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Séance en hémicycle du 5 avril 2011 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • cour de cassation
  • garde des sceaux
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  • magistrat
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La séance

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Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la garde à vue.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d'appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d'un temps attribué aux groupes de quinze heures.

Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe UMP, trois heures cinquante ; le groupe SRC, cinq heures quarante ; le groupe GDR, trois heures vingt ; et le groupe NC, deux heures dix. Les députés non inscrits disposent d'un temps de trente minutes.

En conséquence, chacune des interventions des députés, en dehors de celles du rapporteur et du président de la commission saisie au fond, sera décomptée sur le temps du groupe de l'orateur.

Les temps qui figurent sur le « jaune » ne sont en tout état de cause qu'indicatifs.

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous nous retrouvons pour examiner, en deuxième lecture, le projet de loi portant réforme de la garde à vue.

Vous connaissez parfaitement les tenants et les aboutissants de ce texte puisqu'un long débat nous a déjà réunis sur ce sujet en première lecture. Le Sénat vient de se prononcer en deuxième lecture, en suivant la position de l'Assemblée nationale sur la plupart des dispositions que celle-ci avait retenues.

Je rappelle que l'objectif du Gouvernement est de construire un nouvel équilibre, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, entre deux libertés et droits de valeur juridique égale.

Dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré qu' « il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; [...] au nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789, et la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ».

Ce nouvel équilibre, le Parlement l'a construit en tenant compte à la fois de la Constitution et des exigences de la Cour européenne de justice telles qu'elle a interprété la Convention de sauvegarde des droits de l'homme. La réforme intègre désormais intégralement les jurisprudences de la Cour de Strasbourg, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Toutefois, la représentation nationale a su insuffler à ce texte ses propres aspirations. Je pense au droit des victimes : celles-ci pourront être assistées par un avocat lors des confrontations avec la personne gardée à vue, que cette dernière soit ou non assistée par un conseil.

Vous vous êtes également attachés à mieux préserver la dignité de la personne gardée à vue : ainsi, elle pourra disposer, durant les auditions, des objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité.

Si les débats entre les deux assemblées ont permis de sensiblement améliorer le texte, le Sénat a, comme je le disais à l'instant, très peu modifié l'équilibre général qui a été trouvé à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale.

Je rappelle que ce texte définit la garde à vue : une personne ne peut être placée en garde à vue que si elle est soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement et si la mesure constitue l'unique moyen de parvenir à la réalisation d'un des six objectifs fixés par le projet de loi, notamment empêcher la modification des preuves, la concertation avec des complices ou d'éventuelles pressions sur les témoins.

Un autre point a fait l'objet de débats importants : celui du maintien de la compétence du procureur de la République dans le contrôle de la garde à la vue, finalement décidé par les deux chambres du Parlement. C'est un point essentiel.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Ce dispositif est conforme à la jurisprudence européenne, selon laquelle la personne gardée doit être présentée rapidement devant un juge. Dans une jurisprudence constante depuis au moins 1988, la Cour européenne des droits de l'homme a défini le moment à partir duquel le juge doit intervenir pour contrôler la garde à vue. Il n'y a pas de règle générale et l'appréciation se fait cas par cas. Toutefois, l'analyse de la jurisprudence montre que le délai d'intervention du juge n'est jamais inférieur à trois ou quatre jours. II en résulte – et la Cour le mentionne d'ailleurs dans trois arrêts – qu'à l'intérieur de ce délai, il appartient à chaque État d'organiser la garde à vue suivant son droit interne.

Le projet de loi, tel que voté par l'Assemblée nationale puis par le Sénat en première lecture, est conforme à cette exigence puisque la garde à vue sera contrôlée par un juge des libertés et de la détention dès la quarante-huitième heure. Pour le Gouvernement, en application de la Constitution et de la décision du Conseil constitutionnel, les membres du parquet peuvent parfaitement assurer un rôle dans ce premier délai de quarante-huit heures.

Je veux rappeler ici clairement notre position : les membres du parquet sont des magistrats. Ils appartiennent à l'autorité judiciaire. En cette qualité, ils sont notamment chargés de veiller au respect de la liberté individuelle et, à ce titre, de contrôler la garde à vue dans les quarante-huit premières heures.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Il appartient au procureur de la République de contrôler la mise en oeuvre de la garde à vue et son exécution, et de décider d'une éventuelle première prolongation. Au-delà de la quarante-huitième heure, c'est le juge des libertés et de la détention qui prend le contrôle de la garde à vue. Ce système offre à nos concitoyens une double garantie : une garantie conventionnelle tirée de la Convention européenne des droits de l'homme et une garantie constitutionnelle issue de l'article 66 de la Constitution.

Nous sommes un des rares pays à offrir cette double garantie. La Grande-Bretagne, que l'on cite souvent en exemple, ne l'offre pas puisque c'est l'officier de police qui mène et dirige la garde à vue, laquelle peut d'ailleurs durer beaucoup longtemps que dans notre pays.

En dehors de ce point fort, le texte comporte d'autres dispositions que je veux souligner.

Tout d'abord, le projet de loi prévoit un droit plus large pour la personne placée en garde à vue de faire prévenir des tiers de la mesure dont elle fait l'objet. Le droit de garder le silence est également un apport essentiel.

Mais la mesure la plus emblématique de ce nouveau texte est, à l'évidence, la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue.

Je reviendrai très rapidement sur deux points.

Tout d'abord, comme l'Assemblée nationale l'a vivement souhaité – et le Sénat a suivi sa position –, un délai d'attente a été introduit pour que l'avocat ait le temps d'arriver sur les lieux de la garde à vue. Vous avez beaucoup insisté sur ce point, monsieur le rapporteur. Vous avez même battu, de façon claire, le Gouvernement.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Mais il est des moments où il faut accepter d'être battu. C'est ce que le Gouvernement a fait. D'ailleurs, le Sénat a confirmé la position de l'Assemblée nationale. Le délai d'attente qui a été instauré permet de garantir l'effectivité de la réforme sur l'ensemble du territoire. L'audition de la personne gardée à vue ne pourra pas débuter avant l'expiration de ce délai, c'est-à-dire avant l'arrivée de l'avocat. Je veux souligner que celui-ci ne sera pas un avocat « taisant ». Il jouera un véritable rôle d'assistance et d'aide pour son client. Il pourra s'entretenir avec ce dernier, consulter le procès-verbal de notification et d'audition, l'assister durant l'audition. L'Assemblée nationale a utilement précisé les règles d'assistance de l'avocat par rapport au texte initial. Ainsi, l'avocat pourra poser des questions à la fin de chaque audition.

Vos débats ont aussi permis de préciser les motifs pouvant fonder des dérogations au droit à l'assistance d'un défenseur, celles-ci étant justifiées, selon les termes mêmes de la Cour de cassation, par des « raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ». La décision du procureur de la République sera lourde de sens puisque, en vertu de l'article 1er A que vous avez adopté, les déclarations recueillies hors la présence d'un avocat ne pourront fonder, seules, une condamnation.

En ce qui concerne les situations de conflits d'intérêts, l'Assemblée nationale a soulevé le problème des auditions simultanées de plusieurs personnes placées en garde à vue lorsque celles-ci ont le même avocat. Le texte adopté par le Sénat prévoit que le procureur de la République, d'office ou saisi par l'officier de police judiciaire, saisisse le bâtonnier afin que soient désignés plusieurs avocats.

Dans les cas de conflits d'intérêts entre plusieurs personnes mises en cause dans une même affaire, le Sénat a prévu que l'avocat dénonce le conflit d'intérêts qu'il serait amené à constater. En cas de divergence d'appréciation avec l'avocat, le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire peut saisir le bâtonnier afin que celui-ci désigne, le cas échéant, un autre défenseur.

Ces points apportés en complément au texte initial sont particulièrement importants. Ils donnent à l'équilibre construit par les deux chambres du Parlement une force et une assise particulières, qui seront nécessaires pour la réussite de la réforme.

L'équilibre auquel nous sommes parvenus préserve tant les droits de la défense que les besoins opérationnels des services d'enquête sur l'ensemble du territoire. Cet équilibre, je le souligne, a été très largement approuvé par l'Assemblée nationale puis par le Sénat en première lecture. Le texte qui vous est soumis aujourd'hui en deuxième lecture n'a été que très partiellement modifié par le Sénat. C'est la raison pour laquelle je partage tout à fait la position de votre commission des lois, qui vous propose de l'adopter en l'état. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

La parole est à M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous examinons donc à partir de ce soir, en deuxième lecture, le projet de loi relatif à la garde à vue.

Lors de l'examen du texte en première lecture, j'avais essayé de mettre en évidence les objectifs de la réforme de la garde à vue, ainsi qu'un certain nombre de contraintes qui pèsent sur elle. Les objectifs – je le rappelle brièvement – sont triples.

Il s'agit, d'abord, de mieux encadrer le placement en garde à vue, afin d'en faire baisser significativement le nombre. On constate, en effet, depuis quelques années, une envolée du nombre des gardes à vue. S'il y a eu un léger infléchissement en 2001 par rapport à 1999 – 340 000 gardes à vue en 2001 contre 436 000 en 1999 – leur nombre a atteint près de 800 000 en 2009, dont 175 000 pour des infractions routières. Je ne reviens pas sur les raisons conjuguées de cette augmentation.

Il s'agit, ensuite, de mieux garantir le respect des libertés individuelles, notamment des droits de la défense. C'est une exigence à la fois externe et interne, puisqu'elle a été rappelée tant par la Cour européenne des droits de l'homme que par le Conseil constitutionnel, au mois de juillet 2010, et par la Cour de cassation, dans un arrêt de sa chambre criminelle daté d'octobre 2010. Au-delà de cette exigence, c'est une ardente obligation.

Il s'agit, enfin, de préserver l'efficacité de nos services de police et de gendarmerie dans la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions. À ce propos, je souhaite redire aux forces de l'ordre toute la confiance de la représentation nationale : elles assument des missions essentielles, et il n'est pas question de gripper cette belle mécanique. Il est en effet du devoir de l'État de garantir à nos concitoyens ce droit élémentaire qu'est la sécurité. J'ajoute – je veux le rappeler avec force – que les droits essentiels des victimes doivent rester au coeur du dispositif.

Toutefois, de nombreuses contraintes, que j'avais longuement exposées dans mon rapport en première lecture et qui sont à la fois d'ordre juridique, humain, géographique, matériel et financier, pèsent sur la réforme de la garde à vue et la rendent particulièrement complexe. Dans cet hémicycle, j'avais conclu mon propos en indiquant qu'il appartenait au législateur de faire la bonne réforme de la garde à vue, celle qui tiendrait compte de l'ensemble des contraintes, tant juridiques que pratiques, et, surtout, qui permettrait d'assurer le meilleur équilibre entre l'amélioration des droits des personnes placées en garde à vue et la préservation de la sécurité de nos concitoyens. Il me semble qu'aujourd'hui, après l'examen du texte par le Sénat, nous pouvons considérer – modestement, mais honnêtement – que nous sommes sur la bonne voie pour réussir cette réforme de la garde à vue, et je vais vous en exposer brièvement les raisons.

Adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 25 janvier dernier, puis discuté au Sénat les 3 et 8 mars 2011, le projet de loi a été très largement approuvé par la Haute assemblée dans ses principales dispositions et orientations. Sur les vingt-sept articles que comptait le projet de loi adopté par notre assemblée, sept ont été adoptés conformes. Mais, et c'est un point essentiel sur lequel je souhaite insister, une très large convergence de vues s'est établie entre l'Assemblée et le Sénat, y compris sur les articles que celui-ci a adoptés en les modifiant. Le Sénat a su compléter et conforter ce que nous avions accompli en première lecture. À cet égard, je tiens à souligner la qualité du travail accompli par le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. François Zocchetto, et de la discussion parlementaire qui s'est déroulée au palais du Luxembourg.

Les débats ont en effet permis que soient apportées au projet de loi de nouvelles améliorations, fidèles à l'esprit qui avait animé notre assemblée lors de la discussion en première lecture, à savoir assurer la meilleure conciliation, le meilleur équilibre possible entre une amélioration des droits des personnes et la préservation de la sécurité de nos concitoyens.

Dans cette perspective, je souhaiterais brièvement présenter les accords intervenus entre les deux chambres, ainsi que les modifications apportées par le Sénat sur six aspects du projet de loi, sur lesquels j'avais indiqué en première lecture qu'ils devaient être améliorés et complétés.

Le premier aspect concerne la suppression de l'« audition libre », assortie d'un meilleur encadrement des auditions hors garde à vue. Notre assemblée avait supprimé, en première lecture, l'« audition libre » telle qu'elle figurait dans le projet de loi initial. Le Sénat a pleinement approuvé notre position, et je m'en réjouis. Toutefois, les deux assemblées ont estimé nécessaire d'assortir cette suppression de l'« audition libre » d'un meilleur encadrement des auditions réalisées hors garde à vue.

Tout d'abord, a été posé, à l'article 1er A, le principe de l'interdiction de fonder une condamnation, en matière délictuelle ou criminelle, sur les seules déclarations faites par une personne sans que celle-ci ait pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui, le Sénat ayant rendu ces deux dernières conditions cumulatives ; c'est ce que l'on a appelé l'auto-incrimination. À ce propos, j'indique dès à présent que la commission des lois a adopté un amendement de notre collègue Christian Estrosi qui réécrit cet article 1er A, sans toutefois y apporter des modifications de fond. En l'absence de toute différence autre que de forme entre le texte qu'avait adopté le Sénat et celui modifié par la commission des lois, je défendrai un amendement tendant à revenir au texte du Sénat.

Ensuite, un article 11 bis, introduit par notre assemblée et précisé par le Sénat, affirme le caractère non obligatoire de la garde à vue, même si les conditions en sont réunies, dans trois hypothèses : en cas d'arrestation, par une personne n'appartenant pas à la police ou à la gendarmerie, de l'auteur présumé d'un crime ou délit flagrant, après un placement en cellule de dégrisement et après un contrôle d'alcoolémie ou un dépistage de stupéfiants au volant.

Le deuxième aspect concerne le contrôle de la garde à vue par le procureur de la République. L'Assemblée nationale et le Sénat se sont accordés sur le fait de confier au procureur le contrôle de la garde à vue et son éventuelle prolongation dans les quarante-huit premières heures. Il faut, ici, préciser, et c'est un élément d'importance, que ce contrôle s'exerce sous réserve des prérogatives du JLD. Certains de nos collègues ont défendu en première lecture, et défendront encore lors de l'examen des articles, des amendements tendant à écarter le procureur de la République du contrôle de la garde à vue. J'y serai évidemment défavorable, car cette évolution serait inopportune en termes de politique pénale. En effet, nous ne devons pas mettre en danger la chaîne pénale. Il nous faut être particulièrement vigilants sur ce point ; les alertes lancées par les différents acteurs de la garde à vue ont été, je puis l'assurer, bien entendues. Par ailleurs, il n'existe aucun motif conventionnel ou constitutionnel qui nous imposerait une telle évolution.

Le troisième aspect concerne le droit renforcé à l'assistance d'un avocat. Le droit de la personne gardée à vue de bénéficier de l'assistance d'un avocat a été amélioré et conforté lors de la discussion parlementaire sur deux points importants. Tout d'abord, le Sénat, tout en approuvant la création d'un délai de carence dans son principe, a prévu que l'audition pourrait commencer avant l'expiration de ce délai si l'avocat se présente plus tôt ou si l'audition porte « uniquement sur les éléments d'identité ». Cela permettra de travailler dans de bonnes conditions.

Ensuite, la possibilité de déroger au droit à l'assistance d'un avocat a été précisée et encadrée sous deux aspects principaux. Premièrement, le Sénat a renforcé les garanties encadrant la faculté de reporter la présence de l'avocat aux auditions, en précisant que ces décisions ne pouvaient être prises qu'« à titre exceptionnel » et qu'elles devaient être motivées « au regard des éléments précis et circonstanciés résultant des faits de l'espèce ». Deuxièmement, le Sénat, tout en maintenant l'exigence de forme d'une décision écrite et motivée du procureur de la République pour déroger au délai de carence, en a assoupli les conditions de fond. La dérogation pourra ainsi être mise en oeuvre « lorsque les nécessités de l'enquête exigent une audition immédiate de la personne ». Un tel assouplissement vise à permettre aux forces de l'ordre de travailler de façon optimale.

Le quatrième aspect concerne les prérogatives et obligations de l'avocat, qui font l'objet d'un large débat. La discussion parlementaire a permis de définir de façon plus satisfaisante les conditions de l'intervention de l'avocat en garde à vue. Ainsi, le Sénat a instauré l'obligation pour un avocat appelé à assister plusieurs personnes gardées à vue dans une même affaire de dénoncer le conflit d'intérêts qu'il serait amené à constater. En cas de divergence d'appréciation sur ce point avec l'avocat, l'OPJ ou le procureur pourra saisir le bâtonnier, qui est au centre du dispositif, afin que celui-ci désigne un autre défenseur. Par ailleurs, pour les auditions simultanées de plusieurs personnes placées en garde à vue assistées par le même défenseur, le Sénat a maintenu la possibilité, introduite à l'Assemblée par un amendement de nos collègues Garraud et Goujon, pour le procureur de la République, d'office ou saisi par l'officier ou l'agent de police judiciaire, de saisir le bâtonnier afin que soient désignés plusieurs avocats. Ainsi amélioré, le dispositif me paraît satisfaisant.

Le cinquième aspect concerne les régimes dérogatoires, sur lesquels il n'était pas question de revenir. Il s'agit en effet de dispositifs indispensables qui ont fait preuve de leur efficacité, notamment en matière de terrorisme, tant et si bien, du reste, qu'un certain nombre de pays nous les envient. Il était donc important de les conforter, tout en les adaptant aux nécessités constitutionnelles et conventionnelles.

Avant-dernier point sur lequel je voudrais revenir : le régime applicable en matière de criminalité organisée. Là encore, le Sénat a approuvé le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, en n'y apportant qu'une seule modification. Celle-ci est néanmoins suffisamment importante pour que je m'y arrête quelques instants. Le Sénat estime en effet que la liste d'avocats habilités en matière de terrorisme doit être « établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur propositions des conseils de l'ordre de chaque barreau ». Je rappelle que le texte adopté par notre assemblée prévoyait, quant à lui, que les avocats inscrits sur cette liste devaient être élus. Sur ce point, nous avons donc une divergence avec la Haute assemblée. Il faudra absolument – j'y insiste – trouver un mode d'établissement de la liste d'avocats habilités qui garantisse que les avocats « douteux » ou « indélicats » – je prends mille précautions, ne voulant stigmatiser personne, pour reprendre un terme à la mode –,…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

…en tout cas les avocats susceptibles d'être liés à des mouvances terroristes, ne puissent pas y figurer. Je vous connais suffisamment, monsieur Hunault, pour savoir que vous ne défendez pas le point de vue des terroristes. Évitons donc les vaines polémiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

À mon sens, seule une élection pourra effectivement assurer ce résultat.

Sixième et dernier point, et non des moindres : l'assistance de la victime. Le projet de loi initial ne prévoyait aucun droit nouveau pour la victime, alors même que la personne gardée à vue pouvait bénéficier pendant toute la durée de la garde à vue de l'assistance d'un avocat. Il n'était pas envisageable, sur le plan de l'égalité des armes, qui est un point essentiel, qu'une victime puisse être confrontée à une personne gardée à vue assistée par un avocat, sans bénéficier elle-même d'une assistance. La victime ne doit pas être oubliée, c'est une évidence. Encore faut-il la rappeler avec force. À mon initiative, l'Assemblée avait donc introduit le droit pour la victime d'être assistée en cas de confrontation avec une personne gardée à vue. Le Sénat a également approuvé cette disposition.

Au final, le texte qui nous est aujourd'hui soumis me paraît équilibré et satisfaisant, puisqu'il reconnaît et améliore le respect des droits de la défense, tout en préservant les capacités des forces de l'ordre de travailler au mieux dans l'intérêt de la société et des victimes. Certes, certaines pratiques des barreaux et des forces de l'ordre devront évoluer, et ce sur l'ensemble du territoire de la République, afin que soit assurée l'égalité des citoyens. L'État devra également apporter les moyens matériels et financiers nécessaires. Cependant, je suis pleinement convaincu de la volonté de réussir de l'ensemble des acteurs de la garde à vue.

C'est la raison pour laquelle une adoption sans modification me paraît possible et souhaitable ; elle permettra, si la loi est promulguée dès le mois d'avril, de rendre les nouvelles règles applicables dès le 1er juin. Ce calendrier est, me semble-t-il, de nature à renforcer la sécurité juridique de la garde à vue. Il existe en effet un risque d'instabilité juridique provenant de la Cour de cassation – ce qui ne laisse pas d'étonner de la part de cette vénérable institution.

Ainsi, alors que le Conseil constitutionnel et la chambre criminelle de la Cour de cassation ont fixé au 1er juillet 2011 le délai ultime d'entrée en vigueur de la réforme, voilà qu'une épée de Damoclès apparaît sur la tête, non du législateur, mais plutôt des victimes – ce qu'il faudra bien expliquer un jour aux Français –, épée tenue par l'assemblée plénière de la haute juridiction. Ainsi, tandis que le Gouvernement et le Parlement font leur travail, d'autres s'emploient à changer les règles du jeu en cours de partie – peut-être le 15 avril, nous dit-on ! On fragiliserait ainsi plus de 40 000 gardes à vue, donc autant d'affaires judiciaires, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner sur l'ordre public et la sécurité de nos concitoyens.

Je veux avoir confiance en la justice de notre pays, en nos institutions, car je ne peux imaginer que nos concitoyens deviennent les otages de certaines prises de position incompréhensibles du grand public qui assiste, impuissant et médusé, à la course au mistigri à laquelle se livrent de vénérables institutions. Le pire n'est jamais certain, et je ne veux pas douter du sens des responsabilités qui anime nos hauts magistrats.

Mes chers collègues, permettez-moi pour conclure de renouveler mon invitation : adoptons ensemble ce texte conforme, afin de réaliser dès aujourd'hui la bonne réforme de la garde à vue, celle qu'il nous appartient de réaliser ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réforme de la garde à vue dont nous débattons ce soir aborde la dernière ligne droite d'un processus législatif fort contraint.

Le Conseil constitutionnel a, en effet, jugé que le régime de la garde à vue était contraire aux articles 9 – principe de sûreté – et 16 – garantie des droits – de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors qu'une personne placée en garde à vue ne bénéficie pas de « l'assistance effective » d'un avocat et ne reçoit pas de notification de son droit à garder le silence. La décision du Conseil constitutionnel, qui s'impose à nous, subordonne la mise en place d'exceptions à ce droit à l'avocat à la condition qu'elles soient justifiées par « des circonstances particulières susceptibles de les justifier pour rassembler ou conserver des preuves ou assurer la protection des personnes ». Des règles dérogatoires sont donc possibles, à condition d'en justifier la nécessité au cas par cas.

La Cour de cassation, faisant application de l'évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme amorcée depuis fin 2008, avec des arrêts concernant la Turquie, a jugé le régime de la garde à vue contraire à la Convention européenne des droits de l'homme : le fait pour la personne gardée à vue d'avoir « bénéficié de la présence d'un avocat mais non de son assistance dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense et de préparer avec lui les interrogatoires auxquels cet avocat n'a pu, en l'état de la législation française, participer », est contraire au droit à un procès équitable en vertu de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour de cassation a aussi fait application de la jurisprudence européenne pour définir les conditions dans lesquelles il pourrait valablement être dérogé au droit à l'assistance : seule « une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l'infraction » peut permettre de priver la personne de cette assistance. Une appréciation au cas par cas de la mise en oeuvre de dérogations est donc obligatoire. Le texte qui vous est présenté ce soir est conçu dans l'objectif de répondre à ces différents impératifs.

Je veux aujourd'hui porter le débat, non pas sur le fond, sur la grande évolution du droit français et le défi pour la profession d'avocat que va représenter la réforme de la garde à vue, mais sur les conditions de mise en oeuvre du texte par l'État. J'interviens rarement lors de la discussion générale d'un texte et si je le fais aujourd'hui, c'est parce que je veux, avec gravité et solennité, dire mon inquiétude et attirer l'attention de tous sur les changements importants que va entraîner cette réforme sur le fonctionnement des services de police et de gendarmerie et des services judiciaires, ainsi que sur le coût considérable de cette réforme pour les finances de l'État.

