Table ronde, ouverte à la presse, sur les addictions et la conduite, réunissant :
- le docteur Charles Mercier-Guyon, secrétaire de la commission médicale de la Prévention routière ;
- M. Bernard Laumon, directeur de recherche à l'IFSTTAR (Ministère de l'Écologie, du développement durable, des transports et du logement et Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche) ;
- Mme Claudine Pérez-Diaz, chercheuse au CNRS ;
- Mme Hélène Martineau, directrice adjointe de l'Observatoire français des drogues et toxicomanies ;
- M. Félix Comeau, président-directeur général, et M. Stéphane Vialettes, directeur général de la Société Alcolock (fabricant d'éthylotests antidémarrage) ;
- M. Daniel Orgeval, président de l'association I-Tests ;
- M. Bertrand Jermann, président de la société Ethylo (fabricant d'éthylotests) ;
- M. Patrick Maroteaux, membre du bureau de l'association « Vin et société » (acteur de la filière viti-vinicole), et Mme Delphine Blanc, directrice des relations institutionnelles ;
- M. Alexis Capitant, directeur général, et M. Jean-Yves Moreau, chargé des actions prévention et des relations avec les partenaires, de l'association « Entreprise et prévention » (association des producteurs de boissons alcoolisées pour la prévention du risque alcool) ;
- M. Michel Vilbois, sous-directeur de l'action interministérielle (DSCR), et M.Louis Fernique, secrétaire général de l'Observatoire national de la sécurité routière ;
- M. Hubert Berry, responsable du département Éthylométrie et addictions au laboratoire national de métrologie et d'essais.
La table ronde débute à dix-sept heures 30..
Présidence de M. Armand Jung, président.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre participation aux travaux de notre mission d'information, dont les conclusions seront remises au ministre de l'intérieur au plus tard à la mi-octobre.
Je remarque que le thème des addictions, sujet de cette table ronde, a été présent tout au long de nos travaux.
Je vous propose tout d'abord de vous présenter brièvement.
J'ai eu la chance de coordonner une des plus belles études jamais réalisées sur les stupéfiants et l'alcool en matière de sécurité routière. Ce travail a été rendu possible par le Parlement, auquel j'adresse mes remerciements.
Je suis médecin, secrétaire de la commission médicale de la Prévention routière, membre du groupe d'experts Alcool-drogues-médicaments à la Commission européenne et représentant français au CENELEC – Comité européen de normalisation électronique –, en particulier pour la question des éthylotests antidémarrage.
Je travaille sur ces dossiers depuis une trentaine d'années. Nous avons mis en place, par exemple, les procédures de dépistage utilisées par les forces de l'ordre en matière de drogues, les pictogrammes apposés sur les boîtes de médicaments – dont l'initiative revient à la Prévention routière –, ou encore les programmes d'éthylotests antidémarrage, introduits en France depuis 6 ans.
Je travaille au sein de l'équipe CERMES3 (Centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société) du CNRS. Ma contribution concernera les interventions des institutions en matière d'alcool au volant.
Je représente l'Observatoire français des drogues et toxicomanies, organisme public qui a participé à l'enquête SAM – Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière – évoquée par M. Laumon. Je pourrai fournir à votre mission des données concernant la consommation d'alcool et de drogues en France.
Je représente la Délégation à la sécurité et à la circulation routières – DSCR – du ministère de l'intérieur. Cette structure est chargée de mettre en oeuvre la politique du Gouvernement en matière de lutte contre l'alcool et les drogues au volant. Je vous présenterai nos réalisations les plus récentes et nos pistes de travail.
Après avoir participé à une audition de votre mission consacrée à l'accidentalité en général, je reviendrai aujourd'hui sur les traces ou les preuves d'addiction en matière d'accidents, et sur ce qu'il est possible – ou impossible – d'en déduire quant à leur prévalence dans la circulation routière en général. S'agissant des stupéfiants, notamment, les résultats sont décevants car les données de l'accidentalité sont peu significatives.
La jeune association I-Tests que je préside regroupe les industriels et les spécialistes de la production des appareils de mesurage et de dépistage de l'alcoolémie et des stupéfiants. Elle a pour vocation de consigner les questions qui nous reviennent de façon récurrente et de faire des propositions. Ainsi, nous réclamons l'application, par un décret en Conseil d'État, de la disposition de l'article L. 234-14 du code de la route prévoyant que tout automobiliste justifie de la possession d'un éthylotest. Dans une enquête menée par RTL, 70 % des votants se sont prononcés pour cette mesure.
En matière de prévention du risque alcool, notre principe est que, si l'on trouve de l'alcool à toute heure et en tout lieu, on doit trouver des éthylotests à toute heure et en tout lieu. Les industriels ont déjà conçu des bornes qui feront l'objet d'une réglementation dans le cadre de la LOPPSI. La plupart de nos autres propositions ne coûteront rien à l'État, sont de mise en oeuvre rapide et peuvent avoir un effet non négligeable sur les comportements.
Responsable du département Éthylométrie et addictions au laboratoire national de métrologie et d'essais, je suis membre des comités européens et AFNOR pour la révision des normes européennes en matière d'éthylotests, ainsi que de la commission internationale de métrologie légale pour la révision de la recommandation internationale sur les éthylomètres.
Mon laboratoire travaille, entre autres, pour le ministère de l'industrie. Il s'occupe principalement de l'étalonnage de tous les éthylomètres des forces de l'ordre en France ainsi que des cinémomètres laser pour les forces de l'ordre. Pour l'AFNOR, il gère la marque NF 227, qui regroupe tous les éthylotests : classe 1 pour les forces de l'ordre, classe 2 pour le grand public, ainsi que les éthylotests chimiques.
La société Alcolock France est une filiale du groupe canadien ACS – Alcohol Countermeasure Systems Corp –, leader mondial de la gestion des programmes judiciaires d'éthylotests antidémarrage avec près de 50 000 personnes contrôlées chaque jour. Nous sommes heureux de participer à votre réflexion pour réduire l'accidentalité due à l'alcool
Je suis président d'Alcolock France et président-directeur général du groupe ACS, fabriquant d'éthylotests antidémarrage.
La société que je préside est une PME française qui fabrique des dispositifs d'éthylotests électroniques, parmi lesquels une borne éthylotest destinée à être installée dans tous les lieux publics où il pourrait s'avérer nécessaire de déterminer son degré d'imprégnation alcoolique.
Je suis également vice-président de l'association I-Tests.
Je suis responsable des actions de prévention de terrain de l'association « Entreprise et prévention ».
Notre association loi de 1901, créée il y a une vingtaine d'années, réunit 19 des principales entreprises du secteur des boissons alcoolisées en France – spiritueux, bières, champagnes, vins. Elle s'investit dans toutes les opérations de lutte contre la consommation excessive ou inappropriée d'alcool, en s'appuyant sur deux principes : travailler en partenariat avec les acteurs nationaux ou locaux de la prévention et privilégier l'évaluation, qui est souvent le parent pauvre des politiques de prévention en France.
