La commission a examiné la proposition de loi tendant à prévenir le surendettement (n° 4087) sur le rapport de M. Jean Dionis du Séjour.
Nous procédons ce matin à l'examen de la proposition de loi du groupe Nouveau Centre tendant à prévenir le surendettement par la création d'un répertoire national des crédits aux particuliers pour des besoins non professionnels, plus connu sous le nom de « fichier positif ».
Notre commission s'est toujours montrée très attentive à la question du surendettement, comme en témoignent nos débats lors de l'examen du projet de loi réformant le crédit à la consommation, de la première lecture du projet de loi visant à renforcer les droits des consommateurs, et les nombreuses auditions de représentants du secteur bancaire auxquelles nous avons procédé.
Le sujet est donc tout sauf nouveau. Il a déjà nourri plusieurs heures de discussions ici même et dans l'Hémicycle. Intéressant au regard de ses objectifs, le fichier positif reste cependant complexe quant à ses implications pour le secteur bancaire, les consommateurs, mais aussi les citoyens.
Je donne maintenant la parole à M. François Brottes, avant que nous n'entendions notre rapporteur.
Le secrétaire d'État chargé de la consommation, M. Frédéric Lefebvre, a proposé la constitution d'un groupe de travail pour réfléchir à cette question. Cet engagement avait été pris il y a longtemps ; nous nous étonnons donc que cette proposition nous soit adressée à la veille du nouvel examen du projet de loi sur la consommation.
Mme Christine Lagarde avait déjà mis en place un groupe de travail technique sur le sujet à Bercy. Il serait utile que ses membres présentent leurs conclusions à notre groupe de travail d'ici à la discussion en séance publique, d'autant que la deuxième lecture du texte ne devrait pas intervenir aussi tôt que prévu.
La constitution d'un groupe de travail associant les commissions des affaires économiques et des lois a en effet été proposée dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la consommation. Ce groupe de travail sera mis en place la semaine prochaine. Il serait bon en effet qu'il prenne connaissance des conclusions du travail conduit dans le cadre de la loi Lagarde sous la houlette de M. Emmanuel Constans.
Le projet de loi sur la consommation devait être examiné en deuxième lecture les 7 et 8 février, mais la Conférence des présidents a finalement inscrit un autre texte. L'ordre du jour prévisionnel que je vous avais envoyé sera donc modifié : la Commission ne débattra pas de ce texte avant que son examen ne soit prévu en séance publique. Nous disposons donc d'un peu plus de temps.
Je vais tenter de clarifier les termes du débat autour du répertoire national du crédit aux particuliers, dit fichier positif, et de répondre aux objections qu'a suscitées le rapport du comité de préfiguration chargé de définir les modalités de sa mise en oeuvre opérationnelle.
Lors de l'examen de la loi portant réforme du crédit à la consommation, en 2010, Mme Lagarde avait déclaré dans l'Hémicycle que le débat sur l'opportunité de la création d'un répertoire national du crédit était clos et qu'il convenait désormais de s'intéresser à sa mise en oeuvre. Après un an de travail avec l'ensemble des parties prenantes, M. Emmanuel Constans a rédigé un rapport riche d'enseignements. L'initiative de M. Frédéric Lefebvre est donc un peu tardive. Je souscris en revanche pleinement à la proposition de M. François Brottes : il serait intéressant pour le groupe de travail d'entendre M. Emmanuel Constans.
Permettez-moi tout d'abord de rappeler quelques éléments nécessaires à la bonne compréhension du texte que je propose avec Jean-Christophe Lagarde et le groupe Nouveau Centre. Vous connaissez les chiffres aussi bien que la réalité de la situation, puisque vous recevez nos concitoyens dans vos permanences. Je me bornerai donc à indiquer que le nombre des dépôts de dossiers auprès des commissions de surendettement est passé de 180 000 en 2004 à 230 000 aujourd'hui, soit une augmentation de 27 %, qui témoigne de la forte progression de ces situations de détresse avec la crise économique. Plus de 700 000 ménages français font actuellement l'objet d'une procédure en matière de surendettement. Selon Jean-Paul Delevoye, ancien Médiateur de la République et nouveau Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), plus de 12 millions de ménages français ont des difficultés à équilibrer leur budget familial.
Je reviens un instant sur l'avancée obtenue lors de la discussion du projet de loi réformant le crédit à la consommation : sous l'impulsion du président Patrick Ollier, Mme Christine Lagarde avait donc déclaré que le débat sur l'opportunité de se doter d'un répertoire national du crédit aux particuliers était désormais tranché. Alors même que nous disposions d'une majorité dans l'Hémicycle pour l'instaurer ce jour-là, un compromis avait été trouvé avec la création d'un comité de préfiguration chargé de rédiger un rapport sur les modalités de mise en oeuvre du répertoire dans un délai d'un an. La ministre a tenu parole, mais la suite est moins heureuse. A la suite d'un travail que je tiens à saluer, M. Emmanuel Constans a publié son rapport à l'été 2011. À la veille du terme de la consultation publique, un courrier du président de la CNIL – dont c'était le dernier jour d'exercice – est venu rappeler certaines réserves traditionnelles de cette autorité, qui ont été reprises par le Gouvernement pour bloquer une nouvelle fois la mise en oeuvre de ce répertoire.
Il est temps, et c'est le sens de l'initiative de notre groupe, de relancer le processus en s'appuyant sur l'excellent travail du comité présidé par M. Emmanuel Constans.
La création du répertoire a deux objectifs. L'objectif principal est d'améliorer la prévention du surendettement, l'objectif second d'élargir l'accès au crédit. Le taux d'exclusion bancaire en France figure en effet parmi les plus élevés d'Europe.
Le répertoire n'est certes pas le remède miracle qui permettrait à lui seul de contenir le surendettement. Il s'agit d'un outil complémentaire mais indispensable, permettant d'avoir connaissance de l'endettement d'un particulier désireux de souscrire un crédit. Les statistiques de la Banque de France font apparaître que les personnes ayant recours aux commissions de surendettement ont souvent de nombreux crédits à la consommation, qu'ils soient amortissables ou renouvelables. Une étude de l'association Crésus, qui accompagne les personnes dans leurs efforts pour sortir du surendettement, dresse un constat similaire : dans 80 % des 47 000 dossiers qu'elle a eu à connaître en 2010, les ménages surendettés étaient liés par plus de 8 crédits au moment du dépôt de leur dossier devant une commission de surendettement.
