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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 5 avril 2011 à 21h30
Garde à vue — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Le texte consacre le principe de l'absence de défense pendant la garde à vue pour les infractions les plus graves. Or, les personnes suspectées d'avoir commis ces infractions sont celles qui risquent les peines les plus graves et qui ont sans nul doute le plus besoin d'être assistées par un avocat. Pourquoi la France n'applique-t-elle pas aux crimes les plus odieux ce qui apparaît pourtant naturel dans de nombreuses autres démocraties de l'Union européenne et d'ailleurs ? Comme l'a déclaré le bâtonnier Jean-Yves Le Borgne, la garde à vue, qui n'est pas de gauche, ni d'extrême-gauche, ni de l'ultra-gauche, pour reprendre le propos de votre prédécesseur au sujet de l'affaire de Tarnac dont on aimerait connaître les tenants et les aboutissants, est un résidu de barbarie. La procédure inquisitoire repose tout entière sur le culte de l'aveu. Cette logique mortifère a marqué l'imaginaire de notre droit pénal. La garde à vue n'est donc pas seulement une pratique humiliante, traumatisante, vexatoire, qui vise à briser l'individu, seul face au système ; elle est la pierre de touche de notre système judiciaire. Remettre en cause son fondement inquisitorial, permettre une procédure contradictoire avec des thèses opposées garantit les libertés fondamentales. Introduire le droit dans notre système de garde à vue c'est, d'une certaine façon, introduire la laïcisation de ce système, rompre avec la démonisation, la diabolisation du suspect, rechercher non une vérité immanente mais une efficacité judiciaire qui, en n'humiliant pas celui qui n'est encore que le témoin, permette de rechercher les preuves réelles.

De deux choses l'une en effet: soit les aveux sont obtenus sans être corroborés par des preuves et ils sont alors extrêmement fragiles, soit il existe des preuves solides et, dans ce cas, les aveux devant un policier sont parfaitement inutiles, l'exposé des charges et des preuves dans un procès-verbal devant suffire à convaincre le juge lequel, de toute manière, devra procéder à nouveau à l'interrogatoire.

Ajoutons que la culture de l'aveu, à l'heure de l'ADN, est un archaïsme totalement dépassé. Il n'est en effet nul besoin d'arracher au forceps des aveux quand on dispose d'un tel appareil scientifique. La fin de la garde à vue à la française constitue donc une véritable révolution juridique. Notre droit est aujourd'hui à la croisée des chemins. Soit nous estimons, en tant que législateurs, que nous devons contribuer avec l'actuel système interrogatoire à forger une vérité policière qui pèsera sur la phase judiciaire, soit l'interrogatoire permet à celui qui n'est pas encore mis en examen d'être assisté et de disposer de l'ensemble de ses droits face au système et nous nous en remettons alors à la seule vérité judiciaire. Ce choix n'est pas anodin. Au-delà de ce débat, ce qui est en jeu, c'est un vrai pas vers l'État de droit que nous devons faire faire à la justice française. C'est à ce seul prix que notre pays disposera d'un véritable « habeas corpus » à la française.

La seconde raison de l'explosion de la garde à vue est conjoncturelle. Elle tient à la folle politique du chiffre érigée en modèle. Pourquoi le Gouvernement s'en tient-il à cette conception minimaliste de la réforme ? Pourquoi est-il si gêné aux entournures ? Parce que Nicolas Sarkozy, depuis son arrivée au ministère de l'intérieur en 2002, pratique la politique du chiffre. Depuis 1982, la garde à vue s'est banalisée avec plus de 80 % d'augmentation. Nous sommes passés de 336 718 gardes à vue hors circulation routière à 523 069 en 2010. J'indique volontairement les chiffres hors circulation routière car, pour une part, ces délits, liés à l'état d'ivresse, au non-respect des règles de conduite ne devraient même pas être enregistrés comme des gardes à vue lorsqu'ils n'ont pas causé d'accidents. La raison en est bien simple : la garde à vue n'est pas une sanction. Un individu en état d'ébriété peut dégriser à domicile avant d'être convoqué au commissariat de police ou à la gendarmerie. Pratiquer une garde à vue humiliante avec fouille au corps pour avoir bu un verre de trop encombre les commissariats et va à l'encontre des principes d'un État de droit.

Dans ces conditions, la garde à vue est un indicateur de performance du travail policier, une sorte de PIB de l'offre policière ! Plus un commissariat multiplie les gardes à vue, plus il aura de crédits et plus les commissaires obtiendront des primes personnelles. Mais le productivisme policier a deux revers : le premier réside dans le temps passé par les officiers de police judiciaire à accomplir les nombreuses formalités qu'impose le placement en garde à vue puis à interroger. Ce temps empiète sur celui qui devrait être consacré à la recherche et à la présentation des preuves et des charges.