Nous sommes présents sur tous les champs du risque alcool. Nous menons des actions sur les thèmes alcool et grossesse, alcool et travail, alcool et jeunes, en partenariat notamment avec des syndicats étudiants et le ministère de l'éducation nationale.
En ce qui concerne la thématique alcool et route, nous sommes partenaires de la Prévention routière depuis 1999. Nous sommes très impliqués dans la promotion de la pratique du conducteur désigné. Nous sommes également à l'origine de la création de la première borne éthylotest électronique, certifiée il y a quelques années et qui utilise la même technologie que celle des forces de l'ordre. Nous insistons particulièrement sur la sensibilisation des patrons de discothèques à la nécessité de contrôler l'alcoolémie de leur clientèle.
Mme Marie-Christine Tarby, présidente de l'association « Vin et société », n'a pu se joindre à nous et vous prie de bien vouloir l'excuser. Je suis pour ma part membre du bureau de cette association et membre du Conseil de modération et de prévention. Nous remercions la mission de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue.
Notre association réunit l'ensemble des syndicats et des interprofessions de la filière vitivinicole en France. Elle s'intéresse à toutes les questions qui concernent la place du vin dans la société. À ce titre, elle mène des actions de prévention des risques liés à une consommation excessive d'alcool, notamment en matière de sécurité routière et en direction des jeunes. Elle conduit également une campagne pour promouvoir une consommation responsable de vin.
Tout le monde a un avis sur la sécurité routière parce que c'est un sujet de la vie de tous les jours. Une des difficultés est que l'on confond souvent le travail des spécialistes – et les propositions construites qui en résultent – avec des questions qui relèvent plus de la communication ou du vécu de chacun.
Il convient donc de clarifier les définitions. Les politiques menées confondent fréquemment alcoolisation et alcoolisme. Ainsi, la notion de « conduite en état alcoolique » employée par les forces de l'ordre et par la justice est un non-sens. Alors que l'alcoolisation renvoie à un problème de comportement et de respect des règles, l'alcoolisme renvoie à un problème de dépendance. Sur le plan administratif, cela se traduit par la distinction entre capacité à conduire et aptitude générale à la conduite. Les réformes apportées à la réglementation relative à l'aptitude à la conduite ont intégré ces définitions, mais la question reste malheureusement source de grande confusion dans les débats : on le voit avec les dispositions destinées à être incluse dans la LOPPSI, qui confondent le système de sanction et les systèmes d'accompagnement, de probation et de contrôle. La sanction des conducteurs est encore fondée sur le modèle des excès de vitesse, dans lequel la sanction pondérée de l'effet éducatif du permis à points est supposée modifier le comportement des conducteurs. Or les problèmes d'alcool et de drogues ne répondent pas au même schéma. La raison en est si simple qu'on ne la rappelle jamais : une personne dépendante à l'alcool a du mal à contrôler son comportement, alors que l'on est rarement dépendant à la vitesse ou au téléphone mobile. Dans le deuxième cas, quelques points perdus et un coup de semonce feront changer de comportement ; dans le premier, la dépendance rend le système de sanctions inopérant pour un gros noyau dur de personnes.
De plus, une personne qui a bu perd en partie le contrôle de ce qu'elle fait. Dans 90 % des cas, les personnes n'avaient pas prévu de conduire dans un état alcoolisé : elles partaient pour s'amuser, ont bu de l'alcool, mais ensuite il fallait ramener la voiture...
Le débat fondamental et préalable oppose donc sanction d'une part, probation, éducation et accompagnement d'autre part. L'addiction ne se traite pas par la sanction. Des dispositifs de contrôle et d'accompagnement sont nécessaires. Les programmes d'éthylotests antidémarrage fournissent le meilleur exemple : la plupart des pays qui ont procédé à des installations « sèches » de ces équipements ont rapidement abandonné cette voie au profit de systèmes de contrôle, d'accompagnement et d'éducation des conducteurs. En France, la mise en place d'éthylotests antidémarrage dans les cars scolaires relève de l'effet de communication.
Quel est l'effet des lois sur les comportements ? Les évaluations, constamment vérifiées depuis plus de 40 ans, montrent que la sévérité des peines est peu efficace. En revanche, des peines légères, fréquentes et certaines sont efficaces pour peu que la politique soit maintenue dans le temps – sinon, les vieilles habitudes reprennent le dessus. Il s'agit de modifier les moeurs, donc de mener une action de long terme.
Par ailleurs, si les lois peuvent amener les personnes à dissocier le fait de boire et celui de conduire, elles n'ont pas d'effet sur leur comportement vis-à-vis de l'alcool. C'est au niveau de ce comportement qu'il faudrait intervenir – comme c'était l'ambition du code de la route de 1958 – et repérer des individus afin de les soigner. L'analyse des données des années 2006 et 2007 fait apparaître que moins d'un quart des conducteurs ayant commis un délit font l'objet d'une procédure les sensibilisant au problème de l'alcool et susceptible de les mettre en contact avec un centre de soins. Seule une petite partie de cette population sera véritablement prise en charge. Sachant que les problèmes d'alcool se cumulent avec des problèmes de santé et des problèmes socio-économiques, une telle prise en charge est très lourde et coûteuse.
Une piste d'amélioration serait d'intervenir sur des buveurs d'habitude encore débutants. En effet, pour la plupart des conducteurs ayant une alcoolémie délictuelle, l'alcoolémie mesurée dépasse largement le seuil légal et exprime une relation problématique à l'alcool. Pour prévenir le risque de récidive, il conviendrait de repérer la nature de la relation du conducteur avec l'alcool dès la réalisation de l'infraction. Les gros buveurs débutants pourraient bénéficier d'un mode de soin léger qui les empêcherait de s'engager dans l'usage habituel et dans la maladie. Les interventions brèves, par exemple, ont déjà été évaluées dans plusieurs pays dont la France : elles donnent de bons résultats, notamment en séance de groupe, pour un coût peu élevé.
Mais les obligations de soins prévues actuellement demeurent indispensables pour les individus très engagés dans l'alcool. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation prennent en charge l'intégralité des problèmes de ces personnes et obtiennent des améliorations notables.
Le contrôle routier pourrait être utilisé pour inciter des buveurs habituels débutants à modifier leur comportement. C'était, j'y insiste, l'ambition du code de la route en 1958.
