liés aux dépenses qui font l'objet d'une moindre dépense sur le territoire. C'est sur ce point qu'il y a le plus de litiges et que nous devons poursuivre les travaux.
Les éventuels litiges portent sur les dépenses ex post, qui nous sont rapportées après avoir été engagées sur d'autres BOP que le BOP Opex, et qui ne représentent actuellement que 15 % de la dépense. Pour ma part, je considère qu'il ne s'agit pas de litiges, mais bien souvent de simples malentendus qui seront nécessairement résolus.
Depuis le 1er janvier 2009, nous avons décidé, sur recommandation du ministère du Budget et du Parlement, d'imputer l'essentiel de la dépense sur le BOP Opex plutôt que de la répartir sur une multiplicité de BOP, de manière à améliorer la traçabilité. En outre, nous avons abandonné le régime des « dépenses à bon compte » pour revenir à un système de dépenses budgétaires classique, avec, dans un premier temps, l'exécution d'une dépense sur la réserve centralisée des armées, qui est ensuite mandatée et contrebalancée par des crédits du BOP Opex. Cela fait suite à un décret conjoint du ministère du Budget et du ministère de la Défense, à paraître.
Par ailleurs, dans le nouveau schéma comptable mis en oeuvre depuis le 1er janvier 2009, en ce qui concerne les soldes, le droit d'évocation du comptable assignataire est de 100 %.
Le contrôle de la dépense en opérations extérieures est donc total, comme pour la métropole. Il est erroné de dire que la dépense n'est ni traçable, ni vérifiable, car elle est contrôlée par les représentants du ministère du Budget – quoique pas forcément par la direction du Budget.
Lors de son audition, M. Éric Querenet de Breville a évoqué un droit de tirage sur la réserve de budgétisation de 30 millions d'euros en 2010 et de 60 millions en 2011. Or la loi de programmation militaire prévoit une augmentation du montant de la provision au titre des surcoûts des opérations extérieures de 60 millions en 2010 et de 60 millions en 2011. Pourquoi cette différence ?
Afin d'augmenter le montant de la provision au titre des Opex jusqu'à 630 millions d'euros, le montant a été porté à 510 millions cette année, il sera augmenté de 30 millions l'année prochaine. De son côté, le ministère du Budget mettra à disposition 30 millions d'euros au titre de la réserve de budgétisation, ce qui représente une augmentation totale de 60 millions d'euros en 2010. À partir de ce niveau, une marche supplémentaire similaire est prévue en 2011. Si cela s'avère insuffisant en gestion, il serait fait appel à la réserve de précaution interministérielle.
Le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire (LPM) parle pourtant, non de 30, mais de 60 millions en 2010. Il s'agit peut-être d'une bonne surprise !
On nous a indiqué qu'une nouvelle structure serait mise en place auprès du sous-chef « opérations » : le Centre de responsabilité budgétaire interarmées. On a également évoqué la création d'un Centre interarmées d'administration des opérations. Quelles seront les fonctions de ces deux organismes ?
Le Centre de responsabilité Opex relève du commissaire-colonel Éric Rémy-Néris, qui assure la direction et le cadrage financier des opérations. Le Centre interarmées d'administration des opérations, le CIAO, sera l'organe d'exécution.
L'état-major s'est réorganisé, et nous nous trouvons aujourd'hui dans une période transitoire. Il y a le responsable du programme, le CEMA, dont la fonction financière est tenue et exécutée par la division PPE, et le responsable du BOP, le sous-chef « opérations », dont le bureau exécutif est le bureau Finances du CPCO de l'état major des armées.
Par ailleurs, on a souhaité, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), regrouper des organismes qui concouraient à l'exécution de la dépense publique en Opex. De même que, dans le cadre de la LOLF et de l'application du décret de 2005 sur les attributions du chef d'état-major, l'exécution de la dépense a été recentrée sur l'état-major des armées, on a décidé de mettre en place un organisme chargé de l'interface entre les théâtres d'opérations et l'état-major stratégique.
Auparavant, la dépense étant exécutée sur les BOP d'armées, ces attributions étaient exercées par les armées : il paraissait logique que les états-majors opérationnels d'armées, les bureaux « finances » des états-majors d'armées et les directions centrales de service – notamment du commissariat qui était service gestionnaire – s'en occupent.
Un service interarmées du commissariat va être créé, sous l'autorité de l'état-major des armées, à l'été prochain. Dans ce cadre, un organisme unique sera chargé de faire l'interface, en matière d'administration et de finances, entre les théâtres d'opérations et mon bureau : ce sera le Centre interarmées d'administration des opérations, qui sera notre opérateur Chorus. Concrètement, il déléguera les crédits que le responsable de BOP aura arrêtés pour les Opex.
