Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 5 avril 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Vidalies :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me suis quelque peu interrogé en entendant l'orateur de l'UMP expliquer que nous avions, au fond, une position ambiguë : nous défendrions ici libertés publiques et droits de l'homme et expliquerions par ailleurs, dans les commissariats, qu'il n'y aurait pas assez de moyens.

Je lui ferai deux observations.

Tout d'abord, quelques pays, non des moindres, prévoient la présence de l'avocat pendant la garde à vue ; telle est leur procédure depuis des décennies et leurs polices sont tout aussi efficaces que la police française. La question n'est pas de choisir, comme vous l'avez suggéré, entre les droits de l'homme et la sécurité. Ce n'est pas « l'un ou l'autre », c'est « l'un et l'autre » !

Ensuite nous sommes pour la défense des droits de l'homme et pour la sécurité, d'où la question des moyens. Si vous avez, vous, cette conviction qu'il faut choisir entre les deux, comme vous l'avez expliqué avec quelque candeur, alors nous comprenons mieux les conditions dans lesquelles vous abordez cette réforme.

Ce projet de loi portant réforme de la garde à vue est marqué, pour l'essentiel, du sceau de l'incertitude.

Les interrogations juridiques portent tout autant sur le fond du droit que sur le contexte institutionnel. En effet, si le Conseil constitutionnel nous a accordé une sorte de délai jusqu'au 1er juillet, chacun, ici, est bien conscient que la loi – ce n'est pas rien : elle est l'expression, dans cet hémicycle, de la volonté générale – risque d'être bousculée par l'arrêt qui sera rendu, le 15 avril semble-t-il, par la Cour de cassation. C'est ce contexte et uniquement ce contexte qui explique le choix du rapporteur et le souhait – c'est une formule de politesse – du Gouvernement d'aboutir à un vote conforme du texte adopté par le Sénat. Cela ne grandit pas le travail parlementaire.

L'on nous dit que le Sénat n'a modifié le projet de loi qu'à la marge. Pourtant il a modifié l'alinéa 7 de l'article 5, qui porte sur les conditions dans lesquelles le procureur de la République pourra autoriser que l'audition commence avant l'intervention de l'avocat. Nous avions soumis cette possibilité à des conditions identiques à celles qui permettent de différer la présence de l'avocat de douze heures, mais le texte issu des travaux du Sénat comporte désormais cette formule, à laquelle je promets un énorme succès sur le plan judiciaire : « Lorsque les nécessités de l'enquête exigent une audition immédiate de la personne, le procureur de la République peut autoriser, par décision écrite et motivée, sur demande de l'officier de police judiciaire, que l'audition débute sans attendre l'expiration du délai prévu au premier alinéa. »

Vous savez parfaitement, monsieur le ministre, tout le monde, ici, sait ce qui va se passer : un formulaire comportant la signature du procureur, mentionnant les « nécessités de l'enquête », permettra de commencer l'audition. Lesdites nécessités seront invoquées sans aucune explication particulière, d'autant qu'aucun contrôle n'est possible. On voit bien que cette modification, dont on nous dit qu'elle est secondaire, est de nature à bouleverser la réalité de la réforme. On peut certes l'approuver, mais nous y sommes opposés, car nous estimons qu'elle dénature complètement le texte. Las, vous n'avez pas le choix, obligés que vous êtes d'essayer d'obtenir un vote conforme pour attendre dans les meilleures conditions possibles l'arrêt à venir de la Cour de cassation.

Nous légiférons donc sous contrainte et ce contexte singulier est le dernier avatar d'une réforme à reculons que le Gouvernement et la majorité n'ont accepté, au fond, qu'à cause d'arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation.

Vous auriez dû pourtant être alerté par l'arrêt Medvedyev du 10 juillet 2008. Nous vous avons souvent posé ces questions, mais vos réponses, monsieur le ministre, – du moins elles sont aussi les vôtres du fait de la permanence de l'État – furent toujours les mêmes : la France n'était pas concernée, notre droit n'était pas visé. Par exemple la Turquie était concernée et non le parquet français. En fait, vous étiez dans un déni de réalité juridique. En soulignant aujourd'hui que vous n'avez jamais eu le projet politique de permettre l'assistance d'un avocat pendant la garde à vue, je ne suis pas très éloigné de la vérité. Vous êtes obligé de le faire, ce qui modère évidemment votre enthousiasme.

