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Intervention de Éric Woerth

Réunion du 16 juin 2010 à 11h00
Commission des affaires sociales

Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique :

Je vous remercie, monsieur le Président, de nous avoir invités, le secrétaire d'État chargé de la fonction publique, Georges Tron, et moi-même, à venir présenter, à chaud, devant votre Commission la réforme qu'entend mettre en oeuvre le Gouvernement.

Cette réforme, voulue par le Président de la République, est une réforme majeure, nul ne peut le contester. Ce n'est pas une réforme paramétrique, comme on le dit parfois de manière un peu technocratique, ce n'est pas une réforme comptable, c'est une vraie réforme de société. L'enjeu, c'est la question de l'âge au travail, de la vision que l'on peut avoir du travail dans notre société. À l'évidence, parler de retraite, c'est d'abord parler d'âge.

La question des retraites, c'est donc la question de l'allongement de la durée de la vie, qui est d'abord une chance pour nous tous. C'est aussi la question de la solidarité entre générations et à l'intérieur de chacune d'elles. C'est la question de l'équité entre les salariés du public et ceux du privé. Et c'est, encore une fois, surtout la question du sens et de la place du travail dans notre société.

À toutes ces questions, nous avons voulu répondre en regardant la réalité en face, sans la contourner. Comme nul ne l'ignore dans cette salle, notre système de retraite est aujourd'hui financé à crédit. Si nous ne prenons pas nos responsabilités, la situation va s'aggraver d'année en année, comme l'a montré le Conseil d'orientation des retraites de manière implacable, et nous mener collectivement dans une impasse, c'est-à-dire dans l'incapacité de payer les pensions de retraite.

La réforme que nous vous présentons aujourd'hui est à la fois responsable, juste et réellement équilibrée.

Elle est responsable. Pour mettre fin au déficit de nos régimes de retraite, il n'y a pas d'autre solution que de travailler plus longtemps. Tous nos partenaires en Europe, qu'ils soient dirigés par la droite ou la gauche, ont reconnu cette évidence.

Elle est juste, parce qu'elle refuse de baisser les retraites de nos concitoyens, contrairement à ce qu'ont pu faire certains autres pays européens, pourtant parfois cités en exemple. Et elle est juste aussi, parce qu'elle reconnaît que si tout le monde doit faire un effort, tout le monde ne doit pas faire le même effort. Je crois à l'équité, je ne crois pas à l'uniformité.

Au fond, c'est une réforme qui rétablit la confiance : elle ramène notre système de retraite à l'équilibre et, ce, dès 2018. Elle le rend aussi plus solidaire et plus juste.

Nous apportons une réponse principalement démographique à un problème principalement démographique.

L'augmentation de la durée d'activité sera, en effet, le coeur de notre réforme des retraites. Je rappelle que l'augmentation de la durée de cotisation prévue par les réformes de 1993 et 2003 a réduit de moitié le besoin de financement de nos régimes. Cette augmentation de la durée de cotisation sera poursuivie et portée à 41 ans et un trimestre à partir de la génération 1953, qui aura 60 ans en 2013. En 2020, selon les estimations de l'INSEE sur l'évolution de l'espérance de vie, cette durée de cotisation devrait être de 41,5 ans. Il n'est donc pas utile, sur ce sujet, d'agiter les peurs des Français avec des chiffres bien supérieurs.

Cette augmentation de la durée de cotisation est indispensable. Toutefois, elle ne permet pas d'inciter les Français à travailler suffisamment longtemps pour rééquilibrer notre système de retraite. Pour y parvenir, l'âge légal de départ à la retraite sera donc porté à 62 ans en 2018, contre 60 ans aujourd'hui.

Cette augmentation sera progressive pour ne pas bouleverser les projets de vie des Français, notamment de ceux qui sont proches de la retraite :

– l'âge augmentera de 4 mois par an, à partir du 1er juillet 2011 ;

– cette augmentation se fera par année de naissance : ceux qui sont nés après le 1er juillet 1951, et qui devaient partir à la retraite à 60 ans l'année prochaine, devront travailler 4 mois de plus ; ceux qui sont nés en 1952 et devaient partir à 60 ans dans deux ans, 8 mois de plus, et ainsi de suite.

Cette augmentation de l'âge légal est générale, elle concerne tous les Français, dans la fonction publique, dans le privé et dans les régimes spéciaux. Simplement pour les régimes spéciaux, nous tenons compte du calendrier de montée en charge de la réforme de 2008 : le relèvement de l'âge de la retraite débutera au 1er janvier 2017. Il augmentera ensuite au même rythme que dans les régimes du secteur privé et de la fonction publique.

Parallèlement à l'augmentation de l'âge légal, l'âge du « taux plein », c'est-à-dire l'âge à partir duquel la décote s'annule, aujourd'hui fixé à 65 ans, sera augmenté au même rythme, avec la même progressivité et dans les mêmes proportions, c'est-à-dire jusqu'à 67 ans.

Bien évidemment, les Français qui ont commencé à travailler avant les autres – c'est un sujet majeur – partiront avant les autres : pour un certain nombre de personnes, il sera donc possible de continuer à partir à la retraite à 60 ans ou avant. Qui sont-elles ? D'abord, celles qui ont commencé à travailler avant 18 ans. C'est une nouveauté. Dans le dispositif carrières longues que notre majorité a créé en 2003, seuls étaient concernés ceux qui avaient commencé à 14, 15 ou 16 ans. Nous l'étendons à ceux qui ont commencé à 17 ans. Ils pourront donc partir à la retraite à 60 ans. Nous réajustons la réforme de 2003 en accordant des droits supplémentaires aux Français.

De même, nous créons un droit nouveau pour les salariés dont l'état de santé est altéré à la suite d'expositions à des facteurs de pénibilité. Il s'agit d'une avancée sociale absolument majeure. Les assurés, qui ont été exposés à des contraintes physiques importantes dans leur métier ou leurs fonctions, bénéficieront d'un double avantage :

– ils pourront continuer à partir à 60 ans, alors que l'âge de départ à la retraite sera porté à 62 ans : pour eux, l'âge de la retraite ne sera pas augmenté ;

– cette retraite sera attribuée à taux plein : ils ne subiront donc pas la décote, même s'ils n'ont pas tous leurs trimestres.

Cette mesure bénéficiera, après montée en charge, à environ 10 000 personnes par an. Au total, en ajoutant le dispositif des carrières longues, ce sont 60 000 personnes en 2011, et 100 000 en 2015, qui, ayant eu une vie professionnelle plus dure que les autres, parce qu'ils l'ont commencée plus tôt ou parce qu'ils ont subi une pénibilité physique particulière, pourront partir à la retraite avant les autres.

Enfin, en décalant l'horizon de la retraite, l'augmentation de l'âge légal va permettre d'améliorer le taux d'emploi des seniors. Ceux-ci restent trop souvent dans notre pays une variable d'ajustement inacceptable sur le marché de l'emploi. À 55 ans pourtant, on a encore beaucoup à apporter à une entreprise, à ses collègues de travail, aux jeunes salariés, tout le monde le sait.

Le Gouvernement s'est mobilisé, depuis 2007, pour améliorer ce taux d'emploi, qui se situe dans la moyenne européenne pour les seniors jusqu'à l'âge de 60 ans, mais qui plonge ensuite, notamment en raison de l'âge légal fixé pour le départ à la retraite. Nous allons encore plus loin dans le cadre de notre réforme, notamment en créant une aide à l'embauche d'un an pour les entreprises qui recrutent des chômeurs de plus de 55 ans et en officialisant un dispositif de tutorat au profit des seniors.

Nous renforçons également l'équité et la solidarité de notre système de retraites.

Tout d'abord en complément des mesures d'âge, nous proposons de prélever près de 4 milliards d'euros de recettes nouvelles, principalement sur les hauts revenus et les revenus du capital.

Plusieurs mesures concerneront spécifiquement les hauts revenus :

– la tranche d'impôt la plus élevée de l'impôt sur le revenu sera augmentée d'un point (41 % au lieu de 40 % aujourd'hui), pour un rendement de 230 millions d'euros en 2011 ;

– les stocks-options et les retraites chapeaux seront davantage taxées, pour un rendement global de 180 millions d'euros en 2011 et de 340 millions d'euros en 2020.

Les revenus du capital seront également mis à contribution, pour environ 1 milliard d'euros en 2011 :

– les prélèvements forfaitaires sur les revenus du patrimoine seront augmentés d'un point, pour un rendement de 265 millions d'euros en 2011 ;

– les dividendes perçus par les actionnaires seront davantage taxés au titre de l'impôt sur le revenu. Cette mesure permettra d'augmenter les recettes du système de retraite de 645 millions d'euros dès 2011 ;

– enfin, les plus-values de cession d'actions et d'obligations seront désormais taxées à l'impôt sur le revenu, quel que soit le montant des cessions réalisées. On supprime donc la franchise. Cette mesure rapportera 180 millions d'euros en 2011.

Comme le Gouvernement s'y était aussi engagé, l'augmentation du taux de la dernière tranche de l'impôt sur le revenu et l'augmentation des prélèvements forfaitaires sur les revenus du patrimoine ne seront pas prises en compte dans le calcul du bouclier fiscal.

La dernière catégorie de mesures concerne les entreprises et les niches sociales. La mesure la plus importante concerne le calcul des allègements généraux de charges patronales, qui sera désormais fait sur une base annuelle, et non plus mensuelle. Cette mesure, qui représente une économie considérable de 2 milliards d'euros, restaurera l'équité entre les entreprises. Il n'est, en effet, pas normal que, pour un même salaire annuel, le niveau des allègements de charges varie selon que l'entreprise verse les salaires sur 12 mois ou sur 13 ou 14 mois. Il me semble que ce n'était absolument pas l'intention du législateur.