Il est donc nécessaire de responsabiliser davantage les établissements de crédit au moment de l'octroi d'un prêt à la consommation. Il s'agit là d'une mesure de bon sens – nous sommes nombreux à partager cet avis au sein de la Commission.
Pourquoi donc ce blocage et cet isolement français en Europe ? Tous nos partenaires européens, à l'exception du Danemark et de la Finlande, disposent d'un répertoire national du crédit aux particuliers ou d'un dispositif proche. L'Allemagne a adopté le sien dès 1927 ! I1 s'agit d'ailleurs le plus souvent de fichiers privés n'ayant pas pour seul objectif la prévention du surendettement.
Les détracteurs du répertoire, au premier rang desquels figurent les deux plus grandes banques françaises, BNP Paribas et le Crédit agricole, font valoir trois types d'objections.
La première tient à la distinction entre le « surendettement actif », correspondant à un recours imprudent au crédit, pour lequel le répertoire pourrait être utile mais qui ne concernerait que 25 % des dossiers déposés, et le « surendettement passif », jugé très majoritaire et découlant des différents accidents de la vie – problèmes de santé, perte d'un emploi, divorce – pour lequel le répertoire serait sans intérêt, puisque la difficulté survient au cours de l'exécution du contrat et non lors de la souscription. Cette critique rejoint celle émise par les deux banques précitées, selon laquelle il n'y aurait pas de problème au moment de l'octroi du crédit puisqu'elles disposent d'éléments et d'outils de scoring performants.
Aussi séduisante qu'elle puisse paraître, cette objection se heurte à une double critique. La Cour des comptes a estimé dans son rapport 2010 que la distinction entre « endettement actif » et « endettement passif » n'était plus pertinente. La Banque de France a donc abandonné cette grille d'analyse en 2011. Dans la majorité des cas, des « accidents de la vie » plus ou moins prévisibles viennent en effet se cumuler à des comportements de consommation imprudents – nombreuses cartes de crédit renouvelable, par exemple – qui rendent le surendettement inévitable au moindre « accident ».
Par ailleurs, le crédit à la consommation constitue pour les banques un produit beaucoup plus rémunérateur que le crédit immobilier. De plus, le pourcentage de créances non remboursées à l'issue des procédures de recouvrement est faible. Le risque encouru par les banques et leurs filiales spécialisées est donc minime, ce qui explique la légèreté des contrôles lors de la souscription et le faible recours aux commissions de surendettement dans ces cas.
Une deuxième objection nous vient de la CNIL, que nous avons rencontrée à trois reprises. Elle porte sur le risque d'atteinte aux libertés individuelles et sur les risques de dérives mercantiles. La CNIL a émis des réserves sur l'utilisation potentielle du numéro de sécurité sociale (NIR) comme identifiant des personnes – choix que le texte renvoie au domaine réglementaire – au sein du répertoire et sur les risques d'utilisation dévoyée du fichier à des fins de prospection commerciale ou d'extension du fichier à des données autres que les seuls crédits – charges locatives, dépenses d'énergie ou de télécommunications.
En ce qui concerne la collecte du NIR, la CNIL a en effet pour position constante de limiter son utilisation au domaine social, conformément au principe de cantonnement des fichiers. Elle entend donc limiter le plus possible son usage dans la mesure où il contient des données personnelles. Sans méconnaître l'intérêt de cette doctrine, nous pensons que l'atteinte potentielle à la protection des données à caractère personnel – justifiée par le but recherché –est considérablement diminuée par les procédures de hachage et de cryptage du NIR proposées par le comité de préfiguration. Les risques pour les libertés individuelles sont bien moindres qu'avec les nouvelles technologies permettant la traçabilité et la géolocalisation, qui sont présentes via les réseaux sociaux sur internet, les smartphones, les cartes de crédit ou les cartes de transport.
S'agissant des risques de détournement de l'usage du répertoire, la proposition de loi reprend nombre des garanties préconisées par le rapport de préfiguration. La centralisation des données serait confiée à la Banque de France, ce qui constitue une forte garantie d'indépendance et de sécurité. Leur consultation se ferait sous une forme agrégée, dans le seul but d'examiner la solvabilité du souscripteur. Enfin, la remise à un tiers d'une copie des informations, la demande de remise de données ou l'accès à des personnes non autorisées sont passibles de sanctions pénales.
Sous réserve d'investigations complémentaires, la CNIL – que j'ai saisie – n'a pas signalé d'incidents graves dans ce domaine, notamment en Belgique, pays doté d'un dispositif proche de celui que nous proposons. Cela nous conduit à ramener ce risque à sa juste proportion – qui est très faible.
La troisième objection soulevée par les adversaires du répertoire a trait au coût et à la lourdeur de cette procédure au regard des résultats escomptés. Ces objections qui portent sur le principe de proportionnalité sont sans doute les plus sérieuses.
La question de la faisabilité d'un répertoire pouvant recenser 25 millions de personnes et enregistrer 100 millions de lignes pouvait se poser il y a quinze ans. Elle n'est plus pertinente aujourd'hui, en raison des développements techniques. Ce fichier ne serait en aucun cas une première technologique : un grand nombre de répertoires sont opérationnels chez nos voisins, avec des architectures diverses. Nous avons d'ailleurs été prudents sur le délai de mise en oeuvre, fixé à dix-huit mois.
Le coût de constitution et de fonctionnement du répertoire est de l'ordre de 30 à 50 millions d'euros pour la Banque de France, et de 500 à 800 millions pour l'adaptation de l'ensemble du système bancaire. Les coûts de fonctionnement s'établiraient pour leur part à environ 75 millions. Il s'agit certes de sommes importantes, qui demandent d'ailleurs à être affinées ; mais le coût serait amorti en cinq ans grâce à la facturation des consultations, dont le nombre est estimé à 900 millions par an, avec un coût unitaire de 50 centimes d'euro. Ces chiffres sont ceux du comité de préfiguration. Ceux qui réclament un groupe de travail arrivent donc après la guerre : l'étude d'impact a déjà été faite. J'ajoute que les bénéfices en termes de rationalisation de la distribution du crédit s'avéreraient réels pour les banques.
En dépit des alertes lancées sur le développement du « malendettement » et de la publication de nombreux rapports alarmants, le surendettement ne fait que s'aggraver dans notre pays. Il est donc légitime d'utiliser tous les outils pour prévenir les situations dans lesquelles se retrouvent chaque année plus de 200 000 nouveaux ménages : le répertoire doit être mis en oeuvre pour renforcer la prévention de ce fléau et alléger d'autant la charge des commissions de surendettement.
Le statu quo et le combat de retardement mené par nos deux plus grandes banques conduisent à une situation particulière : en l'absence de dispositif de service public, des fichiers propriétaires, qui ne sont que très irrégulièrement contrôlés par la CNIL, sont en effet constitués au sein des réseaux bancaires. Cela ne favorise ni la transparence, ni la concurrence, ni même le respect des libertés individuelles. La constitution d'un service public dédié à la prévention du surendettement, ouvert à l'ensemble des acteurs concernés et accompagné des garanties précitées, nous semble davantage conforme à nos valeurs.
Je vous propose donc d'arrêter enfin le principe de la création d'un répertoire national des crédits aux particuliers. Après le travail de fond de M. Constans, la proposition d'un énième groupe de travail relève de la stratégie Clemenceau – nommer une commission pour enterrer un problème. Le travail est fait : il faut maintenant décider. Il est temps pour la France de faire preuve d'humilité et d'efficacité en se demandant si nos partenaires européens n'ont pas raison et en osant prendre quelque distance avec les intérêts de nos plus grandes banques pour retrouver le sens de l'intérêt général.
Je vous précise que nos collègues du Sénat ont également décidé de constituer un groupe de travail.
Voilà un sujet dont nous débattons depuis des années, avec une préoccupation simple : donner aux consommateurs le droit d'être protégés des démarches abusives qui consistent à leur prêter sans connaître le contexte de l'emprunt et sans en partager véritablement la responsabilité.
Compte tenu des dégâts qu'engendre le surendettement, il paraît indispensable que chaque consommateur puisse prendre la mesure de sa propre situation, afin de permettre à l'établissement prêteur de la comprendre et aux deux parties de s'engager en équité, l'une comme l'autre mesurant le risque pris et les engagements réciproques qui sont assumés. Sans ces engagements réciproques dans la transparence des informations, il ne saurait y avoir de responsabilisation de l'emprunteur à l'égard du prêteur. C'est d'ailleurs ce que dit la proposition de loi.
Nous avons néanmoins un point de désaccord majeur avec le texte, plus précisément avec les alinéas 7 et 8 de l'article 2. Selon nous, seul l'emprunteur potentiel doit avoir accès aux données qui le concernent, à charge pour lui de fournir au prêteur les éléments qui lui sont nécessaires pour s'engager. Or dans la démarche proposée par le texte, l'emprunteur potentiel autorise la banque à transmettre à tout un chacun les informations le concernant. Cette disposition nous paraît extrêmement dangereuse, ces données personnelles pouvant circuler sans que l'emprunteur en ait connaissance. Nous défendrons donc des amendements sur ce point, et pour peu que le texte renonce à cette disposition, nous le regarderions avec grand intérêt. En tant que défenseurs des libertés individuelles, nous ne saurions accepter que des informations personnelles telles que le niveau d'endettement des personnes soient mises sur la place publique. Oui pour que l'emprunteur puisse savoir où il en est, non pour qu'il donne à d'autres le soin de s'occuper de son cas dans son dos !
Je salue la constance de Jean Dionis du Séjour. Plutôt favorable au fichier positif il y a encore quelques mois, je suis de plus en plus réservé, et donc hostile à l'adoption de ce texte aujourd'hui.
Avant de mettre en place ce type de dispositif, il convient de dresser un bilan de ses avantages et de ses inconvénients. Or les inconvénients de ce texte ne peuvent être négligés. La CNIL a émis des réserves importantes touchant à la question des libertés publiques. Vous proposez de renvoyer le choix de l'identifiant à un décret. Mais s'agissant des libertés publiques, il appartient au législateur de trancher. Le rapporteur socialiste au Sénat avait déjà identifié la difficulté quant à l'utilisation éventuelle d'un fichier, aux interconnexions possibles et au choix du fichier. A l'heure actuelle, on ignore sur quel fichier on s'appuierait. Or l'enjeu est de taille : de 220 000 Français fichés, nous allons passer à 25 millions ! Personnellement, je n'ai pas envie d'être fiché sans connaître l'utilisation qui sera faite de mes données personnelles.
Se pose également la question du coût du dispositif. Le coût pour la Banque de France – 15 à 20 millions d'euros d'investissements et 30 à 35 millions chaque année pour le fonctionnement – n'est pas négligeable, sans compter le coût pour les banques.
Il existe également un risque de démarchage par les banques à partir de ce fichier positif, qui fera aussi apparaître les clients solvables. L'Association française des usagers des banques (AFUB) redoute à cet égard un alourdissement de la tutelle des banques sur leurs clients. S'y ajoute le risque que d'autres professionnels demandent l'accès à ce fichier en dépit des garanties qui seront prises. Je pense par exemple à certains bailleurs.
Il faut aussi poser la question de l'efficacité du dispositif, notamment en matière de crédit renouvelable : si le fichier est mis à jour une fois par mois, il sera inopérant.
Le surendettement est le plus souvent le fait d'un accident de la vie – perte d'emploi, séparation ou décès dans le couple… Les commissions de surendettement vous le diront, les cas pour lesquels le fichier positif pourrait être intéressant restent marginaux. Or la machine que vous nous proposez de mettre en place pour les traiter est impressionnante…
Si le fichier positif était la solution au surendettement, nous devrions constater la disparition de celui-ci chez nos voisins. Or entre 2006 et 2010, le surendettement a augmenté de 50 % en Belgique, pays qui a adopté un dispositif proche de celui que vous proposez, contre 15 % en France ! Le fichier positif n'est donc pas la bonne réponse au surendettement. Cette dernière réside plutôt dans la loi de juillet 2010, qui vient à peine d'entrer en application – les derniers décrets ont été adoptés courant 2011. J'ajoute que l'UFC-Que choisir a fait savoir son hostilité au fichier positif et souhaité que l'on commence par faire le bilan de la loi Lagarde. Celle-ci comporte des dispositifs importants, qui responsabilisent les banques dans la relation avec le client, en les obligeant à lui demander un certain nombre d'informations. Ce dispositif commence à produire ses fruits. Rompons donc avec cette mauvaise habitude qui consiste à adopter un texte sans laisser au précédent le temps de produire ses effets.