Je commencerai par l'impact sur le fonctionnement des services de police et de gendarmerie ainsi que sur les services judiciaires. Selon l'étude d'impact accompagnant le projet de loi, l'impact de la réforme serait nul en termes de ressources humaines sur les services d'enquête et les services judiciaires : une augmentation de la charge de travail des différents acteurs de la garde à vue est bien anticipée, mais l'étude estime que cette augmentation sera compensée par la réduction du nombre de gardes à vue – 800 000 en 2009, 700 000 en 2010, l'objectif affiché étant de 500 000.

Mes chers collègues, on peut s'interroger sur la crédibilité de cette évaluation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

D'abord, la baisse du nombre des gardes à vue ne fera pas baisser le nombre d'enquêtes ; simplement, un certain nombre d'auditions qui se déroulaient jusqu'ici en garde à vue se dérouleront désormais hors de ce cadre juridique, en raison des critères plus stricts qui encadreront le recours à la garde à vue, mais elles auront quand même lieu et devront être assurées par nos fonctionnaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Quant aux auditions qui se dérouleront dans le cadre de la garde à vue, les nouvelles règles vont inévitablement entraîner un alourdissement des formalités, donc un ralentissement des procédures et une charge de travail accrue. L'activité globale des services ne peut pas diminuer ; je crains même qu'elle n'augmente fortement du fait des nouvelles règles.

La consultation par l'avocat des PV de notification de la garde à vue et des auditions déjà réalisées obligera les enquêteurs à travailler différemment,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

…à isoler les documents, à les communiquer aux avocats et à leur laisser un temps raisonnable pour les consulter avant de pouvoir reprendre les auditions. Les questions que l'avocat pourra poser à la fin de chaque audition vont inévitablement allonger la durée de celle-ci, donc la durée d'établissement des PV d'audition.

Par ailleurs, la mise en oeuvre d'un régime dérogatoire, qui était jusqu'ici automatique dès lors que la qualification retenue relevait de la criminalité organisée, devra désormais faire l'objet d'une demande de l'officier de police judiciaire au procureur de la République et d'une présentation des motifs la justifiant, afin de permettre à celui-ci de prendre la décision écrite et motivée prévue par la loi.

Enfin, les règles de prolongation des gardes à vue vont être inversées : jusqu'ici, le code de procédure pénale prévoyait que la garde à vue pouvait être prolongée sur décision écrite du procureur, celui-ci pouvant « subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue » ; désormais, le principe est inversé : le texte prévoit que « l'autorisation ne peut être accordée qu'après présentation de la personne au procureur de la République » – qui pourra, certes, être réalisée par visioconférence – et ce n'est qu'« à titre exceptionnel » que l'autorisation de prolongation pourra être accordée sans présentation préalable.

Des équipes de policiers et de gendarmes seront donc mobilisées soit pour assurer le transfèrement des gardés à vue vers les palais de justice, soit pour faire fonctionner les équipements de visioconférence. Au vu du niveau d'équipement actuel des services de police et de gendarmerie en visioconférence, le cas le plus fréquent, au moins au début de la mise en oeuvre de la réforme, sera le transfèrement. Cette charge nouvelle concernera, selon l'étude d'impact, 100 000 mesures de garde à vue, ce qui correspond au nombre actuel de prolongations.

Pour ce qui est des services judiciaires, les 100 000 gardés à vue que devront transférer les services de police et de gendarmerie vers les palais de justice devront ensuite être entendus par les magistrats. Cela représente 100 000 audiences supplémentaires pour les magistrats et 100 000 décisions écrites et motivées si la prolongation est autorisée.

La mise en oeuvre des dispositions permettant de retarder l'intervention de l'avocat va nécessiter des permanences pénales renforcées, aussi bien dans les parquets que pour les juges des libertés et de la détention, et la prise de décisions écrites et motivées pour l'exercice de cette nouvelle compétence.

L'étude d'impact évaluait à 5 % les cas dans lesquels le report de l'intervention de l'avocat serait décidé ; cette évaluation qui paraît réaliste représenterait, pour chaque année, 25 000 décisions nouvelles d'un magistrat. Cependant, l'étude d'impact n'incluait pas les régimes dérogatoires applicables à la criminalité organisée qui, au moment du dépôt du projet de loi, n'étaient pas modifiés par le texte. En moyenne, sur les trois dernières années, les juridictions ont prononcé 24 000 condamnations pour des infractions relevant de la criminalité organisée. Si l'on suppose que le report de l'intervention de l'avocat sera réservé aux infractions les plus graves au sein de cette catégorie – en excluant, par exemple, les « petits » trafics de stupéfiants – et que l'on évalue à 50 % des gardes à vue les cas où l'intervention de l'avocat devra être reportée, on aboutit tout de même à quelque 10 000 décisions supplémentaires.

L'augmentation à venir de la charge de travail des enquêteurs et des magistrats ne fait aucun doute. S'y ajoute la question du coût de la réforme de la garde à vue, un coût induit par l'augmentation du budget de l'aide juridictionnelle, la modernisation des locaux de police et de gendarmerie et l'implantation d'équipements de visioconférence.

L'étude d'impact évalue à 80 millions d'euros le montant des crédits de l'aide juridictionnelle qui seront consacrés à l'intervention de l'avocat en garde à vue – je sais que M. le ministre s'emploie très efficacement à conclure, sur ce point, un accord satisfaisant tout le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Sur ce point, il faut reconnaître que la loi de finances pour 2011 est cohérente avec l'étude d'impact, puisque les crédits ouverts pour l'aide juridictionnelle ont augmenté de 40 millions d'euros entre 2010 et 2011, passant de 330 millions d'euros à 370 millions d'euros, puisque la réforme de la garde à vue ne sera applicable qu'une demi-année.

En ce qui concerne la modernisation des locaux de police et de gendarmerie, c'est-à-dire l'aménagement de locaux dédiés aux entretiens des avocats avec les gardés à vue et à la consultation des PV, l'étude d'impact évalue à 3 600 le nombre de locaux à aménager – 1 400 pour la police, 2 200 pour la gendarmerie ; à raison de 6 000 euros par local, la dépense totale s'élève à 21,5 millions d'euros.

L'étude d'impact ne prévoit aucun calendrier pour ces travaux, et il va falloir utiliser les crédits ouverts par la loi de finances pour 2011 pour l'ensemble des projets immobiliers de la mission « Sécurité », s'élevant à 62,4 millions d'euros. Or, la modernisation des locaux de garde à vue n'est que l'un des projets immobiliers financés par ces crédits, à côté de bien d'autres également nécessaires. Qu'il s'agisse de la rénovation du patrimoine immobilier des CRS, de la restructuration des sites de formation des agents, de la modernisation et du développement des capacités des laboratoires de police technique et scientifique, de l'amélioration de l'immobilier de la préfecture de police de Paris et de l'ensemble des commissariats, les besoins ne manquent pas !

Quant aux équipements de visioconférence, l'étude d'impact prévoit d'équiper « dans un premier temps » 1 850 sites – 700 pour la police, 1 150 pour la gendarmerie – sur les 2 180 sites de gendarmerie. À raison de 15 000 euros par équipement, la dépense totale sera de 27,8 millions d'euros. Si l'on prévoit d'équiper l'ensemble des sites de gendarmerie, ce qu'il faudra bien faire dans un second temps, la dépense s'élèvera à 45,5 millions d'euros.

Pour la gendarmerie nationale, le bleu budgétaire prévoit 250 000 euros d'autorisations d'engagement pour les équipements de visioconférence en 2011. Ces crédits permettront donc d'équiper seize sites en 2011. À ce rythme, mes chers collègues, il faudra 138 ans pour équiper l'ensemble des sites de la gendarmerie nationale…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Vous entendez, monsieur le ministre, ce n'est pas la gauche qui le dit !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Encore me suis-je fondé sur les autorisations d'engagement : si l'on se réfère aux crédits de paiement, il faudra 300 ans, au rythme de 2011, pour équiper toutes les gendarmeries !

En conclusion, mes chers collègues, je voudrais vous dire à quel point cette réforme de la garde à vue s'impose à notre pays, pour des motifs constitutionnels et conventionnels. Nous devons tous faire le maximum pour que cette réforme s'applique dans les meilleures conditions, et le Gouvernement et les deux assemblées ont oeuvré en ce sens. Cependant, nous devons faire face à un défi considérable en termes de moyens financiers, car nous ne disposons que d'une marge de manoeuvre extrêmement réduite. Dans la situation budgétaire actuelle, de nombreux services de police et de gendarmerie, de nombreux services judiciaires, travaillent dans des conditions très tendues.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

L'ensemble des moyens budgétaires que nous pourrons dégager devra donc être affecté à la mise en oeuvre de cette réforme.

À ce sujet, vous avez annoncé la semaine dernière, monsieur le ministre, la création de 255 emplois pour la mise en oeuvre d'une mesure extrêmement noble, à savoir la réforme sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice. On peut s'interroger sur les crédits utilisés pour le financement de cette réforme, qui ne présente pas un caractère d'urgence absolue ou d'obligation pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

À mon sens, nous devrions concentrer tous les moyens disponibles sur la réforme de la garde à vue, une réforme qui s'impose à notre pays. Le Parlement soutient, autant que faire se peut, l'ensemble des fonctionnaires de police, de gendarmerie et de justice qui auront à appliquer cette réforme. Je souhaite que notre rapporteur, sitôt le texte voté, entame un travail de suivi et d'évaluation…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

…et que l'opposition désigne un député qui assumera la fonction de co-rapporteur à ses côtés. En tant que président de la commission des lois, je tiens à ce que nous permettions à ce texte de bénéficier des meilleures conditions d'application. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Dominique Raimbourg.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'interviens aujourd'hui devant vous pour soutenir cette motion de rejet préalable. Le sujet est difficile, mais l'approche m'en a été facilitée par l'intervention du précédent orateur, qui a souligné les difficultés d'application de ce texte.

Le sujet est donc difficile, et le texte est présenté comme une avancée nécessaire, dont l'intervention de l'avocat serait l'élément le plus saillant. Mais il ne se limite pas à cela car le vrai sujet, c'est de savoir si l'équilibre entre la protection des libertés et des droits et la nécessaire efficacité de l'enquête et de la répression des crimes et des délits est aujourd'hui atteint. La réponse, malheureusement, est non, et ce pour plusieurs raisons.

La première tient au contexte très difficile dans lequel nous entamons l'examen de ce texte de loi, même si nous en sommes à la deuxième lecture. Il faut en effet rappeler les contraintes extérieures qui pèsent aujourd'hui sur notre travail. Elles proviennent tout d'abord de ce que l'on a fait du nombre de gardes à vue l'indice de l'activité policière.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

C'est une idée néfaste d'un ancien ministre de l'intérieur, qui entre-temps a poursuivi sa carrière et est devenu Président de la République. Une fois arrivé à ce poste, il a continué à mettre une énorme pression sur les services de police en faisant du nombre de gardes à vue l'indice de leur activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Certes, mais je rappelle ici les conditions historiques qui nous ont amenés à examiner aujourd'hui ce texte.

Une autre difficulté tient au fait que nous abordons la réforme de la garde à vue avec un retard très important. M. le garde des sceaux et M. le rapporteur l'ont souligné : tous les clignotants étaient à l'orange, puis sont passés au rouge avec la succession – oserai-je dire : la rafale ? – de décisions de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant la Turquie, dont le régime de garde à vue ressemblait un peu au nôtre, puis la Russie.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Enfin, ce ne fut pas une surprise de voir le Conseil constitutionnel condamner le système français pour atteinte à la fois au droit à la sûreté et aux garanties en termes de libertés.

Nous avons donc été amenés à adapter notre système pénal, non pas en anticipant les changements du monde, mais en courant après ceux qui nous ont été imposés par des juridictions dont le caractère conservateur est d'ailleurs toujours avéré, car les juristes suivent le mouvement plus qu'ils ne le précèdent ou ne l'accompagnent ! Eh bien, nous, nous étions encore derrière les juristes ! (Sourires.)

Enfin, les contraintes sont aujourd'hui telles que l'on a pu nous dire – et je comprends l'émoi de M. le rapporteur – que nous sommes déjà le 5 avril et que le 15 avril la Cour de cassation risque de considérer que la réforme de la garde à vue doit entrer en application dès le lendemain et que toutes les auditions qui ont été faites sans la présence d'un avocat sont frappées de nullité,…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

…ce qui risque d'entraîner l'annulation de 40 000 décisions. On imagine la stupeur de nos concitoyens voyant que, pour des raisons de procédure, toutes ces poursuites seraient abandonnées et réduites à néant.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Tout à fait. Ne nous réjouissons donc pas de cette situation, dont il faut tout de même reconnaître qu'elle renforce les difficultés qui sont les nôtres au moment d'aborder ce texte.

Une autre difficulté tient au fait que nous sommes en présence d'un texte fragile. En effet, il n'est pas pensé en fonction de la durée et en s'inscrivant dans l'histoire. C'est un texte fragile parce que le rôle du procureur de la République n'est pas tout à fait stabilisé. On peut formuler à cet égard deux reproches, qui sont d'ordre juridique car il ne s'agit pas là d'accusations.

J'avais rappelé, dans une précédente intervention en première lecture, que les procureurs de la République étaient des hommes et des femmes vertueux à qui il manquait parfois l'apparence de la vertu. De ce point de vue, la difficulté vient du fait qu'ils sont sous la dépendance du pouvoir exécutif et n'ont donc pas, au regard de l'appréciation des juridictions européennes, le statut de magistrats. On en pense ce que l'on en veut, mais la réalité est là ; la contrainte est là. Même si l'on peut considérer qu'il s'agit là d'extrapolations à partir d'un droit anglo-saxon qui cadre mal avec notre vision des choses…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

C'est tout à fait possible, monsieur le rapporteur. Mais c'est un peu comme dans le sport : il arrive que l'on soit en désaccord avec les décisions de l'arbitre, pour autant, c'est lui qui tranche en dernière analyse !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Il faut donc prendre en considération ces données, même si je partage l'avis de M. le rapporteur sur le sujet, car il faut aussi défendre notre droit continental. Celui-ci a ses spécificités et n'est pas si mauvais, car il a su mettre en place des mécanismes de protection.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Mais, quoi qu'il en soit, pour l'instant, c'est la CEDH qui tranche…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

…et qui nous impose, en effet, de considérer que le procureur ne sera pas tout à fait un magistrat tant que son statut n'aura pas été aménagé et amélioré.

La Cour européenne des droits de l'homme nous dit également que le procureur, non content de ne pas être un magistrat, est en plus une partie au procès. Cela heurte notre façon continentale de voir les choses,…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

…mais c'est ainsi ; c'est la Cour européenne qui fait la jurisprudence, ce n'est pas nous avec notre manière continentale de voir les choses, quand bien même nous devons la défendre. C'est ainsi que les choses se présentent.

Or nous ne sommes pas à l'abri de critiques, parce que c'est au procureur de la République qu'il revient de trancher sur un certain nombre de points. C'est lui qui est chargé de contrôler la garde à vue et de prendre la décision d'écarter l'avocat des auditions et de lui refuser l'accès au dossier pendant douze heures. Cela sera forcément interprété par la Cour européenne des droits de l'homme comme une atteinte au droit des parties. Cette atteinte au droit de l'une des parties, qui est de plus le fait d'une autre partie, sera considérée comme non conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Il y a donc là une difficulté importante.

J'ajoute que la possibilité d'écarter complètement l'avocat des auditions pendant vingt-quatre heures, quand bien même il s'agit d'une prérogative qui est transférée à partir de la douzième heure au juge des libertés et de la détention, me semble trop importante. Cela est d'autant plus vrai que nous sommes là dans le droit commun et non pas dans un régime dérogatoire ! Priver pendant les vingt-quatre premières heures un suspect de l'intervention de son avocat me semble vraiment excessif.

La troisième raison nous obligeant à considérer que l'équilibre entre la poursuite des infractions et le respect des droits individuels n'est pas atteint tient au fait que ce texte ne s'inscrit pas dans une perspective de réforme d'ensemble de notre procédure pénale. Celle-ci a incontestablement vieilli. Or le texte manque d'ampleur parce qu'il est pris dans l'urgence et sous la contrainte de décisions – qu'elles viennent de l'Europe ou du Conseil constitutionnel – dont la temporalité nous a échappé. Ce n'est d'ailleurs pas une attaque personnelle, monsieur le ministre : vous n'étiez pas en charge de tous ces sujets à ce moment. Si cette temporalité nous a échappé, c'est par manque d'anticipation…

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Écoutons l'orateur, mes chers collègues ! Lui seul peut s'exprimer.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Bref, tout cela ne s'inscrit pas dans une vision d'ensemble de la procédure pénale et certains points doivent être repris.

Premièrement, le statut du procureur doit incontestablement évoluer. Je vous rappelle ce que disait M. le procureur général Jean-Louis Nadal lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation. Ce haut magistrat, qui sait ce que les mots veulent dire…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est un procureur qui est un magistrat !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

J'ai adopté la vision continentale, monsieur le ministre, à la satisfaction générale, semble-t-il !

M. Nadal, donc, disait à propos du statut que nous étions aujourd'hui dans une situation de « coma dépassé ». C'est dire la gravité de cette situation !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Une évolution doit donc avoir lieu.

Deuxièmement, je vous rappelle que 4 % seulement des décisions sont prises par les juges d'instruction au cours d'une enquête contradictoire. Cela signifie que 96 % des enquêtes ne sont pas contradictoires. Il faudra donc injecter un jour du contradictoire dans les enquêtes, qui sont exclusivement policières et ne transitent pas par la procédure de l'instruction.

Il faudra également réformer le statut du Conseil supérieur de la magistrature, afin d'assurer une totale indépendance à ses membres. Pour cela, il faudra faire en sorte que ces derniers soient choisis, sans doute au terme d'une procédure de désignation par l'Assemblée nationale à la majorité qualifiée et d'une manière positive, au lieu du système de veto qui prévaut aujourd'hui.

En ce qui concerne le défaut d'anticipation et de vision historique de la réforme de la procédure pénale, là encore vous ne portez de responsabilité ni l'un ni l'autre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur. Ces manques viennent du fait que l'on a suivi une trajectoire totalement erratique.

En 2008, après l'élection du Président de la République, il fallait d'urgence réformer la procédure de l'ordonnance de 1945 sur la jeunesse délinquante. On a donc mis en place la commission Varinard pour procéder à cette réforme. Elle a travaillé longuement, même si ses conclusions peuvent être discutées.

Or cela s'est arrêté, parce qu'en 2009 une nouvelle urgence s'est imposée : la suppression du juge d'instruction. On a donc fait travailler une autre commission, présidée par M. Léger. Elle aussi a travaillé, même si, là encore, on peut discuter ses conclusions. Mais le processus s'est également arrêté, parce qu'en 2010 la nouvelle nécessité était de créer des jurés populaires en correctionnelle, ce qui techniquement est très difficile et qui ne s'impose sans doute pas très fortement, comme vous l'a dit avec beaucoup de justesse l'orateur précédent, aux propos duquel vous accordez peut-être plus de crédit qu'aux miens !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Non ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

On s'est donc promené d'une nécessité urgente à l'autre, sans jamais terminer un seul chantier. Je vous ai d'ailleurs entendu hier, monsieur le garde des sceaux : il semblerait que l'on revienne à la nécessité de réformer l'ordonnance de 1945 pour créer un tribunal correctionnel qui jugerait les mineurs de seize à dix-huit ans. C'est précisément ce sur quoi planchait la commission Varinard ! Défaut d'anticipation, donc, et de projection dans le futur pour cause de réponse à l'urgence du moment et au dernier fait divers.

Enfin, et c'est le dernier temps de mes explications, qui sera forcément bref parce que j'ai été formidablement aidé par le précédent orateur, la question des moyens se pose avec une acuité redoutable.

Aucun moyen n'est dégagé dans le texte. Il n'y a aucune anticipation en direction du matériel des services de police, en particulier s'agissant de l'aménagement des locaux. Sur ce sujet, le précédent orateur a été bien plus convaincant que je ne saurais l'être. Mais il n'y a pas non plus d'effort du côté de la police scientifique et technique. On nous dit aujourd'hui que la garde à vue consacrait le règne de l'aveu, et qu'il faut désormais passer au règne de la preuve. Cela suppose forcément des efforts à faire en matière de police scientifique et technique. Cela veut dire aussi que l'on demande des efforts considérables à la police et à la gendarmerie. Leurs services ont travaillé pendant des années avec des méthodes qui peuvent être critiquées et qui peuvent évoluer, mais qui correspondent à la manière dont on leur demandait de travailler, c'est-à-dire avec pour outil principal la garde à vue. Aujourd'hui, on leur dit que tout a changé, qu'il leur faut modifier complètement en l'espace de quelques mois leur culture et aboutir au même résultat, avec des outils entièrement nouveaux, mais sans aucun effort d'accompagnement pour accomplir ce qui constitue une véritable révolution culturelle.

De la même façon, il n'y a aucun effort du côté de la justice : vous n'annoncez aucun recrutement de magistrats supplémentaires qui permettraient pourtant aux procureurs d'assurer un contrôle de la garde à vue vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, ce qu'ils ne parviennent déjà pas à faire aujourd'hui. Or le problème des permanences de nuit se pose avec beaucoup d'acuité : beaucoup de placements en garde à vue ont lieu à ce moment, suite aux troubles à l'ordre public dus, par exemple, à des bagarres entre personnes en état d'ivresse – pour ne citer qu'une des difficultés que l'on peut rencontrer le soir dans nos villes et dans nos campagnes compte tenu de l'état de notre société.

Aucune annonce n'est faite non plus concernant les juges des libertés et de la détention. Si on ne leur confie pas le contentieux de la garde à vue, on comprend bien que c'est parce qu'ils sont trop peu nombreux – environ 500 – pour faire face à ce contentieux. Aucun effort non plus n'est annoncé quant à l'embauche de greffiers pour faire face à ces nouvelles tâches.

Enfin, on ne connaît pas exactement la teneur des discussions avec les avocats. Quand bien même seraient prévus de nouveaux financements de l'aide juridictionnelle, nous n'avons aucune garantie que les permanences puissent être réellement assurées par les avocats sur l'ensemble du territoire. Le rapporteur avait effectué un travail très intéressant sur la répartition du nombre de gardes à vue eu égard à la densité d'avocats par barreau, avec cette circonstance très particulière que le barreau de Paris concentre à lui tout seul la moitié des avocats français.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Pas tout à fait, ils représentent 40 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

C'est une situation que l'on peut déplorer. Il n'en reste pas moins que c'est une nouvelle contrainte qui s'impose à nous.

La conclusion de mon exposé sera simple : nous vous demandons de rejeter ce texte qui, en l'état, n'est pas satisfaisant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

Honnêtement, monsieur Raimbourg, je ne vois pas en quoi cette réforme serait fragile. L'équilibre est, me semble-t-il, atteint par rapport aux demandes tant de la CEDH que du Conseil constitutionnel ou de la Cour de cassation, et la perspective à long terme est bien tracée.

Certes, on peut regretter de ne pas avoir une réforme d'ensemble de la procédure pénale. Mais, vous le savez, des travaux sont encore en cours, qui pourraient du reste être présentés ici si le moment était opportun. Or, même s'il n'y a pas d'urgence, il est quand même nécessaire de ne pas perdre trop de temps. Voilà pourquoi on déconnecte la réforme de la garde à vue.

Sur le statut du procureur, je rappelle qu'à ce jour, il n'y a pas, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de difficulté particulière. On a bien un magistrat, nous sommes dans l'esprit et la lettre de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

Je ne vois pas pourquoi, alors même que la CEDH ne pose pas de difficultés particulières, compte tenu du délai de vingt-quatre heures que nous avons retenu, nous devrions, aujourd'hui, aller au-delà. La jurisprudence peut évoluer, c'est vrai, mais il sera alors toujours temps de s'adapter.

Quant aux moyens, ils seront en effet nécessaires pour réorganiser les services et les barreaux. Vous avez évoqué, monsieur Raimbourg, la nécessité d'une réforme applicable sur l'ensemble du territoire. Je partage évidemment ce point de vue. Paris n'est pas l'ensemble du pays, même si 40 % des avocats français y sont installés. Les barreaux pourront, et même devront, se réorganiser. Pour cela, il faut des moyens. Certains ont déjà été mis en avant, notamment dans le cadre de l'aide juridictionnelle et de l'aide judiciaire. Un effort particulièrement important devra être réalisé par la suite, je le sais.

Pour autant, compte tenu des annonces qui ont été faites et des évolutions qui interviendront dans les mois qui suivront l'entrée en vigueur de la réforme –il faut laisser à la réforme le temps d'être digérée –, je ne vois aucune raison d'accepter cette motion de rejet préalable.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Je crois, monsieur Raimbourg, que le texte lui-même apporte des réponses à la plupart des interrogations que vous venez de soulever à la tribune de l'Assemblée nationale.

