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Commission des affaires sociales

Séance du 16 juin 2010 à 11h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • carrière
  • carrières longues
  • pension
  • pénibilité
  • âge
  • équité

La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 16 juin 2010

La séance est ouverte à onze heures trente.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, et M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique, sur les retraites.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Je tiens naturellement à remercier M. le ministre du travail d'avoir accepté le principe de cette audition, organisée presque au pied levé, vendredi dernier.

PermalienÉric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Je vous remercie, monsieur le Président, de nous avoir invités, le secrétaire d'État chargé de la fonction publique, Georges Tron, et moi-même, à venir présenter, à chaud, devant votre Commission la réforme qu'entend mettre en oeuvre le Gouvernement.

Cette réforme, voulue par le Président de la République, est une réforme majeure, nul ne peut le contester. Ce n'est pas une réforme paramétrique, comme on le dit parfois de manière un peu technocratique, ce n'est pas une réforme comptable, c'est une vraie réforme de société. L'enjeu, c'est la question de l'âge au travail, de la vision que l'on peut avoir du travail dans notre société. À l'évidence, parler de retraite, c'est d'abord parler d'âge.

La question des retraites, c'est donc la question de l'allongement de la durée de la vie, qui est d'abord une chance pour nous tous. C'est aussi la question de la solidarité entre générations et à l'intérieur de chacune d'elles. C'est la question de l'équité entre les salariés du public et ceux du privé. Et c'est, encore une fois, surtout la question du sens et de la place du travail dans notre société.

À toutes ces questions, nous avons voulu répondre en regardant la réalité en face, sans la contourner. Comme nul ne l'ignore dans cette salle, notre système de retraite est aujourd'hui financé à crédit. Si nous ne prenons pas nos responsabilités, la situation va s'aggraver d'année en année, comme l'a montré le Conseil d'orientation des retraites de manière implacable, et nous mener collectivement dans une impasse, c'est-à-dire dans l'incapacité de payer les pensions de retraite.

La réforme que nous vous présentons aujourd'hui est à la fois responsable, juste et réellement équilibrée.

Elle est responsable. Pour mettre fin au déficit de nos régimes de retraite, il n'y a pas d'autre solution que de travailler plus longtemps. Tous nos partenaires en Europe, qu'ils soient dirigés par la droite ou la gauche, ont reconnu cette évidence.

Elle est juste, parce qu'elle refuse de baisser les retraites de nos concitoyens, contrairement à ce qu'ont pu faire certains autres pays européens, pourtant parfois cités en exemple. Et elle est juste aussi, parce qu'elle reconnaît que si tout le monde doit faire un effort, tout le monde ne doit pas faire le même effort. Je crois à l'équité, je ne crois pas à l'uniformité.

Au fond, c'est une réforme qui rétablit la confiance : elle ramène notre système de retraite à l'équilibre et, ce, dès 2018. Elle le rend aussi plus solidaire et plus juste.

Nous apportons une réponse principalement démographique à un problème principalement démographique.

L'augmentation de la durée d'activité sera, en effet, le coeur de notre réforme des retraites. Je rappelle que l'augmentation de la durée de cotisation prévue par les réformes de 1993 et 2003 a réduit de moitié le besoin de financement de nos régimes. Cette augmentation de la durée de cotisation sera poursuivie et portée à 41 ans et un trimestre à partir de la génération 1953, qui aura 60 ans en 2013. En 2020, selon les estimations de l'INSEE sur l'évolution de l'espérance de vie, cette durée de cotisation devrait être de 41,5 ans. Il n'est donc pas utile, sur ce sujet, d'agiter les peurs des Français avec des chiffres bien supérieurs.

Cette augmentation de la durée de cotisation est indispensable. Toutefois, elle ne permet pas d'inciter les Français à travailler suffisamment longtemps pour rééquilibrer notre système de retraite. Pour y parvenir, l'âge légal de départ à la retraite sera donc porté à 62 ans en 2018, contre 60 ans aujourd'hui.

Cette augmentation sera progressive pour ne pas bouleverser les projets de vie des Français, notamment de ceux qui sont proches de la retraite :

– l'âge augmentera de 4 mois par an, à partir du 1er juillet 2011 ;

– cette augmentation se fera par année de naissance : ceux qui sont nés après le 1er juillet 1951, et qui devaient partir à la retraite à 60 ans l'année prochaine, devront travailler 4 mois de plus ; ceux qui sont nés en 1952 et devaient partir à 60 ans dans deux ans, 8 mois de plus, et ainsi de suite.

Cette augmentation de l'âge légal est générale, elle concerne tous les Français, dans la fonction publique, dans le privé et dans les régimes spéciaux. Simplement pour les régimes spéciaux, nous tenons compte du calendrier de montée en charge de la réforme de 2008 : le relèvement de l'âge de la retraite débutera au 1er janvier 2017. Il augmentera ensuite au même rythme que dans les régimes du secteur privé et de la fonction publique.

Parallèlement à l'augmentation de l'âge légal, l'âge du « taux plein », c'est-à-dire l'âge à partir duquel la décote s'annule, aujourd'hui fixé à 65 ans, sera augmenté au même rythme, avec la même progressivité et dans les mêmes proportions, c'est-à-dire jusqu'à 67 ans.

Bien évidemment, les Français qui ont commencé à travailler avant les autres – c'est un sujet majeur – partiront avant les autres : pour un certain nombre de personnes, il sera donc possible de continuer à partir à la retraite à 60 ans ou avant. Qui sont-elles ? D'abord, celles qui ont commencé à travailler avant 18 ans. C'est une nouveauté. Dans le dispositif carrières longues que notre majorité a créé en 2003, seuls étaient concernés ceux qui avaient commencé à 14, 15 ou 16 ans. Nous l'étendons à ceux qui ont commencé à 17 ans. Ils pourront donc partir à la retraite à 60 ans. Nous réajustons la réforme de 2003 en accordant des droits supplémentaires aux Français.

De même, nous créons un droit nouveau pour les salariés dont l'état de santé est altéré à la suite d'expositions à des facteurs de pénibilité. Il s'agit d'une avancée sociale absolument majeure. Les assurés, qui ont été exposés à des contraintes physiques importantes dans leur métier ou leurs fonctions, bénéficieront d'un double avantage :

– ils pourront continuer à partir à 60 ans, alors que l'âge de départ à la retraite sera porté à 62 ans : pour eux, l'âge de la retraite ne sera pas augmenté ;

– cette retraite sera attribuée à taux plein : ils ne subiront donc pas la décote, même s'ils n'ont pas tous leurs trimestres.

Cette mesure bénéficiera, après montée en charge, à environ 10 000 personnes par an. Au total, en ajoutant le dispositif des carrières longues, ce sont 60 000 personnes en 2011, et 100 000 en 2015, qui, ayant eu une vie professionnelle plus dure que les autres, parce qu'ils l'ont commencée plus tôt ou parce qu'ils ont subi une pénibilité physique particulière, pourront partir à la retraite avant les autres.

Enfin, en décalant l'horizon de la retraite, l'augmentation de l'âge légal va permettre d'améliorer le taux d'emploi des seniors. Ceux-ci restent trop souvent dans notre pays une variable d'ajustement inacceptable sur le marché de l'emploi. À 55 ans pourtant, on a encore beaucoup à apporter à une entreprise, à ses collègues de travail, aux jeunes salariés, tout le monde le sait.

Le Gouvernement s'est mobilisé, depuis 2007, pour améliorer ce taux d'emploi, qui se situe dans la moyenne européenne pour les seniors jusqu'à l'âge de 60 ans, mais qui plonge ensuite, notamment en raison de l'âge légal fixé pour le départ à la retraite. Nous allons encore plus loin dans le cadre de notre réforme, notamment en créant une aide à l'embauche d'un an pour les entreprises qui recrutent des chômeurs de plus de 55 ans et en officialisant un dispositif de tutorat au profit des seniors.

Nous renforçons également l'équité et la solidarité de notre système de retraites.

Tout d'abord en complément des mesures d'âge, nous proposons de prélever près de 4 milliards d'euros de recettes nouvelles, principalement sur les hauts revenus et les revenus du capital.

Plusieurs mesures concerneront spécifiquement les hauts revenus :

– la tranche d'impôt la plus élevée de l'impôt sur le revenu sera augmentée d'un point (41 % au lieu de 40 % aujourd'hui), pour un rendement de 230 millions d'euros en 2011 ;

– les stocks-options et les retraites chapeaux seront davantage taxées, pour un rendement global de 180 millions d'euros en 2011 et de 340 millions d'euros en 2020.

Les revenus du capital seront également mis à contribution, pour environ 1 milliard d'euros en 2011 :

– les prélèvements forfaitaires sur les revenus du patrimoine seront augmentés d'un point, pour un rendement de 265 millions d'euros en 2011 ;

– les dividendes perçus par les actionnaires seront davantage taxés au titre de l'impôt sur le revenu. Cette mesure permettra d'augmenter les recettes du système de retraite de 645 millions d'euros dès 2011 ;

– enfin, les plus-values de cession d'actions et d'obligations seront désormais taxées à l'impôt sur le revenu, quel que soit le montant des cessions réalisées. On supprime donc la franchise. Cette mesure rapportera 180 millions d'euros en 2011.

Comme le Gouvernement s'y était aussi engagé, l'augmentation du taux de la dernière tranche de l'impôt sur le revenu et l'augmentation des prélèvements forfaitaires sur les revenus du patrimoine ne seront pas prises en compte dans le calcul du bouclier fiscal.

La dernière catégorie de mesures concerne les entreprises et les niches sociales. La mesure la plus importante concerne le calcul des allègements généraux de charges patronales, qui sera désormais fait sur une base annuelle, et non plus mensuelle. Cette mesure, qui représente une économie considérable de 2 milliards d'euros, restaurera l'équité entre les entreprises. Il n'est, en effet, pas normal que, pour un même salaire annuel, le niveau des allègements de charges varie selon que l'entreprise verse les salaires sur 12 mois ou sur 13 ou 14 mois. Il me semble que ce n'était absolument pas l'intention du législateur.

Au-delà de la question des recettes, nous avons, avec Georges Tron, beaucoup travaillé la question de la convergence entre les régimes publics et privés de retraite. Des mesures de rapprochement des règles entre public et privé sont également prévues. C'est une question d'équité : lorsqu'il existe des spécificités dans la fonction publique, il est normal de trouver des différences ; dans le cas inverse, non. Trois différences, qui ne sont pas justifiées par des spécificités de la fonction publique, seront ainsi supprimées :

– le taux de cotisation acquitté par les fonctionnaires sera aligné sur celui du secteur privé d'ici à 2020, donc sur une durée de 10 ans ; le taux de cotisation passera de 7,85 % à 10,55 %, qui est le taux de droit commun pour tous les salariés français ;

– le dispositif de départ anticipé sans condition d'âge pour les parents de trois enfants ayant 15 ans de service – au fond, un dispositif de préretraite – sera fermé à compter de 2012, dans le respect des droits acquis ;

– le minimum garanti sera désormais soumis à la même condition d'activité que dans le secteur privé, c'est-à-dire lorsque l'intéressé est au taux plein.

Enfin, les dispositifs de solidarité, qui font la force du système de retraite français, seront renforcés.

Les jeunes en situation précaire bénéficieront de 6 trimestres validés lorsqu'ils sont au chômage non indemnisé, contre 4 aujourd'hui.

Pour améliorer la retraite des femmes, le congé maternité ne fera plus baisser la retraite : les indemnités journalières perçues pendant ce congé seront prises en compte dans le calcul du salaire de référence à partir duquel est calculée la pension. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Enfin, notre projet de réforme contient deux mesures importantes à destination des agriculteurs : la première vise à leur faciliter l'octroi du minimum vieillesse (709 euros pour un célibataire) et éviter ainsi que certains d'entre eux n'aient des pensions de retraite extrêmement faibles, parfois de seulement 300 ou 400 euros par mois. Une seconde mesure permettra d'améliorer la situation des femmes exploitantes agricoles.

Mesdames et messieurs les députés, je vais naturellement répondre maintenant à vos questions. Comme je l'ai dit, notre objectif est de restaurer la confiance des Français dans leur système de retraite. Pour y parvenir, le retour à l'équilibre dès 2018 est un élément clé :

– les mesures d'âge permettront de réduire de près de 50 % le déficit en 2018, ce qui est considérable ;

– les économies supplémentaires réalisées dans la fonction publique rapporteront près de 4 milliards d'euros. Elles permettront de stabiliser la contribution de l'État à son niveau de 2008, soit 15,6 milliards d'euros ;

– les mesures de recettes s'élèveront à 3,7 milliards d'euros en 2011 et 4,4 milliards d'euros en 2018.

S'y ajoutera le surcroît de recettes obtenu en basculant des cotisations d'assurance chômage sur les cotisations de retraite à partir de 2015, pour un montant de 1 milliard d'euros en 2018. Ce transfert avait été évoqué en 2003, et a failli être mis en oeuvre il y a 2 ans, mais la crise ne l'a pas rendu possible. Ce basculement est cohérent avec les hypothèses de chômage du Conseil d'orientation des retraites. Il est très prudent, puisqu'il représente moins de 3 % du bouclage global de la réforme.

En outre, la réforme réglera également la question des déficits accumulés d'ici à 2018, date d'atteinte de l'équilibre.

L'intégralité des déficits accumulés par le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse jusqu'au retour à l'équilibre en 2018 seront repris au fur et à mesure par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) qui, pour ce faire, pourra compter sur les ressources du Fonds de réserve pour les retraites, qui a été construit pour cela.

La France est le seul pays au monde qui constitue des réserves quand il est en déficit ! Les déficits ont 20 ans d'avance, il est donc logique que nous mobilisions le fonds de réserve dès aujourd'hui.

Comme j'entends déjà les députés socialistes réagir, je me permets immédiatement de les rassurer : le fonds de réserve ne sera ni dissous ni utilisé pour financer je ne sais quel déficit. Il continuera à gérer ses actifs, désormais pour le compte de la CADES, et financera les déficits en matière de retraite. Encore une fois, il a précisément été créé pour financer les déficits, or ceux-ci apparaissent aujourd'hui avec 20 années d'avance.

Voilà, monsieur le Président, les quelques éléments précis que je tenais à porter à la connaissance de votre commission. Ce projet de réforme donnera évidemment lieu à un projet de loi qui vous sera soumis à partir de la mi-juillet, puisque, comme je l'ai annoncé ce matin, ce texte est encore ouvert à la discussion avec les organisations syndicales : Georges Tron et moi-même les recevront dès cet après-midi et demain. Le texte ne sera envoyé qu'à la fin de la semaine aux différentes instances, avant son examen par le Conseil d'État, par votre commission puis l'Assemblée nationale à partir du mois de septembre.

Je vous remercie.

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Messieurs les ministres, je tenais d'abord à vous féliciter : vous êtes parvenus à élaborer un texte complet, juste et équilibré, ce qui était difficile compte tenu du contexte actuel. J'espère que ce n'est pas la présence de la presse qui explique les réactions de nos collègues socialistes. C'est la première fois que je vois cela en commission : nous faisons de la politique sociale, pas de la politique politicienne.

Cinq questions précises.

D'abord, il me semble tout à fait légitime, compte tenu de l'accélération des déficits, de faire appel dès maintenant au Fonds de réserve pour les retraites, dont j'avais soutenu la création à l'initiative d'une majorité de gauche. On annonçait, à l'épique, un déficit à compter de 2020. On peut regretter que les gouvernements successifs ne l'aient pas doté de ressources pérennes. La crise est là et il est logique que nous avancions la date du décaissement. Pouvez-vous expliciter le mécanisme d'adossement du fonds à la CADES ?

Concernant ensuite le rapprochement public-privé, on ne peut que se féliciter des mesures proposées par le Gouvernement. Néanmoins, nombre de nos concitoyens souhaitent que nous allions plus loin : un dispositif d'alignement progressif des modalités de calcul de la pension vous semble-t-il possible ? C'est une question qui revient à toutes les réunions publiques sur les retraites auxquelles je participe.

Une question de méthode maintenant. Une récente circulaire du Premier ministre a confié aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale le monopole des mesures fiscales et sociales. Comment cela s'appliquera-t-il au futur projet de loi portant réforme des retraites ?

Concernant par ailleurs la situation difficile des jeunes veuves en France, le dispositif existant d'assurance veuvage doit s'achever à la fin de l'année. Sera-t-il réformé et reconduit ?

Enfin, le Gouvernement a fait le choix juste et courageux de proroger le dispositif carrières longues, acquis essentiel de la loi de 2003. Combien cela coûtera-t-il à notre régime de retraite ?

