COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)
Mardi 15 juin 2010
(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d'enquête)
La Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Madame la ministre de la santé et des sports, l'objectif de cette commission d'enquête est de faire le bilan des points forts et des points faibles de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1), en vue d'une gestion optimale de problèmes de santé publique similaires au cas où ils viendraient à se présenter – ce qui est malheureusement probable. De ce point de vue, je tiens à observer que nos travaux seront handicapés par le refus de l'Organisation mondiale de la santé, pourtant encore assez largement financée par les différents États, d'être auditionnée par notre commission, alors même qu'elle a accepté de l'être par d'autres instances.
L'heure du bilan approche. Le rapport de M. Jean-Pierre Door devra être mis à la disposition des membres de la commission d'enquête le 30 juin prochain, et la commission sera appelée à se prononcer sur ses préconisations le 6 juillet. Nous entamons donc la dernière série de nos auditions, consacrée aux responsables ministériels.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a beaucoup travaillé, dans le temps très court qui lui était imparti, et a pu entendre de nombreux responsables administratifs. À cet égard, je tiens à souligner la parfaite disponibilité de vos services, madame la ministre, notamment celle du directeur général de la santé, présent à vos côtés aujourd'hui, que nous avons entendu deux fois. Soyez-en remerciés tous les deux.
(Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, prête serment.)
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui. Soyez assurés que je partage votre préoccupation de rendre plus opérationnels, plus efficaces et plus réalistes nos futurs plans de vaccination contre les pandémies, en tirant tous les enseignements de la manière dont a été gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1). De cette gestion, il nous appartient de préserver les aspects positifs, voire de les améliorer encore. Je souhaite aussi que votre travail puisse enrichir celui de mon ministère, en vue des campagnes de demain. Nous en sommes tous convaincus : nous avons non seulement une marge de progression en la matière, mais aussi l'impérieuse nécessité de favoriser les démarches de prévention.
Une des questions centrales qui ont commandé mon action dès l'émergence de l'alerte et tout au long de la pandémie est celle de l'évaluation du risque.
Nous avons su très tôt que le virus A(H1N1) n'était pas le virus A(H5N1) et que sa virulence était beaucoup plus modérée. Néanmoins, nous avons dû supporter, tout au long de la pandémie, l'incertitude quant à sa possible mutation et à l'acquisition de facteurs de virulence, voire de résistance ou de contagiosité. Comme vous l'a dit le professeur Claude Hannoun, les virus sont « facétieux » ; ils n'évoluent jamais comme on le croit.
Lors de l'émergence de l'alerte, j'ai donc ouvert le champ des possibles. Je n'ai retenu ni l'option d'une disparition pure et simple du virus, ni celle d'un scénario noir de type grippe aviaire. Conduire une politique, ce n'est pas suivre une croyance, ni faire un pari. J'ai retenu un scénario fondé sur des hypothèses plausibles qui s'est révélé plus pessimiste que ce qui est advenu dans la réalité. En l'occurrence, nous avons su, j'en suis convaincue, prendre des mesures adaptées face à cette pandémie qui a pu être qualifiée de « grippette » par certains d'entre vous.
Je voudrais donc vous rappeler, d'une part, les événements favorables qui ont lissé le risque et, d'autre part, les éléments positifs de la gestion de l'alerte. En effet, je souhaiterais que l'évaluation de la politique de prévention que j'ai engagée soit réalisée à l'aune du risque tel qu'il a été évalué puis réévalué tout au long de la préparation à la vague pandémique, et non pas tel qu'il s'est réalisé à la fin de l'année 2009. Quand vous assurez votre voiture en début d'année, vous ne regrettez pas, en décembre, de n'avoir pas eu d'accident : il n'y a besoin d'aucun accident pour justifier a posteriori le coût de votre prime d'assurance !
Tout d'abord, en tant que responsable politique, et même s'ils ne doivent rien à l'action que j'ai menée depuis le 24 avril 2009, je me félicite sincèrement des événements favorables qui ont rendu acceptable la menace que nous avons eu à affronter.
Certains ne tiennent pas au hasard. Nous avons su nous préparer. La menace de grippe aviaire a amené la France à se doter d'un plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale régulièrement actualisé. Pour autant, lorsqu'elle se concrétise, la menace ne prend jamais tout à fait le visage que l'on avait imaginé, et le plan a été la première victime du virus A(H1N1) – il faudra nous en souvenir pour l'avenir. Il n'a cependant pas été inutile, puisque nous en avons extrait les outils adaptés à la situation rencontrée – à aucun moment, je n'ai renversé la « boîte à outils » sur la table !
De la même façon, l'Organisation mondiale de la santé avait actualisé son mode de gestion et de coordination de l'alerte sanitaire ; et le règlement sanitaire international, adopté tout récemment, a permis le partage du signal d'alerte, puis celui de son analyse, entre tous les États parties à cette organisation.
D'autres événements tiennent davantage au caractère « facétieux » de ce virus A(H1N1). Il a émergé dans un pays où le système de surveillance a permis une détection précoce. Il s'est révélé étonnamment stable. Il n'a pas muté vers une forme plus dangereuse ; en tout cas, les mutations inquiétantes qui sont apparues, comme la mutation dite « norvégienne », n'ont pas acquis la capacité de se transmettre. En outre, il est resté sensible aux antiviraux et aux vaccins.
A compté, enfin, le moment auquel a surgi l'alerte. Son émergence au printemps a laissé le temps de produire des vaccins et d'obtenir leurs autorisations de mise sur le marché. C'était sinon inespéré, du moins imprévu.
Ce nouveau virus a par ailleurs évincé les virus saisonniers. Nous n'avons pas eu de grippe saisonnière, ce qui a permis d'éviter un cortège de complications chez les personnes âgées et un nombre important de décès.
En outre, une seule dose de vaccin a suffi pour protéger la majeure partie d'entre nous, et certains – les plus âgés – avaient, ce que nous ne savions pas au départ, gardé une immunité naturelle. Ces deux éléments ont réduit la circulation du virus.
Au-delà de ces événements favorables, je veux que nous puissions capitaliser sur les points positifs de la gestion de cette pandémie, car ils ont été nombreux et je souhaite en souligner aujourd'hui quelques-uns plus particulièrement.
Le premier, c'est la réactivité à l'alerte et l'adéquation des mesures proposées face à un virus inconnu.
Dans la toute première phase de l'alerte, dès le 24 avril et jusqu'au 23 juillet 2009, les établissements de santé se sont consacrés à la prise en charge systématique de tous les cas. Les centres 15 ont effectué la régulation de cette prise en charge et ont signalé les cas à l'Institut de veille sanitaire ; les services d'urgence et de maladies infectieuses ont isolé et mis sous traitement les patients, et les laboratoires hospitaliers ont réalisé le diagnostic biologique.
Cette phase avait pour objectif de ralentir la pénétration du virus sur notre territoire. Je ne peux, certes, assurer de l'efficacité de ces seules mesures. Mais je peux constater, avec vous, qu'un mois s'est écoulé entre l'apparition des premiers cas importés du Mexique – dès le 26 avril – et l'apparition de cas secondaires signant une transmission virale autochtone. Je constate également la différence d'évolution avec le Royaume-Uni qui n'a pas pris de mesures aussi drastiques et qui a été touché assez sévèrement dès le mois de juillet 2009.
Cette phase, dite « de contingentement », nous a permis de parfaire notre préparation et de mieux connaître les caractéristiques du virus.
Deuxième point positif : l'acceptation par nos concitoyens des mesures – essentielles – d'hygiène, dites « mesures barrières ».
Selon les enquêtes d'opinion, 40 % d'entre eux ont modifié leur comportement. Ce résultat, je dois le dire, m'impressionne. S'il est difficile de mesurer l'impact qu'ont eu ces mesures sur la pandémie, je constate avec l'ensemble des professionnels de santé que la gastroentérite et la bronchiolite, habituellement sources d'encombrement des salles d'attente et des urgences en hiver, ont reculé. J'envisage donc de poursuivre cet automne une campagne de sensibilisation qui nous a permis de ne pas revivre le cauchemar de janvier 2009, quand les établissements de santé étaient débordés.
Troisième point positif : la capacité qu'a démontrée notre système de soins à faire face à une épidémie nouvelle.
Les établissements de santé comme les médecins traitants ont su s'adapter aux particularités de la prise en charge des malades atteints du virus. La précocité de la prise en charge des cas de grippe par la médecine de ville, la précocité de la délivrance des antiviraux par les pharmaciens et la qualité des soins de réanimation pour des formes graves inusitées en sont trois exemples significatifs. Je veux le dire avec reconnaissance et respect : les professionnels de santé ont été au rendez-vous, et je les en remercie.
Le quatrième point positif a trait aux vaccins.
Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet. Ce que je veux retenir, c'est d'abord la rapidité avec laquelle la souche a été mise à la disposition des laboratoires de référence par l'Organisation mondiale de la santé. C'est ensuite le temps précieux que nous a fait gagner la procédure maquette, dite « mock-up », mise en oeuvre par l'Agence européenne du médicament – c'est la première fois que nous disposons d'un vaccin avant une pandémie ! C'est encore la qualité de la pharmacovigilance mise en place par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, dans le cadre du plan de gestion des risques de l'agence européenne. Ce sont, enfin, les résultats de cette surveillance, qui ont confirmé le bon rapport bénéficesrisques des vaccins utilisés, avec ou sans adjuvant.
En cinquième lieu, l'Institut Pasteur mérite un coup de chapeau pour avoir su, dès le 5 mai, mettre au point un test de diagnostic fiable, diffusé ensuite au réseau de laboratoires et qui a permis d'affirmer le diagnostic d'infection liée au virus pandémique.
Enfin, concernant l'organisation de la campagne de vaccination elle-même, la réponse à la pandémie a montré la capacité de mobilisation de l'appareil d'État. Hier, en ouvrant la journée d'auditions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, j'ai eu l'occasion de féliciter toutes celles et tous ceux qui ont été mobilisés dès le début de l'alerte. Je veux y revenir aujourd'hui et remercier encore celles et ceux qui ont été présents, sur le terrain, dans les centres, tout au long des dix semaines de la campagne de vaccination. Ma gratitude va aux professionnels de santé : étudiants, internes, médecins, infirmières. Elle s'adresse également aux personnels administratifs, au premier rang desquels les chefs de centre. Je n'oublie pas non plus les bénévoles, tout particulièrement ceux de Croix Rouge, qui sont venus améliorer les conditions d'accueil.
Aujourd'hui, je me réjouis de ne pas avoir eu à affronter une grippe d'une virulence extrême et je veux rappeler qu'il y a eu, dans de nombreux domaines, une gestion adaptée. Pour la première fois, face à une menace sanitaire majeure, nous nous sommes donnés les moyens de la prévention.