Cette réticence à la réforme est toujours présente dans votre projet de loi, dès lors que vous refusez d'examiner la question fondamentale du statut du parquet. À trop vouloir concilier l'inconciliable, vous nous proposez un texte qui présente, selon moi, de sérieux risques de sanctions et, très certainement, d'annulation de procédures pénales.

Le procureur de la République aura ainsi le pouvoir d'ordonner des placements en garde à vue, de prolonger la mesure, d'en contrôler le bon déroulement et de limiter, dans certaines circonstances, les droits du gardé à vue. Il est évidemment à craindre que ces exceptions – et notamment celle de l'article 7 dont je viens de parler – ne deviennent la règle, alors que personne ne sera en mesure de les contrôler ni de les contester.

Sur le fond du droit, vous persistez dans la résistance, alors que, vous le savez parfaitement, dans son arrêt du 15 décembre 2010, la Cour de cassation a reconnu que le ministère public n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5 paragraphe 3 de la Convention. Je rappelle aussi que la Cour européenne des droits de l'homme, dans la décision « Moulin contre France », a estimé que le procureur ne remplit pas les garanties d'indépendance nécessaires à l'exercice des fonctions judiciaires, c'est-à-dire des fonctions de contrôle de la liberté individuelle de la personne gardée à vue.

Dans cet arrêt – c'est peut-être le plus inquiétant par rapport au texte que vous nous proposez aujourd'hui –, la Cour européenne affirme que l'indépendance est un élément essentiel, comme l'impartialité. Elle précise que les exigences d'indépendance et d'impartialité excluent notamment que les magistrats puissent agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale.

Ainsi, hormis la décision de placement en garde à vue qui peut être regardée comme une mesure de sécurité, tous les pouvoirs que ce projet de loi accorde au procureur pour la prolongation de la garde à vue ou la diminution du délai d'attente de l'avocat présentent de sérieux risques au titre du contrôle de conventionalité, voire de constitutionnalité.

Nous pensons que cette résistance et cette prise de risque répondent à une vraie divergence politique sur le statut du parquet.

Nous sommes favorables à une modification des règles de nomination ainsi qu'à une modification de la composition du Conseil supérieure de la magistrature. Cette réforme avait d'ailleurs été adoptée par les deux assemblées en 1998, après la publication du rapport de la commission présidée par Pierre Truche. Chacun sait que, pour des raisons purement politiques, cette réforme ne fut jamais soumise au Congrès et que, depuis, pour les mêmes raisons, vous restez arc-boutés sur ce statut, dont quelques épisodes judiciaires récents ont, si c'était nécessaire, démontré qu'il n'était plus compatible avec une justice moderne et indépendante. Le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, a établi le seul diagnostic qui s'impose en constatant, lors de la rentrée solennelle du 7 janvier 2001, que le parquet était en situation de coma dépassé.

Sur cette question majeure, le projet de loi est donc un nouveau rendez-vous manqué qui, au surplus, laisse planer de très gros risques sur la procédure pénale à venir. Nous le regrettons d'autant plus que nous sommes favorables à l'introduction de l'avocat pendant la garde à vue, mesure que nous avions proposée à plusieurs reprises, sans succès. C'est, dans son principe, un progrès considérable.

Cela étant comment ne pas s'inquiéter des conditions de sa mise en oeuvre ? Les moyens de la justice ne sont pas aujourd'hui à la hauteur de l'enjeu quant aux commissariats et aux lieux de rétention. À ce jour, bien peu sont équipés pour répondre à cette nouvelle mission.

Le délai de deux heures accordé à l'avocat pour rejoindre le lieu de la garde à vue a été calculé, selon le rapport en première lecture, en prenant en compte la plus longue distance relevée, l'un des exemples cités étant le parcours entre la pointe du Médoc et Bordeaux. Vous auriez pu, monsieur le rapporteur, citer dans les mêmes conditions le trajet entre Mont-de-Marsan et Biscarosse, dans mon département.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion