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Intervention de Jean Dionis du Séjour

Réunion du 18 janvier 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Dionis du Séjour, Rapporteur :

Je vais tenter de clarifier les termes du débat autour du répertoire national du crédit aux particuliers, dit fichier positif, et de répondre aux objections qu'a suscitées le rapport du comité de préfiguration chargé de définir les modalités de sa mise en oeuvre opérationnelle.

Lors de l'examen de la loi portant réforme du crédit à la consommation, en 2010, Mme Lagarde avait déclaré dans l'Hémicycle que le débat sur l'opportunité de la création d'un répertoire national du crédit était clos et qu'il convenait désormais de s'intéresser à sa mise en oeuvre. Après un an de travail avec l'ensemble des parties prenantes, M. Emmanuel Constans a rédigé un rapport riche d'enseignements. L'initiative de M. Frédéric Lefebvre est donc un peu tardive. Je souscris en revanche pleinement à la proposition de M. François Brottes : il serait intéressant pour le groupe de travail d'entendre M. Emmanuel Constans.

Permettez-moi tout d'abord de rappeler quelques éléments nécessaires à la bonne compréhension du texte que je propose avec Jean-Christophe Lagarde et le groupe Nouveau Centre. Vous connaissez les chiffres aussi bien que la réalité de la situation, puisque vous recevez nos concitoyens dans vos permanences. Je me bornerai donc à indiquer que le nombre des dépôts de dossiers auprès des commissions de surendettement est passé de 180 000 en 2004 à 230 000 aujourd'hui, soit une augmentation de 27 %, qui témoigne de la forte progression de ces situations de détresse avec la crise économique. Plus de 700 000 ménages français font actuellement l'objet d'une procédure en matière de surendettement. Selon Jean-Paul Delevoye, ancien Médiateur de la République et nouveau Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), plus de 12 millions de ménages français ont des difficultés à équilibrer leur budget familial.

Je reviens un instant sur l'avancée obtenue lors de la discussion du projet de loi réformant le crédit à la consommation : sous l'impulsion du président Patrick Ollier, Mme Christine Lagarde avait donc déclaré que le débat sur l'opportunité de se doter d'un répertoire national du crédit aux particuliers était désormais tranché. Alors même que nous disposions d'une majorité dans l'Hémicycle pour l'instaurer ce jour-là, un compromis avait été trouvé avec la création d'un comité de préfiguration chargé de rédiger un rapport sur les modalités de mise en oeuvre du répertoire dans un délai d'un an. La ministre a tenu parole, mais la suite est moins heureuse. A la suite d'un travail que je tiens à saluer, M. Emmanuel Constans a publié son rapport à l'été 2011. À la veille du terme de la consultation publique, un courrier du président de la CNIL – dont c'était le dernier jour d'exercice – est venu rappeler certaines réserves traditionnelles de cette autorité, qui ont été reprises par le Gouvernement pour bloquer une nouvelle fois la mise en oeuvre de ce répertoire.

Il est temps, et c'est le sens de l'initiative de notre groupe, de relancer le processus en s'appuyant sur l'excellent travail du comité présidé par M. Emmanuel Constans.

La création du répertoire a deux objectifs. L'objectif principal est d'améliorer la prévention du surendettement, l'objectif second d'élargir l'accès au crédit. Le taux d'exclusion bancaire en France figure en effet parmi les plus élevés d'Europe.

Le répertoire n'est certes pas le remède miracle qui permettrait à lui seul de contenir le surendettement. Il s'agit d'un outil complémentaire mais indispensable, permettant d'avoir connaissance de l'endettement d'un particulier désireux de souscrire un crédit. Les statistiques de la Banque de France font apparaître que les personnes ayant recours aux commissions de surendettement ont souvent de nombreux crédits à la consommation, qu'ils soient amortissables ou renouvelables. Une étude de l'association Crésus, qui accompagne les personnes dans leurs efforts pour sortir du surendettement, dresse un constat similaire : dans 80 % des 47 000 dossiers qu'elle a eu à connaître en 2010, les ménages surendettés étaient liés par plus de 8 crédits au moment du dépôt de leur dossier devant une commission de surendettement.