Cependant, nous avons été confrontés à deux paradoxes. En premier lieu, l'ensemble des acteurs – et les parlementaires ne sont pas les derniers – s'accorde pour dire qu'il faut privilégier les politiques de prévention plutôt que celles de soin. C'est ce que j'ai fait face au virus A(H1N1). Pourtant, l'acceptabilité n'a pas été au rendez-vous. En second lieu, alors que nos concitoyens appréhendent une approche strictement comptable de la santé et une limitation de l'accès aux soins, nous avons vu une vaccination universelle et gratuite faire l'objet, contre toute attente, de critiques, voire de suspicion…
Comme vous le savez, le coût de cette pandémie – environ 500 millions d'euros – a été bien moindre que celui que nous avions anticipé en juillet 2009, ce qui montre que nous avons su adapter nos mesures. Je ne sous-estime pas ce coût, surtout en ces temps de difficultés économiques, mais que représente-t-il par rapport aux sommes importantes consacrées chaque année aux soins et que vous serez bientôt amenés à examiner dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ?
La menace pandémique exigeait, selon moi, de permettre un accès universel à la prévention. J'ai défendu, auprès du Gouvernement, le principe d'un vaccin gratuit pour tous, et je suis fière d'avoir porté ce principe éthique.
Nos acquisitions de vaccins ont par ailleurs permis au Président de la République de faire jouer à fond la solidarité avec des pays moins favorisés. Nous avons ainsi mis à la disposition de l'Organisation mondiale de la santé 11 millions de doses au total et je me félicite de cette solidarité.
Pour autant, je le dis avec simplicité, restent ce que j'appelle des points noirs, que vous avez pu identifier tout au long de vos auditions et sur lesquels nous avons encore beaucoup à travailler.
Ces points noirs ont cristallisé les réactions et les passions, au risque, parfois, de masquer tout le reste. Ils sont cependant réels et recouvrent des difficultés qui vont bien au-delà de la pandémie pour interroger toute notre organisation de santé publique. Au fond, la pandémie a été le révélateur d'un certain nombre d'insuffisances de notre système de santé et peut-être de notre système administratif.
Ces points noirs me préoccupent.
Le premier est le fait que l'expertise soit mise à mal, critiquée, décrédibilisée. Je le redis avec force : cette expertise est irremplaçable et je crains aujourd'hui qu'elle ne nous fasse défaut demain. Nous devons trouver les moyens de réconcilier expertise et opinion publique ! Nous n'avons nul besoin de boucs émissaires. Il est de notre responsabilité de gouvernants et d'élus de préparer l'avenir. L'expertise restera indispensable à la décision. Elle doit être du plus haut niveau possible. Je continuerai d'y veiller.
Le deuxième point noir tient aux difficultés rencontrées dans l'organisation d'une vaccination de grande ampleur.
Aujourd'hui, quel est le constat ? Les centres de vaccination n'ont pas atteint leur objectif : ils ont permis, au meilleur de leur fonctionnement, de vacciner 250 000 à 300 000 personnes par jour, alors que nous attendions le double.
La médecine de ville et les établissements de santé, pour lesquels le soin reste la priorité, n'auraient pas suffi non plus. Il n'y a donc pas de solution unique, pas de solution miracle. Il y a sans doute un réseau d'acteurs à mobiliser et peut-être des pistes nouvelles à explorer.
Troisième point noir : la communication avec la médecine de proximité s'est heurtée à de nombreuses difficultés, malgré des efforts non négligeables, l'exploration de multiples pistes et un investissement personnel de ma part. Il me semble que cette communication a été vécue par les praticiens comme une intrusion et une atteinte à leur indépendance. Cette perception a été relayée et, sinon instrumentalisée, du moins amplifiée par des organisations syndicales, dans le contexte électoral que vous connaissez.
Comme dans d'autres domaines, je constate une forme d'antagonisme entre l'individualité de la médecine libérale et la compétence régalienne de l'État face à une menace sanitaire, entre une démarche individuelle et une démarche populationnelle. Je serai très intéressée de pouvoir débattre de ce sujet avec vous tout à l'heure, ou de lire plus tard les préconisations de votre rapport à cet égard. Il y a là un élément clé pour l'avenir, et pas seulement dans le contexte de l'alerte sanitaire. Le problème de la diffusion de l'actualisation des connaissances scientifiques, lorsque celles-ci évoluent en quelques semaines comme cela a été le cas lors de cette pandémie, nous est posé.
Le quatrième point noir, peut-être le plus grave, se rapporte au principe même de la vaccination.
Comme l'indiquent les sondages, nos concitoyens ont d'abord massivement voulu se faire vacciner, puis ne l'ont plus voulu. Pourquoi ? D'après les sondages, ils ont pris peur, car beaucoup de choses – trop sans doute – ont été dites, par tous et n'importe qui, sur les adjuvants, sur le thiomersal ou sur la rapidité de leur préparation. On a même parlé d'« expérimentation en grandeur nature » ! Puis-je parler à mon tour de sabotage ? Il suffit de regarder aujourd'hui nos résultats de pharmacovigilance pour appréhender le degré de la désinformation qui a été conduite. Les responsables en sont remarquablement divers : occultes et dissimulés derrière la « toile » d'internet, ou bien notables en quête d'une éphémère célébrité médiatique.
Nos politiques de prévention doivent, pour l'avenir, se doter de la solidité nécessaire pour leur résister.
Nous devons apprendre pour demain, car demain – n'en doutons pas – une autre menace émergera et sans doute plus vite que nous ne le souhaitons. La mondialisation rend inévitable la multiplication des alertes sanitaires ou des alertes à conséquence sanitaire. Cela ne sera peut-être pas la grippe, peut-être même pas une pandémie. Cela pourra être un accident industriel ou une catastrophe environnementale, un risque nucléaire ou chimique. Nous vivons dans un monde d'incertitude.
La préparation à la menace de demain, j'en porte la responsabilité avec le Gouvernement et je l'assume devant l'ensemble des institutions qui, aujourd'hui, se penchent sur la question : votre commission d'enquête, celle du Sénat, la mission de la Cour des comptes, etc. Demain, nous devrons encore solliciter les experts, mobiliser les médecins généralistes, proposer à nos concitoyens des moyens de protection et engager des fonds dans des actions de prévention face à une menace nouvelle et par définition incertaine. Dans tous ces domaines, nous devons travailler et, pour ce faire, il nous faut d'abord rétablir la confiance. Je souhaite que nos échanges y contribuent.
Je vous remercie de votre attention et suis prête à répondre à vos questions.
Madame la ministre, selon vous, la première victime du virus est le plan lui-même. L'appareil d'État s'est mobilisé, dites-vous. L'articulation entre l'action du ministère de la santé et des sports et celle du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a-t-elle été satisfaisante, en particulier pour la campagne de vaccination sur le terrain ? La cellule interministérielle de crise a-t-elle été réellement opérationnelle ; sinon, faut-il la renforcer ?
La communication de l'État doit-elle être améliorée ?
À l'avenir, comment comptez-vous mobiliser les professionnels de santé si une nouvelle campagne de vaccination devait être menée ? Comptez-vous donner un rôle important aux agences régionales de santé ?
Par définition, la gestion d'une pandémie ne peut s'effectuer qu'au niveau interministériel. L'évaluation proprement sanitaire et la mobilisation des professionnels de santé relèvent de la responsabilité du ministre chargé de la santé, mais, face à une pandémie, celle de nombreux autres ministres entre en jeu : la responsabilité du ministre de l'éducation nationale pour éventuellement fermer des écoles touchées par un foyer pandémique ; celle du ministre chargé des transports en cas de limitation au droit de circulation, notamment – nous l'avons vu au début de la pandémie – dans les aéroports ; celle du ministre chargé des affaires étrangères pour les Français de l'étranger ou pour les déplacements de nos compatriotes à l'étranger. Et la liste n'est sans doute pas exhaustive.
Quant au ministre de l'intérieur, il faut rappeler avec force qu'il est celui de l'interministérialité, ce que nos compatriotes semblent avoir découvert avec stupéfaction : pour eux, il est avant tout le ministre de la sécurité et bien peu apparemment savent que les préfets sont placés sous son autorité. Face à une crise pandémique, qui réclame une gestion interministérielle, il est donc « à la manoeuvre », bien évidemment avec l'appui constant du ministre chargé de la santé.
Nous avions réfléchi à cette gestion interministérielle dans le cadre du plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale. Le Premier ministre a dirigé l'action gouvernementale ; la plupart des grands arbitrages ont été rendus à son niveau lors de réunions spécifiques rassemblant l'ensemble des ministres concernés ; certains de ces arbitrages ont été confirmés par le Président de la République qui s'est, personnellement et de façon continue, tenu informé sur ce sujet. Si la gestion au quotidien a été confiée au ministère de l'intérieur dès le 30 avril, vingt-deux réunions interministérielles ont été présidées par le Premier ministre lui-même ou par un membre de son cabinet : quotidiennes au début de la crise, elles se sont tenues ensuite en fonction des arbitrages sollicités, et le ministère de l'intérieur et le ministère de la santé en ont été les principaux contributeurs.
Ainsi, les changements de phase successifs – phase 4 le 28 avril et phase 5 le 30 avril –, le transfert du pilotage au ministère de l'intérieur et la création de la cellule interministérielle de crise le 30 avril, l'objectif d'une commande de 94 millions de doses, la gratuité de la vaccination et son caractère non obligatoire le 3 juillet, puis l'ordre de priorité des populations à vacciner le 24 septembre 2009, tout cela a été arbitré au niveau du Premier ministre lors de réunions qu'il présidait, hormis le passage en phase 4 pour lequel il n'y a pas eu de réunion. Évidemment, j'ai assisté personnellement à ces réunions et soumis des propositions.
Le Président de la République a, pour sa part, présidé cinq réunions – permettant de l'informer des mesures prises – les 29 avril, 13 juillet, 1er septembre, 10 novembre et 30 novembre 2009. Ces réunions ont permis de conforter les arbitrages rendus.
Le ministère de l'intérieur a assuré la conduite opérationnelle de la réponse à la pandémie. L'ensemble des ministères, au niveau du ministre ou du directeur de cabinet, a apporté son concours à la cellule interministérielle de crise qui s'est réunie quarante-trois fois au total à partir de l'émergence de l'alerte en avril. Des représentants de la Présidence de la République et du cabinet du Premier ministre participaient également aux travaux de cette cellule.
En marge de cette dernière, plusieurs groupes de travail thématiques se sont réunis en vue d'organiser la communication. Le service d'information et de communication piloté par le délégué à l'information et à la communication du ministère de l'intérieur a tenu trente réunions en vue de coordonner la communication des différents ministères, de produire des éléments compréhensibles par le grand public et des outils communs destinés à être relayés auprès du public par des sites internet et une plateforme téléphonique. Un groupe de travail réunissant les hauts fonctionnaires de défense des différents ministères a veillé à la finalisation des plans de continuité d'activité. Sous la direction du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, les hauts fonctionnaires de défense ont mené une réflexion sur les personnes à vacciner prioritairement compte tenu de leur rôle critique en période de pandémie – du fait de la virulence modérée du virus, nous n'avons pas utilisé ce concept qui pourrait toutefois l'être dans d'autres circonstances.