Vous avez rappelé qu'une distinction fondamentale devait être faite entre les coûts remboursés et le coût pour les armées de la projection et de la mobilité. Disposez-vous d'une estimation, même approximative, du coût total de la projection en Opex, qui ne soit pas nécessairement encadrée par les normes de remboursement ?
Nous vous transmettrons ultérieurement des données précises.
Actuellement, la dépense relative à l'utilisation d'un avion de l'armée de l'air pour transporter des troupes vers un théâtre d'opérations extérieures entre dans le calcul des surcoûts.
Réaliser des opérations extérieures fait partie de notre métier. Par la méthode des surcoûts, notre démarche a été d'identifier uniquement les dépenses supplémentaires, plutôt que de chercher à évaluer le coût total des Opex. De surcroît, c'est un exercice plutôt compliqué – surtout pour l'armée de l'air et la marine. Un navire, par exemple, peut être en mission dans l'Océan indien, puis être dérouté vers les côtes, entrer dans la zone d'opérations, en ressortir : comment calcule-t-on alors la dépense imputable aux Opex ? De même, on ne comptera pas le coût du carburant utilisé par un avion de l'armée de l'air pour aller en Afghanistan ; en revanche, s'il fait le plein sur place et qu'il y a une différence de prix avec la France, elle sera comptabilisée.
Ce type de questions est au coeur des travaux actuels de méthodologie. C'est déjà assez complexe, et ne représente effectivement qu'une partie du coût global d'une Opex.
Pour ne donner qu'un seul exemple, la projection de la Task Force 700 l'été dernier dans la Kapisa nous a coûté 22 millions d'euros en location de transports stratégiques – des Antonov. Il s'agit donc du coût direct. Il aurait pu être plus élevé si nous n'avions pas nos bateaux rouliers, les « RO-RO » ou roll on-roll off, qui sont des navires affrétés à l'année et qui nous ont permis de prépositionner la majorité des matériels lourds aux Émirats avant de les projeter sur la Kapisa.
Les opérations devenant de plus en plus difficiles, les matériels doivent être maintenus dans un état opérationnel parfait, ce qui induit une charge financière importante. Les opérations extérieures entament fortement le potentiel des matériels : il faut en tenir compte si l'on veut évaluer avec sincérité le coût des Opex. Il est toutefois difficile d'évaluer sur le long terme leurs effets sur le coût du maintien en condition opérationnelle. Nous y travaillons actuellement avec l'armée de terre.
Comptabilisez-vous le coût du matériel perdu ou détruit en Opex ? La formation des militaires afghans est-elle incluse dans le coût des Opex, bien qu'elle semble plutôt ressortir à la coopération ? Et enfin, les dépenses d'investissement réalisées dans le cadre des Opex peuvent-elles être remboursées par le ministère du Budget ?
Les dépenses d'investissement, qui se sont élevées à 104 millions en 2008, n'ont jamais fait l'objet de demande de remboursement : il est vrai qu'auparavant, le remboursement des surcoûts se traduisait souvent par une annulation de crédits d'équipements justement . Il n'y avait aucun intérêt à faire une telle demande. Le changement de mode de financement basé sur une provision plus importante destinée à préserver les crédits d'équipements permet d'envisager de présenter également ces surcoûts dûment justifiés. Il sera en effet très facile de détailler ces dépenses, qui sont particulièrement bien identifiées : elles répondent à des demandes très précises, généralement sur des équipements particuliers manquants. Ces dépenses sont toujours limitées au strict nécessaire, parce qu'elles se font au détriment d'autres équipements. Si le financement est accordé, c'est que le besoin est classé avéré et urgent.
Ces matériels étaient jusqu'à présent financés sur le programme 146. Comme on n'affichait que les surcoûts des Opex, qui avaient une contrepartie sur le titre 5, on ne présentait pas ces dépenses.
Pour ce qui est du matériel perdu ou détruit en Opex, nous ne le comptabilisons pas. Lorsqu'il faut le racheter, cela entre dans la programmation d'achat de matériel. En revanche, certains matériels subissent une usure importante à cause de leur utilisation en Opex – cas du matériel de campement au Tchad par exemple, à cause de la chaleur. Nous pouvons donc faire figurer dans les surcoûts de l'année des dépenses d'entretien supérieures à la normale, retracées au titre 3. Il est vrai qu'il n'existe pas de parallélisme des formes pour les dépenses exécutées dans le cadre d'une même Opex, entre les dépenses du titre 5 et celles du titre 3, pour les raisons techniques dont nous avons déjà parlé : celles afférentes au titre 5 ne sont pas présentées pour remboursement dans le cadre du décret d'avance.