M. Lefebvre a proposé de constituer un groupe de travail pour réfléchir au sujet dans le cadre du projet de loi sur la consommation. Continuons donc à travailler sur les libertés publiques et l'efficacité du dispositif. Ce groupe de travail conjoint avec la commission des lois va prochainement se mettre en place. Un groupe de travail équivalent a d'ores et déjà été constitué au Sénat, où les dispositions qui nous sont proposées ont également été écartées. Bref, le sujet n'est pas mûr.
Notre groupe partage le constat du rapporteur sur l'aggravation du surendettement. Les chiffres en attestent, plus de 200 000 personnes sont aujourd'hui submergées par leurs dettes. Cette situation est d'abord le résultat de la crise économique, le niveau du surendettement témoignant de la dégradation de la situation sociale. Cofinoga vient d'ailleurs d'annoncer la suppression de plusieurs centaines d'emplois, ce qui s'explique en partie par les risques désormais encourus dans le domaine du crédit.
Ce texte a le mérite d'aborder à nouveau un problème majeur. Il est aussi un désaveu de la loi Lagarde sur le crédit à la consommation. A l'époque, la ministre de l'économie nous promettait que son texte s'attaquerait efficacement au surendettement, et plus particulièrement au crédit revolving. Un an et demi après son adoption, force est de constater qu'il n'en est rien. Selon l'Association française des sociétés financières (ASF), la part du crédit renouvelable a même progressé. À l'époque, notre groupe avait appelé à la suppression pure et simple du crédit revolving.
La lutte contre le surendettement ne saurait cependant se borner à la question de l'accès au crédit. Les situations de surendettement surviennent en majorité à la suite d'accidents de la vie – divorce, chômage… L'image de la personne endettée prise au piège de la fièvre de la consommation n'a plus guère de réalité. Actuellement, la croissance du surendettement est principalement liée à l'apparition de phénomènes nouveaux – travailleurs pauvres, insuffisance du pouvoir d'achat… La part des retraités dans les dossiers examinés tend également à augmenter. C'est donc la question du pouvoir d'achat qui est au coeur du problème – ce qui n'apparaît pas suffisamment dans le rapport. Dès lors, il ne saurait apporter de réponse adéquate à la situation.
Certes, l'article 1er tendant à responsabiliser la banque ou le prêteur est intéressant. Il reconnaît la responsabilité des organismes prêteurs dans l'explosion du phénomène du surendettement. Mais tant que des crédits de type revolving subsisteront et seront rémunérés largement plus que les prêts personnels, l'efficacité de la mesure ne pourra être garantie. Votre raisonnement repose démesurément sur la libre volonté des opérateurs de crédits.
L'article 2 propose de créer un répertoire national des crédits alloués aux particuliers pour des besoins non professionnels. Certes, ce fichier positif serait centralisé à la banque de France – pour éviter la constitution de fichiers par les banques elles-mêmes – et ne serait consultable par les banques que pour un temps limité, avec l'accord du débiteur. Contrairement au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), qui ne recense que les défauts de paiement, il porterait sur l'intégralité des crédits détenus par chaque consommateur. Le danger d'un fichage généralisé et nominatif des encours de prêts dans notre pays est donc patent. Je partage à cet égard le sentiment de M. Daniel Fasquelle. Ce fichier centralisé comprendrait des millions de noms et de profils bancaires, ce qui me paraît totalement attentatoire aux libertés individuelles.
Le rapporteur nous propose de suivre certains exemples européens comme celui de la Belgique, où pourtant le nombre des dossiers de surendettement a explosé malgré la création en 2003 de la Centrale des crédits aux particuliers.
La façon dont la proposition de loi aborde la question du surendettement ne nous paraît pas juste et soigne plus les effets que la pathologie. Pour nous, la solution consisterait à améliorer le pouvoir d'achat des bas salaires tout en engageant une réflexion sur les pratiques de consommation.
Notre groupe votera contre ce texte. Il conviendrait néanmoins de réfléchir à la notion de droit au crédit pour tous. Il nous reviendrait de déterminer sous quelle forme, à quel taux et par le biais de quel organisme ce droit pourrait s'exercer. Chaque individu devrait pouvoir accéder au crédit dans des conditions particulières.
Contrairement à ce qui vient d'être dit, notre réflexion est mûre. En effet, c'est en 2003 que le groupe UDF a pour la première fois proposé d'encadrer le surendettement. Il est temps de franchir un nouveau pas. La spirale du surendettement frappe les personnes de condition modeste. Il nous appartient de les protéger contre cette maladie sournoise et lancinante.
Il n'est pas normal que l'emprunteur délègue au prêteur le droit de vérifier sa solvabilité, nous a dit M. François Brottes. Je considère quant à moi que le texte responsabilise les deux parties de manière équitable. Aujourd'hui, les banques accordent à leurs usagers des cartes de crédit renouvelable, dans le cadre du renouvellement de la carte, de façon quasi automatique. C'est grave.
À ceux qui s'élèvent contre la constitution d'un répertoire, je dirai que nous sommes déjà identifiés et plus ou moins fichés. Les données existent. La présente proposition de loi propose de les compiler au bénéfice des usagers. Je soutiens naturellement ce texte. Nous allons prochainement examiner un projet de loi tendant à taxer la consommation plutôt que la production. Cela fait une quinzaine d'années que je fais des propositions en ce sens, mais on m'a toujours répondu que ce n'était pas le moment. À quelques semaines de la fin de la législature, nous aurons enfin l'occasion de discuter d'un bon projet. Ne tardons pas davantage s'agissant du surendettement : le projet est mûr et il faut avancer.
Quel est le sens du crédit à la consommation ? Lors d'un précédent débat sur ce thème, j'avais fait part à Mme Christine Lagarde, alors ministre de l'économie, de mon souhait de mettre en place un fichier positif. Elle m'avait répondu que ce fichier casserait la croissance. Force est de constater que celle-ci n'a pas eu besoin du fichier positif pour se dégrader...
Un nombre de plus en plus important de nos concitoyens se trouvent dans une situation dramatique du fait de ce type de crédits que nous n'avons que trop partiellement encadrés. Le système bancaire doit d'ailleurs sa bonne santé aux particuliers. Ainsi en 2010, les bénéfices des trois principales banques françaises provenaient de la banque de détail, à savoir des pénalités que versent les personnes les plus fragiles, sous la forme de frais d'intervention dont le montant varie de 8 à 12 euros.
La proposition de loi ne va pas aussi loin que nous le souhaiterions. Le système bancaire, dont nous connaissons la perversion, ne manquera pas de succomber à la tentation si notre suggestion n'est pas acceptée.
Ce texte ne constitue en rien une atteinte aux libertés publiques – argument régulièrement utilisé par les banques pour nous dissuader de faire évoluer la législation. Quelle est la liberté de celui qui se retrouve dos au mur, dans l'obligation de rembourser une cascade de crédits revolving qu'il n'a pas toujours souhaités ?
La lutte contre le surendettement a fait l'objet de nombreux débats. Certes, le nombre des personnes surendettées a augmenté, mais cette situation s'explique davantage par les difficultés qu'engendre la crise que par l'absence de fichier positif. Il n'y a pas de recette miracle.
Le fichier positif n'est pas la solution car il ne fait pas état de l'ensemble des dépenses – dettes de loyer, factures de téléphonie mobile… La vraie solution serait d'obliger les banques à prendre leurs responsabilités en vérifiant sur pièces les montants des consommations et des crédits de leurs clients.
Monsieur le rapporteur, le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, que nous avons voté il y a quelques années, a-t-il fait l'objet d'une évaluation ? Le décret portant obligation pour les banques de vérifier sur pièces l'état des crédits de leurs clients, faute de quoi elles engagent leur responsabilité, est-il paru ? Le Gouvernement a-t-il tenu ses engagements vis-à-vis de la représentation nationale ? La Banque de France a-t-elle évalué les conséquences des améliorations apportées au fichier négatif ?
Le fichier positif, s'il améliore les conditions d'attribution du crédit, ne renforce en rien la lutte contre le surendettement. Ne le vendons pas comme tel.
Aux termes de l'article 49 de la loi portant réforme du crédit à la consommation, la création d'un registre national des crédits aux particuliers fait l'objet d'un rapport remis au Gouvernement et au Parlement, élaboré par un comité chargé de préfigurer cette création. Le rapport existe mais, à ma connaissance, il n'a pas été remis aux parlementaires. Tel est souvent le sort réservé aux rapports : ou bien ils ne sont pas rédigés, ou bien ils restent dans le secret. C'est regrettable.
J'ai tout de même réussi à me procurer ce rapport. Il contient un certain nombre de dispositions législatives, dont certaines ne sont pas reprises dans la proposition de loi. Pour quelle raison, monsieur le rapporteur, n'avez-vous pas retenu la création d'un comité de gouvernance ?
Les modalités d'identification des personnes concernées par le fichier ne figurent pas non plus dans le texte. Sur ce point, vous vous en remettez à un arrêté ou à un décret en écartant ainsi la représentation nationale. Le comité fait référence au NIR, l'identifiant dérivé du numéro de sécurité sociale, sur lequel la CNIL a émis d'importantes réserves. Vous nous assurez qu'elle y est à présent favorable, pourtant son site Internet fait état de ses réserves portant sur la création du fichier et l'utilisation du NIR.
Je salue l'initiative du groupe Nouveau Centre et de Jean Dionis du Séjour qui nous permet de revenir sur le sujet particulièrement préoccupant du surendettement.
Il convient également de se pencher sur la question de l'assurance qui s'attache aux crédits revolving. La compagnie d'assurance, qui est souvent une succursale de la banque, refuse, la plupart du temps, d'assurer les personnes atteintes d'une grave maladie et dans l'incapacité de travailler en utilisant des méthodes particulièrement agressives. Elle leur demande par exemple des certificats médicaux libellés de telle manière que l'Ordre des médecins interdit de les distribuer, ou des documents de la CPAM datant de plus de dix ans – or la CPAM ne conserve pas ses archives au-delà de cette période. L'un de ces organismes d'assurance harcèle les emprunteurs au téléphone et appelle même leurs voisins, les chargeant de demander à la personne concernée de payer ce qu'elle doit à la banque ! Il serait bon qu'un groupe de travail effectue une étude approfondie sur ces questions.
L'augmentation de 15 % par an des cas de surendettement est très préoccupante car ils sont dus, le plus souvent, à une perte de revenus.
L'article 2 de la proposition de loi prévoit la création d'un répertoire national recensant les crédits accordés aux particuliers pour des besoins non professionnels. Or les établissements bancaires restreignent de plus en plus leur offre de prêts en direction des collectivités solvables et des entreprises individuelles, petits commerçants et artisans. Cela amène ces derniers à souscrire des crédits à la consommation à titre personnel pour satisfaire des besoins professionnels. Il faut que les particuliers puissent mettre en avant leurs arguments professionnels. C'est pourquoi il est nécessaire que l'accès au fichier leur soit réservé.
Positif ou non, un fichier est toujours un fichier. En faisant croire au consommateur qu'on va le protéger, ne risque-t-on pas de le déresponsabiliser ? Ne vaut-il pas mieux laisser les organismes prêteurs faire leur travail – qui, je le rappelle, consiste à fabriquer de la dette ? Comment qualifier cette pratique qui consiste à écrire à une personne pour lui proposer une enveloppe de 2 000 euros sans préciser le taux du crédit ou en le mentionnant en caractères trop petits pour être lus ? Lorsqu'une personne laisse un billet de 500 euros sur la table et qu'une autre le prend, laquelle est responsable, laquelle est coupable ?
Nos collègues socialistes entendent protéger les consommateurs des démarches abusives. Sur ce point, nous sommes d'accord. Ils veulent également que l'emprunteur soit informé sur sa situation. Soit. Mais cela ne passe pas forcément par un fichier. Le concept de fichier passe toujours mal en France. Nous avons débattu longuement avant de décider de la création d'un fichier des empreintes ADN destiné à faciliter le dépistage des criminels. Ficher les consommateurs est une atteinte autrement plus grave à la liberté. Un artisan pourrait ainsi se retrouver à titre personnel dans le fichier de surendettement, tout comme une femme récemment divorcée et en proie à des difficultés financières.
Enfin, lorsque nous, législateurs, votons des taxes et des impôts, nous contribuons nous aussi à surendetter des personnes engagées dans des crédits par ailleurs.
Bref, nous devons faire preuve de prudence. Légiférons pour donner à nos concitoyens les moyens de résilier plus facilement certains abonnements. J'ai moi-même expérimenté à quel point il était difficile de mettre fin à un abonnement à Canal Plus ou à Orange.
Lors de la discussion en 2010 du projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, nous avions regretté la place minime concédée au surendettement, mais nous avions fini par obtenir du Gouvernement qu'il réfléchisse à la mise en place d'un fichier positif.