Faut-il renforcer la cellule interministérielle de crise ? Il conviendrait sans doute de faire plus de place à la communication en amont des décisions et de tenir compte plus finement de l'état de l'opinion. C'est une préconisation à laquelle on peut donc réfléchir pour en définir les modalités.
Comment, pour l'avenir, envisageriez-vous d'assouplir le mode de pilotage et de mieux associer les professionnels de santé à la campagne ?
Pour répondre à votre question, il faut bien comprendre comment nous avons organisé la campagne de vaccination et ce qui a motivé nos choix. Mais je le répète : aucune autre pandémie ne sera comparable à celle-là et il ne faut pas rechercher un modèle idéal de gestion de la pandémie car il n'en existe pas.
Deux impératifs de santé publique majeurs nous ont déterminés à opter pour une organisation collective de la vaccination.
Le premier était de protéger le plus grand nombre de personnes dans les meilleurs délais. Il fallait donc mettre en place un dispositif autorisant une vaccination à grande échelle, susceptible de concerner toute la population dans un délai restreint et compatible avec le rythme de livraison attendu des vaccins.
Le deuxième impératif était de conserver la capacité du système de soins, puisque, et cela a été vérifié, le pic de la vaccination devait se produire au moment où il y aurait le plus de cas de grippe. En outre, le dispositif se devait de préserver la capacité du système de soins de premier recours à traiter d'autres pathologies, sachant que l'épidémie de grippe allait survenir dans un état d'extrême tension de ce système.
Nous étions en outre confrontés à des contraintes matérielles.
La première était celle de la traçabilité, pour des exigences de pharmacovigilance qui s'imposaient d'autant plus que nous étions dans le cadre d'un schéma de vaccination à deux doses. Rappelez-vous : la modification des autorisations de mise sur le marché n'est intervenue que fin novembre, alors que la campagne avait déjà démarré.
La deuxième contrainte tenait à la présentation en multidoses : la majeure partie des vaccins nous était livrée en boîtes de 500 doses – des boîtes de 50 flacons de 10 doses non déconditionnables.
La troisième découlait du calendrier prévisionnel de livraison : nous avons toujours été en flux tendu. Les caricatures me représentant, à l'époque, assise sur des caisses de vaccins en quantité ne reflétaient pas la réalité !
La quatrième contrainte était liée à la coexistence de quatre vaccins différents, qui tous avaient des indications différentes.
La cinquième était d'ordre logistique – il nous fallait notamment respecter la chaîne du froid.
Enfin, le coût de la campagne se devait d'être maîtrisé.
L'ensemble de ces éléments a conduit très tôt à concevoir un dispositif de vaccination adapté, articulé autour de centres de vaccination collectifs. Et aucune des contraintes apparues progressivement – présentation en multidoses, avis du Haut conseil de la santé publique recommandant l'utilisation de certains types de vaccins pour certaines indications, livraisons toujours plus faibles que prévues – n'est venue remettre en cause ce choix. Elles l'ont, au contraire, conforté.
Pour ce qui est des professionnels de santé, en dépit de toute l'énergie que nous y avons consacrée tout au long de la campagne, la communication a donné des résultats mitigés. C'est qu'il n'existe pas, dans notre système de santé, un moyen rapide et facile de toucher de façon exhaustive les médecins généralistes et les spécialistes de ville.
Pour y remédier, nous avons utilisé l'ensemble des outils à notre disposition.
La communication sur internet a été assurée, d'abord, grâce à des outils préexistants comme DGS-Urgent, service gratuit d'alerte de la direction générale de la santé qui compte aujourd'hui plus de 60 000 abonnés, mais aussi à des outils que nous avons créés, comme la rubrique grippe du site internet du ministère de la santé, ouverte le 22 juillet 2009, régulièrement actualisée et qui a enregistré 1 030 588 consultations.
Le relais dépendait de la presse spécialisée, ensuite, avec Le Quotidien du médecin, Impact pharmacien, etc., auxquels j'ai accordé régulièrement des entretiens.
Autre outil : les relais d'opinion, en l'occurrence les syndicats, les unions régionales des professionnels de santé, les relais de proximité avec les comités départementaux d'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires, etc. Nous avons tenu onze réunions avec les représentants des médecins, neuf avec les représentants des infirmiers, six avec ceux des pharmaciens d'officine, et au moins deux réunions de comités départementaux d'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires ont été tenues dans chaque département. Nous avons donc mené des réunions d'information au niveau central aussi bien que des réunions décentralisées.
Enfin, nous avons eu recours à la communication écrite : j'ai envoyé trois lettres aux médecins, une aux infirmières et deux aux étudiants et internes.
Je me suis parfois demandé si les médecins étaient abonnés à internet ou aux organes de presse, s'ils jetaient le courrier qu'ils recevaient et lisaient la presse généraliste !
Lors des réunions, j'ai demandé aux professionnels de santé de m'indiquer tout autre moyen qui pourrait leur être utile, afin que je le mette en place. Ils ont été incapables de me répondre. Inutile de vous dire que si vous me recommandiez un moyen auquel je n'aurais pas songé, je m'en emparerais immédiatement !
Comme les médecins ont déjà un certain nombre d'obligations – s'inscrire auprès de l'Ordre, par exemple –, je suggère, et cela n'a pas paru déplacé au directeur général de la santé lorsque nous l'avons auditionné la semaine dernière, l'obligation pour eux d'avoir un contact par internet avec l'administration. Cela pourrait concerner également les infirmières. Ce moyen peu coûteux remédierait à beaucoup de difficultés – même si, selon moi, les difficultés pour communiquer avec eux n'étaient pas seulement liées à un problème de moyens, mais peut-être aussi à un état d'esprit.
Je préfère que cette obligation de communiquer leur adresse électronique au ministère de la santé soit faite aux médecins par la Représentation nationale plutôt que par le ministère de la santé. Nous verrons comment leurs organisations représentatives réagiront : vous allez, je pense, connaître certaines déconvenues…
Il n'y a évidemment aucun doute quant à la capacité des médecins et des infirmiers à vacciner – ce serait absurde, s'agissant d'un acte auquel un infirmier est apte dès sa première année d'études. Mieux associer les professionnels de santé à la gestion d'une pandémie est avant tout une question d'organisation. J'ai donc convié les organisations de médecins généralistes à réfléchir à la façon dont on peut, dans un système libéral, passer d'une démarche individuelle à une démarche populationnelle. Cette organisation ne peut pas être mise en place quand la pandémie est déjà là : il conviendrait d'y réfléchir maintenant pour disposer d'un système « dormant » pendant plusieurs années, qui serait réactualisé et mis en oeuvre lorsque la pandémie survient. Des cabinets ou des réseaux de santé pourraient-ils y être dédiés, par exemple ?
Cette demande d'organisation, qui aurait été totalement irrecevable auparavant, est peut-être devenue acceptable pour les professionnels de santé – la pandémie a eu au moins cet avantage. Souvenez-vous : leurs discours étaient très différents, et la moitié des médecins libéraux, par exemple, ne voulaient pas vacciner. Comment, dans ces conditions, organiser la campagne ? Comment faire en sorte que les cabinets, déjà surchargés en période de pandémie, assurent en outre la vaccination ?
J'ai donc demandé aux organisations professionnelles de réfléchir à l'implication et à la participation de la médecine de proximité à des gestions d'alerte sanitaire. Beaucoup de questions restent à résoudre.
Qui pourrait promouvoir une telle approche populationnelle ? L'État, l'Ordre national des médecins, les syndicats ?
La médecine ambulatoire de proximité et libérale travaille dans le cadre du colloque singulier. Gérer une crise sanitaire relève des missions régaliennes de l'État, dont l'appareil est en cours de territorialisation. Ainsi, demain, ce sont les agences régionales de santé qui seront à la manoeuvre. Elles auront face à elles des organisations représentatives et le Conseil national de l'ordre des médecins – mais ce n'est ni à celles-là ni à celui-ci d'organiser la réponse à une alerte sanitaire.
Les unions régionales des professionnels de santé ont pour mission de faire de la prévention…
Ce sont des partenaires, mais face à une alerte sanitaire, le rôle de l'État est majeur. J'ai voulu remédier aux défaillances de notre organisation sanitaire bien avant d'avoir à gérer la pandémie qui, comme je l'ai dit, a été le révélateur de la parcellisation manifeste de notre administration d'État. Au sein des agences régionales de santé, j'ai regroupé pas moins de dix services de l'État et de l'assurance maladie – dont on connaît le rôle important dans l'appel des publics prioritaires et dans la gestion des bons de vaccination. Tout au long de cette pandémie, je me suis dit que les choses nous auraient été tellement plus faciles avec les agences régionales de santé !
Madame la ministre, il est bien naturel que vous assumiez, avec le Gouvernement, la responsabilité de la réponse sanitaire opposée à la pandémie. Mais vous n'avez pas dit que vous agiriez de même à l'avenir, dans une situation équivalente. J'aimerais en particulier connaître l'attitude que vous adopteriez vis-à-vis de l'Organisation mondiale de la santé.
Par ailleurs, vous avez indiqué qu'on avait su très tard que les personnes de plus de soixante-cinq ans bénéficiaient d'une certaine immunité. Or on l'a su presque dès le début.
Tout de même pas ! Il a fallu le vérifier. Et si on l'a su assez vite, on ne l'a pas su tout de suite. Je n'ai pas dit « très tard ». Ne transformez pas mes propos !
Je remarque aussi que vous avez repris le propos selon lequel le virus était extrêmement capricieux. Mais comme le professeur Antoine Flahault l'a dit, et l'a répété hier devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, une pandémie n'est terminée que quand le virus mute. Cela signifie qu'en mutant, le virus en cause, agent de la pandémie, ne laisse pas à un nouveau virus la place de se développer. Arrêtons de dire que l'on ne sait jamais ce que le virus peut devenir. Ce sont là des éléments sur lesquels il faudrait s'entendre car il en va de la conduite de la stratégie vaccinale.
Avant qu'elle ne tienne son assemblée générale, je vous avais écrit pour vous suggérer de prendre une certaine distance vis-à-vis de l'Organisation mondiale de la santé, qu'il s'agisse de sa façon de gérer la crise ou, plus généralement, de son fonctionnement. Un « grand journal du soir » a d'ailleurs noté que cette organisation avait été la première victime du virus ! Et, après enquête, l'une des plus prestigieuses revues de santé publique, le British medical journal, a fourni des indications précises sur la façon très contestable dont est gérée cette organisation, qu'il s'agisse de vaccins ou de conflits d'intérêts. Cet article a été conforté, à peu près à la même date, par un rapport du Conseil de l'Europe.