D'après les données de l'Observatoire français des drogues et toxicomanies, l'alcool – 5 millions de consommateurs quotidiens – est de loin le produit le plus consommé en France. La première drogue illicite est le cannabis, avec 550 000 consommateurs quotidiens. La problématique de santé publique n'est donc pas la même. Néanmoins, les proportions sont différentes pour les populations jeunes : l'alcool est toujours présent, mais le cannabis constitue un problème plus important, de même que des produits tels que la cocaïne, qui apparaît de plus en plus régulièrement.
Nous n'opposons pas les politiques de prévention, de contrôle et de sanction, qui sont les maillons d'une même chaîne. Nous insistons, bien entendu, sur la prévention et l'éducation au risque alcool, et ce dès le plus jeune âge. Le risque spécifique que constitue l'alcool au volant est présent dans notre communication à l'école primaire, au collège et au lycée où, depuis la dernière rentrée, le Gouvernement a mis en place un module de sensibilisation à la sécurité routière intégrant cette thématique pour un public très exposé.
Notre politique vise également à permettre aux conducteurs de se tester chaque fois que cela est nécessaire. C'est le sens de la mesure que les parlementaires ont voulu intégrer dans la LOPPSI et qui vise à rendre obligatoire la mise à disposition d'un mode de dépistage dans les établissements ouverts la nuit. C'est également le sens d'une charte que nous avons signée avec six syndicats professionnels de cafetiers, restaurateurs et hôteliers pour la mise à disposition gratuite d'éthylotests dans les établissements ouverts le jour.
Pour la réduction du risque in situ, qui passe par exemple par nos campagnes en faveur du conducteur désigné, nous sommes partenaires de différentes associations et mutuelles qui vont au contact des publics dans les soirées étudiantes, festives, sportives, etc., avant la prise d'alcool pour en expliquer les risques, et après, en indiquant les solutions que l'organisateur a mises en place pour éviter que la personne alcoolisée ne reprenne le volant.
Viennent ensuite les éthylotests antidémarrage, dont l'usage commence en France. Il n'est pas tout à fait exact d'affirmer que la pose de ce dispositif dans les transports collectifs d'enfants n'est pas assortie d'un suivi : l'employeur a bien évidemment le devoir de vérifier que son salarié est en situation de conduire, et donc de traiter la question de l'addiction à l'alcool à travers les dispositifs connus de médecine de prévention et de médecine du travail.
En ce qui concerne le contrôle de l'alcoolémie sur les routes, les chiffres sont stables depuis une demi-douzaine d'années : 11,5 millions de contrôles, en ciblant les lieux et les moments où la consommation d'alcool est la plus forte. À la sortie d'une foire aux vins ou d'une discothèque, la probabilité d'être contrôlé est plus forte que pour tout un chacun sur son trajet domicile-travail.
Un dernier élément de cette politique est la réduction de l'accès à l'offre d'alcool dans les lieux où cela peut poser un problème. Le Parlement a ainsi décidé, dans la loi HPST, d'interdire la vente d'alcool dans les stations-services de 18 heures à 8 heures – ce qui constitue une extension de la période d'interdiction – et d'y interdire également la vente de boissons alcoolisées réfrigérées.
Comme je l'ai dit, on trouve de l'alcool à toute heure et en tout lieu. Or, même lorsque l'on sort d'un repas de famille arrosé – et sans qu'il y ait forcément abus –, on n'a pas la possibilité de connaître son taux d'alcoolémie et son aptitude à la conduite. La probabilité d'être contrôlé est très faible : on le sait, le nombre des dépistages réalisés par les forces de l'ordre plafonne, et ce sont des opérations ciblées. Pour autant, on se tue à toute heure du jour et de la nuit à cause de l'alcool. À titre d'exemple, 48 % des accidents mortels du travail sont des accidents de la route et, dans 20 % de ces cas, l'alcool est en cause.
On doit pouvoir se procurer des éthylotests non seulement sur les lieux de consommation mais aussi dans les lieux de vente, sur les rayons mêmes où l'on trouve de l'alcool. Aujourd'hui, les éthylotests électroniques normés sont commercialisés à partir de 50 euros. L'aspect normatif est essentiel puisque la fiabilité de la mesure en dépend. Or on trouve sur l'Internet des appareils ne répondant à aucun label métrologique. La DGCCRF a mené des campagnes qui restent insuffisantes. Il faut les développer si l'on veut encourager le dépistage au moyen d'appareils disponibles dans le commerce.
L'éducation des jeunes doit également être privilégiée. On trouve aujourd'hui des jeunes qui boivent à la sortie des collèges. Le milieu parental ou amical peut être un facteur, mais on peut se demander si, au sujet de l'alcool, l'éducation à la sécurité routière dès le plus jeune âge est suffisante. Les enfants d'âge scolaire doivent pouvoir comprendre, cependant, l'intérêt, pour les personnes en âge de consommer, de le faire de façon raisonnable et raisonnée.
La communication peut créer de la confusion. Ainsi, on ne cesse de parler de la limite de 0,5 gramme alors que la quasi-totalité des mesures d'alcoolémie se font dans l'air alvéolaire expiré et que le seuil légal est de 0,25 milligramme par litre d'air. Les gens ne comprennent pas que, lorsque qu'on les mesure à 0,48 milligramme, ils sont non seulement dans l'infraction, mais dans le délit. Il faut donc parvenir à lisser la communication et à utiliser comme seule unité de mesure le milligramme par litre d'air, car c'est ce qui correspond à 95 % des cas.
Par ailleurs, nous avons des remontées des forces de l'ordre, dont nous sommes les formateurs et les fournisseurs. Il apparaît que les procédures françaises de contrôle d'alcoolémie sont parmi les plus lourdes au monde. Une procédure délictuelle peut exiger 3 heures de présence des forces de l'ordre. Une simplification est nécessaire pour améliorer l'efficacité des contrôles.
Pour ce qui est de l'application de l'article L. 234-14 du code de la route, nous avons saisi M. Guéant en lui adressant un dossier complet. Il nous paraît en effet élémentaire de disposer d'un éthylotest à bord de son véhicule. La probabilité d'avoir à s'en servir est 100 fois plus grande que celle d'avoir à utiliser le gilet jaune ! En outre, l'offre est très étendue – elle va du prix d'un café à un montant de près de 300 euros pour les appareils les plus sophistiqués. Si la réglementation établit l'obligation en question, les éthylotests électroniques trouveront leur place dans les grands magasins au milieu des GPS et des avertisseurs communautaires de radars. Dès lors que l'on aura cet équipement à disposition, il deviendra aussi naturel et banal de s'en servir que de boucler sa ceinture de sécurité. Non seulement la mesure ne coûtera rien à l'État, mais elle permettra de réduire la charge que représentent les accidents.
S'agissant des éthylotests, l'AFNOR a établi des normes françaises. Bientôt, des normes européennes seront applicables pour les produits offerts au grand public. La marque NF permet de sécuriser les dispositifs chimiques ou électroniques, tant pour les produits utilisés par les forces de l'ordre que pour les produits grand public.
L'attribution se fait en trois étapes : d'abord, nous réalisons une étude de prototype suivant un cahier des charges, où nous testons la réponse de l'instrument en matière d'alcool, ainsi que son fonctionnement dans différentes conditions climatiques ; ensuite, nous procédons à des audits dans les usines ; enfin, nous opérons des prélèvements pour vérifier la qualité de la fabrication dans le temps.
Cinq sociétés sont admises à la marque NF en France, qui concerne quatre éthylotests grand public, deux bornes éthylotest et deux éthylotests chimiques. Sur l'Internet, pourtant, une trentaine de marques sont disponibles. La différence s'explique par la difficulté de maîtriser cette technologie. La mesure, qui s'effectue en 5 secondes, doit être fiable. Dès lors que l'on souhaite mettre en oeuvre une politique de large diffusion, la procédure de vérification devient primordiale et il faut réglementer en s'appuyant sur la marque NF et sur les contrôles au niveau des entreprises. Le nombre de produits mis sur le marché pourrait se trouver multiplié par 20 ou 50, et de mauvais instruments pourraient mettre en danger des automobilistes qui, en toute bonne foi, se seraient dépistés au préalable.
Je souscris aux propos de M. Orgeval et de M. Berry sur l'importance de la fiabilité des mesures.
Pour en revenir aux éthylotests antidémarrage, il faut bien distinguer les deux applications de cette technique.
D'une part, la prévention. De nombreuses sociétés souhaitent utiliser des éthylotests antidémarrage dans le but de réduire le nombre d'accidents du travail. Nous préconisons en outre d'étendre l'obligation en vigueur pour les cars scolaires aux transports de matières dangereuses ou aux convois exceptionnels. Il y a à peine un mois, à cause d'un conducteur de poids lourd alcoolisé, un convoi d'acide s'est renversé sur le ring de Bruxelles, bloquant la circulation pendant près de 4 heures et provoquant l'évacuation de 25 000 personnes. Par rapport au reste de l'Europe, la politique française est en pointe. La mesure concernant les bus scolaires est peu à peu reprise par les autres pays. Les pays nordiques, quant à eux, sont en avance pour ce qui concerne notamment les taxis.
D'autre part, les programmes judiciaires. Outre les dispositions prévues à l'article 27 de la LOPPSI et les questions de normes – les dispositifs de prévention et ceux utilisés dans les programmes judiciaires répondent à deux normes CENELEC –, les autorités doivent prendre conscience de l'enjeu européen. Il s'agit d'un outil important de lutte contre la récidive : pour les personnes ayant bénéficié de ces programmes, la chute du taux de récidive se situe entre 50 et 60 %. L'objectif gouvernemental est de descendre au-dessous des 3 000 tués en 2012. Or il faut savoir que le nombre de morts sur les routes imputables à l'alcool est de 1 200 ou de 1 300, et que ces accidents impliquent beaucoup de conducteurs déjà condamnés pour des délits d'alcoolémie.
Je souscris également aux propos de Mme Pérez-Diaz au sujet des mesures légères. L'éthylotest antidémarrage, peu onéreux, en fait partie. Les constructeurs automobiles objectent qu'il n'est pas fiable et qu'il n'est pas prêt pour être intégré aux véhicules. Pourtant, le groupe de travail sur les transports de la Commission européenne a préconisé l'intégration d'éthylotests antidémarrage en première monte dès 2020, suivant en cela une demande de la France et de l'Allemagne. Nous installons depuis 2008 des éthylotests antidémarrage pour la marque Volvo, connue pour être toujours très en avance en matière de sécurité routière. Si le dispositif n'était pas fiable, notre client nous l'aurait dit depuis longtemps !
L'axe de la prévention et l'axe de la répression doivent être clairement associés, ne serait-ce qu'en raison des limites quantitatives de l'axe répressif : il y a entre 35 et 40 millions de détenteurs du permis de conduire en France, pour 11,5 millions de contrôles d'alcoolémie par an. La probabilité de souffler dans un éthylotest dans le cadre d'un contrôle est donc très faible. De plus, nous n'avons pas encore, dans notre rapport à la consommation d'alcool, le réflexe de nous tester nous-mêmes. C'est pourquoi il faut promouvoir l'idée d'autotest, que ce soit dans les véhicules ou dans les lieux de consommation d'alcool – débits de boisson mais aussi espaces pouvant être loués, comme les salles communales ou les salles polyvalentes.
Il faut en effet trouver le bon équilibre entre la prévention et la sanction. La sanction sera d'autant plus légitime que chacun aura pu trouver le moyen de se tester dans les lieux de consommation ou chez soi. Il est important de développer le réflexe éthylotest. Nous devrons vérifier la bonne application de la mesure obligeant les exploitants d'établissements de nuit à proposer un moyen de dépistage à leur client, et mesurer avec attention ses résultats.
Je me méfie des chartes d'autodiscipline, comme celle passée avec les cafetiers. Je doute que cela puisse être suivi d'effet. Il ne faut pas hésiter à enfoncer le clou et à faire de la pédagogie.
En matière de risque alcool et de sécurité routière, beaucoup reste à faire pour améliorer l'information et les connaissances des jeunes. Par exemple, l'équivalence entre les différentes boissons alcoolisées, qui est une notion de base, est peu connue, et les enquêtes montrent même une régression. Les générations de jeunes arrivant à l'âge de conduire se succèdent et nous ne devons pas relâcher l'effort.
Nous disposons d'un arsenal de règles important. Il faut s'attacher désormais à les faire appliquer avant de penser à en édicter de nouvelles.
L'association « Vin et société », créée en 2004, s'est étoffée ces dernières années car le monde viticole est de plus en plus convaincu qu'il se doit d'être un partenaire loyal et responsable défendant des positions sérieuses face à ces problèmes. Notre action contre l'insécurité routière porte essentiellement sur les surconsommations. Nous diffusons ainsi des outils pédagogiques qui sont en phase avec les recommandations de modération de l'Organisation mondiale de la santé. Depuis 2007, nous menons un partenariat avec la sécurité routière et nous mettons en avant le slogan : « Soufflez, vous saurez » pour promouvoir l'usage des éthylotests. Il s'agit d'une action régulière mais nous l'intensifions pendant les périodes de fêtes et de vacances. Nous travaillons également en partenariat avec les autorités préfectorales pour toutes les manifestations à caractère plus spécifiquement viticole ou agricole : « Vin et société » a déjà distribué 300 000 éthylotests dans ce cadre.
