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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 5 avril 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, le projet de loi sur la garde à vue que nous examinons en deuxième lecture doit être voté et mis en application avant le 1er juillet 2011. Il est donc important de légiférer rapidement.

Cependant, le texte dont nous débattons, même pressés par les délais octroyés par le Conseil constitutionnel, doit être impérativement conforme aux jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Or tel n'est pas le cas. C'est la raison pour laquelle les députés communistes, républicains et citoyens avaient, en première lecture, voté contre le texte. Celui-ci comporte en effet un certain nombre de dispositions manifestement contraires à la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Gouvernement et la majorité savent d'ailleurs pertinemment que le texte, en l'état, n'est pas encore satisfaisant au regard des critères européens. Ils savent qu'il occasionnera une nouvelle condamnation de la France, dans quelques années. Aussi, le présent texte semble avoir pour seul objectif de gagner du temps, à défaut d'améliorer réellement les droits de la défense dans notre pays.

Pour être dans les clous du droit européen, il importe de signaler que la personne mise en cause ne peut s'incriminer elle-même. Dans un arrêt d'octobre 2010, la Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable.

Dans l'état actuel du projet de loi, cette exigence conventionnelle est-elle réellement respectée ? Dans le texte, vous l'affirmez, monsieur le garde des sceaux. Vous avez d'ailleurs évoqué ce point tout à l'heure. Cependant dans les faits, faute de moyens, vous ne pouvez le garantir.

Par ailleurs, votre projet de loi, en prévoyant, dans de nombreux cas, la possibilité pour le procureur et les officiers de police judiciaire de différer, voire d'empêcher purement et simplement la présence de l'avocat, vide la réforme de son contenu. Le présent texte organise ainsi lui-même son propre contournement ! Je pense ici à l'article 7, qui permet à la partie poursuivante d'empêcher l'autre partie de faire valoir ses droits en différant de douze ou vingt-quatre heures la présence de l'avocat.

Là encore, contrairement au droit européen, la personne mise en cause contribuera à sa propre incrimination, sans avoir eu la possibilité d'être assistée d'un avocat. Or je vous rappelle le texte de l'arrêt « Salduz contre Turquie » : « Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes – faites lors d'un interrogatoire subi sans assistance possible d'un avocat – sont utilisées pour fonder une condamnation. »

Nos interrogations portent également sur la nature de l'intervention de l'avocat que vous entendez permettre, monsieur le garde des sceaux. Ainsi, aux termes du présent texte, non seulement la présence de l'avocat peut être différée, mais ses capacités d'intervention sont également réduites à la portion congrue.

D'une part, l'avocat ne peut intervenir qu'à l'issue des auditions et des interrogatoires, c'est-à-dire une fois que « les jeux sont faits » et que la personne mise en cause aura éventuellement pu produire des « déclarations incriminantes ».

D'autre part, l'avocat n'aura même pas accès au dossier. Ce point est particulièrement problématique : comment organiser la défense de la personne mise en cause si son conseil n'a accès qu'aux PV des auditions, auditions auxquelles, en bonne logique, il a pu assister, ce qui rend les PV inutiles ? De plus, comme si le fait de donner accès aux PV était déjà une lourde concession aux droits de l'homme, le Gouvernement l'a fortement restreinte en laissant la possibilité au procureur d'empêcher l'avocat de les consulter.

Ici encore, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est tout simplement ignorée. Voici un extrait de l'arrêt « Danayan contre Turquie », cité par la Cour dans l'arrêt qui a condamné la France : « La discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer. » Comment l'avocat pourra-t-il effectuer ces missions fondamentales sans avoir accès aux dépositions des témoins ou aux constatations effectuées par les policiers ? Comment pourra-t-il discuter de l'affaire et organiser la défense de l'accusé sans même avoir accès aux PV des auditions ?

Le débat qui agite la majorité sur la question de la garde à vue avait permis, lors des débats en commission qui ont eu lieu pour la première lecture, d'introduire le contrôle de la légalité de la mesure par le juge des libertés et de la détention. C'est une exigence conventionnelle. L'arrêt « Medvedyev contre France » affirme explicitement : « Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public ».

Sur ces bancs, chacun le sait, les procureurs, s'ils sont des magistrats, ne sont indépendants ni de l'exécutif ni des parties, puisqu'ils sont chargés de l'accusation. C'est donc à double titre que cette disposition entraînera une nouvelle condamnation de la France.

Sur le fond, il s'agit d'une logique aberrante : le procureur de la République est celui qui décide de la mesure de garde à vue. Il devra donc contrôler lui-même ses propres actes et la légalité de sa propre décision. À quoi bon maintenir et faire voter une loi dont chacun sait ici qu'elle ne passera pas la rampe du Conseil constitutionnel ni celle de la CEDH ?

Le raisonnement est exactement le même en ce qui concerne la faculté de prolonger la garde à vue, que le texte laisse au procureur.

Enfin, en première lecture, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche avaient voté contre le texte, notamment parce que l'article 11 bis, combiné avec l'article liminaire, nous semblait pouvoir être lu comme une réintroduction discrète de la procédure de l'audition libre. Nonobstant les dénégations outrées du garde des sceaux, le Sénat a entendu nos inquiétudes puisque nos collègues ont amendé le texte dans le sens que nous indiquions, en soulignant que les personnes entendues hors garde à vue devaient se voir signaler la possibilité de quitter les locaux de police à tout moment. Les choses se sont donc améliorées grâce à la navette.

Cependant, le dispositif de l'article 11 bis ne nous garantit en rien que ces auditions hors garde à vue ne seront pas des « auditions libres » telles que prévues dans la première mouture du projet de loi. En effet, si les personnes peuvent quitter les locaux de la police, elles peuvent tout aussi bien être soumises à un chantage : « Si vous quittez les lieux, on vous place en garde à vue ». Ceux qui ont connu ou vécu cette situation le savent.

Par ailleurs, puisqu'il s'agit d'auditions où des charges existent contre la personne – les conditions autorisant le prononcé d'une garde à vue devant être réunies – pourquoi ne pas permettre, dès cet instant, l'assistance d'un avocat et l'organisation de la défense ? Il y a, sur ce point, une autre fragilité procédurale qui pourrait fort bien être soit inconstitutionnelle, soit déclarée non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La majorité n'ignore pas tous les arguments que je viens de développer. Le garde des sceaux a également eu l'occasion de les entendre une nouvelle fois. Tout le monde connaît ici les fragilités de ce projet de loi et la brièveté probable de sa durée de vie. Si chacun fait, cependant, la sourde oreille, c'est simplement pour gagner du temps. Une vraie réforme de la garde à vue est renvoyée à plus tard, ce qui est regrettable.

Ainsi, M. le rapporteur a publiquement annoncé qu'il ferait en sorte que le texte soit adopté sans modification et voté conforme. Est-ce vrai ? Je tiens à le dire solennellement : de telles pratiques sont purement et simplement inacceptables. En dépit d'une quantité impressionnante de malfaçons législatives, les représentants du peuple et législateurs que nous sommes sont priés de voter ce texte sans modification pour ne pas gêner le Gouvernement.

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