Au-delà du soutien d'ordre général que vous avez exprimé à Mme Margaret Chan lors de l'assemblée générale de l'Organisation mondiale de la santé, ne pensez-vous pas que la France et, plus largement, l'Europe devraient prendre des initiatives pour que cette organisation s'efforce à plus de transparence et prenne de la distance avec les organismes qui soutiennent les stratégies des laboratoires ? Je pense à l'association IMPACT, mise en cause par le Brésil et l'Inde, ou à l'association du professeur Albert Osterhaus, financée exclusivement par les laboratoires. Ces organismes nourrissent la « pensée unique » des virologistes qui, par la suite, vous conseillent.
Je suis très heureuse que vous citiez le professeur Antoine Flahault, qui nous avait promis 30 000 morts !
Je préfère m'appuyer sur des décisions collégiales et argumentées et je n'ai pas pour habitude de choisir, parmi les analyses des experts, celles qui m'arrangent.
Je me suis appuyée en premier lieu sur l'expertise des agences sanitaires issues de la loi du 1er juillet 1998. Le sénateur Claude Huriet avait posé pour principe que ces institutions de contrôle devaient être fonctionnellement indépendantes et disposer d'une légitimité scientifique. De fait, en leur sein, les fonctions de gestion sont séparées des fonctions d'évaluation, exercées indépendamment de la tutelle économique, et le rôle des experts a été clarifié de façon à limiter les conflits d'intérêts ; par exemple, au sein de l'Institut de veille sanitaire, personne n'a un lien, occulte ou avéré, avec les entreprises pharmaceutiques.
Le mode de fonctionnement des agences a été conçu pour assurer la qualité et préserver l'indépendance de l'expertise. Entièrement tournée vers un objectif de santé publique, celle-ci doit satisfaire aux exigences de compétence et de transparence.
Lors d'une pandémie, l'évaluation scientifique porte forcément sur des champs très divers, ce qui implique pluridisciplinarité et collégialité. J'ai donc toujours veillé à mobiliser une expertise pluridisciplinaire et transversale, et je n'ai pas de « gourou » derrière mon épaule. Je me suis toujours refusée à écouter un seul et unique conseiller ! L'expertise à laquelle j'ai eu recours a toujours été collégiale et à même d'affronter un débat contradictoire. Même sur des thèmes plus restreints mais de façon informelle, je me suis appuyée sur des collèges d'experts et de scientifiques : spécialistes de neurologie – pour le syndrome de Guillain-Barré –, pédiatres, réanimateurs, infectiologues, etc.
L'expertise ne doit pas être non plus exclusivement scientifique. Une pandémie a toujours des implications sociales, sociétales et éthiques. À cet égard, nous étions préparés : le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 106, avait déjà traité des grandes questions qui peuvent se poser en cas de pandémie – en particulier celle de la conciliation de l'équité et de la priorité pour l'accès aux moyens de prévention.
Enfin, l'expertise nationale s'est appuyée sur l'expertise internationale : au niveau européen, sur celle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, qui a participé à l'analyse de la situation épidémiologique et de ses évolutions possibles, et sur celle de l'Agence européenne du médicament, qui rassemble l'expertise des États membres sur les produits de santé ; au niveau mondial, sur celle de l'Organisation mondiale de la santé.
On ne peut imaginer une sorte de complot mondial, où des milliers d'experts auraient été payés par les laboratoires pharmaceutiques …
Cela étant, en matière d'expertise, des progrès sont certes à faire…
Tous les laboratoires directement concernés et un certain nombre d'experts nous ont déclaré qu'ils souhaitaient que nous inscrivions dans la loi l'obligation de publier les liens d'intérêts existants. Cela ne pose de problème à personne, mais tout le monde souhaite que ce soit le législateur qui intervienne, plutôt que de le faire volontairement !
J'avais chargé Mme Marie-Dominique Furet, une scientifique de la direction générale de la santé, d'étudier cette question. L'une de ses propositions principales, qui portait sur l'adoption d'un code de déontologie de l'expertise, a été reprise. À partir de juin 2009, un groupe de travail, constitué au sein du comité d'animation du système d'agences et piloté par la Haute Autorité de santé, a mené une réflexion sur la gestion et la prévention des conflits d'intérêts de l'expertise en santé publique. Il en est sorti une charte déontologique, destinée à sécuriser le processus d'expertise interne et externe et à garantir la qualité de l'expertise institutionnelle. De son côté, Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, a souhaité que les organismes de recherche adoptent une charte nationale de l'expertise scientifique et technique.
La question de l'indépendance de l'expertise se pose dans tous les pays comparables au nôtre : ainsi les États-Unis se sont dotés de Sunshine Acts et vos homologues du Congrès ont adopté en mars dernier un texte prévoyant un certain nombre de déclarations, devant entrer en vigueur en 2013.
En France, le service des relations entre médecins et industrie du Conseil national de l'ordre des médecins analyse depuis 2007 les conventions passées entre les médecins et les laboratoires pharmaceutiques. La loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires du 21 juillet dernier est enfin venue compléter les dispositifs existant en la matière. Les dispositions de l'article L. 4113-9 du code de la santé publique ont notamment été modifiées pour permettre à l'Ordre national des médecins d'enclencher des poursuites judiciaires à l'encontre des praticiens qui ne respecteraient pas les règles d'indépendance.
Aujourd'hui, je veux pousser encore la réflexion et, bien entendu, les préconisations que vous ferez sur ce sujet seront les bienvenues. J'ai demandé à mes services de travailler sur une déclaration qui émanerait non pas des médecins et des professionnels de santé, mais des industriels eux-mêmes, et de réfléchir aux modalités de publication des liens entre industriels et médecins.
Je le dis clairement : il n'y a pas eu de dictature des experts. De toutes façons, tous leurs avis ont été analysés et évalués par la direction générale de la santé de manière tout à fait indépendante. C'est sur la base de cette évaluation que j'ai proposé des décisions au reste du Gouvernement.
Pour ce qui est de l'Organisation mondiale de la santé, l'article 37 de sa constitution pose pour principe général la désignation d'experts choisis pour leurs compétences techniques individuelles, et non leur nomination par les États membres. Il existe deux structures.
La première est le groupe consultatif stratégique d'experts sur la vaccination, ou Strategic advisory group of experts on immunization, qui a pour mission de conseiller l'organisation en matière de politique vaccinale. Il est composé de quinze membres désignés pour trois ans et se réunit deux fois par an. Il est appuyé par cinq sous-groupes, dédiés aux souches suivantes : coqueluche, grippe A(H1N1), grippe A(H5N1), poliomyélite et rougeole. L'organisation peut inviter informellement d'autres experts : le professeur Daniel Camus de la direction générale de la santé a été associé à certaines sessions, de même que le professeur Christian Perronne, président du comité technique des vaccinations, lors de la réunion de juillet 2009 consacrée au virus A(H1N1).
La seconde est le comité d'urgence sur la grippe, qui a été instauré dans le cadre du règlement sanitaire international. Il se prononce sur la question de savoir si un événement constitue une urgence de santé publique de portée internationale et sur la proposition d'émettre, de modifier, de proroger ou d'annuler des recommandations importantes. Ce comité a été réuni à plusieurs reprises par le directeur général de l'organisation, la première fois le 25 avril 2009. Conformément au règlement sanitaire international, il revient au même directeur général de fixer la composition de ce comité non permanent ; celle-ci n'a pas été rendue publique par l'Organisation mondiale de la santé, qui souhaite protéger ses experts des influences extérieures. Les pressions ne viennent d'ailleurs pas uniquement de l'industrie pharmaceutique. Elles émanent surtout de certains États membres – par exemple, les États-Unis ou le Royaume-Uni, qui étaient parmi les plus touchés, n'auraient pas été favorables au passage en phase 6 en raison des répercussions économiques ou sociales non négligeables qu'il aurait entraînées. Les membres de ce comité à géométrie variable sont choisis dans un vivier d'experts. C'est ainsi que Mme Margaret Chan s'est adressée à huit nouveaux membres – qui représentaient l'Australie, le Canada, le Chili, le Japon, le Mexique, l'Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis – pour étudier le passage en phase pandémique. Le président de ce comité d'urgence est M. John Mackenzie.
La modification de la qualification de pandémie a donné lieu, au sein de l'Organisation mondiale de la santé, à un débat d'experts – et je crois savoir que MM. Marc Gentilini et François Bricaire se sont affrontés sur ce thème devant votre commission. Cette qualification doit-elle prendre en compte une notion de gravité ? L'organisation s'est appuyée sur une notion d'extension géographique et, contrairement à ce qui a été dit ici ou là, ce changement n'est pas allé dans le sens d'une édulcoration, mais bien d'un durcissement des critères. Il est même certain que le passage au niveau 6, dans l'ancien système, se serait produit plus vite qu'il ne s'est produit avec la nouvelle définition des phases, laquelle ressort d'un processus lancé en 2007, soit bien avant que la pandémie de grippe A(H1N1) ne commence.
Je vous communiquerai le tableau comparatif entre l'ancienne et la nouvelle définition, qui date de 2009.
Qui a procédé à ce changement ?
Il est le fait d'experts.
La définition de la pandémie n'a pas changé, les trois critères étant : la globalité de l'épidémie, l'émergence d'un nouveau virus et la naïveté immunitaire de la population. Mais dans le cadre de la révision de son plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, l'Organisation mondiale de la santé avait engagé un travail de modification de la définition des différentes phases d'une pandémie – la structure en six phases étant conservée pour pouvoir s'appuyer sur des critères objectifs.
Cette révision avait été entamée dès novembre 2007. Elle n'est donc pas liée à la survenue de la pandémie de grippe A(H1N1). La nouvelle version – la précédente datait de 2005 – a fait l'objet d'une consultation publique d'octobre à novembre 2008, pour aboutir, en janvier 2009 – là encore, bien avant la pandémie – à une version définitive qui a été validée avant d'être publiée officiellement en mai 2009. La concomitance entre cette publication et la survenue de l'épidémie, relevée par certains, n'a donc rien de suspect, elle s'explique par le temps nécessaire pour publier ce travail. Actuellement, une nouvelle révision est en cours et la prochaine version est attendue pour 2014.
Ce qui a été fait, c'est un travail d'objectivation des critères de définition des différentes phases. La nouvelle classification est plus restrictive et plus précise. Le plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale de 2005 définissait les phases d'alerte en fonction de la transmission du virus sans considération d'extension géographique. Par exemple, la phase 5 était définie par l'existence de foyers importants mais localisés, ce qui pouvait permettre des interprétations très variées. Dans la nouvelle version, elle l'est par l'existence d'une transmission interhumaine dans au moins deux pays d'une région telle que définie par l'organisation. Il s'agit là d'une information beaucoup plus objective, qui témoigne de l'imminence de l'extension d'une maladie.
