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Intervention de Sébastien Huyghe

Réunion du 5 avril 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

…je rappelle que la réforme de la garde à vue et son calendrier nous sont imposés par la jurisprudence de la Cour de cassation, les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 qui nous laisse jusqu'au 1er juillet 2011 pour nous mettre en conformité.

Cependant, la chambre plénière de la Cour de cassation devrait rendre un arrêt le 15 avril prochain, qui pourrait précipiter la nécessité de mise en conformité de la garde à vue avec les préconisations de la Cour européenne des droits de l'homme.

Outre la contrainte de temps, ces institutions nous imposent également de nombreuses contraintes de fond. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme, de culture juridique anglo-saxonne, nous impose de plaquer des dispositions issues de la procédure accusatoire sur notre système inquisitoire de procédure pénale.

Notre procureur de la République n'a pas les mêmes fonctions qu'un procureur anglo-saxon. Il doit mener ses investigations à charge et à décharge. S'il engage des poursuites, c'est dans le cadre de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité des poursuites. Il n'est en aucun cas une partie au procès pénal, et c'est véritablement par abus de langage que certains parlent de lui comme de la partie poursuivante.

Le procureur de la République défend la société et l'intérêt général ; il intervient au nom de la République, et non pas au nom de l'État ou du Gouvernement. À ce titre il est le garant du respect des règles institutionnelles et des libertés individuelles.

C'est donc dans ce contexte hybride qu'il faut légiférer. La réforme qu'il nous appartient de voter doit trouver, à plus d'un titre, un étroit chemin entre divers intérêts souvent contradictoires.

Elle doit tout d'abord donner les moyens de mener l'enquête sans entrave afin de permettre la manifestation de la vérité. Elle doit également admettre que le mis en cause puisse exercer ses droits légitimes à la défense. Elle doit, par ailleurs, accorder à la victime les moyens d'être respectée et protégée, et veiller à ce que, dans les faits, celle-ci n'ait pas le sentiment que les rôles sont inversés, c'est-à-dire veiller à ce que la victime ne soit pas mise en accusation, et à ce que que l'auteur n'apparaisse pas comme une victime du système qu'il faudrait protéger à tout prix.

En outre, notre marge de manoeuvre est très étroite entre deux risques politiques majeurs.

Le premier est celui de mettre en oeuvre des règles de procédure de garde à vue si contraignantes qu'elles pourraient être une véritable entrave à l'enquête. Cela risquerait alors de faire chuter de manière catastrophique le taux d'élucidation des crimes et délits, qui était en constante augmentation depuis plus de huit ans, et de nuire ainsi à l'efficacité de la police et, par voie de conséquence, à celle de la justice.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas prendre le risque de donner un coup de frein à la lutte contre la délinquance. Ce serait un mauvais signal pour les Français qui nous disent tous les jours leur besoin de sécurité. Ce serait un mauvais signal pour les délinquants, qui pourraient croire que tout est permis en toute impunité. Ce serait un mauvais signal pour nos forces de l'ordre qui, voyant leur efficacité mise à mal pour des questions procédurales, nourriraient non seulement un sentiment de lassitude, mais, pire, se sentiraient véritablement démotivées dans leur lutte quotidienne contre la délinquance.

Nous savons bien que ce texte tente d'établir un équilibre précaire entre ces intérêts contradictoires et qu'il n'est pas exclu que, à la lumière de l'expérience pratique, nous devions réajuster un certain nombre de dispositions. En effet, beaucoup d'exemples étrangers montrent qu'au renforcement des droits de la défense correspond traditionnellement un accroissement des pouvoirs de la puissance publique.

Par ailleurs, nous devrons également nous reposer – c'est inéluctable – la question de la simplification et de la dématérialisation des procédures, ainsi que celle de l'abandon de certains formalismes pesants, alors que la présence de l'avocat dès la première heure porte le gage du respect des procédures et des droits élémentaires de la défense.

Le second écueil que nous devons également éviter, est celui d'une réforme de la garde à vue pour rien. Je veux dire par là que nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place un dispositif qui pourrait encourir, dans les mois qui viennent, de nouvelles sanctions, prononcées soit par la Cour européenne des droits de l'homme, soit par le Conseil constitutionnel, soit encore par nos plus hautes juridictions.

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