Quant à la formation des Afghans, ce sont plutôt d'autres nations que nous qui s'en occupent et nous ne faisons pas partie des trust funds mis en place par l'OTAN. Nous menons cependant une mission de formation – la mission Epidote –, qui était cofinancée par le ministère des Affaires étrangères au titre de la coopération et par le ministère de la Défense. Depuis cette année, par entente de nos deux ministres et faute de crédits des Affaires étrangères, cette dépense a basculé entièrement vers le ministère de la Défense. Nos seules dépenses directes pour les Afghans vont donc à la commando school et à la mission Epidote, qui recouvre aussi maintenant une école de logistique à laquelle nous participons avec les Allemands.
Disposez-vous de comparaisons avec vos grands alliés qui sont plus généreusement dotés par leur parlement, comme les Italiens ou les Anglais ?
Tout est lié au processus de décision. Les Italiens votent un budget pour chaque opération. Les Allemands ne partent pas tant qu'ils ne disposent pas de l'effectif exact du personnel concerné, des règles d'engagement et d'un budget validé au Bundestag à l'euro près !
Pour ce qui nous concerne, lorsque le conseil restreint se réunit, il dispose d'évaluations budgétaires pour chacune des options stratégiques envisageables mais la décision porte sur notre participation, pas sur le budget. Comme l'a dit M. Woerth devant la commission de la Défense, la France n'a jamais reculé devant une opération utile parce que le budget n'était pas préparé. Même si nous devons aller vers une comptabilité plus précise, ce système nous garantit une réactivité très utile sur le terrain.
Lorsque nous intervenons sur des théâtres nouveaux, on peut concevoir la nécessité d'achats en urgence. Mais qu'en est-il lorsque l'opération perdure ?
Les achats en urgence ont représenté 2 millions en 2005, puis 80 en 2006, 5 millions en 2007 et 104 en 2008. Cela dépend de l'évolution de la situation sur le terrain.
Ainsi, la lutte contre les engins explosifs improvisés s'est beaucoup développée sur le théâtre afghan, et nous savions aussi qu'elle serait importante lorsque nous nous sommes engagés au Liban. Lorsque nous avons modifié notre engagement en Afghanistan, en allant dans la Kapisa, il a fallu développer nos moyens de protection des individus, soit dans les véhicules – avec les tourelles télé-opérées des véhicules de l'avant blindé (VAB) par exemple – soit débarqués – vêtements personnels, moyens radio. Ce développement des moyens de protection a représenté plus de la moitié de nos investissements en urgence opérationnelle en 2008, mais cela peut changer. Aujourd'hui, les insurgés considèrent que ce sont les engins explosifs improvisés, dirigés contre les troupes ou contre la population, qui font le plus mal aux Occidentaux. Ils vont probablement continuer, et nous aurons donc peut-être moins de besoins nouveaux pour les combats durs sur le terrain.
Par ailleurs, des achats en urgence opérationnelle peuvent aussi résulter d'un besoin d'interopérabilité nouveau, notamment dans le domaine des liaisons nécessaires pour l'appui aérien à terre. Lorsque nous nous sommes engagés de manière plus active sur le terrain, nous avons eu besoin de moyens de radio compatibles avec les différents avions de la coalition – il s'agit des fameux PRC 117 que nous avons « achetés sur étagère ».
Le projet de LPM comporte une opération – l'opération d'armement Carape – qui permet de provisionner de l'argent pour faire face à ce type de dépenses. Lorsqu'il y a urgence, que le besoin est avéré, une partie des urgences opérations pourront être couvertes par des crédits de l'opération Carape, qui est plutôt dédiée à la lutte contre les engins explosifs improvisés et à l'achat de petits matériels complémentaires.
Par ailleurs, la protection des troupes étant une des priorités essentielles du Livre blanc, de nombreuses dépenses dans ce domaine – pour les engins blindés par exemple – sont prévues dans la future loi de programmation militaire.
Tous nos soldats en Afghanistan ont-ils reçu les nouveaux gilets pare-balles, plus légers ?
Je poserai la question à l'armée de terre et je vous communiquerai la réponse.
Pour ce qui est de nos alliés, j'attire votre attention sur le fait que les comparaisons sont malaisées parce que les périmètres sont très différents. Ainsi, pour ce qui est de l'approvisionnement de l'armée britannique en matériel, il y a deux fois plus d'urgences opérationnelles que de programmation. Nous avons constitué un groupe de travail pour creuser la question.
Les prévisions de surcoûts Opex pour 2009 sont de 100 millions d'euros pour les contributions OTAN et Union européenne au titre 6, dont 32 millions pour EUFOR Tchad et 38 millions pour Pamir en Afghanistan. Où apparaissent les remboursements ? Peut-on les identifier ?
Je voudrais d'abord éclaircir une petite confusion qui se produit souvent dans ce domaine : ces montants ne recouvrent pas les mêmes périmètres selon les organisations et la comparaison entre ONU, OTAN et Union européenne est donc faussée.