Contrairement à ce qui a été dit, ni la sévérité de la pandémie ni le nombre de décès n'ont jamais été pris en compte pour définir les phases d'alerte, que ce soit en 2005 ou en 2009. Il y a eu évolution, non de la définition de la pandémie, mais des critères de définition des phases du plan. La publication de la version révisée a sans doute été accélérée par l'émergence du virus, mais le travail était engagé depuis très longtemps.
On n'a donc pas fait disparaître le critère de sévérité de la maladie de la définition. Au contraire, à la demande de certains États parties, dont la France, l'Organisation mondiale de la santé a assorti sa déclaration de pandémie d'une appréciation de la sévérité de la pathologie causée par le virus A(H1N1), ce qui n'était pas prévu par le règlement et elle a, en l'espèce, qualifié la pandémie de « modérée ».
Dès la fin du mois de mai, on savait que la létalité du virus était relativement modérée. Comment expliquez-vous que, malgré tout, les articles de presse, les communications et les débats se soient multipliés de façon incontrôlable pendant tout l'été ?
Cette question n'est pas sans rapport avec la difficulté de communiquer avec la médecine de proximité, vers laquelle les patients se tournent naturellement pour comprendre ce qui se passe. Vous avez soulevé ce point tout à l'heure mais les discussions en cours alors sur la nouvelle organisation sanitaire de notre pays, y compris sur les conditions économiques de l'exercice médical, n'y étaient sans doute pas pour rien. À cela s'ajoutait l'approche des élections, avez-vous dit…
Des élections internes à la profession, pas des élections régionales.
Le fait que la ministre chargée de la santé se charge personnellement de la communication à l'adresse du public ne risquait-il pas de politiser le débat et de porter atteinte à la légitimité des considérations très scientifiques que vous aviez mises en avant, à savoir que la pandémie était modérée et qu'il ne fallait pas paniquer ?
C'est ce que je n'ai pas arrêté de répéter.
Sauf que ce message a été en permanence contrebattu, soit pour des raisons politiques, soit pour les besoins de la presse : tout l'été, nous avons entendu dire que la situation était dramatique et le virus ravageur. Et le lancement d'une campagne générale de vaccination gratuite a renforcé le sentiment de l'imminence d'un problème sanitaire majeur.
Vous vous demandez donc si le ministre de la santé n'aurait pas dû laisser cette communication au directeur général de la santé ?
Peut-on charger un haut fonctionnaire de la communication de décisions qui ne peuvent être prises qu'au niveau gouvernemental ? Ce serait un peu curieux que le ministre de la santé n'ait pas la responsabilité de justifier devant l'opinion publique des décisions qui sont avant tout politiques. En l'occurrence, la décision de proposer la vaccination à l'ensemble de la population était appuyée sur des éléments techniques et sur une expertise scientifique la plus large possible, mais aussi sur des considérations éthiques et politiques, au sens noble du terme. J'ai du mal à m'imaginer envoyer le professeur Didier Houssin en émissaire, pour échapper à mes responsabilités. Pour autant, lorsque j'ai communiqué, j'étais toujours accompagnée de M. Didier Houssin, de Mme Françoise Weber ou de M. Jean Marimbert…
Non, ce ne sont pas mes conseillers, mais de hauts fonctionnaires placés à la tête des agences. Ils ont servi mes prédécesseurs socialistes, monsieur Jean Mallot. Et demain, si vous gagnez les élections, j'espère que vous aurez le bon goût de ne pas faire de chasse aux sorcières et de continuer à employer des personnes de cette qualité, dont je ne connais d'ailleurs même pas les options politiques.
Madame la ministre, nous n'allons pas faire de politique-fiction. Pourquoi ai-je évoqué la question ? Parce qu'au mois de juillet, lorsque vous avez annoncé un certain nombre de décisions, et peut-être parce que c'était le ministre de la santé qui les annonçait, on vous a reproché, notamment parmi l'opposition, de ne pas en faire assez. Cela dit, en auriez-vous fait davantage qu'on vous aurait accusée d'en faire trop, comme ce fut le cas par la suite... Je me demande donc si, lorsque surgit un problème de santé publique, il ne faut pas adopter une méthode de communication qui évite toute polémique.
Vous posez une vraie question. Puisqu'on parle de conflits d'intérêts, parlons des conflits d'intérêts politiques. En effet, la contestation d'un certain nombre de décisions a été le fait de personnes qui souhaitaient faire de cette affaire un débat d'abord politique. Il est tentant de « taper » sur un gouvernement avec lequel on n'est pas d'accord, mais quand j'ai entendu des responsables syndicaux soutenir que les vaccins étaient inefficaces, les bras m'en sont tombés : sur quels éléments d'expertise se fondaient-ils ? Un syndicat a même prétendu qu'on allait forcer les professionnels de santé à se faire vacciner, tout cela pour mettre à feu et à sang le milieu hospitalier !
La communication, manifestement, n'a pas été des plus satisfaisantes. Ne pensez-vous pas que les changements de cap gouvernementaux ont nourri les interrogations des professions de santé et de la population ? En juin, on a annoncé qu'à la moindre suspicion de grippe A(H1N1), il fallait envoyer le patient à l'hôpital, puis, du jour au lendemain, ces consignes ont été retirées.
La question de la participation de la communauté soignante ne se posait pas uniquement pour la vaccination, mais aussi pour l'information de la population. On a dit que les médecins généralistes n'étaient pas là pour vacciner. Certes, et comme vous l'avez souligné, la moitié d'entre eux ne le souhaitaient pas. Reste qu'ils sont tout de même les mieux placés pour diffuser un message sanitaire auprès de nos concitoyens.
Bien sûr, c'est au Gouvernement d'assumer ses responsabilités. Certaines décisions relèvent de son pouvoir régalien. Mais comment, dans le respect de la liberté d'expression et de la liberté de la presse, communiquer de façon suffisamment ferme sans donner lieu à tous les errements que l'on a constatés et qui ont nui à une bonne prise en charge de cette vaccination ?
D'abord, il n'y a pas eu de changements de cap, il y a eu des adaptations. Il est d'ailleurs tout à fait curieux qu'on nous reproche à la fois d'être restés prisonniers d'un plan de prévention et de lutte contre une pandémie de type A(H5N1), et d'avoir procédé à des changements.
Heureusement que nous avons fait des changements ! Je vous remettrai le tableau des mesures d'adaptation que nous avons prises en continu pour tenir compte des éléments nouveaux qui venaient à notre connaissance.
Lors de la première phase de la pandémie, nous étions dans une stratégie de « contingentement » – d'observation et de limitation de la diffusion du virus. Ensuite, quand nous avons réuni les éléments nécessaires, nous avons décidé de nous adresser à la médecine de ville. Mais cette décision, qui date du 21 juillet, n'a été prise qu'après examen, et après avoir réuni et informé les professionnels de santé. Le passage à une prise en charge ambulatoire de la grippe a donc été préparé.
De la même façon, nous avions élaboré un dispositif de traçabilité absolument indispensable dans la mesure où l'on prévoyait une vaccination avec deux doses. Ensuite, les organisations sanitaires nous ont annoncé qu'une vaccination monodose suffirait. Vous imaginez bien que le passage de l'une à l'autre a exigé des adaptations.
De la même façon encore, l'affluence dans les centres a posé des problèmes d'organisation : on est passé de centres vides à des centres très fréquentés. Le problème a finalement été résolu en une semaine. Pourtant, il est difficile de modifier une organisation d'État qui n'est pas une organisation dédiée. Je n'allais pas installer des sortes de « forts Bastiani » dans lesquels des milliers de lieutenants Drogo auraient attendu indéfiniment la survenue d'une éventuelle pandémie ! J'ai dû puiser dans les forces vives et procéder, tout au long du mois de novembre, à des adaptations.
La fois prochaine, il faudra agir de la même façon et gérer la crise en fonction des évolutions parce que, par définition, la situation en cours de pandémie est peu stable. Dans notre pays, où l'on est très cartésien, on aimerait disposer d'une sorte de modèle idéal et immuable, avec une administration de la pandémie, une agence de la pandémie et des fonctionnaires de la pandémie. Mais ce n'est pas ainsi que cela se passe, et il nous faudra toujours gérer la crise en nous adaptant continûment.
Lors du pic du début du mois de décembre, jusqu'à 300 000 personnes venaient se faire vacciner et un million de consultations supplémentaires liées à la grippe A(H1N1) ont été constatées. Le phénomène allait-il perdurer ? Nous l'ignorions et ne pouvions donc prendre le risque, sur un pari optimiste, de démonter un dispositif complexe. Mais dès que l'affluence a cessé, j'ai décidé de faire fonctionner les centres de vaccination au ralenti pendant la période des fêtes, de telle sorte que les professionnels de santé mobilisés puissent profiter de celle-ci, tout en préservant la possibilité de réactiver le dispositif en cas de nouvel emballement.
Le professionnel de santé est certes l'informateur idéal de sa patientèle, Madame Catherine Génisson, mais une pandémie n'affecte pas que des personnes malades ou celles qu'il reçoit dans son cabinet, et le médecin généraliste ne peut pas informer l'ensemble de la population. Comment néanmoins mener des politiques de santé publique avec l'appui de la médecine générale, par exemple sous forme de réunions d'information dans les établissements scolaires ou sur les lieux de travail ? Il faudrait trouver des modes alternatifs de rémunération car la rémunération à l'acte est très mal adaptée dans ce cas. La loi devrait nous donner les outils nécessaires et je m'emploie à les définir.
J'ai entendu que les médecins n'étaient pas informés. Mais bien sûr que si ! Après presque dix ans d'études, ils savent quels conseils donner à leurs malades face à une grippe, sévère ou non. Ce sont sans doute les professionnels qui ont la formation la plus longue et la plus adaptée au métier qu'ils vont exercer.
Je remercie Mme la ministre de la façon dont elle a interprété ma question qui, bien évidemment, s'agissant des généralistes, ne visait pas leurs seules relations avec la patientèle mais, beaucoup plus largement, leur rôle de médecins de prévention. Ne pensez-vous pas, tout de même, que le conseil de l'ordre soit la structure ad hoc pour informer les médecins et un certain nombre de professions paramédicales ?
Par ailleurs, les mutuelles avaient été sollicitées pour contribuer à la prise en charge financière de la vaccination et de cette pandémie. Où en est-on, compte tenu du coût bien moindre de cette prise en charge ? Les mutuelles ont-elles versé les 300 millions d'euros prévus ? Seront-elles remboursées ? Il faut savoir qu'en raison de cette sollicitation et d'autres dont nous aurons à reparler dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les mutuelles augmentent régulièrement leurs tarifs.
Quelle structure utiliser pour informer les médecins ? Le conseil de l'ordre ? Je l'ai toujours associé aux multiples réunions organisées au ministère – onze ont eu lieu avec les représentants des médecins, ce qui n'est pas rien –, mais je ne sais pas si c'est à lui de se charger de l'information technique et de la formation professionnelle des médecins. De la même façon, je ne reprocherai pas aux syndicats de ne pas avoir fait de formation sur le sujet, même si je les ai réunis et leur ai donné des informations. Beaucoup d'entre eux en ont fait, mais ce n'est pas leur mission.