PermalienPhoto de Marisol Touraine

Je ne vous étonnerai pas, monsieur le ministre, en vous disant que notre appréciation est différente de celle de Denis Jacquat. Avant tout, le groupe SRC renouvelle sa demande tendant à ce que les travaux de la commission sur le projet de loi de réforme des retraites soient publics : s'il s'agit d'une réforme phare du présent quinquennat, comme le dit le Gouvernement, pourquoi en débattre à huis clos, à l'abri de tous regards extérieurs ?

On peut également s'interroger sur le statut de la présente audition : M. le ministre a indiqué que le projet du Gouvernement fera, enfin, l'objet d'une négociation avec les organisations syndicales dans les jours à venir, ce qui suppose qu'il est encore appelé à évoluer. Aussi, soit les orientations qui viennent de nous être présentées sont encore en débat, soit la consultation des syndicats est de pure forme.

Sur le fond, des mesures comptables ne font pas une réforme de société. Une réforme de société ne peut pas reposer seulement sur des mesures démographiques. D'ailleurs, s'il s'agit d'une réforme de société qui réponde au sens du travail, pourquoi présenter les mesures qui la sous-tendent comme dictées par la crise économique ? Une réforme dictée par la crise n'est pas une réforme de société : il faut choisir le terrain sur lequel vous vous placez.

En outre, vous présentez cette réforme comme répondant au sens du travail, mais, visiblement, le sens du travail n'est pas le même pour ceux qui ont eu une carrière longue ou pénible, et qui devront travailler plus longtemps, que pour ceux qui, d'ores et déjà, ne pouvaient pas partir à la retraite avant 62 ans.

Lors de votre rencontre avec la première secrétaire du Parti socialiste, nous vous avons expliqué pourquoi la réforme que vous prépariez nous semblait injuste, mais vous n'avez tenu aucun compte de nos remarques lors de son élaboration. Je ne reviendrai pas sur ce point. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Le plan que vous nous exposez me parait irresponsable du point de vue financier. Il retient 2018 comme horizon, et après 2018, c'est le trou noir. Or, 2018 c'est demain. Lorsque les socialistes proposaient un plan de réforme ayant 2025 pour horizon, vous les traitiez d'irresponsables et d'irréalistes et leur reprochiez de ne pas traiter les besoins de financement anticipés jusqu'en 2050 !

En effet, le financement de votre réforme repose, pour moitié, sur des mesures d'âge, qui sont profondément injustes.

Nous reviendrons sur les mesures que vous proposez pour compenser la pénibilité de certains métiers, elles constituent une véritable provocation à l'encontre des salariés. Sauf à être cancéreux ou très gravement malades à 60 ans, ils n'en bénéficieront pas. C'est absolument choquant ! Il aurait mieux valu ne prendre aucune mesure, plutôt que présenter ce qui représente une insulte à l'égard des salariés qui ont été confrontés à de telles situations.

De même, le « CDD senior » d'un an que vous proposez de créer ne règlera bien sûr pas le problème de l'emploi des travailleurs âgés.

Au-delà de ces mesures qui portent sur la moitié à peine du chemin à parcourir, comment bouclez-vous le reste ?

Vous ne demandez qu'une contribution minime aux hauts revenus et aux revenus du capital : les « mesurettes » qui les concernent ne représentent même pas 5 % du financement global, et certaines d'entre elles n'échapperont pas au bouclier fiscal. Bien entendu, nous sommes favorables à une taxation accrue des stock-options et des retraites chapeaux, ainsi qu'à l'annualisation du calcul des allègements de charges, encore que la période choisie ne soit pas la meilleure. Mais, lorsque nous vous avons proposé des mesures en ce sens dans le cadre de la discussion des projets de lois de financement de la sécurité sociale successifs, vous les avez refusées.

Ainsi, en réalité, votre plan creusera les déficits d'ici 2018. D'ailleurs, le gel de l'effort financier de l'État aura pour conséquence un accroissement de 15 milliards d'euros de la dette.

Vous menez ainsi une politique de Shadocks : vous pompez dans les réserves du Fonds de réserve pour les retraites pour passer l'échéance de 2012 et annuler provisoirement le déficit en 2018. Les Français méritaient mieux qu'une réforme de court-terme, qui sera loin de les rassurer et devra être reprise dans quelques années.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Il faut rappeler qu'il a fallu attendre 2003 pour que les salariés, qui ont eu les carrières les plus longues et qui avaient l'espérance de vie la plus faible, puissent partir à la retraite avant 60 ans. 700 000 personnes ont bénéficié de cette possibilité.

PermalienPhoto de Martine Billard

Vous soutenez que votre réforme est responsable, juste et équilibrée. Pourtant, vous proposez de siphonner les réserves du Fonds de réserve pour les retraites d'ici 2018, alors qu'elles ont été constituées pour faire face au pic démographique prévu après 2020.

C'est la preuve que votre réforme n'est pas dictée par des impératifs démographiques. Que l'espérance de vie en bonne santé s'allonge est une bonne chose. Mais compte tenu du taux de chômage, il n'est pas nécessaire de travailler plus après 60 ans. 40 % des personnes entre 55 et 60 ans n'ont pas d'emploi. Certes, certains d'entre eux bénéficient du dispositif applicable aux carrières longues ou d'une pension d'invalidité, mais il s'agit pour l'essentiel de travailleurs âgés dont les entreprises se séparent parce qu'elles ne le jugent plus rentables, ou trop chers. Ni le CDD d'un an destiné aux personnes de plus de 55 ans que vous proposez d'instituer, ni vos propositions visant à favoriser le tutorat ne résoudront ce problème.

S'agissant de l'équité de votre réforme, je relève qu'il ne met à contribution le capital et les hauts revenus que pour 10 % seulement de son financement global : tout le reste est à la charge des salariés et des retraités. Comment dès lors parler d'équité ? Pour vous, l'équité, c'est prendre aux salariés, sans toucher à ceux qui ont les plus hauts revenus.

Quant aux mesures que vous proposez en faveur des femmes, il ne s'agit que de miettes. Aujourd'hui déjà, elles ont des pensions inférieures de 40 % à celles des hommes, et 30 % d'entre elles ne peuvent partir à la retraite qu'à 65 ans, faute d'une durée de cotisation suffisante pour obtenir une pension à taux plein avant. Beaucoup de femmes ont d'ailleurs des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Le recul de l'âge du taux plein à 67 ans est donc une catastrophe pour les femmes, et ce n'est pas la prise en compte des indemnités journalières du congé maternité qui y changera grand-chose. En outre, les femmes fonctionnaires perdront une large partie de leurs avantages.

Le dossier des carrières longues est joliment présenté. Si l'on tient compte de la durée de cotisation requise, ce cadeau n'a rien de fantastique pour ceux qui ont commencé à travailler à 17 ans : ces personnes devront, en fait, attendre l'âge de soixante ans et demi pour partir à la retraite.

Votre réforme n'est au fond pas financée. Elle se traduira inévitablement par une diminution des pensions, que seuls les plus aisés pourront compenser par une retraite supplémentaire par capitalisation, comme nous l'a proposé la Fédération française des sociétés d'assurance. Pour le moment, vous le ne mettez pas en place, mais on verra par la suite. Les autres devront travailler jusqu'à 70 ans, comme la dernière loi de financement de la sécurité sociale en a prévu la possibilité.

Nous combattrons donc cette réforme et nous serons aux côtés de ceux qui lutteront contre elle.

Je tiens, pour conclure, à protester contre le rythme de travail qui nous est imposé : nous n'aurons que quelques jours après le dépôt du projet de loi le 13 juillet pour préparer des amendements, et nous devrons reprendre nos travaux dès le 7 septembre. Ce n'est pas digne d'un parlement démocratique. Le Gouvernement compte-t-il engager la procédure législative accélérée, ce qui reviendrait à ne pas respecter le travail du Parlement ?

PermalienPhoto de Jean-Luc Préel

Je remercie M. le ministre pour sa présentation. La réforme du régime des retraites est indispensable pour sauvegarder une répartition à laquelle nous sommes tous attachés. Cette réforme est nécessaire pour des raisons démographiques, qui tiennent notamment au papy boom et à l'allongement de la durée de la vie, mais également pour rassurer les jeunes qui s'inquiètent pour l'avenir de leur retraite. Cette réforme devrait aboutir à un consensus, car les critères sont désormais connus de tous.