Il est donc nécessaire de responsabiliser davantage les établissements de crédit au moment de l'octroi d'un prêt à la consommation. Il s'agit là d'une mesure de bon sens – nous sommes nombreux à partager cet avis au sein de la Commission.

Pourquoi donc ce blocage et cet isolement français en Europe ? Tous nos partenaires européens, à l'exception du Danemark et de la Finlande, disposent d'un répertoire national du crédit aux particuliers ou d'un dispositif proche. L'Allemagne a adopté le sien dès 1927 ! I1 s'agit d'ailleurs le plus souvent de fichiers privés n'ayant pas pour seul objectif la prévention du surendettement.

Les détracteurs du répertoire, au premier rang desquels figurent les deux plus grandes banques françaises, BNP Paribas et le Crédit agricole, font valoir trois types d'objections.

La première tient à la distinction entre le « surendettement actif », correspondant à un recours imprudent au crédit, pour lequel le répertoire pourrait être utile mais qui ne concernerait que 25 % des dossiers déposés, et le « surendettement passif », jugé très majoritaire et découlant des différents accidents de la vie – problèmes de santé, perte d'un emploi, divorce – pour lequel le répertoire serait sans intérêt, puisque la difficulté survient au cours de l'exécution du contrat et non lors de la souscription. Cette critique rejoint celle émise par les deux banques précitées, selon laquelle il n'y aurait pas de problème au moment de l'octroi du crédit puisqu'elles disposent d'éléments et d'outils de scoring performants.

Aussi séduisante qu'elle puisse paraître, cette objection se heurte à une double critique. La Cour des comptes a estimé dans son rapport 2010 que la distinction entre « endettement actif » et « endettement passif » n'était plus pertinente. La Banque de France a donc abandonné cette grille d'analyse en 2011. Dans la majorité des cas, des « accidents de la vie » plus ou moins prévisibles viennent en effet se cumuler à des comportements de consommation imprudents – nombreuses cartes de crédit renouvelable, par exemple – qui rendent le surendettement inévitable au moindre « accident ».

Par ailleurs, le crédit à la consommation constitue pour les banques un produit beaucoup plus rémunérateur que le crédit immobilier. De plus, le pourcentage de créances non remboursées à l'issue des procédures de recouvrement est faible. Le risque encouru par les banques et leurs filiales spécialisées est donc minime, ce qui explique la légèreté des contrôles lors de la souscription et le faible recours aux commissions de surendettement dans ces cas.

Une deuxième objection nous vient de la CNIL, que nous avons rencontrée à trois reprises. Elle porte sur le risque d'atteinte aux libertés individuelles et sur les risques de dérives mercantiles. La CNIL a émis des réserves sur l'utilisation potentielle du numéro de sécurité sociale (NIR) comme identifiant des personnes – choix que le texte renvoie au domaine réglementaire – au sein du répertoire et sur les risques d'utilisation dévoyée du fichier à des fins de prospection commerciale ou d'extension du fichier à des données autres que les seuls crédits – charges locatives, dépenses d'énergie ou de télécommunications.

En ce qui concerne la collecte du NIR, la CNIL a en effet pour position constante de limiter son utilisation au domaine social, conformément au principe de cantonnement des fichiers. Elle entend donc limiter le plus possible son usage dans la mesure où il contient des données personnelles. Sans méconnaître l'intérêt de cette doctrine, nous pensons que l'atteinte potentielle à la protection des données à caractère personnel – justifiée par le but recherché –est considérablement diminuée par les procédures de hachage et de cryptage du NIR proposées par le comité de préfiguration. Les risques pour les libertés individuelles sont bien moindres qu'avec les nouvelles technologies permettant la traçabilité et la géolocalisation, qui sont présentes via les réseaux sociaux sur internet, les smartphones, les cartes de crédit ou les cartes de transport.