Je veux simplement apporter deux ou trois compléments à ce qui a été dit excellemment par le rapporteur, sans revenir sur la question du procureur de la République parce que je crois bien que vous partagez le point de vue que je défends depuis le début de cette discussion. Le procureur de la République n'est pas un magistrat au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, c'est vrai. Il est un magistrat au sens de l'article 66 de la Constitution qui dispose que l'autorité judiciaire est composée des magistrats du siège et du parquet. Nous tenons compte de la position de la Cour de Strasbourg.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Puis-je vous rappeler, monsieur Urvoas, que vous avez soutenu des gouvernements qui, pendant des années, n'ont pas tenu compte de cette jurisprudence de la Cour de Strasbourg alors qu'ils étaient dans la même obligation que nous.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

La jurisprudence n'était pas explicite à l'époque.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Cela montre qu'il est plus facile de dire les choses quand on est dans l'opposition.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Mais nous n'allons pas épiloguer sur ce point.

Le procureur va diriger la garde à vue pendant les premières quarante-huit heures de garde à vue. Pensez-vous qu'il serait préférable de dénier ce droit au procureur, qui est membre de l'autorité judiciaire, gardien de la liberté individuelle au sens de la Constitution, et de laisser seul l'officier de police judiciaire dans cette affaire ?

Je crois que nous sommes du même avis : c'est une garantie supplémentaire que nous accordons à nos concitoyens en confiant ce rôle au procureur de la République.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Bien sûr. Nous en sommes tous convaincus et personne ne changera le texte s'agissant du rôle du procureur de la République. D'autres éléments peuvent changer mais pas celui-là.

Reste la question financière. Le projet de loi de finances rectificative, dont le Parlement sera bientôt saisi, abordera naturellement les questions relatives aux conséquences de la mise en oeuvre de la garde à vue. C'est à ce moment-là que l'Assemblée nationale aura à en débattre.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Nous sommes d'accord avec les arguments exposés par notre collègue pour défendre la motion de rejet.

D'abord, parce que la question essentielle doit être bien réglée, justement parce que nous sommes en France. Ce n'est pas un hasard si la Cour européenne des droits de l'homme est à Strasbourg et si la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est née ici, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, en faisant référence aux textes de 1789.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

L'équilibre entre les libertés et les droits est fondamental. Pour le maintenir, il faut aborder la question des moyens. Nous pourrions admettre que le texte contient des avancées, mais nous savons bien qu'il ne peut y avoir une avancée en matière de droit si, en face, les moyens pour faire respecter ce droit ne sont pas prévus. On peut avoir droit à quelque chose mais si les moyens matériels, les moyens d'investigation ne permettent pas de garantir ce nouveau droit, il n'entrera pas dans les faits même s'il est inscrit dans le texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

La question qui est posée par notre collègue dans le cadre de sa motion de rejet, ce n'est pas forcément la question du droit. Dominique Raimbourg s'est attaché à démontrer que ce texte ne sera pas appliqué car notre pays n'a pas les moyens d'assurer la mise en oeuvre du droit qu'il crée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

La demande de rejet de ce texte se justifie par cette nécessité de compléter la procédure en mettant des moyens à la disposition de la défense, de la contradiction de l'enquête et du respect du droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Boënnec

Cela n'a pas de sens. C'est un autre débat, c'est à la loi de finances de prévoir les moyens !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Voilà pourquoi nous soutenons cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Ce texte concerne les libertés publiques. Il doit donc être précis.

Précis pour éviter de futurs compléments réglementaires. Précis pour éviter de laisser le champ à l'interprétation de professionnels. Précis pour éviter que ne s'élabore pendant un certain temps une jurisprudence qui rendrait incertaines des procédures parce que préjudiciables aux personnes qui pourraient être mises en cause.

Nous avons l'obligation de légiférer, de voter un texte qui ne soit pas partisan, qui ne soit pas technocratique, mais qui soit technique, juridique et, surtout, réaliste. Or, à ce stade, le texte qui nous est proposé contient beaucoup trop d'incertitudes pour que nous puissions envisager son adoption.

Vous avez dit, monsieur le ministre, que les réponses étaient dans le texte. Permettez-moi d'énumérer plusieurs mesures qui nous inquiètent sur le plan juridique, en écartant la question du parquet parce que vous en avez parlé.

Le préambule même du texte nous pose problème, pas seulement à nous, législateurs, mais également, j'imagine que vous les avez écoutés, aux professionnels que sont les policiers et les magistrats. Compte tenu de l'incertitude juridique qui pèse sur le préambule, ils nous ont prévenus que certaines mesures de garde à vue ne seraient pas prises, que la procédure pénale comportait des fragilités du fait que d'innombrables procédures reposent uniquement sur des aveux, plus ou moins circonstanciés, de la personne mise en cause. Certes, un amendement adopté par la commission des lois écarte ce risque mais je ne suis pas sûr que le Gouvernement y soit favorable et je suppute même qu'il demandera qu'on revienne dessus. Lorsqu'une personne a été interpellée par la contrainte et qu'elle est menottée, l'officier de police judiciaire peut-il ne pas la placer en garde à vue, même si elle est finalement mise hors de cause ou si son audition ne le nécessite pas ?

La question se pose également pour une personne en conduite en état alcoolique. Pour être entendue, celle-ci doit évidemment être dégrisée, si bien qu'aujourd'hui ces personnes sont souvent placées en garde à vue afin d'éviter les reproches d'une rétention arbitraire. Demain, la procédure de rétention pour ivresse publique et manifeste ne pourra s'appliquer que si les caractéristiques que j'évoquais sont réunies. Que fait donc – le texte ne répond pas à cette question – un officier de police judiciaire quand il veut interpeller une personne seule dans son véhicule ?

J'attire également votre attention sur le caractère parfaitement illusoire de l'interdiction de la fouille à corps sans décharge de responsabilité pour l'officier de police judiciaire. Il est en effet probable – en tout cas c'est ce que nous disent les officiers de police judiciaire – que ces derniers vont arguer des nécessités de l'enquête pour fouiller systématiquement la personne. Le principe d'absence de membre des forces de sécurité pendant la visite médicale risque d'avoir comme effet pervers de conduire à une nouvelle fouille. Nous aurons, dans ce cas-là, un double détournement de la louable intention du législateur.

Toutes ces imprécisions font que, dans la pratique, le nombre de cas potentiels de nullité va augmenter. Mais ce texte n'est pas simplement imprécis, malheureusement. Il omet également beaucoup de points.

Par exemple, la présence de l'avocat est très bien détaillée pour la première audition, mais rien n'est dit sur les auditions suivantes, ou sur la place de l'avocat dans la perquisition.

Autre paradoxe, un officier de police judiciaire peut prendre une mesure attentatoire aux libertés qu'est la garde à vue. Mais il ne peut pas la lever. Pourtant, la remise en liberté par l'OPJ pourrait permettre de réduire les délais, la nécessité de joindre le parquet devenant inutile.

Rien n'est prévu non plus – et pourtant Dieu sait si vous avez été alerté sur ces questions pendant la première lecture à l'Assemblée et au Sénat – pour simplifier et pour alléger les modalités administratives qui pèsent de plus en plus sur les OPJ. Vous ne tirez aucune conclusion du fait que l'audition va être aujourd'hui encouragée. Cela ne devient pas une pièce de procédure en lieu et place du procès-verbal.

Rien n'est supprimé dans les formalités de signature. Dans une lettre adressée au Premier ministre, le ministre de l'intérieur prenait l'exemple d'une interpellation et de la mise en garde à vue d'un étranger soupçonné de délit. Le ministre de l'intérieur indiquait qu'il faudrait passer sept appels téléphoniques à l'OPJ avant de placer la personne en garde à vue. Pourquoi ne simplifiez-vous pas les procédures que vous imposez aux officiers de police judiciaire ? Pourquoi ne retenez-vous pas, alors qu'ils le demandent, la compétence nationale pour les officiers de police judiciaire ?

Un mot encore sur les conditions matérielles. J'ai entendu M. le garde des sceaux essayer de nous apaiser en nous renvoyant à la loi de finances rectificative. Je note que le Conseil national des barreaux a évoqué la nécessité d'une enveloppe de 150 à 300 millions pour l'aide juridictionnelle et que le projet annuel de performance n'a pas prévu exactement cette somme. Le compte n'y est donc pas.

Le président de la commission des lois a souligné que l'étude d'impact chiffrait à 21 millions les besoins pour l'amélioration de l'immobilier dans les brigades de gendarmerie et dans les commissariats de police. Je suis au regret de dire que ce ne sont pas les chiffres que donnent la police et la gendarmerie puisque la gendarmerie évoque un besoin de 75 millions d'euros pour adapter les brigades en lieux de garde à vue et que la police nationale évoque un besoin de 30 millions d'euros. Si vous nous dites que, dans la loi de finances rectificative, il y aura 105 millions d'euros destinés à l'immobilier des policiers et des gendarmes, alors nous vous en donnerons quitus. Mais je ne pense pas que vous serez en mesure de le faire et, quand bien même vous le pourriez, le temps nécessaire à la réalisation des travaux rend illusoire l'application de la loi au 1er juillet de cette année.

Ceux qui auront à appliquer ce texte n'en connaissent pas encore les tenants et les aboutissants. S'ils ont intégré, et même admis, la présence de l'avocat et la notification du droit au silence, très peu se sont penchés sur les autres modifications importantes qu'il emporte. Or, plus l'analyse des OPJ progresse, plus les procéduriers qu'ils sont à bon droit découvrent des vides juridiques qui risquent de fragiliser leur travail. Il est donc à craindre que l'efficacité des enquêtes ne soit menacée, suscitant un rejet larvé de la loi, ce qui, au final, pénalisera les victimes, et donc la société.

Pour l'éviter, monsieur le ministre, il est de notre devoir de voter la motion défendue par Dominique Raimbourg, car cela nous permettra de lever les doutes et les ambiguïtés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Le garde des sceaux et le rapporteur ont déjà répondu sur le fond aux arguments développés par Dominique Raimbourg dans sa motion de rejet préalable. Je me contenterai donc d'évoquer quelques points.

Tout d'abord, j'ai du mal à comprendre que les membres du groupe socialiste proposent cette motion de rejet préalable ce soir, alors que, lors du vote de ce projet de loi en première lecture, ils s'étaient abstenus, montrant ainsi qu'il n'y avait pas lieu de s'opposer au texte, malgré ses imperfections. Après avoir admis des avancées intéressantes en première lecture, voici qu'en seconde lecture, alors même que le Sénat ne l'a modifié qu'à la marge, vous voulez d'emblée rejeter le texte. Il y a là de votre part une véritable incohérence !

Je voudrais par ailleurs rappeler que l'élaboration de ce texte est soumise à plusieurs contraintes, déjà mentionnées par les précédents orateurs, qu'il s'agisse des exigences de la CEDH ou de la question du calendrier. Le Conseil constitutionnel impose que la loi entre en vigueur le 1er juillet prochain. Cependant, nous avons appris que la chambre plénière de la Cour de cassation, qui devait, dans un premier temps, se prononcer le 8 avril prochain, le fera le 15 avril et qu'il n'est pas exclu que, dès cette date, elle remette en cause toutes les procédures de garde à vue en cours si elles ne sont pas conformes aux préconisations de la CEDH. Il y a donc véritablement urgence à ce que ce texte soit adopté.

Je partage, monsieur Raimbourg, votre analyse sur la distinction entre droit continental et droit anglo-saxon et sur le fait qu'on veut nous imposer de plaquer des éléments de la procédure accusatoire anglo-saxonne sur la procédure inquisitoire de notre droit continental. C'est un combat que nous devons mener ensemble pour démontrer aux organisations internationales que notre système mérite non seulement d'être préservé, mais aussi d'être promu.

Enfin, je terminerai par un point sur vos critiques concernant le financement. Vous savez bien que nous ne pouvons envisager dans ce projet le financement des différentes mesures et qu'il revient à la loi de finances que nous voterons à l'automne, éventuellement à une loi de finances rectificative, de déterminer les moyens financiers qui permettront l'application de ce texte.

Il n'y a donc aucune raison d'adopter cette motion de rejet préalable, et le groupe UMP votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

J'ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Noël Mamère.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet sur la garde à vue intervient dans un contexte difficile, nous le savons tous. Il a été élaboré tardivement, dans l'urgence, contraint et forcé. Ce texte devait avoir pour objectif et pour ambition de garantir les droits des citoyens, conformément aux souhaits du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation. En effet, c'est devant la menace de sanctions que le Gouvernement a été obligé de faire examiner de nouveau un texte qui ne satisfaisait aucune de ces instances légitimes pour dire le droit. Désavoué, le Gouvernement était en quelque sorte sommé de faire amende honorable de manière humiliante et de remettre sur le métier une question qui n'aurait pas dû faire l'objet de tant de discussions.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Je rappelle que ces diverses instances donnaient jusqu'au 1er juillet 2011 pour remédier à cet état de non-droit. Or, il n'en a rien été. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui va à l'encontre des principes qui guident ces juridictions, et la France risque donc, par votre faute et votre entêtement, d'être soumise à de nouvelles sanctions.

Le Sénat n'a revu qu'à la marge ce texte, qui est donc pratiquement conforme au projet initialement voté en première lecture par votre majorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

C'est dommage, parce que nous espérions pouvoir nous associer à cette loi, si elle avait été le produit d'un travail parlementaire permettant de dépasser nos clivages, dans un esprit semblable à celui qui règne au Parlement européen. Au lieu de cela, le projet de la commission des lois du 30 mars maintient certaines dispositions qui nous inquiètent et pour lesquelles j'avais déjà fait connaître nos préoccupations et nos propositions, qui rejoignent d'ailleurs largement celles des magistrats, des avocats et des organisations de défense des droits de l'homme.

Cette réforme faite à reculons, visant à concilier l'inconciliable, risque d'être rejetée. Ce texte souffre d'insuffisances qui risquent de conduire à des annulations de procédure, incompréhensibles par les justiciables et décourageantes pour les officiers de police. Ceux-ci, rappelons-le, paient déjà très cher votre politique du chiffre, fondée sur l'utilisation du nombre de gardes à vue comme indicateur de l'activité policière : après avoir fait subir une pression inégalée aux services de police pour qu'ils en réalisent le plus grand nombre, vous vous essayez à une sorte de rétropédalage. Mais, comme toujours, soumis à la pression de l'extrême droite, vous êtes tiraillés entre l'obligation de vous mettre en conformité avec l'État de droit et la volonté de l'Élysée comme de la fraction la plus à droite de la majorité, la droite populaire, de pratiquer une politique sécuritaire décomplexée.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Lorsque je vois que notre collègue Christian Estrosi regrette que ce projet « ne soit absolument pas équilibré », qu'il soit « un mauvais signal envoyé aux forces de l'ordre » qui « va faire baisser le taux d'élucidations », je me dis que, décidément, nous ne vivons pas dans le même pays ni même dans le même espace européen que celui où l'on nous demande d'avancer non vers une nouvelle restriction des libertés individuelles mais, au contraire, vers un habeas corpus généralisé pour toute l'Union européenne.

Quelles sont les questions qui nous sont concrètement posées ? Nous sommes avant tout confrontés au problème des moyens qui, s'il n'est pas résolu, fera apparaître cette réforme comme un leurre et la rendra inapplicable de fait. Cette question se pose avec une acuité d'autant plus grande que des charges nouvelles sont annoncées pour la justice, telles que la validation par un juge, dans les quinze jours, des hospitalisations d'office ou à la demande d'un tiers. C'est une obligation constitutionnelle qui nécessite des moyens, et je voudrais donc m'arrêter sur ce point essentiel : les garanties financières d'application de la réforme.

Arrêtons-nous d'abord sur la situation de la police et de la gendarmerie nationale : la police aura besoin de moyens pour rénover ses locaux et faire évoluer ses méthodes de travail ; les forces de police et de gendarmerie devront s'organiser différemment. Cela revient à dire que des moyens nouveaux doivent être apportés. Or, cette réforme intervient au moment même où les moyens de la police et de la gendarmerie, en vertu de la révision générale des politiques publiques, sont en nette diminution. La gendarmerie va revenir aux effectifs antérieurs à la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure de 2002, alors que ses missions sont de plus en plus nombreuses et diversifiées. Il me semble, en écoutant les intéressés, que nous ne sommes pas loin de la rupture de la corde. Il faut donc dégager des moyens supplémentaires pour les forces de sécurité, en particulier pour la gendarmerie qui, du fait des distances et des transfèrements à opérer, va connaître de grandes difficultés.

Il s'agit donc d'un texte d'affichage, sans moyens pour son application. C'est un très mauvais signal donné aux Français, au moment où ils semblent nous demander de mieux répondre à leurs attentes. Alors que le Gouvernement et sa majorité ont fait augmenter de 72 % le nombre de gardes à vue depuis 2002 – avec tous les problèmes que cela pose – et qu'ils appliquent aveuglément la RGPP aux forces de sécurité, au point d'avoir supprimé 9 000 postes de policiers et de gendarmes en trois ans, nous légiférons de la pire des façons : dans l'urgence et sans mesurer les implications concrètes.

Le droit à l'assistance d'un avocat dans la garde à vue doit être assuré de manière efficace. Or le projet est silencieux sur les conditions d'intervention de l'avocat, et plus précisément sur la rémunération de celui-ci. Actuellement, les avocats sont rémunérés à l'acte. Cependant, la mise en oeuvre de la réforme va entraîner des sujétions nouvelles importantes, comme le suivi de la garde à vue ou l'assistance dans le cadre des auditions, de jour comme de nuit.

La précédente ministre, maintenant internationalement connue pour son souci d'investir dans l'exportation de notre savoir-faire en matière de coopération sécuritaire avec les dictatures, annonçait une dotation spécifique de 80 millions d'euros au titre de l'aide juridictionnelle. Pour les avocats, ce financement est nettement insuffisant. Dans les cas de personnes sans moyens devant recourir à l'aide juridictionnelle, cela va poser un problème dramatique.

Dans mon département de Gironde, des centaines voire des milliers de dossiers d'aide juridictionnelle sont en souffrance ; refusant d'assurer la défense d'un client dont le dossier n'a pas été validé, les avocats demandent systématiquement le report des audiences. Que se passera-t-il demain, lorsque des avocats ne voudront pas assurer la défense de personnes placées en garde à vue parce que leur demande d'aide juridictionnelle n'aura pas été traitée ? L'avocat commis d'office devra passer de longues heures d'attente, d'entretien, d'auditions, d'examen du dossier, pour une indemnité dérisoire.

Ce n'est pas acceptable, et vous savez très bien que ce sont les conditions d'application d'une loi qui la traduisent dans la réalité. Sans financement pérenne de cette nouvelle garde à vue, sans financement de la prise en charge du droit de plaidoirie par l'État, cette loi ne sera qu'un leurre pour satisfaire les instances européennes. La réforme risque donc de se heurter à une insuffisance de moyens et de tourner à une nouvelle mascarade.

C'est la raison pour laquelle je voudrais vous demander, monsieur le ministre, de nous apporter des réponses et des engagements lors de ce débat, car les sujets d'inquiétude liés aux manques de moyens financiers risquent de se concrétiser rapidement.

Il faudra assurer les permanences des procureurs sur l'ensemble du territoire national, la création de postes de juge des libertés et de greffier. En l'état actuel des effectifs des parquets, le contrôle des gardes à vue n'est pas assuré de manière efficiente. Les magistrats n'ont pas le temps de se rendre dans les commissariats ; le contrôle s'effectue par téléphone : l'officier de police judiciaire appelle le magistrat de permanence, et celui-ci prend les décisions qui s'imposent au vu des éléments qui lui sont ainsi transmis téléphoniquement ; les procès-verbaux ne lui sont pas communiqués. À l'heure des nouvelles technologies de communication, il faut envisager une transmission obligatoire, par voie électronique, des procès-verbaux, afin de permettre une intervention efficace du procureur de la République dans la procédure. Rien de tel n'est prévu dans le texte.

Quant aux contrôles sur les lieux de la garde à vue, on conviendra qu'ils supposent une augmentation des effectifs au sein des parquets : rien de tel non plus n'a été envisagé.

L'on pourrait multiplier les exemples. Il y a un risque sérieux de décourager ou de démotiver les agents chargés d'appliquer la nouvelle loi. Ce texte nous paraît donc éminemment critiquable, même s'il représente une petite avancée.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, la garde à vue doit s'exécuter sous le contrôle d'un juge du siège – le juge des libertés et de la détention ou, à défaut, le président du tribunal de grande instance ou son délégué – et non du procureur de la République. Pour une fois, nous examinons un texte qui va dans le sens de la défense des libertés publiques, sans se réduire à accentuer le caractère répressif et policier du pouvoir actuel. Nous ne pouvons que nous en réjouir, mais je ne suis pas certain que le Président de la République en soit heureux. Vous courez donc, monsieur le garde des sceaux, après la jurisprudence européenne qui, à chaque fois, montre votre politique policière et judiciaire pour ce qu'elle est : une entrave pour les libertés et une insulte à l'indépendance de la justice.

Vous vous exécutez bien tard, à reculons, mais au lieu d'en profiter pour introduire dans la loi de nouvelles avancées et faire de la France un exemple en matière de garde à vue, vous la jouez – pardonnez-moi cette expression familière – « petits bras ». Le régime français de la garde à vue est, dans le paysage pénal européen, caractéristique de l'exception judiciaire et policière française qui, dans ce domaine, n'est certainement pas l'exemple à suivre.

Cela fait des années que nous savons que la garde à vue à la française est inconstitutionnelle. Les juridictions se trouvent aujourd'hui dans une position très inconfortable. Nous savons tous, car de nombreux avocats et juristes siègent dans cette assemblée, qu'il est nécessaire d'adapter notre appareil législatif aux normes européennes pour des raisons de fond tant historiques et structurelles que conjoncturelles.

Permettez-moi de vous interpeller, monsieur le garde des sceaux, sur les enjeux judiciaires et politiques de ce débat, à travers trois points essentiels qui ont mis notre pays au ban de l'Union européenne en matière de garde à vue : le rôle du procureur et du parquet, le rôle de l'avocat et, enfin, la raison de l'explosion de la garde à vue.

Tout d'abord, la pratique consistant à placer en garde à vue essentiellement dans le but d'interroger sous contrainte est structurellement liée à la culture de l'aveu,…

Plusieurs députés UMP. C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

…pratique critiquable, inefficace et inutile. La réforme, y compris dans sa version actuelle, exclut de son champ d'application les infractions les plus graves, celles pour lesquelles l'assistance d'un avocat serait la plus utile, eu égard notamment aux seuils des peines encourues et à la complexité des procédures. Elle consacre ainsi l'absence de défense pour ces infractions les plus graves et vide de sa substance le principe qu'elle pose. En effet, le texte stipule que les dispositions relatives au droit à l'assistance d'un avocat ne sont pas applicables aux personnes gardées à vue pour les infractions visées à l'article 706-73 du code de procédure pénale. Ainsi donc n'ont pas droit à l'assistance d'un avocat les personnes gardées à vue pour les infractions de trafic de stupéfiant, de crimes et délits en bande organisée, de proxénétisme, de terrorisme.

Plusieurs députés UMP. Tant mieux !

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Le texte consacre le principe de l'absence de défense pendant la garde à vue pour les infractions les plus graves. Or, les personnes suspectées d'avoir commis ces infractions sont celles qui risquent les peines les plus graves et qui ont sans nul doute le plus besoin d'être assistées par un avocat. Pourquoi la France n'applique-t-elle pas aux crimes les plus odieux ce qui apparaît pourtant naturel dans de nombreuses autres démocraties de l'Union européenne et d'ailleurs ? Comme l'a déclaré le bâtonnier Jean-Yves Le Borgne, la garde à vue, qui n'est pas de gauche, ni d'extrême-gauche, ni de l'ultra-gauche, pour reprendre le propos de votre prédécesseur au sujet de l'affaire de Tarnac dont on aimerait connaître les tenants et les aboutissants, est un résidu de barbarie. La procédure inquisitoire repose tout entière sur le culte de l'aveu. Cette logique mortifère a marqué l'imaginaire de notre droit pénal. La garde à vue n'est donc pas seulement une pratique humiliante, traumatisante, vexatoire, qui vise à briser l'individu, seul face au système ; elle est la pierre de touche de notre système judiciaire. Remettre en cause son fondement inquisitorial, permettre une procédure contradictoire avec des thèses opposées garantit les libertés fondamentales. Introduire le droit dans notre système de garde à vue c'est, d'une certaine façon, introduire la laïcisation de ce système, rompre avec la démonisation, la diabolisation du suspect, rechercher non une vérité immanente mais une efficacité judiciaire qui, en n'humiliant pas celui qui n'est encore que le témoin, permette de rechercher les preuves réelles.