Au-delà de la question des recettes, nous avons, avec Georges Tron, beaucoup travaillé la question de la convergence entre les régimes publics et privés de retraite. Des mesures de rapprochement des règles entre public et privé sont également prévues. C'est une question d'équité : lorsqu'il existe des spécificités dans la fonction publique, il est normal de trouver des différences ; dans le cas inverse, non. Trois différences, qui ne sont pas justifiées par des spécificités de la fonction publique, seront ainsi supprimées :

– le taux de cotisation acquitté par les fonctionnaires sera aligné sur celui du secteur privé d'ici à 2020, donc sur une durée de 10 ans ; le taux de cotisation passera de 7,85 % à 10,55 %, qui est le taux de droit commun pour tous les salariés français ;

– le dispositif de départ anticipé sans condition d'âge pour les parents de trois enfants ayant 15 ans de service – au fond, un dispositif de préretraite – sera fermé à compter de 2012, dans le respect des droits acquis ;

– le minimum garanti sera désormais soumis à la même condition d'activité que dans le secteur privé, c'est-à-dire lorsque l'intéressé est au taux plein.

Enfin, les dispositifs de solidarité, qui font la force du système de retraite français, seront renforcés.

Les jeunes en situation précaire bénéficieront de 6 trimestres validés lorsqu'ils sont au chômage non indemnisé, contre 4 aujourd'hui.

Pour améliorer la retraite des femmes, le congé maternité ne fera plus baisser la retraite : les indemnités journalières perçues pendant ce congé seront prises en compte dans le calcul du salaire de référence à partir duquel est calculée la pension. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Enfin, notre projet de réforme contient deux mesures importantes à destination des agriculteurs : la première vise à leur faciliter l'octroi du minimum vieillesse (709 euros pour un célibataire) et éviter ainsi que certains d'entre eux n'aient des pensions de retraite extrêmement faibles, parfois de seulement 300 ou 400 euros par mois. Une seconde mesure permettra d'améliorer la situation des femmes exploitantes agricoles.

Mesdames et messieurs les députés, je vais naturellement répondre maintenant à vos questions. Comme je l'ai dit, notre objectif est de restaurer la confiance des Français dans leur système de retraite. Pour y parvenir, le retour à l'équilibre dès 2018 est un élément clé :

– les mesures d'âge permettront de réduire de près de 50 % le déficit en 2018, ce qui est considérable ;

– les économies supplémentaires réalisées dans la fonction publique rapporteront près de 4 milliards d'euros. Elles permettront de stabiliser la contribution de l'État à son niveau de 2008, soit 15,6 milliards d'euros ;

– les mesures de recettes s'élèveront à 3,7 milliards d'euros en 2011 et 4,4 milliards d'euros en 2018.

S'y ajoutera le surcroît de recettes obtenu en basculant des cotisations d'assurance chômage sur les cotisations de retraite à partir de 2015, pour un montant de 1 milliard d'euros en 2018. Ce transfert avait été évoqué en 2003, et a failli être mis en oeuvre il y a 2 ans, mais la crise ne l'a pas rendu possible. Ce basculement est cohérent avec les hypothèses de chômage du Conseil d'orientation des retraites. Il est très prudent, puisqu'il représente moins de 3 % du bouclage global de la réforme.

En outre, la réforme réglera également la question des déficits accumulés d'ici à 2018, date d'atteinte de l'équilibre.

L'intégralité des déficits accumulés par le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse jusqu'au retour à l'équilibre en 2018 seront repris au fur et à mesure par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) qui, pour ce faire, pourra compter sur les ressources du Fonds de réserve pour les retraites, qui a été construit pour cela.

La France est le seul pays au monde qui constitue des réserves quand il est en déficit ! Les déficits ont 20 ans d'avance, il est donc logique que nous mobilisions le fonds de réserve dès aujourd'hui.

Comme j'entends déjà les députés socialistes réagir, je me permets immédiatement de les rassurer : le fonds de réserve ne sera ni dissous ni utilisé pour financer je ne sais quel déficit. Il continuera à gérer ses actifs, désormais pour le compte de la CADES, et financera les déficits en matière de retraite. Encore une fois, il a précisément été créé pour financer les déficits, or ceux-ci apparaissent aujourd'hui avec 20 années d'avance.

Voilà, monsieur le Président, les quelques éléments précis que je tenais à porter à la connaissance de votre commission. Ce projet de réforme donnera évidemment lieu à un projet de loi qui vous sera soumis à partir de la mi-juillet, puisque, comme je l'ai annoncé ce matin, ce texte est encore ouvert à la discussion avec les organisations syndicales : Georges Tron et moi-même les recevront dès cet après-midi et demain. Le texte ne sera envoyé qu'à la fin de la semaine aux différentes instances, avant son examen par le Conseil d'État, par votre commission puis l'Assemblée nationale à partir du mois de septembre.

Je vous remercie.

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