Je m'interroge sur le point de savoir si le taux de remplacement n'est pas également un critère important, qui n'a pas été évoqué, et qu'il conviendrait pourtant de mettre en avant dans la réforme.

Les travaux du Conseil d'orientation des retraites, reconnus par tous pour leur sérieux, montrent qu'en retenant les variables de 43,5 ans et de 63 ans, associés à des prévisions économiques optimistes, 50 % des besoins de financement sont couverts en 2020. J'ai entendu que vous proposiez, pour 2018, de passer à 41,5 ans et 62 ans, est-ce que les financements complémentaires que vous nous avez présentés assurent réellement l'équilibre ? Je ne demande qu'à vous croire, mais j'aimerais obtenir des précisions sur ce point.

L'équité est souhaitée par tous les Français. Dans quelle mesure cette réforme va-t-elle simplifier le panorama actuel des trente-huit régimes de retraite ? Vous n'avez pas, par ailleurs, évoqué la question des modalités de calcul de la pension dans la fonction publique. Sera-t-il possible de la prendre en compte par voie d'amendements, comme le proposait Denis Jacquat ?

Sur quels critères sera définie la pénibilité ? Il semble que ce soit sur des critères médicaux. Qu'est-il prévu pour la prévention de la pénibilité au cours de la vie active ? Je rappelle que la présidente de la Caisse nationale d'assurance vieillesse a indiqué qu'elle ne souhaitait pas que cette question soit traitée par le biais de la réforme des retraites.

Je vous félicite pour la prise en compte des carrières longues. L'avancée à 17 ans est vraiment un point important.

Vous avez dit que le déficit serait transféré à la CADES. C'est juste, mais peut-on avoir des explications sur le mécanisme de relation entre la CADES et le Fonds de réserve pour les retraites ? J'ai peur de ne pas avoir bien compris.

Vous ne semblez pas engager de réforme systémique. Je rappelle que le Nouveau Centre souhaite aller vers un régime universel à points, avec extinction des régimes spéciaux. Avez-vous renoncé à cette évolution ? La loi permettra-t-elle d'aller vers un tel régime ?

PermalienÉric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Pour répondre à M. Denis Jacquat sur la CADES et le Fonds de réserve pour les retraites, j'indiquerai que celui-ci gère aujourd'hui pour son propre compte, alors qu'il gérera demain pour la CADES. Il y aura des actifs décaissés sur plusieurs années pour permettre à la CADES de rembourser le déficit, avec un système qui tend à l'équilibre en 2018. De la même manière, l'abondement de 1,5 milliard d'euros au fonds de réserve, transféré à la CADES, poursuit la même fin. C'est un processus clair. Le fond de réserve ne liquidera pas ses actifs en une seule fois, il n'en est pas question. C'est un problème technique et je ne comprends pas pourquoi le parti socialiste politise à ce point cette question.

Le Président de la République et le Premier ministre ont indiqué que toutes les dispositions financières devraient figurer désormais dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. C'est une revendication normale, gage de clarté, que j'appelais également de mes voeux lorsque j'étais ministre des comptes publics. L'ensemble des mesures financières figurera donc dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale de la rentrée. Elles vous sont présentées aujourd'hui, mais seront discutées dans un texte différent.

Je vous confirme par ailleurs que nous allons pérenniser le dispositif d'assurance veuvage.

S'agissant des carrières longues, le dispositif permettra de partir en retraite à 60 ans au maximum, lorsqu'on a débuté une carrière à 17 ans. Cette mesure coûtera 1,3 milliard d'euros de plus par rapport à la prolongation du système mis en place en 2003, mais permettra de prendre en compte la longueur des carrières.

Avec Mme Marisol Touraine, il s'agit d'un débat plus politique et je n'entends pas répondre à tous les points abordés. Vous ne parlez d'abord pas vraiment de la réforme des retraites, comme c'est votre habitude depuis vingt ans déjà. En fait, la réforme comptable, c'est vous qui la prônez : vous dites qu'il faut 30 à 40 milliards de prélèvements supplémentaires, mais ce n'est que de la fausse monnaie ! Si vous voulez augmenter les prélèvements à cette hauteur, vous réalisez en fait une énorme subvention aux délocalisations, avec une augmentation du chômage à la clef. Vous ne voulez pas admettre que la limite de 60 ans n'est pas gravée dans le marbre. Pourquoi ce sujet ne serait-il tabou qu'en France ? Les Italiens, Allemands, Danois, Espagnols et Suédois sont-ils moins fatigués ? D'autres pays évolués ont déjà suivi la même démarche que la France, pourquoi avez-vous donc systématiquement peur de la question des retraites ? En outre, si François Mitterrand a bien fixé l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans en 1981, cet âge correspondrait aujourd'hui, avec les gains d'espérance de vie, à 62 ans. C'est cela la réalité ! Vous ne raisonnez qu'en termes de photographies argentiques et en noir et blanc. La durée de vie a été prolongée et il est donc normal de la prolonger également au travail. Avec cette réforme, nous prenons en compte de façon responsable et sérieuse ceux qui ont commencé leur carrière plus tôt, ainsi que ceux qui souffrent de la pénibilité dans leur travail. On pourrait bien sûr dire que tous les métiers, que le travail en général, comme la vie d'ailleurs, sont fatigants ; c'est vrai que quand on est éveillé, c'est plus fatigant que lorsque l'on dort ! Mais nous devons prendre en compte la véritable pénibilité au travail, c'est-à-dire les séquelles dues au métier, constatées par un médecin. Avec cette réforme, on passe le taux d'incapacité à 20 % dans le cadre du dispositif accident du travail-maladies professionnelles qui est un système bien normé de relations matricielles entre les postes occupés et les maladies professionnelles. Dans ce cadre, la réforme donnera accès à la retraite à 60 ans. C'est un avantage financier majeur donnant droit à un taux plein quel que soit le nombre de trimestres cotisés. Le dispositif est généreux et juste et ouvre un droit nouveau pour 10 000 personnes.

S'agissant des seniors, l'objectif est d'améliorer leur taux d'emploi. Il est insultant pour eux de présenter la réforme comme un contrat à durée déterminée pour seniors. La situation de ceux qui se trouvent sur le marché du travail à partir de 55 ans est compliquée. Tout le monde le sait. Il y a une dimension culturelle dans la situation actuelle. C'est pourquoi il faut prolonger l'emploi des seniors sous toutes ses formes, avec l'aide des entreprises.

Les déficits seront progressivement absorbés jusqu'en 2018 et, à partir de cette date, le système sera équilibré. La participation de l'État au régime des retraites des fonctionnaires de l'État sera gelée à hauteur de 15 milliards d'euros. C'est possible, parce que les mesures d'âge joueront et que la fonction publique est amenée à contribuer à la réforme à hauteur de 4 milliards d'euros supplémentaires. La réforme des retraites est ainsi entièrement financée à ce jour.

Lorsque Mme Martine Billard évoque le sujet des femmes, c'est d'abord un problème d'inégalité salariale au travail qui est en cause, et la retraite n'est que le miroir de la carrière. Elle ne peut pas tout réparer. Il est important d'agir sur les indemnités de maternité. Dès la fin de l'année, des sanctions financières seront prises contre les entreprises qui n'auront pas pris de mesures destinées à lutter contre ces inégalités salariales. C'est seulement 15 à 16 % de salariés qui prennent leur retraite à 65 ans, dont 60 % de femmes qui, pour la plupart, ne sont plus en activité. Cette population est deux fois moins au minimum vieillesse que le reste de la population.

Lorsque vous évoquez le sujet des femmes fonctionnaires, je vous invite à aller voir ce qui se fait ailleurs. Les fonctionnaires ont un travail intéressant, avec la sécurité de l'emploi. Certes, ils vont travailler plus longtemps et cotiser un peu plus, mais ils continueront à bénéficier de la règle des six derniers mois de traitement, car on a considéré qu'il serait compliqué de réintégrer les primes, car la part de celles-ci est très variable selon les catégories. En réalité, les fonctionnaires ont à peu près le même type de revenu et de pension que les travailleurs du privé. La seule question pertinente consistait à savoir si, à pension égale, ils cotisaient de manière égale. C'est à cet objectif que nous nous sommes attachés. Je rappelle que la mesure des 15 ans et trois enfants est en réalité une préretraite, car ces personnes continuent de travailler. Ce n'est pas un avantage familial, et il convient d'arrêter ces préretraites, comme on l'a fait dans le privé.