Le président du Conseil économique, social et environnemental estime que 12 à 15 millions le Français ont des fins de mois difficiles. Pour avoir assisté à des commissions de surendettement, j'ai appris que le nombre de dossiers liés à un accident de la vie tend à diminuer tandis que celui dû à la souscription de crédits en cascade – les personnes recourent à un crédit revolving pour rembourser le crédit précédent – est de plus en plus élevé. Les chiffres sont éloquents : 41 % des ménages qui souscrivent de tels crédits ont des revenus compris entre 1 000 et 1 750 euros, et 84 % des dossiers déposés portent en moyenne sur six crédits revolving. Dans mon département du Gard, nous avons examiné le dossier d'une personne qui en avait souscrit 51 !
Malgré les préconisations de la loi de 2010, plus de 50 % des ouvertures de crédit revolving ou de crédit renouvelable sont encore effectuées sur les lieux de vente, sans le moindre conseil pour le consommateur et sans vérification approfondie de sa situation.
Monsieur le rapporteur, il faut aller plus loin en inscrivant dans votre proposition de loi que seul l'emprunteur est habilité à demander à la Banque de France de lui communiquer sa situation.
Nous connaissons tous des drames humains provoqués par le surendettement. Si le surendettement passif, causé par un accident de la vie, nécessite un soutien aux personnes concernées, l'endettement actif doit être encadré. Le texte qui nous est proposé prévoit la création d'un répertoire national recensant les crédits accordés aux particuliers. La confidentialité s'impose, quel qu'en soit le coût. Mais il faut insister davantage sur la responsabilité du prêteur, qui peut avoir deux positions contradictoires. À l'égard des entreprises créatrices d'emploi et de richesse nationale, il fait preuve parfois d'une certaine frilosité. S'agissant des particuliers, il ne peut s'abriter derrière l'impossibilité matérielle d'adopter la même conduite. Sa responsabilité est totale et entière dans le cas de situations financières désespérées qu'il a volontairement créées. Or le texte que nous examinons ne prend pas en compte cet aspect.
Je rappelle qu'en octobre 2010 le groupe SRC avait présenté une proposition de loi visant à encadrer les crédits à la consommation et à supprimer le crédit revolving. Ce texte proposait en outre d'instaurer un fichier positif recensant l'ensemble des encours des crédits et de mettre en place un crédit social universel distribué par la Banque postale. La création du fichier positif avait été refusée, tout comme l'amendement de notre groupe prévoyant la signature obligatoire des deux conjoints lors de la contraction d'un crédit. Cette obligation a été supprimée. Je propose de la réintroduire dans la proposition de loi.
J'aurais volontiers voté l'article 1er, mais l'article 2 m'inquiète. Il précise que le répertoire national recense les crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels. Or ceux-ci n'existent pas. En effet, pour accorder un prêt à une personne représentant une entreprise individuelle, les banquiers demandent des garanties personnelles sachant parfaitement que les crédits sont destinés à des besoins professionnels. Cette disposition me paraît très dangereuse, car les bons banquiers appliqueront le règlement – certes au préjudice des emprunteurs – et les mauvais conserveront des pratiques détestables. La constitution d'un fichier m'inquiète également, en dépit des précautions prises. Enfin, je considère moi aussi que seul l'emprunteur doit pouvoir communiquer les éléments prévus dans le texte.
Depuis plusieurs années, les commissions de surendettement ne désemplissent pas. Pire, elles croulent sous les dossiers. Dans notre pays, 950 000 ménages sont surendettés et l'endettement moyen s'élève à 35 000 euros. Les études du CREDOC montrent que l'endettement est de plus en plus souvent lié, non pas à des choix de consommation, mais au paiement de dépenses contraintes.
C'est dire la gravité de la situation. M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, l'a d'ailleurs confirmé récemment : 15 millions de Français sont à 50 ou à 150 euros près quand arrive la fin du mois. Ne devrions-nous pas envisager la suppression des crédits revolving ? Et travailler à renforcer le pouvoir d'achat de nos concitoyens ?
En outre, le décret du 20 décembre 2011 sur le barême des saisies sur salaire, plus restrictif que le précédent, fixe la part insaisissable du salaire à un montant équivalent au revenu de solidarité active (RSA), soit 466 euros, ce qui condamne les personnes endettées à la pauvreté – je rappelle que le seuil de pauvreté est fixé à 954 euros.
L'exposé des motifs de la proposition de loi précise qu'il est naturel que les établissements de crédits « étudient avec précision la situation financière des souscripteurs et décident, en connaissance de cause, d'octroyer ou non le crédit qui leur est demandé ». Le problème n'est cependant pas là. La source du surendettement est souvent un accident de la vie. Lorsqu'une personne se retrouve au chômage, ses charges ne diminuent pas. Elle accumule alors une dette locative, avec le risque d'expulsion que cela comporte. C'est pour ne pas ajouter une catastrophe à une autre que cette personne emprunte. Face à cette situation, geler la dette fiscale pourrait être l'une de nos priorités.
En n'accordant pas de prêts au moment où les personnes en ont le plus besoin, les banques ont leur part de responsabilité. Cette carence pousse les personnes à s'adresser à des organismes qui leur proposent des prêts à taux prohibitifs. Elles entrent alors dans une spirale infernale.
La responsabilité incombe non pas à l'emprunteur mais aux établissements bancaires. C'est pourquoi il est nécessaire d'aller plus loin et de réviser la politique d'octroi des crédits en interdisant le crédit revolving, en réorganisant la politique de crédit des établissements bancaires, en mettant en place un système d'ajournement ou d'effacement de la dette fiscale, et en instaurant un fonds de garantie permettant de prendre en charge tout ou partie du loyer des personnes dont les revenus ont subi une importante diminution.
Nous avons transformé la Poste en établissement bancaire relevant pour une grande part du droit commun. Je suis donc surpris de la façon dont le rapporteur traite l'établissement. La Poste étant un service financier et bancaire comme les autres, pourquoi en faire un cas particulier ?
Comme Alain Suguenot, l'article 1er me convient mais l'article 2 ne me paraît pas acceptable.
Les chiffres témoignent en effet de l'aggravation de la situation sociale et économique des ménages. Les messages publicitaires vantant l'apparente facilité d'accès aux crédits à la consommation, souvent d'un coût indécent, sont très nombreux. Il est indispensable de les réglementer. Quelles sont vos propositions concrètes en la matière, monsieur le rapporteur ?