Par ailleurs, les travaux de l'Observatoire interministériel de la sécurité routière font apparaître que 91 % des conducteurs impliqués dans des accidents mortels avec implication de l'alcool présentent des taux d'alcoolémie supérieurs à 0,80 gramme. Le taux moyen constaté est d'environ 1,80 gramme par litre. Selon certaines études, le respect du taux de 0,50 permettrait de diminuer d'un quart le nombre des accidents de la route. « Vin et société » soutiendra sans ambiguïté toutes les initiatives qui permettront d'empêcher de prendre le volant avec un taux supérieur à 0,50, qu'il s'agisse de prévention ou de répression.
Pour ce qui est des populations dites « critiques », le travail est complexe. Au-delà de la prévention, il faut réfléchir à des opérations ciblées qui supposent des stages de formation spécifiques.
Bref, notre association, qui est membre du Conseil de modération et de prévention, favorise un comportement globalement responsable dans la consommation du vin et utilise pour cela différents vecteurs, comme par exemple la promotion de la vente du vin au verre ou l'incitation à rapporter chez soi les bouteilles entamées au restaurant au lieu de les boire en entier. Notre « guide de la consommation responsable » est largement diffusé, ainsi que différentes plaquettes précisant les niveaux de risque en fonction de la consommation et du poids de la personne. Ce n'est sans doute pas suffisant mais, je le répète, nous souhaitons être des partenaires responsables.
Alors que 30 % des accidents mortels sont dus, semble-t-il, à une absorption excessive d'alcool, pensez-vous qu'il faille aller, comme certains le préconisent, jusqu'à la tolérance zéro ? Si oui, à quelle échéance ? Faut-il que tous les conducteurs soient concernés ? Ou doit-on au contraire s'en tenir à une consommation raisonnable, c'est-à-dire au taux actuel, à condition de justifier que cela ne présente pas de risque ? À cet égard, les spécialistes sont-ils en mesure de déterminer à quel moment la consommation est suivie de conséquences évidentes ?
Nos interlocuteurs de la précédente table ronde ont affirmé que la fiabilité des éthylotests faisait débat et qu'il existait par ailleurs des moyens de contournement des dispositifs antidémarrage. Qu'en est-il ?
Enfin, comment expliquer que, malgré les campagnes de communication anciennes et réitérées sur les dangers de l'alcoolisation au volant, on n'arrive pas à réduire de manière substantielle le phénomène ?
Expérimentalement, on note une dégradation des performances dès que le conducteur est alcoolisé, quelle que soit la dose absorbée. En revanche, aucun accident ne serait imputable à des alcoolémies inférieures à 0,5 gramme par litre de sang – un projet européen, Driving under the Influence of Drugs, Alcohol and Medicine (DRUID), est en train d'analyser les études publiées sur le sujet.
Ce paradoxe s'expliquerait par le fait qu'un conducteur alcoolisé à faible dose aurait conscience d'une dégradation de ses capacités et qu'il la compenserait par une plus grande prudence au volant, suivant un mécanisme similaire à celui observé chez les personnes âgées ; au-delà d'un certain seuil, en revanche, le conducteur n'a plus conscience des effets de l'alcool sur sa conduite, ce qui lui fait courir un risque d'autant plus grand que la probabilité de provoquer un accident augmente très rapidement avec la dose absorbée : au-delà de 2 grammes par litre de sang, le risque d'être responsable d'un accident mortel est multiplié par 40 ou 80, selon les études. L'effet-dose est une des caractéristiques de l'alcool.
Néanmoins, peut-être serait-il pertinent d'abaisser le taux d'alcoolémie autorisé à un niveau inférieur à 0,5 gramme, dans la mesure où cela permettrait de tirer toutes les alcoolémies vers le bas et de réduire les taux supérieurs à 0,8 gramme, qui sont aujourd'hui responsables du plus grand nombre de morts sur la route.
Notons toutefois qu'il est absurde, sur le plan scientifique, de parler d'alcoolémie zéro, puisque l'organisme est susceptible de fabriquer de l'alcool à très faible dose : on peut avoir une alcoolémie positive, tout en n'ayant jamais consommé d'alcool de sa vie.
J'ai conscience que ma réponse est quelque peu ambiguë, mais c'est tout ce que l'on peut dire du point de vue scientifique et accidentologique !
La Prévention routière s'est prononcée récemment sur un éventuel abaissement du taux d'alcoolémie légal chez les jeunes conducteurs ; nous avons répondu par la négative, et ce pour trois raisons.
Premièrement, comme vient de le souligner Bernard Laumon, on ne peut fonder une politique pénale sur une absence de risque épidémiologique.
Deuxièmement, si les études expérimentales démontrent effectivement qu'avec 0,5 gramme d'alcool dans le sang, le risque théorique d'accident est multiplié par deux ou trois, cela équivaut aux effets d'un traitement tranquillisant à petites doses, d'un état grippal ou d'une nuit blanche, en particulier chez les travailleurs aux trois-huit.
Cela fait quatorze ans que je travaille sur le dossier des médicaments ; nous avons proposé à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) un système de pictogrammes avec trois couleurs, en fonction du risque, le premier niveau – jaune – correspondant à un risque potentiel réel, mais non significatif en termes épidémiologiques. Un conducteur avec une alcoolémie légèrement inférieure à 0,5 gramme sera soumis à un « surrisque » théorique s'il est fatigué ou distrait, mais il pourra le compenser à l'aide de conseils ou de pauses. Dans les restaurants d'autoroute, on se plaint que les gens ne boivent plus du tout de vin sur les longs trajets ; mais, en ce qui me concerne, quand je fais un trajet de 500 kilomètres, je m'abstiens de boire de l'alcool, car je cherche à compenser la fatigue accumulée !
De nombreux pays ont mis en place des législations « zéro alcool » pour les jeunes conducteurs : l'objectif est, non de réduire le risque lié à ces niveaux d'alcoolémie, mais de modifier le comportement des jeunes qui partent en soirée. On a prétendu, lors du débat sur l'interdiction de la vente d'alcool dans les stations services, qu'ils pourraient acheter de l'alcool ailleurs ou avant. C'est faux ! Les jeunes commencent d'abord par boire un verre, puis ils décident d'en prendre d'autres. La tolérance zéro permettrait d'éviter une telle décompensation du comportement.
J'en viens à la troisième raison. Il existe une fâcheuse tendance en France au durcissement progressif des systèmes de sanction. On avait initialement prévu une suspension de trois points pour l'alcoolémie contraventionnelle, et de six pour l'alcoolémie délictuelle. À la suite d'un accident grave, les parlementaires ont décidé de marquer le coup, d'enlever la progressivité et de faire passer à six points la sanction pour alcoolémie contraventionnelle ; et dans les dernières mesures, on a fixé à 0,8 gramme le seuil des alcoolémies délictuelles.