Vous m'avez posé, comme hier M. Ayrault lors des questions au Gouvernement, la question de l'utilisation éventuelle de la procédure d'urgence, qui s'appelle en fait désormais « procédure d'examen accélérée ». Il s'agit d'une règle démocratique de notre Parlement qui a été votée normalement, et on verra bien, le moment venu, si cette règle sera utilisée.

Pour répondre à M. Jean-Luc Préel, le taux de remplacement est une vraie question. Le Gouvernement s'est engagé à ne pas baisser le niveau des pensions, et il ne le fera pas, contrairement à ce qui s'est passé dans certains pays. Les pensions continueront d'être indexées sur les prix et leur niveau devrait augmenter de 20 % d'ici quinze ans.

Lorsque le parti socialiste a créé le Fond de réserve pour les retraites, qui est sa seule contribution en la matière, il n'y a adossé aucune réforme. Les conditions de l'équilibre financier du régime des retraites sont détaillées dans le dossier de presse qui a été diffusé. Cet équilibre sera assuré à partir de 2018, et les régimes des retraites seront en léger excédent jusqu'en 2020. Nous aurons de toute façon un rendez-vous démocratique en 2018, pour reparler des questions d'âge. Je pense que les Français croient surtout à des mesures concrètes et applicables dans un temps crédible. 2018 est un horizon bien perceptible. Qu'aurait-on dit si le Gouvernement avait décidé de reporter l'équilibre à 2025 ou 2030 ?

La pénibilité se mesure évidemment sur des critères médicaux. Je ne connais pas d'autre méthode. J'avoue ne pas comprendre cette suspicion à l'égard des médecins. Ils ont un rôle à jouer, sachant que je conçois bien que la pénibilité doit également être traitée tout au long de la vie au travail. Nous allons travailler avec l'ensemble des médecins du travail, des ergonomes, des psychothérapeutes sur ce dossier.

Vous m'avez interrogé sur une réforme systémique, mais il convient d'abord de bien réformer le système par répartition avant d'envisager un débat sur un autre système possible.

PermalienGeorges Tron, secrétaire d'état chargé de la fonction publique

Si la réforme doit être lisible et équitable, il ne faut pas pour autant, monsieur Jacquat, prendre des mesures au seul motif qu'elles sont symboliques.

C'est notamment le cas de l'idée d'un alignement des conditions d'évaluation du salaire de référence pour le calcul des pensions du secteur privé, où l'on prend en compte les vingt-cinq dernières années, et du secteur public, où l'on ne considère que les six derniers mois d'activité.

En effet, mis à part le cas des cadres supérieurs, les niveaux moyens de rémunération sont assez proches dans les deux secteurs, ainsi que les niveaux de pension. La principale différence entre les deux secteurs tient au statut des indemnités, prises en compte dans le secteur privé mais pas dans le secteur public. Avant d'envisager une intégration des primes dans le calcul des pensions des fonctionnaires, encore faudrait-il harmoniser leurs régimes indemnitaires. Or, il existe aujourd'hui 1 800 indemnités différentes dans la fonction publique de l'État, et autant de régimes indemnitaires dans la fonction publique territoriale qu'il y a d'employeurs, soit près de 45 000. En outre, la part des primes dans le revenu des agents est variable, de 5 % dans l'Éducation nationale à 40 ou 45 % pour certains corps dans d'autres ministères. Un travail préalable d'harmonisation de ces régimes est donc nécessaire et est d'ailleurs en cours, en particulier avec l'extension de la prime de fonction et de résultat prévue par le projet de loi sur le dialogue social dans la fonction publique. Ainsi, si l'alignement du mode de calcul du salaire de référence n'a pas été harmonisé entre le public et le privé, c'est avant tout pour des raisons techniques.

Quant à la participation de l'État au financement des pensions sur laquelle s'interrogeait Marisol Touraine, les travaux du Conseil d'orientation des retraites ont mis en évidence leur augmentation tendancielle : par rapport à 2000, elle a augmenté de 15 %, ce qui représente 15 milliards d'euros. Nous visons à limiter la part de l'État dans le financement des pensions à son niveau de 2008, au moyen d'une hausse progressive des cotisations des fonctionnaires, mais aussi grâce aux mesures d'âge. Lorsqu'il était ministre des finances, M. Dominique Strauss-Kahn avait d'ailleurs déjà étudié le problème de la hausse tendancielle de la part de l'État dans le financement des pensions des fonctionnaires, dont l'impact est évalué entre 1,5 et 2 milliards d'euros par an. Cela tient au fait que le taux de cotisation employeur pour l'État s'établit à 62 % dans la fonction publique de l'État, contre 27 % dans la fonction publique territoriale et 16 % dans le secteur privé. C'est donc dans une double logique d'équité et de maîtrise des dépenses publiques que s'inscrivent les mesures que nous prenons en la matière.

S'agissant par ailleurs des dispositifs en faveur des femmes, il faut souligner que ce n'est pas seulement pour des motifs politiques, mais aussi pour des raisons juridiques que nous supprimons la possibilité offerte à celles qui ont trois enfants de partir à la retraite après 15 ans d'activité. C'est en réalité un dispositif de préretraite, qui conduisait généralement ses bénéficiaires à cumuler une pension avec des revenus tirés d'une activité privée, et son caractère discriminatoire au détriment des hommes était très contestable au regard du droit européen. D'autres mesures favorables aux femmes sont toutefois maintenues : c'est notamment le cas de la bonification de durée d'activité pour enfants, rendue conforme au droit européen en 2003, ainsi que des temps partiels sur-rémunérés, notamment le « 80 % payé 87 % » qui permet aux mères de famille de se libérer le mercredi, ou encore du dispositif de réversion, qui n'est pas modifié. Il y avait une vraie question sur la réversion : les taux et les conditions d'âge et de ressources applicables ne sont pas les mêmes entre les deux secteurs. Mais pour le public, la différence des régimes s'explique notamment par le fait que le régime public est un régime intégré. On ne peut pas tirer des conclusions radicales de ces différences.

PermalienPhoto de Jean-Marc Ayrault

Le point de vue des socialistes mérite plus de respect, monsieur le ministre. Hier, lors des questions au Gouvernement, vous vous êtes livré à un exercice qui n'est pas digne de vous-même et de votre fonction et qui ne respecte pas l'opinion que nous défendons.

Personne ne nie le fait que le problème des retraites doit être pris à bras le corps. Mais le Gouvernement doit choisir une argumentation et s'y tenir : il ne peut pas invoquer à la fois les déterminants démographiques et présenter la réforme comme une réponse à la crise, pour justifier le pillage du Fonds de réserve pour les retraites.

On sait qu'un demi-point de croissance économique en plus jusqu'en 2025 permettrait de couvrir la moitié du besoin de financement prévu. Il s'agit donc aussi d'une question de croissance et de politique active de l'emploi, et pas seulement de démographie.

Il est d'autant plus injuste de siphonner le fonds de réserve qu'il a été constitué pour financer la retraite de générations plus jeunes : les mesures que vous proposez constituent donc une atteinte aux jeunes générations. D'autant que vous faites porter l'essentiel de l'effort sur les revenus du travail. Or, nous considérons dans notre projet que les efforts doivent être répartis équitablement, c'est-à-dire à égalité, entre les revenus du travail et les revenus financiers. Ne caricaturez pas notre projet, il a sa cohérence, il est juste, il est durable et va au-delà de 2018.

En fait, la réforme que vous proposez est faite non pour les Français, mais pour les marchés financiers, auxquels vous voulez envoyer des signes dans un mouvement de panique. C'est aussi pour cette raison que le Président de la République s'aligne sur les positions de Mme Angela Merkel sur la question des déficits publics.

Sur la question des 60 ans, vous voulez nous ringardiser. Mais, les réactions populaires sont claires : les Français sont conscients que la retraite à 60 ans constitue un droit, pas une obligation, et qu'elle profite en premier aux ouvriers, qui ont entamé leur carrière tôt, et qui ont eu les métiers les plus pénibles. Vous répondez à la question de la pénibilité par une réponse médicale. Mais, elle existe déjà : c'est l'invalidité !

D'ailleurs, pour compenser la pénibilité de certains métiers, le Premier ministre en fonction en 2003 avait promis une négociation avec les partenaires sociaux. Au lieu de cela, vous mettez en place un dispositif compassionnel limité à 10 000 personnes.