Je souhaite réformer la formation continue des médecins et je souhaite qu'ils en définissent les grands axes, en partenariat avec nous. On pourrait sans doute passer par le développement professionnel continu pour aborder, notamment, la gestion des crises. Mais l'affaire n'est pas tranchée, et j'attends avec intérêt vos préconisations.
Enfin, les mutuelles n'ont pas été les seules sollicitées : tous les organismes complémentaires l'ont été, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, dont l'article 10 a institué une contribution exceptionnelle. L'assiette de celle-ci est égale à celle de la contribution destinée au financement de la couverture maladie universelle complémentaire et son taux avait été fixé à 0,94 %. Il avait été calibré sur la base d'un coût prévisionnel de 710 millions d'euros et pour assurer une participation similaire à ce qui aurait été acquitté si le ticket modérateur de 35 % avait été appliqué. Dans la loi de finances rectificative, ce taux a été ramené à 0,77 % pour prendre en compte la baisse de taxe sur la valeur ajoutée liée à l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché – un médicament dépourvu d'une telle autorisation est taxé à 19,6 % ; avec une autorisation, il bénéficie du taux réduit de 5,5 % – et les dons humanitaires, qui représentaient à l'époque 56 millions d'euros.
Le coût des vaccins a considérablement diminué : il est estimé aujourd'hui à 310 millions d'euros, soit 56 % de moins que le coût ayant servi de base au calibrage de la contribution. Une baisse de taux s'impose donc. La loi n'ayant pas prévu d'ajustement automatique de la contribution, cela nécessite une mesure législative, qui figurera dans la partie rectificative de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale.
Le rendement attendu de la contribution est de 35 % de 310 millions d'euros, soit 110 millions d'euros. Et comme l'assiette devrait s'établir à 32,3 milliards d'euros en 2010, son taux devrait être de 0,34 %.
La mesure devra également régler les modalités pratiques de récupération des sommes acquittées par les organismes complémentaires. Il faudra procéder à des restitutions nettes en leur faveur, sur leur dernier acompte dû en janvier 2011. Ils seront remboursés à due concurrence du nouveau coût des vaccins. C'est normal, et il n'a d'ailleurs jamais été question qu'il en soit autrement. J'ai encore rencontré les représentants des organismes complémentaires il y a quelques jours. Il n'y a aucune polémique sur le sujet, l'affaire a été réglée en toute transparence.
Je remarque que l'Ordre national des pharmaciens, à l'égard duquel il m'arrive d'être très critique, a été un très bon vecteur d'information pendant toute la durée de la pandémie. Tous les quinze jours, nous recevions un bulletin, notamment sur les mesures barrières. Je pense donc que les ordres ne sont donc pas à écarter.
On a parlé de la gratuité des vaccins. Mais, à terme, ils vont coûter à nos concitoyens : la mutualité a augmenté les cotisations dues par ses adhérents de 3,8 %, la prévoyance de 6,7 % et les assurances privées de 11,5 %.
La moitié des médecins ont dit qu'ils ne souhaitaient pas vacciner leur patientèle. Lors d'une réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, en septembre 2007, le sénateur Paul Blanc a expliqué que dans les circuits de « vaccination traditionnelle », on mettait souvent en avant des contre-indications qui n'en sont pas pour éviter de vacciner les patients. Il y a donc un travail global à mener auprès des médecins pour contrer cette tendance d'ordre « culturel », que je déplore.
J'en viens à ma question. Vous avez commandé 94 millions d'unités vaccinales en juillet. Dernièrement, vous vous êtes exprimée très clairement à ce propos lors de votre audition par le Sénat, déclarant : « De plus, le déséquilibre entre l'offre et l'importance de la demande au niveau mondial plaçait les laboratoires en position de force. Ceux-ci privilégiaient les commandes fermes et définitives ». Vous ajoutiez : « En mai 2009, les estimations de la capacité de production mondiale variaient entre 500 millions et moins d'un milliard de doses ». Vous précisiez, en vous faisant le relais de ce que les laboratoires vous disaient : « Si le rendement de la souche virale était inférieur aux prévisions, la capacité de production pouvait même descendre à 250 millions de doses ». L'Organisation mondiale de la santé a fait son travail d'alerte, mais elle n'a pas vocation à gérer la pandémie dans chaque pays. S'en est alors ensuivi une espèce de « course à l'échalote » plutôt malsaine entre les États : c'était à celui qui commanderait le plus de vaccins pour donner à sa population l'impression qu'il la protègeait mieux que ne le faisaient les autres. Or une pandémie ne connaît pas les frontières. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait améliorer le partenariat avec les autres pays du monde, solvables ou non, pour faire face aux pandémies d'une manière un peu plus équilibrée ?
Le 22 juillet 2009, je vous avais déjà interrogée à propos des 94 millions d'unités vaccinales que vous aviez commandées et qui devaient permettre de vacciner 47 millions de personnes. Comment aurait-on pu vacciner, par deux fois, 47 millions de personnes sans désorganiser l'offre de soins habituelle en pathologie hivernale, alors même que les médecins libéraux étaient écartés du processus de vaccination ? Autant éviter de refaire certaines erreurs lors des pandémies à venir, non ? Enfin, comment le nombre de 47 millions de personnes à vacciner a-t-il été calculé ?
La profession des pharmaciens a su s'organiser : il n'y a qu'à voir le succès que remporte le dossier pharmaceutique. Sans doute a-t-elle une bonne capacité d'adaptation et est-elle moins individualiste que d'autres professions. Il faut dire aussi que le pharmacien travaille au sein d'une équipe, qu'il n'est pas tout seul dans un cabinet et qu'il est confronté à des nécessités commerciales qui l'obligent à faire preuve d'une certaine souplesse.
Vous avez raison, rien n'est gratuit et, in fine, les dépenses de santé sont toujours payées par nos concitoyens, d'une façon ou d'une autre. On connaît l'origine de ces sommes : les cotisations salariales pour 47 % ; la contribution sociale généralisée pour 37 % ; les taxes affectées pour 15 %, plus la part à la charge des ménages. Et comme tout ce qui sera prélevé sur le capital sera dédié aux retraites, on sait maintenant que cette ressource sera indisponible pour les dépenses de santé, lesquelles seront donc payées par tout le monde, y compris par les plus modestes.
La vaccination est bien la meilleure prévention des maladies infectieuses. Si l'on a éradiqué les grandes pandémies infectieuses, on le doit quasiment à elle seule. Je ne peux que constater comme vous, avec inquiétude et parfois désespérance, l'influence sur le corps médical de certaines démarches et ligues antivaccinales. Des responsables politiques ont mené une campagne délirante contre la vaccination, ce qui ne les a d'ailleurs pas empêchés de nous reprocher que cette campagne-ci n'ait pas eu le succès escompté. Il faut dire que l'on a entendu beaucoup de stupidités à cette époque. Au début du mois de juillet, à l'occasion d'une question au Gouvernement, l'un de vos collègues, allié dans vos majorités locales, sinon nationales, ne m'a-t-il sommée d'acheter 120 millions de lunettes de natation, autant de combinaisons de peintre et 7 milliards de masques supplémentaires pour combattre la pandémie grippale ? Superbe, n'est-ce pas ?
La France a effectivement acheté 94 millions de doses pour vacciner 47 millions de personnes. Parmi les autres pays, du moins les pays comparables au nôtre, dix ont souhaité acheter des vaccins à deux doses pour couvrir 100 % de leur population – même si, finalement, ils n'ont pas toujours pu en acheter autant. Il s'agissait du Royaume-Uni (qui a acheté 130 millions de doses), des États-Unis (qui voulaient passer commande de 600 millions de doses), des Pays-Bas (qui en ont acheté 34 millions), de l'Autriche (16 millions), de la Norvège (9,4 millions), de Chypre, de l'Allemagne, du Luxembourg et de l'Irlande. D'autres États, qui auraient voulu vacciner, pour des raisons éthiques, l'ensemble de leur population, mais n'avaient pas les moyens d'acheter deux doses, ont fait un choix un peu étrange en l'état de la doctrine vaccinale à l'époque : ils ont décidé de couvrir 100 % de la population avec une dose. Ce sont Malte, la Belgique, la Finlande et l'Islande.
En France, nous avons fait, seuls, un autre choix : celui de proposer la vaccination à l'ensemble de la population, mais aussi, comme nous savions que la population ne se ferait pas vacciner à 100 %, de tenir compte d'un taux d'attrition raisonnable.
Pour calculer celui-ci, nous avions à notre disposition les sondages d'opinion. En juillet 2009, 67 % des Français déclaraient qu'ils se feraient vacciner. Ce pourcentage est resté pratiquement stable jusqu'à la fin du mois d'août. Nous connaissions également le nombre de personnes qui se font vacciner quand elles sont confrontées à un risque sanitaire, mineur ou non.
Nous disposions du taux d'attrition, dans la population cible, pour la vaccination contre la grippe saisonnière, qui est de 35 %, et du taux constaté lors de l'épidémie de méningite en Seine-Maritime, qui avait été de 15 %. Nous avons fait la moyenne.
La France a fait preuve d'originalité. Aucun autre pays n'a adopté cette démarche qui nous a permis de concilier éthique et réalisme sanitaire.
Le directeur général de la santé nous a expliqué que plus les commandes étaient importantes, plus les laboratoires étaient disposés à fournir des vaccins – ce qui n'a pas empêché certains pays de prévoir des tranches optionnelles. Ne pourrions-nous pas mettre au point une politique préventive avec nos partenaires européens pour nous éviter d'être soumis à la dictature des laboratoires ou du marché, et d'être entraînés dans cette « course à l'échalote » plutôt indécente : plus on commande de vaccins, plus vite on est livré ?
En situation de pénurie, l'industrie pharmaceutique se trouve évidemment en position de force vis-à-vis des acheteurs que sont les États. Certains de ceux-ci auraient préféré que les achats passent par les circuits traditionnels de grossistes : c'est par exemple la position qu'a maintenue la Pologne. Sauf que la présentation des vaccins faisait qu'il était impossible de procéder ainsi, que les États devaient être à la manoeuvre et devenir, en quelque sorte, les clients des laboratoires pharmaceutiques.
Peut-être, demain, les Chinois ou les Indiens lanceront-ils des chaînes de fabrication de grande capacité. Certains de nos concurrents se sont en effet mis en position de venir « tailler des croupières » à notre propre industrie pharmaceutique. N'oublions pas que nous vivons dans un monde global et que l'éthique de l'Organisation mondiale de la santé consiste à proposer les souches à tout le monde, et gratuitement. De la même façon, la France milite pour qu'il n'y ait pas de droits de propriété sur les souches virales. Mais au nom de l'éthique, on risque de dynamiter l'industrie pharmaceutique sur les sols européen et américain.