Le système de l'OTAN est fondé sur le principe costs lie where they fall : les coûts échoient aux unités qui se déploient. Il existe une exception : le financement en coût commun, qui se développe, soit que les nations n'arrivent plus à subvenir à la demande de l'OTAN, soit qu'elles n'en aient pas la capacité. Ainsi, toutes nos armées étant confrontées à une attrition de leur flotte de transport aérien – parce que nous attendons tous l'A400M –, l'OTAN accepte de rendre les dépenses résultant de cette situation éligibles au remboursement commun : les common costs ont plus que triplé entre 2005 et 2009, passant de 120 millions à plus de 400.
Dans le cas de l'Union européenne, les coûts communs sont à peu près de même nature qu'à l'OTAN – mais je rappelle qu'ils dépendent en tout état de cause de textes internationaux signés par la France : à partir du moment où la décision politique est prise de s'engager dans une opération, on n'a aucune latitude pour choisir ce qu'on paye ou non. La différence est qu'à l'OTAN on vote un budget annuel, quitte à accorder un petit financement complémentaire au coup par coup, alors que l'Union européenne vote opération par opération : on discute dans chaque cas des common costs devant le comité Athéna. Mais l'Union accorde une facilité de caisse aux nations qui participent à ses opérations extérieures. C'est le système des nation borne costs : chacun contribue à un pot commun qui sert à faire des avances ; dès qu'il est utilisé, chaque nation rembourse la dépense faite pour son compte. Un exemple : on a mis l'année dernière 40 millions d'euros au pot commun pour l'opération EUFOR, qui ont été utilisés comme une avance de fonctionnement par le commandant des opérations. Au fur et à mesure que cet argent a été utilisé, on a abondé le compte bancaire de l'Union.
Les common costs et les nation borne costs relevant de l'Union européenne sont inscrits au titre 6. Dans le système de l'OTAN voire de l'ONU, ces dépenses nucléaires, biologiques et chimiques NBC seraient inscrites au titre 3. La comparaison entre UE et OTAN ne recouvre donc pas les mêmes périmètres. La différence est importante, puisque les nation borne costs représentent deux tiers de la dépense ! La mutualisation de la dépense est un système très intéressant puisque, alors que le budget de l'EUFOR était 119,6 millions d'euros, nous n'en avons payé que 16,75 % ; si nous avions agi dans le cadre national, et même en restreignant nos dépenses d'investissement, le total aurait été bien plus élevé.
Les remboursements, par exemple des Nations unies pour le Liban, apparaissent-ils en déduction quelque part ?
Ils n'apparaissent pas en déduction du budget. Vous savez qu'à l'origine, le BOP est toujours sous-doté : la loi de finances initiale pour 2009 ne prévoit par exemple que 510 millions. Toutefois, depuis trois ans, les remboursements des organisations internationales – c'est-à-dire essentiellement l'ONU – viennent compléter la dotation en loi de finances initiale. En fait, le mécanisme est totalement transparent : le montant du décret d'avance que nous demandons en cours d'année est égal au montant des dépenses prévisionnelles diminué du montant de la dotation prévue en loi de finances initiale et de celui des abondements internationaux. C'est un grand progrès en termes de sincérité parce l'on peut retracer ainsi l'ensemble de la dépense, et l'ensemble des abondements.
Je pourrai vous fournir un tableau qui détaille les remboursements opération par opération et même selon leur nature, puisque l'ONU les distingue en deux parties.
Nous avons été très étonnés d'apprendre que les actions menées contre la piraterie maritime, comme dans l'affaire du Carré d'As, ne donnent lieu à aucune demande de remboursement auprès de l'armateur ni de l'assureur. La Société nationale de sauvetage en mer pratique pourtant de telles demandes de remboursement – je ne parle bien sûr que du sauvetage des biens, et non des personnes. Imaginez-vous de faire de même, même si ces remboursements vont au budget général de l'État ?
Lorsque nous sommes allés sauver les deux otages du Carré d'As, le bateau n'était pas en détresse. Il est d'ailleurs rentré au port par ses propres moyens, avec son skippeur. J'imagine qu'il y a toujours matière à plaider pour un avocat, mais dans l'état actuel des textes, c'est difficile. En outre, dans ce cas précis, les propriétaires étaient difficiles à identifier. Toutefois, personne n'aurait apprécié que le bateau reste sur place, où il aurait d'ailleurs pu être utilisé à d'autres actions contre lesquelles nous luttons.
Nous réfléchissons malgré tout au moyen de faire évoluer les choses. Nous y réfléchissons aussi au niveau européen, dans le cadre de l'opération Atalanta, mais sans avoir encore de résultat. Il est beaucoup plus simple de faire participer les armateurs si l'on doit les protéger – parce qu'on rend alors un service – que si l'on vient extraire d'une situation difficile un bâtiment appartenant à leur flotte.