Enfin, il serait juste et démocratique que tous les débats relatifs à un projet de loi, qui engage l'avenir de tous les Français, soient publics. J'en appelle donc au Gouvernement, ainsi qu'au président Méhaignerie, pour que soient ouverts au public et retransmis sur LCP-AN tous les travaux de la commission, et pas seulement l'audition des ministres. Il faut que les Français puissent juger par eux-mêmes, sans attendre le mois de septembre. De même, il ne serait ni juste ni démocratique de recourir à la procédure accélérée et au temps législatif programmé, qui ne nous permettraient d'examiner le texte qu'à la sauvette. Tant que les débats ne sont pas publics, le Gouvernement a beau jeu de faire croire aux Français qu'il n'existe qu'une seule réponse au problème des retraites, alors qu'il existe des solutions alternatives. Monsieur le président, n'ayez pas peur de dire oui à notre demande.

PermalienPhoto de Gilles Carrez

La réforme proposée est juste, courageuse et nécessaire. Elle permettra effectivement de sauvegarder notre régime de retraite par répartition, auquel nous sommes tous attachés, en résorbant son déficit dans les meilleurs délais possibles.

Cette réforme s'intègre dans une politique générale de réforme des retraites que seule cette majorité a su conduire. Dès l'été 1993, elle a ainsi mené une réforme des retraites du secteur privé, que la gauche a vivement critiquée mais jamais remise en cause entre 1997 et 2002. Puis, en 2003, nous avons procédé à un ajustement de la durée d'activité pour tenir compte de la hausse de l'espérance de vie, sans nous départir pour autant d'un souci de justice, qui nous a conduit à réserver un traitement particulier aux personnes qui ont accompli une carrière longue. Enfin, en 2007 et 2008, nous avons réformé les régimes spéciaux. À l'inverse, les majorités de gauche ont bien évoqué le problème des retraites, avec force livres blancs, rapports et commissions, mais ne l'ont pas traité, en s'en sont tenues à l'inaction et au renoncement.

Si la hausse de la durée de cotisation constitue bien le coeur de la réforme, celle-ci prévoit aussi d'apporter au système de retraite des ressources nouvelles, marquées du sceau de l'équité.

C'est, en effet, un souci d'équité entre les entreprises et les ménages qui conduit, sur les 3,7 milliards d'euros de recettes nouvelles prévues, à en mettre 2,5 à la charge des entreprises. Il était indispensable d'annualiser le calcul des allègements généraux de charges, comme le président Méhaignerie et moi-même le proposions depuis des mois.

Le même souci d'équité se retrouve dans la répartition des efforts entre les ménages : ce sont les plus aisés qui seront mis à contribution, avec l'instauration d'une cotisation supplémentaire de 1 % sur les revenus des ménages entrant dans la tranche marginale supérieure de l'impôt sur le revenu, avec des contributions portant sur les revenus du patrimoine, y compris les plus-values, les stock options et les retraites chapeaux.

Comment ces ressources nouvelles seront-elles mises en oeuvre ? Elles seront bien sûr traitées dans le cadre des lois de finances et de financement de la sécurité sociale. C'est très important, car il faut éviter tout bricolage financier, à l'image de la création du Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) visant à masquer le coût des 35 heures, qui a eu pour conséquence de faire perdre de vue l'universalité des recettes fiscales ou sociales. Un traitement de l'ensemble des recettes dans un même texte est d'ailleurs particulièrement souhaitable dans une période où la réduction des déficits publics est plus nécessaire que jamais.

Quant à la contribution supplémentaire demandée aux personnes disposant des plus hauts revenus, se traduira-t-elle par un relèvement d'un point du taux de la tranche maximale de l'impôt sur le revenu, ou par la création d'une contribution spéciale ? Quelle que soit la solution retenue, il importe que le plafonnement du quotient familial s'applique si c'est la deuxième option qui est retenue.

Enfin, je tiens à souligner le caractère équitable de l'alignement des taux de cotisation entre le secteur public et le secteur privé. C'était l'un des aspects essentiels des divergences entre les deux secteurs, car comme l'a dit le ministre, le niveau des revenus et celui des pensions sont proches. Il est courageux de la part du Gouvernement d'aligner progressivement le taux applicable aujourd'hui au secteur public, soit 7,85 %, sur le taux du secteur privé, soit 10,55 %.

PermalienPhoto de Patrick Roy

Je dois dire que j'éprouve à la fois un sentiment de déception et de colère. En aucun cas, je ne vois aucune réforme de société dans la présentation de ce matin. Pourtant, depuis plusieurs mois, la commission des affaires sociales procède à l'audition de nombreuses personnalités. Je leur pose la même question, celle du niveau des pensions de retraite, et tout particulièrement des petites retraites. En outre, dans ma commune ou ma circonscription, je suis régulièrement interpellé sur la situation des retraités très pauvres, à la limite de la survie, qui connaissent les pires difficultés pour satisfaire des besoins de base. Et ces personnes me disent qu'elles comptent sur moi !

La réponse que présente ce matin le Gouvernement semble écarter ces préoccupations de millions de personnes d'un revers de main. Mais, qu'allons-nous dire demain à ces personnes ? Que ces situations de misère perdureront ? Ou alors, de véritables mesures, réelles et concrètes, sont-elles encore attendues pour que ces personnes puissent, tout simplement manger ?

PermalienPhoto de Marie-Christine Dalloz

Cette réforme, placée sous le signe de l'équité, de la justice et de la solidarité, est le produit d'un excellent travail et d'une véritable détermination. Naturellement, je la soutiendrai, tant elle est nécessaire.

Les négociations interprofessionnelles sur la question de la pénibilité, à la suite de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, n'ont pas abouti. Seule a été dégagée une définition de la pénibilité commune aux différents partenaires sociaux. Aujourd'hui, la prise en compte de la pénibilité par la présente réforme constitue donc un élément clé, et ce d'un double point de vue, même si cela fait sourire l'opposition.

D'une part, sur le plan préventif, la mise en oeuvre d'un carnet de santé individuel est essentielle. Elle permettra, en effet, de déterminer, selon l'exposition aux risques du salarié et la durée de cette exposition, si une réorientation professionnelle est nécessaire. Une telle pratique existe déjà dans certains cas, mais il est important de la systématiser en l'inscrivant dans la loi. S'agissant de la prévention, quelles sont les intentions du Gouvernement en matière de réforme de la médecine du travail, réforme que nous appelons de nos voeux ?

D'autre part, sur le plan curatif, il me semble inexact de prétendre, comme l'a fait Jean-Marc Ayrault, que le Gouvernement répond à la pénibilité par l'invalidité : en effet, le Gouvernement a évoqué un taux d'incapacité physique de l'ordre de 20 %, loin du taux de 80 % de l'invalidité.

PermalienPhoto de Alain Vidalies

Mais ce n'est pas le même barème qui est appliqué à ces différentes situations !

PermalienPhoto de Marie-Christine Dalloz

Je souligne enfin que, s'agissant de la question du financement, il reposerait sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles, donc par des cotisations patronales seules.

PermalienPhoto de Georges Colombier

Je voudrai remercier sincèrement le Gouvernement, car la réforme proposée révèle une réelle prise de responsabilité, loin de toute démagogie.

C'est une bonne chose que le même effort ne soit pas demandé à tous les salariés, grâce à la prise en compte des longues carrières ou de la pénibilité. S'agissant tout particulièrement des carrières longues, l'extension du dispositif, créé en 2003, à tous ceux qui ont commencé à travailler à 17 ans – mesure susceptible de favoriser les départs à la retraite à 60, voire 58 ans – ne peut qu'être saluée.

De même, on ne peut que se féliciter, après l'échec des négociations interprofessionnelles sur ce sujet, du maintien de l'âge de départ à la retraite à 60 ans en cas de travaux pénibles, ainsi que des mesures de prévention qui ont été annoncées. Ces différents dispositifs pourront, du reste, encore être améliorés, le cas échéant.

PermalienPhoto de Michel Heinrich

À mon tour, je voudrais remercier le ministre pour la qualité de sa présentation et la réforme équilibrée et très complète qu'il nous présente : cette réforme est bien nécessaire, si l'on se réfère aux nombreuses auditions que la commission des affaires sociales a conduites. Nous attendions de telles mesures d'âge ou de taxation des plus hauts revenus, de même que les dispositifs sur la pénibilité, les carrières longues, la situation des jeunes, des femmes ou des agriculteurs, ainsi que sur l'emploi des seniors.