Or, un abaissement du seuil légal d'alcoolémie au-dessous de 0,5 gramme par litre de sang pour les jeunes conducteurs ne peut se concevoir sans un dispositif d'accompagnement et une campagne d'explication précise. Par ailleurs, d'autres catégories pourraient être concernées par un abaissement relatif, comme les conducteurs de transports en commun, pour lesquels le seuil légal pourrait être fixé à 0,2, et les conducteurs soumis à un programme judiciaire d'installation d'un éthylotest anti-démarrage – ces appareils étant en général réglés au-dessous du taux légal.
Il existe différents modèles d'éthylotests ; certains sont chimiques, d'autres électroniques – les éthylotests anti-démarrage (EAD) faisant partie de cette dernière catégorie. Les instruments dédiés aux forces de l'ordre et aux milieux professionnels répondent à des exigences beaucoup plus élevées que ceux destinés au grand public. Il reste que le dossier technique exigé pour la certification « NF » est le plus exigeant au monde. On teste la capacité de l'appareil à discriminer des alcoolémies avoisinant 0,5 gramme par litre de sang, c'est-à-dire qu'il doit être capable de mesurer avec précision, de manière répétée, une variation de concentration de 0,4 à 0,6 gramme par litre, ce qui équivaut à un fond de verre. Certains EAD utilisent même la technologie des instruments des forces de l'ordre, qui peuvent mesurer avec précision les variations de 0,45 à 0,55 gramme par litre. Il s'agit par conséquent d'instruments très fiables.
La présence dans la bouche de substances liées à l'activité humaine, comme l'acétone, ou l'utilisation de produits du type eucalyptol ou phénol, soit fera augmenter le niveau d'alcoolémie mesuré, soit n'aura aucune influence sur le résultat. Il semble actuellement impossible de tromper cet instrument.
En effet : d'où l'intérêt de procéder à des tests aléatoires afin d'éviter ce type de contournement – mais M. Vialettes vous en parlera mieux que moi.
Par ailleurs, cet instrument ne sert pas seulement à réprimer, mais aussi à éduquer. Si l'on a conscience d'avoir un problème avec l'alcool, on n'a aucun intérêt à tricher. Face à l'appareil, dans le véhicule, on ne peut pas se mentir.
Les EAD sont soumis à des examens métrologiques approfondis. Aujourd'hui, tous les appareils européens sont certifiés par des laboratoires qui garantissent que les appareils mis sur le marché respectent les normes techniques. L'Union technique de l'automobile du motocycle et du cycle (UTAC), chargé de l'homologation des produits sur les bus, est garante de ces essais, ainsi que de la vérification des gaz de calibration : il faut en effet prévoir une procédure de calibration et d'étalonnage périodique des appareils, si l'on veut garantir la fiabilité, la précision et la répétitivité de la mesure. C'est pourquoi nous sommes favorables à la certification des appareils.
Nous travaillons en partenariat avec les constructeurs automobiles sur les véhicules particuliers comme sur les véhicules utilitaires. Les appareils que nous installons dans ce cadre sont testés avant leur installation, selon des normes internes très strictes, notamment s'agissant de la compatibilité électromagnétique, de la compatibilité électrique et de la consommation d'énergie – les EAD actuels consomment moins de 5 milliampères.
Il faut par ailleurs tenir compte du rôle du progrès technologique et des approches marketing. Au début, les constructeurs automobiles ne voulaient pas de l'ABS parce qu'ils pensaient qu'il serait trop compliqué à installer ; aujourd'hui, toutes les voitures en sont équipées. Pour un constructeur automobile, il est actuellement plus facile de vendre un équipement GPS qu'un EAD, mais demain, avec l'évolution des mentalités, ce sera peut-être différent.
Il est certain que n'importe qui peut souffler dans un éthylotest anti-démarrage. C'est pourquoi le programme judiciaire prévoit la possibilité d'intégrer dans les appareils un test aléatoire, intervenant entre 5 et 30 minutes après le démarrage, ce qui obligerait le conducteur à souffler de nouveau dans l'appareil. Cela permettrait de lutter contre certaines stratégies de contournement, comme laisser tourner le moteur du véhicule quand on va boire un coup au bistrot. Aux États-Unis, on travaille aussi sur la reconnaissance faciale – mais c'est une autre culture.
Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous sommes confrontés à de gros problèmes d'alcoolisme au volant chez les jeunes. Quand j'étais enseignante, j'avais participé à la mise en oeuvre de mesures comme la désignation de « capitaines de soirée » ; je trouvais cela plutôt efficace. Qu'en pensez-vous ? Quelles mesures de prévention existe-t-il ? Intervient-on, par exemple, lors de la journée défense et citoyenneté (JDC), qui est un moment privilégié pour toucher tous les jeunes, quel que soit leur sexe, à l'âge où ils commencent à conduire ?
Même si j'ai bien compris que l'alcoolémie zéro n'existe pas, la « tolérance zéro » ne résoudrait-elle pas tous les problèmes, en posant le principe qu'entre boire ou conduire, il faut choisir ? Seriez-vous favorable à une mesure à destination des seuls jeunes conducteurs, de manière à leur donner de bonnes habitudes ?
Ne pourrait-on pas organiser des stages de récupération de points dédiés aux questions d'alcoolisme et d'addictions ?
Quid des autres addictions, notamment au cannabis ? Il semble que le mélange d'alcool et d'autres produits, même en faible quantité, empêche d'avoir des réactions normales. Peut-on concevoir des tests permettant de vérifier que l'on est capable de conduire ?
Enfin, les éthylotests – du moins, ceux qui sont valables – me semblent coûter plus cher qu'un café ! Pourquoi ne pas mettre en place une campagne publicitaire visant à fournir un éthylotest pour l'achat de toute bouteille d'alcool fort, ce qui permettrait d'habituer les gens à cet instrument ?
Les addictions, ce ne sont pas seulement l'alcool et le cannabis, mais aussi le chocolat, le tabac, le sexe et les drogues en tous genres. N'existe-t-il pas aussi une addiction à la vitesse ? L'hybris du mâle chauvin au volant ne relève-t-il pas d'une forme de dépendance ?
Nous avons eu ce matin un débat avec la Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) sur les publics à toucher en matière de prévention routière, et nous avons évoqué le cas des « récalcitrants », c'est-à-dire des automobilistes qui ne s'estiment pas concernés. Certes, avec des radars, on arrive à calmer une personne qui conduit trop vite. Toutefois, pour les personnes qui souffrent d'addiction, il semble que les sanctions ne servent à rien ; d'ailleurs, le taux de récidive est très élevé au sein de cette population, même après un retrait de permis ou la confiscation du véhicule. Or, moins d'un quart des personnes ayant eu un problème d'alcoolémie au volant ont bénéficié d'un programme ou d'un suivi. Qu'en pensez-vous ?