Peut-on améliorer la gouvernance, à la fois internationale et européenne, en matière de pandémie ?
Au niveau mondial, l'Organisation mondiale de la santé existe et il ne faut pas « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Rappelez-vous les bagarres qui ont eu lieu à propos du virus A(H5N1), les pays du Sud-Est asiatique ne voulant pas nous donner les souches, ou du moins ne voulant les donner que contre rémunération.
Les pays du G7 – l'Allemagne, le Canada, les États-Unis, l'Italie, la France, le Japon, le Royaume-Uni – ainsi que le Mexique se sont réunis à Londres, au début du mois de décembre, pour étudier les mesures mises en place pour lutter contre la grippe A(H1N1).
De mon côté, j'ai eu des rencontres bilatérales avec de nombreux collègues européens et avec la secrétaire à la santé des États-Unis, Mme Kathleen Sebelius. J'ai appelé au téléphone mes homologues allemande et belge de l'époque, Mmes Ulla Schmidt et Laurette Onkelinx. De manière formelle et informelle, j'ai toujours été en relation avec eux pour m'assurer qu'ils étaient en phase avec nous. Enfin, dans le cadre de l'Union européenne, j'ai toujours plaidé pour une réponse européenne unique. Mais en ce domaine, je reconnais que nous avons des progrès à faire. Nos partenaires ont des organisations politiques très diverses et nous nous sommes trouvés très démunis pour mener des politiques de coopération avec des pays comme l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne dont l'organisation de la santé est complètement décentralisée. Comment, dans un État fédéral, mener une politique globale de gestion de pandémie ?
Je pense qu'il faut anticiper suffisamment pour que ces États passent des accords avec leur système décentralisé, de manière à pouvoir mener ensuite des coopérations interétatiques.
On peut l'envisager. Des coopérations transfrontalières existent, mais elles ne permettront pas de résoudre les difficultés qui nous sont posées. Tous les pays de l'Union européenne n'ont pas les mêmes capacités de prise en charge : les nouveaux entrants ont des niveaux de vie et une organisation sanitaire sans commune mesure avec les nôtres.
Je veux vous remercier pour la clarté et la pertinence de votre témoignage. Venant un peu plus tôt, peut-être eût-il évité bien des polémiques…
La communication autour de la campagne de vaccination a été importante mais les informations données étaient parfois ardues, comme en témoignent les documents distribués aux familles par les chefs d'établissements scolaires. Ne faudrait-il pas à l'avenir sérier et diversifier cette communication et, sans rien enlever à la responsabilité des parents, la rendre plus accessible ?
Comment, sur un sujet par définition scientifique, élaborer une communication de qualité, accessible à tous mais aussi évolutive ? Pour communiquer sur n'importe quel problème de santé se pose la question de la diversité des interlocuteurs, d'âges et de conditions physiques inégaux, ainsi que de la diversité des émetteurs, multiples dans une société moderne. Nous allons lancer un site internet grand public, proposant des informations validées et de qualité, comme alternative aux sites institutionnels – DGS-Urgent, site de la Haute Autorité de santé… –, qui eux dispensent des informations d'un niveau technique élevé, et aux sites délivrant des informations sujettes à caution.
Nous avons voulu délivrer une information de qualité tout au long de la crise, tout en essayant, en vain, de résister à la pression des journalistes. Je me suis ainsi vue contrainte d'organiser des conférences de presse hebdomadaires alors que j'aurais préféré laisser la place à une communication plus technique. Dès le 25 avril, date de l'alerte, le « barnum médiatique » était en place : il était dès lors exclu que je délègue la communication. Je n'ai jamais réussi à contenir cet emballement, malgré tous mes efforts pour « baisser le rhéostat ».
Il est heureux que nous ayons connu l'épisode du virus A(H5N1) qui a entraîné la modification du règlement sanitaire international et permis d'interdire l'appropriation des souches virales.
J'avoue avoir été choqué par l'intervention d'une grande personnalité lors de l'audition publique organisée hier par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, expliquant en substance que la France aurait dû procéder de la même manière que la Pologne.
On vous reproche de ne pas avoir suffisamment associé à la campagne le corps social. Vous avez dit que vous aviez l'intention d'organiser un débat public citoyen : qu'en est-il ? Celui-ci ne permettrait-il pas de combattre le risque de refus vaccinal, qui pourrait aller grandissant ?
On vous reproche également d'avoir sous-estimé l'apport qu'auraient pu fournir l'Académie nationale de médecine et le Haut conseil de la santé publique. Envisagez-vous désormais de les associer davantage à vos décisions ?
Entendre des « experts » citer en exemple la Pologne m'irrite fortement. Ce pays déclare vingt cas de grippe saisonnière par an, ce qui laisse dubitatif sur la qualité de sa veille sanitaire.
Devant la Diète, Mme Ewa Kopacz, ministre de la santé, a qualifié les vaccins d'« eau miraculeuse », émettant des doutes sur la sécurité de produits pourtant évalués par l'Agence européenne du médicament, agence à laquelle son pays contribue. La vaccination d'une cinquantaine de millions d'Européens a fait justice du propos ! Reste que la Pologne est le seul État développé à avoir refusé de vacciner sa population. Cependant, Mme Kopacz a également expliqué, dans le même discours, que son département juridique avait trouvé « au moins vingt points douteux dans le contrat » proposé à son pays par les laboratoires, mais qu'elle ne pouvait en dire plus en raison des négociations en cours. Il est pour le moins paradoxal de souligner la dangerosité de produits tout en avouant conduire des négociations pour en obtenir !
Je peux attester de la réalité de ces négociations puisque, dans un courrier adressé à mon cabinet le 23 septembre 2009, l'ambassade de Pologne, proposant de faire vacciner nos diplomates à Varsovie en échange de la vaccination des diplomates polonais en France, affirmait que le ministère de la santé polonais disposerait du vaccin dans les mois suivants… Je tiens bien entendu ce courrier à votre disposition.
Mme Kopacz, très en retrait des grands rendez-vous européens tout au long de la crise, n'a pas eu l'occasion de répéter ces propos devant ses homologues. Ce n'est pas que la Pologne n'a pas voulu vacciner. Elle n'a tout simplement pas pu ! Pour négocier avec les laboratoires, il ne faut pas être en position de faiblesse. Or le pays est en conflit ouvert avec les laboratoires implantés sur son sol et se trouve en infraction avec la législation pharmaceutique européenne. Il faut noter également que l'État polonais ne souhaitait pas assumer la responsabilité de la commande de vaccins et préférait que les grossistes et les pharmaciens s'en chargent.
Je suis tout à fait favorable à la tenue d'un débat public citoyen, si, toutefois, il n'est pas fait référence à une « expertise citoyenne » que je récuse. J'ai saisi la Conférence nationale de santé pour qu'elle m'indique la façon dont un tel débat pourrait être organisé sur l'acceptation sociale de la vaccination ou sur la limitation des libertés publiques qui pourrait résulter d'une pandémie sévère, par exemple.
Le 13 octobre 2009, l'Académie nationale de médecine a émis un avis dans lequel elle s'est déclarée en accord avec les propositions formulées par le ministère de la santé et a rappelé l'intérêt de poursuivre conjointement la vaccination contre la grippe saisonnière. Cet avis a été adopté à une majorité de trente-trois voix pour, deux voix contre et huit abstentions – dont celle du Professeur Didier Houssin.
Dans l'esprit public, l'Académie nationale de médecine est le lieu naturel des débats et une autorité de référence objective et fiable. Ses interventions ne peuvent que contribuer à neutraliser les effets délétères de certaines déclarations infondées reprises par les médias.
Ne pensez-vous pas que les futurs médecins généralistes, relais auprès de l'opinion publique, devraient mieux connaître la mécanique des crises sanitaires et la part d'incertitudes qu'elles comportent – surtout s'agissant de la grippe, affection réputée bénigne mais qui n'évolue jamais comme on s'y attend ? Cela faciliterait largement la communication d'État, dans un pays cartésien où la science est censée tout savoir, remédier à tout et nous garantir contre tout. Les Français comprendraient alors mieux que l'on prenne au début un maximum de précautions, avant de passer à une phase de décélération si ces précautions se révélaient, par chance, inutiles. Mais c'est uniquement hors temps de crise que l'on peut procéder à cette formation.
L'opinion publique, qui veut être rassurée, attend de nous des certitudes et des avis tranchés, quitte à nous les opposer ensuite si nous nous trompons. Je tiens à votre disposition l'intégralité de mes interventions : j'ai toujours exposé toutes les éventualités, en me gardant de privilégier tel ou tel scénario et en évitant, en bonne scientifique, d'être péremptoire. Mais ces précautions déontologiques pèsent peu face aux réductions simplificatrices des débats médiatiques où la parole de l'expert ne pèse pas plus que celle des auditeurs. C'est aussi la raison pour laquelle il faut bien réfléchir aux modalités d'un débat public citoyen, sous peine de le faire tourner au café du commerce.
Il conviendrait de s'inspirer de la façon dont les états généraux de la bioéthique incluaient des panels de citoyens préalablement formés aux questions sur lesquelles ils seraient appelés à débattre. À cette occasion, nous nous sommes aperçus que l'avis de nos concitoyens divergeait peu de celui de la Représentation nationale.
J'avais moi-même organisé, selon la même méthodologie, le débat citoyen sur la Charte de l'environnement, dont la qualité avait été saluée. Pour autant, ce type de démarche ne peut être entrepris en temps de crise, sous le coup de l'émotion.
Avec le risque de laisser le champ libre aux lobbies et aux groupes d'influence… La voie est étroite.
En effet, le débat ne doit pas être mené à chaud. De plus, l'expertise doit être laissée aux experts.
Nos concitoyens ont découvert qu'un vaccin nouveau, susceptible d'être administré aux tout-petits, pouvait être développé très rapidement, que les dates de péremption pouvaient être repoussées, que des bioéquivalences – auxquelles je vous sais très attentive – pouvaient être décrétées sans délai... Pour les rassurer, il conviendrait peut-être de développer un plan de recherche pharmaco-épidémiologique, à moyen et long termes, qui aille au-delà des effets secondaires immédiats. Les gens doivent comprendre qu'un vaccin reste un médicament, avec des effets secondaires qui augmentent statistiquement avec l'importance de la couverture vaccinale, et qui ne se limitent pas à l'état fébrile du lendemain.
À ce sujet, il me semble dommageable que les citoyens puissent rapporter directement sur le site de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé les effets secondaires qu'ils ont subis, sans passer par le filtre d'un professionnel de santé. Certains des signes ainsi rapportés n'avaient rien à voir avec le vaccin.
Mme la ministre. Il est extrêmement important que le suivi d'une campagne de vaccination soit assuré pendant plusieurs années. Nous disposons d'outils pour mettre en place un plan de gestion des risques : l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a collecté et continue de recueillir les données nécessaires et la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés a recensé les personnes vaccinées.