La convergence entre secteur privé et secteur public est également nécessaire, et les mesures proposées semblent efficaces et raisonnables. Je comprends pour ma part, compte tenu des explications qui ont été apportées, que l'on n'ait pas touché à la règle des six mois. Mais, pour quelles raisons le régime des pensions de réversion n'est-t-il pas modifié ?

Par ailleurs, en 2003, avait été réalisé un alignement des régimes des commerçants et des artisans sur le régime général : un tel alignement est-il, aujourd'hui, envisageable pour les professions libérales ?

Une dernière question : vous n'avez pas évoqué la question de la capitalisation et d'un éventuel développement des plans d'épargne retraite : ne prévoyez-vous aucune incitation en faveur de ces mécanismes, qu'ils soient établis à titre individuel ou collectif ?

PermalienPhoto de Michèle Delaunay

Comme médecin, je suis naturellement particulièrement sensible aux questions de santé et de prévention de la pénibilité au travail. Il me semble que le travail doit donner de la force aux gens tout au long de la vie, et non les casser et les user. Mais l'audition, ce matin, du président du Haut conseil de la santé publique, a confirmé le médiocre état de notre système de santé publique et de prévention. Si la réforme que vous nous proposez veut véritablement être une réforme de société, il faut coupler des mesures d'âge et des mesures améliorant notre système de prévention. C'est d'ailleurs ce qu'est parvenu à faire le gouvernement finlandais, d'où une bonne acceptation de la réforme des retraites qu'il a ensuite mise en oeuvre.

Dans la réforme que vous nous présentez ce matin, il semble qu'il y ait une confusion volontaire entre pénibilité et invalidité, alors que ce sont deux notions bien distinctes. La pénibilité correspond à la prise de conscience d'un risque, qu'il faut prévenir. Quant à l'invalidité, elle relève de la constatation des dégâts, si l'on peut dire. Or, vous proposez de mesurer la pénibilité à l'aune de l'invalidité.

Au contraire, constater qu'un métier donné expose plus qu'un autre à certains dangers devrait conduire à un aménagement du temps de travail du salarié concerné, aménagement qui peut aller jusqu'à une réorganisation de la répartition du temps travaillé tout au long de sa vie. Ce que vous proposez, encore une fois, c'est exactement le contraire : cette mesure est extrêmement choquante.

Contrairement à ce qui a été soutenu, je rappelle que le taux d'invalidité n'est pas nécessairement de 85 % : il peut être moindre et donner lieu néanmoins, heureusement, à compensation financière.

PermalienPhoto de Jacques Domergue

Cette réforme est placée sous le sceau de l'équité – chacun participe à l'effort demandé – et elle sera donc appréciée par nos compatriotes.

S'agissant de la pénibilité, je souligne qu'il sera difficile de la mesurer si les paramètres utilisés sont subjectifs. Il me semble que le principal critère doit être l'espérance de vie. Si on s'éloigne trop de ce critère, l'évaluation sera très compliquée.

PermalienPhoto de Régis Juanico

La présente réforme ne comporte pas de volet sur la pénibilité, mais tout au plus un volet sur l'incapacité ou l'invalidité. En somme, vous avez berné les partenaires sociaux, à l'exception du MEDEF, puisque vous reprenez intégralement ses propositions. Bref, vous avez trahi vos engagements de 2003. En tout état de cause, seulement 10 000 salariés chaque année seraient éventuellement concernés par le dispositif que vous proposez. En outre, les mesures de prévention seraient quasi-inexistantes : quelle sera l'utilité du carnet de santé individuel, dès lors qu'il n'y a aucun lien entre la pénibilité pendant la carrière et le départ à la retraite ? Par ailleurs, rien dans vos propositions sur la formation, rien sur le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, rien sur la médecine du travail !

Il y a, en outre, confusion entre la pénibilité au travail, qui mesure les traces durables sur la santé qui ont un impact sur l'espérance de vie, et l'invalidité. Vous auriez proposé un barème retraçant les différences d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles, on aurait eu un vrai débat. Ce n'est pas le cas. C'est également le flou sur l'instance qui sera chargée de juger de l'état d'un salarié et sur la composition de celle-ci. Même la fixation des âges de départ à la retraite relève de la supercherie : les personnes ayant été exposées à des situations de pénibilité se voient reconnu le droit de partir à 60 ans dès aujourd'hui… à l'heure où l'âge légal de départ à la retraite est encore de 60 ans !

Est-il besoin d'ajouter que la mesure proposée sera financée par la branche accidents du travail et maladies professionnelles, autrement dit des financements déjà existants ? Des économies seront faites au détriment de la santé des salariés !

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

On ne peut quand même oublier que l'extension du dispositif des carrières longues et le dispositif sur la prise en compte de la pénibilité concerneront de 60 000 à 100 000 personnes chaque année !

PermalienPhoto de Roland Muzeau

La loi de 2003 sur les retraites avait prévu des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité. Le MEDEF a fait traîner trois ans ces négociations, jusqu'à provoquer leur échec : on comprend, à la lumière de la réforme qui nous est présentée ce matin, les raisons pour lesquelles le Gouvernement n'a pas souhaité légiférer après l'échec de ces négociations…

Nous savons tous que l'espérance de vie des ouvriers est de 7 ans inférieure à celle des autres salariés. Si l'on avait pris en compte cet élément, on aurait prévu des possibilités de départ anticipé 7 années avant 62 ans, autrement dit dès 55 ans. Or, le Gouvernement nous parle de départs à 60 ans en cas de carrière longue ou d'activités pénibles, ce qui correspond exactement à l'âge légal de départ à la retraite aujourd'hui !

Quant à l'estimation précitée de 10 000 personnes concernées chaque année par la prise en compte de la pénibilité, elle n'est pas sérieuse au regard des centaines de milliers de salariés effectuant, chaque année, des activités pénibles, que ce soit du fait de leur métier ou à titre individuel. Vous arrivez aux chiffres de 10 000, car c'est finalement les critères de l'invalidité que vous reprenez. C'est un scandale.

Quant aux méfaits de l'amiante, des produits toxiques, ou encore aux cancers professionnels, ceux-ci ne sont tout simplement pas pris en compte par la réforme, ce qui est affligeant.

Enfin, pour ce qui est des soi-disant mesures d'équité entre secteur privé et secteur public, il faut appeler un chat un chat : l'augmentation des cotisations dans la fonction publique provoquera une diminution de 3 % des salaires ; ça, c'est du concret !

PermalienPhoto de Alain Vidalies

Je note avec amusement que votre discours est le « remake » de la déclaration de M. François Fillon en 2003, que ce soit vos chiffres issus des prévisions du Conseil d'orientation des retraites ou votre rhétorique sur la démographie. C'est incroyable.

Par ailleurs, Monsieur le ministre, quelles sont vos prévisions de croissance ? La réforme que présente ce matin le Gouvernement s'appuie sur un taux de croissance prévisionnel de 1,7 %. Vous avez raison d'être raisonnable sur ce point. Or, dans le même temps, vous annoncez un taux espéré de 2,4 % devant les institutions bruxelloises. Je m'étonne que vos prévisions changent en l'espace de 24 heures. Les chiffres sont-ils à géométrie variable, destinés à faire avaler les pilules de la réforme des retraites aux partenaires sociaux ?

Permettez-moi de noter que le détail des mesures relatives à l'élargissement du dispositif carrières longues qui figure dans votre document, est particulièrement incompréhensible. La description du dispositif est sibylline et les exemples que vous choisissiez sont évidemment les plus favorables au Gouvernement. Vous le savez, depuis 2009, un salarié qui souhaite partir à la retraite en bénéficiant du dispositif carrières longues doit avoir cotisé pendant au moins 43 ans. Or, le document indique que rien ne sera modifié, hormis l'application de l'allongement de la durée tel qu'il est prévu pour tout le monde. Dès lors, on se demande si, en additionnant toutes ces durées, cela n'amène pas à constater qu'il faudra 44 ans d'activité pour bénéficier du dispositif. Est-ce ou non un hasard si le dénommé Michel, dans l'exemple que vous donnez, a cotisé pendant 44 ans avant de partir à la retraite ?

Enfin, sur quels calculs vous appuyez-vous pour estimer à 10 000 le nombre des futurs bénéficiaires de votre dispositif de compensation de la pénibilité ?