Le second inconvénient tient à l'inflation des placements en garde à vue en France au cours de ces dernières années. Le placement en garde à vue est devenue la règle là où l'on aurait pu procéder à la simple audition de personnes auteurs de faits qui ne justifient ni qu'elles soient placées sous contrainte ni qu'elles soient conduites devant un magistrat.

La presse se fait régulièrement l'écho de ces gardes à vue pour des infractions de faible gravité telles qu'un léger dépassement de la consommation d'alcool au volant. Cette inflation entraîne notamment la dégradation des conditions matérielles de la garde à vue qui se pratique dans des locaux le plus souvent peu conformes aux exigences du respect de la dignité des personnes gardées contre leur gré alors qu'elles sont présumées innocentes. En France, 4 000 lieux de garde à vue existent. La réduction des budgets dans ces domaines aggrave la dégradation de ces lieux. J'engage chaque député à visiter son commissariat de quartier pour faire l'expérience de ce que connaissent pour la première fois de nombreux citoyens qui n'auraient jamais dû s'y retrouver. Les vrais délinquants, eux, ont souvent déjà vécu l'expérience de la prison. Être mis en garde à vue ne change rien dans leur stratégie du silence. Mais demandez aux innocents d'Outreau de vous raconter leur première expérience ! Vous verrez le traumatisme qu'ils ont subi, eux et leurs proches.

Enfin, cette réforme ne s'inscrit pas dans une vision d'ensemble de la refonte de la procédure pénale : nous n'avons aucune perspective sur le statut du procureur de la République, sur l'introduction du contradictoire dans l'enquête pénale, sur la question, jamais résolue, de l'indépendance de la justice. Tout d'abord, le procureur de la République reste responsable de la prolongation de la garde à vue et conserve la possibilité d'écarter l'avocat de l'accès au dossier, comme aux auditions, pendant douze heures. Même si le statut du procureur était modifié pour en faire un magistrat indépendant au sens de la jurisprudence européenne, il n'en resterait pas moins problématique qu'une partie puisse porter atteinte aux droits d'une autre partie. Autre problème: les différences introduites pour les régimes spéciaux de garde à vue, en fonction de la qualification pénale. Là encore, les risques de censure existent.

S'agissant du rôle des institutions judiciaires et notamment du procureur et du parquet, vous avez été tenté de faire appel de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour avoir retenu cinq jours durant, sans être entendue, l'avocate France Moulin. L'arrêt « Moulin » précisait qu'en France les membres du ministère public ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, laquelle compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de magistrat. En effet, tous les parquetiers dépendent d'un supérieur hiérarchique commun, le garde des sceaux, qui est membre du Gouvernement, donc du pouvoir exécutif. Contrairement aux juges du siège, ils ne sont pas inamovibles, rappelait l'arrêt de la CEDH, et si le procureur n'est pas un magistrat indépendant, il ne peut pas priver un justiciable de sa liberté. La commission des lois l'a d'ailleurs nettement souligné puisqu'elle a imposé un amendement, contre l'avis du Gouvernement, pour que la garde à vue soit placée sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et non, comme le prévoyait le texte de Michèle Alliot-Marie, sous celui des procureurs.

La commission des lois a rejeté d'autres propositions fantaisistes de l'avant-projet de réforme, telle celle de l'audition dite libre, simili garde à vue sans avocat avec le consentement du suspect. L'autre grand acteur de l'institution judiciaire, l'avocat, voit son rôle réévalué, ce qui est une bonne chose. Contrairement aux législations de nombreux pays européens qui offrent des garanties étendues dans le domaine des droits de la défense, l'avocat dispose, en France, de droits relativement restreints, cantonnés le plus souvent à une série d'interventions courtes qui pourraient presque être tenues comme étrangères à l'idée même de défense pénale du client. L'avocat peut certes rencontrer son client – dans certains cas seulement à la quarante-huitième ou à la soixante-douzième heure – dans des conditions qui en garantissent la confidentialité, mais au-delà de cet entretien sommaire, l'avocat est une persona non grata. Il ne peut assister aux interrogatoires ni accéder au dossier pénal. Il est simplement informé, verbalement, des faits qui justifient la mesure de garde à vue et ne peut intervenir dans le cours de la procédure qu'en formulant des observations écrites, versées au dossier de procédure.

Dans de nombreux pays de l'Union, comme en Espagne ou dans les pays anglo-saxons, l'avocat est présent dés la première seconde. Ce simple exemple témoigne de l'archaïsme, de la conception inversée des rapports entre police et justice qui prévalent chez nous où l'avocat est une sorte de « figurant impuissant ». Tout cela est contraire au droit à un procès équitable invoqué avec justesse par la Cour européenne des droits de l'homme. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, garantissant le droit à un procès équitable, est en effet applicable à la phase antérieure au procès pénal et ne saurait concerner le seul procès pénal à proprement parler.