À l'évidence le texte de Mme Christine Lagarde, qui avait vocation à réglementer la publicité en faveur des crédits à la consommation et à améliorer l'information du consommateur, n'est pas suffisant. Il faut donc aller plus loin. Nous approuvons les dispositions de la proposition de loi tendant à responsabiliser davantage les banques ou à créer un répertoire national des crédits – tout en sachant que le Gouvernement ne veut pas en entendre parler.
Comme le souhaite l'association UFC-Que choisir, ce répertoire permettra-t-il de connaître les détenteurs d'une carte de fidélité couplée à une carte de crédit renouvelable ? Le fichier aura-t-il des répercussions sur le coût du crédit ? Son instauration a-t-elle fait l'objet d'une étude d'impact ?
On fait bien d'écouter les centristes lorsqu'ils parlent de la dette : ils suivent ces sujets depuis longtemps et ils ont souvent raison !
Prenons garde : en filigrane de notre débat, deux des plus grandes banques françaises, BNP Paribas et le Crédit agricole, déroulent leur argumentaire pour protéger des positions concurrentielles.
M. François Brottes, vous souhaitez, que seuls les particuliers aient accès aux données du répertoire national pour les présenter, le cas échéant, au prêteur. Je note que le groupe socialiste est favorable, sur le principe, à la création d'un tel répertoire et je suis tout disposé à examiner des amendements sur la question que vous soulevez. Cela dit, si l'on veut être à même d'engager la responsabilité de l'organisme prêteur, il faut que celui-ci ait accès à des données fiables. Pour nous, l'important est que l'on puisse établir que le prêteur a lui aussi eu connaissance de ces données, qu'il est de ce fait coresponsable et qu'il ne peut se retourner contre l'emprunteur. Nous pourrions, je pense, trouver un compromis sur ce point.
Bien que vous défendiez une position hostile à ce texte, M. Daniel Fasquelle, il me semble que le Gouvernement et le groupe UMP sont plus hésitants.
Peut-on raisonnablement soutenir que le répertoire constitue une menace pour les libertés publiques ? Le dispositif existe dans vingt-quatre pays, dont de grandes démocraties qui n'ont aucune leçon à recevoir de la France en la matière. Il est en place en Allemagne depuis 1927. Tous ces pays ont des autorités indépendantes de protection des données et l'on n'a observé aucun manquement aux libertés publiques. C'est un alibi invoqué par les banques ! Vous qui êtes, comme moi, si attentifs en la matière, vous n'êtes pas choqué que la BNP, le Crédit agricole ou d'autres banques détiennent chacune son petit fichier propriétaire, très peu contrôlé par la CNIL ; en revanche, vous vous inquiétez d'un fichier dont la gestion serait confiée à la Banque de France et assortie de toute une série de garanties !
S'agissant de l'utilisation du NIR, sur laquelle le groupe UMP regrette que nous ne nous prononcions pas, nous avons mené une longue réflexion avec la CNIL. M. Jean Massot, conseiller d'État et membre de cette institution, a apporté en séance plénière la démonstration juridique que la question relève du domaine réglementaire.
Nous avons également saisi la CNIL par courrier pour savoir quelles ont été les dérives commerciales constatées en matière d'interconnexion. Elle n'a pas eu encore le temps de mener l'investigation mais, dans le dispositif belge, le plus proche de celui que nous préconisons, on a relevé très peu de plaintes à ce sujet.
Je précise aussi que ce ne sont pas 200 000 personnes mais 2,5 millions qui sont fichées au FICP et que seuls les établissements de crédit peuvent consulter ce fichier.
Vous souhaitez enfin que l'on prenne le temps d'évaluer les effets de la loi Lagarde. Mais cette loi laisse de toute façon des questions sans réponses. Entre autres faiblesses constitutives, elle prévoit par exemple que l'emprunteur fasse une déclaration sur sa situation personnelle. Or, on le sait, une personne aux abois est prête à raconter tout ce qu'on veut !
Je participais comme vous aux travaux législatifs sur le projet et je me rappelle que Mme Lagarde a pris la parole pour dire que la question du fichier positif était tranchée. Que l'on ne veuille pas faire de mal aux grandes banques à cause de leur situation actuelle, cela peut se défendre, mais que l'on ne renvoie pas à un groupe de travail un sujet qui a déjà été étudié pendant un an ! Le président Serge Poignant a raison de proposer de travailler à un consensus politique qui, à l'évidence, n'existe pas aujourd'hui. Mais, comme le dit M. Thierry Benoit, le projet est mûr et les études sur sa mise en oeuvre sont d'une grande qualité. Certes, on peut le refuser, on peut vouloir protéger la BNP et le Crédit agricole...
Pardonnez-moi de mettre de la passion à défendre ce que je pense, ma chère collègue !
De l'intervention de M. Pierre Gosnat, je retiens que le groupe GDR partage notre analyse de l'aggravation du surendettement en France. Je doute en revanche que l'on puisse encore isoler, comme l'ont fait plusieurs collègues, une catégorie de surendettement dû aux « accidents de la vie ». Le travail de fond que la Cour des comptes a mené à ce sujet montre à quel point certaines personnes sont structurellement exposées au surendettement lorsque la moindre difficulté survient.
L'association Crésus, pour sa part, a étudié la situation de 47 590 ménages sur une période de 18 mois, de juillet 2010 à décembre 2011, pour un encours de crédit total de 2 milliards d'euros. Dans 78 % des cas, les personnes présentant un dossier ont déjà plus de huit crédits. Le problème, ce n'est pas l'accident de la vie, le divorce, etc., c'est l'octroi de crédit lui-même : pourquoi leur avoir accordé un neuvième crédit ?
Du reste, la Banque de France a respecté l'injonction de la Cour des comptes et a cessé de recourir à cette typologie dans son rapport de 2011.
Je partage l'avis de M. Jean Gaubert : il ne faut pas soutenir la consommation de manière factice. S'agissant de la demande centrale du groupe socialiste, la limitation de l'accès au répertoire national aux seuls emprunteurs, je répète que je suis ouvert aux amendements et j'invite mes collègues à ne pas se réfugier dans une stratégie de groupe de travail.
Errare humanum est, perseverare diabolicum, me dit Mme Laure de La Raudière. Mais qui est le plus diabolique en l'espèce ? Moi-même, en défendant de façon quelque peu obsessionnelle ma proposition, ou le groupe UMP, qui garde le pied sur le frein ?