S'agissant des risques de détournement de l'usage du répertoire, la proposition de loi reprend nombre des garanties préconisées par le rapport de préfiguration. La centralisation des données serait confiée à la Banque de France, ce qui constitue une forte garantie d'indépendance et de sécurité. Leur consultation se ferait sous une forme agrégée, dans le seul but d'examiner la solvabilité du souscripteur. Enfin, la remise à un tiers d'une copie des informations, la demande de remise de données ou l'accès à des personnes non autorisées sont passibles de sanctions pénales.

Sous réserve d'investigations complémentaires, la CNIL – que j'ai saisie – n'a pas signalé d'incidents graves dans ce domaine, notamment en Belgique, pays doté d'un dispositif proche de celui que nous proposons. Cela nous conduit à ramener ce risque à sa juste proportion – qui est très faible.

La troisième objection soulevée par les adversaires du répertoire a trait au coût et à la lourdeur de cette procédure au regard des résultats escomptés. Ces objections qui portent sur le principe de proportionnalité sont sans doute les plus sérieuses.

La question de la faisabilité d'un répertoire pouvant recenser 25 millions de personnes et enregistrer 100 millions de lignes pouvait se poser il y a quinze ans. Elle n'est plus pertinente aujourd'hui, en raison des développements techniques. Ce fichier ne serait en aucun cas une première technologique : un grand nombre de répertoires sont opérationnels chez nos voisins, avec des architectures diverses. Nous avons d'ailleurs été prudents sur le délai de mise en oeuvre, fixé à dix-huit mois.

Le coût de constitution et de fonctionnement du répertoire est de l'ordre de 30 à 50 millions d'euros pour la Banque de France, et de 500 à 800 millions pour l'adaptation de l'ensemble du système bancaire. Les coûts de fonctionnement s'établiraient pour leur part à environ 75 millions. Il s'agit certes de sommes importantes, qui demandent d'ailleurs à être affinées ; mais le coût serait amorti en cinq ans grâce à la facturation des consultations, dont le nombre est estimé à 900 millions par an, avec un coût unitaire de 50 centimes d'euro. Ces chiffres sont ceux du comité de préfiguration. Ceux qui réclament un groupe de travail arrivent donc après la guerre : l'étude d'impact a déjà été faite. J'ajoute que les bénéfices en termes de rationalisation de la distribution du crédit s'avéreraient réels pour les banques.

En dépit des alertes lancées sur le développement du « malendettement » et de la publication de nombreux rapports alarmants, le surendettement ne fait que s'aggraver dans notre pays. Il est donc légitime d'utiliser tous les outils pour prévenir les situations dans lesquelles se retrouvent chaque année plus de 200 000 nouveaux ménages : le répertoire doit être mis en oeuvre pour renforcer la prévention de ce fléau et alléger d'autant la charge des commissions de surendettement.

Le statu quo et le combat de retardement mené par nos deux plus grandes banques conduisent à une situation particulière : en l'absence de dispositif de service public, des fichiers propriétaires, qui ne sont que très irrégulièrement contrôlés par la CNIL, sont en effet constitués au sein des réseaux bancaires. Cela ne favorise ni la transparence, ni la concurrence, ni même le respect des libertés individuelles. La constitution d'un service public dédié à la prévention du surendettement, ouvert à l'ensemble des acteurs concernés et accompagné des garanties précitées, nous semble davantage conforme à nos valeurs.

Je vous propose donc d'arrêter enfin le principe de la création d'un répertoire national des crédits aux particuliers. Après le travail de fond de M. Constans, la proposition d'un énième groupe de travail relève de la stratégie Clemenceau – nommer une commission pour enterrer un problème. Le travail est fait : il faut maintenant décider. Il est temps pour la France de faire preuve d'humilité et d'efficacité en se demandant si nos partenaires européens n'ont pas raison et en osant prendre quelque distance avec les intérêts de nos plus grandes banques pour retrouver le sens de l'intérêt général.

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