Madame Hostalier, en tant qu'intervenant départemental de sécurité routière (IDSR), je mène des actions bénévoles auprès des jeunes. Parmi les messages que nous essayons de leur faire passer, nous leur disons qu'ils vont être embauchés dans une entreprise grâce à leur diplôme à bac +3 ou bac +5, mais aussi parce qu'ils possèdent le permis de conduire ; s'ils le perdent, leur employeur n'aura plus besoin d'eux. Le permis de conduire est le premier diplôme pour obtenir un emploi, avant tous les autres : il faut insister sur ce point.
Je confirme que l'on peut trouver des éthylotests au prix d'un café et que la dépense est insignifiante comparée à l'achat d'une bouteille de vodka – mais les jeunes ont pris l'habitude qu'on leur donne systématiquement le préservatif et l'éthylotest, sinon, ils ne s'en servent pas ! Le problème, ce n'est pas le prix, c'est d'être sûr de pouvoir en trouver un en cas de besoin. Il faut faire en sorte que ces matériels soient disponibles en tout lieu, à toute heure et, pour cela, explorer toutes les voies et tous les partenariats possibles.
La loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) impose aux établissements de nuit de s'équiper de bornes éthylotests murales. Il ne faut pas perdre de vue qu'un éthylotest certifié est valide de 12 à 14 mois pour un appareil de classe 1, et 12 mois pour un appareil de classe 2 ; au-delà, la certification est suspendue dans l'attente du passage d'un technicien. Si cette opération de maintenance n'est pas imposée, les appareils risquent au bout d'un certain temps de ne plus être valides et d'être abandonnés. C'est pourquoi, chez I-Tests, nous estimons qu'il faut rendre obligatoire le contrôle périodique des bornes et que toute intervention technique devrait être conservée au registre de sécurité de l'établissement et présentée à la commission de sécurité, comme c'est déjà le cas pour les extincteurs et les issues de secours.
Il est vrai, monsieur Myard, que les conducteurs de deux ou trois roues motorisés sont particulièrement exposés aux accidents de la route.
Ma question consistait à savoir s'il n'existait pas une forme d'addiction à la vitesse : conduire une moto de 1 200 cm3 est une source de plaisir quasi orgasmique !
Cela est vrai également pour les voitures ! D'ailleurs, je vous signale que les jeunes conducteurs n'ont pas accès aux grosses cylindrées à moto, alors qu'ils peuvent s'acheter une Ferrari à peine leur permis obtenu ! En outre, la plupart des motards savent que la conduite des deux-roues motorisés n'est guère compatible avec l'absorption d'alcool ; les motards alcoolisés sont rares, car ils connaissent les risques qu'ils courent.
Ayant dirigé une société de radars et ayant été à l'initiative des appareils de contrôle des feux rouge, je suis bien placé pour savoir que l'automatisation des contrôles permet de calmer les ardeurs des automobilistes, sur une base égalitaire. En revanche, on ne pourra jamais automatiser le dépistage de l'alcoolémie, car cela suppose des hommes sur le terrain ; or, policiers et gendarmes sont de moins en moins nombreux. C'est pourquoi il faut veiller à ce que des éthylotests soient disponibles pour tous, à toute heure et en tout lieu, dans un souci d'éducation et de prévention. Les outils sont disponibles ; il suffit de les mettre en place.
S'agissant des jeunes, il convient de distinguer les jeunes hommes et les jeunes femmes, car les risques sont bien supérieurs chez les premiers : lors des dépistages, les hommes sont bien plus nombreux à être contrôlées avec une alcoolémie supérieure à 0,5 ; les jeunes femmes boivent aussi souvent, mais à des doses inférieures.
Une autre caractéristique de l'homme jeune, c'est de mélanger l'alcool et le cannabis, ce qui est très dangereux : alors que le risque d'accident est multiplié par 1,8 en cas de consommation de cannabis et par 8 en cas de consommation d'alcool à dose moyenne, il est multiplié par quinze si l'on associe les deux ! De ce point de vue, instaurer une « tolérance zéro » en matière d'alcool chez les jeunes permettrait de limiter le risque en empêchant ce type de mélange.
Il est entendu que l'alcool est responsable du tiers des tués, mais on disait la même chose il y a dix ans, quand a été lancée l'étude « Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière » (SAM). Or un tiers de 4000, c'est moins qu'un tiers de 7 000 ! On a donc réduit considérablement le nombre de tués imputable à l'alcool. Pourtant, les conducteurs ne sont pas moins alcoolisés. La cause en est la réduction de la vitesse, qui a permis de diminuer, dans les mêmes proportions, le nombre de tués imputable à l'alcool et celui imputable à d'autres causes.
Non, c'est une réalité !
Certes, mais on a agi sur tous les facteurs de risque. La vitesse n'est pas la seule en cause : on peut tuer en roulant à 30 kilomètres heure !
Cela n'est pas contradictoire avec le fait qu'en réduisant la vitesse, on a diminué le nombre de tués imputable à l'alcool, comme celui imputable à d'autres causes. Je vous invite à y réfléchir sans considérer qu'il s'agit d'un sophisme.
Étant membre du Conseil international « Alcool, drogues et sécurité routière » et expert auprès de la Commission européenne, j'ai beaucoup voyagé et j'ai participé à des discussions de ce type dans une quinzaine de pays. J'aimerais faire en sorte que l'on profite des expériences des autres et que l'on ne réinvente pas la roue en permanence. Aussi rappelerai-je quelques grands principes.
On oppose souvent en France l'éducation et la répression, alors que les autres pays ont souvent fait la synthèse. Or, une bonne politique de prévention et d'éducation repose d'abord sur des contrôles en bord de route : tous les épidémiologistes s'accordent sur l'existence d'une corrélation entre l'efficacité des politiques de sécurité routière et la probabilité d'être contrôlé sur la route. Depuis quelques années, en France, le nombre des contrôles d'alcoolémie et de vitesse s'est fortement accru, ce qui est un plus par rapport à d'autres pays, comme l'Angleterre, les États-Unis ou le Canada, où, au nom de la protection des droits individuels, les forces de l'ordre n'ont pas le droit de contrôler les conducteurs s'il n'y a pas de signes évidents d'ivresse : autrement dit, on rate la partie immergée de l'iceberg ! Il faut donc que vous souteniez les efforts du ministère de l'intérieur pour développer ces contrôles, en veillant à donner aux forces de l'ordre les moyens matériels et humains nécessaires, et, si la police nationale et la gendarmerie ne suffisent pas pour faire face à cette mission, en accroissant les prérogatives des polices municipales, au moins durant l'été.
Ensuite, il faut assurer un continuum d'éducation de l'enfance jusqu'à l'âge adulte. C'est ce que fait la Prévention routière. On peut discuter de l'instauration d'une « tolérance zéro » pour les jeunes, à condition qu'elle ne soit pas conçue comme une sanction qui aboutirait à annuler leur permis dès la première alcoolémie, à compromettre le début de leur carrière professionnelle et à les inciter à conduire sans permis mais comme une protection.