De deux choses l'une en effet: soit les aveux sont obtenus sans être corroborés par des preuves et ils sont alors extrêmement fragiles, soit il existe des preuves solides et, dans ce cas, les aveux devant un policier sont parfaitement inutiles, l'exposé des charges et des preuves dans un procès-verbal devant suffire à convaincre le juge lequel, de toute manière, devra procéder à nouveau à l'interrogatoire.

Ajoutons que la culture de l'aveu, à l'heure de l'ADN, est un archaïsme totalement dépassé. Il n'est en effet nul besoin d'arracher au forceps des aveux quand on dispose d'un tel appareil scientifique. La fin de la garde à vue à la française constitue donc une véritable révolution juridique. Notre droit est aujourd'hui à la croisée des chemins. Soit nous estimons, en tant que législateurs, que nous devons contribuer avec l'actuel système interrogatoire à forger une vérité policière qui pèsera sur la phase judiciaire, soit l'interrogatoire permet à celui qui n'est pas encore mis en examen d'être assisté et de disposer de l'ensemble de ses droits face au système et nous nous en remettons alors à la seule vérité judiciaire. Ce choix n'est pas anodin. Au-delà de ce débat, ce qui est en jeu, c'est un vrai pas vers l'État de droit que nous devons faire faire à la justice française. C'est à ce seul prix que notre pays disposera d'un véritable « habeas corpus » à la française.

La seconde raison de l'explosion de la garde à vue est conjoncturelle. Elle tient à la folle politique du chiffre érigée en modèle. Pourquoi le Gouvernement s'en tient-il à cette conception minimaliste de la réforme ? Pourquoi est-il si gêné aux entournures ? Parce que Nicolas Sarkozy, depuis son arrivée au ministère de l'intérieur en 2002, pratique la politique du chiffre. Depuis 1982, la garde à vue s'est banalisée avec plus de 80 % d'augmentation. Nous sommes passés de 336 718 gardes à vue hors circulation routière à 523 069 en 2010. J'indique volontairement les chiffres hors circulation routière car, pour une part, ces délits, liés à l'état d'ivresse, au non-respect des règles de conduite ne devraient même pas être enregistrés comme des gardes à vue lorsqu'ils n'ont pas causé d'accidents. La raison en est bien simple : la garde à vue n'est pas une sanction. Un individu en état d'ébriété peut dégriser à domicile avant d'être convoqué au commissariat de police ou à la gendarmerie. Pratiquer une garde à vue humiliante avec fouille au corps pour avoir bu un verre de trop encombre les commissariats et va à l'encontre des principes d'un État de droit.

Dans ces conditions, la garde à vue est un indicateur de performance du travail policier, une sorte de PIB de l'offre policière ! Plus un commissariat multiplie les gardes à vue, plus il aura de crédits et plus les commissaires obtiendront des primes personnelles. Mais le productivisme policier a deux revers : le premier réside dans le temps passé par les officiers de police judiciaire à accomplir les nombreuses formalités qu'impose le placement en garde à vue puis à interroger. Ce temps empiète sur celui qui devrait être consacré à la recherche et à la présentation des preuves et des charges.

Le second inconvénient tient à l'inflation des placements en garde à vue en France au cours de ces dernières années. Le placement en garde à vue est devenue la règle là où l'on aurait pu procéder à la simple audition de personnes auteurs de faits qui ne justifient ni qu'elles soient placées sous contrainte ni qu'elles soient conduites devant un magistrat.

La presse se fait régulièrement l'écho de ces gardes à vue pour des infractions de faible gravité telles qu'un léger dépassement de la consommation d'alcool au volant. Cette inflation entraîne notamment la dégradation des conditions matérielles de la garde à vue qui se pratique dans des locaux le plus souvent peu conformes aux exigences du respect de la dignité des personnes gardées contre leur gré alors qu'elles sont présumées innocentes. En France, 4 000 lieux de garde à vue existent. La réduction des budgets dans ces domaines aggrave la dégradation de ces lieux. J'engage chaque député à visiter son commissariat de quartier pour faire l'expérience de ce que connaissent pour la première fois de nombreux citoyens qui n'auraient jamais dû s'y retrouver. Les vrais délinquants, eux, ont souvent déjà vécu l'expérience de la prison. Être mis en garde à vue ne change rien dans leur stratégie du silence. Mais demandez aux innocents d'Outreau de vous raconter leur première expérience ! Vous verrez le traumatisme qu'ils ont subi, eux et leurs proches.

Enfin, cette réforme ne s'inscrit pas dans une vision d'ensemble de la refonte de la procédure pénale : nous n'avons aucune perspective sur le statut du procureur de la République, sur l'introduction du contradictoire dans l'enquête pénale, sur la question, jamais résolue, de l'indépendance de la justice. Tout d'abord, le procureur de la République reste responsable de la prolongation de la garde à vue et conserve la possibilité d'écarter l'avocat de l'accès au dossier, comme aux auditions, pendant douze heures. Même si le statut du procureur était modifié pour en faire un magistrat indépendant au sens de la jurisprudence européenne, il n'en resterait pas moins problématique qu'une partie puisse porter atteinte aux droits d'une autre partie. Autre problème: les différences introduites pour les régimes spéciaux de garde à vue, en fonction de la qualification pénale. Là encore, les risques de censure existent.

S'agissant du rôle des institutions judiciaires et notamment du procureur et du parquet, vous avez été tenté de faire appel de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour avoir retenu cinq jours durant, sans être entendue, l'avocate France Moulin. L'arrêt « Moulin » précisait qu'en France les membres du ministère public ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, laquelle compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de magistrat. En effet, tous les parquetiers dépendent d'un supérieur hiérarchique commun, le garde des sceaux, qui est membre du Gouvernement, donc du pouvoir exécutif. Contrairement aux juges du siège, ils ne sont pas inamovibles, rappelait l'arrêt de la CEDH, et si le procureur n'est pas un magistrat indépendant, il ne peut pas priver un justiciable de sa liberté. La commission des lois l'a d'ailleurs nettement souligné puisqu'elle a imposé un amendement, contre l'avis du Gouvernement, pour que la garde à vue soit placée sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et non, comme le prévoyait le texte de Michèle Alliot-Marie, sous celui des procureurs.

La commission des lois a rejeté d'autres propositions fantaisistes de l'avant-projet de réforme, telle celle de l'audition dite libre, simili garde à vue sans avocat avec le consentement du suspect. L'autre grand acteur de l'institution judiciaire, l'avocat, voit son rôle réévalué, ce qui est une bonne chose. Contrairement aux législations de nombreux pays européens qui offrent des garanties étendues dans le domaine des droits de la défense, l'avocat dispose, en France, de droits relativement restreints, cantonnés le plus souvent à une série d'interventions courtes qui pourraient presque être tenues comme étrangères à l'idée même de défense pénale du client. L'avocat peut certes rencontrer son client – dans certains cas seulement à la quarante-huitième ou à la soixante-douzième heure – dans des conditions qui en garantissent la confidentialité, mais au-delà de cet entretien sommaire, l'avocat est une persona non grata. Il ne peut assister aux interrogatoires ni accéder au dossier pénal. Il est simplement informé, verbalement, des faits qui justifient la mesure de garde à vue et ne peut intervenir dans le cours de la procédure qu'en formulant des observations écrites, versées au dossier de procédure.

Dans de nombreux pays de l'Union, comme en Espagne ou dans les pays anglo-saxons, l'avocat est présent dés la première seconde. Ce simple exemple témoigne de l'archaïsme, de la conception inversée des rapports entre police et justice qui prévalent chez nous où l'avocat est une sorte de « figurant impuissant ». Tout cela est contraire au droit à un procès équitable invoqué avec justesse par la Cour européenne des droits de l'homme. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, garantissant le droit à un procès équitable, est en effet applicable à la phase antérieure au procès pénal et ne saurait concerner le seul procès pénal à proprement parler.

D'ailleurs, le doyen Vedel, alors qu'il était membre du Conseil constitutionnel, avait résumé ce processus en déclarant en 1981, à l'occasion de l'examen de la loi « Sécurité et liberté » : « la garde à vue viole les droits de la défense car elle permet qu'un suspect soit interrogé sans l'assistance d'un avocat ». Cette affirmation revient incontestablement à considérer que l'interrogatoire conduit par la police contre une personne placée sous contrainte fait basculer de l'enquête policière, préalable au procès, à la phase judiciaire. C'est d'ailleurs à partir de cet interrogatoire que s'engage le processus qui met sur les rails une vérité policière qu'il sera très difficile de contester par la suite et qui deviendra souvent la vérité judiciaire. Tous les scandales judiciaires de ces dernières années nous l'ont prouvé. Pourquoi l'institution judiciaire éprouve-t-elle alors tant de difficultés à remettre sur la bonne voie un processus aussi mal engagé ? La réponse est simple : il est difficile, au cours du processus judiciaire qui suit la garde à vue, de contredire le contenu d'interrogatoires transcrits noir sur blanc sur des procès-verbaux signés non seulement par les policiers, mais également par les personnes interrogées.

Aussi toute nouvelle réforme de la procédure pénale devrait-elle commencer par modifier radicalement l'objet de la garde à vue en revenant à ce qu'elle était à son origine et à son sens étymologique : garder les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d'investigations effectuées en enquête préliminaire, le temps de les conduire devant un juge après en avoir informé leur avocat. C'est ensuite devant un tribunal que devrait s'ouvrir la première phase du processus judiciaire : exposé des charges résultant des procès-verbaux établis par la police, interrogatoire par le procureur puis contestation ou reconnaissance de culpabilité par l'auteur présumé, assisté de son avocat.

L'avocat, et nous devrions veiller à ce que le texte soit clair sur ce point, ne doit donc pas se transformer en faire-valoir passif dont la présence donnera une force importante aux aveux passés lors des interrogatoires et rendra encore plus difficile qu'à l'heure actuelle une contestation ultérieure de ceux-ci.

Ces questions sont au coeur de la réforme de la garde à vue. Cette deuxième lecture peut et doit apporter les améliorations nécessaires à ce texte, et notamment :

La garantie du droit à l'information de la personne gardée à vue en lui notifiant son « droit de garder le silence » pendant l'audition, y compris sur son identité ;

La possibilité, pour toute personne gardée à vue, de consulter un avocat dés le début de la garde à vue, sans limite de temps, et de bénéficier de la présence de l'avocat pour toutes les auditions, y compris dans le cadre des régimes dérogatoires ;

La possibilité, pour l'avocat, d'accéder au dossier de la procédure dès le début de la garde à vue, pour garantir un conseil effectif, y compris dans le cadre des régimes dérogatoires, et lui permettre d'intervenir à tout moment au cours des auditions pour assister la personne gardée à vue ;

La garantie de « la vaste gamme d'interventions » de l'avocat, caractérisant une assistance effective, comme le prévoit la Cour européenne des droits de l'homme qui emploie précisément cette formule : discussion de l'affaire, organisation de la défense, recherche des preuves favorables à l'accusé, préparation des interrogatoires, soutien de l'accusé en détresse et contrôle des conditions de détention – souvenons-nous de l'arrêt Dayanan contre la Turquie du 13 octobre 2009 ;

La suppression de la restriction de la liberté de choix de l'avocat en matière de terrorisme, pour garantir l'égalité de traitement et le droit à un procès équitable ;

La garantie que la personne auditionnée hors garde à vue dispose des mêmes droits que les personnes gardées à vue.

Je conclurai mon propos en insistant de nouveau sur l'importance du débat qui se noue dans cette enceinte. Nous devons en finir avec l'insécurité juridique instaurée par la garde à vue inquisitoriale pratiquée depuis des lustres. Nous devons en finir avec les pratiques de non-droit instaurées dans nos commissariats. Nous devons modifier les pratiques dès maintenant et intégrer le droit au silence qui est un droit incontournable. En 1981, nous avons osé transgresser contre la vox populi, et ce quel que soit notre bord, les limites du droit pénal hérité de notre histoire, en supprimant la peine de mort. Aujourd'hui, à contre-courant du populisme judiciaire ambiant, nous devons transgresser de nouveau des règles héritées d'un passé révolu en harmonisant notre droit avec ceux de nos partenaires de l'Union européenne.

Cette réforme, nous souhaitions qu'elle soit consensuelle et nous l'avions indiqué lors de la première lecture. Visiblement, nous n'avons pas été entendus. Cette réforme ne correspond pas à ce que nous souhaitions. Nous le regrettons profondément. Nous souhaitions que, sur ce sujet, notre assemblée cherche un consensus profitable à l'État de droit et aux justiciables. C'est l'image de la France qui est en jeu et la garantie des libertés fondamentales. C'est à cette aune que nous serons jugés par l'histoire. Les droits de l'homme ne sont pas accordés ou refusés. On ne quémande pas les droits humains dans la patrie des droits de l'homme, monsieur le ministre. Soit ils sont garantis par la loi, soit ils sont bafoués. Tel est l'enjeu.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Ils sont garantis par la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Monsieur le garde des sceaux, chers collègues, cette réforme était nécessaire. Mais elle a été si mal préparée, si mal expliquée, qu'elle est mal reçue par les policiers et les gendarmes, les magistrats et les avocats. Parce que nous ne voulons pas que le nombre de gardes à vue augmente du fait d'une grève du zèle liée à l'exaspération de tout ou partie des professions concernées ; parce que nous ne voulons pas qu'un vide juridique s'installe ou que des sanctions soient prises contre notre pays, nous vous demandons de prendre le temps de continuer à travailler ce texte insatisfaisant. C'est pour cette raison que nous demandons le renvoi de ce projet de loi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

J'extrais quelques mots du discours de notre collègue Mamère : entrave, insulte, petits bras, archaïsme, droit bafoué… Je reconnais bien là le sens de la modération de notre collègue. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

Ce ne sont là que quelques exemples, mais ils semblent réveiller l'auditoire !

Reste que notre droit est effectivement à la croisée des chemins. Nous avons des obligations constitutionnelles et conventionnelles et l'objet de ce texte est bien de réformer la garde à vue, de permettre la présence de l'avocat dès les premiers instants, de respecter l'État de droit. Cet objectif, nous le partageons aisément, y compris en prévoyant un régime dérogatoire pour le terrorisme ou d'autres activités, ce que, du reste, la Cour européenne des droits de l'homme ne récuse pas. Simplement, il y faudra un examen au cas par cas et ce sera fait.

Nous cherchons donc, nous aussi, à en finir avec l'insécurité du statut de la garde à vue. Un certain nombre d'éléments vont permettre d'y voir plus clair.

Nous instaurons un équilibre, délicat certes, entre différentes contraintes et obligations. Pour certains, le respect des droits de la défense peut poser problème. Mais c'est une ardente obligation. Il faut se réjouir de cette avancée, non à contrecoeur, mais avec réalisme et s'en satisfaire vraiment. Il me semble qu'on ne compromet pas le travail des forces de l'ordre. Il est important qu'elles puissent travailler convenablement pour assurer la sécurité dans notre pays. Pour autant, on ne saurait restreindre l'avocat à un rôle de « confort », en faire une potiche. Contrairement à ce que vous dites, monsieur Mamère, ce n'est pas le cas. S'il faut laisser travailler l'officier de police judiciaire, il faut de même veiller à l'intérêt de la victime.

Nous avons longtemps débattu. On peut certes avoir des points de vue différents. Peut-être aussi, avec le recul que donnera la mise en pratique de la réforme, pourra-t-on modifier tel ou tel aspect de la procédure. Mais pour l'heure, nous sommes parvenus à un texte qui, sans être parfait, est équilibré. Il préserve les intérêts des uns et des autres, satisfait la jurisprudence européenne, mais préserve aussi certaines singularités du droit français, certaines qualités de ce droit continental que notre collègue Raimbourg a aussi salué. Au-delà de nos points de vue différents sur la garde à vue, nous portons le même intérêt à ce modèle. Sans doute faut-il trouver un équilibre entre ce droit continental et un droit plus anglo-saxon. Après les travaux en première lecture à l'Assemblée et au Sénat, un renvoi en commission me paraît totalement inutile. Nous avons déjà largement débattu pendant de longues heures de l'intérêt de cette réforme et des possibilités de la compléter. Les échanges entre le palais du Luxembourg et le Palais Bourbon ont été fructueux. Je ne peux donc accepter ce renvoi en commission.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Ce texte sur la garde à vue marque un changement profond dans la conception de notre droit pénal. En effet, la preuve devient désormais nettement l'essentiel de l'accusation. J'ai la faiblesse de m'en tenir au texte. L'article 1er dit ceci :

« La garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs. »

L'article 1er précise ensuite que cette mesure doit être l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des six objectifs parmi lesquels il n'est jamais question d'aveu, mais toujours de la recherche de la preuve.

Ce texte constitue donc un véritable changement culturel. À ce titre, je conçois parfaitement qu'il inspire des craintes aux magistrats et aux enquêteurs, qui vont devoir modifier profondément leur conception de la procédure pénale. Ce texte devra donc faire l'objet d'une acculturation progressive dans nos moeurs juridiques. Cela ne se fera pas d'un coup.

Vous avez, monsieur Mamère, abordé un certain nombre de sujets comme le droit au silence. Celui-ci a fait l'objet d'un long débat à l'Assemblée et l'article 1er A le consacre. S'agissant de la présence de l'avocat, l'article 5 prévoit que dès le début de sa garde à vue, une personne pourra demander à être assistée par un avocat, ce qui signifie que ce dernier pourra remplir la totalité de son office auprès de la personne placée en garde à vue.

Ce texte contient donc bien plus de choses que vous ne l'avez dit. Il est vrai que si vous l'aviez reconnu, vous n'auriez plus pu demander son renvoi en commission.

Il s'agit d'un bon texte, qui réalise un bon équilibre…

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Vous n'en croyez pas un seul mot ! Ne rougissez pas comme ça !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

…entre une liberté publique constitutionnellement garantie et la nécessité pour les enquêteurs de pouvoir faire leur travail.

Bien entendu, je me préoccupe des moyens financiers nécessaires, notamment pour la rémunération des avocats. J'ai rencontré cet après-midi même le Conseil de l'Ordre des avocats de Paris et je rencontrerai en fin de semaine les représentants de l'ensemble des avocats pour discuter de cette question. Comme je l'ai dit à M. Raimbourg, la loi de finances rectificative qui sera présentée dans quelques semaines à l'Assemblée nationale traduira ces besoins en moyens financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Dans les explications de vote, la parole est à Mme George Pau-Langevin.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Le groupe SRC va voter la motion présentée par notre collègue Mamère en des termes extrêmement modérés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Vous faites cette réforme à contrecoeur, parce qu'elle vous est imposée par les institutions européennes. De ce fait, la manière dont elle est présentée est tout à fait insatisfaisante : faite à contrecoeur, elle est bâclée et ne satisfait pas les obligations que les institutions, notamment la Cour européenne des droits de l'homme, vous ont imposées.

Lorsque nous avions proposé une réforme de la garde à vue en début d'année, vous nous aviez dit que vous ne pouviez pas nous suivre parce qu'elle devait s'inscrire dans une grande réforme de la procédure pénale. Or cette réforme, nous l'attendons toujours. Pis encore, l'avant-projet de réforme du code de procédure pénale qui nous a été soumis n'est plus à l'ordre du jour. Les jurys populaires, dont la presse nous rebat les oreilles, ne figurent pas dans ce texte. Comment allez-vous inscrire la garde à vue rénovée dans cette procédure modifiée ? Pour l'instant, on ne sait pas grand-chose à ce sujet.

Vous présentez une réforme sans disposer de l'ombre de la moitié du début des moyens nécessaires à sa mise en oeuvre. Les crédits actuels destinés à l'aide juridictionnelle ne permettront pas de la mettre en place. Nous le regrettons.

Nous considérons en effet que l'introduction de la présence de l'avocat en garde à vue constitue une excellente réforme. Les instances européennes vous ont obligé à prendre cette mesure, mais vous le faites sans proposer les crédits destinés à payer les avocats ou à mettre les locaux aux normes.

Nous ne voyons pas comment vous pourrez appliquer ces textes. À en juger par la façon dont vous avez choisi de les défendre, il nous semble même qu'il s'agit, en quelque sorte, d'une manière de saboter…

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

…ce qui devrait être une très grande réforme en faveur des droits de ceux qui sont aux prises avec la police et la justice.

Si l'on veut que la garde à vue ne soit plus utilisée pour des délits mineurs, il nous semble indispensable d'instaurer un seuil ; vous n'en faites rien.

Dans le détail de l'application de la procédure, vous avez maintenu de façon inacceptable un certain nombre de mesquineries. Il en est ainsi des règles relatives aux objets intimes retirés aux personnes gardées à vue, comme les soutiens-gorge ou les ceintures.

Tout cela n'est vraiment pas à la hauteur de la réforme qu'il aurait fallu mener. C'est pourquoi nous considérons que vous faites cette réforme à contrecoeur. Finalement, vous mettez en oeuvre une mauvaise réforme qui contient des mesures inacceptables.

Il est indispensable que vous la retravailliez pour proposer une réforme de la garde à vue conforme aux impératifs européens, dont notre pays à besoin. En conséquence, le groupe SRC votera avec enthousiasme la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Hunault, premier orateur inscrit.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Monsieur le garde des sceaux, le projet de loi sur la garde à vue, que nous examinons en deuxième lecture, constitue, comme vous l'avez rappelé à juste titre, un texte de progrès.

Je constate que, depuis la première lecture, nos collègues de l'opposition ont changé de ton.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

En première lecture, nous avions travaillé ensemble pour améliorer le projet de loi. Certains ayant avancé que le Gouvernement a été contraint de déposer ce texte, je vais rappeler les étapes de son élaboration.

La réforme de la garde à vue avait été annoncée. Nous faisions partie de ceux qui dénonçaient la multiplication des recours à cette procédure : 800 000 gardes à vue en 2009. Il faut rappeler que cette inflation trouve son origine dans les réformes effectuées alors que Mme Guigou était garde des sceaux ; à l'époque, la garde à vue était censée protéger la personne concernée.

Aujourd'hui, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et une décision du Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, ont poussé le Gouvernement à déposer un projet de loi relatif à la garde à vue. Je rappelle que la question prioritaire de constitutionnalité est une innovation issue de la dernière révision constitutionnelle qui permet à tout citoyen de saisir le Conseil constitutionnel, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, s'il estime qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

En première lecture, l'Assemblée nationale et le Sénat ont introduit dans le texte des garanties nouvelles.

Certes, tout à l'heure, le président de la commission des lois a pris la parole pour poser plusieurs de questions relatives aux moyens. Le fait est assez exceptionnel pour qu'il l'ait fait remarquer. Si ses questions étaient légitimes, il me semble que nous n'avons pas de leçons à recevoir de l'opposition. Depuis une dizaine d'années, elle refuse de voter des budgets qui visent à améliorer la situation de la justice et à rattraper notre retard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Vous parlez de la RGPP ou du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Monsieur le garde des sceaux, nous sommes tous d'accord : il faut encore améliorer le budget du ministère de la justice. Vous n'avez d'ailleurs pas éludé la question puisque vous avez annoncé, la semaine dernière, la mise en place d'un plan de rattrapage, et vous venez de nous confirmer qu'il sera financé dans le cadre du prochain projet de loi de finances rectificative. J'en prends acte au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre.

Le Gouvernement a aussi annoncé la semaine dernière des créations d'emplois ; vous venez de les confirmer. Ces sujets sont importants et des questions se posent. Je l'ai encore constaté, hier, en Loire-Atlantique, où j'avais l'honneur de recevoir le ministre de l'intérieur qui visitait une gendarmerie.

L'essentiel est de se conformer aux exigences de la CEDH et du Conseil constitutionnel…

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

…tout en garantissant que l'enquête ne sera pas entravée.

En écoutant mes collègues de l'opposition, j'ai quasiment eu le sentiment qu'ils souhaitaient remettre en cause l'article 1er A, introduit par un amendement du Gouvernement, qui dispose que « en matière criminelle et correctionnelle, les déclarations faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui ne peuvent servir, à elles seules, de fondement à une condamnation prononcée contre une personne ».

Monsieur le garde des sceaux, il s'agissait pourtant du coeur du projet de loi. Vous avez pris cette initiative et, après quelques discussions, vous avez été soutenu par la majorité. Vous avez eu raison de tenir bon sur ce point non négociable qui confère un véritable rôle à l'avocat.

À cet égard je me permets de signaler au rapporteur que je n'ai pas apprécié sa réaction.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

On peut ne pas être d'accord avec un député sans en venir au fait personnel ; cela n'est pas l'usage dans cet hémicycle.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il faut faire confiance aux avocats pour ce qui concerne leur rôle et leur organisation. La présence de l'avocat en garde à vue n'est pas une entrave à la recherche de la vérité. Je dis cela d'autant plus facilement que le Président de la République a lui-même affirmé, lors d'une audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation, qu'il ne fallait pas craindre cette évolution.

Pour autant, pour s'adapter à ce profond changement, il faudra que chacun prenne ses responsabilités. Nous y reviendrons lors des débats.

Nous avons maintenu un délai de carence de deux heures contre l'avis du Gouvernement qui voulait s'en tenir à une heure. Ce n'était pas par plaisir, mais parce que nous voulons que nos brigades de gendarmerie, qui sont des lieux de garde à vue, soient préservées dans le tissu rural. Or certaines d'entre elles sont très éloignées du chef-lieu du département. Un tel délai est donc nécessaire.

Ce projet de loi vise avant tout à réduire le nombre de gardes à vue. C'est un texte de progrès. Pourtant, contrairement à ce que j'avais pu entendre en première lecture, l'opposition n'a pas souligné que cette réforme faisait progresser la défense des libertés et la présomption d'innocence tout en permettant d'assurer la sécurité de l'enquête.

Je sais que certains de mes collègues de la majorité considèrent que le progrès des libertés peut aller à l'encontre de la recherche de la vérité et de la sécurité. J'ai envie de leur dire qu'il ne faut pas avoir peur. Certes, ces dernières années, nous avons voté des textes privilégiant la transposition de normes européenne visant à assurer la défense des droits des individus. Toutefois, face à ces droits, il y a des exigences, des obligations et des devoirs.

Les forces de police et de gendarmerie sont très attentives à l'élaboration de la loi et à nos débats. Elles doivent être confortées dans leurs missions. Ce projet de loi n'est pas un texte contre la gendarmerie ou la police.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Ce texte nous est imposé mais nous avons voulu qu'il soit encadré, et nous avons obtenu certaines garanties.

Avec l'ordre des avocats et les barreaux, il conviendra de dresser le bilan de son application sur le terrain

Ainsi que le président de la commission des lois et le garde des sceaux l'ont dit avant moi, ce texte n'aura de sens que s'il est accompagné d'un effort budgétaire.

Monsieur Mercier, les parlementaires sont aussi une force de proposition. J'ai ainsi suggéré que la protection juridique et la clause « défense et recours » puissent prendre en charge l'intervention de l'avocat. Cette piste n'a pas été retenue et vous avez annoncé avoir abondé les crédits. En pratique, comment cela fonctionne-t-il ? Une partie de nos concitoyens n'est en effet ni assez pauvre pour bénéficier de l'aide juridictionnelle ni assez riche pour estimer que l'accès à l'avocat n'est pas trop coûteux.

Au-delà de la garde à vue, l'accès au droit et à la justice pose un vrai problème. Une mission d'information travaille sur ce sujet au sein de la commission des lois à l'initiative du président Warsmann qui vous a fait des propositions. Ce sujet est crucial.

Il faut aussi consentir un effort pour adapter les locaux de police et de gendarmerie. Une mise aux normes s'impose qui sera coûteuse, mais il ne faudrait pas que nous votions un texte inapplicable.

Monsieur le garde des sceaux, nous vous soutenons pour ce qui concerne la philosophie générale de ce projet de loi.

Monsieur le rapporteur, vous avez été attentif à un certain nombre de suggestions. Nous avons eu des divergences en première lecture. Le Sénat s'est prononcé et il me semble que, pour l'essentiel, nous sommes parvenus à écrire un texte qui permettra d'aborder la réforme avec confiance.

Je concède que certaines questions demeurent.

Ainsi, Mme Pau-Langevin a évoqué la situation de la personne gardée à vue. En première lecture, nous avons fait d'énorme progrès en la matière. Monsieur le ministre, ce n'était pas parce que les amendements adoptés étaient signés par le Nouveau Centre (Sourires), mais parce que vous avez été très attentif au respect de la dignité et de la présomption d'innocence qui sont la pierre angulaire et la philosophie de ce texte.

Abordons cette seconde lecture avec confiance. Certes, il y a urgence – j'ai entendu parler de l'échéance du 15 avril –, mais, au regard du mouvement pour le progrès des libertés, il faut surtout affirmer que ce texte mérite d'être approuvé. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour examiner en deuxième lecture le projet de loi portant réforme de la garde à vue tel que modifié par le Sénat. En réalité, comme vient de l'indiquer notre excellent rapporteur Philippe Gosselin, ce texte n'a été amendé qu'à la marge, d'où la question posée de savoir si nous pouvons nous satisfaire d'un vote conforme à celui du Sénat.

Avant de répondre à cette question, je vais revenir sur quelques éléments de contexte.

À tous ceux qui feraient le reproche au Gouvernement et à notre majorité de devoir légiférer dans l'urgence,…

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

…je rappelle que la réforme de la garde à vue et son calendrier nous sont imposés par la jurisprudence de la Cour de cassation, les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 qui nous laisse jusqu'au 1er juillet 2011 pour nous mettre en conformité.

Cependant, la chambre plénière de la Cour de cassation devrait rendre un arrêt le 15 avril prochain, qui pourrait précipiter la nécessité de mise en conformité de la garde à vue avec les préconisations de la Cour européenne des droits de l'homme.

Outre la contrainte de temps, ces institutions nous imposent également de nombreuses contraintes de fond. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme, de culture juridique anglo-saxonne, nous impose de plaquer des dispositions issues de la procédure accusatoire sur notre système inquisitoire de procédure pénale.

Notre procureur de la République n'a pas les mêmes fonctions qu'un procureur anglo-saxon. Il doit mener ses investigations à charge et à décharge. S'il engage des poursuites, c'est dans le cadre de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité des poursuites. Il n'est en aucun cas une partie au procès pénal, et c'est véritablement par abus de langage que certains parlent de lui comme de la partie poursuivante.

Le procureur de la République défend la société et l'intérêt général ; il intervient au nom de la République, et non pas au nom de l'État ou du Gouvernement. À ce titre il est le garant du respect des règles institutionnelles et des libertés individuelles.

C'est donc dans ce contexte hybride qu'il faut légiférer. La réforme qu'il nous appartient de voter doit trouver, à plus d'un titre, un étroit chemin entre divers intérêts souvent contradictoires.

Elle doit tout d'abord donner les moyens de mener l'enquête sans entrave afin de permettre la manifestation de la vérité. Elle doit également admettre que le mis en cause puisse exercer ses droits légitimes à la défense. Elle doit, par ailleurs, accorder à la victime les moyens d'être respectée et protégée, et veiller à ce que, dans les faits, celle-ci n'ait pas le sentiment que les rôles sont inversés, c'est-à-dire veiller à ce que la victime ne soit pas mise en accusation, et à ce que que l'auteur n'apparaisse pas comme une victime du système qu'il faudrait protéger à tout prix.

En outre, notre marge de manoeuvre est très étroite entre deux risques politiques majeurs.

Le premier est celui de mettre en oeuvre des règles de procédure de garde à vue si contraignantes qu'elles pourraient être une véritable entrave à l'enquête. Cela risquerait alors de faire chuter de manière catastrophique le taux d'élucidation des crimes et délits, qui était en constante augmentation depuis plus de huit ans, et de nuire ainsi à l'efficacité de la police et, par voie de conséquence, à celle de la justice.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas prendre le risque de donner un coup de frein à la lutte contre la délinquance. Ce serait un mauvais signal pour les Français qui nous disent tous les jours leur besoin de sécurité. Ce serait un mauvais signal pour les délinquants, qui pourraient croire que tout est permis en toute impunité. Ce serait un mauvais signal pour nos forces de l'ordre qui, voyant leur efficacité mise à mal pour des questions procédurales, nourriraient non seulement un sentiment de lassitude, mais, pire, se sentiraient véritablement démotivées dans leur lutte quotidienne contre la délinquance.

Nous savons bien que ce texte tente d'établir un équilibre précaire entre ces intérêts contradictoires et qu'il n'est pas exclu que, à la lumière de l'expérience pratique, nous devions réajuster un certain nombre de dispositions. En effet, beaucoup d'exemples étrangers montrent qu'au renforcement des droits de la défense correspond traditionnellement un accroissement des pouvoirs de la puissance publique.

Par ailleurs, nous devrons également nous reposer – c'est inéluctable – la question de la simplification et de la dématérialisation des procédures, ainsi que celle de l'abandon de certains formalismes pesants, alors que la présence de l'avocat dès la première heure porte le gage du respect des procédures et des droits élémentaires de la défense.

Le second écueil que nous devons également éviter, est celui d'une réforme de la garde à vue pour rien. Je veux dire par là que nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place un dispositif qui pourrait encourir, dans les mois qui viennent, de nouvelles sanctions, prononcées soit par la Cour européenne des droits de l'homme, soit par le Conseil constitutionnel, soit encore par nos plus hautes juridictions.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous l'aurez compris, ce texte est le fruit d'un compromis et, comme tous les compromis, il ne satisfait véritablement personne. C'est peut-être ainsi que l'on trouve la ligne de crête entre les intérêts contradictoires que j'évoquais il y a quelques instants mais, de ce fait, l'occasion était trop belle pour l'opposition, pour le Parti socialiste en particulier, de s'engouffrer dans la brèche.

Je veux dénoncer ici le positionnement hypocrite du Parti socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe SRC),…

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

…lequel pratique la stratégie du caméléon, cet animal qui, vous le savez, prend la couleur de l'environnement dans lequel il se trouve.

En effet, vous adoptez dans cet hémicycle une posture tenant à dénoncer des dispositions qui ne seraient pas suffisamment protectrice des droits de la défense – c'était d'ailleurs l'un des principaux fondements de votre abstention sur l'ensemble du texte en première lecture – et, dans le même temps, vous vous assurez des succès d'estrade dans les commissariats et gendarmeries de notre pays en claironnant que votre abstention se justifie par votre crainte de voir les enquêtes entravées par les dispositions que vous trouviez sur les bancs de notre assemblée par trop timorées.

Opposer les policiers aux avocats, les avocats aux magistrats ou les magistrats aux policiers n'a pas de sens. Tous ont un intérêt commun : l'amélioration de la chaîne pénale et la bonne administration de la justice.

Le texte qui nous est présenté aujourd'hui tente d'aller dans cette direction même si des ajustements seront sans nul doute nécessaires ensuite. Il suit le souhait du Président de la République qui, sans relâche, préconise depuis des années le passage d'un système qui privilégie l'aveu à un système privilégiant la preuve.

Cependant, la question de l'augmentation des moyens se posera inéluctablement parallèlement à cette réforme de la garde à vue.

En effet, la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif exigera le réagencement des locaux de la police et de la gendarmerie. Il faudra qu'ils puissent accueillir l'avocat, voire les avocats, et que ceux-ci soient en mesure de s'entretenir de manière confidentielle avec leur client. Par ailleurs, le droit systématique à l'assistance d'un avocat devrait voir s'envoler le budget de l'aide juridictionnelle.

Par ailleurs, le texte prévoit le développement de la visioconférence et de l'enregistrement des auditions, ce qui signifie également un certain nombre d'investissements. Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont fait l'objet de la brillante démonstration du président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann.

Enfin, la place et le rôle accru de l'avocat dans la procédure de garde à vue nécessiteront de la part de ces auxiliaires de justice une évolution dans leurs pratiques et dans leur organisation. Cela vaudra particulièrement pour les petits barreaux, notamment en zone rurale, certains départements à barreau unique ne comportant pas plus de vingt avocats.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'urgence nous impose de voter ce texte définitivement dans les meilleurs délais afin de sécuriser les procédures qui auront cours lorsque la chambre plénière de la Cour de cassation rendra – c'est prévu pour le 15 avril prochain – son arrêt.

Aussi le groupe UMP votera-t-il le texte dans les mêmes termes que le Sénat, et ce même si certaines améliorations auraient pu y être apportées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vidalies

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me suis quelque peu interrogé en entendant l'orateur de l'UMP expliquer que nous avions, au fond, une position ambiguë : nous défendrions ici libertés publiques et droits de l'homme et expliquerions par ailleurs, dans les commissariats, qu'il n'y aurait pas assez de moyens.

Je lui ferai deux observations.

Tout d'abord, quelques pays, non des moindres, prévoient la présence de l'avocat pendant la garde à vue ; telle est leur procédure depuis des décennies et leurs polices sont tout aussi efficaces que la police française. La question n'est pas de choisir, comme vous l'avez suggéré, entre les droits de l'homme et la sécurité. Ce n'est pas « l'un ou l'autre », c'est « l'un et l'autre » !

Ensuite nous sommes pour la défense des droits de l'homme et pour la sécurité, d'où la question des moyens. Si vous avez, vous, cette conviction qu'il faut choisir entre les deux, comme vous l'avez expliqué avec quelque candeur, alors nous comprenons mieux les conditions dans lesquelles vous abordez cette réforme.

Ce projet de loi portant réforme de la garde à vue est marqué, pour l'essentiel, du sceau de l'incertitude.

Les interrogations juridiques portent tout autant sur le fond du droit que sur le contexte institutionnel. En effet, si le Conseil constitutionnel nous a accordé une sorte de délai jusqu'au 1er juillet, chacun, ici, est bien conscient que la loi – ce n'est pas rien : elle est l'expression, dans cet hémicycle, de la volonté générale – risque d'être bousculée par l'arrêt qui sera rendu, le 15 avril semble-t-il, par la Cour de cassation. C'est ce contexte et uniquement ce contexte qui explique le choix du rapporteur et le souhait – c'est une formule de politesse – du Gouvernement d'aboutir à un vote conforme du texte adopté par le Sénat. Cela ne grandit pas le travail parlementaire.

L'on nous dit que le Sénat n'a modifié le projet de loi qu'à la marge. Pourtant il a modifié l'alinéa 7 de l'article 5, qui porte sur les conditions dans lesquelles le procureur de la République pourra autoriser que l'audition commence avant l'intervention de l'avocat. Nous avions soumis cette possibilité à des conditions identiques à celles qui permettent de différer la présence de l'avocat de douze heures, mais le texte issu des travaux du Sénat comporte désormais cette formule, à laquelle je promets un énorme succès sur le plan judiciaire : « Lorsque les nécessités de l'enquête exigent une audition immédiate de la personne, le procureur de la République peut autoriser, par décision écrite et motivée, sur demande de l'officier de police judiciaire, que l'audition débute sans attendre l'expiration du délai prévu au premier alinéa. »

Vous savez parfaitement, monsieur le ministre, tout le monde, ici, sait ce qui va se passer : un formulaire comportant la signature du procureur, mentionnant les « nécessités de l'enquête », permettra de commencer l'audition. Lesdites nécessités seront invoquées sans aucune explication particulière, d'autant qu'aucun contrôle n'est possible. On voit bien que cette modification, dont on nous dit qu'elle est secondaire, est de nature à bouleverser la réalité de la réforme. On peut certes l'approuver, mais nous y sommes opposés, car nous estimons qu'elle dénature complètement le texte. Las, vous n'avez pas le choix, obligés que vous êtes d'essayer d'obtenir un vote conforme pour attendre dans les meilleures conditions possibles l'arrêt à venir de la Cour de cassation.

Nous légiférons donc sous contrainte et ce contexte singulier est le dernier avatar d'une réforme à reculons que le Gouvernement et la majorité n'ont accepté, au fond, qu'à cause d'arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation.

Vous auriez dû pourtant être alerté par l'arrêt Medvedyev du 10 juillet 2008. Nous vous avons souvent posé ces questions, mais vos réponses, monsieur le ministre, – du moins elles sont aussi les vôtres du fait de la permanence de l'État – furent toujours les mêmes : la France n'était pas concernée, notre droit n'était pas visé. Par exemple la Turquie était concernée et non le parquet français. En fait, vous étiez dans un déni de réalité juridique. En soulignant aujourd'hui que vous n'avez jamais eu le projet politique de permettre l'assistance d'un avocat pendant la garde à vue, je ne suis pas très éloigné de la vérité. Vous êtes obligé de le faire, ce qui modère évidemment votre enthousiasme.

Cette réticence à la réforme est toujours présente dans votre projet de loi, dès lors que vous refusez d'examiner la question fondamentale du statut du parquet. À trop vouloir concilier l'inconciliable, vous nous proposez un texte qui présente, selon moi, de sérieux risques de sanctions et, très certainement, d'annulation de procédures pénales.

Le procureur de la République aura ainsi le pouvoir d'ordonner des placements en garde à vue, de prolonger la mesure, d'en contrôler le bon déroulement et de limiter, dans certaines circonstances, les droits du gardé à vue. Il est évidemment à craindre que ces exceptions – et notamment celle de l'article 7 dont je viens de parler – ne deviennent la règle, alors que personne ne sera en mesure de les contrôler ni de les contester.

Sur le fond du droit, vous persistez dans la résistance, alors que, vous le savez parfaitement, dans son arrêt du 15 décembre 2010, la Cour de cassation a reconnu que le ministère public n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5 paragraphe 3 de la Convention. Je rappelle aussi que la Cour européenne des droits de l'homme, dans la décision « Moulin contre France », a estimé que le procureur ne remplit pas les garanties d'indépendance nécessaires à l'exercice des fonctions judiciaires, c'est-à-dire des fonctions de contrôle de la liberté individuelle de la personne gardée à vue.

Dans cet arrêt – c'est peut-être le plus inquiétant par rapport au texte que vous nous proposez aujourd'hui –, la Cour européenne affirme que l'indépendance est un élément essentiel, comme l'impartialité. Elle précise que les exigences d'indépendance et d'impartialité excluent notamment que les magistrats puissent agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale.

Ainsi, hormis la décision de placement en garde à vue qui peut être regardée comme une mesure de sécurité, tous les pouvoirs que ce projet de loi accorde au procureur pour la prolongation de la garde à vue ou la diminution du délai d'attente de l'avocat présentent de sérieux risques au titre du contrôle de conventionalité, voire de constitutionnalité.

Nous pensons que cette résistance et cette prise de risque répondent à une vraie divergence politique sur le statut du parquet.

Nous sommes favorables à une modification des règles de nomination ainsi qu'à une modification de la composition du Conseil supérieure de la magistrature. Cette réforme avait d'ailleurs été adoptée par les deux assemblées en 1998, après la publication du rapport de la commission présidée par Pierre Truche. Chacun sait que, pour des raisons purement politiques, cette réforme ne fut jamais soumise au Congrès et que, depuis, pour les mêmes raisons, vous restez arc-boutés sur ce statut, dont quelques épisodes judiciaires récents ont, si c'était nécessaire, démontré qu'il n'était plus compatible avec une justice moderne et indépendante. Le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, a établi le seul diagnostic qui s'impose en constatant, lors de la rentrée solennelle du 7 janvier 2001, que le parquet était en situation de coma dépassé.

Sur cette question majeure, le projet de loi est donc un nouveau rendez-vous manqué qui, au surplus, laisse planer de très gros risques sur la procédure pénale à venir. Nous le regrettons d'autant plus que nous sommes favorables à l'introduction de l'avocat pendant la garde à vue, mesure que nous avions proposée à plusieurs reprises, sans succès. C'est, dans son principe, un progrès considérable.

Cela étant comment ne pas s'inquiéter des conditions de sa mise en oeuvre ? Les moyens de la justice ne sont pas aujourd'hui à la hauteur de l'enjeu quant aux commissariats et aux lieux de rétention. À ce jour, bien peu sont équipés pour répondre à cette nouvelle mission.

Le délai de deux heures accordé à l'avocat pour rejoindre le lieu de la garde à vue a été calculé, selon le rapport en première lecture, en prenant en compte la plus longue distance relevée, l'un des exemples cités étant le parcours entre la pointe du Médoc et Bordeaux. Vous auriez pu, monsieur le rapporteur, citer dans les mêmes conditions le trajet entre Mont-de-Marsan et Biscarosse, dans mon département.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vidalies

Le problème est que ces deux exemples visent des zones littorales à forte attractivité touristique. Si la garde à vue se déroule au mois de janvier, il n'y aura probablement pas de difficultés pour aller de Mont-de-Marsan à Biscarosse. En revanche si elle a lieu le 14 ou le 15 août, je souhaite bonne chance à l'avocat pour arriver dans les délais !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vidalies

Il s'agit de considérations anecdotiques, qui n'en sont pas moins pratiques. Imaginez un justiciable qui, dans ces circonstances, ferait constater par un huissier l'impossibilité de se rendre de tel point à tel point dans le délai que vous avez retenu, monsieur le garde des sceaux, d'autant qu'il n'y a pas d'autre alternative, qu'il n'y a qu'une seule route et pas de transports en commun ; tel est l'état de mon département. Vous risquez d'avoir des problèmes !

Ces exemples révèlent une forme d'amateurisme dans cette affaire, voire l'impréparation de votre projet de loi. Vous n'avez pas évoqué nombre de circonstances que policiers, magistrats et avocats ont rapportées. J'ai d'ailleurs tiré mes exemples des entretiens que j'ai eus avec eux.

Le problème est qu'il s'agit d'un texte qui touche aux libertés publiques et que ces dysfonctionnements, dus à l'absence de moyens pour la police et la justice ou à l'imprévision du Gouvernement, pourront affecter la régularité des procédures.

Nous nous sommes abstenus en première lecture, en espérant que des modifications permettraient d'améliorer le texte et que des moyens pourraient répondre à nos interrogations. Aujourd'hui, force est de constater que vous prenez à nouveau un risque juridique et que nous avons plus d'interrogations que de certitudes sur les conditions de la mise en oeuvre de cette réforme qui, décidément, est un vrai rendez-vous manqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, le projet de loi sur la garde à vue que nous examinons en deuxième lecture doit être voté et mis en application avant le 1er juillet 2011. Il est donc important de légiférer rapidement.

Cependant, le texte dont nous débattons, même pressés par les délais octroyés par le Conseil constitutionnel, doit être impérativement conforme aux jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Or tel n'est pas le cas. C'est la raison pour laquelle les députés communistes, républicains et citoyens avaient, en première lecture, voté contre le texte. Celui-ci comporte en effet un certain nombre de dispositions manifestement contraires à la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Gouvernement et la majorité savent d'ailleurs pertinemment que le texte, en l'état, n'est pas encore satisfaisant au regard des critères européens. Ils savent qu'il occasionnera une nouvelle condamnation de la France, dans quelques années. Aussi, le présent texte semble avoir pour seul objectif de gagner du temps, à défaut d'améliorer réellement les droits de la défense dans notre pays.

Pour être dans les clous du droit européen, il importe de signaler que la personne mise en cause ne peut s'incriminer elle-même. Dans un arrêt d'octobre 2010, la Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable.

Dans l'état actuel du projet de loi, cette exigence conventionnelle est-elle réellement respectée ? Dans le texte, vous l'affirmez, monsieur le garde des sceaux. Vous avez d'ailleurs évoqué ce point tout à l'heure. Cependant dans les faits, faute de moyens, vous ne pouvez le garantir.

Par ailleurs, votre projet de loi, en prévoyant, dans de nombreux cas, la possibilité pour le procureur et les officiers de police judiciaire de différer, voire d'empêcher purement et simplement la présence de l'avocat, vide la réforme de son contenu. Le présent texte organise ainsi lui-même son propre contournement ! Je pense ici à l'article 7, qui permet à la partie poursuivante d'empêcher l'autre partie de faire valoir ses droits en différant de douze ou vingt-quatre heures la présence de l'avocat.

Là encore, contrairement au droit européen, la personne mise en cause contribuera à sa propre incrimination, sans avoir eu la possibilité d'être assistée d'un avocat. Or je vous rappelle le texte de l'arrêt « Salduz contre Turquie » : « Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes – faites lors d'un interrogatoire subi sans assistance possible d'un avocat – sont utilisées pour fonder une condamnation. »

Nos interrogations portent également sur la nature de l'intervention de l'avocat que vous entendez permettre, monsieur le garde des sceaux. Ainsi, aux termes du présent texte, non seulement la présence de l'avocat peut être différée, mais ses capacités d'intervention sont également réduites à la portion congrue.

D'une part, l'avocat ne peut intervenir qu'à l'issue des auditions et des interrogatoires, c'est-à-dire une fois que « les jeux sont faits » et que la personne mise en cause aura éventuellement pu produire des « déclarations incriminantes ».

D'autre part, l'avocat n'aura même pas accès au dossier. Ce point est particulièrement problématique : comment organiser la défense de la personne mise en cause si son conseil n'a accès qu'aux PV des auditions, auditions auxquelles, en bonne logique, il a pu assister, ce qui rend les PV inutiles ? De plus, comme si le fait de donner accès aux PV était déjà une lourde concession aux droits de l'homme, le Gouvernement l'a fortement restreinte en laissant la possibilité au procureur d'empêcher l'avocat de les consulter.

Ici encore, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est tout simplement ignorée. Voici un extrait de l'arrêt « Danayan contre Turquie », cité par la Cour dans l'arrêt qui a condamné la France : « La discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer. » Comment l'avocat pourra-t-il effectuer ces missions fondamentales sans avoir accès aux dépositions des témoins ou aux constatations effectuées par les policiers ? Comment pourra-t-il discuter de l'affaire et organiser la défense de l'accusé sans même avoir accès aux PV des auditions ?

Le débat qui agite la majorité sur la question de la garde à vue avait permis, lors des débats en commission qui ont eu lieu pour la première lecture, d'introduire le contrôle de la légalité de la mesure par le juge des libertés et de la détention. C'est une exigence conventionnelle. L'arrêt « Medvedyev contre France » affirme explicitement : « Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public ».

Sur ces bancs, chacun le sait, les procureurs, s'ils sont des magistrats, ne sont indépendants ni de l'exécutif ni des parties, puisqu'ils sont chargés de l'accusation. C'est donc à double titre que cette disposition entraînera une nouvelle condamnation de la France.

Sur le fond, il s'agit d'une logique aberrante : le procureur de la République est celui qui décide de la mesure de garde à vue. Il devra donc contrôler lui-même ses propres actes et la légalité de sa propre décision. À quoi bon maintenir et faire voter une loi dont chacun sait ici qu'elle ne passera pas la rampe du Conseil constitutionnel ni celle de la CEDH ?

Le raisonnement est exactement le même en ce qui concerne la faculté de prolonger la garde à vue, que le texte laisse au procureur.

Enfin, en première lecture, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche avaient voté contre le texte, notamment parce que l'article 11 bis, combiné avec l'article liminaire, nous semblait pouvoir être lu comme une réintroduction discrète de la procédure de l'audition libre. Nonobstant les dénégations outrées du garde des sceaux, le Sénat a entendu nos inquiétudes puisque nos collègues ont amendé le texte dans le sens que nous indiquions, en soulignant que les personnes entendues hors garde à vue devaient se voir signaler la possibilité de quitter les locaux de police à tout moment. Les choses se sont donc améliorées grâce à la navette.

Cependant, le dispositif de l'article 11 bis ne nous garantit en rien que ces auditions hors garde à vue ne seront pas des « auditions libres » telles que prévues dans la première mouture du projet de loi. En effet, si les personnes peuvent quitter les locaux de la police, elles peuvent tout aussi bien être soumises à un chantage : « Si vous quittez les lieux, on vous place en garde à vue ». Ceux qui ont connu ou vécu cette situation le savent.

Par ailleurs, puisqu'il s'agit d'auditions où des charges existent contre la personne – les conditions autorisant le prononcé d'une garde à vue devant être réunies – pourquoi ne pas permettre, dès cet instant, l'assistance d'un avocat et l'organisation de la défense ? Il y a, sur ce point, une autre fragilité procédurale qui pourrait fort bien être soit inconstitutionnelle, soit déclarée non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La majorité n'ignore pas tous les arguments que je viens de développer. Le garde des sceaux a également eu l'occasion de les entendre une nouvelle fois. Tout le monde connaît ici les fragilités de ce projet de loi et la brièveté probable de sa durée de vie. Si chacun fait, cependant, la sourde oreille, c'est simplement pour gagner du temps. Une vraie réforme de la garde à vue est renvoyée à plus tard, ce qui est regrettable.

Ainsi, M. le rapporteur a publiquement annoncé qu'il ferait en sorte que le texte soit adopté sans modification et voté conforme. Est-ce vrai ? Je tiens à le dire solennellement : de telles pratiques sont purement et simplement inacceptables. En dépit d'une quantité impressionnante de malfaçons législatives, les représentants du peuple et législateurs que nous sommes sont priés de voter ce texte sans modification pour ne pas gêner le Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

C'est non seulement l'esprit du règlement de notre assemblée, mais aussi celui de la Constitution de 1958 qui sont ainsi bafoués par ceux-là même qui les défendent ! Une fois de plus, le Parlement et les parlementaires sont rabroués, rabaissés et sommés de se taire par un exécutif méprisant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Cela fait deux fois en peu de temps que l'on s'entend dire « Votez conforme ! Ne changez rien ! Deuxième délibération » ! Cela fait tout de même beaucoup ! De toute manière, on nous impose soit la procédure d'urgence, soit celle du vote conforme et, dans cette seconde hypothèse, nous n'avons même pas la possibilité de discuter dans le cadre d'une CMP.

Le délitement du rôle du Parlement est tel que celui-ci est aujourd'hui privé de sa dernière compétence, celle de faire la loi. Celle-ci est désormais votée par des députés aux ordres, au terme de négociations de couloir avec les émissaires du Gouvernement. En avalisant de telles pratiques, chers collègues de la majorité, vous déconsidérez votre propre fonction et vous contribuez à réduire notre hémicycle à une vulgaire chambre d'enregistrement. À l'heure où la France, par la voix de son chef de l'État belliciste, prétend donner des leçons de démocratie à l'Afrique tout entière, ça ne manque pas d'ironie, même si cela vous fait sourire, monsieur le rapporteur !

Nous savons donc déjà que les différents amendements que nous présentons ne seront peut-être pas lus, que les arguments que nous apporterons pour les soutenir ne seront peut-être même pas écoutés…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

…et que le texte sera voté conforme, en dépit de ses énormes lacunes. Ces méthodes sont hautement condamnables…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

…d'autant plus que le projet de loi que vous allez adopter sans le moindre changement fera l'objet de nouvelles contestations, éventuellement du Conseil constitutionnel…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

…mais, à coup sûr, de la Cour européenne des droits de l'homme.

Les députés que je représente portent pourtant plusieurs propositions, d'abord celle de réduire sensiblement le nombre des gardes à vue, ce que ce texte ne permettra pas. Chacun l'a dit au cours de la première lecture, même si l'article 11 bis permettra de réduire à la marge le chiffre exorbitant de 800 000 mesures annuelles, la loi ne comporte aucun critère sérieux permettant aux officiers de police judiciaire de faire le tri entre les mesures indispensables et celles qui sont manifestement excessives. Plusieurs collègues de droite l'ont d'ailleurs déploré.

Je rappelle, à ce titre, que l'objectif de réduction du nombre des mesures figure noir sur blanc dans la décision du Conseil constitutionnel et qu'il était censé être le but premier du présent texte de loi. Pour ce faire, nous proposons de fixer un quantum de peine encourue de trois ans, ce qui est une exigence minimale.

En outre, nous proposons d'empêcher la garde à vue des mineurs. Leurs situations traumatisantes et humiliantes, tant de fois rapportées, justifient certaines dispositions positives de ce texte, comme celle qui vise à mieux encadrer les fouilles à corps. Il est inacceptable que des mineurs puissent subir le même type de traitements.

Enfin, les régimes de garde à vue dérogatoires, fortement contre-productifs, doivent être supprimés. Les exemples sont nombreux de personnes mises en cause comme « terroristes » et qui, de ce fait, subissent des interpellations violentes, font quatre-vingt-seize heures de garde à vue, subissent des interrogatoires de la SDAT, puis sont placés en détention provisoire en qualité de « détenus particulièrement surveillés » pour un écrit politique jugé subversif – peut-être mon discours sera-t-il d'ailleurs jugé comme tel –, un pétard trouvé dans un coffre ou un faciès considéré comme suspect. Il est temps d'harmoniser les procédures et d'en finir avec les dispositifs dérogatoires qui tendent à concerner de plus en plus de mis en cause.

Pour conclure, les quelques avancées contenues dans ce texte – je l'ai précédemment souligné et je le maintiens – risquent fort de rester des voeux pieux si un effort budgétaire massif n'est pas fait pour accompagner la réforme. La colère des magistrats, qui a donné lieu à un mouvement d'une ampleur jamais vue dans tout le pays, portait précisément sur cette question. Les policiers et les gendarmes peuvent comprendre que le législateur fasse progresser les textes pour être en conformité avec les exigences de respect des droits de l'homme, mais ils demandent, eux aussi, tout comme les personnels de justice, que le législateur et le Gouvernement comprennent la réalité et les difficultés de leur mission, ce qui nécessite de renforcer considérablement leurs moyens d'action. Les coupes budgétaires, les fermetures de tribunaux, les suppressions de poste de policiers ou de gendarmes sont une donnée essentielle du problème qu'il convient de ne pas occulter.

Quoi qu'il en soit, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche détermineront leur position sur ce texte en fonction du sort réservé aux amendements des uns et des autres. Si aucun amendement n'était adopté, nous ne voterions évidemment pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

Qui ne partage pas, ici le constat de la nécessité d'une réforme de la garde à vue tant pour en réduire le nombre que pour respecter notre droit, puisque la jurisprudence a rendu caduc le système actuel ? Cependant, s'agissant de cette réforme, je souhaite formuler très clairement et très sincèrement plusieurs regrets et une mise en garde.

Je regrette, d'abord, que ce texte ne soit absolument pas équilibré. Il s'agit, malheureusement, d'un très mauvais signal envoyé aux forces de l'ordre qui accomplissent pourtant, vous le savez, un travail remarquable sur le terrain, dans un contexte budgétaire que nous savons contraint, pour assurer au mieux la sécurité des Français. Le Syndicat des commissaires de la police nationale, comme tous les autres syndicats de police avec lesquels je me suis entretenu, a vivement manifesté ses inquiétudes sur ce texte.

Par ailleurs, je regrette que nous soyons obligés de légiférer dans la précipitation et sous la pression des juridictions pour que ce texte soit applicable au plus vite !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

J'entends le souhait du Gouvernement de faire adopter ce texte par un vote conforme. Pour ma part, je souhaite que la représentation nationale puisse avoir le temps de parfaire ce texte qui ne fait pas l'objet d'une procédure accélérée et qui nécessite d'être rééquilibré.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

Nous ne pouvons pas nous permettre d'agir sous la pression des juridictions et que la qualité de nos lois s'en ressente. J'ai la conviction que ce texte, en l'état, va affaiblir l'action de la police et faire baisser le taux d'élucidation qui est passé, je le rappelle, de 2002 à aujourd'hui, de 25 % à près de 40 % ! J'ai aussi souhaité et fait voter en commission des lois une réécriture de l'article 1er A qui, dans la rédaction adoptée par le Sénat, semblait exclure totalement la validité des déclarations faites hors de la présence de l'avocat, c'est-à-dire les premières déclarations qui sont parfois essentielles et qui peuvent participer à la corroboration d'éléments, même si elles ne sont pas suffisantes à elles seules.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

Dans le même esprit, j'ai déposé, avec de nombreux collègues, plusieurs amendements sur des points majeurs du texte.

Je souhaite, notamment, que l'on revienne sur le délai de carence des deux heures fixé par le texte pour débuter l'audition et permettre à l'avocat de venir. Ce délai, même si l'on peut y déroger dans des cas extrêmes, va être très compliqué à mettre en oeuvre. Que va-t-on faire du gardé à vue pendant ce délai ? Cela ne constitue-t-il pas une inégalité entre territoires urbains et ruraux ? Ne va-t-on pas, de fait, augmenter la garde à vue de deux heures, puisque le gardé à vue devra nécessairement rester à proximité des locaux d'audition ? Sollicité par les syndicats de police sur ce point, je demande également que le régime de la garde à vue prononcée à l'extérieur des locaux, notamment lors de perquisitions, soit clarifié, afin de reporter automatiquement la présence de l'avocat dans ce cas.

Enfin, il me semble indispensable de réfléchir, afin de la clarifier, à la question des moyens matériels et financiers engendrés par cette réforme. À l'heure où nous cherchons à mutualiser et à rationaliser toujours plus nos moyens, l'intervention accrue des avocats va nécessiter un coût important qui ne sera pas, de mon point de vue, totalement compensé par la baisse du nombre de gardes à vue et l'augmentation budgétaire de l'aide juridictionnelle. Le général d'armée, Jacques Mignaux, a d'ailleurs alerté la représentation nationale par un courrier en date du 18 janvier sur ce sujet.

Monsieur le garde des sceaux, je suis certain que ce texte va rendre encore plus difficile le travail quotidien des forces de l'ordre, accroître considérablement leurs formalités administratives et attiser les incompréhensions entre policiers et avocats. Si le texte est voté en l'état, je ne nous donne que quelques semaines pour nous rendre compte qu'il n'est pas suffisamment équilibré.

Sauf à ce que des modifications profondes soient adoptées et à ce que vous nous apportiez la garantie que la Cour de cassation ne mettra pas en oeuvre ses intentions en contrepartie d'un vote conforme, je m'abstiendrai de voter ce texte. Je ne souhaite pas, pour les victimes comme pour les policiers, que nous nous engagions dans une voie qui ne pourrait éviter la double peine. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Delphine Batho

Nous abordons ce débat en deuxième lecture dans un contexte étonnant et singulier : on nous demande un vote conforme, c'est-à-dire un vote sans débat, un vote bloqué…

Debut de section - PermalienPhoto de Delphine Batho

…alors même que le Gouvernement est divisé et que le ministre de l'intérieur vient de dénoncer point par point ce texte que nous présente le garde des sceaux, dans un courrier au Premier ministre rendu public par une dépêche de l'agence AISG à dix-neuf heures, en préambule à nos débats. Après avoir expliqué, le 31 mars dernier, que « la police et la gendarmerie seront prêtes à mettre en oeuvre » la réforme de la garde à vue, le ministre de l'intérieur s'est repris et dit, à présent, strictement l'inverse, comme pour se prémunir, et demande qu'un autre projet de loi, un prochain texte, complète, si ce n'est défasse cette réforme.

Vous nous demandez un vote conforme, un vote bloqué, alors même – là aussi c'est une situation peu commune – que le président de la commission des lois, en préambule à nos débats, s'est livré à une démonstration implacable concernant les impasses, pour ne pas dire les mensonges, de l'étude d'impact. C'est dire si le texte qui nous est présenté est fragile et imparfait.

Nous légiférons donc tous ici en connaissance de cause. En matière de procédure pénale, parce qu'il y a des précédents, nous savons ce que peuvent être les conséquences des fragilités, des imperfections, des incertitudes et insécurités juridiques que comportent les textes que nous avons votés. Ces conséquences se nomment : procédures annulées, mis en cause relâchés, victimes dégoûtées, justice discréditée, et ce dès la garde à vue, stade initial de la procédure pénale. Le groupe socialiste assume donc pleinement sa responsabilité en disant qu'il ne fermera pas les yeux sur les défaillances de cette réforme, défaillances que vous vous obstinez à ne pas vouloir corriger.

Il y a, bien sûr, en premier lieu, la question majeure des moyens, nombre de collègues en ont parlé, je n'y reviens pas. Cependant, à mes yeux cette réforme n'est pas seulement viciée, parce qu'il faudrait des moyens supplémentaires. Elle est viciée de par sa conception même et ce n'est pas un problème d'équilibre. Le Gouvernement, comme l'a justement précisé Alain Vidalies, a conçu cette réforme à reculons, contraint et forcé, alors qu'il avait l'occasion d'en faire un levier de modernisation et de simplification de la procédure pénale et que c'est à cette seule condition qu'il était possible qu'elle reçoive l'adhésion des professionnels, magistrats, policiers, gendarmes, avocats chargés de la mettre en oeuvre.

Au lieu d'un climat d'adhésion, c'est aujourd'hui un climat de défiance qui entoure votre projet de loi.

L'Union syndicale des magistrats dénonce « une réforme dans la précipitation qui est une folie dont, nous, professionnels, allons devoir assumer les conséquences » et ajoute : « Les avocats, les magistrats, les policiers ne sont pas du tout prêts. Il y a de nombreux vides juridiques dans le projet de loi ».

Les commissaires de police redoutent que l'on « paralyse l'action des services ». Les officiers du SNOP soulignent que « l'enquête judiciaire va considérablement s'alourdir et se compliquer ». Pour Unité police, cette réforme va « accentuer les difficultés auxquelles sont déjà confrontés les policiers enquêteurs ».

Le Syndicat des avocats de France souligne que, « sans les moyens matériels appropriés et sans une refonte immédiate du statut du parquet pour le rendre indépendant, la réforme sera un échec pour les citoyens et pour la justice, dont le Gouvernement portera seul l'entière responsabilité ».

Vous avez fait un texte offshore, en dehors des réalités. Vous n'avez pas cherché à lever les inquiétudes de ceux qui seront chargés de l'appliquer, qu'ils soient avocats, magistrats ou policiers, et j'en prendrai brièvement quelques exemples.

En ce qui concerne d'abord l'aide juridictionnelle, j'ai ici les cahiers de doléances du tribunal de grande instance de Niort concernant le bureau d'aide juridictionnelle, dont je vous lis un passage :

« Du 1er janvier au 10 mars 2011, le bureau d'aide juridictionnelle de Niort a enregistré 900 dossiers contre 704 pour la même période en 2010.

« À cette date, le 10 mars 2011, il reste 1 000 dossiers d'aide juridictionnelle en attente de décision.

« Au 1er mars, une vacataire est arrivée afin de renforcer notre effectif. Celle-ci effectue l'enregistrement des demandes d'aide juridictionnelle et la notification des décisions. Toutefois, cette aide précieuse est insuffisante au vu de la charge de travail de ce service et aléatoire dans le temps puisqu'il s'agit d'un CDD.

« Le 1er septembre 2010, lors de la fusion des tribunaux de grande instance de Bressuire et de Niort, l'effectif du bureau d'aide juridictionnelle était de 2,5 ETP. Depuis cette date, le service a subi deux départs à la retraite et, aujourd'hui, l'effectif est réduit à 1,50 ETP.

« Nous ne sommes plus en mesure de faire face à la charge de travail actuelle.

« Actuellement, le service est en réelle souffrance. Nous travaillons dans l'urgence et dans des conditions de stress permanent.

« Enfin, vingt-cinq mètres linéaires d'archives sont stockées dans une armoire et un placard dans le bureau. Ces rangements sont aujourd'hui saturés, les boîtes d'archives sont désormais entassées à même le sol : la sécurité n'est plus assurée. »

Si j'évoque cette situation, c'est que, du fait de ces mille dossiers en attente, les avocats demandent le report de toutes les audiences pour lesquelles le dossier d'aide juridictionnelle de leur client n'a pas été examiné par le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal. Qu'en sera-t-il des personnes placées en garde à vue qui demanderont à se faire assister d'un avocat mais dont le dossier de demande d'aide juridictionnelle n'aura pas été examiné et dont les avocats diront qu'ils ne pourront pas assurer la défense ?

J'aurais aimé que le ministre de l'intérieur soit également ce soir au banc du Gouvernement, et que, au lieu d'adresser des lettres au Premier ministre, il soit à vos côtés pour répondre aux questions des parlementaires puisque cette réforme de la garde à vue n'arrive pas dans n'importe quel contexte.

Elle intervient en effet au terme d'une double législature qui a été profondément marquée par les dérives de la politique du chiffre, laquelle a conduit à l'augmentation de 72 % du nombre de gardes à vue, et ce en grande partie afin de faire monter artificiellement le taux d'élucidation.

Elle intervient dans un contexte d'une diminution sans précédent des moyens de la police et de la gendarmerie, qu'ils soient humains, puisque 9 564 postes ont été supprimés en trois ans, qu'en crédits de fonctionnement et d'investissement, du fait de la révision générale des politiques publiques.

Mes chers collègues, ce n'est pas hors sujet ni sans conséquence sur les conditions d'organisation et de déroulement des gardes à vue, et nous aurions aimé entendre le ministre de l'intérieur notamment sur deux éléments directement liés au déroulement des gardes à vue.

Premier élément, la réforme de la médecine légale : une circulaire interministérielle du 27 décembre a modifié son organisation pour les victimes comme pour l'examen médical des personnes placées en garde à vue. Cette nouvelle organisation alourdit considérablement la charge de travail des policiers et gendarmes en les obligeant à faire de longs déplacements. J'ai interpellé le ministre de l'intérieur sur ce sujet depuis plusieurs semaines ; je suis toujours dans l'attente de sa réponse.

Second élément que nous aurions aimé aborder : le nouveau logiciel de rédaction de procédure, initialement dénommé Ardoise, qui a été rebaptisé LRPPN2. C'est avec cet outil informatique que les policiers devront établir tous les procès-verbaux lors d'une garde à vue. Ce logiciel est en pratique totalement incompatible avec les besoins opérationnels des services, son ergonomie est dépassée, son architecture obsolète, son fonctionnement lourd et laborieux. Les officiers de police judiciaire redoutent le cocktail que va créer dans les services l'arrivée simultanée de la réforme de la garde à vue et de ce logiciel LRPPN2. Plusieurs rapports d'inspection ont été réalisés, mais nous ne savons toujours pas si le ministère de l'intérieur va prendre la seule décision qui s'impose, celle d'abandonner purement et simplement ce logiciel et d'utiliser une version adaptée de celui utilisé par la gendarmerie, beaucoup plus fonctionnel.

Lors de notre débat en première lecture, j'avais souligné qu'en ne touchant pas à la politique du chiffre, en ne procédant pas à une réforme d'ensemble, concernant notamment le statut du parquet, en ne garantissant pas une présence effective de l'avocat pour tous et partout au risque de créer une garde à vue à deux vitesses et de générer de profondes inégalités territoriales et sociales, en n'engageant pas la simplification concomitante de la procédure pénale et sa dématérialisation, le Gouvernement ne se donnait pas les moyens que cette réforme soit acceptée par ceux qui seront chargés de la mettre en oeuvre. J'avais pointé du doigt le risque que les policiers et gendarmes soient découragés, démotivés. Ces mises en garde n'ont pas été entendues.

Il y avait pourtant des changements simples à engager, qui n'auraient pas coûté le moindre euro et qui auraient même permis de faire des économies, je pense en particulier à la réduction du nombre de procès-verbaux. Cela aurait permis de créer les conditions d'une adhésion des personnels à cette réforme.

Le problème, en effet, n'est pas la présence de l'avocat en garde à vue, celle-ci étant incontournable et tous ceux qui prétendront le contraire à cette tribune sont des marchands d'illusions. Le problème, c'est que ce texte ne s'accompagne d'aucune amélioration, d'aucune simplification qui aurait permis de mettre fin à un certain formalisme administratif archaïque et fastidieux.

Toute réforme, c'est vrai, comporte sa part de risque, et il faut parfois avoir le courage de l'assumer, quitte à corriger et à réajuster un texte ensuite, mais votre réforme, monsieur le ministre, ce texte sur lequel vous nous demandez un vote bloqué, ne comporte pas seulement une part de risque, elle organise une mise en danger de la procédure pénale car ce projet de loi est tout entier caractérisé par l'insécurité juridique, avec toutes les conséquences que nous pouvons redouter. C'est pourquoi le groupe SRC votera contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, aujourd'hui, en France, avoir connu la garde la vue est devenu banal. Ce qui est un acte de privation de liberté, fortement traumatisant dans bien des cas, concerne plus de 1 % de la totalité de la population française par an. À l'explosion du nombre des gardes à vue s'ajoute l'augmentation de leur durée : 74 % d'entre elles dépassent les vingt-quatre heures. À cette double dérive, s'en ajoute une troisième : des centaines de témoignages attestent chaque année de traitements dégradants et de conditions de privation de liberté inadmissibles. En garde à vue, humiliations et violences sont la règle et non l'exception.

Comment ne pas comprendre que c'est précisément le trop grand nombre de mesures qui conduisent à cette détérioration des conditions de détention ?

Face à ce constat, notre législation a subi un triple camouflet, de la part de la Convention européenne des droits de l'homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche avaient pourtant alerté le Gouvernement et la majorité sur la gravité de la situation et l'incompatibilité manifeste de la procédure avec les conventions internationales. De nombreuses propositions de loi, aussi bien à l'Assemblée qu'au Sénat, avaient été déposées par les groupes d'opposition. À l'époque, elles avaient toutes été balayées sans argument par une droite arrogante, qui aujourd'hui, contrainte et forcée, est bien obligée de modifier la loi.

C'est bien la mort dans l'âme que vous modifiez la garde à vue, et ce manque d'entrain se voit dans le projet de loi que vous nous soumettez et qui a bien du mal à sortir d'une partie de ping-pong avec le Sénat.

Sur de nombreux points, en effet, ce projet n'est toujours pas conforme aux principes de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi, par exemple, l'intervention de l'avocat est réduite au strict minimum. Les interrogatoires pourront débuter avant qu'il ne soit arrivé, c'est-à-dire sans que la personne mise en cause puisse bénéficier d'un entretien préalable censé permettre d'organiser sa défense. Le procureur de la République, en charge de l'accusation, pourra décider de différer l'arrivée de l'avocat de douze heures, voire de vingt-quatre s'il le juge utile, sans qu'il lui soit nécessaire d'en rendre compte à quiconque, et sans recours pour la partie adverse.

Autant dire que ce projet de loi risque fort de ne pas avoir d'application concrète en matière de présence de l'avocat dès le début de la mesure, ce qui signifie que nous légiférons en pure perte, pour l'instant.

Tout est fait pour que les avancées timidement concédées soient immédiatement compensées par des dérogations et des restrictions nouvelles. Pire, un corps à corps serait engagé entre les avocats et les forces de sécurité et les magistrats. Ce n'est pas ma conception de la politique. Il ne faut pas opposer les personnes, les professions, mais favoriser les droits de tous les Français.

Il est très clair que le Gouvernement n'a pas l'intention de réellement renforcer les droits de la défense, de permettre une garde à vue juste et équilibrée et de faire progresser les droits de l'homme.

Autre exemple : l'avocat n'aura pas accès au dossier, il ne pourra s'entretenir avec son client qu'à la fin des interrogatoires, et c'est son adversaire dans la procédure, c'est-à-dire le procureur de la République, qui sera chargé de veiller au contrôle de la légalité de la procédure.

Ce texte ne remet pas en cause les régimes dérogatoires de garde à vue plus longues, jusqu'à quatre-vingt-seize heures, dont on a déjà montré qu'ils étaient de plus en plus utilisés. Il ne remet pas en cause non plus les gardes à vue des mineurs.

Nous n'ignorons pas que vous êtes tenus par les délais définis par le Conseil constitutionnel. Et alors ? Nous sommes là, aujourd'hui encore, pour légiférer. Eh bien légiférons !

Il ne faut pas balayer d'un revers de la main les différentes propositions que nous formulons pour mettre le projet de loi en conformité avec les exigences conventionnelles et pour garantir les droits et libertés de nos concitoyens.

Vous avez l'intention de faire voter conforme le projet pour accélérer la procédure. Je le répète, ce texte sera à nouveau déclaré inconstitutionnel ou contraire aux textes européens. La France fera à nouveau l'objet de condamnations ; nous serons à nouveau la risée des nations européennes et, une nouvelle fois, le législateur devra se pencher sur la question. Ce n'est pas faire preuve de beaucoup de respect pour la représentation nationale que de la convoquer pour entériner à la va-vite un « texte rustine ». Nos propositions permettraient de rendre le projet de loi viable, donc de faire gagner un temps précieux à tout le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l'on admet que la sécurité est un objectif prioritaire pour lequel notre majorité a tant fait depuis 2002 et que la garde à vue doit être appréhendée comme un outil au service de l'enquête, puisqu'il s'agit d'une phase policière et non judiciaire, on ne peut qu'éprouver de l'inquiétude…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

…face à l'évolution du cadre procédural consacré par ce projet de loi.

Certes, le Gouvernement n'en porte pas la responsabilité, cette réforme et son calendrier nous étant imposés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, les arrêts de la Cour de cassation, ainsi que par la décision du Conseil constitutionnel, sans compter l'épée de Damoclès que laisse planer l'assemblée plénière de la Cour de cassation, qui pourrait remettre en cause le délai accordé au Gouvernement par sa propre chambre criminelle.

Cette pression sur le législateur est insupportable. Elle empêche d'inscrire cette réforme dans celle, plus globale, de la procédure pénale, alors que tout est lié. Dans le droit fil des conclusions de la commission Léger et des groupes de travail de la Chancellerie, des choix majeurs devront être opérés.

Il est regrettable que cette précipitation contrainte nous conduise à plaquer sur notre garde à vue les règles d'un système accusatoire à l'anglo-saxonne, déséquilibrant d'autant notre système déjà hybride.

En effet, notre procédure pénale n'est-elle pas déjà mixte, principalement inquisitoire durant ses phases policière et d'instruction, et presque entièrement accusatoire dans sa phase de jugement ?

Au motif d'introduire toujours plus de contradictoire, nous perdons de vue la cohérence d'ensemble, au risque de mettre en péril l'efficacité de la procédure. Notre système est pourtant très protecteur, avec une double garantie conventionnelle et constitutionnelle. En Grande-Bretagne, le contrôle de la garde à vue, qui peut aller jusqu'à vingt-six jours, est entièrement entre les mains de l'OPJ.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

Savez-vous, mes chers collègues, qu'alors que notre Constitution nous oblige à introduire les obligations de la Convention européenne des droits de l'homme, la Chambre des communes a rappelé, il y a quelques jours, sa souveraineté sur la Cour de Strasbourg ?

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

Ne décourageons pas les policiers et les gendarmes en rompant le fragile équilibre entre le respect des libertés individuelles et les nécessités de l'enquête. Ne les conduisons pas à devenir moins performants dans leurs investigations et, surtout, donnons-leur les moyens nécessaires et indispensables, moyens qu'a d'ailleurs chiffrés tout à l'heure le président de notre commission des lois.

La demande de sécurité de nos concitoyens n'a pas fléchi. S'il est vivement souhaitable de voir diminuer le nombre de certains types de gardes à vue, notamment celles liées aux infractions routières, la plupart sont indispensables au maintien d'un taux d'élucidation élevé,…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

…passé d'un quart en 2002 à un tiers aujourd'hui, même s'il faut bien sûr recourir de manière encore plus massive à la police technique et scientifique.

Pour maintenir l'équilibre, en contrepartie de l'extension des libertés individuelles, il faut se préoccuper aussi d'efficacité, afin de préserver les nécessités de l'enquête et les droits des victimes. C'est dans ce sens que nous avons voulu aller, avec Arlette Grosskost, en coprésidant un comité d'études du groupe UMP sur ce sujet.

Le Sénat n'a modifié qu'à la marge le texte de l'Assemblée nationale. Ainsi il a maintenu la compétence reconnue au procureur de la République, chère à notre collègue Jean-Paul Garraud, pour le contrôle de la garde à vue, l'exigence conventionnelle n'amenant à saisir un juge judiciaire qu'après quarante-huit heures et alors même que la plupart des États s'en remettent, avant quarante-huit heures, aux seules forces de police. Il en va de même pour le report de la présence de l'avocat, sur lequel statue le juge des libertés et de la détention au-delà de douze heures alors que, dans de nombreux pays étrangers, cette décision relève des enquêteurs eux-mêmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Goujon

Le Sénat a pu, à bon droit, affiner également mon amendement permettant de régler les cas de pluralité de gardés à vue dans une même affaire ainsi que les conflits d'intérêts.

Conformément à la règle de l'égalité des armes, la Haute assemblée a encore eu raison d'améliorer le droit de la victime à être assistée par un avocat, même quand le suspect ne l'est pas.

En revanche, les dispositions de nature à gêner l'enquête demeurent, comme l'a rappelé excellemment notre collègue Christian Estrosi. Je ne reviens pas sur les nouvelles modalités pratiques qui alourdiront la tâche des enquêteurs, comme des magistrats, d'ailleurs, et qu'a longuement dénoncées le président Warsmann.

S'agissant du délai de carence, l'audition pourra certes commencer avant l'expiration du délai prévu si l'avocat se présente plus tôt, tout comme pour décliner des éléments de personnalité. Je reste néanmoins convaincu, comme Christian Estrosi, que la proposition du Gouvernement de le ramener à une heure conciliait effectivité de l'assistance et efficacité de la garde à vue.

Ensuite, la question de l'organisation des barreaux qu'impliquera la mise en oeuvre de la réforme reste posée, même si, à Paris, par exemple, sur 52 000 gardés à vue, seuls 20 000 mis en cause demandent un avocat.

La question des moyens nécessaires à l'amélioration des conditions matérielles de la garde à vue n'est pas non plus réglée. De surcroît, mon amendement permettant à la personne gardée à vue de conserver les objets dont la détention est nécessaire au respect de sa dignité, en exonérant les OPJ de leur responsabilité, s'est vu restreint aux seules auditions ; des complications pratiques en découleront pour les enquêteurs.

Enfin, si les régimes dérogatoires, d'ailleurs validés par la CEDH et la Cour de cassation, sont maintenus, l'établissement de la liste des avocats habilités en matière de terrorisme ne procède plus de l'élection, procédure pourtant la plus sûre pour écarter les avocats qui seraient liés à des mouvances terroristes, et que préconise à juste titre notre rapporteur Philippe Gosselin.

Pour conclure, mes chers collègues, dans l'esprit que je viens de rappeler, et comme l'a également demandé le président Warsmann, il nous faudra suivre très attentivement l'application de cette loi, en faire un bilan très régulier afin de nous assurer qu'elle n'entrave en rien les nécessités de l'enquête et, partant, le droit à la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Valax

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, mon propos sera un peu agressif au début, plus gentil par la suite. (Rires.)

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Au début, ce sera donc comme M. Goujon, et ensuite ça ira mieux !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Valax

Vous avez refusé de nous écouter alors qu'il était encore temps. Vous persistez à écarter certains de nos amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Valax

Vous refusez encore et toujours de considérer que les moyens manquent pour que ce texte soit correctement appliqué.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Valax

Dans ces conditions, je le souligne d'emblée, nous refuserons de voter ce texte non abouti qui manque cruellement de vision générale et ne répond qu'imparfaitement aux attentes des citoyens et des acteurs de la justice.

Tout d'abord, vous avez refusé de nous écouter. Dès février 2010, il y a plus d'un an, le groupe socialiste avait déposé une proposition de loi visant à modifier le régime de la garde à vue. Cette PPL demandait à votre gouvernement de prendre en considération les recommandations européennes. Nous vous rappelions que les incidents se multipliaient, que les tensions étaient vives entre policiers et magistrats, autour de deux lectures différentes de la jurisprudence de la Cour européenne. Vous ne nous avez pas écoutés.

D'ailleurs, à l'époque, le président de la Cour européenne, Jean-Paul Costa, avait déclaré – et je l'avais cité – que les États ne devaient pas attendre que les justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs droits en matière de garde à vue. Il était donc déjà urgent, voire impératif, de modifier la législation française afin qu'elle se conforme enfin au principe du procès équitable énoncé à l'article 6 de la Convention européenne.

Ensuite, vous persistez à ne pas accepter certains de nos amendements, et c'est regrettable.

Faute d'une véritable réforme du code de procédure pénale intégrant les nouveaux principes du procès équitable ou, à défaut, d'une réforme du statut du parquet qui permettrait de préciser les rôles de chacun – dont le Gouvernement et sa majorité ne veulent a priori pas entendre parler –, il devient nécessaire, lors de cette deuxième lecture, de prendre en considération quelques-unes de nos remarques.

Il est certain – car je veux être positif – que le projet présente, en théorie du moins, de réelles avancées.

La première, chacun d'entre nous le reconnaîtra, concerne la présence de l'avocat. Je sais que cela ne plaît pas à notre collègue Jean-Paul Garraud mais, désormais, l'avocat sera présent à la fois pendant les auditions et durant les confrontations. Il pourra accéder à quelques pièces du dossier qui lui donneront une information sur les faits reprochés à la personne gardée à vue.

De même, vous rétablissez le droit à conserver le silence. Vous affirmez aujourd'hui qu'il s'agit d'un élément essentiel de votre texte, alors que vous disiez à l'époque que cela posait problème. Comme l'indiquait dernièrement le sénateur Alain Anziani, le rétablissement du droit au silence est un hommage rendu au gouvernement Jospin.

Au delà de ces quelques avancées, il est évident que ce texte est loin d'apporter toutes les assurances que nous réclamions.

Le Conseil national des barreaux soutient depuis longtemps, à juste titre, que la réforme du ministère public est inévitable. Les conditions de nomination des membres du parquet doivent être alignées sur celles des magistrats du siège. Dans l'attente de cette réforme, tout le processus de la garde à vue, de la décision qu'il instaure à celle qui la prolonge, en passant par toutes les phases de son déroulement, doit nécessairement être contrôlé par le juge du siège, qui devra nécessairement être saisi sur demande écrite et strictement motivée du procureur de la République.

Enfin, vous refusez, monsieur le garde des sceaux, de reconnaître que les moyens manquent. La mise en oeuvre de cette nouvelle procédure exige à l'évidence plus d'OPJ, plus de procureurs, plus de JLD. Elle ne peut être juste qu'au prix d'une profonde réforme de l'aide juridictionnelle, dont il n'est pas question aujourd'hui, et d'une augmentation appropriée du tarif des honoraires de l'avocat.

Vous avez évoqué 80 millions d'euros de dotations supplémentaires. Or je constate que, dans le projet de loi de finances, seulement 15 millions d'euros sont prévus pour l'instant. J'espère que vous pourrez nous confirmer qu'un collectif budgétaire apportera le solde manquant.

Qui plus est, ce texte ne prend pas en compte les réalités du terrain et les différentes contraintes à venir. L'organisation de la police et de la justice pour les gardes à vue de nuit n'est pas évoquée. De même se pose la question des gardes à vue d'attente, décidées parce que l'officier de police ou de gendarmerie de permanence n'a pas les moyens de traiter les dossiers qui rentrent et que le substitut du procureur de la République doit nécessairement, après une journée de travail, se reposer. C'est la réalité, la vie de tous les jours.

Nous n'avons pas davantage réfléchi à l'organisation des barreaux. Pourront-ils répondre aux demandes d'assistance lors des gardes à vue ? Comment pourront s'organiser les petits barreaux, dont je parlais l'autre jour, s'agissant de la multipostulation ?

Il n'est pas non plus prévu de donner des moyens à la police, qui aura besoin de procéder à plus d'enquêtes pour recueillir davantage de preuves tangibles, car nous passons de la culture de l'aveu à celle de la preuve.

Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons pas voter ce texte. Il y a aujourd'hui trop d'incertitudes, trop d'hésitations, et les moyens apportés à la réforme sont insuffisants. Ce texte ne répond donc pas à nos préoccupations. (Applaudissements sur les bancs du groupeSRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la garde à vue est une phase procédurale des plus importantes car elle est l'une des étapes déterminantes dans la réussite ou l'échec des enquêtes, la protection de la société et des victimes, la manifestation de la vérité.

Déstabiliser cette phase de l'enquête par des dispositions politiquement correctes mais judiciairement inadaptées ferait courir un risque majeur pour la sécurité de nos concitoyens, première de leurs libertés.

Tout au long de la première lecture, et ce soir encore, certains de nos collègues de l'opposition ont nourri des procès d'intention à l'encontre de nos forces de l'ordre et des magistrats du parquet : les premiers sont accusés d'utiliser la garde à vue comme un inique moyen de pression contre des présumés très innocents ; les seconds, les procureurs, sont identifiés comme des fonctionnaires aux ordres susceptibles d'orienter les enquêtes dérangeantes. Seuls les avocats sont parés de toutes les vertus : habituels défenseurs des plus faibles, naturellement débarrassés de toutes les basses contingences matérielles, seulement animés de belles intentions et, finalement, seul rempart face à tous les arbitraires.

Heureusement, votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, un temps malmené en commission des lois de l'Assemblée, en est revenu à une version amendée mais relativement acceptable après son passage au Sénat. On aurait pu craindre de nouveaux dérapages ; ils ont été limités.

Tout d'abord, il n'est pas question de revenir sur le débat concernant le rôle du procureur. Je m'y étais beaucoup attaché en première lecture. Le Sénat a confirmé ma position. Le procureur est un magistrat au sens de l'article 66 de la Constitution ; c'est le directeur de l'enquête judiciaire. C'est acquis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Par ailleurs, cependant, il faut bien reconnaître que nous sommes dans l'obligation de réformer, que nous vivons dans un univers contraint, ce qui est tout de même très particulier pour des législateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

C'est tout d'abord le Conseil constitutionnel qui nous y oblige, suite à une question prioritaire de constitutionnalité, la réforme devant s'appliquer au 1er juillet. Nous n'avons d'ailleurs pas fini de mesurer les impacts et les répercussions des questions prioritaires de constitutionnalité dans notre droit,…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Moi non plus !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

…mais c'est un autre débat, qui s'ouvrira peut-être bientôt.

Nous sommes également obligés d'aller vite et de voter conforme au texte du Sénat pour que cette réforme s'applique dans les plus courts délais. En effet, savez-vous, mes chers collègues, que le Syndicat des avocats de France a préparé, téléchargeable sur internet, le « kit garde à vue » ainsi que des modèles de conclusions de nullité ? Il s'agit de documents très détaillés qui font plusieurs centaines de pages et dans lesquels tous les moyens juridiques sont énoncés pour demander des annulations en masse de procédures ! Vous rendez-vous compte des dégâts considérables que de telles manoeuvres risquent d'entraîner pour nos concitoyens, en particulier pour les victimes ?

À cela, il convient d'ajouter les consignes du Syndicat de la magistrature qui, par des fac-similés d'imitation de circulaires officielles de la Chancellerie, adresse à tous ses adhérents tous les éléments de nature à entraîner, dès à présent, des conclusions de nullité de procédure. Et cela a déjà été fait ! Des gardes à vue ont déjà été annulées, sans attendre le 1er juillet prochain.

Est-ce la justice quand le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature utilisent de tels moyens ? Est ce bien la justice quand l'idéologie prend le pas sur l'intérêt général et la protection de la société ?

Il nous faut donc aller vite, très vite car, nouvelle obligation, la Cour de cassation devrait rendre très prochainement un arrêt qui risque de remettre en cause la date d'application de la réforme au 1er juillet prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Rappelons tout de même que cette date a été fixée par le Conseil constitutionnel et que la Cour de cassation risquerait alors de le contredire.

Grâce ou à cause de la question prioritaire de constitutionnalité, la juridictionnalisation du Conseil constitutionnel est en marche. Les autres cours suprêmes, la Cour de cassation, le Conseil d'État, la Cour européenne des droits de l'homme, vont-elles plier ? N'y a-t-il d'ailleurs pas trop de cours suprêmes ? C'est aussi un autre grand débat...

En attendant, faut-il tenir compte du principe de réalité et nous censurer en votant une réforme sans remettre en cause la version sénatoriale pour éviter une catastrophe judiciaire et policière ? Ou faut-il affirmer que nous sommes des législateurs et que nous devons aller au bout du débat, quitte à ne pas voter conforme et à retarder l'application de la loi ?

Après mûre réflexion, j'ai pris ma décision : je préfère limiter les dégâts car je ne veux pas favoriser les sabotages programmés de procédures. Je crois qu'il faut voter le texte tel qu'il est, mais je me dois de vous dire, monsieur le garde des sceaux, que tout cela est tout de même insatisfaisant et qu'il y aura des conséquences.

Ainsi, l'assistance, renforcée par le Sénat, des avocats en garde à vue profitera davantage aux coupables qu'aux innocents, aux forts qu'aux faibles, aux riches qu'aux pauvres. Contrairement à ce que la pensée unique affirme, les magistrats et les forces de l'ordre ont bien le souci de la protection de l'intérêt général, et ils s'y dévouent beaucoup.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

La défense, quant à elle, bien qu'absolument nécessaire, n'est pas dans le même rôle : elle ne défend que des intérêts particuliers, ceux de son client, et la manifestation de la vérité ne fait pas partie de sa mission. De plus, le barreau, qui a fortement réclamé par ses plus belles voix, ici très bien représentées, cette réforme, n'est pas du tout en mesure de l'assumer pour le moment. Il faut donc que cette profession s'organise et travaille pour cela, elle aussi, en urgence, et il faut bien sûr y veiller.

Je suis sûr que nous reviendrons sur le sujet pour tirer un bilan pratique de cette réforme, mais, pour l'instant, il faut le dire ; nous devons nous résigner à aller au plus pressé. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous commençons à débattre aujourd'hui d'un texte important pour les libertés individuelles et la justice. Celle-ci est en effet censée incarner à la fois les impératifs de l'ordre public et ceux de la recherche de la vérité. Cela m'amène à développer trois idées.

Tout d'abord, je note, comme d'autres collègues sur l'ensemble des bancs, le caractère inachevé de la réforme.

Pendant de nombreux mois, les observations et propositions de l'opposition, mais aussi d'un certain nombre de collègues de la majorité, appelant à modifier les dispositions applicables se sont heurtées à une forme d'autisme de vos prédécesseurs, monsieur le garde des sceaux. Ceux-ci prétendaient que le régime appliqué en France ne contrevenait en rien aux principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme. Il a fallu une décision du Conseil constitutionnel s'imposant à tous les pouvoirs publics et une date limite d'adoption d'une législation nouvelle pour que nous puissions discuter d'un projet de loi sur la garde à vue.

Cette remarque préliminaire renvoie à deux constats.

Premièrement, ce projet est examiné en dehors de toute autre modification de la procédure pénale, pourtant annoncée ici même. Pour refuser toute amélioration partielle de la garde à vue, je me souviens qu'on avait opposé aux députés socialistes qu'une réforme de celle-ci était consubstantiellement liée à une réforme des autres dispositions de la procédure, laquelle, de toute évidence, ne viendra pas, en tout cas pas sous cette législature.

Deuxièmement, ses articles 1er et 2, dans le texte du Gouvernement, inscrivent la garde à vue dans le cadre des décisions et du contrôle exercé par le procureur de la République. Malgré les interprétations rassurantes qui nous sont données, celui-ci ne constitue pas, selon les standards de la justice européenne, une autorité judiciaire indépendante, autorité seule à même d'ordonner le placement sous contrainte, la prolongation de la mesure, le contrôle de son bon déroulement.

Nous ne pouvons donc que regretter que ce projet important soit marqué par l'urgence de son adoption et ne prenne qu'insuffisamment en compte son environnement solidaire, à savoir une adaptation des autres dispositions de procédure pénale et la modernisation du statut du parquet.

Deuxième idée : le dispositif proposé est en lui-même insuffisant pour garantir les droits des justiciables.

D'une part, la rédaction actuelle ne fait pas de la garde à vue une mesure de contrainte exceptionnelle puisque l'énumération à l'article 1er des objectifs poursuivis, aussi louable soit-elle, constitue plutôt une liste de motifs variés pouvant justifier la garde à vue qu'une limitation de principe à son recours.

D'autre part, l'article 11 bis relatif à la période dite « sans contrainte » pouvant précéder la garde à vue ne retient pas le principe selon laquelle toute personne invitée par la police ou par la justice peut se faire assister par un avocat.

En l'état, cette disposition introduit donc un régime sans droits pour la personne auditionnée par le policier enquêteur alors même qu'aucune durée à cette audition n'est fixée. Il conviendrait que toute personne entendue ou pouvant être mise en cause ait le droit d'être assistée d'un avocat dès qu'elle est invitée ou convoquée par toute autorité exerçant l'action publique, et que ce droit lui soit rappelé dès qu'elle est dans une telle situation. Cette seule mention suffirait à lever toute ambiguïté. Or elle n'y figure pas.

Enfin, je l'ai déjà souligné, le contrôle de la garde à vue est confié au procureur, juge par statut, et non à un véritable magistrat rendant des décisions juridictionnelles. De nombreuses voix s'élèvent pour demander que la garde à vue soit placée sous la responsabilité d'un magistrat indépendant. À cette fin, le choix devrait être fait de donner cette responsabilité au juge des libertés et de la détention, qui serait doté du pouvoir, sur saisine de la personne gardée à vue ou de son avocat, de mettre fin à tout moment à la mesure après un débat contradictoire.

Le dernier point de mon intervention porte sur la réticence de votre gouvernement à accepter la présence d'un avocat lors la garde à vue, réticence qui parasite l'adoption d'un texte cohérent avec les exigences constitutionnelles et comparable aux dispositions les plus avancées adoptées par d'autres États européens. Le Gouvernement paraît toujours douter du fait que la garde à vue encadrée soit un plus pour les citoyens. Peut-être pense-t-il que donner des droits à une personne, c'est donner l'impression à l'opinion publique de reculer en ce qui concerne la force de la répression ?

À cet égard, je ferai trois observations.