L'extension de la date de péremption n'est pas choquante. La décision, qui est une décision de bonne gestion, a été prise sur la base d'études scientifiques effectuées, pour ce qui est des masques, par le Laboratoire national de métrologie et d'essais.
Vous avez raison de dire que je suis très rigide sur la question des bioéquivalences, pour ne pas dire opposée à leur pratique. Les docteurs en pharmacie que nous sommes savent bien qu'aucune molécule, même apparentée, n'est équivalente à une autre et que la présentation galénique peut entraîner des biodisponibilités différentes pour la même molécule thérapeutique.
Il est précisé sur le site de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé qu'il est préférable de passer par son médecin pour décrire les effets secondaires du vaccin. Mais j'ai aussi voulu élargir le champ des possibles et permettre aux citoyens de s'exprimer sans filtre.
Pensez-vous qu'un taux de vaccination plus élevé contre la grippe saisonnière aurait permis de mobiliser davantage la population en faveur d'une vaccination de masse ? La France a fait le choix de cibler des populations à risques, contrairement aux États-Unis où les citoyens, habitués, se sont montrés du coup moins réticents à la vaccination contre la grippe A(H1N1).
La prochaine campagne de vaccination contre la grippe saisonnière sera élargie à de nouveaux groupes qui se sont révélés à risques pendant la pandémie de grippe A(H1N1). Les personnes éligibles seront donc les plus de soixante-cinq ans, les personnes en affection de longue durée, l'entourage des nourrissons de moins de six mois et les enfants de moins de dix-huit ans dont l'état de santé justifie un traitement par l'acide acétylsalicylique. Les professionnels de santé et des établissements médico-sociaux ou de soins de suite, les personnels navigants ou de voyage seront également concernés.
Comme chaque année, l'Organisation mondiale de la santé s'est prononcée sur la composition optimale du vaccin antigrippal, qui sera la même pour l'hémisphère Nord et pour l'hémisphère Sud : antigènes de virus A(H1N1) 2009, antigènes de virus A(H3N2) et antigènes d'un type de virus B. Ce vaccin trivalent sera commercialisé en France à la fin du mois de septembre et pourra être, comme d'habitude, administré par le médecin traitant ou l'infirmière.
Dans son avis du 23 avril 2010, le Haut conseil de la santé publique recommande le vaccin monovalent – toujours disponible – et, à défaut, le vaccin trivalent pour les femmes enceintes, les personnes obèses et les personnes atteintes de maladies endocriniennes et métaboliques susceptibles d'être décompensées par une infection aiguë. Je vais engager avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés des discussions pour voir dans quelle mesure ces personnes peuvent bénéficier d'un bon de vaccination saisonnier. La chose étant exclue pour les personnes obèses, il reviendra aux médecins traitants d'inciter leurs patients présentant un indice de masse corporelle supérieur ou égal à 30 à se faire vacciner. Nous engagerons une campagne de communication en direction de la communauté soignante et des personnes à risques.
Pouvez-vous évaluer le coût de cette campagne de vaccination ?
Une campagne classique représente une dépense d'environ 110 millions d'euros. Le nombre de personnes vaccinées passerait de 11 à 15 millions cette année.
L'effet de protection collective de la vaccination était nul dès lors que la pandémie était déclarée, en France métropolitaine, en octobre, avant le lancement de la campagne. Un certain nombre de personnes auditionnées estiment qu'il aurait été préférable, de ce fait, de concentrer l'effort sur les personnes à risque, lesquelles auraient été davantage incitées à se protéger. Au lieu de quoi, celles-ci se sont trouvées noyées dans la masse.
Bien au contraire, nous avons beaucoup insisté sur la notion de populations cibles et convoqué les personnes à risque en priorité, grâce aux bons ! La vaccination dans les établissements de santé a été lancée le 20 octobre, la campagne menée dans les centres a démarré le 12 novembre et l'ensemble de la population a été appelé le 10 décembre 2009. Ces personnes n'ont jamais été noyées dans la masse.
En toute franchise, je dois avouer que les retards dans la livraison des vaccins et les problèmes de logistique que nous avons connus nous ont conduits à ne pas convoquer tout le monde d'emblée et à suivre l'ordre de priorité que nous avions arrêté, ordre rendu possible par l'avis du Comité consultatif national d'éthique.
La part des personnes à risque devrait donc être prédominante dans la population des personnes vaccinées…
Sans aucun doute, car elles sont plus attentives à leur santé. Je laisserai à M. Didier Houssin le soin de vous communiquer les statistiques.
S'agissant de la couverture vaccinale totale, je veux rappeler que contrairement aux autres pays faisant étant de taux très élevés, nous avons établi le taux de vaccination à partir du nombre de bons de vaccination qui nous étaient retournés et non à partir du nombre de doses de vaccin mises à disposition. Les résultats ne sont pas les mêmes, car la perte en ligne est massive : songez que nous avons envoyé 1 million de doses à destination des médecins généralistes, et que seules 16 000 personnes ont été vaccinées – ce qui est, au passage, un indice de l'implication de la médecine libérale dans la campagne.
La France est ainsi le seul pays à ne pas avoir surévalué le taux de vaccination ; si l'on tient compte du fait que nombre de bons ont pu s'égarer avant de nous revenir, nous pouvons même dire que nos chiffres sont au-dessous de la réalité.
L'échec de la vaccination par les médecins généralistes à partir du 4 janvier est moins dû à leur manque d'implication qu'à la faible demande de la population à cette date, y compris dans les centres de vaccination.
Accessoirement, vous avez dit que vous aviez demandé que les horaires d'ouverture des centres soient assouplis pendant la période des fêtes. Nous sommes ici plusieurs élus locaux à nous être vus contraints par la préfecture d'ouvrir les centres de 8 heures à 22 heures les 24 et 31 décembre !
Monsieur Didier Houssin, vous avez prêté serment lors de vos auditions par la commission d'enquête. À ce titre, vous pouvez prendre la parole.
L'Institut de veille sanitaire nous a communiqué les premières données concernant la couverture vaccinale de certains groupes ciblés : femmes enceintes, entre 20 et 25 % ; enfants de moins de six mois ayant des facteurs de risque et leur entourage, entre 15 et 20 % ; enfants de six à vingt-quatre mois, entre 20 et 25 % ; enfants de vingt-quatre mois à onze ans, 10 % ; professions de santé, 30 %. Si le taux global reste faible, ces données correspondent à nos prévisions concernant l'ordre de priorité.
Le directeur général de Novartis nous a indiqué que, le 19 novembre, sa firme avait livré à l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires 1 784 000 monodoses. Fin novembre, 1 980 000 monodoses avaient été livrées au total ; fin décembre, 4,3 millions. Ne pouvait-on pas dès lors coupler la vaccination dans les centres et la vaccination en cabinets de ville, à un moment où l'affluence était importante dans les premiers et où se posait la question de la vaccination des personnes invalides ?
Le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Paris, que nous avons entendu, a été déchargé de ses fonctions durant l'épidémie. Ne lui aurait-on pas fait payer la mauvaise communication entre les préfets de la zone de défense? Quel est votre sentiment sur cette question ?
Novartis a livré les monodoses conditionnées en boîtes de dix, qu'il n'était pas si aisé d'utiliser dans le circuit de la médecine libérale. Il est vrai cependant que nous avons très vite envisagé de proposer ces monodoses aux médecins qui souhaitaient vacciner les personnes à domicile, ce qui a été possible dès le 3 décembre grâce à la création des équipes mobiles.
J'ai beaucoup d'estime pour M. Philippe Coste, un fonctionnaire de très haute qualité. Lorsque je me suis rendue à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales de Paris, qui n'avait pas reçu de visite d'un ministre de la santé depuis trente ans, il m'a fait part des difficultés auxquelles il était confronté et de l'épuisement de son personnel. Il s'est vu offrir, depuis, un poste tout à fait approprié à ses mérites.
J'aurai l'occasion de dire demain au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales que l'organisation administrative à Paris, dans le contexte de telles crises sanitaires, est franchement à revoir.
Si l'agence régionale de santé d'Île-de-France avait été opérationnelle, les choses ne se seraient pas passées de la même manière.
Les fonctionnaires se sont engagés dans cette campagne jusqu'à l'épuisement physique. Je n'ose imaginer ce qui se serait passé si la pandémie s'était révélée beaucoup plus grave.
Je vous sais gré de débattre et de travailler sur les retours d'expérience. Sans doute faudra-t-il que les parlementaires soient associés à cette tâche, comme ils le furent à propos de la grippe A(H5N1), en la personne de M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la mission d'information sur la grippe aviaire. Le Parlement est un rouage important qui a souvent permis de dépasser les débats partisans en période de crise.
Vous avez porté un jugement sévère sur la Pologne. Sans doute faudra-t-il examiner attentivement les statistiques pays par pays, que la vaccination y ait été proposée ou non.
Le travail que vous effectuez au sein de cette commission d'enquête et les conclusions auxquelles vous parviendrez seront source de propositions : c'est la raison pour laquelle j'ai accepté avec joie cette audition, tout comme j'ai déféré à toutes les invitations qui m'ont été faites par le Parlement. Rarement un ministre se sera rendu aussi fréquemment devant la Représentation nationale durant une crise.
Lorsqu'un corps social est obligé de prendre sur ses propres forces pour installer un dispositif inédit, des imperfections sont inévitables. Les files d'attente sont inhérentes à ce genre de campagne et je suis certaine qu'elles se reformeront à l'avenir. J'avoue que les manifestations d'impatience m'ont stupéfiée : ceux qui acceptent de battre le pavé pendant des heures pour un événement médiatique ou commercial sont les mêmes qui protestent, alors qu'on leur propose gratuitement un médicament qui peut leur sauver la vie !
Cette organisation avait tous les défauts d'une organisation non pérenne, mais je peux vous dire, pour avoir vu travailler ensemble des personnes de tous horizons et pleurer les équipes lors de la fermeture des centres, que le sentiment d'utilité était partagé par tous, et les critiques, très durement ressenties.
Cette commission d'enquête n'a pas été facile à créer, tant il paraissait extraordinaire de traiter de ce sujet alors même que vous vous étiez déclarée disposée à en débattre. Au fur et à mesure des auditions, nous avons vu les esprits évoluer et les passions s'apaiser. Les membres du Gouvernement ont été entendus à la fin de nos travaux pour tenir compte de ce qui s'était dit auparavant et en tirer des conclusions pour l'avenir, conformément à l'intitulé de notre commission. Nous avons fait la démonstration qu'une enquête pouvait ne pas être menée sur un mode accusatoire et être utile à l'ensemble du pays. Je vous remercie.
Permettez-moi de préciser que l'opposition n'a jamais cessé de demander une mission d'information sur ce sujet.
La séance est levée à treize heures.