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Intervention de Julien Dray

Réunion du 5 avril 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dray :

…parce que c'est déjà un acte de repentance que de dire ce que les enquêteurs veulent entendre.

À ce moment-là, certains craquent et signent ou acceptent n'importe quoi. Les avocats auront ensuite beaucoup de travail pour détruire ce qui a été construit sous la pression psychologique.

Sur le fond, que vous le vouliez ou non, la garde à vue est d'abord un énorme moyen de pression psychologique pour faire céder. Elle est avant tout cela. C'est là que réside le problème de procédure pénale.

Dans un État moderne, garant des droits des individus, et même en considérant l'intérêt général de notre pays évoqué par M. Garraud, nous n'avons pas du tout intérêt à ce que ce genre de procédure se généralise. En effet, la procédure de garde à vue, telle qu'elle est actuellement diligentée dans notre pays, n'est pas pour rien dans le fossé qui se construit entre la population – notamment les jeunes – et la police.

Que les choses soient claires. Si vous croyez que les délinquants d'habitude de nos cités sont effrayés par la garde à vue, vous vous trompez : ils maîtrisent parfaitement cette procédure qu'ils connaissent mieux que vous et moi ; ils viennent avec leurs capuches ; ils savent qu'il faut prendre son temps et qu'ils peuvent tourner les enquêteurs en dérision.

Il ne faut pas croire les émissions de télé-réalité réalisées dans des centres de garde à vue dont on nous abreuve – c'est devenu à la mode ; cela fait de l'audience – qui nous montrent des jeunes, ou des moins jeunes, se mettre tout d'un coup à réfléchir et à en venir à la confession. Ça, c'est bon pour la caméra, mais ce n'est pas du tout ce qui se passe dans la réalité.

C'est pourquoi je maintiens que, si, mettant à profit les exigences qui nous sont imposées, nous avions réfléchi, nous aurions limité la garde à vue à des procédures exceptionnelles et, laissant de côté la culture de l'aveu, nous aurions doté les enquêtrices et les enquêteurs des moyens nécessaires pour diligenter de vraies enquêtes.

En effet, que se passe-t-il actuellement ? Quand quelqu'un fait des confessions écrites en garde à vue, les bons avocats mènent, devant les juges d'instruction, une bataille juridique dans laquelle ils démontent, un par un, tous les éléments livrés en garde à vue. Vous savez bien, monsieur le garde des sceaux, qu'au final, ce sont eux qui gagnent parce que, dans la bataille d'usure qu'ils mènent contre des magistrats débordés, ces derniers finissent par trouver, si ce n'est pas une faute de procédure, au moins un élément qui remet en cause tout ce qui a été fait.

Voilà pourquoi nous aurions pu profiter des injonctions des différentes cours pour refonder notre système. Or ce n'est pas ce qui va être fait. En fait vous avez essayé de faire un pas dans le sens de l'amélioration des droits tout en préservant le système. Le résultat, quand nous le regardons en détail, ne tient pas debout.

En effet, vous faites intervenir l'avocat dès la première heure, mais sans lui donner aucune possibilité d'intervenir sur le contenu même de l'affaire. Quel avocat ne dira pas à son client placé en garde à vue : « Vous avez le droit au silence. Profitez-en, car tout ce qui figurera sur les procès-verbaux nous posera des problèmes par la suite » ? Il ne cessera de le lui répéter tout au long de la garde à vue. C'est ainsi que les choses vont se passer, parce que le rôle de l'avocat n'est pas défini comme une assistance juridique sérieuse et une intervention sur le dossier.

Du point de vue même de l'enquête, il aurait mieux valu que l'avocat puisse intervenir dès le début, fournir un certain nombre d'éléments et procéder à un débat contradictoire. Cela aurait permis, j'en suis sûr, au travail des enquêtrices et des enquêteurs de progresser, grâce aux éléments fournis. Or tel ne sera pas le cas.

De plus, cela va entraîner des injustices fortes entre ceux qui pourront se payer de bons avocats, lesquels seront présents à leurs côtés et leur fourniront tous les éléments nécessaires, et ceux qui ne le pourront pas. Or les vrais délinquants auxquels vous faites référence ont souvent les moyens de se payer les services de bons avocats.

Vous avez voulu donner un certain nombre de garanties, mais vous vous méfiez trop du juge des libertés pour qu'elles soient applicables. Vous avez peur de lui. Pourtant vous savez très bien que le peu de pouvoir qu'il a, il ne l'utilise pas beaucoup. Il entérine en général tout ce que le parquet lui demande, non pas par mauvaise volonté, mais parce qu'il est débordé, parce qu'il ne connaît pas les dossiers et parce qu'il fait confiance et ne veut pas gêner son collègue du parquet qui est de service.

On aurait pu penser que le rôle du juge des libertés aurait été renforcé dans le cadre de la procédure de la garde à vue, qu'il lui aurait été donné la possibilité de vérifier que les choses se déroulaient correctement et qu'on n'était pas dans le cadre de gardes à vue abusives. Non : le parquet continuera à avoir la mainmise sur la garde à vue. Or vous savez très bien comment cela se passe. Le parquet n'attend qu'une chose : qu'on lui lise les procès-verbaux. Donc, à quelques rares exceptions près, il fait toujours droit aux demandes des enquêteurs qui souhaitent prolonger la garde à vue car, lui aussi, est tenu au résultat.

Voilà comment les choses se passent dans le système actuel, et j'aurais pu donner encore bien d'autres exemples. C'est pourquoi il y a une défiance de plus en plus grande de la part d'une partie de la population envers nos institutions, que ce soit la police ou la justice.

Il s'agit d'une occasion ratée. Nous avons donc bien raison de voter contre votre texte, en nous disant que, finalement, il n'y a plus qu'un an à attendre, comme je l'espère, pour pouvoir faire enfin les révolutions nécessaires, y compris en matière de justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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