D'ailleurs, le doyen Vedel, alors qu'il était membre du Conseil constitutionnel, avait résumé ce processus en déclarant en 1981, à l'occasion de l'examen de la loi « Sécurité et liberté » : « la garde à vue viole les droits de la défense car elle permet qu'un suspect soit interrogé sans l'assistance d'un avocat ». Cette affirmation revient incontestablement à considérer que l'interrogatoire conduit par la police contre une personne placée sous contrainte fait basculer de l'enquête policière, préalable au procès, à la phase judiciaire. C'est d'ailleurs à partir de cet interrogatoire que s'engage le processus qui met sur les rails une vérité policière qu'il sera très difficile de contester par la suite et qui deviendra souvent la vérité judiciaire. Tous les scandales judiciaires de ces dernières années nous l'ont prouvé. Pourquoi l'institution judiciaire éprouve-t-elle alors tant de difficultés à remettre sur la bonne voie un processus aussi mal engagé ? La réponse est simple : il est difficile, au cours du processus judiciaire qui suit la garde à vue, de contredire le contenu d'interrogatoires transcrits noir sur blanc sur des procès-verbaux signés non seulement par les policiers, mais également par les personnes interrogées.

Aussi toute nouvelle réforme de la procédure pénale devrait-elle commencer par modifier radicalement l'objet de la garde à vue en revenant à ce qu'elle était à son origine et à son sens étymologique : garder les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d'investigations effectuées en enquête préliminaire, le temps de les conduire devant un juge après en avoir informé leur avocat. C'est ensuite devant un tribunal que devrait s'ouvrir la première phase du processus judiciaire : exposé des charges résultant des procès-verbaux établis par la police, interrogatoire par le procureur puis contestation ou reconnaissance de culpabilité par l'auteur présumé, assisté de son avocat.

L'avocat, et nous devrions veiller à ce que le texte soit clair sur ce point, ne doit donc pas se transformer en faire-valoir passif dont la présence donnera une force importante aux aveux passés lors des interrogatoires et rendra encore plus difficile qu'à l'heure actuelle une contestation ultérieure de ceux-ci.

Ces questions sont au coeur de la réforme de la garde à vue. Cette deuxième lecture peut et doit apporter les améliorations nécessaires à ce texte, et notamment :

La garantie du droit à l'information de la personne gardée à vue en lui notifiant son « droit de garder le silence » pendant l'audition, y compris sur son identité ;

La possibilité, pour toute personne gardée à vue, de consulter un avocat dés le début de la garde à vue, sans limite de temps, et de bénéficier de la présence de l'avocat pour toutes les auditions, y compris dans le cadre des régimes dérogatoires ;

La possibilité, pour l'avocat, d'accéder au dossier de la procédure dès le début de la garde à vue, pour garantir un conseil effectif, y compris dans le cadre des régimes dérogatoires, et lui permettre d'intervenir à tout moment au cours des auditions pour assister la personne gardée à vue ;

La garantie de « la vaste gamme d'interventions » de l'avocat, caractérisant une assistance effective, comme le prévoit la Cour européenne des droits de l'homme qui emploie précisément cette formule : discussion de l'affaire, organisation de la défense, recherche des preuves favorables à l'accusé, préparation des interrogatoires, soutien de l'accusé en détresse et contrôle des conditions de détention – souvenons-nous de l'arrêt Dayanan contre la Turquie du 13 octobre 2009 ;

La suppression de la restriction de la liberté de choix de l'avocat en matière de terrorisme, pour garantir l'égalité de traitement et le droit à un procès équitable ;

La garantie que la personne auditionnée hors garde à vue dispose des mêmes droits que les personnes gardées à vue.

Je conclurai mon propos en insistant de nouveau sur l'importance du débat qui se noue dans cette enceinte. Nous devons en finir avec l'insécurité juridique instaurée par la garde à vue inquisitoriale pratiquée depuis des lustres. Nous devons en finir avec les pratiques de non-droit instaurées dans nos commissariats. Nous devons modifier les pratiques dès maintenant et intégrer le droit au silence qui est un droit incontournable. En 1981, nous avons osé transgresser contre la vox populi, et ce quel que soit notre bord, les limites du droit pénal hérité de notre histoire, en supprimant la peine de mort. Aujourd'hui, à contre-courant du populisme judiciaire ambiant, nous devons transgresser de nouveau des règles héritées d'un passé révolu en harmonisant notre droit avec ceux de nos partenaires de l'Union européenne.

Cette réforme, nous souhaitions qu'elle soit consensuelle et nous l'avions indiqué lors de la première lecture. Visiblement, nous n'avons pas été entendus. Cette réforme ne correspond pas à ce que nous souhaitions. Nous le regrettons profondément. Nous souhaitions que, sur ce sujet, notre assemblée cherche un consensus profitable à l'État de droit et aux justiciables. C'est l'image de la France qui est en jeu et la garantie des libertés fondamentales. C'est à cette aune que nous serons jugés par l'histoire. Les droits de l'homme ne sont pas accordés ou refusés. On ne quémande pas les droits humains dans la patrie des droits de l'homme, monsieur le ministre. Soit ils sont garantis par la loi, soit ils sont bafoués. Tel est l'enjeu.

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