Je vous donne acte d'avoir été constante dans vos réserves au sujet d'un fichier positif, contrairement à M. Daniel Fasquelle dont la position a évolué. Vous notez néanmoins, avec raison, qu'un tel fichier permettrait d'élargir le crédit. En effet, la prudence des banques serait moindre si celles-ci avaient accès aux informations sur la totalité de l'endettement de l'emprunteur. Aujourd'hui, 40 % des Français n'ont contracté aucun emprunt. C'est une proportion bien supérieure à la moyenne européenne.
Il est exact, Mme Frédérique Massat, que le rapport Constans n'a pas été rendu public par le ministère de l'économie, qui en était le commanditaire, mais les parlementaires on pu en prendre connaissance. C'est un document remarquable qui rend caduque la demande de constitution d'un groupe de travail technique, même si un travail politique reste à accomplir entre nous. Quant à l'idée d'un comité de gouvernance, elle pourrait faire l'objet d'un excellent amendement socialiste !
Le rapport Constans aborde également la question de l'utilisation du NIR, dont il est maintenant clair qu'elle relève du domaine réglementaire.
Tout en se rangeant à l'opinion de M. Daniel Fasquelle, M. Michel Lejeune me demande de m'attaquer aussi aux compagnies d'assurance. Je lui répondrai qu'il est déjà difficile de faire bouger les lignes dans le monde de la banque comme je m'y emploie depuis dix ans et que nous passerons au secteur de l'assurance dans un second temps ! Cela étant, il a tout à fait raison au sujet des documents médicaux que les assurances demandent pour limiter l'accès au crédit.
Je suis disposé à examiner de plus près la question, soulevée par M. Kléber Mesquida, des crédits à la consommation que des commerçants ou artisans sont parfois amenés à contracter pour des besoins professionnels.
À M. Jean-Charles Taugourdeau, que l'idée d'un fichier national semble effrayer, je rappelle qu'il y a déjà des fichiers partout. Il ne s'agit pas de savoir si nous serons fichés ou non, mais de savoir comment nous le serons. Le Crédit agricole n'a pas attendu la décision du législateur pour créer son propre fichier de particuliers !
Par un immobilisme bien français, ne favorisons-nous pas le développement de fichiers bien moins contrôlés que ne le serait le dispositif que je propose ? Préfère-t-on une multiplicité de petits fichiers propriétaires ou un fichier géré par un service public de prévention du surendettement ?
Tout en se montrant assez favorable à l'idée d'un fichier positif, M. William Dumas reprend la position du groupe socialiste.
Pour avoir partagé avec lui plusieurs combats – notamment au sujet de l'HADOPI –, je comprends la méfiance d'Alain Suguenot vis-à-vis de la notion de fichier. Je le renvoie néanmoins aux réponses que j'ai faites précédemment à ce sujet.
S'il est exact, Mme Marie-Lou Marcel, que la question du surendettement est corrélée à celle du pouvoir d'achat, il n'est plus possible en revanche de soutenir que les accidents de la vie ont un rôle déterminant. Les travaux de fond de la Cour des comptes et de l'association Crésus, notamment, invalident cette thèse.
Votre remarque est juste, M. Jean Proriol : la Banque postale est désormais un service bancaire banalisé et il n'y a plus lieu de parler des « services financiers de La Poste ». Si vous déposez un amendement en ce sens, votre rapporteur l'examinera avec bienveillance.
Le dispositif de la proposition de loi ne concerne pas les cartes de fidélité, Mme Annick Le Loch : il vise les crédits « actifs » et non les crédits potentiels.
Par ailleurs, l'instauration d'un répertoire national donnera aux banques une visibilité qu'elles n'ont pas aujourd'hui, ce qui devrait les amener à être un peu plus audacieuses et à réduire le coût du crédit.
Concernant les publicités qui banalisent le recours au crédit, Mme Corinne Erhel, je pense que la loi Lagarde, sous cet aspect comme sous beaucoup d'autre, a eu des effets positifs.
Je vous remercie d'avoir répondu à chaque intervenant, car le sujet n'est pas simple. Pour ma part, je pense que l'on résoudrait déjà bien des difficultés en rendant obligatoire la signature des deux conjoints pour la souscription d'un emprunt.
Lors de la célébration d'un mariage, le maire est tenu de rappeler aux époux que, aux termes du code civil, « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants » et que « toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement ».
La Commission passe à l'examen des articles.
Article 1er : Obligation pour le prêteur d'examiner la solvabilité de l'emprunteur
La Commission est saisie des amendements CE 1 et CE 2 de M. Jean-Pierre Decool.
Je propose, par l'amendement CE 1, que l'obligation d'information sur la solvabilité de l'emprunteur soit cantonnée aux possibilités dont dispose le prêteur.
Il convient également de prévoir le cas où les documents fournis par l'emprunteur sont incomplets. C'est le sens de l'amendement CE 2.
L'expression « dans la limite de ses possibilités » me semble juridiquement trop vague pour que je puisse donner un avis favorable à l'amendement CE 1.
Avis favorable, en revanche, pour l'amendement CE 2.
La Commission rejette l'amendement CE 1.
Elle adopte ensuite l'amendement CE 2.
Puis elle rejette l'article 1er.
Article 2 : Création d'un répertoire national des crédits aux particuliers
La Commission rejette l'article 2.
Le groupe socialiste travaille depuis longtemps sur le surendettement. Notre abstention sur ce texte ne doit pas être comprise comme une abstention de refus : notre vote sera fonction du sort réservé à l'amendement que nous nous sommes engagés à présenter.
La Commission rejette l'ensemble de la proposition de loi.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 18 janvier 2012 à 10 h 15
Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Jean Auclair, M. Thierry Benoit, M. Christian Blanc, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Michel Couve, M. Jean-Pierre Decool, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Yannick Favennec, M. Jean Gaubert, M. Pierre Gosnat, Mme Pascale Got, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Louis Guédon, Mme Conchita Lacuey, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Michel Lefait, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Louis Léonard, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Serge Poignant, Mme Josette Pons, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Michel Raison, M. Franck Reynier, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues, Mme Catherine Vautrin, M. Jean-Michel Villaumé
Excusés. - M. Bernard Brochand, M. Bernard Gérard, M. François-Michel Gonnot, M. Gérard Hamel, M. Henri Jibrayel, M. Germinal Peiro, M. Michel Piron