S'agissant du cannabis, il faut prendre en considération deux aspects. Du point de vue épidémiologique, je suis d'accord avec Bernard Laumon ; j'ai été à l'origine de la création des procédures de dépistage de drogue au volant et nous avons eu, à l'époque, un très violent débat pour savoir s'il fallait empêcher les jeunes de fumer. Aujourd'hui, le problème du cannabis dépasse la sécurité routière : il touche les rapports familiaux, les violences dans les familles, les violences dans la rue, les échecs scolaires ; il s'agit, tout comme l'alcool, d'un facteur de désinsertion sociale. Il faut mettre en oeuvre une politique raisonnable, et prévoir, comme aux Pays-Bas, une intervention systématique dès qu'un problème est identifié ; surtout, un traitement adapté est nécessaire. En Haute-Savoie, les procureurs nous ont demandé de mettre en place un suivi sur six mois des jeunes ayant eu un problème avec le cannabis, avec un dépistage mensuel : après six mois d'abstinence contrôlée, les jeunes récidivent moins souvent. De même, pour l'alcool, on divise par quatre le risque de récidive chez les personnes qui suivent de vrais programmes d'éthylotest anti-démarrage. Partout dans le monde où l'on privilégie le système des sanctions, les noyaux durs ne diminuent pas, en raison de la dépendance à l'alcool.
Il faut donc engager une politique cohérente. Les outils sont disponibles ; à vous, mesdames et messieurs les parlementaires, de définir une stratégie globale, au lieu de prendre des mesures isolées et parfois aberrantes – à ce sujet, je précise qu'en Suède, tous les radars sont signalés par un panneau, mais que ceux-ci ne coûtent que 70 euros pièce, contre 10 000 euros pour nos panneaux pédagogiques… Pour ce faire, il faut voyager et savoir oublier la prétendue spécificité française.
Je partage votre opinion sur la nécessité d'une stratégie globale. En revanche, je crois savoir qu'il existe une polémique sur le dépistage scientifique du cannabis ; on dit par exemple qu'une prise de sang peut révéler une consommation de cannabis remontant à quinze jours ou trois semaines, donc sans effet sur le comportement au volant. Qu'en est-il réellement ?
Il s'agit d'une campagne de désinformation. Le cannabis peut subsister, dans les urines, jusqu'à trois semaines à un mois, dans la salive, de 24 à 36 heures, et, dans le sang, seulement quelques heures – moins longtemps que l'alcool. Si l'on retrouve du cannabis dans le sang, il s'agit d'une consommation récente.
La Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes (CNSP) estime que le dispositif actuel de dépistage, à l'élaboration duquel nous avions contribué en 2001, doit être réévalué. On a observé en effet une très forte pression en faveur des tests salivaires, plus faciles d'usage et qui, contrairement aux analyses d'urine, ne requièrent pas la présence d'un médecin – la France étant le seul pays d'Europe à ne pas autoriser l'examen des urines par les forces de l'ordre pour le dépistage de la drogue. Or, les tests salivaires sont moins fiables. Quand j'ai été désigné par la CNSP pour être l'interlocuteur du ministère de l'intérieur en la matière, j'ai dû batailler pour maintenir l'interdiction d'utiliser les tests salivaires en cas d'accident mortel, et pour obtenir qu'on ne les utilise que pour la prévention.
La CNSP se tient donc à votre disposition pour travailler à la réévaluation du dispositif, notamment afin d'y intégrer une part d'évaluation comportementale . Aux termes de la loi, on ne peut en effet dépister chimiquement que quatre drogues, alors qu'il existe une vingtaine de produits susceptibles de perturber un conducteur, notamment des médicaments détournés de leur usage. Il convient de ne pas tout faire reposer sur la preuve biologique.
De trois à huit heures, les doses diminuant très vite.
Tout simplement parce que 90 % du cannabis sont stockés dans les tissus graisseux et que leur élimination est progressive. La durée de vie dans l'organisme est de sept jours ; au bout de cette durée, il en restera la moitié ; après quatorze jours, il en restera un quart ; etc. Chez les gros consommateurs, on peut retrouver du cannabis dans les urines un mois après. En revanche, si l'on n'a fumé qu'un pétard isolé, on ne retrouvera plus rien au bout de dix jours.
Plus précisément, le cannabis contient un certain nombre de métabolites, comme le tétrahydrocannabinol (THC), qui agit sur le cerveau, ou le THC-acide, qui est en revanche inactif. Il est impossible d'avoir du cannabis dans le sang ; ce que l'on peut retrouver dans les urines, c'est du THC-acide, en raison d'un phénomène de concentration au niveau du rein : si tel est le cas, cela signifie simplement que vous avez consommé du cannabis dans les jours précédents. Si l'on veut prouver que vous êtes sous son emprise, il faut trouver du THC dans le sang ; or les concentrations en THC diminuent très vite.
Certes, il existe des théories affirmant que le THC serait stocké dans les graisses et évacué sous l'effet du stress, et que l'on pourrait en retrouver longtemps après avoir fumé un joint. Je pense toutefois qu'en matière de sécurité routière, il vaut mieux se fonder sur des données simples et des effets de masse.
Si la prévention n'est pas appuyée sur l'éducation, elle restera à peu près sans effets : on ne convainc que ceux qui sont déjà à moitié convaincus. Le problème, c'est que l'addiction à l'alcool repose parfois sur une dépendance physique, mais surtout sur une dépendance psychique. Presque toutes les alcoolémies délictuelles sont révélatrices d'un rapport problématique à l'alcool, avec le risque que la personne sombre rapidement dans la dépendance. C'est pourquoi je propose des interventions brèves à destination de ces individus, car les sanctions, même sous la forme d'éthylotests anti-démarrage, ne suffiront pas pour régler le problème. Il convient d'agir sur l'alcoolisation chronique en intervenant dès le dépistage afin de bloquer la dérive vers la maladie – d'autant qu'il faut de surcroît lutter contre le déni, car ceux qui ont un problème avec l'alcool refusent souvent de le reconnaître. Il est nécessaire, par conséquent, d'aider ces derniers à franchir cette première étape, de créer une motivation et de les amener à accepter, soit de réduire leur consommation, soit de se soigner.
Par ailleurs, je note que certains pays, comme les pays scandinaves, qui ont décidé d'interdire complètement l'alcool au volant, ont été confrontés à un accroissement du nombre de piétons alcoolisés tués. En d'autres termes, le mieux peut être l'ennemi du bien…
Mesdames et messieurs, je vous remercie pour votre témoignage et votre expertise.
La table ronde s'achève à dix-neuf heures trente.