Trop souvent, l'argument du droit applicable dans d'autres pays comparables est utilisé pour diminuer les droits économiques et sociaux, et, à l'inverse, quand les ressources du droit européen valorisent les libertés individuelles, elles sont réfutées au nom d'un pouvoir souverain pour juger de ce qui est bon pour nos concitoyens et ne pas s'en laisser compter par les autres.

Pourtant, en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, au Danemark, en Allemagne, l'avocat est présent tout au long de la procédure, certes sous des formes diverses et variées : présence constante en Espagne, intervention sur tous les actes en Italie, présence de droit si elle est demandée en Grande-Bretagne,…

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

…consultation à tout moment si souhaitée, même s'il faut interrompre les interrogatoires en Allemagne, participation aux interrogatoires au Danemark. Il est donc possible de parler d'un véritable modèle européen des garanties données aux personnes interrogées et auditionnées par la police et par la justice.

Ce ne sont pourtant pas « les résultats, l'efficacité ou la performance », pour reprendre des mots très chers au Président de la République, qui sont en cause dans la plupart de ces pays. Dans le rapport de 2010 de la commission européenne pour l'efficacité de la justice, dépendante du Conseil de l'Europe, il était noté que la France présentait la particularité d'un pourcentage important d'affaires classées sans suite parce que les auteurs n'étaient pas identifiés – près de 55 % –, et ce alors même que, dans plusieurs autres pays cités, le taux d'affaires classées sans suite par défaut d'identification y était sensiblement plus faible.

Une réforme de la garde à vue allant dans le sens d'une meilleure reconnaissance des droits des personnes mises en cause n'est donc pas de nature à diminuer l'efficacité des poursuites ; à l'inverse, une réforme inachevée, insuffisante et susceptible de générer de nouveaux errements est de nature à faire douter nos concitoyens de l'institution judiciaire et de l'égalité de traitement qu'elle leur réserve.

Chers collègues, dès lors, le risque que vous prenez en n'améliorant pas les droits des personnes est bien celui de fragiliser la justice non seulement comme organe de l'État mais aussi comme pratique sociale. J'espère que ces quelques réflexions vous amèneront collectivement à modifier ce texte. En l'état actuel, nous ne pourrons pas le voter. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de Cassation, ainsi que l'évolution de la jurisprudence, imposent à la représentation nationale de procéder à la réforme de la garde à vue avant le 1er juillet 2011. Dès lors et au-delà de ce texte, la question se pose avec acuité du rôle du législateur s'il perd à ce point son pouvoir d'édicter le droit. Cependant c'est un autre débat que nous aurons peut-être lors d'une autre séance.

Le texte qui nous revient en seconde lecture n'a pas été substantiellement modifié par le Sénat. J'exprimerai donc à nouveau de profondes réserves à l'égard des dispositions qu'il contient.

Nous voici en effet dans le cadre d'une réforme contrainte, le Parlement devant légiférer en urgence dans un domaine qui représente un enjeu fondamental en termes de libertés publiques et de sécurité. Il nous est ainsi demandé de greffer certaines règles relevant d'un système accusatoire à l'anglo-saxonne sur la procédure inquisitoire qui s'applique en France, ce qui, à l'évidence, ne se fera pas sans rompre un équilibre déjà fragile.

Le risque politique essentiel qui se profile à travers ce projet de loi est la mise en place d'une réglementation si contraignante qu'elle compromettra l'efficacité de la police et de la gendarmerie, et enverra ainsi un signal désastreux tant aux Français qui demandent chaque jour plus de sécurité qu'aux forces de l'ordre qu'il ne faut pas décourager.

Je considère donc que cette réforme est dangereuse car elle ne peut qu'entraver le travail d'investigation des enquêteurs. La garde à vue est un moment décisif de l'enquête. Il faut trouver un équilibre entre le respect des droits de la défense et la nécessité, pour les forces de l'ordre, de travailler en toute sérénité et en toute efficacité.

La présence de l'avocat tout au long de la procédure risque de freiner, voire de pénaliser certaines enquêtes dans les affaires dites complexes, là où l'enquête est accélérée lors de la garde à vue par le recueil d'éléments de preuve.

Monsieur le ministre, on ne peut pas demander aux policiers et aux gendarmes toujours davantage d'implication dans le combat contre la délinquance si, dans le même temps, de nouvelles règles viennent asphyxier leur travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Accroître les contraintes des enquêteurs, c'est mettre en danger l'enquête de police et porter ainsi atteinte au droit le plus élémentaire de nos concitoyens à une sécurité et une justice performantes.

Le délai de carence de deux heures prévu dans le texte est déjà très compliqué à mettre en oeuvre et va affaiblir l'action des forces de l'ordre. J'ai donc cosigné un amendement qui propose de clarifier la procédure et de confier à l'avocat l'estimation du délai qu'il lui faut pour arriver. À l'expiration du délai qu'il a indiqué, et au-delà de deux heures maximum, l'audition pourra commencer.

Je suis également favorable à l'amendement présenté par nos collègues Christian Estrosi et Philippe Goujon, et voté en commission des lois, visant à réécrire l'article 1er A, en indiquant que les déclarations faites par une personne sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui ne peuvent servir « à elles seules » de fondement à une condamnation. C'est un point très important pour la manière dont la police considérera la réforme.

Mes chers collègues, cette réforme est non seulement contrainte et dangereuse, mais elle sera aussi coûteuse. La police et la gendarmerie auront besoin de moyens pour rénover leurs locaux et faire évoluer leurs méthodes de travail. Quant à la justice, il lui faudra aussi assurer les permanences des procureurs sur l'ensemble du territoire national, la création de postes de juge des libertés et de greffier, ainsi que le financement, qui reste flou, de l'intervention nouvelle de l'avocat lors de la garde à vue.

En conclusion, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme en première lecture, je ne pourrai que m'abstenir lors du vote de cette réforme contrainte, dangereuse et coûteuse qui lève de grandes craintes pour l'avenir de la sécurité publique de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Ayez confiance, nous allons changer le texte ! (Sourires)

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous débutons l'examen en seconde lecture de ce projet de loi portant réforme de la garde à vue.

Vous reconnaîtrez, mes chers collègues, que le contexte qui entoure l'élaboration de ce texte apparaît à bien des égards surprenant voire déconcertant.

Déconcertant tout d'abord, parce que les prérogatives parlementaires sont quelque peu mises à mal par la nécessité de répondre aux injonctions à la fois du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Certes, nous devons naturellement nous y conformer, mais le principe de séparation des pouvoirs s'en trouve, à tout le moins, ébranlé.

Déconcertant ensuite, parce que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme s'impose à notre droit national et remet progressivement en cause des pans entiers de notre procédure pénale.

Déconcertant enfin, car si le Gouvernement souhaite se mettre en conformité avec la jurisprudence de la CEDH – ce qui est louable –, ce n'est pas forcément le cas de tous les pays européens qui sont souvent moins prompts, voire plus approximatifs dans la mise en cohérence de leur législation nationale avec le droit conventionnel. Notre excellent collègue Philippe Goujon le rappelait opportunément, il y a quelques instants.

Certes, cette réforme est nécessaire car il devient impératif de donner un cadre législatif renouvelé à cette phase de l'enquête essentielle s'il en est dans la lutte contre la délinquance. Elle est nécessaire car le nombre de gardes à vue a atteint en 2009 des chiffres exponentiels : plus de 800 000 procédures. Malgré tout, nous avons le sentiment désagréable que cette réforme est plus subie que souhaitée, même si elle comporte des avancées en matière de droit de la défense, que je veux saluer.

Toute la difficulté de cette réforme résidait dans la recherche d'un équilibre entre différents enjeux. À cet égard, je tiens à saluer le travail remarquable de M. le garde des sceaux et de notre rapporteur qui ont essayé de concilier des objectifs souvent contradictoires.

Il fallait trouver un juste équilibre entre des enjeux qui peuvent se révéler antagonistes : les intérêts de la personne gardée à vue, qui se trouve momentanément privée de liberté ; les intérêts de la victime fragilisée par le préjudice subi ; et l'intérêt général, garant de l'ordre public et de la sécurité de nos concitoyens.

Les droits de la personne gardée à vue ont été renforcés : extension du droit à l'information ; consultation des documents de la procédure étendue ; limitation de la fouille intégrale aux nécessités de l'enquête ; présence effective de l'avocat durant toute la garde à vue.

Les droits de la victime sont également au coeur de cette réforme. Elle pourra désormais bénéficier de la présence de l'avocat lors des confrontations avec la personne gardée à vue, alors même que cette dernière aura renoncé à son droit. Ce dernier cas, que j'avais souhaité introduire lors de la première lecture par notre assemblée, avait été rejeté au titre de l'article 40 de notre règlement. Je me réjouis que le Sénat ait élargi cette possibilité pour la victime.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

En effet, il me semblait totalement injuste que les droits de la victime soient conditionnés à une décision préalable de la personne gardée à vue.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

En ce qui concerne l'intérêt général, le procureur de la République demeure au coeur de la procédure, et c'est une bonne chose.

De même, le rôle de l'avocat a été clairement défini dans le texte du projet de loi. Le Parlement a notamment souhaité un encadrement strict des éventuels conflits d'intérêt. Je m'en réjouis aussi puisque tel était le sens de certains amendements que j'avais déposés avec Philippe Goujon en première lecture, afin de limiter les risques de conflits en cas d'auditions simultanées de plusieurs personnes gardées à vue. Ce risque était souligné par M. le ministre de l'intérieur dans le courrier évoqué opportunément ce soir.

Ces dispositions sont le gage d'une meilleure efficacité, mais l'intérêt général est-il mieux garanti pour autant ? Permettez-moi, à ce stade, d'en douter.

Ces avancées ne doivent pas fragiliser l'équilibre de l'enquête. Il ne faut pas oublier que la garde à vue doit demeurer un moment essentiel pour la manifestation de la vérité. Si les chiffres de la délinquance sont en forte baisse depuis bientôt neuf ans, si le taux d'élucidation est passé de 25 % à 40 % entre 2002 et 2010, souvenons-nous des conséquences de la loi Guigou après 2000, en matière d'élucidation.

Cette loi sur la présomption d'innocence, adoptée à l'initiative d'Élisabeth Guigou, a permis l'ouverture de certains droits en garde à vue, dont la consultation d'un médecin ou l'entretien avec un avocat.

Debut de section - PermalienPhoto de Delphine Batho

Et le droit au silence que vous avez supprimé !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Dès lors, les policiers et les gendarmes ont largement été incités à opérer un tel placement lors de l'entrée en vigueur de la loi Guigou. Cela doit relativiser les procès d'intention, les soupçons injustes et les critiques inacceptables, dont les policiers et les gendarmes ont fait l'objet en la matière, depuis plusieurs mois.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que cette réforme parcellaire du code de procédure pénale induise une dégradation de l'efficacité globale de notre politique de sécurité, ni que la mise en oeuvre de cette réforme profonde soit perçue par les forces de l'ordre comme une entrave à leur remarquable engagement. Ils sont garants de notre sûreté et non comptables des changements législatifs répétés.

Cette réforme substantielle ne doit pas conduire à affaiblir l'enquête, car si l'on affaiblit un maillon, c'est l'ensemble de la chaîne qui risque de céder.

Le 1er avril, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a été saisie d'une question relative à l'application de la Convention des droits de l'homme aux étrangers en situation irrégulière, placés en garde à vue avant d'être mis en rétention administrative.

Lors du prononcé de sa décision, la Cour de cassation pourrait opter pour une application immédiate et générale de la réforme de la garde à vue, alors même que celle-ci serait toujours en cours d'examen au Parlement. Cette situation conduirait à faire peser un risque de vide juridique qu'il est important de dissiper au plus vite. Ce sont plus de 40 000 gardes à vue, donc au moins 40 000 victimes qui pourraient être fragilisées, sans compter bien évidemment les conséquences sur l'ordre public et la sécurité de nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Les 40 000 étrangers en situation irrégulière ne sont pas 40 000 criminels !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Comme l'a rappelé de façon très éclatante Jean-Paul Garraud, le Syndicat des avocats de France l'a déjà annoncé : si la décision à intervenir prévoyait une applicabilité immédiate, ses membres soulèveraient des nullités de procédure de manière généralisée.

Ce risque d'insécurité juridique est donc bien réel. Il pèsera naturellement sur les orientations de ce texte et sur notre vote, ce que personnellement je déplore fortement. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues encore présents, il y a deux manières d'aborder ce débat : l'une totalement juridique, l'autre peut-être un peu plus personnelle.

S'agissant de la première, certains intervenants de l'opposition ont excellemment démontré toutes les lacunes de votre texte, toutes les difficultés juridiques qu'il va susciter et toutes les censures qui en découleront.

La deuxième s'attache au fait que, derrière ces textes, il y a des vies, des gens, des Français, des travailleurs émigrés pris dans toutes ces procédures et qui vont avoir à subir les conséquences logiques des mesures dont nous débattons. Or la garde à vue, quoi que vous en disiez les uns et les autres, n'est pas une procédure normale. Tous ceux qui ont eu à la subir savent le traumatisme qui en découle. Quand on atteint ce chiffre de 800 000 gardes à vue pour même pas 10 % à 15 % de gens qui seront vraiment déférés et condamnés, on voit les conséquences de ce qui nous avons fait ici depuis des années.

Il faut discuter avec ceux qui ont eu à subir ce moment très particulier, ces instants où dans votre intimité la plus totale on vous demande un certain nombre de choses. À ce moment-là, suivant l'habitude et la culture de l'enquête, on vous joue le rôle du bon et du méchant, en vous expliquant qu'il faut libérer votre conscience…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Libère ta conscience, disent-ils, parce qu'ils vous tutoient !

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

…parce que c'est déjà un acte de repentance que de dire ce que les enquêteurs veulent entendre.

À ce moment-là, certains craquent et signent ou acceptent n'importe quoi. Les avocats auront ensuite beaucoup de travail pour détruire ce qui a été construit sous la pression psychologique.

Sur le fond, que vous le vouliez ou non, la garde à vue est d'abord un énorme moyen de pression psychologique pour faire céder. Elle est avant tout cela. C'est là que réside le problème de procédure pénale.

Dans un État moderne, garant des droits des individus, et même en considérant l'intérêt général de notre pays évoqué par M. Garraud, nous n'avons pas du tout intérêt à ce que ce genre de procédure se généralise. En effet, la procédure de garde à vue, telle qu'elle est actuellement diligentée dans notre pays, n'est pas pour rien dans le fossé qui se construit entre la population – notamment les jeunes – et la police.

Que les choses soient claires. Si vous croyez que les délinquants d'habitude de nos cités sont effrayés par la garde à vue, vous vous trompez : ils maîtrisent parfaitement cette procédure qu'ils connaissent mieux que vous et moi ; ils viennent avec leurs capuches ; ils savent qu'il faut prendre son temps et qu'ils peuvent tourner les enquêteurs en dérision.

Il ne faut pas croire les émissions de télé-réalité réalisées dans des centres de garde à vue dont on nous abreuve – c'est devenu à la mode ; cela fait de l'audience – qui nous montrent des jeunes, ou des moins jeunes, se mettre tout d'un coup à réfléchir et à en venir à la confession. Ça, c'est bon pour la caméra, mais ce n'est pas du tout ce qui se passe dans la réalité.

C'est pourquoi je maintiens que, si, mettant à profit les exigences qui nous sont imposées, nous avions réfléchi, nous aurions limité la garde à vue à des procédures exceptionnelles et, laissant de côté la culture de l'aveu, nous aurions doté les enquêtrices et les enquêteurs des moyens nécessaires pour diligenter de vraies enquêtes.

En effet, que se passe-t-il actuellement ? Quand quelqu'un fait des confessions écrites en garde à vue, les bons avocats mènent, devant les juges d'instruction, une bataille juridique dans laquelle ils démontent, un par un, tous les éléments livrés en garde à vue. Vous savez bien, monsieur le garde des sceaux, qu'au final, ce sont eux qui gagnent parce que, dans la bataille d'usure qu'ils mènent contre des magistrats débordés, ces derniers finissent par trouver, si ce n'est pas une faute de procédure, au moins un élément qui remet en cause tout ce qui a été fait.

Voilà pourquoi nous aurions pu profiter des injonctions des différentes cours pour refonder notre système. Or ce n'est pas ce qui va être fait. En fait vous avez essayé de faire un pas dans le sens de l'amélioration des droits tout en préservant le système. Le résultat, quand nous le regardons en détail, ne tient pas debout.

En effet, vous faites intervenir l'avocat dès la première heure, mais sans lui donner aucune possibilité d'intervenir sur le contenu même de l'affaire. Quel avocat ne dira pas à son client placé en garde à vue : « Vous avez le droit au silence. Profitez-en, car tout ce qui figurera sur les procès-verbaux nous posera des problèmes par la suite » ? Il ne cessera de le lui répéter tout au long de la garde à vue. C'est ainsi que les choses vont se passer, parce que le rôle de l'avocat n'est pas défini comme une assistance juridique sérieuse et une intervention sur le dossier.

Du point de vue même de l'enquête, il aurait mieux valu que l'avocat puisse intervenir dès le début, fournir un certain nombre d'éléments et procéder à un débat contradictoire. Cela aurait permis, j'en suis sûr, au travail des enquêtrices et des enquêteurs de progresser, grâce aux éléments fournis. Or tel ne sera pas le cas.

De plus, cela va entraîner des injustices fortes entre ceux qui pourront se payer de bons avocats, lesquels seront présents à leurs côtés et leur fourniront tous les éléments nécessaires, et ceux qui ne le pourront pas. Or les vrais délinquants auxquels vous faites référence ont souvent les moyens de se payer les services de bons avocats.

Vous avez voulu donner un certain nombre de garanties, mais vous vous méfiez trop du juge des libertés pour qu'elles soient applicables. Vous avez peur de lui. Pourtant vous savez très bien que le peu de pouvoir qu'il a, il ne l'utilise pas beaucoup. Il entérine en général tout ce que le parquet lui demande, non pas par mauvaise volonté, mais parce qu'il est débordé, parce qu'il ne connaît pas les dossiers et parce qu'il fait confiance et ne veut pas gêner son collègue du parquet qui est de service.

On aurait pu penser que le rôle du juge des libertés aurait été renforcé dans le cadre de la procédure de la garde à vue, qu'il lui aurait été donné la possibilité de vérifier que les choses se déroulaient correctement et qu'on n'était pas dans le cadre de gardes à vue abusives. Non : le parquet continuera à avoir la mainmise sur la garde à vue. Or vous savez très bien comment cela se passe. Le parquet n'attend qu'une chose : qu'on lui lise les procès-verbaux. Donc, à quelques rares exceptions près, il fait toujours droit aux demandes des enquêteurs qui souhaitent prolonger la garde à vue car, lui aussi, est tenu au résultat.

Voilà comment les choses se passent dans le système actuel, et j'aurais pu donner encore bien d'autres exemples. C'est pourquoi il y a une défiance de plus en plus grande de la part d'une partie de la population envers nos institutions, que ce soit la police ou la justice.

Il s'agit d'une occasion ratée. Nous avons donc bien raison de voter contre votre texte, en nous disant que, finalement, il n'y a plus qu'un an à attendre, comme je l'espère, pour pouvoir faire enfin les révolutions nécessaires, y compris en matière de justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Saddier

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après la Cour européenne des droits de l'homme, le Conseil constitutionnel, en sa décision du 30 juillet 2010, et la Cour de cassation, par ses arrêts en date du 19 octobre 2010, ont exigé du Gouvernement qu'il modifie les règles et pratiques de la garde à vue en vigueur dans notre pays, afin de faire de ce moment de l'enquête un temps digne d'un pays démocratique car respectueux de tous les citoyens.

Au moment où notre assemblée entame l'examen en deuxième lecture de ce texte fondateur, je souhaite, en ma qualité de président du Conseil national de la montagne, vous alerter, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, sur une disposition particulière qui risque de découler de l'application de ce texte : je veux parler de la potentielle concentration des points de garde à vue afin de faciliter les interventions, non seulement d'un avocat au moment de l'audition du suspect, cette assistance étant désormais rendue obligatoire par les juges européens, mais également de nos forces de l'ordre – je pense notamment aux zones de gendarmerie.

Si nous pouvons comprendre le souhait légitime de certaines professions d'intervenir – je pense notamment aux avocats –, cette mesure ne serait pas sans conséquence, à la fois pour la gendarmerie et pour nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Saddier

Je vais y venir.

D'une part, le regroupement des gardes à vue pourrait constituer une rupture d'égalité de nos concitoyens pour l'accès au service public. En effet, le maillage territorial est l'un des principes fondamentaux qui sous-tend l'organisation de la gendarmerie nationale et lui permet d'assurer, sur le vaste territoire dont elle a la responsabilité, une égalité de traitement des justiciables, en apportant la réponse la plus immédiate aux appels d'urgence et à la commission des crimes et délits. La création de pôles de gardes à vue remettrait nécessairement en cause ce principe, et conduirait à une concentration des moyens de la gendarmerie au niveau des compagnies, voire à la fermeture de brigades territoriales, ce, au détriment des territoires ruraux et, plus largement, des territoires touristiques, auxquels je vous sais personnellement très attaché, monsieur le ministre, qui connaissent une variation très forte de population : je pense aux zones de montagne et à celles du littoral.

Pour prendre un exemple que je connais bien, celui de la Haute-Savoie et de la vallée de Chamonix, qui n'est pas la destination touristique la moins célèbre, elle ne compte pas moins de dix-sept points de garde à vue. Vous n'ignorez pas, en effet, que la proximité des services publics constitue un facteur essentiel de dynamisation des territoires, a fortiori en montagne où les problèmes de déplacement peuvent facilement devenir rédhibitoires en raison des conditions imposées par le relief et le climat. Plus encore que la distance, le temps de transport est un aspect particulièrement sensible en montagne où les trajets sont à la fois plus longs en raison du relief et plus dangereux en raison des aléas climatiques – gel, neige – ou des risques naturels.

La politique des services publics conduite par l'État est donc un outil majeur d'aménagement du territoire sur près de 25 % de la surface de notre pays occupée par les zones de montagne.

D'autre part, le regroupement des gardes à vue porterait à coup sûr atteinte à l'efficacité des effectifs des forces de l'ordre, en l'occurrence des forces de gendarmerie en zone rurale.

En effet, le temps passé à transférer la personne gardée à vue s'imputerait nécessairement sur le temps de l'audition et sur les actes de l'enquête et accroîtrait les risques d'évasion lors de ces transfèrements, ce qui obligerait peut-être, dans certains cas, à renforcer encore les escortes.

Dans un contexte budgétaire restreint et compte tenu de la volonté affichée par le Gouvernement de lutter de manière accrue contre l'insécurité, il paraît inenvisageable de mobiliser des effectifs importants de la gendarmerie pour réaliser ces transfèrements au détriment de leur mission première qui est le maintien de la sécurité, notamment dans les zones rurales et touristiques, d'autant que la gendarmerie et la police sont en train de procéder, à votre initiative, à une expérimentation dans trois régions pour transmettre 800 équivalents temps plein, je crois, de la police et de la gendarmerie auprès du ministère de la justice pour procéder aux transfèrements pénitentiaires. Comme vous le savez, j'ai une prison dans ma commune de Bonneville.

Dans le même temps, il nous faut envisager un dispositif plus juste d'indemnisation des avocats, en particulier en zones rurales et périurbaines. L'assistance d'un avocat durant la garde à vue doit être assurée de manière efficace et efficiente.

La mise en oeuvre de la réforme va entraîner des sujétions nouvelles, une disponibilité et une mobilité plus importantes des avocats. Cette nouvelle donne devra donc être prise en compte pour déterminer le montant de l'indemnité afférente à ces nouvelles missions.

Ce point est très important, monsieur le ministre. On ne peut pas calculer l'indemnité d'un avocat de la même manière dans une zone hyper-urbaine et dans une zone périurbaine ou rurale. Je sais que vous êtes très sensible à ce genre de question dans votre département et en tant qu'ancien ministre de l'aménagement du territoire. La couverture du territoire n'est pas la même dans les deux cas.

De façon plus générale, sans financement pérenne de la prise en charge du droit de plaidoirie par l'État, je crains que cette réforme ne soit qu'un leurre pour satisfaire les exigences qui nous sont imposées par les instances européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Que d'observations intéressantes dans cette intervention !

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Saddier

En effet, vous savez bien, mes chers collègues, que ce sont les conditions d'application d'une loi qui déterminent son efficacité.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Prochaine séance, mercredi 6 avril 2011, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à la garde à vue.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 6 avril 2011, à une heure quarante.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,

Claude Azéma