PermalienPhoto de Guy Malherbe

Je rappelle à mes collègues que la pénibilité n'a pas à être résolue par un projet de loi relatif à la réforme des retraites, mais par des accords interprofessionnels et par une réforme de la médecine du travail, comme l'a déclaré la présidente de la Caisse nationale d'assurance vieillesse devant la commission.

Monsieur le ministre, je souhaiterais pour ma part savoir pourquoi vous n'avez pas retenu notre proposition de création d'une caisse de retraites des fonctionnaires.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Lors des 25 auditions effectuées par la commission, les positions étaient diverses : certains craignaient que les entreprises n'aient plus de politique de prévention et certains secteurs, en particulier dans l'artisanat, craignaient de se voir labellisés « métiers pénibles ». Il vaut donc mieux traiter le problème de la pénibilité par le dispositif carrières longues.

PermalienPhoto de Christian Paul

Monsieur le ministre, savez-vous quelle est aujourd'hui la catégorie socioprofessionnelle la plus nombreuse dans notre pays ?

PermalienÉric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Je ne vois pas où vous voulez en venir.

PermalienPhoto de Christian Paul

Ce sont les ouvriers. C'est éclairant que vous ne connaissiez pas la réponse. Savez-vous combien sont-ils ?

PermalienÉric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Je crois que l'on va s'arrêter là. Nous ne sommes pas à l'école ! Si vous avez une argumentation, développez la !

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Je suis très surpris de votre attitude. Il a fallu attendre 2003 pour qu'un dispositif carrières longues soit mis en place.

PermalienPhoto de Christian Paul

Qui a instauré la retraite à 60 ans ? C'est la gauche. Qui la rétablira ? C'est la gauche.

PermalienÉric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Mais non, monsieur Paul. Vous le savez bien. Vous n'êtes jamais revenus sur une réforme, parce ce que vous n'avez jamais eu le courage d'en faire une vous-même. Alors, cessez cette pantomime !

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Nous ne sommes pas responsables des regrets que vous éprouvez de ne pas avoir apporté de réponse à ces ouvriers.

PermalienPhoto de Christian Paul

Ces sept millions d'ouvriers sont les oubliés, je dirais même plus, les sacrifiés de votre réforme. Vous faites le choix hasardeux d'une prise en compte individualisée de la pénibilité, s'appuyant sur un examen médical en fin de parcours professionnel et se confondant en réalité avec la constatation d'une invalidité, alors que seule une réponse collective, branche par branche, aurait été pertinente.

De plus, comment pouvez-vous imaginer que seules 10 000 personnes bénéficieront de l'élargissement de ce dispositif, alors que sont potentiellement concernés tous les salariés en travail posté, les travailleurs du bâtiment, des transports, ou encore ceux qui travaillent de nuit ?

Comme l'ont souligné à juste titre Martine Billard et Alain Vidalies, l'ajustement du dispositif carrières longues est une goutte d'eau dans la mer et des centaines de milliers d'ouvriers devront travailler plus longtemps.

Concernant le financement des retraites, vous ne faites que reculer pour mieux sauter. Vous auriez pu prévoir une taxation plus importante des revenus financiers. Vous ne l'avez pas fait. Et le reste de vos mesures est purement cosmétique. Comment pouvez-vous vous contenter de la suppression de la franchise de 1 000 euros pour les retraites chapeaux, alors même que certaines peuvent atteindre des centaines de milliers d'euros ? Cette réforme est révoltante et c'est une véritable imposture.

PermalienPhoto de Catherine Coutelle

La réforme de 1993, les analyses du Conseil d'orientation des retraites en attestent, ont été défavorables aux bas salaires et aux carrières courtes. Or, je ne vois rien dans votre projet concernant le rattrapage du montant des petites retraites, notamment celles des femmes, qui touchent en moyenne 825 euros par mois. Ce n'est pas la prise en compte des indemnités journalières versées aux femmes en congé de maternité qui va régler ce problème. De plus, même si des mesures sont prises pour améliorer la carrière des femmes, cela n'aura d'effets que pour celles qui partiront en 2040. Que fait-on pour les femmes d'aujourd'hui, qui devront attendre 65 ans, puis 67, pour partir à taux plein ?

PermalienPhoto de Michel Issindou

Je regrette que vous traitiez avec mépris et arrogance nos propositions ou que vous nous reprochiez même de ne pas en avoir. Nous en avons et je vous invite à les consulter sur le site du parti socialiste.

Sur le sujet de la pénibilité, vous ne faites rien et vos propositions sont un abus. 10 000 personnes bénéficiaires, c'est ridicule !

Enfin, Mme Karniewicz elle-même en convient, le Gouvernement n'assure à nos concitoyens aucune visibilité financière après 2018. En un mot, c'est un petit projet sur un grand sujet que vous nous présentez aujourd'hui.

Je profite d'ailleurs de cette audition pour réitérer la demande de publicité des travaux de notre commission en juillet.

PermalienÉric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

La vérité est que le parti socialiste n'a jamais prévu de réforme des retraites. Certes, vous avez créé le Fonds de réserve pour les retraites, mais vous n'avez jamais engagé la réforme qui devait l'accompagner.

Je répondrai à M. Ayrault sur un point précis : oui, s'il y avait plus de croissance et plus d'emplois, la situation serait plus confortable.

Monsieur Issindou, je ne caricature pas le projet du parti socialiste, c'est lui qui est caricatural. Il évite les problèmes de fonds : vous ne proposez aucune réforme des retraites à proprement parler. Concernant la pénibilité, je vous rappelle que nous sommes les premiers à l'intégrer dans le dispositif des retraites, alors que vous auriez pu le faire entre 1997 et 2002. Nous, nous le faisons. Nous aurons d'autres textes sur le sujet des conditions de travail, le projet de loi sur les retraites ne peut pas résoudre tous les problèmes.

Monsieur Carrez, s'agissant de l'augmentation de 40 à 41 % du taux de taxation sur la dernière tranche d'imposition sur le revenu, il s'agit bien d'un prélèvement familialisé, avec application du quotient familial.

Monsieur Heinrich, concernant les professions libérales, celles-ci ont un régime par point auquel elles tiennent et nous avons décidé de ne pas le toucher.

Par ailleurs, nous avons fait le choix de ne pas réformer les dispositifs d'épargne retraite, parce que nous avons décidé de nous concentrer sur le régime par répartition.

Madame Delaunay, vous citez le modèle finlandais en exemple. J'en suis d'accord. Mais, il faut dans ce cas prendre le modèle dans sa totalité. Or, les finlandais partent à la retraite à 62 ans.

Pour conclure, les propositions du Gouvernement relatives à la prise en compte de la pénibilité sont non seulement précises, elles sont également novatrices.

PermalienGeorges Tron, secrétaire d'état chargé de la fonction publique

Monsieur Muzeau, l'harmonisation des taux de cotisation entre secteur public et secteur privé est une mesure d'équité. Son application progressive sur dix ans correspond à une augmentation moyenne de 6 euros par mois des cotisations. C'est donc très limité. Nous avons par ailleurs engagé une discussion avec les partenaires sociaux sur la revalorisation salariale des fonctionnaires. De plus, concernant la réforme du minimum garanti dans la fonction publique, nous avons, afin de respecter l'engagement de ne pas baisser les pensions, maintenu un écart de 200 euros en moyenne entre le montant des pensions minimales entre le public et le privé. Par ailleurs, concernant la pénibilité dans la fonction publique, nous n'avons pas remis en cause la notion de catégorie active.

Quant au problème des pensions de réversion posé par M. Heinrich, le système en vigueur dans le privé distingue le régime de base et le régime complémentaire, auxquels s'appliquent des règles de conditions de ressources différentes. Il aurait été techniquement difficile de l'appliquer à la fonction publique dont le système est intégré.

Enfin, en réponse à Guy Malherbe, j'indiquerai que la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires n'aurait pas permis de progrès significatif en termes de transparence par rapport au compte d'affectation spéciale existant aujourd'hui. Par ailleurs, cela aurait impliqué la mise en place d'une entité autonome, dotée de la personnalité morale et disposant d'un conseil d'administration. Or, les organisations syndicales ne tiennent pas à être associées à la définition de la politique de retraites de la fonction publique. C'est pourquoi, nous n'avons pas jugé opportun de modifier le système existant.

La séance est levée à treize heures quarante-cinq.